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Europe : Macron, le dernier des fédéralistes

L'offensive du président français pour la relance de l'intégration fait un flop magistral


Europe : Macron, le dernier des fédéralistes
"Initiative pour l'Europe" : le discours d'Emmanuel Macron à la Sorbonne, 26 septembre 2017. © Sipa. Numéro de reportage : 00824683_000013

Après l’élection d’Emmanuel Macron, nombre de médias français espéraient que le miracle se reproduirait et qu’un big bang adviendrait à l’échelle européenne. Las, de Berlin à Rome en passant par Varsovie et Budapest, l’offensive du président français pour la relance de l’intégration fait un flop magistral.


Dans l’euphorie de l’élection d’Emmanuel Macron, les partisans d’une Europe postnationale substituant toujours plus la souveraineté d’une Union enfin sortie de son marasme à celle des États membres avaient sabré le champagne. Enfin un président français qui ne mettait pas le drapeau bleu étoilé dans sa poche et qui arrêtait, au son de L’Hymne à la joie, une longue séquence déprimante pour les euro-enthousiastes, allant de l’échec du référendum de 2005 sur la Constitution européenne jusqu’au vote pour le Brexit en juin 2016.

Sur France Inter, Bernard Guetta commentait cet événement avec l’enthousiasme d’un Thierry Roland célébrant la victoire des Bleus en 1998.

Face à Vladimir Poutine, Donald Trump et Xi Jinping, ces géants planétaires et malveillants, surgissait enfin un homme capable de redonner au Vieux Continent l’élan vital pour sortir de ses querelles internes et jouer dans la cour des grands.

L’enlèvement de l’Europe

D’éminents augures annonçaient un alignement des planètes favorable à l’UE : l’influence néfaste de Londres sur la marche de l’Europe vers son intégration étant éliminée, place nette était faite pour une harmonie franco-allemande restaurée, guidant les peuples du continent vers un avenir glorieux, dans la paix et la prospérité. À la solidité d’une Angela Merkel en passe d’obtenir un quatrième mandat, venaient s’adjoindre l’énergie et l’enthousiasme européen d’un jeune président français dont l’élection avait fait pousser un soupir de soulagement, à Bruxelles et à Berlin : on s’était, là-bas, tellement fait peur avec la perspective d’une Marine Le Pen à l’Élysée ! Celui qui l’avait terrassée était so young, so smart, so people : on le célébrait seul ou avec Brigitte, dans les palais comme dans les chaumières, dans les quotidiens austères comme dans les magazines sur papier glacé.

À cette version moderne du triomphe à la romaine, il manquait l’esclave chargé de tenir la couronne de laurier au-dessus de la tête du vainqueur et de lui murmurer sans cesse « memento mori », « souviens-toi que tu n’es qu’un mortel »… Emmanuel Macron prit donc le soupir de soulagement de nos voisins pour des acclamations en sa faveur.

Moins d’un an plus tard, l’hubris du président Macron lui a, en matière européenne, fait commettre quelques bourdes dont les conséquences sont aujourd’hui évidentes, sauf pour ceux qui s’obstinent à ne pas les voir. Jamais, dans la période récente, la France n’a été aussi isolée de ses partenaires européens que depuis l’arrivée de Macron à l’Élysée, jamais notre pays n’a essuyé autant de rebuffades.

Que reste-t-il aujourd’hui de l’élan européen du nouveau président ? À en juger par son discours du 17 avril devant le Parlement de Strasbourg, pas grand-chose : pas de propositions décoiffantes comme à la Sorbonne, mais une dramatisation surjouée mettant en garde contre une « guerre civile européenne » si l’Union ne transformait pas radicalement son mode de fonctionnement. L’accueil fut tout juste poli, les applaudissements mesurés, les tweets partant des travées ravageurs (« arrogance française ! »), les commentaires de couloir désabusés, y compris de la part des supposés amis du président français, comme le président du groupe socialiste Udo Bullmann qui salue l’orateur, mais attend les actes.

Soyons respectueux: mettons ce bide au débit de parlementaires qui n’ont rien compris à « l’autorité de la démocratie » que notre président entend incarner urbi et orbi. Mais la courtoisie républicaine ne saurait empêcher de recenser les erreurs commises par Emmanuel Macron dans la gestion de son projet européen (dont votre serviteur ne partage pas la philosophie).

