Accueil Site Page 1643

Au Québec, des agents anti-préjugés sur les migrants

Le politiquement correct a connu une évolution. Il y a quelques années, la police de la pensée se contentait encore de maquiller les faits, de travestir la réalité pour la rendre plus conforme à la mythologie multiculturaliste. Il fallait embellir tout ce qui touche à la diversité culturelle, agrémenter le quotidien de petites histoires exotiques et touchantes qui persuaderaient la population des nombreux bienfaits de l’immigration. Il fallait rehausser le goût du vivre-ensemble avec quelques épices idéologiques.

Les oubliées de Telford

Mais aujourd’hui, la vérité même est devenue oppressive et discriminatoire pour les tenants de l’antiracisme raciste. Il ne s’agit plus seulement de « corriger » la réalité, mais de la nier complètement. Dans l’actualité récente, plusieurs exemples témoignent de l’instauration de ce régime orwellien. Les multiculturalistes ont décidé qu’ils étoufferaient tous les faits susceptibles de troubler le nouvel ordre public.

En mars dernier, la presse française nous apprenait qu’environ 1000 filles mineures avaient été régulièrement violées par les membres de gangs indo-pakistanais dans la ville de Telford en Angleterre. Enfin totalement révélée par le magazine Sunday Mirror, l’histoire demeure emblématique du climat de censure qui prévaut dans les pays occidentaux. Sur une période de 40 ans, des hommes issus de l’immigration ont battu, drogué et exploité sexuellement des jeunes filles blanches, vulnérables, qui n’avaient parfois pas plus de 11 ans. De l’esclavage sexuel reposant sur l’origine ethnique dans un pays où l’élite intellectuelle prétend représenter le progrès, le féminisme et la justice sociale.

A lire aussi: Telford: silence, on viole !

Pendant toutes ces années, les corps policiers ont choisi de ne pas intervenir. On a préféré fermer les yeux sur cette affaire pour ne pas remettre en cause le sacro-saint multiculturalisme. Par crainte d’être considérés comme racistes, les autorités ont fait preuve d’une lâcheté innommable, faisant passer la protection de criminels avant celle de jeunes adolescentes appartenant à la classe populaire. Si l’Angleterre est vraiment traversée par la xénophobie comme l’assurent plusieurs chroniqueurs dans ce pays, elle l’est aussi (voire surtout) par une xénophilie maladive cautionnant la pire barbarie.

La police de la pensée existe (pour de vrai)

L’actualité fournit des dizaines d’exemples de cette négation du réel au nom de l’ouverture à l’Autre. Mais au Québec, une nouvelle en apparence irréaliste illustre particulièrement bien cette dérive. Le 26 avril dernier, les médias rapportaient « qu’une nouvelle approche pour contrer les préjugés » allait bientôt être testée à Montréal. Inspiré par un projet mené à Barcelone, le Bureau d’intégration des nouveaux arrivants de Montréal a décidé qu’il enverrait des agents parcourir les rues de la métropole afin de combattre les préjugés racistes et xénophobes de la population québécoise.

Ce n’est pas une fake news : pour faire taire les rumeurs selon lesquelles l’immigration est devenue problématique, des experts ont eu la bonne idée de mettre sur pied des escouades de chaperons endoctrineurs.

Les opinions contraires ne sont plus seulement dévalorisées, censurées ou dénigrées : il s’agirait de les supprimer là-même où les gens les expriment dans le confort de leur intimité. Questionné par Radio-Canada, le responsable du projet initial mené à Barcelone, Daniel Torres, affirmait que « l’une des meilleures manières de combattre les préjugés était d’intervenir dans la vie de tous les jours, auprès de nos amis, de nos collègues, de notre famille ». M. Torres n’a toutefois pas précisé que sa démarche rappelait celle des pires régimes dictatoriaux… Exit le pluralisme et le libéralisme. Place à la dictature de l’immigrationnariat.

Supprimer « frontières »

De manière générale, plusieurs autres réalités sont jugées suspectes, et donc contestées et démenties par les grands chevaliers de la rectitude politique. Ce n’est plus le maintien ou la défense des frontières qui pose problème, mais leur existence même. Le seul fait d’évoquer la crise migratoire fait de vous un infréquentable. Une crise dont on ne peut pas prononcer le nom, sous peine d’être excommunié.

A lire aussi: Au Québec, un colloque sur la radicalisation… des islamophobes

Pour prévenir la montée du terrible sentiment xénophobe, il faudrait ne plus parler des démarcations qui séparent les pays depuis des siècles sur la carte, mais aussi de l’illégalité dans laquelle se trouvent actuellement des milliers d’immigrés. Au Québec, les bien-pensants ont inventé un nouveau terme : l’immigration « irrégulière ». Les immigrés illégaux n’existent plus. Par la magie du politiquement correct, ils sont devenus « irréguliers ».

La face cachée du multiculturalisme

Price: 22,00 €

17 used & new available from 15,26 €

Enfin un documentaire sur (tous) les esclavages!


Loin des demandes de repentance et de l’esprit de la (première) loi Taubira, Arte diffuse en ce moment une série documentaire sur l’esclavage qui n’oublie pas les traites que d’autres ont occultées… 


Regarder Arte est fréquemment une épreuve. À 20 heures lorsque qu’on s’affale devant la télé, il y a la pire émission du paf les « 28 minutes » d’Élisabeth Quin. Sa vision vous expose à l’absorption d’une dose létale de doxa nécessitant une mise immédiate à l’abri. Heureusement, il y a ce que l’on appelle le « replay » dont il faut aller de temps en temps consulter les programmes. On y trouve des pépites comme la récente série de quatre documentaires intitulée Les routes de l’esclavage.

Superbes séquences filmées, animations particulièrement réussies, interviews d’universitaires érudits, les quatre documentaires bénéficient aussi d’une construction chronologique qui en accentue la clarté. Le premier épisode s’attache à décrire ce que fut la traite arabo-musulmane, les trois autres détaillent l’émergence, la maturité et le déclin de la « traite atlantique » nommée comme telle, car les routes étaient essentiellement celles de l’Atlantique pour alimenter le Nouveau Monde en esclaves. Intéressé par le sujet, j’avais déjà lu un certain nombre d’ouvrages et en particulier ceux d’Olivier Pétré-Grenouilleau et celui de Tidiane N’diaye, Le Génocide voilé.

Taubira ne va pas aimer

J’étais un peu méfiant compte tenu des polémiques qui avaient accompagné la publication de ces livres et les insultes et les procès d’intention ou carrément judiciaires dont avaient été victimes les auteurs. Et surtout, à cause du battage communautariste qui avait suivi l’adoption de la loi de 2001 dont Christiane Taubira était rapporteur. La concurrence mémorielle faisait florès, malheur à ceux qui voyaient une différence de nature entre la Shoah-génocide et la traite-crime contre l’humanité. Jamais en retard d’une mauvaise action, Christiane Taubira, insista pour que la traite arabo-musulmane échappe à l’opprobre. À ceux qui l’interrogeaient sur cette absence, elle avait répondu par cette formule stupéfiante : « Il ne faut pas que les jeunes Arabes portent sur leur dos tout le poids de l’héritage des méfaits des Arabes ». En revanche, les jeunes blancs, ils ont des dos plus solides, c’est ça ? Mes craintes étaient infondées, même s’il y a des sujets de débat, des approches peut être discutables, l’ensemble est d’une grande honnêteté.

Après un rapide rappel de l’esclavage dans l’Antiquité, le premier chapitre porte donc sur la traite arabo-musulmane, sa longueur (1300 ans), ses spécificités, sa violence et les conséquences terribles sur les sociétés africaines. Et l’on comprend mieux que le monde arabe soit encore aujourd’hui le lieu des pires exploitations et de fréquentes résurgences de la violence esclavagiste. Les trois épisodes suivants examinent les causes et les modalités de l’installation et du développement de la traite atlantique. S’articulent alors causalités et corrélations, dans un enchevêtrement structuré par la colonne vertébrale de l’émergence du développement économique capitaliste occidental à partir du XVe siècle. Les débuts du deuxième millénaire de notre ère ont été marqués en Méditerranée par l’affrontement entre le monde arabo-musulman et le monde chrétien. En 1453, la prise de Constantinople par les Turcs ferme les routes du commerce européen vers l’Asie et pousse les nations de marins vers l’Atlantique, en direction de l’Afrique et du Nouveau Monde. À la recherche de l’or, ils y trouveront de la chair humaine. Remarquablement documentés et réalisés, ces épisodes nous donnent à voir comment dans un processus effrayant de réification, l’homme est devenu un outil. Et c’est là que se situe la différence avec la traite arabo-musulmane. Qui prive certes l’esclave de son humanité, mais lui en laisse quelques bribes. La violence se manifeste de diverses façons et elle nous apparaît aujourd’hui proprement intolérable, mais elle ne pousse pas jusqu’au bout certaines logiques de négation absolue, qui seront celles de la traite européenne.

Qui est né en premier: l’esclavage ou le capitalisme ?

Plusieurs civilisations avaient acquis au XIVe siècle les bases matérielles du passage au capitalisme et en particulier le monde arabe et la Chine. Pour des raisons sur lesquelles les débats entre spécialistes font rage, c’est l’Europe de l’Ouest qui a enclenché le processus. Pourquoi, comment ? Ce sont des discussions sans fin sur la poule et l’œuf. Pour savoir si c’est l’esclavage qui a permis comme on dit chez les marxistes, l’accumulation primitive de richesse et la création des structures de crédit et d’assurance indispensables à l’essor du capitalisme et à la révolution industrielle. Ou si c’est l’essor du capitalisme qui a permis l’instauration de la traite atlantique. Indiscutablement, la série penche pour la première hypothèse. On peut retenir la seconde, c’est mon cas.

Aldo Schiavone, professeur de droit romain et grand spécialiste de l’Antiquité a avancé, dans un ouvrage intitulé L’Histoire brisée, la Rome antique et l’Occident moderne, une hypothèse pour expliquer la chute de l’empire romain. Pour lui, c’est l’incapacité à accomplir le saut que nécessitait l’abandon du mode de production esclavagiste qui est à l’origine de l’effondrement. Et que la Renaissance, après la convalescence du Moyen Âge, n’est que la reprise d’une continuité enracinée dans l’antiquité romaine. Schiavone identifie trois obstacles au passage de Rome à un autre mode de production : le manque d’investissement, les limites de l’exploitation des forces de travail serviles et l’absence d’innovation. Ce qu’il formule de la façon suivante : « La disponibilité des capitaux (publics ou privés) et les possibilités technologiques ne se rencontrèrent jamais… à ceci s’ajouta un trait antimatérialiste qui allait conditionner toute la civilisation antique ».

C’est l’Occident qui a aboli l’esclavage

Les historiens interrogés dans les documentaires en question nous montrent justement qu’à partir du XVe siècle, les possibilités technologiques et les capitaux vont se rencontrer, et l’essor de la bourgeoisie européenne va faire sauter le verrou culturel. C’est l’entrée de l’Occident dans les eaux glacées du calcul égoïste. Car ce que montre de façon parfois terrifiante ces films, c’est le caractère implacable de ce calcul économique appliqué à l’esclavage. On a besoin de bras, on va déshumaniser par principe les hommes libres raflés ou achetés, et organiser leur servitude à partir des seuls critères de rentabilité et de profit. Au regard des acteurs de cette immense tragédie, les esclaves ne sont que des marchandises qui circulent puis des outils qui travaillent. Et rien d’autre. Cette déshumanisation des victimes de la traite, s’accompagne de celle de ceux qui l’exploitent, abandonnant tous les sentiments humains d’altruisme, de morale et de compassion. De façon dialectique, ce commerce va générer très tôt un malaise grandissant dans les sociétés européennes. Il apparaît très tôt face à cette terrible violence, on lui opposera des constructions idéologiques qui deviennent intenables les unes après les autres, et nous horrifient aujourd’hui. Avec son : « Périssent les colonies plutôt qu’un principe ! », Robespierre obtiendra le 16 pluviôse an II (4 février 1794), que l’esclavage soit aboli pour la première fois dans le monde. Car le paradoxe de cette traite atlantique c’est que le constat de son caractère inacceptable et la lutte pour son abolition sont venus des sociétés européennes elles-mêmes. Au travers de luttes parfois acharnées, motivées par l’humanisme mais aussi par la volonté de ces sociétés de se prétendre plus civilisées parce qu’ayant renoncé à cette barbarie. Constatons que le monde arabe n’a jamais effectué ce travail.

On achève bien les chevaux…

Il est difficile de ressortir de la vision de ces quatre épisodes sans un certain trouble. Car ils nous montrent tout ce qui a marqué la civilisation occidentale et y laisse aujourd’hui des blessures encore vives. Mais il n’est pas question de repentance, et je refuse cette prétention à de quelconques réparations financières. Il faut cependant regarder en face ce qui apparaît au travers de cette histoire de la traite atlantique : la violence intrinsèque du capitalisme dont l’Europe de l’Ouest a imposé le modèle au monde. Au XIXe siècle, parallèlement à la poursuite de l’esclavage dans les colonies, il y a eu l’accouchement de la révolution industrielle. D’une très grande violence à l’égard de populations rurales massivement et durement prolétarisées, ou forcées à émigrer, pour être ensuite jetées dans des guerres mondiales elles-mêmes industrielles. On n’oubliera pas les colonisations elles aussi marquées par la violence. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, on a pu voir un peuple civilisé et cultivé basculer dans une barbarie insensée. Avec un rétablissement massif de l’esclavage par le travail forcé des populations considérées comme inférieures et la déshumanisation absolue des juifs dans un génocide rationnel et industriel. La grande bourgeoisie allemande a non seulement porté Hitler au pouvoir mais, sachant tout, n’a eu aucun état d’âme à en profiter et à soutenir la pire des aventures criminelles.

Évidemment, la violence humaine n’est pas propre au capitalisme, le prétendre serait absurde. Mais dans ce domaine, ce mode de production n’a guère d’état d’âme. L’histoire de la traite atlantique en est une terrible démonstration.

Les traites négrières: Essai d'histoire globale

Price: 16,86 €

26 used & new available from 6,55 €

Robert Ménard contre la République des braillards


Robert Ménard a été physiquement agressé, le 5 mai, par des militants d’extrême gauche, alors qu’il se rendait à une conférence, organisée en Gironde, sur le rapprochement de la droite et de l’extrême droite. Le maire de Béziers a accusé les « locaux » du Parti socialiste, du Modem et de La République en marche d’avoir « encouragé » ses agresseurs.


Ils étaient venus, ils étaient tous là, en bande de convergents en lutte, tous ensem-bleu-ouais dans le rejet de l’autre, coagulés sous les banderoles de l’intolérance à la diversité des idées, rassemblés dans un assourdissant chant des partisans de la vingt-cinquième heure, telle une armée des ombres de feu leurs aïeux résistants, aux sons pénibles des casseroles, rameutés malgré leur dissonance par leurs partis, insoumis ou de gouvernement, avec un seul mot d’ordre, celui que des républicains autoproclamés persistent à brailler longtemps après la mort du franquisme et de Franco : il ne passera pas.

Du mou, du mou rien que du mou

Aux premières loges pour qu’aucune baffe ne se perde, il y avait ce qui restait de la gauche plurielle, Europe écologie les verts de rage, ces écolos qui avaient tout perdu, ramenés à l’état groupusculaire de leurs origines pour avoir laissé tomber les petits oiseaux et régularisé les sans papiers, suivis de près par les socialistes, ramenés en queue de peloton pour avoir abandonnés les travailleurs et dragué la diversité, et tous ne supportaient pas qu’il reste populaire et plébiscité, cet élu haut la main, qui ne perdait ni la confiance ni l’estime de ses concitoyens, ce populiste modeste qui s’était fait élire et se ferait probablement réélire en pratiquant cet électoralisme qui leur faisait horreur et qui consistait à écouter les gens, à répondre à leurs demandes, aux attentes désespérées de ces votants ingrats qui étaient la cause de leurs défaites, de leurs dégringolades, de leurs déconfitures, à eux, les incompris de l’avant-garde en voie de disparition, qui avaient tant fait et défait pour éduquer les masses, et pour leur apprendre à vivrensemble l’impossible, même si elles ne l’avaient pas demandé.

Un peu plus loin mais pas trop pour distribuer des coups bas, il y avait les modérés du Modem, ceux que les extrêmes et les aventurismes effrayent, pondérés par principe, tièdes par constitution, timorés du juste milieu, ces humanistes couilles molles et mous du genou, un peu perdus sans leur gourou, longtemps pressenti père de la nation mais resté maire de Lourdes, sorti des radars et bientôt effacé des mémoires, dégagé par un autre ni droite ni gauche, un autre au-dessus des partis, un président un peu différent et en même temps un peu pareil puisque tous deux étaient unis dans le combat audacieux qu’ils menaient pour sauver la France des dangers qui la menacent, c’est-à-dire à les entendre, le statut des fonctionnaires et l’épaisseur du code du travail, et dans une farouche détermination à appliquer les directives européennes. Ils étaient là les centristes, qu’on ne distinguait pas des autres lâches, décidés à montrer qu’ils en avaient, résolus à combattre le « fasciste », à cent contre un.

