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Islamisme : puisque les sociologues vous disent qu’il n’y a pas de problème…


En retard d’une bonne quinzaine d’années sur les professeurs quotidiennement confrontés à la génération Kouachi, le monde universitaire commence enfin à ouvrir les yeux, bien que les ripolineurs du réel n’aient pas dit leur dernier mot. Reste à savoir comment sauver cette génération qui paraît perdue.


Quand les sociologues du déni veulent prouver au péquin moyen qu’il ne voit pas ce qu’il voit et ne vit pas ce qu’il vit, ils trouvent toujours une étude qui défie le sens commun : l’une vous prouvera que le niveau monte à l’école, l’autre que l’intégration des enfants d’immigrés ne cesse de progresser, une troisième qu’il n’y a aucun lien entre l’islam et la radicalisation islamiste. Et une dernière qu’il neige en été. L’arraisonnement de la sociologie par l’idéologie, magnifiquement étudié dans un récent dossier du Débat[tooltips content= »« La sociologie au risque d’un dévoiement », in Le Débat, n° 197, nov.-déc. 2017. »]1[/tooltips], a conduit la première à dire aux acteurs « comment doit être le monde » plutôt que « comment il est », écrit Nathalie Heinich. Et, dans la foulée, à interdire qu’on voie comment il est. Ce mauvais penchant, à l’œuvre depuis des années sous l’appellation générique de politiquement correct, se déploie avec une ardeur renouvelée depuis janvier 2015.

La recherche confirme ce que tout le monde sait: il y a aujourd’hui un problème dans l’islam

Après les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, les Français veulent comprendre, y compris ces musulmans du coin de la rue qui savent depuis longtemps, sans pouvoir rien y faire, qu’une partie de « leur » jeunesse a sérieusement déraillé – dans la délinquance, l’islam radical ou les deux. On pressent qu’au-delà d’une minorité de passeurs à l’acte, la forêt qui cache de tels arbres souffre d’un mal plus profond que personne n’a voulu voir. On convoque les auteurs des Territoires perdus de la République, jusqu’alors suspects. Au gré des reportages, le pays découvre qu’une minorité significative de ses enfants d’adoption récente vit sur une autre planète mentale et ne cache pas sa détestation de nos mœurs collectives, en particulier de la liberté des femmes. Fantasmes, exagérations, amalgames, hurlent les ripolineurs du réel. La preuve que ça n’existe pas, c’est que vous n’avez pas de chiffres.

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Les chiffres finissent par arriver et avec eux les études scientifiques. Des enquêtes journalistiques et des témoignages de proviseurs, professeurs ou policiers complètent le tableau. Et surprise : le péquin moyen voyait juste ! Autrement dit, la recherche confirme les pires impressions du sens commun et prouve notamment ce que tout le monde sait, à commencer par les musulmans : il y a aujourd’hui un problème dans l’islam – donc un problème de l’islam. Un problème d’acculturation qui ne se fait pas sur fond de déculturation galopante (qui n’est pas pour le coup une spécialité islamique). Certes, l’habituelle phalange des chercheurs-effaceurs tombe à bras raccourcis sur la méthodologie (validée par le CNRS) qui aboutirait à une étude à charge contre l’islam, on connaît la chanson. Ils ont beau tempêter et psalmodier, la lucidité progresse. Y compris parmi les musulmans : « Aujourd’hui, il n’y en a pas un qui s’indignerait sincèrement de la phrase de Zemmour sur les dealers », s’amuse Tarik Yildiz, fin observateur de l’islam sunnite.

Ce n’est pas faire injure à Anne Muxel et à Olivier Galland que d’observer que leur passionnante « enquête auprès des lycéens » ne contient pas de révélation fracassante, sinon celle que la sécession d’une partie de la jeunesse est encore plus inquiétante que ce qu’on croyait (voir pages 22-23, l’article de Daoud Boughezala). Comme l’ont bien noté les gardiens du temple progressiste, furibonds que certains de leurs confrères aillent fouiner là où leur dit depuis trois ans qu’il n’y a rien à voir, leur étude (qui fourmille de données précieuses pour l’analyse et la compréhension) valide une fois encore les sombres inventions de l’expérience sensible : la radicalisation religieuse est, dans une très large mesure, une singularité musulmane. Et, parmi les lycéens se déclarant de cette confession, elle touche une minorité significative, comme en témoignent les nombreux incidents rapportés ou non par la presse.