Macron Ier le mal-aimé

La première bourde magistrale a été le fameux discours de la Sorbonne, porté aux nues par la majorité de nos commentateurs hexagonaux. Prononcé au lendemain d’élections au Bundestag aux résultats pour le moins mitigés pour la chancelière sortante et ses alliés du SPD, il dresse un catalogue détaillé des mesures souhaitées par Emmanuel Macron pour relancer l’Europe : parlement de la zone euro, ministre européen des Finances, budget européen, défense commune, et coopérations renforcées entre les pays désireux d’aller de l’avant. Merkel est furieuse : contrainte à de délicates négociations de coalition avec des partenaires plus que réticents devant ce genre de projets, elle n’entend pas être mise au pied du mur.

Une fois écarté l’épouvantail d’une coalition « jamaïcaine » intégrant des libéraux très hostiles au projet macronien, notre président commet une nouvelle bévue : il mise sur un mauvais cheval, Martin Schulz, alors chef du SPD, comme principal relais de ses positions au sein de la grande coalition reconduite. Résultat : Schulz est débarqué par ses troupes, et son successeur, Olaf Scholz, devenu vice-chancelier et ministre des Finances, n’est pas sur la ligne ultra-francophile du brave Martin. Son orthodoxie monétariste et budgétaire est très proche de celle de son prédécesseur CDU, le redouté et redoutable Wolfgang Schäuble. Merkel reste, en apparence, bienveillante avec Emmanuel Macron, mais laisse ses amis, allemands et étrangers lacérer à belles dents les joujoux du président français.

Ainsi, c’est la CDU du Parlement de Strasbourg qui organise l’enterrement du projet élyséen de réserver, lors des prochaines élections européennes, 27 des 73 sièges laissés libres par les Britanniques à des listes transnationales, préfiguration de la grande démocratie continentale rêve de Cohn-Bendit que Macron rêve de réaliser.

Une coalition de huit pays nordiques s’accorde sur un document rejetant point par point le discours de la Sorbonne. Le Premier ministre néerlandais Mark Rutte, inspirateur mais non signataire du texte qu’il trouvait encore trop gentil pour Macron, réagit dans un style trumpien : « Quand on a des visions, on va chez le docteur ! »

Président français recherche europhiles désespérément

À l’est, ce n’est pas mieux. L’offensive du président français contre la directive sur les travailleurs détachés a fortement déplu, et ses leçons de morale aux « démocraties illibérales » hongroises et polonaises, notamment sur leur refus d’accueil des migrants, ne servent pas sa popularité. Les dirigeants de ces pays vont chercher à Berlin l’assurance qu’ils ne seront pas marginalisés dans une Europe à deux vitesses, et qu’avec ou sans l’euro, ils resteront accrochés à la locomotive communautaire. Et ils l’obtiennent…

Au sud, les relations avec l’Italie sont empoisonnées par la question des migrants, que la France refoule régulièrement lorsqu’ils tentent de franchir les Alpes. C’était déjà le cas avec le gouvernement de centre gauche de Paolo Gentiloni, et cela ne risque pas de s’améliorer après des élections emportées par deux formations beaucoup moins europhiles, le Mouvement 5 étoiles et la Ligue, parti frère du Front national. L’Espagne est préoccupée par la crise catalane. Plus à gauche, la Grèce et le Portugal soupçonnent Macron d’être le nouvel avatar de l’emprise néolibérale sur l’Union européenne…

Le rêve d’un big bang européen similaire à celui de mai 2017 en France, qui rendrait obsolète le vieux clivage droite-gauche dès les élections européennes de mai 2019, se heurte à la résistance farouche du « vieux monde ». Une victoire sans appel, en France, d’une liste macronienne allant des amis de Dany Cohn-Bendit à ceux d’Alain Juppé pourrait lui redonner des couleurs. Le scrutin risquant d’être, comme d’habitude, le défouloir d’électeurs déçus, c’est loin d’être gagné…

Causeur #57 - Mai 2018

Article extrait du Magazine Causeur




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