Insoumis au courage

Comme des clones en plus jeunes, comme remplaçants des centristes ringardisés, il y avait les macronnards, les républicains en marche au pas cadencé, en rangs serrés contre une France qui devait disparaitre, et contre celui qui en était l’emblème, celui qui projetait de la sauver d’une dérèglementation en marche vers la concurrence sans frontières, cette guerre des travailleurs entre eux aux profits et aux bénéfices des petits malins de la mondialisation, contre celui qui voulait la préserver d’un progrès en marche vers un mariage sans parité et une famille homoparentale recomposée dans l’éprouvette, contre celui qui cherchait à la protéger d’un tiers monde en marche vers la disparition de sa civilisation, la civilisation française, et de ce remplacement de la culture française par le couronnement des cultures en France, en lui épargnant ce suicide français pour lequel les marcheuses et les marcheurs avaient convaincu les Français de voter. Ils et elles braillaient aussi, celles et ceux que la section locale de leur parti de gouvernement avait mobilisés, contre une certaine idée de la France défendue par ce Français à abattre, et pour une certaine idée du tribunal populaire et de la justice dans la rue alors que malgré les menaces de troubles à l’ordre public et de risques pour la sécurité d’un élu du peuple silencieux, discret, effacé et in-nocent, l’Etat et la police n’étaient nulle part.

Attirés par l’odeur du sang en perspective, il y avait aussi les insoumis, venus en nombre pour une lapidation participative et citoyenne, avec leurs belles têtes de vainqueurs, leurs mines fanées d’universitaires ratés, leurs dégaines avachies d’intermittents aigris. Parmi les plus jeunes, certains et certaines étaient tatoués et piercés, comme le veut la coutume dans les tribus adeptes de la contre-culture de la laideur indélébile. Ces révolutionnaires de 93 qui n’avaient plus de bastilles à prendre avaient des envies pressantes d’échafaud. Ils formaient le gros du troupeau des hyènes, qui attaquent en meute et en traitres, qui frappent par derrière une proie facile, isolée, affaiblie. Ils étaient la majorité bruyante de ce qu’on appelle encore la gauche. Bourrés de contradictions et d’approximations mais jamais retenus par le doute, ils avaient préféré monter sur les grands chevaux de la lutte contre le racisme et l’homophobie et mener la charge contre un homme seul plutôt qu’être dérangés par les pertinences du marxisme et de ses armées de réserve du capitalisme ou par le patriotisme de Jaurès et de sa nation, seul patrimoine de ceux qui n’en ont pas. Pour ces internationalistes béats, benêts et butés, l’Etat n’était pas protecteur mais policier, les frontières n’étaient pas remparts mais empêcheuses de se donner la main pour tous les gars du monde. Insoumis à tout apprentissage du courage, de la droiture et de l’honneur, ils consacrèrent une nouvelle fois dans la violence et l’allégresse, le naufrage de la gauche dans les eaux agitées et boueuses du gauchisme.

Le retour des heures sombres

En ce jour du 5 mai, à Saint-André-de-Cubzac en Gironde, des jacobins socialistes et des fédéralistes libéraux, des démocrates proclamés et des sympathisants totalitaires avaient formé une conjuration des immigrationistes et rassemblé dans le camp du Bien, où la fin justifie les moyens, un petit monde pas très glorieux dans la liesse de la bastonnade. Ces camarades de lynchage avaient su dépasser leurs différences pour faire taire un homme dangereux, venu sans son écharpe tricolore mais décidé à couper aux ciseaux le cordon sanitaire patiemment tressé à coups d’intimidations et de chantages au racisme pour inaugurer un rapprochement des droites, en disant à ses amis politiques : « Moins de partis, plus d’union », et pour réconcilier une droite des notables qui ne cessait de faire la fine bouche et une droite populiste qui n’arrêtait plus de faire bande à part. Robert Ménard n’attendait sans doute pas, livré à l’hystérie anti « fasciste », que s’impose de façon aussi frappante l’urgence de ne pas laisser le pays entre les mains de ce ramassis braillard et menaçant.

La photo de la scène est difficile à regarder. Elle nous rappelle immanquablement ces images d’archives prises aux heures les plus sombres de notre histoire mais elle porte deux nouvelles, une bonne et une mauvaise. La bonne, c’est la conclusion à laquelle nous amène le spectacle de cette violence : si ces Français sans peur et sans reproches traitent Robert Ménard en ennemi, c’est sans doute parce qu’ils sentent qu’ils perdent dans l’opinion la bataille des idées, qu’ils perdent le peuple et qu’ils perdent pied. La mauvaise, c’est que les journalistes de service public comme les humoristes de résistance n’ont peut être pas entièrement tort quand ils nous annoncent que les années trente sont de retour, même si elles ne reviennent pas par qui ils croient les voir revenir.

Scandale Facebook : la partie émergée du Zuckerberg


Chaque jour, Facebook aspire les milliards de données de ses utilisateurs pour les vendre à des applications commerciales. En croisant les informations, le réseau social fondé par Mark Zuckerberg piétine même la vie privée d’individus qui n’y sont pas inscrits. Malgré ses excuses, son créateur ne pourra pas éternellement échapper à ses responsabilités pénales.


Le scandale Cambridge Analytica constitue la partie émergée, non pas d’un iceberg, mais d’un véritable serpent de mer. Tout fin connaisseur de l’histoire de Facebook sait bien que l’entreprise de Palo Alto est coutumière de ce type de comportements, et ce pour une raison très simple : l’activité de Facebook repose sur la monétisation et la commercialisation des données de ses utilisateurs.

A lire aussi: DOSSIER SPECIAL – Réseaux sociaux: Big Brother, c’est nous !

La montagne de sucre commence à caraméliser

Que « la montagne tremble », ou que « la montagne de sucre » se mette à caraméliser (ce sont là deux étymologies possibles du nom du patron de Facebook), l’avenir semble clairement s’obscurcir pour le réseau planétaire. L’occasion est ainsi offerte d’interpréter la clémence avec laquelle le monde accueille ces révélations. De nombreux observateurs sont pourtant frappés par les caractéristiques quasi étatiques que Facebook a développées avec le temps – politique de recensement, prétentions à la gestion de l’état civil, éducation, renseignement, financement de la recherche sur critères idéologiques, identité numérique, etc. Or, si un État s’était rendu coupable du tiers des pratiques attribuées ou imputées à Facebook, il aurait été assez rapidement traîné par la peau des fesses devant la Cour européenne des droits de l’homme.

Cambridge Analytica : « So much for democracy » ?

Petit retour sur l’affaire par laquelle le scandale est arrivé. En 2010, Facebook permit à des applications tierces de lire et collecter des données d’utilisateurs. En 2013, Cambridge Analytica sortit de ses forges l’application « This is your digital life ». Près de 270 000 utilisateurs américains de Facebook se prêtèrent sans se méfier à ce qu’ils prirent pour un simple test de personnalité. C’était en fait une monumentale pompe aspirante de précieuses données (sur l’orientation sexuelle, politique, religieuse, etc.) destinées à être vendues. En raison de la porosité entre les profils « amis », ce furent au bout du compte plus de 87 millions de personnes dont les données personnelles furent aspirées. En 2016, la campagne de Donald Trump a investi massivement dans la publicité sur Facebook à la veille de l’élection présidentielle. L’audience idoine fut utilement ciblée, grâce au profilage fourni par Cambridge Analytica. À la mi-mars, la funeste entreprise d’influence fut révélée au grand jour. On put alors lire sous la plume de commentateurs américains « so much for democracy », « tant pis pour la démocratie »…

A lire aussi: Mais si Mark Zuckerberg, Facebook fait de la politique

Le Jawad du réseau social

Dans la foulée, Zuckerberg a été sommé de venir s’expliquer devant la Chambre des représentants et le Sénat. Le monde entier a alors vu paraître, sous les traits d’un adolescent glabre et livide, pris la main dans la jarre de cookies, engoncé dans un costume de fortune, sourire crispé, le cinquième homme le plus riche au monde, seul maître à bord d’un réseau tentaculaire peuplé de deux milliards d’êtres humains. Sa ligne de défense peut être résumée ainsi : « Je m’excuse. J’ai pas fait exprès. Je savais pas. Je le ferai plus, je le jure m’sieur dame. » Nous avions trouvé notre Jawad du réseau social.

Zuckerberg évoqua aussi publiquement son souci de « réparer » l’outil Facebook, afin d’éviter que d’autres scandales ne surgissent des profondeurs. Peu de temps après, une employée de Cambridge Analytica déclara que le scandale pourrait bien être plus grave encore que ce qui avait été annoncé. Brittany Kaiser expliqua avoir eu connaissance d’autres applications accueillies par Facebook et destinées à récolter des données : un « quiz sur la sexualité » et un autre sur la « personnalité musicale des utilisateurs [sic] ». Mais curieusement, ce dont personne n’a parlé alors, c’est de la manière dont Zuckerberg entendait réparer concrètement le préjudice colossal causé à la démocratie et à l’exercice des libertés publiques. Personne.

Toutes les pratiques d’importation de contacts douteuses sont justifiées

Facebook bénéficie d’un tel capital de sympathie que l’utilisateur moyen demeure persuadé que le média social a été victime d’une fuite ou d’une faille de sécurité. Au fond, personne ne veut admettre l’évidence. Même la publication d’une note interne particulièrement explicite, datée de 2016, a laissé le monde de marbre. Andrew Bosworth, vice-président de Facebook, y tient ces propos effrayants : « Nous connectons les gens. Un point, c’est tout. C’est pourquoi tout le travail que nous faisons en matière de croissance est justifié. Toutes les pratiques d’importation de contacts douteuses. » Et d’ajouter : « Cela peut être mauvais s’ils le rendent négatif. Peut-être que cela coûte une vie à quelqu’un en exposant quelqu’un aux intimidateurs. Peut-être que quelqu’un meurt dans une attaque terroriste coordonnée sur nos outils. » Dont acte, peut-être ?

A lire aussi: Causeur: ne laissez plus Facebook décider pour vous !

Le statut du Commandeur se fissure

Chaque utilisateur de Facebook laisse en moyenne, nolens volens, 98 données personnelles le concernant. Quand vous postez un selfie, vous fournissez trois données (photo, texte, reconnaissance faciale). Mais Facebook en collecte aussi 17 autres (modèle du téléphone, opérateur, niveau de batterie, réseau wifi, temps passé sur la plateforme, etc.). Plus inquiétant encore, Zuck collecte des données y compris lorsque les utilisateurs sont déconnectés du réseau. Enfin, last but not least, Facebook butine des données relatives à des petites fleurs qui ne sont même pas inscrites sur sa plateforme. Magique ! Ce sont leurs « profils fantômes ». Les choses commencent quand même à bouger. Le statut Facebook du Commandeur est en train de se fissurer. En témoigne le fait qu’un juge américain vient de déclarer recevable la demande de plainte en nom collectif (class action) contre Facebook suspecté de collecte illégale de données privées d’utilisateurs liées à un outil de reconnaissance faciale.

En dépit de ce tombereau de preuves à charge, le commun des mortels continue à ne pas trouver de raisons particulières de quitter Facebook. Certes, un récent sondage affirme peut-être que 30 % de ses utilisateurs français envisagent de supprimer leur compte. Une blague qui circule sur internet les soupçonne de se reconnecter rapidement après leur demande de suppression, juste pour aller voir combien de « like » aura généré leur statut solennel ! Facebook, c’est un peu cette vieille tour, cette vieille barre de banlieue que personne ne se résout à voir disparaître, mais qu’il faudra bien un jour ou l’autre dynamiter, essentiellement pour des questions de sécurité.

Au marché d’Argenteuil, la haine des « sionistes » a pignon sur rue

« Le procès injuste et délirant d’antisémitisme fait aux citoyens français de confession musulmane et à l’islam de France à travers cette tribune présente le risque patent de dresser les communautés religieuses entre elles », a écrit le recteur de la mosquée de Paris Dalil Boubakeur, pour répondre au manifeste des 300 contre l’antisémitisme publié dans Le Parisien.

Il me semble que face aux débats stériles, et aux discours de déni, il convient d’opposer des faits. Rien de tel que la réalité, pour nourrir avec pertinence le débat public. Et c’est bien un fait que je m’apprête à relater ici.

Il est beau mon burkini, il est beau

Nous sommes le dimanche 6 mai, et il est 12h20, à Argenteuil, commune la plus peuplée du Val d’Oise (110 000 habitants). Je viens de rentrer du marché Héloïse qui se situe dans le centre-ville, mais où il n’y a aucune mixité ethnique, sociale ou culturelle. La majorité des personnes qui sont en train de faire leurs courses ici, sont comme moi issues de l’immigration maghrébine. La moitié des femmes au moins est voilée, et le vendeur de maillots de bains, ne tarit pas d’éloges au sujet du burkini dont il fait la promotion sous mes yeux.

A l’entrée du marché, je suis passée devant un stand avec des gadgets à vendre aux couleurs du drapeau palestinien. T- shirts, mugs, stylos, tous portant le slogan « Free Palestine ».

L’orateur crache un discours de haine absolument insupportable à l’égard d’Israël. « Tueurs d’enfants ! Les sionistes chassent les gens de leurs propres terres ! Israël assassin ! Israël terroriste ! Aidez-nous à sauver les enfants palestiniens de l’entité sioniste ! » Sa voix était emplie de colère, le ton martial et l’antisémitisme sortant de chaque pore de sa peau. Il était rouge, le visage dégoulinant de sueur, exalté. Cet appel à la haine ne dérangeait apparemment personne. Le stand attirait même des clients.

« Nous ne sommes pas antisémites, Madame ! »

Mon sang n’a fait qu’un tour. Je suis allée voir les personnes qui tenaient ce stand, et j’ai crié pour tenter de recouvrir la voix du prêcheur : « Nos enfants tuent des Juifs en France ! Vous êtes moralement responsables de ces meurtres ! Cessez d’inciter les gamins à la haine ! »

La rage avait mis des larmes dans ma voix. Une femme derrière le stand, chargée de vendre les t-shirts de cette association, me dit : « Nous ne sommes pas antisémites, Madame ! » Celui qui distribuait des tracts a tenté l’apaisement, calmement il s’est approché de moi et m’a dit à voix basse: « Est-ce qu’on peut discuter des enfants tués par les Israéliens ? »

A lire aussi: Pourquoi ils ne supportent pas les Juifs

J’ai fait un véritable scandale. Des passants interloqués, se retournaient, ne comprenaient pas tout à fait ce qui se passait. J’étais si fébrile que j’avoue avoir fini par proférer des insultes en arabe. J’ai lancé des malédictions également en arabe vers ces faiseurs de haine: « na’alatou allah ‘alikoum almoujrimin ! Rabbi inezzel ‘alikoum lghadab dial denya ou din ! » (que Dieu vous maudisse bande de criminels ! Qu’Il abatte sur vous son mécontentement jusqu’au jour du jugement dernier !). Je n’ai pas su dialoguer, essayer de convaincre et c’est un échec pour moi, que d’avoir cédé à l’indignation.

Touche pas à mon élève !

Professeur dans un lycée difficile de la banlieue parisienne, je n’ai comme circonstance atténuante que mon souci constant de protéger la jeunesse de notre pays, des idéologies de haine. Mon métier est un sacerdoce, ma mission noble et mon devoir républicain sacré. En trois mots : je suis passionnée. Touche pas à mon élève !

J’ai été seule à cet instant, devant le stand de cette association. Je me suis sentie bien seule dans un marché bondé.

Personne n’était dérangé par ce discours antisémite débridé. C’est une chanson douce à laquelle trop de concitoyens sont habitués. Et il est possible que M. Boubakeur lui-même y soit trop habitué, ou encore ignorant de la réalité du terrain. Ils en sont arrivés à un stade où ils ne comprennent même pas où est le problème.

Il est temps que la France déclare la lutte contre l’antisémitisme grande cause nationale.

L'affaire Sarah Halimi

Price: 16,00 €

22 used & new available from 2,42 €



Thiéfaine: « En 68, j’étais nihiliste pour me démarquer des gauchistes »


Thiéfaine entamera en octobre une tournée des Zénith avec un détour par Bercy (le 9 novembre) pour fêter ses quarante ans de carrière. Le chanteur, dont on ne compte plus les disques d’or (une vingtaine au bas mot), reste pourtant une figure discrète, évoluant en marge du marigot médiatique. Ses albums studio sont réédités en vinyle. Pour Causeur, il a accepté de se pencher sur son parcours atypique.


Sébastien Bataille. Quel regard portez-vous sur le Hubert-Félix Thiéfaine des débuts, il y a 40 ans ?

Hubert-Félix Thiéfaine. Beaucoup de provocation, beaucoup de folie ! Accrocher impérativement le public… essayer de le faire rire… jaune !… de ne plus le lâcher et de s’imposer coûte que coûte… au risque de finir certains concerts en sang comme à Saint-Michel-sur-Orge où j’ai reçu des canettes de bière (avant qu’on ne les interdise…), ce qui m’a valu de leur dire : « Qui n’a jamais péché me lance la première bière » !

Il faut dire que votre premier album est sorti en pleine période punk, avec ce climat de violence juvénile dans l’air. Avez-vous été imprégné de ce mouvement contestataire et nihiliste ?