« Quand vous ne vivez qu’avec des gens de la même origine et de la même religion que vous, le Blanc, c’est l’étranger. »

De façon amusante, et conformément à la parabole du chaudron de Freud, les adversaires du réel affirment en même temps qu’il n’y a pas de problème et que c’est de notre faute. La jeunesse islamo-radicalisée n’existe pas, mais c’est nous qui l’avons créée. Il faut dire que, sur ce point, ils n’ont pas complètement tort. Si une partie de la jeunesse française rompt les amarres culturelles avec son pays de naissance, qui a accueilli leurs parents ou grands-parents, c’est, au moins en partie, de notre faute. Mais pas, comme le leur a seriné la gauche, parce que nous sommes « méchants » – racistes, discrimineurs et néocoloniaux –, mais parce que nous sommes trop gentils – complaisants, laxistes, pour ne pas dire honteusement mous du genou. « La génération Kouachi – on la voit venir depuis 2005 – vient de loin et nous l’avons fabriquée en remplaçant l’exigence par la compassion », s’agace Marie Ibn Arabi, professeur de philosophie qui enseigne aujourd’hui l’anglais dans un lycée professionnel des Hauts-de-Seine, où la quasi-totalité des élèves est issue de l’immigration musulmane. « À vrai dire, j’enseigne surtout les principes républicains, et même la politesse de base. » L’entre-soi n’arrange rien, comme l’ont compris ces mères de Montpellier qui réclament des Pierre et des Bernard dans les classes de leurs enfants. « Quand vous ne vivez qu’avec des gens de la même origine et de la même religion que vous, le Blanc, c’est l’étranger. » C’est parce qu’il voyait monter de concert l’islamisme et la délinquance que le père de Marie, un bon musulman, l’a inscrite dans un collège catholique. Du reste, comme le souligne Sacha, jeune agrégé de lettres nommé dans un collège de Seine-Saint-Denis, « ce ne sont pas les familles traditionnelles, empreintes de valeurs, qui posent des problèmes. Au contraire, celles-ci apprennent à leurs enfants à ne pas parler de religion à l’école. Ceux qui jurent sur le Coran à tout bout de champ bricolent un islam identitaire qui leur permet de séparer le monde entre “eux” et “nous”. » Nous les musulmans et eux, un vaste ensemble agglomérant l’Occident, les chrétiens, Israël et tous ceux qui tirent les ficelles et aussi tous les gogos qui ne voient pas qu’on leur cache tout.

Le pire tort que la France puisse faire à ces milliers d’adolescents qui rêvent de djihad (sans aller plus loin) et crachent sur leur drapeau serait évidemment de leur céder. Notre faiblesse est une insulte. C’est la conclusion de Marie et de nombre d’acteurs de terrain, parmi ceux qui sont en première ligne : les professeurs et les responsables éducatifs. Car si ces derniers, comme les magistrats, notamment pour enfants, comptent dans leurs rangs pas mal « d’amis du désastre » qui encouragent la jeunesse musulmane à camper sur son statut victimaire, on y croise aussi beaucoup d’ardents républicains qui, depuis des années, défendent pied à pied la laïcité scolaire en milieu hostile. Or, depuis l’arrivée de Jean-Michel Blanquer, ces derniers ne sont plus, ou plus seulement, les vilains petits canards réacs de salles des profs si pleines de bons sentiments qu’on ne peut plus y glisser la moindre réflexion, mais le fer de lance d’une reconquête culturelle lancée au plus haut niveau de l’État ; ou à tout le moins à l’avant-dernier étage, celui du ministère de l’Éducation nationale.

« Tout va très bien, madame la marquise »

Constater que nous sommes en partie responsables de ce qui se passe n’est pas une invitation à nous flageller, mais à nous retrousser les manches. Ce que nous avons fait, nous pouvons le défaire. Face au diagnostic plutôt effrayant que Muxel et Galland étayent, après d’autres, on est tentés de se dire que c’est foutu, que le mal est trop profond. Que nous avons perdu, sans la livrer, la bataille des esprits musulmans à laquelle nous appelait Gilles Kepel, il y a quinze ans. Il suffit de parler avec quelques-uns de ceux qui ne renoncent pas, chacun à leur niveau, dans leur domaine, pour conclure qu’on n’a pas le droit de ne pas essayer. Certes, il n’existe pas de recette-miracle pour désendoctriner, mais l’expérience humaine suggère que la Raison peut y aider. Et ça, c’est un peu le rayon de l’école. Tant pis si cela suppose parfois de lutter contre l’influence des familles. C’est bien dans cette perspective que le ministère vient de promulguer l’obligation scolaire dès l’âge de trois ans, une mesure à laquelle on attache beaucoup d’importance Rue de Grenelle.

