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Comment l’Education nationale noie la haine des juifs dans la lutte contre les discriminations


Dans le formatage de la pensée, l’école a pris une part prépondérante. Avec les meilleures intentions du monde, elle contribue à nier l’émergence d’un antisémitisme musulman en le noyant dans une myriade de « racismes » réels ou imaginaires.


Explorons le Réseau Canopé,  éditeur sous tutelle du ministère de l’Éducation nationale. Les supports pour « agir en classe » de sa rubrique « Eduquer  contre le racisme et l’antisémitisme » sont édifiants. Fruits d’un partenariat annoncé entre la DILCRAH (Délégation Interministérielle à la Lutte Contre le Racisme, l’Antisémitisme et la Haine anti-LGBT), le Ministère de l’Education et l’Institut Français de l’Education), ils donnent à voir une série de témoignages.

Témoignages en vrac

Citons-les en vrac. Abdelkader Goutta, fils de harkis, témoigne de ma dureté du camp de Rivesaltes, de la méfiance née de la guerre d’Algérie « et de ceux qui le regardaient de travers mais sont devenus ses meilleurs amis ». Lina Jackson raconte en 1997 le rejet des Roms dans l’Europe d’avant la seconde guerre mondiale. Anne Altmann et Hélène Frydman évoquent l’antisémitisme de la fin des années 30. Antonio Cordoba Alcaide explique qu’il est devenu français « parce qu’il voulait être fonctionnaire », Roland Rutili « ne commettra pas l’erreur qu’ont commis ses parents de ne pas lui parler italien » et l’enseigne à sa petite fille pour « pérenniser ses racines ». Samia Messaoudi « ne voyait pas de différence avec ses copines Marie-Laure et Hélène » mais devait cacher ses mains au henné « parce que l’on trouvait ça sale ». Enfin Yamina Benchenni explique que bien que née en France, elle n’est devenue française qu’en 1990 car « si eux ils pensent qu’on n’est pas français, pourquoi moi je dois l’être ?», puis raconte le meurtre de son frère par un militant du Front National alcoolique.

Nous sommes loin de Patrice Quarteron. Seule Gaye Petek, rentrée à la maison en pleurs après un cours d’histoire parlant des « turcs barbares » éclaire de la sagesse de son père ces récits, en évoquant sa réponse consolatrice : « Il y a des sales pages dans l’histoire de tout le monde ». Le parti pris idéologique est donc posé : le Français de souche est empli de préjugés racistes qui font souffrir l’immigré. Un dessin animé permet même de s’en convaincre dès le plus jeune âge.

Légitimer « l’islamophobie »

Les enseignants régulant au quotidien les conflits entre élèves d’origine gitane et maghrébine, ceux dont les collégiens subissent le racisme anti-blanc décrit par Tarik Yildiz et bien sûr ceux confrontés à l’antisémitisme n’ont qu’à circuler, il n’y a rien à voir.

Pourtant, Canopé a su faire preuve d’une très grande réactivité à l’actualité employant dès la page d’accueil de la rubrique « Education contre le racisme » le terme d’islamophobie,  concept controversé ainsi légitimé.

Les enseignants sont en première ligne face aux effets du communautarisme et désarmés. D’autant plus désarmés qu’un tropisme pousse souvent leur cœur à gauche, parfois jusqu’à ces espaces où la défense de l’opprimé mène à épouser la cause palestinienne, comme le montre le site de Sud Education. Le piège se referme alors. Comment lutter contre l’antisémitisme des élèves nourri, entre autres, d’une vision orientée du conflit au Proche-Orient, sans une solide formation factuelle et historique démêlant l’écheveau ?

Shoah pour tous

Alors, on se replie sur ce que Régis Debray nomme l’ « abus de mémoire qui ne permet plus de regarder l’histoire en face, hic et nunc » : l’enseignement de la Shoah, évidemment essentiel et nécessaire, mais qui produit ici l’effet inverse de celui attendu, puisque, dans leur vision du monde, ces néo-antisémites s’identifient aux Palestiniens victimes de ces nouveaux nazis que sont pour eux les Israéliens.

Que penser de « cette résignation et cette indifférence des professeurs » face au départ des élèves juifs de leur lycée dont parle Jean-Pierre Obin[tooltips content= »Obin, alors Inspecteur Général de l’Education Nationale rédigea en 2004 un rapport sur les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires. »]1[/tooltips] ou de ceux commentant ce phénomène par : « Ils n’étaient pas assez nombreux pour se défendre » ? Que répondre à cette amie conteuse qui s’est entendu dire, en fin de spectacle dans un établissement scolaire, « Vous êtes juive Madame ? C’est dégueulasse ! » et à qui les enseignants ont exprimé leur sollicitude sans juger utile de faire formuler des excuses à l’élève? Comment accepter de travailler dans une école maternelle dont l’équipe a décidé de ne plus faire fabriquer des étoiles pour décorer à Noël, « pour ne pas avoir de problèmes »?

Les hussards noirs étouffés

Enfin, il est désormais indispensable de  reconnaitre que les communicants autant que les idéologues achèvent d’étouffer les derniers hussards noirs. Jean-Pierre Obin lui-même reconnaît « la tendance de l’institution à dissimuler les faits déplaisants afin de préserver l’image de l’école publique ou comme on dit de nos jours, à « communiquer » autrement dit à livrer une version édulcorée et édifiante de certains faits plutôt qu’à en informer honnêtement le public ». Lire comment cet inspecteur général de l’Education nationale prit conscience en 1996 de la gravité de la situation entre élèves juifs et « arabes » et tenta, en vain d’agir est effarant : « J’alertai de manière circonstanciée, dans ma note de synthèse sur l’Académie de Lyon, les deux rapporteurs nationaux. Je n’en retrouvai nulle trace dans le rapport national » rédigé par Catherine Moisan et Jacky Simon. Force est hélas de constater que lorsque sa parole, claire et sans ambages, parvint enfin sur le bureau d’un ministre, elle ne fut pas plus suivie d’action sur le sujet que le rapport Stasi qui, en 2003 parlait déjà explicitement de ce nouvel antisémitisme.

Il semble donc que ce soit une lutte contre la culture d’entreprise de l’Education nationale mêlant totems, tabous, omerta et  plans de communication  qu’il reste à entreprendre. Jean-Pierre Obin concluait son rapport en soulignant « qu’il était chez les responsables deux qualités qui permettent beaucoup et qu’on devrait  davantage rechercher, développer et promouvoir à tous les niveaux (…), la lucidité et le courage ». Nous en sommes toujours là.

Alors bien sûr, aujourd’hui, on ne peut que se réjouir de voir cette part enfouie de l’antisémitisme atteindre l’agora. Souhaitons que nous parvenions toujours à y nommer clairement et promptement les faits qui en relèvent.  Et n’oublions pas qu’Aristote  nous a prévenus : « Partout où l’éducation a été négligée, l’État en a reçu une atteinte funeste ».


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Université, la sélection naturelle


Dès la première année à l’université, plus des deux tiers des étudiants sont d’ores et déjà sélectionnés.


A lire aussi: Université: la révolte des bac + zéro

La loi ORE met en place des « attendus » non sélectifs pour les bacheliers : expression écrite et orale, analyse et synthèse de texte, aptitude au travail autonome, le tout sans examen éliminatoire. En cas d’insuffisance, les élèves suivront une remise à niveau. Le texte prévoit bien une sélection, mais quasiment sur le mode du tri mécanique : certaines filières, prises d’assaut et offrant peu de places, devront choisir les élus sur dossier.

Une sélection franche aurait-elle choqué la jeunesse ? Pas sûr. Selon un sondage IFOP d’octobre 2017, 80 % des jeunes se déclarent favorables à l’instauration de prérequis pour intégrer une filière universitaire. Leur position se comprend d’autant plus que la sélection à l’entrée du supérieur est déjà une réalité, pour les deux tiers des inscrits en première année ! En 2015-2016, on recense 2,5 millions d’inscriptions dans le supérieur. L’Université proprement dite représente 62 % du total, soit 1,6 million. Les autres sont en BTS, en classe préparatoire, en école d’ingénieur, à Sciences-Po, etc. Ils ont été sélectionnés, sur dossier ou concours. Resterait-il 60 % de non-sélectionnés ? Pas du tout, car l’Université compte aussi des filières sélectives. En 2015-2016, il y avait 116 000 étudiants en DUT, choisis sur dossier, et 450 000 dans les universités privées, Catho de Lille ou d’Angers, qui sélectionnent ! En y ajoutant les 309 000 étrangers inscrits en France, eux aussi sélectionnés, le constat est très simple. Le libre accès est d’ores et déjà largement minoritaire. Il concerne exactement 718 200 inscrits sur 2,5 millions.

Sélectionnés contre la sélection

« Vous êtes assis sur les marches, mais n’ayez crainte, vous aurez de la place dans un mois. » Quel nouvel étudiant fraîchement débarqué en lettres ou histoire n’a pas entendu cette phrase ? Probablement ceux des universités privées. Dans le public, les amphis se vident très vite. Les enquêtes du ministère de l’Enseignement supérieur concluent à un taux d’abandon assez stable depuis des années, de l’ordre de 30 % des inscrits. Autrement dit, les étudiants « sélectionnés », déjà majoritaires à la rentrée, le sont encore plus à Noël, par désertion des « non-sélectionnés » ! Les opposants à la loi ORE peuvent-ils vraiment ignorer ces évidences ? « L’Appel du 20 janvier », devenu une pétition contre la réforme, a été lancé par l’Association des sociologues enseignants du supérieur (ASES). Le pedigree des membres de son conseil d’administration laisse songeur. La plupart des administrateurs qui refusent la sélection enseignent dans des filières sélectives ou en sont issus. Sarah Abdelnour est diplômée de Normale-Sup, Samuel Bouron est maître de conférences à Dauphine, Christel Coton enseigne au Centre européen de sociologie et de science politique de l’École des hautes études en sciences sociales, etc.

La loi Faure sur les universités ne prévoyait aucune sélection à leur entrée. Toutefois, elle postulait un baccalauréat sélectif et, surtout, une gestion sérieuse. Dans ses mémoires, De Gaulle dit de cette loi qu’elle vise à bâtir des établissements cogérés par les « professeurs, administrateurs, étudiants » qui devront « ou bien fonctionner comme il faut, ou bien fermer leurs portes et cesser de gaspiller le temps des maîtres et des disciples ainsi que l’argent de l’État ».

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« Au Liban, un système laïc servirait le Hezbollah »


Les Libanais élisent leurs députés pour la première fois depuis 2009. Dans un pays en crise politique quasi-permanente, coincé entre Israël et la Syrie, le spectre de la guerre civile n’est jamais loin. Treize ans après le retrait des troupes syriennes, le pays du Cèdre abrite un million de réfugiés syriens et se fracture toujours entre partisans et adversaires du Hezbollah. Dans ce second camp, les Forces libanaises (FL) de Samir Geagea se sont alliées au Courant du Futur de Saad Hariri. Journaliste et militante FL, Maya Khadra a répondu à nos questions. Entretien.



Daoud Boughezala. Cela fait maintenant treize ans que la Syrie a retiré ses troupes du Liban. Aujourd’hui que les citoyens libanais sont appelés aux urnes pour élire leurs députés, quel bilan tirez-vous de cette nouvelle indépendance ?

Maya Khadra[tooltips content= »Doctorante en lettres et journaliste, Maya Khadra milite au sein des Forces libanaises. « ]1[/tooltips]. maya C’est une indépendance en trompe l’œil car elle est incomplète.  Les treize dernières années ont été traversées par deux mini-guerres et une vacance présidentielle qui a duré jusqu’à l’élection de Michel Aoun en 2016. Certes, le 26 avril 2005, les troupes syriennes ont quitté le Liban. Mais les mêmes défis attendent aujourd’hui le pays, notamment la terreur du Hezbollah. Ce parti chiite financé par l’Iran soutient militairement le régime de Bachar Al-Assad en Syrie et menace les Libanais avec ses armes. En juillet 2006, le Hezbollah avait pris la décision irresponsable de kidnapper deux soldats israéliens à la frontière, ce qui a déclenché l’ire d’Israël. La réplique fut violente et intransigeante, affectant de nombreuses infrastructures du Liban.

Deux ans plus tard, le 7 mai 2008, le Hezbollah a occupé des quartiers entiers de Beyrouth et ouvert le feu sur des citoyens innocents. Depuis, la mainmise du Hezbollah sur une partie du pays ne faiblit pas, d’autant que ce parti-milice se permet de s’ingérer dans des conflits régionaux comme la guerre du Yémen, le Bahreïn ou la guerre en Syrie. Autant dire que l’indépendance libanaise reste à construire, le retrait des forces syriennes n’étant qu’un début.

A l’époque, le paysage politique libanais était fortement polarisé autour du rapport à la Syrie. Après l’assassinat de Rafiq Hariri le 14 février 2005, le camp antisyrien du 14 mars auquel appartenait votre parti les Forces libanaises s’opposait à l’alliance prosyrienne du 8 mars (Hezbollah, Amal et autres). Ce clivage est-il encore pertinent?

Il reste une polarisation entre deux camps, l’un composé de partis souverainistes, l’autre pro-syrien et pro-iranien au service de ses ambitions expansionnistes régionales du Hezbollah avec le renfort de ses alliés chrétiens avides de pouvoir. Le président Michel Aoun et son parti le CPL, que dirige son gendre le ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil, ne faisaient initialement pas partie du 8 mars mais du 14 mars. Puis, en 2006, il s’est retourné contre ses alliés du 14 mars et a cherché meilleure fortune auprès du Hezbollah, qui lui a apporté un grand soutien, l’amenant jusqu’au palais présidentiel. A sa suite, une partie des chrétiens s’aligne sur l’Iran et le régime syrien contre Israël, ce qui met en danger le Liban. Une autre partie prêche plutôt la neutralité du Liban, compte tenu de l’embrasement de la région, a fortiori depuis le printemps et l’hiver arabes. Nous ne voulons pas d’alliances régionales contraignantes : ni avec l’Iran, ni avec la Syrie, ni avec l’Arabie saoudite, ni avec Israël (pays que l’Etat libanais considère toujours comme un ennemi mais avec lequel, je ne veux personnellement pas être en guerre). Le souverainisme au Liban rime avec distanciation et paix avec les voisins.

L’Arabie saoudite n’a aucun intérêt à semer la zizanie au Liban

Vos griefs contre l’Iran pourraient s’appliquer à l’Arabie saoudite. Cette puissance alliée du Courant du Futur et des Forces libanaises est aussi un foyer de propagation de l’islamisme, aux visées non moins expansionnistes que Téhéran. Pourquoi ce deux poids deux mesures ?

Après la brève guerre de juillet 2006, qui a opposé le Hezbollah et Israël, c’est l’Arabie saoudite qui s’est empressé d’aider le Liban et de le reconstruire avec le Qatar. Beaucoup de jeunes libanais, après l’obtention de leurs diplômes, vont travailler dans les pays du Golfe, notamment en Arabie saoudite. Depuis le début de la guerre syrienne, près d’un million et demi de réfugiés syriens majoritairement sunnites sont venus au Liban. Si l’Arabie saoudite avait voulu créer des cellules terroristes parmi ces réfugiés, n’aurait-elle pas pu le faire ? L’Arabie saoudite n’a aucun intérêt à semer la zizanie au Liban, pays où les sunnites sont pacifiques. Même pendant la guerre, ils n’ont pas tenu les armes. J’en veux à l’opinion publique française d’avoir parfois une vision simpliste des choses. Aucun sunnite libanais n’a rejoint Daech. Si l’Arabie saoudite peut être déplorable à certains égards, au Liban, elle n’a armé aucun parti ni groupuscule terroriste. Le terrorisme djihadiste n’existe pas au Liban. Il est par contre présent dans l’idéologie du Hezbollah, inspirée par la pensée de Khamenei et les ambitions expansionnistes iraniennes dont les exécutants sont les Gardiens de la révolution (pasdarans). J’ajoute que le prince héritier saoudien Mohamed Ben Salman est progressiste. Il veut dépoussiérer les mentalités et avancer avec son pays vers des horizons plus ouverts, au risque d’entrer en affrontement direct avec le clergé. D’ailleurs, ne confondons pas le clergé wahhabite qui finance des musulmans intégristes partout dans le monde, surtout en France, et la famille régnante – qui n’est, du reste, pas sans failles.