Quand j’étais à la fac à la fin des années 60, avec quelques potes plutôt artistes, on avait créé un mini groupuscule nihiliste. Un nihilisme plus proche de certains personnages un peu vulgaires et ténébreux de Dostoïevski que des élégantes et lumineuses visions de Nietzsche ! À l’origine, c’était une façon de se démarquer de tous les groupuscules gauchistes révolutionnaires qui essaimaient sur les campus…

Vous n’avez donc pas suivi le mouvement en mai 68 ?

Notre philosophie était plutôt très proche de ce qui, à peine dix ans plus tard, allait s’appeler le mouvement punk. Disons qu’on était une poignée de mecs désespérés par leur avenir, dont le mot d’ordre aurait pu se résumer à « suicide et destruction »… et donc alcool et drogues. On avait 20 ans et l’on venait d’inventer le Diabolo Négrita pour faire passer nos gueules de bois ! C’est à cette époque que j’ai écrit les premières versions de « 113ème cigarette sans dormir » ou « Exil sur planète fantôme ».

Les textes de ces chansons sont très… destroy, avant l’heure punk…

En 1977 (NDLR : année d’émergence du mouvement punk), j’habitais à Saint-Germain-des-Prés, dans une chambre de bonne, rue du Dragon et je n’avais qu’à traverser le boulevard pour me retrouver dans une salle qui s’appelait le Vidéo Stone, où l’on projetait Acceleration Punk avec les Jam, Damned, Police, Sex Pistols… J’y ai passé des après-midi entiers. Après plusieurs années à me lamenter sur la décadence du rock, tout à coup je prenais ce souffle nouveau et résurrectionnel en plein cœur. Mais je ne peux pas dire que j’ai été imprégné par ce mouvement, vu que depuis ma sortie de l’école, à la fin des années 60, « No Future » avait été mon cri de guerre. J’étais juste content de voir qu’au niveau des textes, j’avais pris une bonne longueur d’avance !

Votre premier album, Tout corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s’émouvoir – sur lequel figure « La Fille du coupeur de joints » -, sort l’année suivante (1978), après dix ans de galère. Est-ce qu’il revêt une importance plus grande que les autres aujourd’hui ?

Ce premier album, j’en ai rêvé pendant des années, parce que je savais que sans lui je ne parviendrais pas à exister. J’étais comme un travailleur sans papier. Avec tout corps vivant… j’avais soudain un passeport et une carte de visite. Je pouvais commencer à travailler sérieusement et à dire « j’existe ».

Vous racontez vos années de « galérien » dans une chanson, « La dèche, le twist et le reste » – parue sur ce premier album – qui fait écho à « La vie d’artiste » de Léo Ferré.

En 1971, quand je suis « monté » à Paris en sortant de la fac, avec pour seul viatique une guitare et un sac à dos, je ne pensais pas que je passerais de si longues années de galère à traîner dans les rues comme un SDF, parfois même comme un paria… Au départ, pour survivre, j’ai fait une série de petits boulots. Puis, en 1973, alors que je commençais à passer dans certains cabarets avec mon One Dog Show Comme un Chien dans un Cimetière, j’ai décidé d’abandonner tous ces petits jobs qui m’épuisaient et m’enlevaient toute mon énergie pour essayer de ne vivre que de mes chansons. Je voulais surtout avoir tout mon temps pour écrire et composer. C’est à partir de ce moment-là que j’ai commencé à plonger dans mes années les plus noires : mes rares passages en cabaret ne me permettaient pas de manger à ma faim et malgré l’aide de certains « mécènes » qui parfois m’hébergeaient, je me suis retrouvé malade avec des ganglions gros comme des œufs à l’aine et aux aisselles… Bien sûr, je n’avais pas la sécu. Je suis donc allé là où les hôpitaux étaient gratuits, c’est-à-dire ceux qui étaient spécialisés dans la recherche. On me diagnostiqua une insuffisance pondérale et des carences en protéines, vitamines, sels minéraux etc. Bref, en fait on m’apprenait que j’étais tout simplement en train de mourir de faim… au sens propre ! C’est dans ce contexte que j’ai composé « La dèche, le twist et le reste ».

Hormis ce caractère autobiographique, votre œuvre pressent parfois l’évolution de la société : « Quand la banlieue descendra sur la ville » (2001), avant les émeutes de 2005, « Crépuscule transfert » (1993) et l’annonce de peuples « euro-pingouins » engoncés dans la crainte du terrorisme, bien avant les attentats de 2015, etc.

Je ne me préoccupe pas de jouer les Cassandre. Toute création nous pousse à travailler dans l’imaginaire et donc potentiellement dans le futur. Disons que je ne fais qu’appliquer une certaine lucidité logique à mon imaginaire et que parfois il m’arrive de taper dans le mille ! Les nostalgiques s’intéressent au passé, les hyperactifs au présent… moi je suis un rêveur : mon terrain de jeu est le futur.

Votre prose se nourrit-elle de littérature contemporaine, de romans noirs, d’anticipation ?

En littérature, tout m’intéresse et comme j’aime avoir une vision à 360 degrés et que je lis toujours plusieurs bouquins à la fois, je mélange facilement les époques, les langues et les styles. Donc je peux lire Homère avec Philip K. Dick, Jim Harrison avec Proust, Lucrèce avec Bret Easton Ellis et Thomas Mann avec Bukowski, etc. A partir du moment où on aime les mots, où on joue avec et où on en vit, on ne peut pas échapper à la poésie et à la littérature. Donc je m’en nourris. Mais la lecture n’est pas suffisante en soi. Sans l’expérience personnelle, je ne pense pas que je pourrais écrire. Il est tout aussi important pour moi de partir à l’aventure dans le monde qui nous entoure : c’est un zoo tellement magnifique à visiter !

Parlons donc du zoo, ou plutôt du cirque médiatique. Quand les médias n’annoncent pas votre premier Bercy, vous parlez de faute professionnelle de leur part. Quand Les Inrocks vous « oublient » dans leur classement des « 100 meilleurs albums français » l’an dernier, que leur dites-vous ?

Je regrette un peu le temps où la censure existait ouvertement… où il y avait des Ernest Pinard qui censuraient Baudelaire et relaxaient Flaubert : c’était une excellente publicité pour les artistes ! En ce qui me concerne, il ne s’agit même pas de censure, certains préfèrent m’ignorer : il paraîtrait que je leur fais peur… On parle de ceux qui défraient la chronique, moi je suis de ceux qui l’effraient ! (rires)

Néanmoins, cet ostracisme sidérant dont vous faites l’objet vous permet de sortir des saillies mémorables : « Lobotomie-média / Propaganda flippée / Lobotomie-média / Propaganda fliquée »… Finalement, vous pourriez presque leur dire merci, tant ils contribuent à entretenir votre flamme poétique.

Peut-être. J’admets aujourd’hui que le boycott des médias à mon égard (et vice-versa !) m’a donné une aura inattendue que j’apprécie particulièrement. Ensuite, cela concerne surtout la télévision et la radio… mais il est vrai aussi que certains magazines font l’apologie de tout ce qui est inconnu (par snobisme) ou de tout ce qui est déjà populaire mais très mal vu par un public bobo déjà passablement snob (ça c’est ce que j’appellerais du post-snobisme) et de toute évidence, je ne fais pas partie de ce périmètre.

Votre discographie, constituée de 17 albums studio, traverse cinq décennies. Pourriez-vous nous indiquer, pour chacune d’elles, l’album dont vous êtes le plus satisfait, et pourquoi ? Les années 70 d’abord.

Tout corps vivant branché sur le  secteur étant appelé à s’émouvoir… ne serait-ce que par tout ce que j’en ai dit au début de cet entretien.

Passons aux années folles, les années 80 bien sûr.

Soleil cherche futur parce que c’est l’album que je considère peut-être comme le plus abouti.


A contre-courant du rap et du grunge, vous exprimez une forme de sérénité dans les années 90, n’hésitant pas à tenter le bonheur.

Mon choix irait en effet vers ce qui est devenu aujourd’hui un double album sous le titre de Bonheur & Tentation. L’idée de départ était de faire deux albums qui se renvoient les images comme dans un miroir : tentation du bonheur / bonheur de la tentation ; Orphée nonante huit / Eurydice nonante sept ; la philosophie du chaos / le chaos de la philosophie… etc.

Les années 2000 sont celles de la consécration, enfin !

Oui, en 2007, l’album Scandale mélancolique était nominé aux Victoires de la musique, mais je prendrais Défloration 13, qui fait partie de ce que j’appellerais mes albums expérimentaux. Dans cet album, j’essaie d’élargir mon champ d’inspiration et musicalement, je m’inspire de l’école de Bristol : Massive Attack, Portishead, Tricky… Je suis également très fier des textes.

Les années 2010 sont celles de votre quasi canonisation, avec deux Victoires de la musique et le grand prix de la Sacem pour Suppléments de mensonge, où figure le désormais classique « La Ruelle des morts ».

Ma préférence va malgré tout au dernier en date, Stratégie de l’inespoir (2014), pour la cohérence, la fluidité et la richesse de ses thèmes et des arrangements.

Tournée « 40 ans de chansons », du 12 octobre (Zénith de Nantes) au 18 novembre (Zénith de Montpellier). AccorHotels Arena (Bercy) de Paris le 9 novembre[tooltips content= »Merci à Michel Vidal et Cacilie Tomao, de Sony Music. »]1[/tooltips].

La publication de l’intégrale de la discographie studio en vinyle a démarré le 2 mars par les trois premiers albums, elle se poursuivra jusqu’au 9 novembre. Un coffret est disponible pour les ranger, à compléter tout au long de l’année.

Europe : Macron, le dernier des fédéralistes


Après l’élection d’Emmanuel Macron, nombre de médias français espéraient que le miracle se reproduirait et qu’un big bang adviendrait à l’échelle européenne. Las, de Berlin à Rome en passant par Varsovie et Budapest, l’offensive du président français pour la relance de l’intégration fait un flop magistral.


Dans l’euphorie de l’élection d’Emmanuel Macron, les partisans d’une Europe postnationale substituant toujours plus la souveraineté d’une Union enfin sortie de son marasme à celle des États membres avaient sabré le champagne. Enfin un président français qui ne mettait pas le drapeau bleu étoilé dans sa poche et qui arrêtait, au son de L’Hymne à la joie, une longue séquence déprimante pour les euro-enthousiastes, allant de l’échec du référendum de 2005 sur la Constitution européenne jusqu’au vote pour le Brexit en juin 2016.

Sur France Inter, Bernard Guetta commentait cet événement avec l’enthousiasme d’un Thierry Roland célébrant la victoire des Bleus en 1998.

Face à Vladimir Poutine, Donald Trump et Xi Jinping, ces géants planétaires et malveillants, surgissait enfin un homme capable de redonner au Vieux Continent l’élan vital pour sortir de ses querelles internes et jouer dans la cour des grands.

L’enlèvement de l’Europe

D’éminents augures annonçaient un alignement des planètes favorable à l’UE : l’influence néfaste de Londres sur la marche de l’Europe vers son intégration étant éliminée, place nette était faite pour une harmonie franco-allemande restaurée, guidant les peuples du continent vers un avenir glorieux, dans la paix et la prospérité. À la solidité d’une Angela Merkel en passe d’obtenir un quatrième mandat, venaient s’adjoindre l’énergie et l’enthousiasme européen d’un jeune président français dont l’élection avait fait pousser un soupir de soulagement, à Bruxelles et à Berlin : on s’était, là-bas, tellement fait peur avec la perspective d’une Marine Le Pen à l’Élysée ! Celui qui l’avait terrassée était so young, so smart, so people : on le célébrait seul ou avec Brigitte, dans les palais comme dans les chaumières, dans les quotidiens austères comme dans les magazines sur papier glacé.

À cette version moderne du triomphe à la romaine, il manquait l’esclave chargé de tenir la couronne de laurier au-dessus de la tête du vainqueur et de lui murmurer sans cesse « memento mori », « souviens-toi que tu n’es qu’un mortel »… Emmanuel Macron prit donc le soupir de soulagement de nos voisins pour des acclamations en sa faveur.

Moins d’un an plus tard, l’hubris du président Macron lui a, en matière européenne, fait commettre quelques bourdes dont les conséquences sont aujourd’hui évidentes, sauf pour ceux qui s’obstinent à ne pas les voir. Jamais, dans la période récente, la France n’a été aussi isolée de ses partenaires européens que depuis l’arrivée de Macron à l’Élysée, jamais notre pays n’a essuyé autant de rebuffades.

Que reste-t-il aujourd’hui de l’élan européen du nouveau président ? À en juger par son discours du 17 avril devant le Parlement de Strasbourg, pas grand-chose : pas de propositions décoiffantes comme à la Sorbonne, mais une dramatisation surjouée mettant en garde contre une « guerre civile européenne » si l’Union ne transformait pas radicalement son mode de fonctionnement. L’accueil fut tout juste poli, les applaudissements mesurés, les tweets partant des travées ravageurs (« arrogance française ! »), les commentaires de couloir désabusés, y compris de la part des supposés amis du président français, comme le président du groupe socialiste Udo Bullmann qui salue l’orateur, mais attend les actes.

Soyons respectueux: mettons ce bide au débit de parlementaires qui n’ont rien compris à « l’autorité de la démocratie » que notre président entend incarner urbi et orbi. Mais la courtoisie républicaine ne saurait empêcher de recenser les erreurs commises par Emmanuel Macron dans la gestion de son projet européen (dont votre serviteur ne partage pas la philosophie).

Macron Ier le mal-aimé

La première bourde magistrale a été le fameux discours de la Sorbonne, porté aux nues par la majorité de nos commentateurs hexagonaux. Prononcé au lendemain d’élections au Bundestag aux résultats pour le moins mitigés pour la chancelière sortante et ses alliés du SPD, il dresse un catalogue détaillé des mesures souhaitées par Emmanuel Macron pour relancer l’Europe : parlement de la zone euro, ministre européen des Finances, budget européen, défense commune, et coopérations renforcées entre les pays désireux d’aller de l’avant. Merkel est furieuse : contrainte à de délicates négociations de coalition avec des partenaires plus que réticents devant ce genre de projets, elle n’entend pas être mise au pied du mur.

Une fois écarté l’épouvantail d’une coalition « jamaïcaine » intégrant des libéraux très hostiles au projet macronien, notre président commet une nouvelle bévue : il mise sur un mauvais cheval, Martin Schulz, alors chef du SPD, comme principal relais de ses positions au sein de la grande coalition reconduite. Résultat : Schulz est débarqué par ses troupes, et son successeur, Olaf Scholz, devenu vice-chancelier et ministre des Finances, n’est pas sur la ligne ultra-francophile du brave Martin. Son orthodoxie monétariste et budgétaire est très proche de celle de son prédécesseur CDU, le redouté et redoutable Wolfgang Schäuble. Merkel reste, en apparence, bienveillante avec Emmanuel Macron, mais laisse ses amis, allemands et étrangers lacérer à belles dents les joujoux du président français.

Ainsi, c’est la CDU du Parlement de Strasbourg qui organise l’enterrement du projet élyséen de réserver, lors des prochaines élections européennes, 27 des 73 sièges laissés libres par les Britanniques à des listes transnationales, préfiguration de la grande démocratie continentale rêve de Cohn-Bendit que Macron rêve de réaliser.

Une coalition de huit pays nordiques s’accorde sur un document rejetant point par point le discours de la Sorbonne. Le Premier ministre néerlandais Mark Rutte, inspirateur mais non signataire du texte qu’il trouvait encore trop gentil pour Macron, réagit dans un style trumpien : « Quand on a des visions, on va chez le docteur ! »

Président français recherche europhiles désespérément

À l’est, ce n’est pas mieux. L’offensive du président français contre la directive sur les travailleurs détachés a fortement déplu, et ses leçons de morale aux « démocraties illibérales » hongroises et polonaises, notamment sur leur refus d’accueil des migrants, ne servent pas sa popularité. Les dirigeants de ces pays vont chercher à Berlin l’assurance qu’ils ne seront pas marginalisés dans une Europe à deux vitesses, et qu’avec ou sans l’euro, ils resteront accrochés à la locomotive communautaire. Et ils l’obtiennent…

Au sud, les relations avec l’Italie sont empoisonnées par la question des migrants, que la France refoule régulièrement lorsqu’ils tentent de franchir les Alpes. C’était déjà le cas avec le gouvernement de centre gauche de Paolo Gentiloni, et cela ne risque pas de s’améliorer après des élections emportées par deux formations beaucoup moins europhiles, le Mouvement 5 étoiles et la Ligue, parti frère du Front national. L’Espagne est préoccupée par la crise catalane. Plus à gauche, la Grèce et le Portugal soupçonnent Macron d’être le nouvel avatar de l’emprise néolibérale sur l’Union européenne…

Le rêve d’un big bang européen similaire à celui de mai 2017 en France, qui rendrait obsolète le vieux clivage droite-gauche dès les élections européennes de mai 2019, se heurte à la résistance farouche du « vieux monde ». Une victoire sans appel, en France, d’une liste macronienne allant des amis de Dany Cohn-Bendit à ceux d’Alain Juppé pourrait lui redonner des couleurs. Le scrutin risquant d’être, comme d’habitude, le défouloir d’électeurs déçus, c’est loin d’être gagné…

Petits bourgeois pas contents organisent ateliers potager et graffitis dans les facs de Paris

Très médiatisée, l’évacuation de la Sorbonne historique en avril dernier a donné l’impression que la situation était sous contrôle.