Pour agir, il faut savoir. Jusque-là, la consigne implicite était « pas de vagues », « tout va très bien, madame la marquise », ce qui signifie « cassez ou cachez le thermomètre ». Peu soucieux d’être mal notés, les établissements les plus sensibles minimisaient ou étouffaient les incidents, qu’ils concernent la laïcité, la sécurité ou les deux. Ils refusaient par exemple de traduire les élèves en conseil de discipline, à la fois par aveuglement compassionnel et par lâcheté administrative – n’allaient-ils pas se faire repérer à la fois comme des « durs » et comme des faiseurs d’embrouilles et de mauvaise publicité ? Aujourd’hui, les incidents remontent chaque jour au cabinet du ministre. Et quand il ne s’agit pas d’incidents, mais d’emprise de la voyoucratie comme au lycée Gallieni de Toulouse, le ministère emploie la manière forte : sanctions prises à l’encontre de toute la chaîne hiérarchique, y compris de l’inspecteur d’académie, qui n’a excellé qu’à faire l’autruche, nomination d’une équipe de choc et d’un responsable sécurité (que cela soit nécessaire est certes affligeant, mais ne rien faire le serait encore plus).

On dira à raison qu’il est plus facile de faire régner l’ordre dans les cours de récréation que la raison dans les esprits. Marie Ibn Arabi assure que ce n’est pas si compliqué, qu’il suffit de croire à ce qu’on dit. Ce qui renvoie à la question, épineuse mais pas insoluble, de la formation des professeurs, dont beaucoup ne sont armés ni intellectuellement ni moralement pour répondre aux questions et plus encore aux certitudes de leurs élèves. Ainsi prénommée par gratitude pour l’hôpital marocain Marie-Feuillet où elle a été sauvée à la naissance (lui-même nommé ainsi en hommage à l’infirmière de Mohammed V), Marie précise en riant (au téléphone) qu’elle a « une tête d’Arabe », et qu’elle est musulmane. Mais ses élèves ne la connaissent que sous son nom marital, plutôt franchouillard. Récemment, une de ses amies, également prof, a vu un collègue dire à un élève : « À demain, inch’Allah. » Pas vraiment son genre. En début d’année, elle avertit ses élèves : « Je ne veux pas entendre d’incantation religieuse, et je ne veux pas connaître votre religion, sinon, vous aurez des heures de colle. » Résultat, quand un élève lâche un « inch’Allah », il dit : « Pardon madame, je ne l’ai pas fait exprès. » Les sceptiques diront que ça ne change rien. Au contraire, qu’il y ait un lieu où, dans son intérêt même, on demande à l’adolescent de renoncer aux codes de la famille, du quartier et de la communauté, c’est énorme. Si les enfants de l’immigration expriment encore, dans toutes les enquêtes, une grande confiance dans l’école, ce n’est pas parce qu’elle est bienveillante, voire laxiste, mais parce que, en dépit des bons sentiments dans lesquels elle est engluée, elle reste la seule instance publique qui leur oppose des limites.

Depuis l’arrivée de Jean-Michel Blanquer, les profs laïques ne sont plus considérés comme des vilains petits canards réacs

Jusqu’à la dernière rentrée, Marie et son petit groupe de collègues, aussi intransigeants qu’elle sur l’exigence républicaine, étaient plutôt mal vus, pour ne pas dire ostracisés, en salle des profs. « Quand il y avait un conflit prof/élève, on commençait par chercher la responsabilité de l’adulte. » Le proviseur l’a traitée un jour « d’ayatollah de la laïcité ». On n’en dira pas autant de lui : l’an dernier, en annonçant le programme de la fête de l’école, il a précisé que l’horaire choisi permettrait d’aller rompre le jeûne. Et combien de fois a-t-elle entendu, dans la bouche de ses collègues, ces jérémiades compassionnelles qui masquent mal un profond mépris : « les pauvres, il faut les comprendre, avec ce qu’on leur a fait », ou alors « et puis, ils sont très gentils ». Un jour, dans un préconseil de classe (où si j’ai bien compris, on a le droit de rester entre adultes), alors qu’il était question d’une classe particulièrement pénible où personne n’apprenait rien, et qu’elle entendait les habituels discours lénifiants destinés à rendre tolérable l’intolérable, Marie a cassé l’ambiance : « Assez de postures, a-t-elle dit. Lequel d’entre nous accepterait que ses gosses soient dans cette classe ? » Les bons sentiments eux-mêmes ont des limites. Heureusement pour les enfants de gauche.