Je reproche à Saad Hariri de s’allier tantôt avec des forces non-souverainistes, tantôt avec des partis souverainistes.

N’est-ce pas un tantinet manichéen de parer votre camp de toutes les vertus ?

A l’intérieur même du 14 mars, il y a des dérapages. Si certains partis sont restés fidèles aux idéaux du 14 mars,  d’autres ont tergiversé et passé des compromis, chose compréhensible et légitime dans un pays où tout est basé sur le consensus interconfessionnel. Les Forces libanaises ont formé des listes cohérentes avec leurs principes, s’alliant avec des indépendants ou se présentant seules. De son côté, le Courant du Futur, présidé par Saad Hariri, s’est allié dans certaines circonscriptions avec Gebran Bassil (CPL). Et ce, à Zahlé et dans la plaine de la Békaa qui est un des plus grands cazas partagé en 3 circonscriptions, situé entre le Mont Liban et l’Anti-Liban qui sépare le pays de la Syrie. C’est une zone stratégique pour le Hezbollah. Il peut infiltrer ses combattants à travers la frontière, y mettre des dépôts d’armes, sachant que l’Etat reste dramatiquement absent de cette région très peu développée, surtout au nord. Je reproche donc à Saad Hariri de s’allier tantôt avec le CPL et d’autres forces non-souverainistes, tantôt avec des partis souverainistes. Certes, Hariri subit beaucoup de pression et a été humilié mais il ne devrait pas pactiser avec ceux qui ont approuvé l’assassinat de son père.

Précisons aux non-initiés que le système électoral libanais s’appuie sur une base confessionnelle. En tant que militante du parti des Forces libanaises, approuvez-vous ce confessionnalisme ?

Je voudrais d’abord rappeler que les Forces libanaises sont certes un parti de philosophie chrétienne mais libanais et patriote, fidèle à l’histoire des maronites et de tous les Libanais souverainistes. Historiquement, notre communauté a combattu les occupants de tous bords et s’est ouverte à l’Occident depuis longtemps (le serment d’union à Rome date de 1203 !). Elle a contribué à poser la pierre angulaire du Liban. Bien que notre chrétienté ait été exaltée comme appartenance durant la guerre civile qui a opposé toutes les communautés religieuses les unes aux autres, l’histoire libanaise regorge de moments d’union nationale interconfessionnelle. C’est ce qu’il faudrait retenir du passé. Au cours de nombreuses batailles, les maronites se sont alliés aux autres communautés libanaises (musulmanes) contre les Mamlouks et les Ottomans (musulmans). Dès le règne de l’émir druze Fakhreddine II (1572-1635), les fondements de l’Etat libanais moderne ont été posés. Au XIXe siècle, pendant la période des deux caïmacamats, il y avait des conseils multiconfessionnels suivant la répartition communautaire au Mont-Liban. Le pays a toujours fonctionné ainsi.

Historiquement, ce sont les chrétiens qui ont demandé l’indépendance du Liban.

Est-ce un argument suffisant pour maintenir le statu quo institutionnel ?

Ce système confessionnel consensuel n’est pas imposé par la Constitution, laquelle ne stipule pas que le président de la République doit impérativement être chrétien. Bien au contraire, l’introduction de la Constitution affirme que le Liban est un Etat qui suit le système confessionnel en attendant d’être un jour laïc. Nous ne sommes pas l’Egypte dont la Constitution affirme : « L’Islam est la religion de l’Etat ». Pour le moment, un système laïc n’est pas souhaitable. Aujourd’hui, il y a une communauté sunnite pacifique et sans armes, une communauté chrétienne pacifique et sans armes puis un tiers du Liban chiite armé relié à l’Iran et contrôlé par le Hezbollah au projet et à l’idéologie religieux. Dans ces conditions, le projet laïc servirait le Hezbollah et lui assurerait la mainmise sur le pays. C’est donc par réalisme que je soutiens le maintien provisoire du confessionnalisme. Il faut aussi respecter la spécificité du peuple libanais qui est profondément communautaire. Même s’ils ne sont pas pratiquants, les musulmans tiennent à rompre le jeûne de Ramadan en famille. Et même si les chrétiens ne sont pas tous pratiquants, ils tiennent massivement au symbole sapin de Noël et à la messe de Pâques. J’ajoute que les musulmans libanais sont très lucides. Il leur importe que les chrétiens vivent dans la dignité et leur soient redevables. Car ce sont les chrétiens représentés par le Patriarche Hoyek qui ont demandé l’indépendance du Liban, le grand Liban avec ses 10 452 kilomètres carré, à la conférence de paix de Paris en 1919 et ont tendu la main aux autres communautés. Malgré tous les clivages politiques, la cohésion nationale perdure.

Dans les années 80, Nasrallah annonçait vouloir transformer le Liban en Etat chiite

Au nom de cette entente, malgré votre hostilité au Hezbollah, ne lui reconnaissez-vous pas le mérite d’avoir préservé l’avenir des chrétiens syriens en sauvant le régime d’Assad ?

Personne ne me fera croire que le Hezbollah, financé par l’Iran où les chrétiens n’ont aucun droit, s’est ingéré en Syrie pour protéger les chrétiens. Le Hezbollah n’est pas intervenu dans les régions syriennes peuplées de chrétiens car celles-ci se trouvent déjà sous le contrôle de Bachar Al-Assad. En Syrie, les grands massacres se sont déroulés dans des secteurs sunnites comme Alep-Est, Douma, ou Raqqa. L’Etat islamique y tuait des citoyens libres, majoritairement sunnites, qui n’étaient affiliés à aucune organisation islamiste. Je rappellerai aussi, notamment à l’opinion publique française, que le Hezbollah a assassiné 48 parachutistes français durant la guerre libanaise (attentat du Drakkar, octobre 1983).

Loin de moi l’idée de défendre les islamistes sunnites aussi criminels que le Hezbollah, mais n’oubliez pas que la pratique de l’attentat suicide a été introduite par le Hezbollah au début des années 1980. Dans ses discours de l’époque, Hassan Nasrallah annonçait vouloir transformer le Liban en Etat chiite et réserver le fief chrétien du Kesrouan aux chiites. Pendant les longues années d’occupation syrienne du Liban, l’appareil sécuritaire soutenu par le Hezbollah a visé nombre de chefs chrétiens. Le chef des Forces libanaises Samir Geagea a été injustement emprisonné (1994), le responsable du mouvement estudiantin des FL Ramzi Irani assassiné (2002). Etait-ce dans l’intérêt des chrétiens ? Dernièrement, Nasrallah a accusé Antoine Habchi, candidat maronite des Forces libanaises dans la circonscription de Baalbeck-Hermel, d’être un conspirateur pro-Daech au seul prétexte qu’il s’oppose au Hezbollah. C’est révélateur de son terrorisme intellectuel.

Le Hezbollah fait aujourd’hui mine de défendre les chrétiens, mais demain il se retournera contre eux.

Que répondez-vous aux associations de défense des chrétiens d’Orient qui voient dans le régime syrien un moindre mal ?

Ces poncifs aveuglent une partie de l’opinion publique occidentale. Si l’extrémisme sunnite est mon ennemi, l’ennemi de mon ennemi n’est pas forcément mon ami. La survie des citoyens du Moyen-Orient ne dépend pas de celle d’une dictature ou d’un régime assassin mais du respect de l’Etat de droit. Le Hezbollah fait aujourd’hui mine de défendre les chrétiens, mais demain il se retournera contre eux.  A Palmyre, sous le contrôle du régime, l’armée de Bachar et ses sbires du Hezbollah- pasdarans inclus- se sont retirés pour laisser avancer Daech puis ont crié à la profanation d’un site historique. L’été dernier, les hommes du Hezbollah ont laissé fuir les terroristes de l’Etat islamique et les ont laissé partir dans des bus climatisés dans un grand troc d’otages.

Prenons un peu de recul. Le nombre de chrétiens en Syrie n’a pas attendu la guerre pour s’amenuiser jusqu’à peau de chagrin. Sous Hafez Al-Assad, les chrétiens sont passés de 25% à 8%. Les chrétiens étaient-ils dont si épanouis sous l’ombrelle de ce dictateur soi-disant laïque pour ainsi quitter le pays ?

Delacroix, classique révolutionnaire


Le Louvre propose jusqu’au 23 juillet une grande rétrospective Eugène Delacroix (1798-1863). Si on connaît l’auteur de La Liberté guidant le peuple, on ignore souvent le rôle décisif qu’a joué cet admirateur de Véronèse et de Rubens pour sortir la peinture de l’ennui néoclassique.


De nos jours, quand on veut attirer la sympathie sur un artiste, on affirme qu’il est révolutionnaire. En ce qui concerne Delacroix, pour une fois, c’est parfaitement vrai. Cet artiste conjugue même les deux acceptions du mot « révolution » : celle d’un retour sur le passé, à la façon d’une planète parcourant de nouveau son orbite et celle, plus courante, d’un dépassement radical du présent. Delacroix, en se réappropriant des traditions picturales perdues, ouvre de nouvelles perspectives. Sur un plan politique, il n’a pourtant rien d’un révolutionnaire.

La peinture française du début du XIXe siècle offre, il faut bien le dire, un paysage assez morne. Certes, la production de grandes toiles n’a jamais été aussi abondante. Cependant, la pompe des sujets rivalise avec la platitude de l’exécution. On célèbre les vertus romaines en format XXL. On enchaîne les sacres et les scènes de bataille. Ce mouvement, qui se veut classique, est connu sous le nom de « néoclassicisme ». Toutefois, Delacroix lui dénie la qualification (positive à l’époque) de classique. La facture besogneuse, léchée et souvent gauche qui s’y pratique révèle plutôt l’abandon des héritages. À peu de choses près, le néoclassicisme est à la Révolution et à l’Empire ce que le réalisme socialiste est aux régimes communistes.

La France si peu romantique à l’heure du romantisme

Ailleurs, en Europe, c’est assez différent. Certes, le néoclassicisme se déploie partout. Cependant, on voit fleurir ici et là des artistes originaux qui produisent des œuvres singulières pour des amateurs privés. Citons Friedrich, Runge, Abildgaard, Dahl, Wolf, Goya, Blake, Palmer, Füssli, Cozens, Constable, Turner, etc. La spécificité négative de la France tient sans doute à la conjonction de plusieurs phénomènes : la disparition ou la ruine des anciens amateurs, la présence d’une administration des beaux-arts particulièrement centralisée, à l’instar de celle de l’État, la succession de régimes politiques enrôlant l’art au service d’un récit officiel et, enfin, l’influence des Lumières qui, avec des commentateurs comme Diderot, ont poussé la peinture vers l’expression de la raison et des vertus civiques. La question qui se pose est : comment va-t-on en sortir ?

L’homme qui semble incarner le changement est Théodore Géricault. Il s’agit d’une personnalité puissante dotée d’un sens du tragique hors norme allant jusqu’au morbide. C’est aussi un artiste qui s’est approprié un vocabulaire néo-caravagesque particulièrement expressif. Cependant, il brûle la chandelle par les deux bouts et meurt en 1824 à l’âge de 33 ans. Son cadet, le jeune Eugène Delacroix, âgé de 26 ans, a alors une personnalité moins affirmée, mais devient l’espoir de cette tendance en gestation.

Il naît en 1798 dans une famille aisée et cultivée. Du côté de sa mère figurent des artistes et artisans d’art illustres. Son père a commencé sa brillante carrière avec Turgot puis s’est adapté à tous les régimes jusqu’à devenir ministre du Directoire. Son problème est une énorme tumeur aux testicules difficile à dissimuler. Cela alimente les doutes sur sa paternité réelle. Une rumeur persistante, mais non confirmée, fait de Talleyrand le géniteur putatif du jeune Eugène. Cependant, ce dernier aime son père légitime et l’admire.

Le choc de la matérialité de la peinture

Après une scolarité au lycée Louis-le-Grand, Delacroix entre aux Beaux-Arts. Il s’intéresse peu au prix de Rome et à l’éventualité d’un séjour en Italie. Son voyage initiatique a lieu quelques années plus tard en Grande-Bretagne, où il se familiarise à la liberté d’exécution de l’aquarelle. La contribution décisive à sa formation est sans doute une série de copies des maîtres anciens, notamment de Véronèse et de Rubens. Cela l’oblige à examiner en détail la texture de leurs œuvres et à essayer de renouer empiriquement avec leur art des matières. Au contact de Rubens, il s’initie à l’improvisation directe dans un tumulte de taches et de traits jetés. Delacroix mettra toujours en avant sa dette aux maîtres et c’est en ce sens qu’il se dit « classique ».

À l’âge de 24 ans, Delacroix est au sommet de son art. Le paradoxe de sa vie est qu’il va connaître une gloire précoce et qu’ensuite il rencontrera ce qui est généralement réservé aux débuts : les doutes, les tâtonnements, les incompréhensions et parfois les impasses. Tout commence avec la présentation de sa Barque de Dante au salon de 1822. C’est un succès. L’État acquiert l’œuvre pour le musée du Luxembourg. Cette institution consacrée aux artistes vivants les assure, à leur mort, d’un transfert au Louvre.

Deux ans plus tard, il présente les Massacres de Scio. Cette toile somptueuse, aux accents à la Tintoret, est encore achetée par l’État. C’est une grande peinture d’actualité évoquant l’écrasement encore fumant de civils grecs par les Ottomans. Delacroix y déploie sur un mode sucré-salé un mélange de violence, de résignation et d’érotisme. Le point décisif est qu’il remanie l’œuvre quelques jours avant le salon après avoir vu fortuitement des toiles de Constable, hautes en matières. Il ajoute aux Massacres des glacis et des empâtements pour leur donner plus de corps, plus de lyrisme. Effectivement, au-delà du sujet lui-même, c’est ce déchaînement de matières qui impressionne – en bien ou en mal – les contemporains habitués à la facture aseptisée des néoclassiques. Désormais, on qualifie Delacroix de « coloriste ». Ça ne veut pas dire, comme on le croit aujourd’hui, que ses toiles sont très colorées. Mais Delacroix joue sur les transparences, il fait vibrer ses couleurs, il les rend vivantes. La matérialité de la peinture est remise au premier plan. C’est un grand événement.

Après la gloire, les doutes et les essais

Au salon de 1827, Delacroix présente La Mort de Sardanapale. Ce roi de Ninive, assiégé, sentant sa défaite venir, aurait préféré mourir sur un bûcher après avoir fait égorger ses femmes, ses eunuques et ses chevaux. Delacroix s’amuse beaucoup à réaliser cette toile. De nombreux modèles féminins se succèdent. Après le travail, vient la phase dolce chiavatura, c’est-à-dire les relations sexuelles. L’immense peinture est presque un best of de sa vie d’atelier. Cependant, les divers participants sont comme juxtaposés sur la toile, si bien que l’ensemble manque de cohérence. Quelques observateurs romantiques apprécient l’extravagance du sujet, mais le public et la critique y voient un fourre-tout. L’État refuse d’acheter le Sardanapale. C’est un bide. Dès lors, Delacroix s’écarte des grandes compositions de salon, à quelques exceptions près, notamment celle de La Liberté guidant le peuple (voir encadré).

Le goût de Delacroix pour les grands formats se reporte vers les décors intérieurs de bâtiments. Il intervient au Sénat et au palais Bourbon. Au Louvre, il réalise un plafond particulièrement déjanté représentant Apollon vainqueur du serpent Python. Dans l’église Saint-Sulpice, il peint un magnifique Combat de Jacob avec l’Ange où sa touche frémissante sert une composition majestueuse. Évidemment, ces œuvres fixes nécessitent des déplacements spécifiques vivement recommandés.