Mais « en Sorbonne » (ou « dans la Sorbonne-mère »), se tiennent quasi uniquement les colloques et les conférences, ainsi que les séminaires de Master et Doctorat. Peu de filières fréquentent le bâtiment dès le niveau licence. Le blocage n’était pas bon pour l’image touristique du lieu et nuisait à la réputation internationale de la noble institution. Il fut donc promptement levé au bout de quelques heures, manu militari :

En revanche, les sites de Clignancourt et de Malesherbes, où sont délivrés les enseignements de licence pour la plupart des filières sont, quant à eux, depuis des semaines, ballottés entre « AG », « blocages », « occupations » et « fermetures pour raison de sécurité » (à l’initiative de la direction ou de la préfecture, selon les jours), dans l’indifférence générale.

« C’est parce que la sélection naturelle t’a oublié que tu veux imposer la sélection sociale aux autres ? »

Ce qui surprend, justement, c’est le décalage entre cette indifférence et l’importance que les activistes prêtent à leur mouvement. S’informant uniquement par les réseaux sociaux, ils vivent en vase clos. Communiquant essentiellement avec d’autres révoltés, ils se donnent l’illusion du nombre et ne se rendent pas compte que bien des gens ignorent jusqu’à l’existence de leur mouvement.

Ils ont l’insulte facile et il ne s’agit pas de s’en faire des ennemis : un opposant au mouvement qui demandait la levée des blocages en vue des partiels s’est ainsi vu rétorquer sur Facebook : « c’est parce que la sélection naturelle t’a oublié que tu veux imposer la sélection sociale aux autres ? ».

Des « étudiants » de 37 ans

La loi ORE ne constitue plus, depuis longtemps, le motif central de leur mobilisation. La ZAD de Nantes, le statut des cheminots, l’éradication du sexisme et du racisme, la « convergence des luttes » et même la « refondation intégrale du système scolaire » sont devenus les mots d’ordre dominants pour ces excités groupusculaires.

L’UNEF peine à s’imposer et cède du terrain à la CGT, très présente : de véhéments orateurs intervenant aux AG peuvent se prétendre étudiants de L1 (et peut-être le sont-ils), on a peine à croire qu’ils aient obtenu leur bac il y a un an… L’une des personnes les plus actives dans la défense du mouvement sur la page Facebook de la faculté de Lettres est un certain Mehdi B., âgé de 37 ans, élu CGT au Conseil d’Administration de la Sorbonne pour le collège des BIATSS (personnel d’entretien, bibliothécaires, employés de l’administration, etc.). Autant dire que son avenir professionnel ne serait pas mis en jeu par l’annulation des partiels.

Il y a encore une dizaine d’années, les mouvements étudiants tiraient leur dynamique d’une forme de soutien collectif unissant ceux qui « comprenaient les revendications » à ceux qui participaient activement aux actions. La rupture est consommée : les sites de Malesherbes et Clignancourt, comme les autres facultés bloquées en France, sont actuellement tenus par des groupes très minoritaires, radicaux et ultra-idéologisés. Ainsi, le blocage du site de la Sorbonne boulevard Malesherbes vient, au moment où j’écris ces lignes, d’être reconduit jusqu’au samedi 12 mai par… 123 voix pour et 28 contre ! L’AG est souveraine, comme ils disent. Il faut dire que les AG…

Démocratie populaire

Les premières comptaient des centaines d’étudiants. On promettait une démocratie exemplaire et qu’un vote entérinerait toute décision : le blocage, bien sûr, mais aussi l’extension des mots d’ordre de la lutte, le contenu et la diffusion des communiqués, et jusqu’au fait de redonner ou non la parole à untel qui s’est déjà exprimé ! L’AG dure 4 heures et à la fin, on ne vote plus sur rien. Les dates de la prolongation du blocage semblent sorties d’un chapeau et, alors même qu’un gros tiers de l’assemblée vient de voter contre la poursuite du mouvement, l’AG se clôt sur un cri de victoire : « nous sommes 500 dans cet amphi ! 500 opposants à Macron et à sa politique ! » Venir à l’AG, c’est donc déjà cautionner la cause. Les opposants ont compris, ils ne vont plus aux AG.

L’administration ayant proposé un vote électronique (dont le résultat est largement en faveur de la reprise des cours), les partisans du blocage dénoncent…

>>> Lisez la suite de l’article sur le blog d’Ingrid Riocreux <<<

 

La Langue des médias : Destruction du langage et fabrication du consentement

Price: 20,00 €

31 used & new available from 2,64 €

« Black blocs »: casseurs partout, justice nulle part!

De bout en bout, la gestion des saccages et des pillages commis le 1er mai par les « black blocs » a été catastrophique. A la passivité pendant les violences a succédé un véritable fiasco judiciaire, confirmant la coupable pusillanimité de l’État. Une commission d’enquête s’impose.

Avec des effectifs sans précédent, les « black blocs » ont investi les manifestations du 1er mai à Paris. Ces casseurs d’extrême gauche, environ 1200, se sont livrés à toutes sortes de destructions, incendies, et agressions des forces de l’ordre. Refusant la démocratie au profit de fantasmes d’une violence purificatrice dont ils s’enivrent, ils se rêvent en avant-garde héroïque d’une révolution qui renversera la société à laquelle ils doivent tout mais qu’ils haïssent. Et ils tentent de justifier cette haine en accusant l’État d’être par nature oppresseur, fasciste, sexiste, raciste.

Laisser-faire, laisser casser

Il est souvent facile de dire après-coup ce qu’il aurait fallu faire, et beaucoup plus compliqué de prendre la bonne décision dans l’instant, en ne disposant que d’informations partielles et en étant confronté à des impératifs contradictoires. Reste qu’en termes d’ordre public, la gestion des « black blocs », le 1er mai, a été manifestement inadaptée.

Ce n’est pas une nouveauté. La complaisance du pouvoir envers l’extrême gauche violente vient de loin, et il n’est pas nécessaire d’imaginer une quelconque manipulation de ces groupes par les services spéciaux pour l’expliquer.

L’autorité politique est obsédée par son image et par l’impact médiatique de ses décisions. Ce ne sont pas les « black blocs » qui inquiètent le gouvernement, mais ce qu’on dira de la réaction de l’État. De ce point de vue, rien ne saurait être pire qu’un casseur mort, ou même gravement blessé : aussitôt, nombre de ceux qui critiquent maintenant la passivité des forces de l’ordre se déchaîneraient en hurlant à la répression sauvage, à l’État policier et au retour des « heures les plus sombres de notre histoire ». Ce serait une victoire politique pour l’extrême gauche et, outre la soif d’en découdre, c’est aussi pour cette raison que ses activistes, « black blocs », zadistes ou autres étudiants bloqueurs de facs, recherchent toujours la confrontation avec les forces de l’ordre et multiplient les provocations. Ils ne peuvent pas gagner physiquement, mais il leur suffit de pousser à la faute et de pouvoir dénoncer une seule « bavure » pour triompher dans les médias.

Rien de semblable évidemment envers l’extrême droite, non qu’elle soit intrinsèquement plus dangereuse, mais puisque les médias ne lui donneront pas le rôle de la victime il n’est pas nécessaire de prendre des gants avec elle.

Dans cette guerre de l’image et des récits, le gouvernement trouve également un avantage à laisser casser – au moins en partie – avant d’intervenir, afin de décrédibiliser la contestation. Mais là non plus il n’y a aucun complot, et il n’y a pas besoin d’agents provocateurs. L’extrême gauche encourage la violence sans qu’il soit nécessaire de l’y pousser, et elle se décrédibilise très bien toute seule. Les abrutis qui ont tagué le monument aux morts de la rue d’Ulm ne sont malheureusement pas des agents des services secrets infiltrés, mais une parfaite illustration de la vacuité intellectuelle et de l’arrogance stupide de leur mouvement.

« Ils sont 1 200 aujourd’hui. Combien seront-ils demain, si nous laissons faire ? »

Enfin, il ne faut pas négliger l’effet de la complaisance idéologique bien connue envers l’extrême gauche. Toute une intelligentsia française n’a toujours pas fait le deuil du Grand Soir, ni renoncé au totalitarisme, pourvu qu’il serve à imposer ce qu’elle estime être le Bien. Peut-être faut-il y voir les séquelles de sa lecture purement apologétique du mythe fondateur de la Révolution, dans laquelle la sauvagerie des foules et les atrocités de la Terreur seraient une étape indispensable. « Tout ce qui se passe est horrible, mais nécessaire », en disait Saint-Just.

Ceci étant, il semble bien que les événements du 1er mai ne soient pas que le résultat de choix tactiques discutables, mais bien la conséquence de directives parfaitement lucides, quelles qu’en soient les motivations. Les témoignages relayés par Marianne à ce sujet sont éclairants, et la conclusion d’un CRS anonyme met le doigt sur l’essentiel : « Ils étaient 150-200 au moment des manifestations contre la loi Travail. Ils sont 1 200 aujourd’hui. Combien seront-ils demain, si nous laissons faire ? »

Amende de 1 000 euros pour un casseur…

Et ce laisser-faire ne se limite hélas pas au maintien de l’ordre. Qu’on en juge : 1 200 casseurs des « black blocs », 283 interpellations (ce qui, dans le chaos du jour J, est plutôt bon). Sur celles-ci, 109 placements en garde-à-vue. Sur ces 109, une cinquantaine ont été mis hors de cause. Des 50 restants, la plupart ont obtenu un report d’audience et, pour ceux qui ont été jugés, on compte plusieurs relaxes, des rappels à la loi – en clair, rien de plus que de s’entendre dire « c’est vilain, ne recommencez pas » – et la seule sanction digne de ce nom jusqu’ici serait une amende d’un montant de 1 000 euros.

Il est trop tôt pour dire ce que seront les peines prononcées à l’encontre des personnes mises en examen et lors des futures audiences, mais il est probable qu’au final il n’y aura qu’une quinzaine de véritables sanctions infligées. Au mieux. Quinze. Pour 1 200 extrémistes violents déferlant dans la capitale, saccageant, brûlant, menaçant les civils, agressant policiers et gendarmes, et défiant ouvertement l’autorité légitime.

Complaisance ou impuissance, dans les deux cas une telle situation est inacceptable. Elle ridiculise ce qu’on appelle bien improprement la « puissance » publique. Elle décrédibilise encore un peu plus la chaîne pénale et l’institution judiciaire. Elle encourage les violences des extrémistes, dès qu’ils se sentent protégés par leur nombre. Elle convainc le reste des citoyens que l’État ne les protégera pas, et les oblige à prendre en main leur propre sécurité – veut-on vraiment voir se multiplier les milices et les groupes d’auto-défense ?

…prison ferme pour un doigt d’honneur ?

Le gouvernement s’imagine peut-être pouvoir fuir ses responsabilités régaliennes, et garder le contrôle tant qu’il reste maître de la collecte de l’impôt et de la distribution des aides et subventions, mais c’est là une dangereuse illusion. Les Français ne se laisseront pas gouverner par des fermiers généraux.

Voulu ou subi, le délitement de l’autorité de l’État est un danger majeur, une gangrène qui conduit à la fois au chaos au bénéfice des groupes les plus violents, et à l’autoritarisme au détriment de la population pacifique. Absurde et magnifique exemple, cet automobiliste contre lequel le parquet a requis de la prison ferme pour avoir… fait un doigt d’honneur à un radar automatique ! Pour le coup, je salue le bon sens du tribunal qui a refusé de le sanctionner pour ça, mais je souligne qu’il a bien failli être plus sévèrement condamné que les « black blocs ».

« Une France qui, jour après jour, s’enfonce dans un fonctionnement à deux vitesses : des citoyens normaux justiciables et solvables qui encaissent le comportement et décaissent la facture de hors-la-loi excusés », dit très justement François Bert, qui a raison d’ajouter le qualificatif de « solvables ». Ibn Khaldoun déjà le soulignait : le système qu’il appelle « impérial », lorsqu’il décline, cherche à désarmer physiquement et moralement les populations de producteurs assujetties à l’impôt, afin qu’elles ne puissent en troubler la levée. Simultanément, il cède facilement aux groupes réduits qui persistent dans la violence et ne produisent rien qu’il pourrait convoiter, car il s’imagine que leurs revendications lui sont moins coûteuses que ne le serait leur pacification. C’est là son erreur et son arrêt de mort : soit le bras armé de l’empire se lasse de ces perpétuelles concessions à ses ennemis et prend le pouvoir, soit les groupes violents arrivent à la conclusion logique de leur « racket » : le pillage et le démembrement de l’Empire, qui se fragmente en zones tribales.

Il faut une commission d’enquête sur les violences du 1er mai

Seule une démocratie véritable, où tous les citoyens partagent les droits mais aussi les devoirs qui accompagnent l’exercice de la souveraineté – y compris la nécessité de prendre des risques pour défendre les libertés acquises – peut échapper à l’implacable logique qui aboutit tôt ou tard à confier le pouvoir aux minorités violentes.

Gabriel Martinez-Gros, grand spécialiste d’Ibn Khaldoun, l’exprime admirablement dans plusieurs de ses ouvrages, et ce qu’il dit des grands esprits de Rome résonne comme un appel pour notre temps : « Les poètes, les historiens, les moralistes – Virgile, Tacite ou Plutarque – rappellent sans cesse à l’homme de bien, en grec comme en latin, l’idéal jamais révolu de l’égalité en droit des citoyens – l’isonomia des cités grecques –, l’horreur de la tyrannie, l’honneur du choix de la liberté au détriment de la vie même. »[tooltips content= »Gabriel Martinez-Gros, Brève histoire des empires. Comment ils surgissent, comment ils s’effondrent.« ]1[/tooltips]

C’est comme un écho à l’émotion collective suscitée par le sacrifice héroïque d’Arnaud Beltrame, mais aussi à d’autres modèles de courage, de Charb qui était parfaitement conscient des risques qu’il prenait, à Henda Ayari dont l’admirable détermination et la dignité lumineuse devraient finir par jeter à bas un personnage des plus nuisibles, en passant par Georges Bensoussan qui poursuit sa quête de vérité malgré les procès malhonnêtes dont on veut l’accabler. Au passage, rappelons-nous de ceci dans les moments de doute : un chrétien, un athée, une musulmane et un juif peuvent être d’authentiques héros de l’Europe gréco-romaine. Rien n’est perdu.

Cette citoyenneté véritable qui refuse la dangereuse dichotomie guerriers/producteurs et cet idéal, le Parlement doit maintenant s’en saisir. Il doit exiger que le gouvernement et les magistrats lui rendent des comptes sur les directives véritablement données le 1er mai, et sur l’incurie de la réponse pénale face aux « black blocs ». Il doit rappeler que la seule souveraineté est celle du peuple, qu’il représente, et que c’est en son nom et uniquement en son nom que la force publique et la justice peuvent s’exercer ou s’abstenir.

A tout le moins, une commission d’enquête rassemblant des élus de tous bords doit entendre tous les fonctionnaires de police et les gendarmes qui souhaiteraient témoigner, puis rendre publiques ses conclusions.

Cachez cette casse que je ne saurais voir

De plus, il est urgent de se pencher sur la quasi-absence de sanctions à l’encontre des casseurs d’extrême gauche. Les difficultés techniques bien réelles pour les appréhender pendant les heurts doivent être surmontées, il appartient aux directions générales de la Police et de la Gendarmerie de faire des propositions concrètes en ce sens, y compris en suggérant l’expérimentation de matériels innovants. Enfin, l’arsenal législatif doit être évalué soigneusement – et calmement – puis modernisé pour l’adapter à la réalité des menaces contemporaines, en intégrant l’épineuse question de l’efficacité dissuasive et de l’effectivité des peines.

De lui-même, le gouvernement ne le fera pas. Selon son habitude, le ministre de l’Intérieur a rapidement déclaré qu’il n’y avait eu aucun dysfonctionnement : 1 200 casseurs extrémistes saccagent la capitale en toute impunité, mais tout va bien.

C’est à l’opposition et aux médias de s’emparer du sujet, mais également aux syndicats de la Police nationale et aux instances de concertation et associations professionnelles de la Gendarmerie et des Armées. La sécurité de tous est le sens même de leur engagement, et elle passe par le rétablissement de l’autorité de l’État. Il leur incombe donc aussi de s’en soucier.

C’est, enfin, le rôle de chaque citoyen que de veiller à ce qui est fait en son nom. Chacun peut s’exprimer, dans le monde associatif, dans les médias, sur les réseaux sociaux, dans la vie politique. Chacun peut écrire à son député pour l’inciter à agir. Ce sont des droits, ce sont aussi des devoirs. C’est la démocratie.

Au Québec, des agents anti-préjugés sur les migrants

0
Image d'illustration: un policier porte une fleur, Canada, avril 2018. SIPA. AP22195859_000005

Le politiquement correct a connu une évolution. Il y a quelques années, la police de la pensée se contentait encore de maquiller les faits, de travestir la réalité pour la rendre plus conforme à la mythologie multiculturaliste. Il fallait embellir tout ce qui touche à la diversité culturelle, agrémenter le quotidien de petites histoires exotiques et touchantes qui persuaderaient la population des nombreux bienfaits de l’immigration. Il fallait rehausser le goût du vivre-ensemble avec quelques épices idéologiques.