Depuis l’arrivée de Jean-Michel Blanquer Rue de Grenelle et, dans la foulée, d’un nouveau proviseur qui a clairement annoncé son intention de rétablir la République dans son établissement, Marie et ses amis ont le sentiment que la roue a tourné et que l’institution est de leur côté.

La fermeté paie. Cette évidence de bon sens pour tout éducateur avait déserté l’Éducation nationale, ainsi d’ailleurs que nombre de médias et d’intellectuels qui n’en finissent jamais d’inventer des excuses aux comportements les plus inacceptables, leur tolérance s’arrêtant juste au seuil de la violence armée. Cette fermeté n’exclut nullement la bienveillance, elle en est au contraire la preuve et la condition, car elle signifie que l’on croit que celui que l’on a la charge d’élever, au sens strict du terme, en est capable.

Proviseur des années durant d’un lycée planté au cœur d’une des plus célèbres, c’est-à-dire des plus dangereuses, cités de la région parisienne, Catherine (prénom fictif) a dû régler un conflit naissant avec les jeunes filles voilées, 150 à 200 sur un effectif global de 1 200 élèves. En effet, celles-ci avaient pris l’habitude de se dévoiler dans l’enceinte du lycée, juste devant le premier bâtiment. La cheffe d’établissement entendait les faire reculer, mais voulait d’autant moins allumer une guerre religieuse que le lycée est situé à proximité de deux mosquées, dont l’une ne semble pas avoir été informée de l’existence de l’islam des Lumières. « J’ai proposé un donnant/donnant. Elles acceptaient de se dévoiler devant la grille, en échange, je leur installais un endroit abrité de la pluie et surtout, équipé d’un miroir. Et ce miroir, bientôt suivi d’une table pour les sacs, a fait des miracles. » Destiné à permettre aux jeunes filles de rectifier leur mise avant de quitter le lycée, le miroir, évidemment, a retrouvé sa destination originelle et permis à des ados de se pomponner avant de retrouver leurs copains. Il a aussi matérialisé la séparation dénuée d’hostilité entre l’école et son environnement. Catherine se rappelle avec émotion avoir vu une de ces jeunes filles expliquer, dans un documentaire-maison, que ce miroir était la preuve qu’elle avait sa place dans l’école de la République. « Quand j’ai refusé que des élèves entrent voilées quand elles accompagnaient leur père pour les rencontres avec les professeurs, ils ont compris. Parce qu’ils savent que nous sommes de leur côté et que nous leur expliquons le sens de cette règle. »

« On sait qu’il y a un lien très direct entre la petite délinquance et cet islam des banlieues qui nourrit le séparatisme »

Il ne s’agit pas d’être naïf. Il faudra des années de ce travail de fourmi pour enrayer la « tentation radicale », d’autant plus que celle-ci se conjugue à un niveau particulièrement catastrophique. « Je ne peux pas enseigner Le Cid, ils ne comprennent pas la langue », reconnaît Sacha, prof dans le 9-3. En revanche, ils ont très bien compris, pour l’avoir entendu mille fois dans la bouche d’intellectuels éminents, d’élus complaisants et de journalistes-vedettes que la laïcité était un truc inventé par « les Français » pour s’attaquer à l’islam. La culture de ses élèves se résume à trois univers : le rap, le hip-hop et la télé-réalité, en particulier les émissions les plus bas de gamme. Une de ses élèves lui a un jour expliqué pourquoi : « On voit que les gens qui participent sont complètement cons. Et pour une fois, on est moins cons qu’eux. » Pour infiniment déchirante qu’elle soit, cette anecdote plaide encore une fois pour le redressement. Il y a malgré tout chez cette jeune fille la petite flamme de lucidité et de colère qui pourrait, pour peu que quelqu’un la protège et la fasse grandir, l’arracher à un destin écrit d’avance.