Delacroix continue en parallèle à produire des peintures de chevalet. Il s’essaye à plusieurs genres : le style troubadour, les fleurs, les paysages. C’est un voyage au Maroc (avec extension en Algérie) dans le cadre d’une mission diplomatique, en 1832, qui lui fournit son thème principal : l’orientalisme. Sur place, il remplit des carnets de croquis et d’aquarelles dans lesquels il puisera toute sa vie. Les personnages qu’il dessine sont de préférence juifs (comme dans la Noce juive), en raison de la réticence des musulmans à être représentés. L’Orient de Delacroix est aussi peuplé de lions venant principalement des zoos parisiens. Cela aboutit toutefois à des œuvres souvent époustouflantes où la sauvagerie et la noblesse des personnages le disputent à celles des animaux. C’est le cas, par exemple, de la somptueuse Chasse aux lions (en partie détruite) ou des Chevaux arabes se battant dans une écurie. Cependant, à répéter indéfiniment la même formule, un affaiblissement est parfois perceptible. C’est sans doute ce qui arrive aux Femmes d’Alger dans leur appartement, que critique Fernand Khnopff : « La couleur est belle, dit ce dernier, mais il n’y a que cela, et cela ne suffit pas. »

Vers la fin de sa vie, Delacroix semble surtout inspiré par des souvenirs ou des songes. L’une de ses dernières œuvres, Ovide en exil chez les Scythes, dégage ainsi une douce poésie. Cependant, ces peintures éloignées du réel et traitées avec une touche floutée laissent perplexe une partie du public. En effet, la diffusion de la photo et le succès des naturalistes, tel Courbet, développent le goût du réalisme. Le dernier Delacroix est mal compris. Cela n’empêche pas la consécration du maître lors de l’exposition universelle de 1855, avec son entrée à l’Institut en 1857, ou, un peu plus tard, avec le transfert posthume de ses œuvres au Louvre.

Une influence majeure sur la seconde partie du XIXe siècle

Aussitôt après la mort de Delacroix, en 1863, son atelier dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés est vidé, le contenu dispersé et les locaux reloués. Pire, plus de soixante ans après la disparition du peintre, en 1928, on parle de destruction. Des artistes menés par Maurice Denis s’indignent et organisent une souscription pour racheter le site et en faire un musée. L’inauguration a lieu en 1932.

Delacroix est pour cette génération une grande figure tutélaire. Cependant, il est difficile de voir en lui un précurseur des peintres fondateurs du musée avec lesquels il n’a, en réalité, à peu près rien en commun. Sa filiation avec eux est probablement d’un autre ordre. En effet, année après année, Delacroix laisse de nombreux écrits, notamment un journal, publié en 1993. Ce texte permet de partager la vie d’un grand créateur, ses doutes et ses intuitions. De nombreuses personnes, au début du XXe siècle, s’identifient ainsi au personnage de Delacroix davantage qu’à son héritage artistique. Il incarne l’artiste. L’exposition actuelle donne un intéressant aperçu de ses manuscrits.

La véritable postérité de Delacroix se situe probablement dans des mouvements négligés de nos jours, mais qui ont une large extension dans la seconde partie du XIXe siècle. Je veux parler des peintres dits pompiers, académistes ou symbolistes. Le goût de Delacroix pour une facture matiériste s’épanouit particulièrement chez eux. Sa propension aux grandes machines et aux sujets imaginatifs, voire délirants, s’y retrouve également. Comment ne pas y penser en regardant son Apollon vainqueur du serpent Python ou son Sardanapale ? De même, la proximité entre son Entrée des Croisés dans Constantinople et la toile de Benjamin-Constant L’Entrée du sultan Mehmet II dans Constantinople parle d’elle-même. On pourrait multiplier les exemples. Toujours est-il qu’en parcourant l’exposition présentée au Louvre, on a le sentiment que ce peintre, relativement isolé dans la première partie du XIXe, a significativement contribué au foisonnement d’artistes qui ont marqué la seconde partie de ce même siècle. On doit donc beaucoup à Delacroix.

À voir absolument : « Delacroix », musée du Louvre, jusqu’au 23 juillet.

Delacroix: Peindre contre l'oubli

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« Jouer au bowling nu, ce n’est pas faire de l’exhibition sexuelle »


Le naturisme n’a jamais été autant à l’honneur à Paris. Avec la bénédiction d’Anne Hidalgo, par le vote communautaire alléchée, les 88 000 naturistes d’Île-de-France bénéficient d’un espace au bois de Vincennes, d’une journée nationale, d’une matinée spéciale au Palais de Tokyo, de spectacles et autres restaurants où se sustenter sans chemise ni pantalon. Pour comprendre les tenants et aboutissants du phénomène, Cédric Amato, vice-président de l’Association des naturistes de Paris, a répondu aux questions de Causeur. Entretien. 


Daoud Boughezala. A seulement 27 ans, vous êtes vice-président de lAssociation des naturistes de Paris. Comment êtes-vous venu à cette pratique ?

Cédric Amato. Ne venant absolument pas d’une famille de naturistes, je m’y suis mis à 18 ans par un premier essai avec des amis sur une plage de Vendée dans la plus grande discrétion. Puis j’ai fini par revenir dans ces endroits naturistes dont j’ai adopté systématiquement la pratique. Et ce n’est qu’en février 2017 que je me suis engagé dans une association. Habitant Paris, j’étais en quête de lieux où pratiquer le naturisme en dehors des vacances. Il faut savoir qu’avec 2,6 millions de visiteurs naturistes chaque année la France est la première destination naturiste au monde.

J’ai rencontré un responsable politique connu, un sous-préfet, des ouvriers, et des chefs d’entreprise naturistes.

Comment définiriez-vous le naturisme ? Est-ce une contre-culture, une philosophie de vie, une idéologie ?

Le naturisme est à la fois une pratique et un mode de vie. Autrefois perçu comme minoritaire, il se définit par le fait d’être nu mais ne s’y réduit pas. Pratiquer le naturisme, c’est avoir le goût de la liberté et du plaisir, cultiver un certain rapport à la nature, au corps et aux autres. Contrairement aux idées reçues, le naturisme est détaché de toute pratique sexuelle. Au contraire, la nudité désexualise en banalisant la vue des corps nus, ce qui fait disparaître toute tentation perverse là où une tenue vestimentaire donne envie d’en voir plus. J’y vois des vertus sociétales très positives. Le naturisme m’a ainsi permis de faire des rencontres que je n’aurais pas pu faire ailleurs. Par exemple, j’ai rencontré un responsable politique connu, un sous-préfet, des ouvriers, et des chefs d’entreprise. Quelle que soit la catégorie sociale, c’est une pratique en plein essor qui satisfait de plus en plus de monde.

A Paris, nest-ce pas un loisir plutôt réservé aux catégories supérieures ?  

On voit de tout. Notre association comporte par exemple une soixantaine d’étudiants et des jeunes femmes entre 18 et 35 ans. A travers l’organisation d’événements culturels comme la visite naturiste du Palais de Tokyo le 5 mai ou le premier spectacle humoristique naturiste de Paris, on attire des profils qu’on n’aurait jamais réussi à capter auparavant. Nous sommes régulièrement contactés par des gens qui souhaitent pratiquer le naturisme en milieu urbain à Paris, ainsi que par des sociétés et des bars qui proposent de nous accueillir. Au total, nous sommes 88 000 naturistes en Île-de-France !

Au bois de Vincennes, j’ai vu une femme voilée qui a fini par enlever le bas tout en restant dans son coin.

Et cette année, la mairie de Paris vous offre 7300 mètres carré despace naturiste dans le bois de Vincennes durant six mois. Au vu de la population interlope qui traîne dans le quartier, ne craignez-vous pas des altercations avec des individus issus de cultures plus pudibondes que la nôtre ?

Même si l’espace nudiste du bois de Vincennes n’est pas clôturé, il faut aller le chercher pour le trouver. Evidemment, des promeneurs auront la surprise de le trouver mais nous sommes ouverts aux autres. Pendant les six semaines de la phase d’expérimentation l’an dernier, nous avons connu un plein succès. Le 15 octobre, nous étions 730 ! Certes, les différentes cultures peuvent parfois ne pas se comprendre mais les plus curieux sont les bienvenus. Nous ne sommes pas communautaires car nous n’imposons pas la nudité aux autres. J’ai même vu une femme voilée qui a fini par enlever le bas tout en restant dans son coin. Bien que le naturisme soit devenu une pratique occidentale, nous n’entendons pas imposer notre culture. Réciproquement, nous respectons toutes les cultures dans leur pratique.

En attendant, vous semblez être dans les petits papiers de la mairie de Paris. Les événements naturistes se multiplient dans la capitale : cours de yoga, tournoi de bowling nu, première Journée Parisienne du Naturisme, séances naturistes à la piscine. Si Anne Hidalgo vous caresse dans le sens du poil, est-ce parce quelle a pris conscience de votre poids électoral ?

Probablement. C’est un phénomène intéressant. Nous sommes un électorat potentiellement puissant bien que nous ne votions pas tous de la même façon. Anne Hidalgo nous soutient mais ce n’est pas la seule personnalité politique à le faire. Quand nous avons annoncé l’ouverture d’un lieu naturiste au bois de Vincennes, aucun politicien ne s’y est opposé. Tous les partis politiques sont même venus nous saluer, qu’ils viennent du camp progressiste ou autre. D’ailleurs, nous lançons la première édition de la Journée Parisienne du Naturisme le 24 juin 2018. Cette journée aura lieu chaque dernier dimanche de juin pour défendre la pratique du naturisme et combattre les idéologies et stéréotypes un jour symbolique dans une ville qui est très observée dans le monde. Nous intéressons le monde entier car nous exprimons un besoin de nudité, bien au-delà d’une simple mode.

Sauf mesure exceptionnelle, il est tout à fait légal de se promener nu dans les rues de Madrid.

Et pour assouvir ce « besoin », vous portez une revendication : faire modifier larticle 222-32 du Code pénal qui punit dun an demprisonnement et de 15 000 euros damende lexhibition sexuelle imposée à la vue dautrui. Comprenez-vous quon considère lexhibition comme une forme agressive de prosélytisme, notamment à l’égard des enfants ?

La loi n’emploie pas le terme approprié et aboutit à des amalgames que nous souhaitons casser. Jouer au bowling ou au volley-ball nu n’est en aucun cas une exhibition sexuelle. Nous réclamons une considération légale de la nudité. A cette fin, nous voulons contacter le Premier ministre pour lui soumettre notre demande de modification de la loi. Si vous passez nu devant votre fenêtre et que votre voisin vous voit, si vous désirez prendre un bain de soleil nu dans votre jardin et que vous êtes visible,  vous tombez sous le coup de cet article de loi. La France ferait bien de s’inspirer du modèle espagnol car la législation adoptée après la mort de Franco fait de la nudité un droit. Sauf mesure exceptionnelle, il est tout à fait légal de se promener nu dans les rues de Madrid même si les gens s’abstiennent de le faire par respect pour les autres. Ici, seul un arrêté municipal peut nous autoriser à nous balader nus. De plus, il est important de dire que les enfants ne sont pas perturbés par la nudité et que c’est l’éducation inculquée par les parents qui fait la différence. De très nombreuses familles pratiquent le naturisme avec des enfants de tout âge.

A long terme, rêvez-vous dune société où tout le monde pourrait vivre nu au travail, à luniversité et dans la rue ?

Nous souhaitons une société de tolérance, sans imposer aux autres quoi que ce soit. Cela ne passe pas forcément par une majorité de naturistes. A ceux qui veulent vivre nus de pouvoir le faire. Dans notre esprit de liberté, chacun peut vivre comme il l’entend.

Université: la révolte des bac + zéro


Refusant toute sélection à l’entrée de l’Université, les étudiants en lutte d’avril 2018 entendent retrouver le souffle de Mai 68. Mais leur gloubi-boulga gauchiste mêle égalitarisme abstrait et revendications islamo-différentialistes qui auraient glacé d’effroi leurs aînés. De Nantes à Toulouse, tour d’horizon des facultés.


A lire aussi: Gauche belge: vivre ensemble, mais sans les Juifs?

Saint-Denis, Tolbiac, Toulouse, Avignon, Nanterre, Strasbourg, Montpellier, Rouen, Nantes, Rennes… La contestation étudiante contre la loi sur l’orientation et la réussite des étudiants (ORE), promulguée le 8 mars touchait mi-avril une dizaine d’universités, à des degrés divers. Point de cristallisation du mouvement, les dispositions instaurant une forme de sélection à l’entrée du supérieur. Les opposants à la réforme y voient un détricotage profondément inégalitaire de la loi Faure de novembre 1968, arrachée au pouvoir par la contestation étudiante de l’époque.

La référence à Mai 68, à cinquante ans exactement d’intervalle, est omniprésente dans le mouvement actuel. Une main anonyme a tagué le slogan le plus connu de Mai, « Sous les pavés, la plage », sur les murs de l’université parisienne de Censier. Paris-Plage démarrant dans dix semaines, la formule a désormais le potentiel subversif d’une affiche de marketing territorial. Ce n’est pas la seule différence entre les deux printemps. Les reporters de Causeur se sont promenés dans quelques universités. Loin d’être un mouvement de masse, comme celui de 1968, l’effervescence actuelle repose sur une base fort étroite : quelques dizaines d’étudiants par site bloqué, quelques centaines, tout au plus, pour des universités comptant parfois plus de 50 000 inscrits.

Pour le droit à la séparation des sexes

Les revendications centrales sont diamétralement opposées. Les étudiants du siècle dernier réclamaient des changements, ceux d’aujourd’hui se battent pour le statu quo. En Mai 68, la jeunesse universitaire se dressait contre les mandarins. En 2018, 63 présidents d’université publient une tribune dans Le Monde pour appeler le gouvernement à concéder des aménagements à la loi. Sans parler de ceux qui délivrent des « cours alternatifs » dans les amphis occupés.

Mai 68, selon la légende, a commencé quand les étudiants de Nanterre, représentés par Daniel Cohn-Bendit, ont demandé le droit de pénétrer dans la cité U réservée aux étudiantes. Cinquante ans plus tard, à Saint-Denis Paris-VIII, un « atelier d’autodéfense non mixte féministe » est programmé par les contestataires, ainsi que des soirées « sans mecs cis-hétéro ». Le « collectif féministe racisé.e.s » de l’université de Nantes organisait le 12 avril une réunion interdite aux hommes blancs.

Les bourrasques de Mai 68 mélangeaient tout. Le mouvement actuel tente de redonner une modernité aux clivages les plus archaïques. Du reste, rien n’indique que cette logique séparatiste séduise une frange significative d’étudiants. Selon nos informations, les conférences non mixtes ont surtout provoqué la colère et les rires, au moins à Tolbiac. Combien d’étudiants, du reste, prennent réellement ce mai 2018 au sérieux ? En définitive, la vraie vedette du blocus de Tolbiac (26 mars-20 avril), le plus haut fait d’armes de ce morne printemps, aura été le « Chien Guevara » et son compte Twitter parodique, presque aussi amusant que l’Internationale islamo-situationniste (IIS) de Saint-Denis.

Un nouveau venu dans le paysage militant apprécie sans doute modérément l’humour de l’IIS : le syndicat des Étudiants musulmans de France (EMF). À l’université d’Orléans, le 27 mars, cette association se référant explicitement à l’islam et défendant le port du voile a remporté 20 % des suffrages. Elle siégera au conseil d’administration. On peut y voir une conséquence de la déliquescence de l’UNEF, mouvement gavé de subventions, sans troupes et sans idées. En dehors des groupes de parole non mixtes et de l’écriture inclusive, le « refus de la sélection » aura été le leitmotiv de l’ex-grand syndicat. Preuve que celui-ci est résolument hors-sol, déconnecté de la réalité des étudiants.

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Gauche belge: vivre ensemble, mais sans les Juifs?