Les oubliées de Telford

Mais aujourd’hui, la vérité même est devenue oppressive et discriminatoire pour les tenants de l’antiracisme raciste. Il ne s’agit plus seulement de « corriger » la réalité, mais de la nier complètement. Dans l’actualité récente, plusieurs exemples témoignent de l’instauration de ce régime orwellien. Les multiculturalistes ont décidé qu’ils étoufferaient tous les faits susceptibles de troubler le nouvel ordre public.

En mars dernier, la presse française nous apprenait qu’environ 1000 filles mineures avaient été régulièrement violées par les membres de gangs indo-pakistanais dans la ville de Telford en Angleterre. Enfin totalement révélée par le magazine Sunday Mirror, l’histoire demeure emblématique du climat de censure qui prévaut dans les pays occidentaux. Sur une période de 40 ans, des hommes issus de l’immigration ont battu, drogué et exploité sexuellement des jeunes filles blanches, vulnérables, qui n’avaient parfois pas plus de 11 ans. De l’esclavage sexuel reposant sur l’origine ethnique dans un pays où l’élite intellectuelle prétend représenter le progrès, le féminisme et la justice sociale.

A lire aussi: Telford: silence, on viole !

Pendant toutes ces années, les corps policiers ont choisi de ne pas intervenir. On a préféré fermer les yeux sur cette affaire pour ne pas remettre en cause le sacro-saint multiculturalisme. Par crainte d’être considérés comme racistes, les autorités ont fait preuve d’une lâcheté innommable, faisant passer la protection de criminels avant celle de jeunes adolescentes appartenant à la classe populaire. Si l’Angleterre est vraiment traversée par la xénophobie comme l’assurent plusieurs chroniqueurs dans ce pays, elle l’est aussi (voire surtout) par une xénophilie maladive cautionnant la pire barbarie.

La police de la pensée existe (pour de vrai)

L’actualité fournit des dizaines d’exemples de cette négation du réel au nom de l’ouverture à l’Autre. Mais au Québec, une nouvelle en apparence irréaliste illustre particulièrement bien cette dérive. Le 26 avril dernier, les médias rapportaient « qu’une nouvelle approche pour contrer les préjugés » allait bientôt être testée à Montréal. Inspiré par un projet mené à Barcelone, le Bureau d’intégration des nouveaux arrivants de Montréal a décidé qu’il enverrait des agents parcourir les rues de la métropole afin de combattre les préjugés racistes et xénophobes de la population québécoise.

Ce n’est pas une fake news : pour faire taire les rumeurs selon lesquelles l’immigration est devenue problématique, des experts ont eu la bonne idée de mettre sur pied des escouades de chaperons endoctrineurs.

Les opinions contraires ne sont plus seulement dévalorisées, censurées ou dénigrées : il s’agirait de les supprimer là-même où les gens les expriment dans le confort de leur intimité. Questionné par Radio-Canada, le responsable du projet initial mené à Barcelone, Daniel Torres, affirmait que « l’une des meilleures manières de combattre les préjugés était d’intervenir dans la vie de tous les jours, auprès de nos amis, de nos collègues, de notre famille ». M. Torres n’a toutefois pas précisé que sa démarche rappelait celle des pires régimes dictatoriaux… Exit le pluralisme et le libéralisme. Place à la dictature de l’immigrationnariat.

Supprimer « frontières »

De manière générale, plusieurs autres réalités sont jugées suspectes, et donc contestées et démenties par les grands chevaliers de la rectitude politique. Ce n’est plus le maintien ou la défense des frontières qui pose problème, mais leur existence même. Le seul fait d’évoquer la crise migratoire fait de vous un infréquentable. Une crise dont on ne peut pas prononcer le nom, sous peine d’être excommunié.

A lire aussi: Au Québec, un colloque sur la radicalisation… des islamophobes

Pour prévenir la montée du terrible sentiment xénophobe, il faudrait ne plus parler des démarcations qui séparent les pays depuis des siècles sur la carte, mais aussi de l’illégalité dans laquelle se trouvent actuellement des milliers d’immigrés. Au Québec, les bien-pensants ont inventé un nouveau terme : l’immigration « irrégulière ». Les immigrés illégaux n’existent plus. Par la magie du politiquement correct, ils sont devenus « irréguliers ».

La face cachée du multiculturalisme

Price: 22,00 €

17 used & new available from 15,26 €

Enfin un documentaire sur (tous) les esclavages!

0
Capture d'écran Youtube/Arte de l'épisode 1/4 de "Les Routes de l'esclavage": "476-1375, au-delà du désert"

Loin des demandes de repentance et de l’esprit de la (première) loi Taubira, Arte diffuse en ce moment une série documentaire sur l’esclavage qui n’oublie pas les traites que d’autres ont occultées… 


Regarder Arte est fréquemment une épreuve. À 20 heures lorsque qu’on s’affale devant la télé, il y a la pire émission du paf les « 28 minutes » d’Élisabeth Quin. Sa vision vous expose à l’absorption d’une dose létale de doxa nécessitant une mise immédiate à l’abri. Heureusement, il y a ce que l’on appelle le « replay » dont il faut aller de temps en temps consulter les programmes. On y trouve des pépites comme la récente série de quatre documentaires intitulée Les routes de l’esclavage.

Superbes séquences filmées, animations particulièrement réussies, interviews d’universitaires érudits, les quatre documentaires bénéficient aussi d’une construction chronologique qui en accentue la clarté. Le premier épisode s’attache à décrire ce que fut la traite arabo-musulmane, les trois autres détaillent l’émergence, la maturité et le déclin de la « traite atlantique » nommée comme telle, car les routes étaient essentiellement celles de l’Atlantique pour alimenter le Nouveau Monde en esclaves. Intéressé par le sujet, j’avais déjà lu un certain nombre d’ouvrages et en particulier ceux d’Olivier Pétré-Grenouilleau et celui de Tidiane N’diaye, Le Génocide voilé.

Taubira ne va pas aimer

J’étais un peu méfiant compte tenu des polémiques qui avaient accompagné la publication de ces livres et les insultes et les procès d’intention ou carrément judiciaires dont avaient été victimes les auteurs. Et surtout, à cause du battage communautariste qui avait suivi l’adoption de la loi de 2001 dont Christiane Taubira était rapporteur. La concurrence mémorielle faisait florès, malheur à ceux qui voyaient une différence de nature entre la Shoah-génocide et la traite-crime contre l’humanité. Jamais en retard d’une mauvaise action, Christiane Taubira, insista pour que la traite arabo-musulmane échappe à l’opprobre. À ceux qui l’interrogeaient sur cette absence, elle avait répondu par cette formule stupéfiante : « Il ne faut pas que les jeunes Arabes portent sur leur dos tout le poids de l’héritage des méfaits des Arabes ». En revanche, les jeunes blancs, ils ont des dos plus solides, c’est ça ? Mes craintes étaient infondées, même s’il y a des sujets de débat, des approches peut être discutables, l’ensemble est d’une grande honnêteté.

Après un rapide rappel de l’esclavage dans l’Antiquité, le premier chapitre porte donc sur la traite arabo-musulmane, sa longueur (1300 ans), ses spécificités, sa violence et les conséquences terribles sur les sociétés africaines. Et l’on comprend mieux que le monde arabe soit encore aujourd’hui le lieu des pires exploitations et de fréquentes résurgences de la violence esclavagiste. Les trois épisodes suivants examinent les causes et les modalités de l’installation et du développement de la traite atlantique. S’articulent alors causalités et corrélations, dans un enchevêtrement structuré par la colonne vertébrale de l’émergence du développement économique capitaliste occidental à partir du XVe siècle. Les débuts du deuxième millénaire de notre ère ont été marqués en Méditerranée par l’affrontement entre le monde arabo-musulman et le monde chrétien. En 1453, la prise de Constantinople par les Turcs ferme les routes du commerce européen vers l’Asie et pousse les nations de marins vers l’Atlantique, en direction de l’Afrique et du Nouveau Monde. À la recherche de l’or, ils y trouveront de la chair humaine. Remarquablement documentés et réalisés, ces épisodes nous donnent à voir comment dans un processus effrayant de réification, l’homme est devenu un outil. Et c’est là que se situe la différence avec la traite arabo-musulmane. Qui prive certes l’esclave de son humanité, mais lui en laisse quelques bribes. La violence se manifeste de diverses façons et elle nous apparaît aujourd’hui proprement intolérable, mais elle ne pousse pas jusqu’au bout certaines logiques de négation absolue, qui seront celles de la traite européenne.

Qui est né en premier: l’esclavage ou le capitalisme ?

Plusieurs civilisations avaient acquis au XIVe siècle les bases matérielles du passage au capitalisme et en particulier le monde arabe et la Chine. Pour des raisons sur lesquelles les débats entre spécialistes font rage, c’est l’Europe de l’Ouest qui a enclenché le processus. Pourquoi, comment ? Ce sont des discussions sans fin sur la poule et l’œuf. Pour savoir si c’est l’esclavage qui a permis comme on dit chez les marxistes, l’accumulation primitive de richesse et la création des structures de crédit et d’assurance indispensables à l’essor du capitalisme et à la révolution industrielle. Ou si c’est l’essor du capitalisme qui a permis l’instauration de la traite atlantique. Indiscutablement, la série penche pour la première hypothèse. On peut retenir la seconde, c’est mon cas.

Aldo Schiavone, professeur de droit romain et grand spécialiste de l’Antiquité a avancé, dans un ouvrage intitulé L’Histoire brisée, la Rome antique et l’Occident moderne, une hypothèse pour expliquer la chute de l’empire romain. Pour lui, c’est l’incapacité à accomplir le saut que nécessitait l’abandon du mode de production esclavagiste qui est à l’origine de l’effondrement. Et que la Renaissance, après la convalescence du Moyen Âge, n’est que la reprise d’une continuité enracinée dans l’antiquité romaine. Schiavone identifie trois obstacles au passage de Rome à un autre mode de production : le manque d’investissement, les limites de l’exploitation des forces de travail serviles et l’absence d’innovation. Ce qu’il formule de la façon suivante : « La disponibilité des capitaux (publics ou privés) et les possibilités technologiques ne se rencontrèrent jamais… à ceci s’ajouta un trait antimatérialiste qui allait conditionner toute la civilisation antique ».

C’est l’Occident qui a aboli l’esclavage

Les historiens interrogés dans les documentaires en question nous montrent justement qu’à partir du XVe siècle, les possibilités technologiques et les capitaux vont se rencontrer, et l’essor de la bourgeoisie européenne va faire sauter le verrou culturel. C’est l’entrée de l’Occident dans les eaux glacées du calcul égoïste. Car ce que montre de façon parfois terrifiante ces films, c’est le caractère implacable de ce calcul économique appliqué à l’esclavage. On a besoin de bras, on va déshumaniser par principe les hommes libres raflés ou achetés, et organiser leur servitude à partir des seuls critères de rentabilité et de profit. Au regard des acteurs de cette immense tragédie, les esclaves ne sont que des marchandises qui circulent puis des outils qui travaillent. Et rien d’autre. Cette déshumanisation des victimes de la traite, s’accompagne de celle de ceux qui l’exploitent, abandonnant tous les sentiments humains d’altruisme, de morale et de compassion. De façon dialectique, ce commerce va générer très tôt un malaise grandissant dans les sociétés européennes. Il apparaît très tôt face à cette terrible violence, on lui opposera des constructions idéologiques qui deviennent intenables les unes après les autres, et nous horrifient aujourd’hui. Avec son : « Périssent les colonies plutôt qu’un principe ! », Robespierre obtiendra le 16 pluviôse an II (4 février 1794), que l’esclavage soit aboli pour la première fois dans le monde. Car le paradoxe de cette traite atlantique c’est que le constat de son caractère inacceptable et la lutte pour son abolition sont venus des sociétés européennes elles-mêmes. Au travers de luttes parfois acharnées, motivées par l’humanisme mais aussi par la volonté de ces sociétés de se prétendre plus civilisées parce qu’ayant renoncé à cette barbarie. Constatons que le monde arabe n’a jamais effectué ce travail.

On achève bien les chevaux…

Il est difficile de ressortir de la vision de ces quatre épisodes sans un certain trouble. Car ils nous montrent tout ce qui a marqué la civilisation occidentale et y laisse aujourd’hui des blessures encore vives. Mais il n’est pas question de repentance, et je refuse cette prétention à de quelconques réparations financières. Il faut cependant regarder en face ce qui apparaît au travers de cette histoire de la traite atlantique : la violence intrinsèque du capitalisme dont l’Europe de l’Ouest a imposé le modèle au monde. Au XIXe siècle, parallèlement à la poursuite de l’esclavage dans les colonies, il y a eu l’accouchement de la révolution industrielle. D’une très grande violence à l’égard de populations rurales massivement et durement prolétarisées, ou forcées à émigrer, pour être ensuite jetées dans des guerres mondiales elles-mêmes industrielles. On n’oubliera pas les colonisations elles aussi marquées par la violence. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, on a pu voir un peuple civilisé et cultivé basculer dans une barbarie insensée. Avec un rétablissement massif de l’esclavage par le travail forcé des populations considérées comme inférieures et la déshumanisation absolue des juifs dans un génocide rationnel et industriel. La grande bourgeoisie allemande a non seulement porté Hitler au pouvoir mais, sachant tout, n’a eu aucun état d’âme à en profiter et à soutenir la pire des aventures criminelles.

Évidemment, la violence humaine n’est pas propre au capitalisme, le prétendre serait absurde. Mais dans ce domaine, ce mode de production n’a guère d’état d’âme. L’histoire de la traite atlantique en est une terrible démonstration.

Les traites négrières: Essai d'histoire globale

Price: 16,86 €

26 used & new available from 6,55 €

Robert Ménard contre la République des braillards

1
Robert Ménard agressé en Gironde, 5 mai 2018. SIPA. 00857650_000011

Robert Ménard a été physiquement agressé, le 5 mai, par des militants d’extrême gauche, alors qu’il se rendait à une conférence, organisée en Gironde, sur le rapprochement de la droite et de l’extrême droite. Le maire de Béziers a accusé les « locaux » du Parti socialiste, du Modem et de La République en marche d’avoir « encouragé » ses agresseurs.


Ils étaient venus, ils étaient tous là, en bande de convergents en lutte, tous ensem-bleu-ouais dans le rejet de l’autre, coagulés sous les banderoles de l’intolérance à la diversité des idées, rassemblés dans un assourdissant chant des partisans de la vingt-cinquième heure, telle une armée des ombres de feu leurs aïeux résistants, aux sons pénibles des casseroles, rameutés malgré leur dissonance par leurs partis, insoumis ou de gouvernement, avec un seul mot d’ordre, celui que des républicains autoproclamés persistent à brailler longtemps après la mort du franquisme et de Franco : il ne passera pas.

Du mou, du mou rien que du mou

Aux premières loges pour qu’aucune baffe ne se perde, il y avait ce qui restait de la gauche plurielle, Europe écologie les verts de rage, ces écolos qui avaient tout perdu, ramenés à l’état groupusculaire de leurs origines pour avoir laissé tomber les petits oiseaux et régularisé les sans papiers, suivis de près par les socialistes, ramenés en queue de peloton pour avoir abandonnés les travailleurs et dragué la diversité, et tous ne supportaient pas qu’il reste populaire et plébiscité, cet élu haut la main, qui ne perdait ni la confiance ni l’estime de ses concitoyens, ce populiste modeste qui s’était fait élire et se ferait probablement réélire en pratiquant cet électoralisme qui leur faisait horreur et qui consistait à écouter les gens, à répondre à leurs demandes, aux attentes désespérées de ces votants ingrats qui étaient la cause de leurs défaites, de leurs dégringolades, de leurs déconfitures, à eux, les incompris de l’avant-garde en voie de disparition, qui avaient tant fait et défait pour éduquer les masses, et pour leur apprendre à vivrensemble l’impossible, même si elles ne l’avaient pas demandé.

Un peu plus loin mais pas trop pour distribuer des coups bas, il y avait les modérés du Modem, ceux que les extrêmes et les aventurismes effrayent, pondérés par principe, tièdes par constitution, timorés du juste milieu, ces humanistes couilles molles et mous du genou, un peu perdus sans leur gourou, longtemps pressenti père de la nation mais resté maire de Lourdes, sorti des radars et bientôt effacé des mémoires, dégagé par un autre ni droite ni gauche, un autre au-dessus des partis, un président un peu différent et en même temps un peu pareil puisque tous deux étaient unis dans le combat audacieux qu’ils menaient pour sauver la France des dangers qui la menacent, c’est-à-dire à les entendre, le statut des fonctionnaires et l’épaisseur du code du travail, et dans une farouche détermination à appliquer les directives européennes. Ils étaient là les centristes, qu’on ne distinguait pas des autres lâches, décidés à montrer qu’ils en avaient, résolus à combattre le « fasciste », à cent contre un.