Même avec une équipe déterminée à sa tête, l’école ne gagnera pas seule la bataille. « On n’a pas vraiment de prise sur l’idéologie religieuse. En revanche, on sait qu’il y a un lien très direct entre la petite délinquance et cet islam des banlieues qui nourrit le séparatisme », observe Tarik Yildiz. Face à l’islam, les institutions et la société ont déjà testé l’aveuglement et l’accommodement. Il reste à essayer la fermeté. Tarik Yildiz s’agace de voir ceux qui défient la loi et l’État ne rencontrer que des ventres mous, à commencer par celui de la Justice : « Nous parlons tout le temps de respect, mais comment voulez-vous qu’ils nous respectent alors que nous nous montrons hésitants, coupables, honteux. Si nous voulons être respectés, nous devons apparaître forts. Pour les fortes têtes, qui pourrissent le climat de toute une classe, il faut créer des centres éducatifs fermés où régnera une vraie discipline militaire : c’est cela être humaniste. En réalité, la meilleure preuve qu’on les respecte serait de refuser de toutes nos forces de s’adapter à eux. »

Il y a du boulot. En attendant, on a bassement envie de présenter l’addition à tous ceux qui, depuis des années, claironnent qu’il n’y a pas un problème d’islamisme mais d’islamophobie, et s’efforcent de persuader toute une frange de la jeunesse que la France a une dette à son égard et que tous ses malheurs viennent de l’injustice. Qu’ils se rassurent, on ne leur demandera pas de se livrer, comme on l’exige aujourd’hui de tout porc présumé, à une autocritique publique. On n’attend même pas d’eux qu’ils voient ce que les autres voient. Simplement, qu’ils cessent d’insulter ceux qui voient et entendent combattre le séparatisme mortifère dont ils n’ont eu de cesse de nier l’existence après avoir contribué à sa propagation, obsédés qu’ils étaient par leur détestation de cette France qu’ils jugent moisie.

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L’Etat combat-il vraiment le terrorisme ?

Pendant la campagne électorale, Emmanuel Macron ne semblait pas avoir de position très claire sur l’islam radical et le djihadisme. Un an plus tard, président de la République, il a prononcé aux Invalides un discours (en hommage à Arnaud Beltrame) qui nomme enfin l’ennemi. Mais pendant cette année qui vient de s’écouler, qu’a-t-il réellement fait ? Malheureusement, pas grand-chose.

La dimension culturelle de la lutte contre le totalitarisme islamiste est bien sûr la plus importante. Emmanuel Macron dit en avoir conscience. Son gouvernement a pris sur ce point quelques décisions fortes, notamment la nomination de Souâd Ayada à la tête du Conseil supérieur des Programmes (CSP), choix fondamental car l’une des principales lignes de front du conflit mondial qui oppose les Droits de l’Homme à la charia se trouve dans les lycées, les collèges, les écoles.

Un bilan catastrophique

A contrario, les propos de certains proches du président laissent planer le doute, des sorties ridicules de Christophe Castaner à l’arrogance de Yassine Bellatar, jamais démenti lorsqu’il fait valoir sa proximité avec Emmanuel Macron.

Plus que jamais, nous avons donc besoin de démarches comme l’appel des 100 contre le séparatisme islamiste ou le « manifeste contre le nouvel[tooltips content= »Bien que cet antisémitisme d’inspiration islamique n’ait rien de « nouveau ». Il est au moins aussi ancien que les plus anciennes versions connues du Coran, et fut l’un des vecteurs de l’alliance entre les islamistes et le régime nazi. »]1[/tooltips] antisémitisme » (que l’on peut signer ici), pour deux raisons au moins. Elles montrent à nos gouvernants que le déni de réalité ne prend plus et que les électeurs attendent des résultats. Elles démasquent ceux dont les objectifs réels sont, d’une part, d’exonérer l’islam de toute responsabilité afin de maintenir la fiction de sa perfection et de faciliter ses ambitions hégémoniques, et, d’autre part, de protéger les intérêts communautaires des croyants au détriment du reste du monde.

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Mais qu’en est-il de la lutte contre le djihadisme à proprement parler ? Le terrorisme, la « propagande par le fait », n’est qu’un mode d’action parmi d’autres et non une fin en soi, mais il ne faut pas en négliger l’impact psychologique et politique, ni bien sûr le coût économique et surtout humain.

Sur ce point, le bilan du gouvernement est catastrophique, à tel point qu’il est permis de se demander si l’État cherche à vaincre le terrorisme ou simplement à pouvoir dire qu’il le combat – ce qui n’est absolument pas la même chose.

Démonstrations de faiblesse

Après Sun Tzu et Clausewitz, il n’est plus permis d’ignorer que la victoire ne découle pas de l’anéantissement de l’ennemi, mais de l’anéantissement de sa volonté de nous affronter. Il tient évidemment le même raisonnement à notre sujet, et évalue ses chances à l’aune de notre volonté de poursuivre la lutte. Une des conditions de la victoire est donc de prouver à l’ennemi notre détermination à le combattre.