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En Belgique, entre la lutte contre l’antisémitisme et leur réélection, certains dirigeants socialistes ont (mal) choisi.


De petite phrase en petite phrase, d’allusion à insinuation, la campagne électorale belge poursuit son cours. Et la petite musique qui s’en dégage devient de plus en plus inquiétante. Ainsi, le président du Parti socialiste Elio Di Rupo, a déclaré : « La Belgique ne peut pas être gouvernée comme elle l’est aujourd’hui : uniquement pour les plus riches et les plus puissants. C’est une Belgique des diamantaires anversois qu’on a aujourd’hui alors que nous avons besoin d’une Belgique plurielle. » Et comme chacun sait, on trouve bien peu de Berrichons parmi les diamantaires anversois

35 000 contre 600 000 : le match est plié

Petit parti faisant office de strapontin au même PS, DéFi s’est également fait remarquer par un tweet de son ancien président, Georges Clerfayt, après que de nombreuses voix se sont étonnées du choix de Ken Loach comme docteur Honoris Causa de l’ULB au vu de ses prises de position qualifiées d’antisémites: “Ken Loach a bien mouché Ch.Michel[tooltips content= »Le Premier ministre belge Charles Michel »]1[/tooltips] à l’ULB, lequel a raté une fois de plus l’occasion de se taire! Quand pourra-t-on l’entendre s’élever contre les crimes d’Israël (sic) envers les Palestiniens? Il est vrai qu’en Belgique, les électeurs juifs sont beaucoup plus nombreux! ». Propos grotesque, d’ailleurs si l’on sait que la Belgique totalise environ 35 000 Juifs contre 600 000 citoyens d’origine arabo-musulmane.

Ces deux déclarations, assez atterrantes, à quelques jours d’intervalle, ont secoué la Belgique et agité les réseaux sociaux. Elles sont d’autant plus hallucinantes qu’au même moment, sur l’autre rive du Quiévrain, 300 intellectuels, artistes ou élus français ont signé un manifeste dénonçant le nouvel antisémitisme porté par une certaine lecture de l’islam…

La chasse aux sorcières n’est pas la solution

Qu’en conclure ? Soit nous nous acheminons vers une nouvelle chasse aux sorcières, traquant les traces d’antisémitisme dans les déclarations les plus anodines. L’humoriste Laura Laune en a fait les frais, pour une blague de potache, ciblée comme antisémite, alors qu’elle dézingue toutes les confessions avec une identique causticité. Soit les partis, s’adonnant au clientélisme électoraliste en vue de récolter les voix musulmanes ont été largement contaminés par cet antisémitisme coranique dénoncé en France.

Quoi qu’il en soit, il convient de rappeler que si les Juifs sont très minoritaires en Belgique, ils sont sur-représentés parmi les victimes des agressions à caractère raciste.

Normale Sup: l’école (aussi) occupée par l’écriture inclusive


Dans La Mecque des lettres françaises, l’écriture inclusive fait sa loi ! 


L’écriture inclusive est très fréquente chez les étudiants qui portent la contestation contre la loi ORE. Elle fait également fureur à l’École normale supérieure, au grand désarroi d’un de ses élèves, qui s’exprime ici sous le pseudonyme de Louis Varlot :

« Tout le monde se soumet, même ceux qui n’en auraient jamais eu l’idée sans cela, même ceux que cela agace prodigieusement. Et ceux qui se refusent à l’employer doivent s’ingénier à trouver des tournures et des synonymes qui neutralisent les problèmes. Cette douce contrainte touche également les messages collectifs sur Facebook, pour lesquels les malheureux qui ne seraient pas encore des Mozart du point médian et qui se tromperaient un peu dans son usage se font sermonner vertement par d’implacables vigies, tandis que les enseignants les plus rétifs finissent par avouer timidement et presque honteusement qu’ “[ils] n’y arrive[nt] pas”. Et gare à celui qui se risquerait à faire un peu d’humour sur le sujet. L’équipe dirigeante, quant à elle, a basculé depuis bien longtemps. Refusant de hacher menu la fin des mots, le directeur préfère la drolatique formulation “chers et chères collègues”, qui a pour elle de faire irrésistiblement penser au fameux “Françaises, Français, Belges, Belges” de Pierre Desproges. […] L’école a aussi ses pauvres : elle subventionne grassement et en pure perte, à travers le pôle PESU (Programmes pour l’égalité scolaire et universitaire), des “lycées de la politique de la ville” dont les élèves oscillent entre bonnes volontés mâtinées d’illettrisme et démotivation absentéiste. Ce pôle, qui sert surtout à exorciser la mauvaise conscience d’une des écoles les plus sélectives de France, est tout acquis à la doxa pédagogiste et on y organise même des conférences dans lesquelles ce sont les élèves de quatrième qui expliquent aux enseignants ou futurs enseignants ce qu’il faut faire : “Comment les collégien.ne.s envisagent-iels leur propre scolarité ? Que pouvons-nous changer pour apprendre mieux et à tou.te.s ?” s’interrogent les affiches… »

A lire aussi: Université: la révolte des bac + zéro

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Natalité: Macron ne donne pas envie de faire des petits


L’élection d’Emmanuel Macron n’a pas redonné confiance aux Français. Les chiffres de ses premiers pas sont tombés: ils font toujours moins de bébés.


La réussite (ou l’échec) d’un président de la République est souvent mesurée à l’aulne de l’évolution d’indicateurs économiques : PIB, chômage, emploi, niveau de vie, investissements réalisés par les entreprises, finances publiques, etc. Des indicateurs plus « sociaux » sont également utilisés : taux de criminalité et de délinquance, taux de pauvreté, indices d’inégalité de revenus, classements internationaux en matière de performances scolaires, et ainsi de suite. Et, bien entendu, des enquêtes d’opinion sont menées en grand nombre sur l’action et la personne du président. En revanche, il n’entre absolument pas dans les habitudes de recourir à un indicateur démographique. Ceci est regrettable pour au moins deux raisons.

Faire des enfants, c’est avoir confiance en l’avenir

La première est l’importance de la démographie, et particulièrement des naissances : c’est d’elles que dépend au premier chef l’avenir à long terme de notre pays. A la Libération, le général de Gaulle a très justement lancé un avertissement : s’il devait s’avérer, malgré la victoire, que la natalité restait faible, insuffisante pour assurer le renouvellement des générations[tooltips content= »Ce renouvellement requiert, abstraction faite des mouvements migratoires, un indicateur conjoncturel de fécondité (ICF) au moins égal à 2,07 enfant par femme. Jusqu’en 1974, y compris cette année-là pour laquelle l’ICF fut égal à 2,14, cette condition fut remplie. Depuis lors, l’ICF français n’a plus jamais atteint 2,07. En 2017, pour la France métropolitaine (la valeur France entière est connue plus tardivement), il a valu 1,85. La croissance de la population est due à deux autres phénomènes : l’allongement de la durée de vie moyenne, et une immigration supérieure à l’émigration. Hélas, la croissance de la longévité n’a pas été gérée intelligemment (l’abaissement de l’âge de la retraite à 60 ans en 1982 a privé la France des bénéfices qu’elle aurait pu en tirer), et la qualification des immigrés n’est pas, en moyenne, suffisante pour compenser la déperdition de compétences due à l’émigration. »]1[/tooltips], « la France ne serait plus qu’une grande lumière qui s’éteint ». Et, de fait, si la France a retrouvé une place honorable dans le concert des nations, c’est bien, dans une large mesure, parce que les « trente glorieuses » ont été pour notre pays une période de forte natalité.

La seconde raison qui pousse à recourir aux données démographiques, comme aux données économiques et sociales, pour évaluer la performance d’une équipe dirigeante, c’est que la « mise en route » des futurs citoyens est un indicateur important de confiance dans l’avenir, et donc dans les personnes qui gouvernent le pays. Une vision optimiste du gouvernement de la France incite à mettre des enfants au monde car nous avons envie que nos enfants soient heureux, et donc qu’ils grandissent dans un pays ayant des dirigeants qui s’occupent efficacement du bien commun. La relation entre l’opinion que nous avons de nos gouvernants et la natalité est certes complexe, mais il n’est pas absurde de considérer que, dans un pays développé, une bonne natalité signifie plutôt une bonne opinion – et une faible natalité, une opinion médiocre.

Test de grossesses

D’un point de vue objectif, si la vitalité démographique n’est pas retenue comme l’un des critères de réussite de nos gouvernants, alors il n’y a pas davantage de raison de prendre comme critère la production ou l’investissement : non seulement l’homme est plus important que les biens et services, mais il est vrai aussi que, pour ce qui est du futur à long terme de la production, l’investissement dans la jeunesse est le plus décisif de tous les investissements.

La naissance d’un enfant survient en moyenne 9 mois après sa conception. Emmanuel Macron ayant été élu le 7 mai 2017 et étant entré en fonction une semaine plus tard, le nombre des naissances du mois de mars 2018, qui correspondent aux conceptions réalisées en juin 2017, constitue la première information disponible pour apprécier, sinon l’action de nos dirigeants, du moins l’impact que leur accession aux postes de commande a eu sur le moral des couples en âge de procréer.

Macron n’inverse pas la courbe de Hollande

L’INSEE fournissant généralement le nombre des naissances du mois N à la fin du mois N+1, du moins pour la France métropolitaine (les chiffres France entière ne sont disponibles que nettement plus tard), le chiffre du mois de mars vient d’être publié : 56 300 naissances vivantes.

Ce test est négatif : l’élection d’Emmanuel Macron n’a provoqué aucun sursaut démographique

En effet, l’orientation baissière perdure et s’accentue. Cette baisse a débuté en 2010, et s’est accélérée en 2015. Depuis quelques mois, une nouvelle accélération est en cours, qui est particulièrement visible lorsqu’on indique pour chaque mois le nombre moyen de naissances par jour, ce que fait le tableau suivant :

tableau naissances

Durant les six derniers mois, la chute du nombre journalier des naissances est effrayante : en cinq mois (puisqu’octobre 2017 est le mois de référence), ce nombre diminue de 11,9% ! Mais tout aussi inquiétante est l’accélération de la chute en mars 2018 : 3,5 % en moins, d’un mois sur l’autre, est un pourcentage tellement élevé qu’on pourrait se demander si le chiffre indiqué (à titre provisoire) par l’INSEE n’est pas légèrement entaché d’erreur. En tout cas, dans l’état actuel des statistiques de naissances, on ne saurait dire que les jeunes ménages français ont été rendus plus optimistes par l’élection d’Emmanuel Macron : la désespérance observée à travers la lunette démographique pour les trois dernières années de la présidence Hollande, et tout particulièrement pour ses quatre derniers mois, chargés en inquiétudes électorales, ne semble nullement avoir été enrayée par l’élection de notre jeune président.

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Violences: comme un pavé dans la mare du président


Emmanuel Macron avait l’intention d’incarner le parti de l’Ordre. Mais les violences du 1er mai ont sérieusement écorné l’image qu’il comptait renvoyer, au point de voir resurgir l’ombre d’un ancien président…


La semaine du fameux match opposant Emmanuel Macron au duo autoproclamé  « irrévérencieux » Bourdin-Plenel – qui, à leur corps défendant, a bien profité au président – le locataire de l’Elysée avait programmé une séquence. Dès le lundi matin, avant même que nous apprenions qu’il irait se mesurer aux vedettes de Mediapart et BFM TV, les forces de police s’approchaient de Notre-Dame-Des-Landes. Il devait aussi aller le jeudi midi discuter avec Jean-Pierre Pernaut, l’homme qui murmure à l’oreille des retraités de France. Toute la semaine était placée sous le signe du parti de l’Ordre, comme on disait au mitan du XIXe siècle. Autorité et Réconciliation, nous susurrait-on du côté du Château.

Le parti de l’Ordre vacille déjà

Bref, il s’agissait de gagner des points à droite, d’étouffer Laurent Wauquiez, dont on craint qu’il n’arrive peu à peu à reconstituer le socle réuni par François Fillon il y a un an. Qui sait si ces vingt points ne suffiront pas, en 2022, pour accrocher le strapontin du second tour ? Avec une abstention forte des Insoumis, prônée par ses dirigeants, ce serait alors gagné pour l’homme à la parka rouge. Il fallait donc priver Wauquiez d’oxygène immédiatement. L’isoler, le pilonner, le moquer, le trianguler, aller sur son terrain. Le sondage indiquant le président de LR à 8% arrivait à point, juste après ladite séquence. « Jupiter » pouvait savourer son bon coup, sous les vivas de la foule médiatique.

Sauf que.

Lorsqu’on joue à incarner le parti de l’Ordre, il faut pouvoir l’assumer au-delà d’une séquence d’une semaine et deux émissions de télé réussies. Et de quoi s’aperçoit-on depuis quinze jours ? Notre-Dame-Des-Landes n’a toujours pas été évacuée de ses zadistes ; les images de Tolbiac vandalisée ont été vues par toute la France ; du côté de la frontière franco-italienne, Génération Identitaire joue aux garde-frontières, sous le regard passif du ministre de l’Intérieur ; et des centaines de militants cagoulés s’installent en tête de la manif du 1er mai, et commettent leurs exactions habituelles. Ce printemps 2018 n’est pas terminé que le parti de l’Ordre vacille déjà.

Chienlit, Kärcher et Jupiter

Cette perception ne se traduira pas immédiatement dans les études d’opinion mais l’idée qu’il vacille avance imperturbablement. Le charisme et l’énergie du ministre de l’Intérieur commencent à être mis en cause et il se pourrait bien que cela soit en partie injuste. Celui qui a voulu s’ériger en parti de l’Ordre, et le marteler dans cette première quinzaine d’avril, c’est « Jupiter » lui-même. Jupiter contre la chienlit ! Et si la chienlit s’installe, c’est donc Jupiter qui sera le seul responsable. Le seul coupable.

Il me revient une expression célèbre. Un ministre de l’Intérieur, qui ne pensait pas à l’Elysée qu’en se rasant, avait un jour évoqué la volonté de passer le Kärcher dans des territoires perdus de la République. Il avait tout fait pour qu’on l’associe à cet outil de nettoyage germanique. Il n’est pas complètement impossible que cela put l’aider à accéder au pouvoir suprême quelques années plus tard. Mais le Kärcher fut remisé dans un placard. Et, dans l’électorat populaire, on a beaucoup dit en 2012 que le président sortant n’avait pas perdu parce qu’il avait voulu passer le Kärcher, mais parce qu’il y avait piteusement renoncé. On évoque souvent les bonnes relations entre Emmanuel Macron et cet ancien président. Sans doute ce dernier aurait pu mettre en garde l’actuel chef de l’Etat. Malheureusement, il aurait fallu que lui-même, pour prodiguer un tel conseil, ait quelque capacité à l’autocritique.

Evidemment, comme le style de Nicolas Sarkozy – tout le monde l’aura reconnu, sous son loup – et celui d’Emmanuel Macron sont fort différents, le parallélisme des situations n’est pas parfait. « Jupiter » se meut bien plus en douceur, dans le style gaullo-mitterrandien. Mais l’intention était malgré tout la même. Incarner l’Ordre. L’Autorité de l’Etat. Qu’on le fasse en plastronnant ou lors d’une séquence de communication réussie, il faut pouvoir assumer derrière. Dans le cas contraire, tout cela apparaît tôt ou tard, comme un lancer de boomerang mal ajusté. Et il n’est pas facile de rattraper l’objet dans ces conditions.

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Comment l’Education nationale noie la haine des juifs dans la lutte contre les discriminations

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"Le plus beau métier du monde", film avec Gérard Depardieu.

Dans le formatage de la pensée, l’école a pris une part prépondérante. Avec les meilleures intentions du monde, elle contribue à nier l’émergence d’un antisémitisme musulman en le noyant dans une myriade de « racismes » réels ou imaginaires.