Insoumis au courage

Comme des clones en plus jeunes, comme remplaçants des centristes ringardisés, il y avait les macronnards, les républicains en marche au pas cadencé, en rangs serrés contre une France qui devait disparaitre, et contre celui qui en était l’emblème, celui qui projetait de la sauver d’une dérèglementation en marche vers la concurrence sans frontières, cette guerre des travailleurs entre eux aux profits et aux bénéfices des petits malins de la mondialisation, contre celui qui voulait la préserver d’un progrès en marche vers un mariage sans parité et une famille homoparentale recomposée dans l’éprouvette, contre celui qui cherchait à la protéger d’un tiers monde en marche vers la disparition de sa civilisation, la civilisation française, et de ce remplacement de la culture française par le couronnement des cultures en France, en lui épargnant ce suicide français pour lequel les marcheuses et les marcheurs avaient convaincu les Français de voter. Ils et elles braillaient aussi, celles et ceux que la section locale de leur parti de gouvernement avait mobilisés, contre une certaine idée de la France défendue par ce Français à abattre, et pour une certaine idée du tribunal populaire et de la justice dans la rue alors que malgré les menaces de troubles à l’ordre public et de risques pour la sécurité d’un élu du peuple silencieux, discret, effacé et in-nocent, l’Etat et la police n’étaient nulle part.

Attirés par l’odeur du sang en perspective, il y avait aussi les insoumis, venus en nombre pour une lapidation participative et citoyenne, avec leurs belles têtes de vainqueurs, leurs mines fanées d’universitaires ratés, leurs dégaines avachies d’intermittents aigris. Parmi les plus jeunes, certains et certaines étaient tatoués et piercés, comme le veut la coutume dans les tribus adeptes de la contre-culture de la laideur indélébile. Ces révolutionnaires de 93 qui n’avaient plus de bastilles à prendre avaient des envies pressantes d’échafaud. Ils formaient le gros du troupeau des hyènes, qui attaquent en meute et en traitres, qui frappent par derrière une proie facile, isolée, affaiblie. Ils étaient la majorité bruyante de ce qu’on appelle encore la gauche. Bourrés de contradictions et d’approximations mais jamais retenus par le doute, ils avaient préféré monter sur les grands chevaux de la lutte contre le racisme et l’homophobie et mener la charge contre un homme seul plutôt qu’être dérangés par les pertinences du marxisme et de ses armées de réserve du capitalisme ou par le patriotisme de Jaurès et de sa nation, seul patrimoine de ceux qui n’en ont pas. Pour ces internationalistes béats, benêts et butés, l’Etat n’était pas protecteur mais policier, les frontières n’étaient pas remparts mais empêcheuses de se donner la main pour tous les gars du monde. Insoumis à tout apprentissage du courage, de la droiture et de l’honneur, ils consacrèrent une nouvelle fois dans la violence et l’allégresse, le naufrage de la gauche dans les eaux agitées et boueuses du gauchisme.

Le retour des heures sombres

En ce jour du 5 mai, à Saint-André-de-Cubzac en Gironde, des jacobins socialistes et des fédéralistes libéraux, des démocrates proclamés et des sympathisants totalitaires avaient formé une conjuration des immigrationistes et rassemblé dans le camp du Bien, où la fin justifie les moyens, un petit monde pas très glorieux dans la liesse de la bastonnade. Ces camarades de lynchage avaient su dépasser leurs différences pour faire taire un homme dangereux, venu sans son écharpe tricolore mais décidé à couper aux ciseaux le cordon sanitaire patiemment tressé à coups d’intimidations et de chantages au racisme pour inaugurer un rapprochement des droites, en disant à ses amis politiques : « Moins de partis, plus d’union », et pour réconcilier une droite des notables qui ne cessait de faire la fine bouche et une droite populiste qui n’arrêtait plus de faire bande à part. Robert Ménard n’attendait sans doute pas, livré à l’hystérie anti « fasciste », que s’impose de façon aussi frappante l’urgence de ne pas laisser le pays entre les mains de ce ramassis braillard et menaçant.

La photo de la scène est difficile à regarder. Elle nous rappelle immanquablement ces images d’archives prises aux heures les plus sombres de notre histoire mais elle porte deux nouvelles, une bonne et une mauvaise. La bonne, c’est la conclusion à laquelle nous amène le spectacle de cette violence : si ces Français sans peur et sans reproches traitent Robert Ménard en ennemi, c’est sans doute parce qu’ils sentent qu’ils perdent dans l’opinion la bataille des idées, qu’ils perdent le peuple et qu’ils perdent pied. La mauvaise, c’est que les journalistes de service public comme les humoristes de résistance n’ont peut être pas entièrement tort quand ils nous annoncent que les années trente sont de retour, même si elles ne reviennent pas par qui ils croient les voir revenir.

Scandale Facebook : la partie émergée du Zuckerberg

0
Mark Zuckerberg témoigne devant le Congrès américain, 10 avril 2018. ©Brendan Smialowski

Chaque jour, Facebook aspire les milliards de données de ses utilisateurs pour les vendre à des applications commerciales. En croisant les informations, le réseau social fondé par Mark Zuckerberg piétine même la vie privée d’individus qui n’y sont pas inscrits. Malgré ses excuses, son créateur ne pourra pas éternellement échapper à ses responsabilités pénales.


Le scandale Cambridge Analytica constitue la partie émergée, non pas d’un iceberg, mais d’un véritable serpent de mer. Tout fin connaisseur de l’histoire de Facebook sait bien que l’entreprise de Palo Alto est coutumière de ce type de comportements, et ce pour une raison très simple : l’activité de Facebook repose sur la monétisation et la commercialisation des données de ses utilisateurs.

A lire aussi: DOSSIER SPECIAL – Réseaux sociaux: Big Brother, c’est nous !

La montagne de sucre commence à caraméliser

Que « la montagne tremble », ou que « la montagne de sucre » se mette à caraméliser (ce sont là deux étymologies possibles du nom du patron de Facebook), l’avenir semble clairement s’obscurcir pour le réseau planétaire. L’occasion est ainsi offerte d’interpréter la clémence avec laquelle le monde accueille ces révélations. De nombreux observateurs sont pourtant frappés par les caractéristiques quasi étatiques que Facebook a développées avec le temps – politique de recensement, prétentions à la gestion de l’état civil, éducation, renseignement, financement de la recherche sur critères idéologiques, identité numérique, etc. Or, si un État s’était rendu coupable du tiers des pratiques attribuées ou imputées à Facebook, il aurait été assez rapidement traîné par la peau des fesses devant la Cour européenne des droits de l’homme.

Cambridge Analytica : « So much for democracy » ?

Petit retour sur l’affaire par laquelle le scandale est arrivé. En 2010, Facebook permit à des applications tierces de lire et collecter des données d’utilisateurs. En 2013, Cambridge Analytica sortit de ses forges l’application « This is your digital life ». Près de 270 000 utilisateurs américains de Facebook se prêtèrent sans se méfier à ce qu’ils prirent pour un simple test de personnalité. C’était en fait une monumentale pompe aspirante de précieuses données (sur l’orientation sexuelle, politique, religieuse, etc.) destinées à être vendues. En raison de la porosité entre les profils « amis », ce furent au bout du compte plus de 87 millions de personnes dont les données personnelles furent aspirées. En 2016, la campagne de Donald Trump a investi massivement dans la publicité sur Facebook à la veille de l’élection présidentielle. L’audience idoine fut utilement ciblée, grâce au profilage fourni par Cambridge Analytica. À la mi-mars, la funeste entreprise d’influence fut révélée au grand jour. On put alors lire sous la plume de commentateurs américains « so much for democracy », « tant pis pour la démocratie »…

A lire aussi: Mais si Mark Zuckerberg, Facebook fait de la politique

Le Jawad du réseau social

Dans la foulée, Zuckerberg a été sommé de venir s’expliquer devant la Chambre des représentants et le Sénat. Le monde entier a alors vu paraître, sous les traits d’un adolescent glabre et livide, pris la main dans la jarre de cookies, engoncé dans un costume de fortune, sourire crispé, le cinquième homme le plus riche au monde, seul maître à bord d’un réseau tentaculaire peuplé de deux milliards d’êtres humains. Sa ligne de défense peut être résumée ainsi : « Je m’excuse. J’ai pas fait exprès. Je savais pas. Je le ferai plus, je le jure m’sieur dame. » Nous avions trouvé notre Jawad du réseau social.

Zuckerberg évoqua aussi publiquement son souci de « réparer » l’outil Facebook, afin d’éviter que d’autres scandales ne surgissent des profondeurs. Peu de temps après, une employée de Cambridge Analytica déclara que le scandale pourrait bien être plus grave encore que ce qui avait été annoncé. Brittany Kaiser expliqua avoir eu connaissance d’autres applications accueillies par Facebook et destinées à récolter des données : un « quiz sur la sexualité » et un autre sur la « personnalité musicale des utilisateurs [sic] ». Mais curieusement, ce dont personne n’a parlé alors, c’est de la manière dont Zuckerberg entendait réparer concrètement le préjudice colossal causé à la démocratie et à l’exercice des libertés publiques. Personne.

Toutes les pratiques d’importation de contacts douteuses sont justifiées

Facebook bénéficie d’un tel capital de sympathie que l’utilisateur moyen demeure persuadé que le média social a été victime d’une fuite ou d’une faille de sécurité. Au fond, personne ne veut admettre l’évidence. Même la publication d’une note interne particulièrement explicite, datée de 2016, a laissé le monde de marbre. Andrew Bosworth, vice-président de Facebook, y tient ces propos effrayants : « Nous connectons les gens. Un point, c’est tout. C’est pourquoi tout le travail que nous faisons en matière de croissance est justifié. Toutes les pratiques d’importation de contacts douteuses. » Et d’ajouter : « Cela peut être mauvais s’ils le rendent négatif. Peut-être que cela coûte une vie à quelqu’un en exposant quelqu’un aux intimidateurs. Peut-être que quelqu’un meurt dans une attaque terroriste coordonnée sur nos outils. » Dont acte, peut-être ?

A lire aussi: Causeur: ne laissez plus Facebook décider pour vous !

Le statut du Commandeur se fissure

Chaque utilisateur de Facebook laisse en moyenne, nolens volens, 98 données personnelles le concernant. Quand vous postez un selfie, vous fournissez trois données (photo, texte, reconnaissance faciale). Mais Facebook en collecte aussi 17 autres (modèle du téléphone, opérateur, niveau de batterie, réseau wifi, temps passé sur la plateforme, etc.). Plus inquiétant encore, Zuck collecte des données y compris lorsque les utilisateurs sont déconnectés du réseau. Enfin, last but not least, Facebook butine des données relatives à des petites fleurs qui ne sont même pas inscrites sur sa plateforme. Magique ! Ce sont leurs « profils fantômes ». Les choses commencent quand même à bouger. Le statut Facebook du Commandeur est en train de se fissurer. En témoigne le fait qu’un juge américain vient de déclarer recevable la demande de plainte en nom collectif (class action) contre Facebook suspecté de collecte illégale de données privées d’utilisateurs liées à un outil de reconnaissance faciale.

En dépit de ce tombereau de preuves à charge, le commun des mortels continue à ne pas trouver de raisons particulières de quitter Facebook. Certes, un récent sondage affirme peut-être que 30 % de ses utilisateurs français envisagent de supprimer leur compte. Une blague qui circule sur internet les soupçonne de se reconnecter rapidement après leur demande de suppression, juste pour aller voir combien de « like » aura généré leur statut solennel ! Facebook, c’est un peu cette vieille tour, cette vieille barre de banlieue que personne ne se résout à voir disparaître, mais qu’il faudra bien un jour ou l’autre dynamiter, essentiellement pour des questions de sécurité.

Au marché d’Argenteuil, la haine des « sionistes » a pignon sur rue

0
argenteuil antisemitisme islam antisionisme
Gare d'Argenteuil. Wikipedia. Clicsouris.

« Le procès injuste et délirant d’antisémitisme fait aux citoyens français de confession musulmane et à l’islam de France à travers cette tribune présente le risque patent de dresser les communautés religieuses entre elles », a écrit le recteur de la mosquée de Paris Dalil Boubakeur, pour répondre au manifeste des 300 contre l’antisémitisme publié dans Le Parisien.

Il me semble que face aux débats stériles, et aux discours de déni, il convient d’opposer des faits. Rien de tel que la réalité, pour nourrir avec pertinence le débat public. Et c’est bien un fait que je m’apprête à relater ici.

Il est beau mon burkini, il est beau

Nous sommes le dimanche 6 mai, et il est 12h20, à Argenteuil, commune la plus peuplée du Val d’Oise (110 000 habitants). Je viens de rentrer du marché Héloïse qui se situe dans le centre-ville, mais où il n’y a aucune mixité ethnique, sociale ou culturelle. La majorité des personnes qui sont en train de faire leurs courses ici, sont comme moi issues de l’immigration maghrébine. La moitié des femmes au moins est voilée, et le vendeur de maillots de bains, ne tarit pas d’éloges au sujet du burkini dont il fait la promotion sous mes yeux.

A l’entrée du marché, je suis passée devant un stand avec des gadgets à vendre aux couleurs du drapeau palestinien. T- shirts, mugs, stylos, tous portant le slogan « Free Palestine ».

L’orateur crache un discours de haine absolument insupportable à l’égard d’Israël. « Tueurs d’enfants ! Les sionistes chassent les gens de leurs propres terres ! Israël assassin ! Israël terroriste ! Aidez-nous à sauver les enfants palestiniens de l’entité sioniste ! » Sa voix était emplie de colère, le ton martial et l’antisémitisme sortant de chaque pore de sa peau. Il était rouge, le visage dégoulinant de sueur, exalté. Cet appel à la haine ne dérangeait apparemment personne. Le stand attirait même des clients.

« Nous ne sommes pas antisémites, Madame ! »

Mon sang n’a fait qu’un tour. Je suis allée voir les personnes qui tenaient ce stand, et j’ai crié pour tenter de recouvrir la voix du prêcheur : « Nos enfants tuent des Juifs en France ! Vous êtes moralement responsables de ces meurtres ! Cessez d’inciter les gamins à la haine ! »

La rage avait mis des larmes dans ma voix. Une femme derrière le stand, chargée de vendre les t-shirts de cette association, me dit : « Nous ne sommes pas antisémites, Madame ! » Celui qui distribuait des tracts a tenté l’apaisement, calmement il s’est approché de moi et m’a dit à voix basse: « Est-ce qu’on peut discuter des enfants tués par les Israéliens ? »

A lire aussi: Pourquoi ils ne supportent pas les Juifs

J’ai fait un véritable scandale. Des passants interloqués, se retournaient, ne comprenaient pas tout à fait ce qui se passait. J’étais si fébrile que j’avoue avoir fini par proférer des insultes en arabe. J’ai lancé des malédictions également en arabe vers ces faiseurs de haine: « na’alatou allah ‘alikoum almoujrimin ! Rabbi inezzel ‘alikoum lghadab dial denya ou din ! » (que Dieu vous maudisse bande de criminels ! Qu’Il abatte sur vous son mécontentement jusqu’au jour du jugement dernier !). Je n’ai pas su dialoguer, essayer de convaincre et c’est un échec pour moi, que d’avoir cédé à l’indignation.

Touche pas à mon élève !

Professeur dans un lycée difficile de la banlieue parisienne, je n’ai comme circonstance atténuante que mon souci constant de protéger la jeunesse de notre pays, des idéologies de haine. Mon métier est un sacerdoce, ma mission noble et mon devoir républicain sacré. En trois mots : je suis passionnée. Touche pas à mon élève !

J’ai été seule à cet instant, devant le stand de cette association. Je me suis sentie bien seule dans un marché bondé.

Personne n’était dérangé par ce discours antisémite débridé. C’est une chanson douce à laquelle trop de concitoyens sont habitués. Et il est possible que M. Boubakeur lui-même y soit trop habitué, ou encore ignorant de la réalité du terrain. Ils en sont arrivés à un stade où ils ne comprennent même pas où est le problème.

Il est temps que la France déclare la lutte contre l’antisémitisme grande cause nationale.

L'affaire Sarah Halimi

Price: 16,00 €

22 used & new available from 2,42 €



Thiéfaine: « En 68, j’étais nihiliste pour me démarquer des gauchistes »

0
hubert felix thiefaine punk 68
Hubert-Félix Thiéfaine, Sipa. Numéro de reportage : 00626675_000004.

Thiéfaine entamera en octobre une tournée des Zénith avec un détour par Bercy (le 9 novembre) pour fêter ses quarante ans de carrière. Le chanteur, dont on ne compte plus les disques d’or (une vingtaine au bas mot), reste pourtant une figure discrète, évoluant en marge du marigot médiatique. Ses albums studio sont réédités en vinyle. Pour Causeur, il a accepté de se pencher sur son parcours atypique.


Sébastien Bataille. Quel regard portez-vous sur le Hubert-Félix Thiéfaine des débuts, il y a 40 ans ?

Hubert-Félix Thiéfaine. Beaucoup de provocation, beaucoup de folie ! Accrocher impérativement le public… essayer de le faire rire… jaune !… de ne plus le lâcher et de s’imposer coûte que coûte… au risque de finir certains concerts en sang comme à Saint-Michel-sur-Orge où j’ai reçu des canettes de bière (avant qu’on ne les interdise…), ce qui m’a valu de leur dire : « Qui n’a jamais péché me lance la première bière » !

Il faut dire que votre premier album est sorti en pleine période punk, avec ce climat de violence juvénile dans l’air. Avez-vous été imprégné de ce mouvement contestataire et nihiliste ?