Or, dans le cas du djihadisme, l’ennemi est prêt à tuer et à mourir, une grande partie de ses troupes ont fait face à des conditions extrêmes et n’abandonnent pas pour autant. Il est prêt à affecter la totalité de ses ressources à la bataille, ressources intellectuelles, morales, humaines, matérielles, politiques, culturelles. Voilà la mesure de sa détermination, et notre réponse doit être à la hauteur, tant en termes d’engagement que de volonté de vaincre. Les Alliés n’ont pas triomphé des nazis et libéré Auschwitz avec des bougies posées sur des charniers, par la non-violence et l’apaisement !

Et qu’avons-nous ? Un ministre de l’Intérieur qui se félicite d’avoir expulsé 20 radicalisés en trois mois ! Non seulement son résultat est lamentable, mais il ne se rend même pas compte qu’il devrait en avoir honte. Des groupes islamistes présentent des candidats aux élections, comme ailleurs en Europe. Eux et leurs alliés s’infiltrent dans le monde associatif, des clubs de sport au soutien scolaire et maintenant Act’Up. Nous collaborons avec des pays qui financent et encouragent l’idéologie qui veut nous détruire.

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La lutte contre le djihadisme à l’intérieur de nos frontières s’inscrit dans le cadre plus global de la lutte contre la criminalité et de l’action conjuguée (ou qui devrait l’être) de la justice et des forces de l’ordre. Or, la prééminence donnée par l’institution judiciaire à la forme au détriment du fond, sa sévérité envers les citoyens ordinaires couplée à son extraordinaire indulgence envers les délinquants d’habitude (« culture de l’excuse »[tooltips content= »C’est exactement ce que décrit Ibn Khaldoun : l’empire en déliquescence contrôle férocement les citoyens normalement intégrés à la société, mais se montre pusillanime envers les marginaux structurellement violents. »]2[/tooltips]), ne peut qu’encourager toutes les contestations violentes, y compris le djihadisme.

Le syndrome de Batman

Comment respecter une société trop lâche pour combattre ceux qui menacent ses citoyens, et qui démontre sa faiblesse en recherchant systématiquement l’apaisement au prix des accommodements les plus déraisonnables ? Comment respecter ses valeurs, quand elles sont dévoyées par de soi-disant « élites », qui les invoquent pour se justifier en se donnant des airs de vertu lorsqu’elles préfèrent abandonner les faibles à la prédation des pires plutôt qu’affronter les choix éthiques difficiles qui risqueraient de troubler leur petit confort moral (pour les amateurs de comics, c’est le « syndrome de Batman » : le héros se refuse à tuer, il épargne systématiquement son ennemi qui s’évade et tue de nouvelles victimes jusqu’à ce que le héros le rattrape, et ainsi de suite. Ce « héros » accorde manifestement plus de valeur à son code de conduite et à la vie de son ennemi, qu’il connaît, qu’aux nombreuses vies anonymes qu’il sacrifie en lui laissant la possibilité de continuer à agir) ? Comment respecter la démocratie quand des magistrats sans aucune légitimité démocratique se permettent de mépriser la volonté générale ? Comment respecter la République, quand il devient nécessaire de se mettre à la limite de l’illégalité pour attirer l’attention et obtenir que l’État fasse appliquer la loi ? Comment respecter la France lorsqu’elle confond critique nécessaire et auto-flagellation systématique, lorsqu’elle reproche de ne pas s’intégrer à ceux à qui elle-même répète sans cesse qu’elle mérite qu’ils la haïssent ?

Pourtant des solutions existent, s’appuyant notamment sur les sanctions trop peu utilisées concernant les dérives sectaires, les groupes factieux, l’apologie du terrorisme ou l’intelligence avec l’ennemi.

Nous avons les moyens de vous faire plier

Elles ne résoudront pas tout, elles n’empêcheront pas tous les futurs attentats, mais elles nous donneront les moyens de riposter. La vraie politique est l’art difficile de négocier des compromis entre l’idéal et le réel. Ce n’est pas de jouer aux chevaliers blancs selon des scénarios simplistes, et sans se préoccuper du prix à payer dès lors qu’il est payé par d’autres, des habitants du Yémen aux Kurdes, en passant par les « petits blancs » des banlieues et les Juifs qui fuient le 9.3.