Explorons le Réseau Canopé,  éditeur sous tutelle du ministère de l’Éducation nationale. Les supports pour « agir en classe » de sa rubrique « Eduquer  contre le racisme et l’antisémitisme » sont édifiants. Fruits d’un partenariat annoncé entre la DILCRAH (Délégation Interministérielle à la Lutte Contre le Racisme, l’Antisémitisme et la Haine anti-LGBT), le Ministère de l’Education et l’Institut Français de l’Education), ils donnent à voir une série de témoignages.

Témoignages en vrac

Citons-les en vrac. Abdelkader Goutta, fils de harkis, témoigne de ma dureté du camp de Rivesaltes, de la méfiance née de la guerre d’Algérie « et de ceux qui le regardaient de travers mais sont devenus ses meilleurs amis ». Lina Jackson raconte en 1997 le rejet des Roms dans l’Europe d’avant la seconde guerre mondiale. Anne Altmann et Hélène Frydman évoquent l’antisémitisme de la fin des années 30. Antonio Cordoba Alcaide explique qu’il est devenu français « parce qu’il voulait être fonctionnaire », Roland Rutili « ne commettra pas l’erreur qu’ont commis ses parents de ne pas lui parler italien » et l’enseigne à sa petite fille pour « pérenniser ses racines ». Samia Messaoudi « ne voyait pas de différence avec ses copines Marie-Laure et Hélène » mais devait cacher ses mains au henné « parce que l’on trouvait ça sale ». Enfin Yamina Benchenni explique que bien que née en France, elle n’est devenue française qu’en 1990 car « si eux ils pensent qu’on n’est pas français, pourquoi moi je dois l’être ?», puis raconte le meurtre de son frère par un militant du Front National alcoolique.

Nous sommes loin de Patrice Quarteron. Seule Gaye Petek, rentrée à la maison en pleurs après un cours d’histoire parlant des « turcs barbares » éclaire de la sagesse de son père ces récits, en évoquant sa réponse consolatrice : « Il y a des sales pages dans l’histoire de tout le monde ». Le parti pris idéologique est donc posé : le Français de souche est empli de préjugés racistes qui font souffrir l’immigré. Un dessin animé permet même de s’en convaincre dès le plus jeune âge.

Légitimer « l’islamophobie »

Les enseignants régulant au quotidien les conflits entre élèves d’origine gitane et maghrébine, ceux dont les collégiens subissent le racisme anti-blanc décrit par Tarik Yildiz et bien sûr ceux confrontés à l’antisémitisme n’ont qu’à circuler, il n’y a rien à voir.

Pourtant, Canopé a su faire preuve d’une très grande réactivité à l’actualité employant dès la page d’accueil de la rubrique « Education contre le racisme » le terme d’islamophobie,  concept controversé ainsi légitimé.

Les enseignants sont en première ligne face aux effets du communautarisme et désarmés. D’autant plus désarmés qu’un tropisme pousse souvent leur cœur à gauche, parfois jusqu’à ces espaces où la défense de l’opprimé mène à épouser la cause palestinienne, comme le montre le site de Sud Education. Le piège se referme alors. Comment lutter contre l’antisémitisme des élèves nourri, entre autres, d’une vision orientée du conflit au Proche-Orient, sans une solide formation factuelle et historique démêlant l’écheveau ?

Shoah pour tous

Alors, on se replie sur ce que Régis Debray nomme l’ « abus de mémoire qui ne permet plus de regarder l’histoire en face, hic et nunc » : l’enseignement de la Shoah, évidemment essentiel et nécessaire, mais qui produit ici l’effet inverse de celui attendu, puisque, dans leur vision du monde, ces néo-antisémites s’identifient aux Palestiniens victimes de ces nouveaux nazis que sont pour eux les Israéliens.

Que penser de « cette résignation et cette indifférence des professeurs » face au départ des élèves juifs de leur lycée dont parle Jean-Pierre Obin[tooltips content= »Obin, alors Inspecteur Général de l’Education Nationale rédigea en 2004 un rapport sur les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires. »]1[/tooltips] ou de ceux commentant ce phénomène par : « Ils n’étaient pas assez nombreux pour se défendre » ? Que répondre à cette amie conteuse qui s’est entendu dire, en fin de spectacle dans un établissement scolaire, « Vous êtes juive Madame ? C’est dégueulasse ! » et à qui les enseignants ont exprimé leur sollicitude sans juger utile de faire formuler des excuses à l’élève? Comment accepter de travailler dans une école maternelle dont l’équipe a décidé de ne plus faire fabriquer des étoiles pour décorer à Noël, « pour ne pas avoir de problèmes »?

Les hussards noirs étouffés

Enfin, il est désormais indispensable de  reconnaitre que les communicants autant que les idéologues achèvent d’étouffer les derniers hussards noirs. Jean-Pierre Obin lui-même reconnaît « la tendance de l’institution à dissimuler les faits déplaisants afin de préserver l’image de l’école publique ou comme on dit de nos jours, à « communiquer » autrement dit à livrer une version édulcorée et édifiante de certains faits plutôt qu’à en informer honnêtement le public ». Lire comment cet inspecteur général de l’Education nationale prit conscience en 1996 de la gravité de la situation entre élèves juifs et « arabes » et tenta, en vain d’agir est effarant : « J’alertai de manière circonstanciée, dans ma note de synthèse sur l’Académie de Lyon, les deux rapporteurs nationaux. Je n’en retrouvai nulle trace dans le rapport national » rédigé par Catherine Moisan et Jacky Simon. Force est hélas de constater que lorsque sa parole, claire et sans ambages, parvint enfin sur le bureau d’un ministre, elle ne fut pas plus suivie d’action sur le sujet que le rapport Stasi qui, en 2003 parlait déjà explicitement de ce nouvel antisémitisme.

Il semble donc que ce soit une lutte contre la culture d’entreprise de l’Education nationale mêlant totems, tabous, omerta et  plans de communication  qu’il reste à entreprendre. Jean-Pierre Obin concluait son rapport en soulignant « qu’il était chez les responsables deux qualités qui permettent beaucoup et qu’on devrait  davantage rechercher, développer et promouvoir à tous les niveaux (…), la lucidité et le courage ». Nous en sommes toujours là.

Alors bien sûr, aujourd’hui, on ne peut que se réjouir de voir cette part enfouie de l’antisémitisme atteindre l’agora. Souhaitons que nous parvenions toujours à y nommer clairement et promptement les faits qui en relèvent.  Et n’oublions pas qu’Aristote  nous a prévenus : « Partout où l’éducation a été négligée, l’État en a reçu une atteinte funeste ».

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Université, la sélection naturelle

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Dès la première année à l’université, plus des deux tiers des étudiants sont d’ores et déjà sélectionnés.


A lire aussi: Université: la révolte des bac + zéro

La loi ORE met en place des « attendus » non sélectifs pour les bacheliers : expression écrite et orale, analyse et synthèse de texte, aptitude au travail autonome, le tout sans examen éliminatoire. En cas d’insuffisance, les élèves suivront une remise à niveau. Le texte prévoit bien une sélection, mais quasiment sur le mode du tri mécanique : certaines filières, prises d’assaut et offrant peu de places, devront choisir les élus sur dossier.

Une sélection franche aurait-elle choqué la jeunesse ? Pas sûr. Selon un sondage IFOP d’octobre 2017, 80 % des jeunes se déclarent favorables à l’instauration de prérequis pour intégrer une filière universitaire. Leur position se comprend d’autant plus que la sélection à l’entrée du supérieur est déjà une réalité, pour les deux tiers des inscrits en première année ! En 2015-2016, on recense 2,5 millions d’inscriptions dans le supérieur. L’Université proprement dite représente 62 % du total, soit 1,6 million. Les autres sont en BTS, en classe préparatoire, en école d’ingénieur, à Sciences-Po, etc. Ils ont été sélectionnés, sur dossier ou concours. Resterait-il 60 % de non-sélectionnés ? Pas du tout, car l’Université compte aussi des filières sélectives. En 2015-2016, il y avait 116 000 étudiants en DUT, choisis sur dossier, et 450 000 dans les universités privées, Catho de Lille ou d’Angers, qui sélectionnent ! En y ajoutant les 309 000 étrangers inscrits en France, eux aussi sélectionnés, le constat est très simple. Le libre accès est d’ores et déjà largement minoritaire. Il concerne exactement 718 200 inscrits sur 2,5 millions.

Sélectionnés contre la sélection

« Vous êtes assis sur les marches, mais n’ayez crainte, vous aurez de la place dans un mois. » Quel nouvel étudiant fraîchement débarqué en lettres ou histoire n’a pas entendu cette phrase ? Probablement ceux des universités privées. Dans le public, les amphis se vident très vite. Les enquêtes du ministère de l’Enseignement supérieur concluent à un taux d’abandon assez stable depuis des années, de l’ordre de 30 % des inscrits. Autrement dit, les étudiants « sélectionnés », déjà majoritaires à la rentrée, le sont encore plus à Noël, par désertion des « non-sélectionnés » ! Les opposants à la loi ORE peuvent-ils vraiment ignorer ces évidences ? « L’Appel du 20 janvier », devenu une pétition contre la réforme, a été lancé par l’Association des sociologues enseignants du supérieur (ASES). Le pedigree des membres de son conseil d’administration laisse songeur. La plupart des administrateurs qui refusent la sélection enseignent dans des filières sélectives ou en sont issus. Sarah Abdelnour est diplômée de Normale-Sup, Samuel Bouron est maître de conférences à Dauphine, Christel Coton enseigne au Centre européen de sociologie et de science politique de l’École des hautes études en sciences sociales, etc.

La loi Faure sur les universités ne prévoyait aucune sélection à leur entrée. Toutefois, elle postulait un baccalauréat sélectif et, surtout, une gestion sérieuse. Dans ses mémoires, De Gaulle dit de cette loi qu’elle vise à bâtir des établissements cogérés par les « professeurs, administrateurs, étudiants » qui devront « ou bien fonctionner comme il faut, ou bien fermer leurs portes et cesser de gaspiller le temps des maîtres et des disciples ainsi que l’argent de l’État ».

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« Au Liban, un système laïc servirait le Hezbollah »

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hezbollah liban khadra syrie
Manifestation du Hezbollah en solidarité avec le Yémen, Beyrouth, 2015. Sipa. Numéro de reportage : AP21722552_000005

Les Libanais élisent leurs députés pour la première fois depuis 2009. Dans un pays en crise politique quasi-permanente, coincé entre Israël et la Syrie, le spectre de la guerre civile n’est jamais loin. Treize ans après le retrait des troupes syriennes, le pays du Cèdre abrite un million de réfugiés syriens et se fracture toujours entre partisans et adversaires du Hezbollah. Dans ce second camp, les Forces libanaises (FL) de Samir Geagea se sont alliées au Courant du Futur de Saad Hariri. Journaliste et militante FL, Maya Khadra a répondu à nos questions. Entretien.



Daoud Boughezala. Cela fait maintenant treize ans que la Syrie a retiré ses troupes du Liban. Aujourd’hui que les citoyens libanais sont appelés aux urnes pour élire leurs députés, quel bilan tirez-vous de cette nouvelle indépendance ?

Maya Khadra[tooltips content= »Doctorante en lettres et journaliste, Maya Khadra milite au sein des Forces libanaises. « ]1[/tooltips]. maya C’est une indépendance en trompe l’œil car elle est incomplète.  Les treize dernières années ont été traversées par deux mini-guerres et une vacance présidentielle qui a duré jusqu’à l’élection de Michel Aoun en 2016. Certes, le 26 avril 2005, les troupes syriennes ont quitté le Liban. Mais les mêmes défis attendent aujourd’hui le pays, notamment la terreur du Hezbollah. Ce parti chiite financé par l’Iran soutient militairement le régime de Bachar Al-Assad en Syrie et menace les Libanais avec ses armes. En juillet 2006, le Hezbollah avait pris la décision irresponsable de kidnapper deux soldats israéliens à la frontière, ce qui a déclenché l’ire d’Israël. La réplique fut violente et intransigeante, affectant de nombreuses infrastructures du Liban.

Deux ans plus tard, le 7 mai 2008, le Hezbollah a occupé des quartiers entiers de Beyrouth et ouvert le feu sur des citoyens innocents. Depuis, la mainmise du Hezbollah sur une partie du pays ne faiblit pas, d’autant que ce parti-milice se permet de s’ingérer dans des conflits régionaux comme la guerre du Yémen, le Bahreïn ou la guerre en Syrie. Autant dire que l’indépendance libanaise reste à construire, le retrait des forces syriennes n’étant qu’un début.

A l’époque, le paysage politique libanais était fortement polarisé autour du rapport à la Syrie. Après l’assassinat de Rafiq Hariri le 14 février 2005, le camp antisyrien du 14 mars auquel appartenait votre parti les Forces libanaises s’opposait à l’alliance prosyrienne du 8 mars (Hezbollah, Amal et autres). Ce clivage est-il encore pertinent?

Il reste une polarisation entre deux camps, l’un composé de partis souverainistes, l’autre pro-syrien et pro-iranien au service de ses ambitions expansionnistes régionales du Hezbollah avec le renfort de ses alliés chrétiens avides de pouvoir. Le président Michel Aoun et son parti le CPL, que dirige son gendre le ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil, ne faisaient initialement pas partie du 8 mars mais du 14 mars. Puis, en 2006, il s’est retourné contre ses alliés du 14 mars et a cherché meilleure fortune auprès du Hezbollah, qui lui a apporté un grand soutien, l’amenant jusqu’au palais présidentiel. A sa suite, une partie des chrétiens s’aligne sur l’Iran et le régime syrien contre Israël, ce qui met en danger le Liban. Une autre partie prêche plutôt la neutralité du Liban, compte tenu de l’embrasement de la région, a fortiori depuis le printemps et l’hiver arabes. Nous ne voulons pas d’alliances régionales contraignantes : ni avec l’Iran, ni avec la Syrie, ni avec l’Arabie saoudite, ni avec Israël (pays que l’Etat libanais considère toujours comme un ennemi mais avec lequel, je ne veux personnellement pas être en guerre). Le souverainisme au Liban rime avec distanciation et paix avec les voisins.

L’Arabie saoudite n’a aucun intérêt à semer la zizanie au Liban

Vos griefs contre l’Iran pourraient s’appliquer à l’Arabie saoudite. Cette puissance alliée du Courant du Futur et des Forces libanaises est aussi un foyer de propagation de l’islamisme, aux visées non moins expansionnistes que Téhéran. Pourquoi ce deux poids deux mesures ?

Après la brève guerre de juillet 2006, qui a opposé le Hezbollah et Israël, c’est l’Arabie saoudite qui s’est empressé d’aider le Liban et de le reconstruire avec le Qatar. Beaucoup de jeunes libanais, après l’obtention de leurs diplômes, vont travailler dans les pays du Golfe, notamment en Arabie saoudite. Depuis le début de la guerre syrienne, près d’un million et demi de réfugiés syriens majoritairement sunnites sont venus au Liban. Si l’Arabie saoudite avait voulu créer des cellules terroristes parmi ces réfugiés, n’aurait-elle pas pu le faire ? L’Arabie saoudite n’a aucun intérêt à semer la zizanie au Liban, pays où les sunnites sont pacifiques. Même pendant la guerre, ils n’ont pas tenu les armes. J’en veux à l’opinion publique française d’avoir parfois une vision simpliste des choses. Aucun sunnite libanais n’a rejoint Daech. Si l’Arabie saoudite peut être déplorable à certains égards, au Liban, elle n’a armé aucun parti ni groupuscule terroriste. Le terrorisme djihadiste n’existe pas au Liban. Il est par contre présent dans l’idéologie du Hezbollah, inspirée par la pensée de Khamenei et les ambitions expansionnistes iraniennes dont les exécutants sont les Gardiens de la révolution (pasdarans). J’ajoute que le prince héritier saoudien Mohamed Ben Salman est progressiste. Il veut dépoussiérer les mentalités et avancer avec son pays vers des horizons plus ouverts, au risque d’entrer en affrontement direct avec le clergé. D’ailleurs, ne confondons pas le clergé wahhabite qui finance des musulmans intégristes partout dans le monde, surtout en France, et la famille régnante – qui n’est, du reste, pas sans failles.