Quand j’étais à la fac à la fin des années 60, avec quelques potes plutôt artistes, on avait créé un mini groupuscule nihiliste. Un nihilisme plus proche de certains personnages un peu vulgaires et ténébreux de Dostoïevski que des élégantes et lumineuses visions de Nietzsche ! À l’origine, c’était une façon de se démarquer de tous les groupuscules gauchistes révolutionnaires qui essaimaient sur les campus…

Vous n’avez donc pas suivi le mouvement en mai 68 ?

Notre philosophie était plutôt très proche de ce qui, à peine dix ans plus tard, allait s’appeler le mouvement punk. Disons qu’on était une poignée de mecs désespérés par leur avenir, dont le mot d’ordre aurait pu se résumer à « suicide et destruction »… et donc alcool et drogues. On avait 20 ans et l’on venait d’inventer le Diabolo Négrita pour faire passer nos gueules de bois ! C’est à cette époque que j’ai écrit les premières versions de « 113ème cigarette sans dormir » ou « Exil sur planète fantôme ».

Les textes de ces chansons sont très… destroy, avant l’heure punk…

En 1977 (NDLR : année d’émergence du mouvement punk), j’habitais à Saint-Germain-des-Prés, dans une chambre de bonne, rue du Dragon et je n’avais qu’à traverser le boulevard pour me retrouver dans une salle qui s’appelait le Vidéo Stone, où l’on projetait Acceleration Punk avec les Jam, Damned, Police, Sex Pistols… J’y ai passé des après-midi entiers. Après plusieurs années à me lamenter sur la décadence du rock, tout à coup je prenais ce souffle nouveau et résurrectionnel en plein cœur. Mais je ne peux pas dire que j’ai été imprégné par ce mouvement, vu que depuis ma sortie de l’école, à la fin des années 60, « No Future » avait été mon cri de guerre. J’étais juste content de voir qu’au niveau des textes, j’avais pris une bonne longueur d’avance !

Votre premier album, Tout corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s’émouvoir – sur lequel figure « La Fille du coupeur de joints » -, sort l’année suivante (1978), après dix ans de galère. Est-ce qu’il revêt une importance plus grande que les autres aujourd’hui ?

Ce premier album, j’en ai rêvé pendant des années, parce que je savais que sans lui je ne parviendrais pas à exister. J’étais comme un travailleur sans papier. Avec tout corps vivant… j’avais soudain un passeport et une carte de visite. Je pouvais commencer à travailler sérieusement et à dire « j’existe ».

Vous racontez vos années de « galérien » dans une chanson, « La dèche, le twist et le reste » – parue sur ce premier album – qui fait écho à « La vie d’artiste » de Léo Ferré.

En 1971, quand je suis « monté » à Paris en sortant de la fac, avec pour seul viatique une guitare et un sac à dos, je ne pensais pas que je passerais de si longues années de galère à traîner dans les rues comme un SDF, parfois même comme un paria… Au départ, pour survivre, j’ai fait une série de petits boulots. Puis, en 1973, alors que je commençais à passer dans certains cabarets avec mon One Dog Show Comme un Chien dans un Cimetière, j’ai décidé d’abandonner tous ces petits jobs qui m’épuisaient et m’enlevaient toute mon énergie pour essayer de ne vivre que de mes chansons. Je voulais surtout avoir tout mon temps pour écrire et composer. C’est à partir de ce moment-là que j’ai commencé à plonger dans mes années les plus noires : mes rares passages en cabaret ne me permettaient pas de manger à ma faim et malgré l’aide de certains « mécènes » qui parfois m’hébergeaient, je me suis retrouvé malade avec des ganglions gros comme des œufs à l’aine et aux aisselles… Bien sûr, je n’avais pas la sécu. Je suis donc allé là où les hôpitaux étaient gratuits, c’est-à-dire ceux qui étaient spécialisés dans la recherche. On me diagnostiqua une insuffisance pondérale et des carences en protéines, vitamines, sels minéraux etc. Bref, en fait on m’apprenait que j’étais tout simplement en train de mourir de faim… au sens propre ! C’est dans ce contexte que j’ai composé « La dèche, le twist et le reste ».

Hormis ce caractère autobiographique, votre œuvre pressent parfois l’évolution de la société : « Quand la banlieue descendra sur la ville » (2001), avant les émeutes de 2005, « Crépuscule transfert » (1993) et l’annonce de peuples « euro-pingouins » engoncés dans la crainte du terrorisme, bien avant les attentats de 2015, etc.

Je ne me préoccupe pas de jouer les Cassandre. Toute création nous pousse à travailler dans l’imaginaire et donc potentiellement dans le futur. Disons que je ne fais qu’appliquer une certaine lucidité logique à mon imaginaire et que parfois il m’arrive de taper dans le mille ! Les nostalgiques s’intéressent au passé, les hyperactifs au présent… moi je suis un rêveur : mon terrain de jeu est le futur.

Votre prose se nourrit-elle de littérature contemporaine, de romans noirs, d’anticipation ?

En littérature, tout m’intéresse et comme j’aime avoir une vision à 360 degrés et que je lis toujours plusieurs bouquins à la fois, je mélange facilement les époques, les langues et les styles. Donc je peux lire Homère avec Philip K. Dick, Jim Harrison avec Proust, Lucrèce avec Bret Easton Ellis et Thomas Mann avec Bukowski, etc. A partir du moment où on aime les mots, où on joue avec et où on en vit, on ne peut pas échapper à la poésie et à la littérature. Donc je m’en nourris. Mais la lecture n’est pas suffisante en soi. Sans l’expérience personnelle, je ne pense pas que je pourrais écrire. Il est tout aussi important pour moi de partir à l’aventure dans le monde qui nous entoure : c’est un zoo tellement magnifique à visiter !

Parlons donc du zoo, ou plutôt du cirque médiatique. Quand les médias n’annoncent pas votre premier Bercy, vous parlez de faute professionnelle de leur part. Quand Les Inrocks vous « oublient » dans leur classement des « 100 meilleurs albums français » l’an dernier, que leur dites-vous ?

Je regrette un peu le temps où la censure existait ouvertement… où il y avait des Ernest Pinard qui censuraient Baudelaire et relaxaient Flaubert : c’était une excellente publicité pour les artistes ! En ce qui me concerne, il ne s’agit même pas de censure, certains préfèrent m’ignorer : il paraîtrait que je leur fais peur… On parle de ceux qui défraient la chronique, moi je suis de ceux qui l’effraient ! (rires)

Néanmoins, cet ostracisme sidérant dont vous faites l’objet vous permet de sortir des saillies mémorables : « Lobotomie-média / Propaganda flippée / Lobotomie-média / Propaganda fliquée »… Finalement, vous pourriez presque leur dire merci, tant ils contribuent à entretenir votre flamme poétique.

Peut-être. J’admets aujourd’hui que le boycott des médias à mon égard (et vice-versa !) m’a donné une aura inattendue que j’apprécie particulièrement. Ensuite, cela concerne surtout la télévision et la radio… mais il est vrai aussi que certains magazines font l’apologie de tout ce qui est inconnu (par snobisme) ou de tout ce qui est déjà populaire mais très mal vu par un public bobo déjà passablement snob (ça c’est ce que j’appellerais du post-snobisme) et de toute évidence, je ne fais pas partie de ce périmètre.

Votre discographie, constituée de 17 albums studio, traverse cinq décennies. Pourriez-vous nous indiquer, pour chacune d’elles, l’album dont vous êtes le plus satisfait, et pourquoi ? Les années 70 d’abord.

Tout corps vivant branché sur le  secteur étant appelé à s’émouvoir… ne serait-ce que par tout ce que j’en ai dit au début de cet entretien.

Passons aux années folles, les années 80 bien sûr.

Soleil cherche futur parce que c’est l’album que je considère peut-être comme le plus abouti.


A contre-courant du rap et du grunge, vous exprimez une forme de sérénité dans les années 90, n’hésitant pas à tenter le bonheur.

Mon choix irait en effet vers ce qui est devenu aujourd’hui un double album sous le titre de Bonheur & Tentation. L’idée de départ était de faire deux albums qui se renvoient les images comme dans un miroir : tentation du bonheur / bonheur de la tentation ; Orphée nonante huit / Eurydice nonante sept ; la philosophie du chaos / le chaos de la philosophie… etc.

Les années 2000 sont celles de la consécration, enfin !

Oui, en 2007, l’album Scandale mélancolique était nominé aux Victoires de la musique, mais je prendrais Défloration 13, qui fait partie de ce que j’appellerais mes albums expérimentaux. Dans cet album, j’essaie d’élargir mon champ d’inspiration et musicalement, je m’inspire de l’école de Bristol : Massive Attack, Portishead, Tricky… Je suis également très fier des textes.

Les années 2010 sont celles de votre quasi canonisation, avec deux Victoires de la musique et le grand prix de la Sacem pour Suppléments de mensonge, où figure le désormais classique « La Ruelle des morts ».

Ma préférence va malgré tout au dernier en date, Stratégie de l’inespoir (2014), pour la cohérence, la fluidité et la richesse de ses thèmes et des arrangements.

Tournée « 40 ans de chansons », du 12 octobre (Zénith de Nantes) au 18 novembre (Zénith de Montpellier). AccorHotels Arena (Bercy) de Paris le 9 novembre[tooltips content= »Merci à Michel Vidal et Cacilie Tomao, de Sony Music. »]1[/tooltips].

La publication de l’intégrale de la discographie studio en vinyle a démarré le 2 mars par les trois premiers albums, elle se poursuivra jusqu’au 9 novembre. Un coffret est disponible pour les ranger, à compléter tout au long de l’année.

Europe : Macron, le dernier des fédéralistes

0
"Initiative pour l'Europe" : le discours d'Emmanuel Macron à la Sorbonne, 26 septembre 2017. © Sipa. Numéro de reportage : 00824683_000013

Après l’élection d’Emmanuel Macron, nombre de médias français espéraient que le miracle se reproduirait et qu’un big bang adviendrait à l’échelle européenne. Las, de Berlin à Rome en passant par Varsovie et Budapest, l’offensive du président français pour la relance de l’intégration fait un flop magistral.


Dans l’euphorie de l’élection d’Emmanuel Macron, les partisans d’une Europe postnationale substituant toujours plus la souveraineté d’une Union enfin sortie de son marasme à celle des États membres avaient sabré le champagne. Enfin un président français qui ne mettait pas le drapeau bleu étoilé dans sa poche et qui arrêtait, au son de L’Hymne à la joie, une longue séquence déprimante pour les euro-enthousiastes, allant de l’échec du référendum de 2005 sur la Constitution européenne jusqu’au vote pour le Brexit en juin 2016.

Sur France Inter, Bernard Guetta commentait cet événement avec l’enthousiasme d’un Thierry Roland célébrant la victoire des Bleus en 1998.

Face à Vladimir Poutine, Donald Trump et Xi Jinping, ces géants planétaires et malveillants, surgissait enfin un homme capable de redonner au Vieux Continent l’élan vital pour sortir de ses querelles internes et jouer dans la cour des grands.

L’enlèvement de l’Europe

D’éminents augures annonçaient un alignement des planètes favorable à l’UE : l’influence néfaste de Londres sur la marche de l’Europe vers son intégration étant éliminée, place nette était faite pour une harmonie franco-allemande restaurée, guidant les peuples du continent vers un avenir glorieux, dans la paix et la prospérité. À la solidité d’une Angela Merkel en passe d’obtenir un quatrième mandat, venaient s’adjoindre l’énergie et l’enthousiasme européen d’un jeune président français dont l’élection avait fait pousser un soupir de soulagement, à Bruxelles et à Berlin : on s’était, là-bas, tellement fait peur avec la perspective d’une Marine Le Pen à l’Élysée ! Celui qui l’avait terrassée était so young, so smart, so people : on le célébrait seul ou avec Brigitte, dans les palais comme dans les chaumières, dans les quotidiens austères comme dans les magazines sur papier glacé.

À cette version moderne du triomphe à la romaine, il manquait l’esclave chargé de tenir la couronne de laurier au-dessus de la tête du vainqueur et de lui murmurer sans cesse « memento mori », « souviens-toi que tu n’es qu’un mortel »… Emmanuel Macron prit donc le soupir de soulagement de nos voisins pour des acclamations en sa faveur.

Moins d’un an plus tard, l’hubris du président Macron lui a, en matière européenne, fait commettre quelques bourdes dont les conséquences sont aujourd’hui évidentes, sauf pour ceux qui s’obstinent à ne pas les voir. Jamais, dans la période récente, la France n’a été aussi isolée de ses partenaires européens que depuis l’arrivée de Macron à l’Élysée, jamais notre pays n’a essuyé autant de rebuffades.

Que reste-t-il aujourd’hui de l’élan européen du nouveau président ? À en juger par son discours du 17 avril devant le Parlement de Strasbourg, pas grand-chose : pas de propositions décoiffantes comme à la Sorbonne, mais une dramatisation surjouée mettant en garde contre une « guerre civile européenne » si l’Union ne transformait pas radicalement son mode de fonctionnement. L’accueil fut tout juste poli, les applaudissements mesurés, les tweets partant des travées ravageurs (« arrogance française ! »), les commentaires de couloir désabusés, y compris de la part des supposés amis du président français, comme le président du groupe socialiste Udo Bullmann qui salue l’orateur, mais attend les actes.

Soyons respectueux: mettons ce bide au débit de parlementaires qui n’ont rien compris à « l’autorité de la démocratie » que notre président entend incarner urbi et orbi. Mais la courtoisie républicaine ne saurait empêcher de recenser les erreurs commises par Emmanuel Macron dans la gestion de son projet européen (dont votre serviteur ne partage pas la philosophie).

Macron Ier le mal-aimé

La première bourde magistrale a été le fameux discours de la Sorbonne, porté aux nues par la majorité de nos commentateurs hexagonaux. Prononcé au lendemain d’élections au Bundestag aux résultats pour le moins mitigés pour la chancelière sortante et ses alliés du SPD, il dresse un catalogue détaillé des mesures souhaitées par Emmanuel Macron pour relancer l’Europe : parlement de la zone euro, ministre européen des Finances, budget européen, défense commune, et coopérations renforcées entre les pays désireux d’aller de l’avant. Merkel est furieuse : contrainte à de délicates négociations de coalition avec des partenaires plus que réticents devant ce genre de projets, elle n’entend pas être mise au pied du mur.

Une fois écarté l’épouvantail d’une coalition « jamaïcaine » intégrant des libéraux très hostiles au projet macronien, notre président commet une nouvelle bévue : il mise sur un mauvais cheval, Martin Schulz, alors chef du SPD, comme principal relais de ses positions au sein de la grande coalition reconduite. Résultat : Schulz est débarqué par ses troupes, et son successeur, Olaf Scholz, devenu vice-chancelier et ministre des Finances, n’est pas sur la ligne ultra-francophile du brave Martin. Son orthodoxie monétariste et budgétaire est très proche de celle de son prédécesseur CDU, le redouté et redoutable Wolfgang Schäuble. Merkel reste, en apparence, bienveillante avec Emmanuel Macron, mais laisse ses amis, allemands et étrangers lacérer à belles dents les joujoux du président français.

Ainsi, c’est la CDU du Parlement de Strasbourg qui organise l’enterrement du projet élyséen de réserver, lors des prochaines élections européennes, 27 des 73 sièges laissés libres par les Britanniques à des listes transnationales, préfiguration de la grande démocratie continentale rêve de Cohn-Bendit que Macron rêve de réaliser.

Une coalition de huit pays nordiques s’accorde sur un document rejetant point par point le discours de la Sorbonne. Le Premier ministre néerlandais Mark Rutte, inspirateur mais non signataire du texte qu’il trouvait encore trop gentil pour Macron, réagit dans un style trumpien : « Quand on a des visions, on va chez le docteur ! »

Président français recherche europhiles désespérément

À l’est, ce n’est pas mieux. L’offensive du président français contre la directive sur les travailleurs détachés a fortement déplu, et ses leçons de morale aux « démocraties illibérales » hongroises et polonaises, notamment sur leur refus d’accueil des migrants, ne servent pas sa popularité. Les dirigeants de ces pays vont chercher à Berlin l’assurance qu’ils ne seront pas marginalisés dans une Europe à deux vitesses, et qu’avec ou sans l’euro, ils resteront accrochés à la locomotive communautaire. Et ils l’obtiennent…

Au sud, les relations avec l’Italie sont empoisonnées par la question des migrants, que la France refoule régulièrement lorsqu’ils tentent de franchir les Alpes. C’était déjà le cas avec le gouvernement de centre gauche de Paolo Gentiloni, et cela ne risque pas de s’améliorer après des élections emportées par deux formations beaucoup moins europhiles, le Mouvement 5 étoiles et la Ligue, parti frère du Front national. L’Espagne est préoccupée par la crise catalane. Plus à gauche, la Grèce et le Portugal soupçonnent Macron d’être le nouvel avatar de l’emprise néolibérale sur l’Union européenne…

Le rêve d’un big bang européen similaire à celui de mai 2017 en France, qui rendrait obsolète le vieux clivage droite-gauche dès les élections européennes de mai 2019, se heurte à la résistance farouche du « vieux monde ». Une victoire sans appel, en France, d’une liste macronienne allant des amis de Dany Cohn-Bendit à ceux d’Alain Juppé pourrait lui redonner des couleurs. Le scrutin risquant d’être, comme d’habitude, le défouloir d’électeurs déçus, c’est loin d’être gagné…

Petits bourgeois pas contents organisent ateliers potager et graffitis dans les facs de Paris

0
Image d'illustration. Ici le blocage de l'université de Tolbiac lorsqu'elle était encore occupée, mars 2018. SIPA. 00852173_000013

Très médiatisée, l’évacuation de la Sorbonne historique en avril dernier a donné l’impression que la situation était sous contrôle.