Nous avons les moyens d’interdire les groupes cultuels ou politiques qui refusent de se plier à nos fondamentaux anthropologiques (liberté de pensée et de conscience, égalité juridique des sexes, refus des assignations identitaires…), et préférer des interlocuteurs fiables à des interlocuteurs supposés majoritaires. Au sujet des saccages du 1er mai – qui en disent long sur la capacité de l’État à remplir ses missions régaliennes – Édouard Philippe a déclaré qu’il « condamne également l’irresponsabilité des discours radicaux qui encouragent de tels agissements. » Appliquons la même logique au CFCM, aux Frères musulmans, au PIR, au CCIF, à la Grande Mosquée de Paris !

Nous avons les moyens d’expulser les radicalisés étrangers, pour peu que les tribunaux cessent d’y faire obstacle pour des questions de pure forme et quoi qu’en pense la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).

Nous pouvons reconquérir sans angélisme les « territoires perdus de la République ». Ils sont dominés par une culture qui ne respecte pas ceux qui sont respectables, mais ceux qui se font respecter. Toute main tendue avant l’épreuve de force y est prise pour un aveu de faiblesse et de lâcheté, il faut donc d’abord y démontrer la capacité de la République à s’imposer par la contrainte avant de pouvoir discuter. Commençons par y appliquer les principes simples de contre-insurrection exposés depuis longtemps par David Galula[tooltips content= »Contre-insurrection : théorie et pratique, traité passionnant, reconnu mais hélas très mal appliqué par l’armée américaine. »]3[/tooltips], qui sans être une panacée forment une base solide, notamment cette règle absolue qui consiste à être généreux envers nos alliés et non pas nos ennemis, contrairement à ce que propose Jean-Louis Borloo qui voudrait dépenser des milliards au profit de groupes hostiles au lieu d’investir sur les individus désireux de s’intégrer. Et souvenons-nous de ce que la Chine ancienne a merveilleusement synthétisé en une phrase : « Faites en sorte que les vaincus puissent se féliciter de vous avoir pour vainqueurs. »[tooltips content= »Traité militaire de maître Wou.« ]4[/tooltips]

Nous pouvons tous agir

Si les moyens manquent, outre un meilleur emploi des ressources de l’État[tooltips content= »Sur le budget de la Défense notamment, voir les excellents articles de Michel Goya sur son blog. »]5[/tooltips] et puisqu’il est question d’effort collectif, nous pourrions par exemple supprimer un jour férié pour financer une montée en puissance des forces de sécurité et des services de renseignement. Nous payons déjà bien trop d’impôts, mais un peuple qui ne serait pas capable de consacrer l’équivalent d’une journée par an à combattre un totalitarisme qui le menace aurait déjà perdu.

Réalisons un audit complet de nos services spécialisés, intégrant le retour d’expérience (retex) de tous les attentats de ces dernières années. Les meilleurs spécialistes comme les meilleures organisations peuvent connaître des échecs, mais à force le mantra « il n’y a pas eu de dysfonctionnements » est aussi absurde que le « padamalgam ».

Prenons en compte l’exigence prioritaire de lutte contre l’islamisme dans notre politique étrangère. La diplomatie est l’art de parler, même à nos ennemis, pas de nous persuader qu’ils sont nos alliés. L’Arabie saoudite, le Qatar, le Pakistan, la Turquie soutiennent idéologiquement, financièrement et politiquement l’hydre qui nous attaque. Dont acte. L’Iran n’est pas notre allié, mais ne nous menace pas directement : négocions sans relâche. La Russie a retrouvé des ambitions à sa mesure, nous découvrons qu’à côté d’elle nous sommes des nains géopolitiques ? Restons prudents, mais mieux vaudrait que le Tsar soit notre allié face au Sultan que l’allié du Sultan contre nous. Quoi qu’on puisse dire de Sputnik ou RT, la parole du Kremlin est bien moins nocive que celle d’AJ+, et des prédicateurs de Doha, Riyad ou Al Azhar !

Reste un dernier point, absolument essentiel : et nous, que pouvons-nous faire ? Chacun d’entre nous ?

Avant tout, oser la réflexion créative : plutôt que de vouloir de bonnes idées, mieux vaut avoir des idées, et ensuite seulement les soumettre à un examen critique et analyser leur efficacité, leurs inconvénients, leur faisabilité, les éventuelles objections éthiques. Mais d’abord, avoir des idées ! Et être à l’écoute de celles des autres pour relayer celles qui nous semblent bonnes.

