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Antisémitisme: ils en ont parlé ! Enfin presque…

L'édito d'Elisabeth Lévy


Antisémitisme: ils en ont parlé ! Enfin presque…
Claude Askolovitch, Dalil Boubakeur et Jean-Luc Mélenchon. SIPA. 00666774_000056 / 00769607_000018 / 00828781_000031

Le « manifeste contre le nouvel antisémitisme » a fait parler. Parfois pour le saluer, souvent pour le nuancer. Il serait « dangereux » de parler d’antisémitisme en France. Et encore plus de nommer ses adeptes… L’édito d’Elisabeth Lévy.


C’est vrai, mais il ne faut pas le dire. Depuis quinze ans, au bas mot, l’existence d’un antisémitisme que l’on continue, bizarrement, à dire nouveau pour éviter de dire d’où il vient, est le secret de polichinelle le mieux gardé de la République. Des palais du gouvernement aux bistrots, tout le monde sait qu’il existe, qu’il n’est pas le fait de crânes rasés, mais de barbus, que c’est à cause de lui que des juifs quittent le pays : aussi surprenant que cela soit pour un journaliste de France Inter, on peut vivre avec des vieux crabes qui chantent des chants nazis, pas avec des gens qui agressent vos gosses. Il n’y a plus un enfant juif, aujourd’hui, dans les écoles publiques de Seine-Saint-Denis, tout le monde le sait, et tout le monde sait pourquoi : parce que dans la France d’aujourd’hui, il est, sinon impossible, très difficile pour des juifs « isolés » de vivre dans des quartiers majoritairement peuplés de musulmans. C’est un fait. Et si c’est vrai, on doit le dire.

L’antisémitisme est un problème français

Pour de nombreux juifs, et pour tous les Français qui pensent que l’antisémitisme n’est pas le problème des juifs, mais celui de la France, le plus désespérant n’est pas la peur mais le déni, le plus révoltant n’est même pas la haine islamiste (dont ils ne sont d’ailleurs pas, tant s’en faut, les seules cibles), mais l’indifférence ou le scepticisme de nombre de leurs concitoyens, l’indignation sélective de presque toute la gauche politique, culturelle et médiatique, qui ne voit les antisémites que quand ils sont bien de chez nous. L’émotion suscitée dans tout le pays par la mort de Mireille Knoll, la onzième citoyenne française assassinée parce qu’elle était juive depuis 2006, puis la parution, dans Le Parisien du 22 avril, d’un « Manifeste contre le nouvel antisémitisme »[tooltips content= »J’ai oublié d’envoyer ma signature, mais le cœur y était. Bravo à Philippe Val pour cette opération. »]1[/tooltips] signé par 300 personnalités dont Nicolas Sarkozy, Manuel Valls et Laurent Wauquiez, ont fait penser à beaucoup que le mur du silence avait enfin cédé sous les coups de boutoir du réel. Pas de périphrase ni d’euphémisation et encore moins d’excuse sociale : la plume de Philippe Val n’a pas tremblé quand il a rédigé ce texte qui établit un lien direct entre la recrudescence des actes antijuifs et la terreur que font régner les islamistes sur les musulmans de France, affirme que « l’antisémitisme musulman est la plus grande menace qui pèse sur l’islam du XXIe siècle », et appelle l’islam de France à ouvrir la voie de la réforme en frappant d’obsolescence « les versets du Coran appelant au meurtre et au châtiment des juifs, des chrétiens et des incroyants ».

Le danger de la vérité

Les signataires s’attendaient à susciter quelques remous et même, on peut toujours rêver, un débat sur la meilleure façon de nommer les choses. Au lieu de quoi on a d’abord assisté à diverses leçons de maintien prodiguées par des éditorialistes offusqués et des politiques circonspects, regrettant que le manifeste emploie tel terme plutôt qu’un autre et prenne l’exemple de ceci plutôt que de cela. « Texte à côté de la plaque », tweetait sobrement La France insoumise, où on doit tenir l’antisémitisme pour un sujet casse-gueule. Il aurait fallu « maîtriser son expression », regrettait Laurent Joffrin, professoral. Quant à Claude Askolovitch, qui a eu le temps, en moins de 24 heures, d’écrire 30 pages en réponse au manifeste, il n’a visiblement pas trouvé celui de le lire. En effet, il y a par exemple trouvé l’idée que « la défense du juif implique le refus de l’islam ». Qu’un homme aussi subtil ne comprenne pas la différence entre le refus de l’islam et le refus de certaines de ses expressions, voilà qui laisse songeur.

On a aussi eu droit à de multiples variations sur l’air rebattu du « pas d’amalgame », jusqu’à celle de Jean-Pierre Chevènement, qu’on a connu mieux inspiré : le président de la Fondation pour l’islam de France a estimé qu’il était « dangereux de désigner “un nouvel antisémitisme musulman”, comme si tous les musulmans avaient tété l’antisémitisme avec le lait de leur mère ». On aimerait comprendre pourquoi il est dangereux de désigner « un nouvel antisémitisme musulman » : est-ce parce qu’il n’existe pas ou parce qu’il existe, mais qu’il ne faut pas le dire ?

Boubakeur outragé, Boubakeur brisé, Boubakeur martyrisé…

Mais le plus édifiant a été la réaction outragée et pour une fois unanime des autorités musulmanes qui ont fait assaut de susceptibilité. Dalil Boubakeur, recteur de la mosquée de Paris (qui est d’ailleurs traité de « Français » dans les quartiers salafisés) a évoqué « le procès injuste et délirant d’antisémitisme fait aux citoyens français de confession musulmane et à l’islam de France », tandis qu’une trentaine d’imams estimaient que l’idée selon laquelle le Coran contenait des appels au meurtre était d’une « violence inouïe » – cela signifie-t-il qu’elle est fausse ou qu’elle est dangereuse ? Aurait-on mal lu les versets concernés ? Sur ce point, silence radio.

A lire aussi: « Islamophobie »: les bobards de M. Boubakeur

L’indignation de ces honorables hommes de foi devant les crimes antisémites est parfaitement sincère. Seulement, il y a toujours un mais, et même plusieurs. Mais les discriminations. Mais les amalgames. Mais il ne faut pas confondre la religion d’amour et de paix avec l’islamisme. Personne ne prétend que tous les musulmans soient antisémites, en tout cas, pas les signataires de la tribune. Reste que, si l’antisémitisme n’a rien à voir avec l’islam, il faudra bien nous expliquer pourquoi tant de juifs quittent les banlieues islamisées comme ils ont quitté il y a plus d’un demi-siècle pratiquement toutes les terres d’islam. Sans doute une de leurs étranges lubies.

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Causeur #57 - Mai 2018

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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