Mais « en Sorbonne » (ou « dans la Sorbonne-mère »), se tiennent quasi uniquement les colloques et les conférences, ainsi que les séminaires de Master et Doctorat. Peu de filières fréquentent le bâtiment dès le niveau licence. Le blocage n’était pas bon pour l’image touristique du lieu et nuisait à la réputation internationale de la noble institution. Il fut donc promptement levé au bout de quelques heures, manu militari :

En revanche, les sites de Clignancourt et de Malesherbes, où sont délivrés les enseignements de licence pour la plupart des filières sont, quant à eux, depuis des semaines, ballottés entre « AG », « blocages », « occupations » et « fermetures pour raison de sécurité » (à l’initiative de la direction ou de la préfecture, selon les jours), dans l’indifférence générale.

« C’est parce que la sélection naturelle t’a oublié que tu veux imposer la sélection sociale aux autres ? »

Ce qui surprend, justement, c’est le décalage entre cette indifférence et l’importance que les activistes prêtent à leur mouvement. S’informant uniquement par les réseaux sociaux, ils vivent en vase clos. Communiquant essentiellement avec d’autres révoltés, ils se donnent l’illusion du nombre et ne se rendent pas compte que bien des gens ignorent jusqu’à l’existence de leur mouvement.

Ils ont l’insulte facile et il ne s’agit pas de s’en faire des ennemis : un opposant au mouvement qui demandait la levée des blocages en vue des partiels s’est ainsi vu rétorquer sur Facebook : « c’est parce que la sélection naturelle t’a oublié que tu veux imposer la sélection sociale aux autres ? ».

Des « étudiants » de 37 ans

La loi ORE ne constitue plus, depuis longtemps, le motif central de leur mobilisation. La ZAD de Nantes, le statut des cheminots, l’éradication du sexisme et du racisme, la « convergence des luttes » et même la « refondation intégrale du système scolaire » sont devenus les mots d’ordre dominants pour ces excités groupusculaires.

L’UNEF peine à s’imposer et cède du terrain à la CGT, très présente : de véhéments orateurs intervenant aux AG peuvent se prétendre étudiants de L1 (et peut-être le sont-ils), on a peine à croire qu’ils aient obtenu leur bac il y a un an… L’une des personnes les plus actives dans la défense du mouvement sur la page Facebook de la faculté de Lettres est un certain Mehdi B., âgé de 37 ans, élu CGT au Conseil d’Administration de la Sorbonne pour le collège des BIATSS (personnel d’entretien, bibliothécaires, employés de l’administration, etc.). Autant dire que son avenir professionnel ne serait pas mis en jeu par l’annulation des partiels.

Il y a encore une dizaine d’années, les mouvements étudiants tiraient leur dynamique d’une forme de soutien collectif unissant ceux qui « comprenaient les revendications » à ceux qui participaient activement aux actions. La rupture est consommée : les sites de Malesherbes et Clignancourt, comme les autres facultés bloquées en France, sont actuellement tenus par des groupes très minoritaires, radicaux et ultra-idéologisés. Ainsi, le blocage du site de la Sorbonne boulevard Malesherbes vient, au moment où j’écris ces lignes, d’être reconduit jusqu’au samedi 12 mai par… 123 voix pour et 28 contre ! L’AG est souveraine, comme ils disent. Il faut dire que les AG…

Démocratie populaire

Les premières comptaient des centaines d’étudiants. On promettait une démocratie exemplaire et qu’un vote entérinerait toute décision : le blocage, bien sûr, mais aussi l’extension des mots d’ordre de la lutte, le contenu et la diffusion des communiqués, et jusqu’au fait de redonner ou non la parole à untel qui s’est déjà exprimé ! L’AG dure 4 heures et à la fin, on ne vote plus sur rien. Les dates de la prolongation du blocage semblent sorties d’un chapeau et, alors même qu’un gros tiers de l’assemblée vient de voter contre la poursuite du mouvement, l’AG se clôt sur un cri de victoire : « nous sommes 500 dans cet amphi ! 500 opposants à Macron et à sa politique ! » Venir à l’AG, c’est donc déjà cautionner la cause. Les opposants ont compris, ils ne vont plus aux AG.

L’administration ayant proposé un vote électronique (dont le résultat est largement en faveur de la reprise des cours), les partisans du blocage dénoncent…

>>> Lisez la suite de l’article sur le blog d’Ingrid Riocreux <<<

 

La Langue des médias : Destruction du langage et fabrication du consentement

Price: 20,00 €

31 used & new available from 2,64 €

Boris Vian, Causeur, le Dernier des géants, etc.

0







« Black blocs »: casseurs partout, justice nulle part!

0
Casseurs du 1er mai à Paris, SIPA. 00857010_000015

De bout en bout, la gestion des saccages et des pillages commis le 1er mai par les « black blocs » a été catastrophique. A la passivité pendant les violences a succédé un véritable fiasco judiciaire, confirmant la coupable pusillanimité de l’État. Une commission d’enquête s’impose.

Avec des effectifs sans précédent, les « black blocs » ont investi les manifestations du 1er mai à Paris. Ces casseurs d’extrême gauche, environ 1200, se sont livrés à toutes sortes de destructions, incendies, et agressions des forces de l’ordre. Refusant la démocratie au profit de fantasmes d’une violence purificatrice dont ils s’enivrent, ils se rêvent en avant-garde héroïque d’une révolution qui renversera la société à laquelle ils doivent tout mais qu’ils haïssent. Et ils tentent de justifier cette haine en accusant l’État d’être par nature oppresseur, fasciste, sexiste, raciste.

Laisser-faire, laisser casser

Il est souvent facile de dire après-coup ce qu’il aurait fallu faire, et beaucoup plus compliqué de prendre la bonne décision dans l’instant, en ne disposant que d’informations partielles et en étant confronté à des impératifs contradictoires. Reste qu’en termes d’ordre public, la gestion des « black blocs », le 1er mai, a été manifestement inadaptée.

Ce n’est pas une nouveauté. La complaisance du pouvoir envers l’extrême gauche violente vient de loin, et il n’est pas nécessaire d’imaginer une quelconque manipulation de ces groupes par les services spéciaux pour l’expliquer.

L’autorité politique est obsédée par son image et par l’impact médiatique de ses décisions. Ce ne sont pas les « black blocs » qui inquiètent le gouvernement, mais ce qu’on dira de la réaction de l’État. De ce point de vue, rien ne saurait être pire qu’un casseur mort, ou même gravement blessé : aussitôt, nombre de ceux qui critiquent maintenant la passivité des forces de l’ordre se déchaîneraient en hurlant à la répression sauvage, à l’État policier et au retour des « heures les plus sombres de notre histoire ». Ce serait une victoire politique pour l’extrême gauche et, outre la soif d’en découdre, c’est aussi pour cette raison que ses activistes, « black blocs », zadistes ou autres étudiants bloqueurs de facs, recherchent toujours la confrontation avec les forces de l’ordre et multiplient les provocations. Ils ne peuvent pas gagner physiquement, mais il leur suffit de pousser à la faute et de pouvoir dénoncer une seule « bavure » pour triompher dans les médias.

Rien de semblable évidemment envers l’extrême droite, non qu’elle soit intrinsèquement plus dangereuse, mais puisque les médias ne lui donneront pas le rôle de la victime il n’est pas nécessaire de prendre des gants avec elle.

Dans cette guerre de l’image et des récits, le gouvernement trouve également un avantage à laisser casser – au moins en partie – avant d’intervenir, afin de décrédibiliser la contestation. Mais là non plus il n’y a aucun complot, et il n’y a pas besoin d’agents provocateurs. L’extrême gauche encourage la violence sans qu’il soit nécessaire de l’y pousser, et elle se décrédibilise très bien toute seule. Les abrutis qui ont tagué le monument aux morts de la rue d’Ulm ne sont malheureusement pas des agents des services secrets infiltrés, mais une parfaite illustration de la vacuité intellectuelle et de l’arrogance stupide de leur mouvement.

« Ils sont 1 200 aujourd’hui. Combien seront-ils demain, si nous laissons faire ? »

Enfin, il ne faut pas négliger l’effet de la complaisance idéologique bien connue envers l’extrême gauche. Toute une intelligentsia française n’a toujours pas fait le deuil du Grand Soir, ni renoncé au totalitarisme, pourvu qu’il serve à imposer ce qu’elle estime être le Bien. Peut-être faut-il y voir les séquelles de sa lecture purement apologétique du mythe fondateur de la Révolution, dans laquelle la sauvagerie des foules et les atrocités de la Terreur seraient une étape indispensable. « Tout ce qui se passe est horrible, mais nécessaire », en disait Saint-Just.

Ceci étant, il semble bien que les événements du 1er mai ne soient pas que le résultat de choix tactiques discutables, mais bien la conséquence de directives parfaitement lucides, quelles qu’en soient les motivations. Les témoignages relayés par Marianne à ce sujet sont éclairants, et la conclusion d’un CRS anonyme met le doigt sur l’essentiel : « Ils étaient 150-200 au moment des manifestations contre la loi Travail. Ils sont 1 200 aujourd’hui. Combien seront-ils demain, si nous laissons faire ? »

Amende de 1 000 euros pour un casseur…

Et ce laisser-faire ne se limite hélas pas au maintien de l’ordre. Qu’on en juge : 1 200 casseurs des « black blocs », 283 interpellations (ce qui, dans le chaos du jour J, est plutôt bon). Sur celles-ci, 109 placements en garde-à-vue. Sur ces 109, une cinquantaine ont été mis hors de cause. Des 50 restants, la plupart ont obtenu un report d’audience et, pour ceux qui ont été jugés, on compte plusieurs relaxes, des rappels à la loi – en clair, rien de plus que de s’entendre dire « c’est vilain, ne recommencez pas » – et la seule sanction digne de ce nom jusqu’ici serait une amende d’un montant de 1 000 euros.

Il est trop tôt pour dire ce que seront les peines prononcées à l’encontre des personnes mises en examen et lors des futures audiences, mais il est probable qu’au final il n’y aura qu’une quinzaine de véritables sanctions infligées. Au mieux. Quinze. Pour 1 200 extrémistes violents déferlant dans la capitale, saccageant, brûlant, menaçant les civils, agressant policiers et gendarmes, et défiant ouvertement l’autorité légitime.

Complaisance ou impuissance, dans les deux cas une telle situation est inacceptable. Elle ridiculise ce qu’on appelle bien improprement la « puissance » publique. Elle décrédibilise encore un peu plus la chaîne pénale et l’institution judiciaire. Elle encourage les violences des extrémistes, dès qu’ils se sentent protégés par leur nombre. Elle convainc le reste des citoyens que l’État ne les protégera pas, et les oblige à prendre en main leur propre sécurité – veut-on vraiment voir se multiplier les milices et les groupes d’auto-défense ?

…prison ferme pour un doigt d’honneur ?

Le gouvernement s’imagine peut-être pouvoir fuir ses responsabilités régaliennes, et garder le contrôle tant qu’il reste maître de la collecte de l’impôt et de la distribution des aides et subventions, mais c’est là une dangereuse illusion. Les Français ne se laisseront pas gouverner par des fermiers généraux.

Voulu ou subi, le délitement de l’autorité de l’État est un danger majeur, une gangrène qui conduit à la fois au chaos au bénéfice des groupes les plus violents, et à l’autoritarisme au détriment de la population pacifique. Absurde et magnifique exemple, cet automobiliste contre lequel le parquet a requis de la prison ferme pour avoir… fait un doigt d’honneur à un radar automatique ! Pour le coup, je salue le bon sens du tribunal qui a refusé de le sanctionner pour ça, mais je souligne qu’il a bien failli être plus sévèrement condamné que les « black blocs ».

« Une France qui, jour après jour, s’enfonce dans un fonctionnement à deux vitesses : des citoyens normaux justiciables et solvables qui encaissent le comportement et décaissent la facture de hors-la-loi excusés », dit très justement François Bert, qui a raison d’ajouter le qualificatif de « solvables ». Ibn Khaldoun déjà le soulignait : le système qu’il appelle « impérial », lorsqu’il décline, cherche à désarmer physiquement et moralement les populations de producteurs assujetties à l’impôt, afin qu’elles ne puissent en troubler la levée. Simultanément, il cède facilement aux groupes réduits qui persistent dans la violence et ne produisent rien qu’il pourrait convoiter, car il s’imagine que leurs revendications lui sont moins coûteuses que ne le serait leur pacification. C’est là son erreur et son arrêt de mort : soit le bras armé de l’empire se lasse de ces perpétuelles concessions à ses ennemis et prend le pouvoir, soit les groupes violents arrivent à la conclusion logique de leur « racket » : le pillage et le démembrement de l’Empire, qui se fragmente en zones tribales.

Il faut une commission d’enquête sur les violences du 1er mai

Seule une démocratie véritable, où tous les citoyens partagent les droits mais aussi les devoirs qui accompagnent l’exercice de la souveraineté – y compris la nécessité de prendre des risques pour défendre les libertés acquises – peut échapper à l’implacable logique qui aboutit tôt ou tard à confier le pouvoir aux minorités violentes.

Gabriel Martinez-Gros, grand spécialiste d’Ibn Khaldoun, l’exprime admirablement dans plusieurs de ses ouvrages, et ce qu’il dit des grands esprits de Rome résonne comme un appel pour notre temps : « Les poètes, les historiens, les moralistes – Virgile, Tacite ou Plutarque – rappellent sans cesse à l’homme de bien, en grec comme en latin, l’idéal jamais révolu de l’égalité en droit des citoyens – l’isonomia des cités grecques –, l’horreur de la tyrannie, l’honneur du choix de la liberté au détriment de la vie même. »[tooltips content= »Gabriel Martinez-Gros, Brève histoire des empires. Comment ils surgissent, comment ils s’effondrent.« ]1[/tooltips]

C’est comme un écho à l’émotion collective suscitée par le sacrifice héroïque d’Arnaud Beltrame, mais aussi à d’autres modèles de courage, de Charb qui était parfaitement conscient des risques qu’il prenait, à Henda Ayari dont l’admirable détermination et la dignité lumineuse devraient finir par jeter à bas un personnage des plus nuisibles, en passant par Georges Bensoussan qui poursuit sa quête de vérité malgré les procès malhonnêtes dont on veut l’accabler. Au passage, rappelons-nous de ceci dans les moments de doute : un chrétien, un athée, une musulmane et un juif peuvent être d’authentiques héros de l’Europe gréco-romaine. Rien n’est perdu.

Cette citoyenneté véritable qui refuse la dangereuse dichotomie guerriers/producteurs et cet idéal, le Parlement doit maintenant s’en saisir. Il doit exiger que le gouvernement et les magistrats lui rendent des comptes sur les directives véritablement données le 1er mai, et sur l’incurie de la réponse pénale face aux « black blocs ». Il doit rappeler que la seule souveraineté est celle du peuple, qu’il représente, et que c’est en son nom et uniquement en son nom que la force publique et la justice peuvent s’exercer ou s’abstenir.

A tout le moins, une commission d’enquête rassemblant des élus de tous bords doit entendre tous les fonctionnaires de police et les gendarmes qui souhaiteraient témoigner, puis rendre publiques ses conclusions.

Cachez cette casse que je ne saurais voir

De plus, il est urgent de se pencher sur la quasi-absence de sanctions à l’encontre des casseurs d’extrême gauche. Les difficultés techniques bien réelles pour les appréhender pendant les heurts doivent être surmontées, il appartient aux directions générales de la Police et de la Gendarmerie de faire des propositions concrètes en ce sens, y compris en suggérant l’expérimentation de matériels innovants. Enfin, l’arsenal législatif doit être évalué soigneusement – et calmement – puis modernisé pour l’adapter à la réalité des menaces contemporaines, en intégrant l’épineuse question de l’efficacité dissuasive et de l’effectivité des peines.

De lui-même, le gouvernement ne le fera pas. Selon son habitude, le ministre de l’Intérieur a rapidement déclaré qu’il n’y avait eu aucun dysfonctionnement : 1 200 casseurs extrémistes saccagent la capitale en toute impunité, mais tout va bien.

C’est à l’opposition et aux médias de s’emparer du sujet, mais également aux syndicats de la Police nationale et aux instances de concertation et associations professionnelles de la Gendarmerie et des Armées. La sécurité de tous est le sens même de leur engagement, et elle passe par le rétablissement de l’autorité de l’État. Il leur incombe donc aussi de s’en soucier.

C’est, enfin, le rôle de chaque citoyen que de veiller à ce qui est fait en son nom. Chacun peut s’exprimer, dans le monde associatif, dans les médias, sur les réseaux sociaux, dans la vie politique. Chacun peut écrire à son député pour l’inciter à agir. Ce sont des droits, ce sont aussi des devoirs. C’est la démocratie.

CRS: De Charonne à Charlie Hebdo

Price: 18,63 €

17 used & new available from 6,49 €