Je reproche à Saad Hariri de s’allier tantôt avec des forces non-souverainistes, tantôt avec des partis souverainistes.

N’est-ce pas un tantinet manichéen de parer votre camp de toutes les vertus ?

A l’intérieur même du 14 mars, il y a des dérapages. Si certains partis sont restés fidèles aux idéaux du 14 mars,  d’autres ont tergiversé et passé des compromis, chose compréhensible et légitime dans un pays où tout est basé sur le consensus interconfessionnel. Les Forces libanaises ont formé des listes cohérentes avec leurs principes, s’alliant avec des indépendants ou se présentant seules. De son côté, le Courant du Futur, présidé par Saad Hariri, s’est allié dans certaines circonscriptions avec Gebran Bassil (CPL). Et ce, à Zahlé et dans la plaine de la Békaa qui est un des plus grands cazas partagé en 3 circonscriptions, situé entre le Mont Liban et l’Anti-Liban qui sépare le pays de la Syrie. C’est une zone stratégique pour le Hezbollah. Il peut infiltrer ses combattants à travers la frontière, y mettre des dépôts d’armes, sachant que l’Etat reste dramatiquement absent de cette région très peu développée, surtout au nord. Je reproche donc à Saad Hariri de s’allier tantôt avec le CPL et d’autres forces non-souverainistes, tantôt avec des partis souverainistes. Certes, Hariri subit beaucoup de pression et a été humilié mais il ne devrait pas pactiser avec ceux qui ont approuvé l’assassinat de son père.

Précisons aux non-initiés que le système électoral libanais s’appuie sur une base confessionnelle. En tant que militante du parti des Forces libanaises, approuvez-vous ce confessionnalisme ?

Je voudrais d’abord rappeler que les Forces libanaises sont certes un parti de philosophie chrétienne mais libanais et patriote, fidèle à l’histoire des maronites et de tous les Libanais souverainistes. Historiquement, notre communauté a combattu les occupants de tous bords et s’est ouverte à l’Occident depuis longtemps (le serment d’union à Rome date de 1203 !). Elle a contribué à poser la pierre angulaire du Liban. Bien que notre chrétienté ait été exaltée comme appartenance durant la guerre civile qui a opposé toutes les communautés religieuses les unes aux autres, l’histoire libanaise regorge de moments d’union nationale interconfessionnelle. C’est ce qu’il faudrait retenir du passé. Au cours de nombreuses batailles, les maronites se sont alliés aux autres communautés libanaises (musulmanes) contre les Mamlouks et les Ottomans (musulmans). Dès le règne de l’émir druze Fakhreddine II (1572-1635), les fondements de l’Etat libanais moderne ont été posés. Au XIXe siècle, pendant la période des deux caïmacamats, il y avait des conseils multiconfessionnels suivant la répartition communautaire au Mont-Liban. Le pays a toujours fonctionné ainsi.

Historiquement, ce sont les chrétiens qui ont demandé l’indépendance du Liban.

Est-ce un argument suffisant pour maintenir le statu quo institutionnel ?

Ce système confessionnel consensuel n’est pas imposé par la Constitution, laquelle ne stipule pas que le président de la République doit impérativement être chrétien. Bien au contraire, l’introduction de la Constitution affirme que le Liban est un Etat qui suit le système confessionnel en attendant d’être un jour laïc. Nous ne sommes pas l’Egypte dont la Constitution affirme : « L’Islam est la religion de l’Etat ». Pour le moment, un système laïc n’est pas souhaitable. Aujourd’hui, il y a une communauté sunnite pacifique et sans armes, une communauté chrétienne pacifique et sans armes puis un tiers du Liban chiite armé relié à l’Iran et contrôlé par le Hezbollah au projet et à l’idéologie religieux. Dans ces conditions, le projet laïc servirait le Hezbollah et lui assurerait la mainmise sur le pays. C’est donc par réalisme que je soutiens le maintien provisoire du confessionnalisme. Il faut aussi respecter la spécificité du peuple libanais qui est profondément communautaire. Même s’ils ne sont pas pratiquants, les musulmans tiennent à rompre le jeûne de Ramadan en famille. Et même si les chrétiens ne sont pas tous pratiquants, ils tiennent massivement au symbole sapin de Noël et à la messe de Pâques. J’ajoute que les musulmans libanais sont très lucides. Il leur importe que les chrétiens vivent dans la dignité et leur soient redevables. Car ce sont les chrétiens représentés par le Patriarche Hoyek qui ont demandé l’indépendance du Liban, le grand Liban avec ses 10 452 kilomètres carré, à la conférence de paix de Paris en 1919 et ont tendu la main aux autres communautés. Malgré tous les clivages politiques, la cohésion nationale perdure.

Dans les années 80, Nasrallah annonçait vouloir transformer le Liban en Etat chiite

Au nom de cette entente, malgré votre hostilité au Hezbollah, ne lui reconnaissez-vous pas le mérite d’avoir préservé l’avenir des chrétiens syriens en sauvant le régime d’Assad ?

Personne ne me fera croire que le Hezbollah, financé par l’Iran où les chrétiens n’ont aucun droit, s’est ingéré en Syrie pour protéger les chrétiens. Le Hezbollah n’est pas intervenu dans les régions syriennes peuplées de chrétiens car celles-ci se trouvent déjà sous le contrôle de Bachar Al-Assad. En Syrie, les grands massacres se sont déroulés dans des secteurs sunnites comme Alep-Est, Douma, ou Raqqa. L’Etat islamique y tuait des citoyens libres, majoritairement sunnites, qui n’étaient affiliés à aucune organisation islamiste. Je rappellerai aussi, notamment à l’opinion publique française, que le Hezbollah a assassiné 48 parachutistes français durant la guerre libanaise (attentat du Drakkar, octobre 1983).

Loin de moi l’idée de défendre les islamistes sunnites aussi criminels que le Hezbollah, mais n’oubliez pas que la pratique de l’attentat suicide a été introduite par le Hezbollah au début des années 1980. Dans ses discours de l’époque, Hassan Nasrallah annonçait vouloir transformer le Liban en Etat chiite et réserver le fief chrétien du Kesrouan aux chiites. Pendant les longues années d’occupation syrienne du Liban, l’appareil sécuritaire soutenu par le Hezbollah a visé nombre de chefs chrétiens. Le chef des Forces libanaises Samir Geagea a été injustement emprisonné (1994), le responsable du mouvement estudiantin des FL Ramzi Irani assassiné (2002). Etait-ce dans l’intérêt des chrétiens ? Dernièrement, Nasrallah a accusé Antoine Habchi, candidat maronite des Forces libanaises dans la circonscription de Baalbeck-Hermel, d’être un conspirateur pro-Daech au seul prétexte qu’il s’oppose au Hezbollah. C’est révélateur de son terrorisme intellectuel.

Le Hezbollah fait aujourd’hui mine de défendre les chrétiens, mais demain il se retournera contre eux.

Que répondez-vous aux associations de défense des chrétiens d’Orient qui voient dans le régime syrien un moindre mal ?

Ces poncifs aveuglent une partie de l’opinion publique occidentale. Si l’extrémisme sunnite est mon ennemi, l’ennemi de mon ennemi n’est pas forcément mon ami. La survie des citoyens du Moyen-Orient ne dépend pas de celle d’une dictature ou d’un régime assassin mais du respect de l’Etat de droit. Le Hezbollah fait aujourd’hui mine de défendre les chrétiens, mais demain il se retournera contre eux.  A Palmyre, sous le contrôle du régime, l’armée de Bachar et ses sbires du Hezbollah- pasdarans inclus- se sont retirés pour laisser avancer Daech puis ont crié à la profanation d’un site historique. L’été dernier, les hommes du Hezbollah ont laissé fuir les terroristes de l’Etat islamique et les ont laissé partir dans des bus climatisés dans un grand troc d’otages.

Prenons un peu de recul. Le nombre de chrétiens en Syrie n’a pas attendu la guerre pour s’amenuiser jusqu’à peau de chagrin. Sous Hafez Al-Assad, les chrétiens sont passés de 25% à 8%. Les chrétiens étaient-ils dont si épanouis sous l’ombrelle de ce dictateur soi-disant laïque pour ainsi quitter le pays ?

Delacroix, classique révolutionnaire

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Autoportrait au gilet vert, Eugène Delacroix, 1837. ©RMN-Grand Palais (Musée du Louvre) / Michel Urtado

Le Louvre propose jusqu’au 23 juillet une grande rétrospective Eugène Delacroix (1798-1863). Si on connaît l’auteur de La Liberté guidant le peuple, on ignore souvent le rôle décisif qu’a joué cet admirateur de Véronèse et de Rubens pour sortir la peinture de l’ennui néoclassique.


De nos jours, quand on veut attirer la sympathie sur un artiste, on affirme qu’il est révolutionnaire. En ce qui concerne Delacroix, pour une fois, c’est parfaitement vrai. Cet artiste conjugue même les deux acceptions du mot « révolution » : celle d’un retour sur le passé, à la façon d’une planète parcourant de nouveau son orbite et celle, plus courante, d’un dépassement radical du présent. Delacroix, en se réappropriant des traditions picturales perdues, ouvre de nouvelles perspectives. Sur un plan politique, il n’a pourtant rien d’un révolutionnaire.

La peinture française du début du XIXe siècle offre, il faut bien le dire, un paysage assez morne. Certes, la production de grandes toiles n’a jamais été aussi abondante. Cependant, la pompe des sujets rivalise avec la platitude de l’exécution. On célèbre les vertus romaines en format XXL. On enchaîne les sacres et les scènes de bataille. Ce mouvement, qui se veut classique, est connu sous le nom de « néoclassicisme ». Toutefois, Delacroix lui dénie la qualification (positive à l’époque) de classique. La facture besogneuse, léchée et souvent gauche qui s’y pratique révèle plutôt l’abandon des héritages. À peu de choses près, le néoclassicisme est à la Révolution et à l’Empire ce que le réalisme socialiste est aux régimes communistes.

La France si peu romantique à l’heure du romantisme

Ailleurs, en Europe, c’est assez différent. Certes, le néoclassicisme se déploie partout. Cependant, on voit fleurir ici et là des artistes originaux qui produisent des œuvres singulières pour des amateurs privés. Citons Friedrich, Runge, Abildgaard, Dahl, Wolf, Goya, Blake, Palmer, Füssli, Cozens, Constable, Turner, etc. La spécificité négative de la France tient sans doute à la conjonction de plusieurs phénomènes : la disparition ou la ruine des anciens amateurs, la présence d’une administration des beaux-arts particulièrement centralisée, à l’instar de celle de l’État, la succession de régimes politiques enrôlant l’art au service d’un récit officiel et, enfin, l’influence des Lumières qui, avec des commentateurs comme Diderot, ont poussé la peinture vers l’expression de la raison et des vertus civiques. La question qui se pose est : comment va-t-on en sortir ?

L’homme qui semble incarner le changement est Théodore Géricault. Il s’agit d’une personnalité puissante dotée d’un sens du tragique hors norme allant jusqu’au morbide. C’est aussi un artiste qui s’est approprié un vocabulaire néo-caravagesque particulièrement expressif. Cependant, il brûle la chandelle par les deux bouts et meurt en 1824 à l’âge de 33 ans. Son cadet, le jeune Eugène Delacroix, âgé de 26 ans, a alors une personnalité moins affirmée, mais devient l’espoir de cette tendance en gestation.

Il naît en 1798 dans une famille aisée et cultivée. Du côté de sa mère figurent des artistes et artisans d’art illustres. Son père a commencé sa brillante carrière avec Turgot puis s’est adapté à tous les régimes jusqu’à devenir ministre du Directoire. Son problème est une énorme tumeur aux testicules difficile à dissimuler. Cela alimente les doutes sur sa paternité réelle. Une rumeur persistante, mais non confirmée, fait de Talleyrand le géniteur putatif du jeune Eugène. Cependant, ce dernier aime son père légitime et l’admire.

Le choc de la matérialité de la peinture

Après une scolarité au lycée Louis-le-Grand, Delacroix entre aux Beaux-Arts. Il s’intéresse peu au prix de Rome et à l’éventualité d’un séjour en Italie. Son voyage initiatique a lieu quelques années plus tard en Grande-Bretagne, où il se familiarise à la liberté d’exécution de l’aquarelle. La contribution décisive à sa formation est sans doute une série de copies des maîtres anciens, notamment de Véronèse et de Rubens. Cela l’oblige à examiner en détail la texture de leurs œuvres et à essayer de renouer empiriquement avec leur art des matières. Au contact de Rubens, il s’initie à l’improvisation directe dans un tumulte de taches et de traits jetés. Delacroix mettra toujours en avant sa dette aux maîtres et c’est en ce sens qu’il se dit « classique ».

À l’âge de 24 ans, Delacroix est au sommet de son art. Le paradoxe de sa vie est qu’il va connaître une gloire précoce et qu’ensuite il rencontrera ce qui est généralement réservé aux débuts : les doutes, les tâtonnements, les incompréhensions et parfois les impasses. Tout commence avec la présentation de sa Barque de Dante au salon de 1822. C’est un succès. L’État acquiert l’œuvre pour le musée du Luxembourg. Cette institution consacrée aux artistes vivants les assure, à leur mort, d’un transfert au Louvre.

Deux ans plus tard, il présente les Massacres de Scio. Cette toile somptueuse, aux accents à la Tintoret, est encore achetée par l’État. C’est une grande peinture d’actualité évoquant l’écrasement encore fumant de civils grecs par les Ottomans. Delacroix y déploie sur un mode sucré-salé un mélange de violence, de résignation et d’érotisme. Le point décisif est qu’il remanie l’œuvre quelques jours avant le salon après avoir vu fortuitement des toiles de Constable, hautes en matières. Il ajoute aux Massacres des glacis et des empâtements pour leur donner plus de corps, plus de lyrisme. Effectivement, au-delà du sujet lui-même, c’est ce déchaînement de matières qui impressionne – en bien ou en mal – les contemporains habitués à la facture aseptisée des néoclassiques. Désormais, on qualifie Delacroix de « coloriste ». Ça ne veut pas dire, comme on le croit aujourd’hui, que ses toiles sont très colorées. Mais Delacroix joue sur les transparences, il fait vibrer ses couleurs, il les rend vivantes. La matérialité de la peinture est remise au premier plan. C’est un grand événement.

Après la gloire, les doutes et les essais

Au salon de 1827, Delacroix présente La Mort de Sardanapale. Ce roi de Ninive, assiégé, sentant sa défaite venir, aurait préféré mourir sur un bûcher après avoir fait égorger ses femmes, ses eunuques et ses chevaux. Delacroix s’amuse beaucoup à réaliser cette toile. De nombreux modèles féminins se succèdent. Après le travail, vient la phase dolce chiavatura, c’est-à-dire les relations sexuelles. L’immense peinture est presque un best of de sa vie d’atelier. Cependant, les divers participants sont comme juxtaposés sur la toile, si bien que l’ensemble manque de cohérence. Quelques observateurs romantiques apprécient l’extravagance du sujet, mais le public et la critique y voient un fourre-tout. L’État refuse d’acheter le Sardanapale. C’est un bide. Dès lors, Delacroix s’écarte des grandes compositions de salon, à quelques exceptions près, notamment celle de La Liberté guidant le peuple (voir encadré).

Le goût de Delacroix pour les grands formats se reporte vers les décors intérieurs de bâtiments. Il intervient au Sénat et au palais Bourbon. Au Louvre, il réalise un plafond particulièrement déjanté représentant Apollon vainqueur du serpent Python. Dans l’église Saint-Sulpice, il peint un magnifique Combat de Jacob avec l’Ange où sa touche frémissante sert une composition majestueuse. Évidemment, ces œuvres fixes nécessitent des déplacements spécifiques vivement recommandés.

Delacroix continue en parallèle à produire des peintures de chevalet. Il s’essaye à plusieurs genres : le style troubadour, les fleurs, les paysages. C’est un voyage au Maroc (avec extension en Algérie) dans le cadre d’une mission diplomatique, en 1832, qui lui fournit son thème principal : l’orientalisme. Sur place, il remplit des carnets de croquis et d’aquarelles dans lesquels il puisera toute sa vie. Les personnages qu’il dessine sont de préférence juifs (comme dans la Noce juive), en raison de la réticence des musulmans à être représentés. L’Orient de Delacroix est aussi peuplé de lions venant principalement des zoos parisiens. Cela aboutit toutefois à des œuvres souvent époustouflantes où la sauvagerie et la noblesse des personnages le disputent à celles des animaux. C’est le cas, par exemple, de la somptueuse Chasse aux lions (en partie détruite) ou des Chevaux arabes se battant dans une écurie. Cependant, à répéter indéfiniment la même formule, un affaiblissement est parfois perceptible. C’est sans doute ce qui arrive aux Femmes d’Alger dans leur appartement, que critique Fernand Khnopff : « La couleur est belle, dit ce dernier, mais il n’y a que cela, et cela ne suffit pas. »

Vers la fin de sa vie, Delacroix semble surtout inspiré par des souvenirs ou des songes. L’une de ses dernières œuvres, Ovide en exil chez les Scythes, dégage ainsi une douce poésie. Cependant, ces peintures éloignées du réel et traitées avec une touche floutée laissent perplexe une partie du public. En effet, la diffusion de la photo et le succès des naturalistes, tel Courbet, développent le goût du réalisme. Le dernier Delacroix est mal compris. Cela n’empêche pas la consécration du maître lors de l’exposition universelle de 1855, avec son entrée à l’Institut en 1857, ou, un peu plus tard, avec le transfert posthume de ses œuvres au Louvre.

Une influence majeure sur la seconde partie du XIXe siècle

Aussitôt après la mort de Delacroix, en 1863, son atelier dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés est vidé, le contenu dispersé et les locaux reloués. Pire, plus de soixante ans après la disparition du peintre, en 1928, on parle de destruction. Des artistes menés par Maurice Denis s’indignent et organisent une souscription pour racheter le site et en faire un musée. L’inauguration a lieu en 1932.

Delacroix est pour cette génération une grande figure tutélaire. Cependant, il est difficile de voir en lui un précurseur des peintres fondateurs du musée avec lesquels il n’a, en réalité, à peu près rien en commun. Sa filiation avec eux est probablement d’un autre ordre. En effet, année après année, Delacroix laisse de nombreux écrits, notamment un journal, publié en 1993. Ce texte permet de partager la vie d’un grand créateur, ses doutes et ses intuitions. De nombreuses personnes, au début du XXe siècle, s’identifient ainsi au personnage de Delacroix davantage qu’à son héritage artistique. Il incarne l’artiste. L’exposition actuelle donne un intéressant aperçu de ses manuscrits.

La véritable postérité de Delacroix se situe probablement dans des mouvements négligés de nos jours, mais qui ont une large extension dans la seconde partie du XIXe siècle. Je veux parler des peintres dits pompiers, académistes ou symbolistes. Le goût de Delacroix pour une facture matiériste s’épanouit particulièrement chez eux. Sa propension aux grandes machines et aux sujets imaginatifs, voire délirants, s’y retrouve également. Comment ne pas y penser en regardant son Apollon vainqueur du serpent Python ou son Sardanapale ? De même, la proximité entre son Entrée des Croisés dans Constantinople et la toile de Benjamin-Constant L’Entrée du sultan Mehmet II dans Constantinople parle d’elle-même. On pourrait multiplier les exemples. Toujours est-il qu’en parcourant l’exposition présentée au Louvre, on a le sentiment que ce peintre, relativement isolé dans la première partie du XIXe, a significativement contribué au foisonnement d’artistes qui ont marqué la seconde partie de ce même siècle. On doit donc beaucoup à Delacroix.

À voir absolument : « Delacroix », musée du Louvre, jusqu’au 23 juillet.

Delacroix: Peindre contre l'oubli

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« Jouer au bowling nu, ce n’est pas faire de l’exhibition sexuelle »

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Cédric Amato sert le vin au restaurant nudiste O"naturel, Paris. ADP. GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP.

Le naturisme n’a jamais été autant à l’honneur à Paris. Avec la bénédiction d’Anne Hidalgo, par le vote communautaire alléchée, les 88 000 naturistes d’Île-de-France bénéficient d’un espace au bois de Vincennes, d’une journée nationale, d’une matinée spéciale au Palais de Tokyo, de spectacles et autres restaurants où se sustenter sans chemise ni pantalon. Pour comprendre les tenants et aboutissants du phénomène, Cédric Amato, vice-président de l’Association des naturistes de Paris, a répondu aux questions de Causeur. Entretien. 


Daoud Boughezala. A seulement 27 ans, vous êtes vice-président de lAssociation des naturistes de Paris. Comment êtes-vous venu à cette pratique ?

Cédric Amato. Ne venant absolument pas d’une famille de naturistes, je m’y suis mis à 18 ans par un premier essai avec des amis sur une plage de Vendée dans la plus grande discrétion. Puis j’ai fini par revenir dans ces endroits naturistes dont j’ai adopté systématiquement la pratique. Et ce n’est qu’en février 2017 que je me suis engagé dans une association. Habitant Paris, j’étais en quête de lieux où pratiquer le naturisme en dehors des vacances. Il faut savoir qu’avec 2,6 millions de visiteurs naturistes chaque année la France est la première destination naturiste au monde.

J’ai rencontré un responsable politique connu, un sous-préfet, des ouvriers, et des chefs d’entreprise naturistes.

Comment définiriez-vous le naturisme ? Est-ce une contre-culture, une philosophie de vie, une idéologie ?

Le naturisme est à la fois une pratique et un mode de vie. Autrefois perçu comme minoritaire, il se définit par le fait d’être nu mais ne s’y réduit pas. Pratiquer le naturisme, c’est avoir le goût de la liberté et du plaisir, cultiver un certain rapport à la nature, au corps et aux autres. Contrairement aux idées reçues, le naturisme est détaché de toute pratique sexuelle. Au contraire, la nudité désexualise en banalisant la vue des corps nus, ce qui fait disparaître toute tentation perverse là où une tenue vestimentaire donne envie d’en voir plus. J’y vois des vertus sociétales très positives. Le naturisme m’a ainsi permis de faire des rencontres que je n’aurais pas pu faire ailleurs. Par exemple, j’ai rencontré un responsable politique connu, un sous-préfet, des ouvriers, et des chefs d’entreprise. Quelle que soit la catégorie sociale, c’est une pratique en plein essor qui satisfait de plus en plus de monde.

A Paris, nest-ce pas un loisir plutôt réservé aux catégories supérieures ?  

On voit de tout. Notre association comporte par exemple une soixantaine d’étudiants et des jeunes femmes entre 18 et 35 ans. A travers l’organisation d’événements culturels comme la visite naturiste du Palais de Tokyo le 5 mai ou le premier spectacle humoristique naturiste de Paris, on attire des profils qu’on n’aurait jamais réussi à capter auparavant. Nous sommes régulièrement contactés par des gens qui souhaitent pratiquer le naturisme en milieu urbain à Paris, ainsi que par des sociétés et des bars qui proposent de nous accueillir. Au total, nous sommes 88 000 naturistes en Île-de-France !

Au bois de Vincennes, j’ai vu une femme voilée qui a fini par enlever le bas tout en restant dans son coin.

Et cette année, la mairie de Paris vous offre 7300 mètres carré despace naturiste dans le bois de Vincennes durant six mois. Au vu de la population interlope qui traîne dans le quartier, ne craignez-vous pas des altercations avec des individus issus de cultures plus pudibondes que la nôtre ?

Même si l’espace nudiste du bois de Vincennes n’est pas clôturé, il faut aller le chercher pour le trouver. Evidemment, des promeneurs auront la surprise de le trouver mais nous sommes ouverts aux autres. Pendant les six semaines de la phase d’expérimentation l’an dernier, nous avons connu un plein succès. Le 15 octobre, nous étions 730 ! Certes, les différentes cultures peuvent parfois ne pas se comprendre mais les plus curieux sont les bienvenus. Nous ne sommes pas communautaires car nous n’imposons pas la nudité aux autres. J’ai même vu une femme voilée qui a fini par enlever le bas tout en restant dans son coin. Bien que le naturisme soit devenu une pratique occidentale, nous n’entendons pas imposer notre culture. Réciproquement, nous respectons toutes les cultures dans leur pratique.

En attendant, vous semblez être dans les petits papiers de la mairie de Paris. Les événements naturistes se multiplient dans la capitale : cours de yoga, tournoi de bowling nu, première Journée Parisienne du Naturisme, séances naturistes à la piscine. Si Anne Hidalgo vous caresse dans le sens du poil, est-ce parce quelle a pris conscience de votre poids électoral ?

Probablement. C’est un phénomène intéressant. Nous sommes un électorat potentiellement puissant bien que nous ne votions pas tous de la même façon. Anne Hidalgo nous soutient mais ce n’est pas la seule personnalité politique à le faire. Quand nous avons annoncé l’ouverture d’un lieu naturiste au bois de Vincennes, aucun politicien ne s’y est opposé. Tous les partis politiques sont même venus nous saluer, qu’ils viennent du camp progressiste ou autre. D’ailleurs, nous lançons la première édition de la Journée Parisienne du Naturisme le 24 juin 2018. Cette journée aura lieu chaque dernier dimanche de juin pour défendre la pratique du naturisme et combattre les idéologies et stéréotypes un jour symbolique dans une ville qui est très observée dans le monde. Nous intéressons le monde entier car nous exprimons un besoin de nudité, bien au-delà d’une simple mode.

Sauf mesure exceptionnelle, il est tout à fait légal de se promener nu dans les rues de Madrid.

Et pour assouvir ce « besoin », vous portez une revendication : faire modifier larticle 222-32 du Code pénal qui punit dun an demprisonnement et de 15 000 euros damende lexhibition sexuelle imposée à la vue dautrui. Comprenez-vous quon considère lexhibition comme une forme agressive de prosélytisme, notamment à l’égard des enfants ?

La loi n’emploie pas le terme approprié et aboutit à des amalgames que nous souhaitons casser. Jouer au bowling ou au volley-ball nu n’est en aucun cas une exhibition sexuelle. Nous réclamons une considération légale de la nudité. A cette fin, nous voulons contacter le Premier ministre pour lui soumettre notre demande de modification de la loi. Si vous passez nu devant votre fenêtre et que votre voisin vous voit, si vous désirez prendre un bain de soleil nu dans votre jardin et que vous êtes visible,  vous tombez sous le coup de cet article de loi. La France ferait bien de s’inspirer du modèle espagnol car la législation adoptée après la mort de Franco fait de la nudité un droit. Sauf mesure exceptionnelle, il est tout à fait légal de se promener nu dans les rues de Madrid même si les gens s’abstiennent de le faire par respect pour les autres. Ici, seul un arrêté municipal peut nous autoriser à nous balader nus. De plus, il est important de dire que les enfants ne sont pas perturbés par la nudité et que c’est l’éducation inculquée par les parents qui fait la différence. De très nombreuses familles pratiquent le naturisme avec des enfants de tout âge.

A long terme, rêvez-vous dune société où tout le monde pourrait vivre nu au travail, à luniversité et dans la rue ?

Nous souhaitons une société de tolérance, sans imposer aux autres quoi que ce soit. Cela ne passe pas forcément par une majorité de naturistes. A ceux qui veulent vivre nus de pouvoir le faire. Dans notre esprit de liberté, chacun peut vivre comme il l’entend.

Université: la révolte des bac + zéro

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Manifestation contre la sélection à l'entrée des universités, Paris, 15 mars 2018. ©Julien Mattia

Refusant toute sélection à l’entrée de l’Université, les étudiants en lutte d’avril 2018 entendent retrouver le souffle de Mai 68. Mais leur gloubi-boulga gauchiste mêle égalitarisme abstrait et revendications islamo-différentialistes qui auraient glacé d’effroi leurs aînés. De Nantes à Toulouse, tour d’horizon des facultés.


A lire aussi: Gauche belge: vivre ensemble, mais sans les Juifs?

Saint-Denis, Tolbiac, Toulouse, Avignon, Nanterre, Strasbourg, Montpellier, Rouen, Nantes, Rennes… La contestation étudiante contre la loi sur l’orientation et la réussite des étudiants (ORE), promulguée le 8 mars touchait mi-avril une dizaine d’universités, à des degrés divers. Point de cristallisation du mouvement, les dispositions instaurant une forme de sélection à l’entrée du supérieur. Les opposants à la réforme y voient un détricotage profondément inégalitaire de la loi Faure de novembre 1968, arrachée au pouvoir par la contestation étudiante de l’époque.

La référence à Mai 68, à cinquante ans exactement d’intervalle, est omniprésente dans le mouvement actuel. Une main anonyme a tagué le slogan le plus connu de Mai, « Sous les pavés, la plage », sur les murs de l’université parisienne de Censier. Paris-Plage démarrant dans dix semaines, la formule a désormais le potentiel subversif d’une affiche de marketing territorial. Ce n’est pas la seule différence entre les deux printemps. Les reporters de Causeur se sont promenés dans quelques universités. Loin d’être un mouvement de masse, comme celui de 1968, l’effervescence actuelle repose sur une base fort étroite : quelques dizaines d’étudiants par site bloqué, quelques centaines, tout au plus, pour des universités comptant parfois plus de 50 000 inscrits.

Pour le droit à la séparation des sexes

Les revendications centrales sont diamétralement opposées. Les étudiants du siècle dernier réclamaient des changements, ceux d’aujourd’hui se battent pour le statu quo. En Mai 68, la jeunesse universitaire se dressait contre les mandarins. En 2018, 63 présidents d’université publient une tribune dans Le Monde pour appeler le gouvernement à concéder des aménagements à la loi. Sans parler de ceux qui délivrent des « cours alternatifs » dans les amphis occupés.

Mai 68, selon la légende, a commencé quand les étudiants de Nanterre, représentés par Daniel Cohn-Bendit, ont demandé le droit de pénétrer dans la cité U réservée aux étudiantes. Cinquante ans plus tard, à Saint-Denis Paris-VIII, un « atelier d’autodéfense non mixte féministe » est programmé par les contestataires, ainsi que des soirées « sans mecs cis-hétéro ». Le « collectif féministe racisé.e.s » de l’université de Nantes organisait le 12 avril une réunion interdite aux hommes blancs.

Les bourrasques de Mai 68 mélangeaient tout. Le mouvement actuel tente de redonner une modernité aux clivages les plus archaïques. Du reste, rien n’indique que cette logique séparatiste séduise une frange significative d’étudiants. Selon nos informations, les conférences non mixtes ont surtout provoqué la colère et les rires, au moins à Tolbiac. Combien d’étudiants, du reste, prennent réellement ce mai 2018 au sérieux ? En définitive, la vraie vedette du blocus de Tolbiac (26 mars-20 avril), le plus haut fait d’armes de ce morne printemps, aura été le « Chien Guevara » et son compte Twitter parodique, presque aussi amusant que l’Internationale islamo-situationniste (IIS) de Saint-Denis.

Un nouveau venu dans le paysage militant apprécie sans doute modérément l’humour de l’IIS : le syndicat des Étudiants musulmans de France (EMF). À l’université d’Orléans, le 27 mars, cette association se référant explicitement à l’islam et défendant le port du voile a remporté 20 % des suffrages. Elle siégera au conseil d’administration. On peut y voir une conséquence de la déliquescence de l’UNEF, mouvement gavé de subventions, sans troupes et sans idées. En dehors des groupes de parole non mixtes et de l’écriture inclusive, le « refus de la sélection » aura été le leitmotiv de l’ex-grand syndicat. Preuve que celui-ci est résolument hors-sol, déconnecté de la réalité des étudiants.

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Gauche belge: vivre ensemble, mais sans les Juifs?

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Le dirigeant socialiste blege Elio Di Rupo alors Premier ministre, Liège, 2014. Sipa. Numéro de reportage : AP21606028_000016.

En Belgique, entre la lutte contre l’antisémitisme et leur réélection, certains dirigeants socialistes ont (mal) choisi.


De petite phrase en petite phrase, d’allusion à insinuation, la campagne électorale belge poursuit son cours. Et la petite musique qui s’en dégage devient de plus en plus inquiétante. Ainsi, le président du Parti socialiste Elio Di Rupo, a déclaré : « La Belgique ne peut pas être gouvernée comme elle l’est aujourd’hui : uniquement pour les plus riches et les plus puissants. C’est une Belgique des diamantaires anversois qu’on a aujourd’hui alors que nous avons besoin d’une Belgique plurielle. » Et comme chacun sait, on trouve bien peu de Berrichons parmi les diamantaires anversois

35 000 contre 600 000 : le match est plié

Petit parti faisant office de strapontin au même PS, DéFi s’est également fait remarquer par un tweet de son ancien président, Georges Clerfayt, après que de nombreuses voix se sont étonnées du choix de Ken Loach comme docteur Honoris Causa de l’ULB au vu de ses prises de position qualifiées d’antisémites: “Ken Loach a bien mouché Ch.Michel[tooltips content= »Le Premier ministre belge Charles Michel »]1[/tooltips] à l’ULB, lequel a raté une fois de plus l’occasion de se taire! Quand pourra-t-on l’entendre s’élever contre les crimes d’Israël (sic) envers les Palestiniens? Il est vrai qu’en Belgique, les électeurs juifs sont beaucoup plus nombreux! ». Propos grotesque, d’ailleurs si l’on sait que la Belgique totalise environ 35 000 Juifs contre 600 000 citoyens d’origine arabo-musulmane.

Ces deux déclarations, assez atterrantes, à quelques jours d’intervalle, ont secoué la Belgique et agité les réseaux sociaux. Elles sont d’autant plus hallucinantes qu’au même moment, sur l’autre rive du Quiévrain, 300 intellectuels, artistes ou élus français ont signé un manifeste dénonçant le nouvel antisémitisme porté par une certaine lecture de l’islam…

La chasse aux sorcières n’est pas la solution

Qu’en conclure ? Soit nous nous acheminons vers une nouvelle chasse aux sorcières, traquant les traces d’antisémitisme dans les déclarations les plus anodines. L’humoriste Laura Laune en a fait les frais, pour une blague de potache, ciblée comme antisémite, alors qu’elle dézingue toutes les confessions avec une identique causticité. Soit les partis, s’adonnant au clientélisme électoraliste en vue de récolter les voix musulmanes ont été largement contaminés par cet antisémitisme coranique dénoncé en France.

Quoi qu’il en soit, il convient de rappeler que si les Juifs sont très minoritaires en Belgique, ils sont sur-représentés parmi les victimes des agressions à caractère raciste.

Normale Sup: l’école (aussi) occupée par l’écriture inclusive

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Manifestation d'étudiants de l'Ecole normale supérieure, le 3 mai 2018 à Paris. ©CHRISTOPHE SIMON / AFP

Dans La Mecque des lettres françaises, l’écriture inclusive fait sa loi ! 


L’écriture inclusive est très fréquente chez les étudiants qui portent la contestation contre la loi ORE. Elle fait également fureur à l’École normale supérieure, au grand désarroi d’un de ses élèves, qui s’exprime ici sous le pseudonyme de Louis Varlot :

« Tout le monde se soumet, même ceux qui n’en auraient jamais eu l’idée sans cela, même ceux que cela agace prodigieusement. Et ceux qui se refusent à l’employer doivent s’ingénier à trouver des tournures et des synonymes qui neutralisent les problèmes. Cette douce contrainte touche également les messages collectifs sur Facebook, pour lesquels les malheureux qui ne seraient pas encore des Mozart du point médian et qui se tromperaient un peu dans son usage se font sermonner vertement par d’implacables vigies, tandis que les enseignants les plus rétifs finissent par avouer timidement et presque honteusement qu’ “[ils] n’y arrive[nt] pas”. Et gare à celui qui se risquerait à faire un peu d’humour sur le sujet. L’équipe dirigeante, quant à elle, a basculé depuis bien longtemps. Refusant de hacher menu la fin des mots, le directeur préfère la drolatique formulation “chers et chères collègues”, qui a pour elle de faire irrésistiblement penser au fameux “Françaises, Français, Belges, Belges” de Pierre Desproges. […] L’école a aussi ses pauvres : elle subventionne grassement et en pure perte, à travers le pôle PESU (Programmes pour l’égalité scolaire et universitaire), des “lycées de la politique de la ville” dont les élèves oscillent entre bonnes volontés mâtinées d’illettrisme et démotivation absentéiste. Ce pôle, qui sert surtout à exorciser la mauvaise conscience d’une des écoles les plus sélectives de France, est tout acquis à la doxa pédagogiste et on y organise même des conférences dans lesquelles ce sont les élèves de quatrième qui expliquent aux enseignants ou futurs enseignants ce qu’il faut faire : “Comment les collégien.ne.s envisagent-iels leur propre scolarité ? Que pouvons-nous changer pour apprendre mieux et à tou.te.s ?” s’interrogent les affiches… »

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Natalité: Macron ne donne pas envie de faire des petits

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Emmanuel Macron au Noël des enfants de l'Elysée, décembre 2017. SIPA. 00836017_000032

L’élection d’Emmanuel Macron n’a pas redonné confiance aux Français. Les chiffres de ses premiers pas sont tombés: ils font toujours moins de bébés.


La réussite (ou l’échec) d’un président de la République est souvent mesurée à l’aulne de l’évolution d’indicateurs économiques : PIB, chômage, emploi, niveau de vie, investissements réalisés par les entreprises, finances publiques, etc. Des indicateurs plus « sociaux » sont également utilisés : taux de criminalité et de délinquance, taux de pauvreté, indices d’inégalité de revenus, classements internationaux en matière de performances scolaires, et ainsi de suite. Et, bien entendu, des enquêtes d’opinion sont menées en grand nombre sur l’action et la personne du président. En revanche, il n’entre absolument pas dans les habitudes de recourir à un indicateur démographique. Ceci est regrettable pour au moins deux raisons.

Faire des enfants, c’est avoir confiance en l’avenir

La première est l’importance de la démographie, et particulièrement des naissances : c’est d’elles que dépend au premier chef l’avenir à long terme de notre pays. A la Libération, le général de Gaulle a très justement lancé un avertissement : s’il devait s’avérer, malgré la victoire, que la natalité restait faible, insuffisante pour assurer le renouvellement des générations[tooltips content= »Ce renouvellement requiert, abstraction faite des mouvements migratoires, un indicateur conjoncturel de fécondité (ICF) au moins égal à 2,07 enfant par femme. Jusqu’en 1974, y compris cette année-là pour laquelle l’ICF fut égal à 2,14, cette condition fut remplie. Depuis lors, l’ICF français n’a plus jamais atteint 2,07. En 2017, pour la France métropolitaine (la valeur France entière est connue plus tardivement), il a valu 1,85. La croissance de la population est due à deux autres phénomènes : l’allongement de la durée de vie moyenne, et une immigration supérieure à l’émigration. Hélas, la croissance de la longévité n’a pas été gérée intelligemment (l’abaissement de l’âge de la retraite à 60 ans en 1982 a privé la France des bénéfices qu’elle aurait pu en tirer), et la qualification des immigrés n’est pas, en moyenne, suffisante pour compenser la déperdition de compétences due à l’émigration. »]1[/tooltips], « la France ne serait plus qu’une grande lumière qui s’éteint ». Et, de fait, si la France a retrouvé une place honorable dans le concert des nations, c’est bien, dans une large mesure, parce que les « trente glorieuses » ont été pour notre pays une période de forte natalité.

La seconde raison qui pousse à recourir aux données démographiques, comme aux données économiques et sociales, pour évaluer la performance d’une équipe dirigeante, c’est que la « mise en route » des futurs citoyens est un indicateur important de confiance dans l’avenir, et donc dans les personnes qui gouvernent le pays. Une vision optimiste du gouvernement de la France incite à mettre des enfants au monde car nous avons envie que nos enfants soient heureux, et donc qu’ils grandissent dans un pays ayant des dirigeants qui s’occupent efficacement du bien commun. La relation entre l’opinion que nous avons de nos gouvernants et la natalité est certes complexe, mais il n’est pas absurde de considérer que, dans un pays développé, une bonne natalité signifie plutôt une bonne opinion – et une faible natalité, une opinion médiocre.

Test de grossesses

D’un point de vue objectif, si la vitalité démographique n’est pas retenue comme l’un des critères de réussite de nos gouvernants, alors il n’y a pas davantage de raison de prendre comme critère la production ou l’investissement : non seulement l’homme est plus important que les biens et services, mais il est vrai aussi que, pour ce qui est du futur à long terme de la production, l’investissement dans la jeunesse est le plus décisif de tous les investissements.

La naissance d’un enfant survient en moyenne 9 mois après sa conception. Emmanuel Macron ayant été élu le 7 mai 2017 et étant entré en fonction une semaine plus tard, le nombre des naissances du mois de mars 2018, qui correspondent aux conceptions réalisées en juin 2017, constitue la première information disponible pour apprécier, sinon l’action de nos dirigeants, du moins l’impact que leur accession aux postes de commande a eu sur le moral des couples en âge de procréer.

Macron n’inverse pas la courbe de Hollande

L’INSEE fournissant généralement le nombre des naissances du mois N à la fin du mois N+1, du moins pour la France métropolitaine (les chiffres France entière ne sont disponibles que nettement plus tard), le chiffre du mois de mars vient d’être publié : 56 300 naissances vivantes.

Ce test est négatif : l’élection d’Emmanuel Macron n’a provoqué aucun sursaut démographique

En effet, l’orientation baissière perdure et s’accentue. Cette baisse a débuté en 2010, et s’est accélérée en 2015. Depuis quelques mois, une nouvelle accélération est en cours, qui est particulièrement visible lorsqu’on indique pour chaque mois le nombre moyen de naissances par jour, ce que fait le tableau suivant :

tableau naissances

Durant les six derniers mois, la chute du nombre journalier des naissances est effrayante : en cinq mois (puisqu’octobre 2017 est le mois de référence), ce nombre diminue de 11,9% ! Mais tout aussi inquiétante est l’accélération de la chute en mars 2018 : 3,5 % en moins, d’un mois sur l’autre, est un pourcentage tellement élevé qu’on pourrait se demander si le chiffre indiqué (à titre provisoire) par l’INSEE n’est pas légèrement entaché d’erreur. En tout cas, dans l’état actuel des statistiques de naissances, on ne saurait dire que les jeunes ménages français ont été rendus plus optimistes par l’élection d’Emmanuel Macron : la désespérance observée à travers la lunette démographique pour les trois dernières années de la présidence Hollande, et tout particulièrement pour ses quatre derniers mois, chargés en inquiétudes électorales, ne semble nullement avoir été enrayée par l’élection de notre jeune président.

A lire aussi: Mais si, François Hollande a inversé une courbe: celle de la natalité

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Violences: comme un pavé dans la mare du président

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Un pavé sur les bords de la Seine à paris, 1er mai 2018. SIPA. 00857106_000052

Emmanuel Macron avait l’intention d’incarner le parti de l’Ordre. Mais les violences du 1er mai ont sérieusement écorné l’image qu’il comptait renvoyer, au point de voir resurgir l’ombre d’un ancien président…


La semaine du fameux match opposant Emmanuel Macron au duo autoproclamé  « irrévérencieux » Bourdin-Plenel – qui, à leur corps défendant, a bien profité au président – le locataire de l’Elysée avait programmé une séquence. Dès le lundi matin, avant même que nous apprenions qu’il irait se mesurer aux vedettes de Mediapart et BFM TV, les forces de police s’approchaient de Notre-Dame-Des-Landes. Il devait aussi aller le jeudi midi discuter avec Jean-Pierre Pernaut, l’homme qui murmure à l’oreille des retraités de France. Toute la semaine était placée sous le signe du parti de l’Ordre, comme on disait au mitan du XIXe siècle. Autorité et Réconciliation, nous susurrait-on du côté du Château.

Le parti de l’Ordre vacille déjà

Bref, il s’agissait de gagner des points à droite, d’étouffer Laurent Wauquiez, dont on craint qu’il n’arrive peu à peu à reconstituer le socle réuni par François Fillon il y a un an. Qui sait si ces vingt points ne suffiront pas, en 2022, pour accrocher le strapontin du second tour ? Avec une abstention forte des Insoumis, prônée par ses dirigeants, ce serait alors gagné pour l’homme à la parka rouge. Il fallait donc priver Wauquiez d’oxygène immédiatement. L’isoler, le pilonner, le moquer, le trianguler, aller sur son terrain. Le sondage indiquant le président de LR à 8% arrivait à point, juste après ladite séquence. « Jupiter » pouvait savourer son bon coup, sous les vivas de la foule médiatique.

Sauf que.

Lorsqu’on joue à incarner le parti de l’Ordre, il faut pouvoir l’assumer au-delà d’une séquence d’une semaine et deux émissions de télé réussies. Et de quoi s’aperçoit-on depuis quinze jours ? Notre-Dame-Des-Landes n’a toujours pas été évacuée de ses zadistes ; les images de Tolbiac vandalisée ont été vues par toute la France ; du côté de la frontière franco-italienne, Génération Identitaire joue aux garde-frontières, sous le regard passif du ministre de l’Intérieur ; et des centaines de militants cagoulés s’installent en tête de la manif du 1er mai, et commettent leurs exactions habituelles. Ce printemps 2018 n’est pas terminé que le parti de l’Ordre vacille déjà.

Chienlit, Kärcher et Jupiter

Cette perception ne se traduira pas immédiatement dans les études d’opinion mais l’idée qu’il vacille avance imperturbablement. Le charisme et l’énergie du ministre de l’Intérieur commencent à être mis en cause et il se pourrait bien que cela soit en partie injuste. Celui qui a voulu s’ériger en parti de l’Ordre, et le marteler dans cette première quinzaine d’avril, c’est « Jupiter » lui-même. Jupiter contre la chienlit ! Et si la chienlit s’installe, c’est donc Jupiter qui sera le seul responsable. Le seul coupable.

Il me revient une expression célèbre. Un ministre de l’Intérieur, qui ne pensait pas à l’Elysée qu’en se rasant, avait un jour évoqué la volonté de passer le Kärcher dans des territoires perdus de la République. Il avait tout fait pour qu’on l’associe à cet outil de nettoyage germanique. Il n’est pas complètement impossible que cela put l’aider à accéder au pouvoir suprême quelques années plus tard. Mais le Kärcher fut remisé dans un placard. Et, dans l’électorat populaire, on a beaucoup dit en 2012 que le président sortant n’avait pas perdu parce qu’il avait voulu passer le Kärcher, mais parce qu’il y avait piteusement renoncé. On évoque souvent les bonnes relations entre Emmanuel Macron et cet ancien président. Sans doute ce dernier aurait pu mettre en garde l’actuel chef de l’Etat. Malheureusement, il aurait fallu que lui-même, pour prodiguer un tel conseil, ait quelque capacité à l’autocritique.

Evidemment, comme le style de Nicolas Sarkozy – tout le monde l’aura reconnu, sous son loup – et celui d’Emmanuel Macron sont fort différents, le parallélisme des situations n’est pas parfait. « Jupiter » se meut bien plus en douceur, dans le style gaullo-mitterrandien. Mais l’intention était malgré tout la même. Incarner l’Ordre. L’Autorité de l’Etat. Qu’on le fasse en plastronnant ou lors d’une séquence de communication réussie, il faut pouvoir assumer derrière. Dans le cas contraire, tout cela apparaît tôt ou tard, comme un lancer de boomerang mal ajusté. Et il n’est pas facile de rattraper l’objet dans ces conditions.

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