Nous préparer concrètement en nous formant à quelques actes réflexes et aux premiers secours – ce qui d’ailleurs peut toujours être utile. Participer à la sécurité des événements autour de nous : sorties scolaires, cérémonies civiles ou religieuses, etc. La vigilance ne suffira pas à tout éviter, mais il ne faut pas sous-estimer l’effet dissuasif ne serait-ce que de deux bénévoles réellement attentifs à ce qui se passe autour d’eux.

Et par tous les moyens d’expression que nous avons, faire monter une clameur que ni les médias ni les politiques ne pourront ignorer : exiger la fin du déni et des compromissions, briser le carcan naissant de « l’islamiquement correct »[tooltips content= »Belle formule d’Alexandre Del Valle dans La stratégie de l’intimidation. »]6[/tooltips]. Chaque voix qui osera s’exprimer rendra la censure plus difficile, chaque esprit libre qui osera poser les questions qui dérangent rendra les mensonges plus fragiles. L’opinion publique est le centre de gravité stratégique des démocraties libérales[tooltips content= »« Le centre de gravité est cette caractéristique, capacité ou lieu à partir duquel une nation (…) tire sa liberté d’action, sa force physique ou sa volonté de combattre. » Carl von Clausewitz, De la guerre. »]7[/tooltips], et nous sommes l’opinion publique ! Demandons inlassablement des comptes à nos gouvernants, aux forces de l’ordre, aux magistrats : ils ne sont pas là pour « faire de leur mieux » et apaiser, mais pour se battre et gagner. Qu’ils soient bien persuadés que les Français n’accepteront rien de moins.

A l’UNEF, on n’a pas d’idées mais on a des subventions


Si elle est à l’avant-garde de la mobilisation, l’Union nationale des étudiants de France (UNEF) a depuis longtemps perdu ses troupes et ses idées. Mais pas ses subventions.


« L’UNEF perd peu à peu contact avec la masse des étudiants, et l’organisation dépérit lentement. Paralysée financièrement […], lieu d’affrontements de groupuscules politiques », l’Union nationale des étudiants de France (UNEF) demeure néanmoins « au carrefour de tous les foyers d’agitation du monde étudiant ». Ces lignes décrivent la situation du syndicat en… 1968[tooltips content= »Voir « Une jeunesse centenaire, brève histoire de l’UNEF », disponible en ligne. »]1[/tooltips]. Victime de schismes en cascade, au sujet de la guerre d’Algérie puis de l’adhésion au marxisme, l’UNEF était déjà en crise il y a cinquante ans. L’organisation a ainsi vu ses effectifs fondre de 80 000 adhérents dans les années 1950 à 20 000 en 1968. Elle en revendique aujourd’hui 19 000, alors que le nombre d’étudiants a décuplé. Son effectif est passé d’un étudiant sur deux en 1956 à moins d’un sur cent en 2018 (0,8 %).

A lire aussi: Caroline de Haas et l’Unef des fous

L’UNEF est encore le deuxième syndicat étudiant de France, derrière la FAGE, mais avec une participation dérisoire aux différentes élections qui mesurent la représentativité : 7,1 % en 2017 pour désigner les délégués du Conseil national des œuvres universitaires (Cnous), soit dix fois moins qu’aux élections de 1973 (71 %). À Nanterre, ex-bastion syndical, 2 % des inscrits ont voté en 2015…

Tous les observateurs s’accordent à dire que le noyau actif de l’UNEF est proche de 2 000 militants. Pour les élections du conseil d’administration de La Mutuelle des étudiants (LMDE), en avril 2017, l’UNEF, qui truste tous les sièges, a mobilisé exactement 2 218 votants.

Le secret de sa longévité, les subventions

La LMDE, d’ailleurs, est la clé qui permet de comprendre comment l’UNEF tient encore : par les subventions. Le conseil d’administration de la mutuelle ne sert plus à rien. La LMDE était si mal gérée que l’Assurance maladie l’a reprise en main en octobre 2015 (en attendant l’intégration des étudiants au régime général, à la rentrée prochaine). Les instances décisionnaires de la LMDE ont été maintenues pour la forme, mais aussi pour défrayer une quinzaine de militants UNEF à temps plein, à hauteur de quelques centaines d’euros par mois. Les aides versées par l’État sont très conséquentes. Les annexes au projet de loi de finances 2018 annoncent un total de 801 000 euros de subventions pour l’UNEF en 2016. En y ajoutant les soutiens des conseils régionaux et des municipalités, on dépasse probablement le million d’euros. C’est pour ce trésor de guerre que l’UNEF se déchire. Dernière péripétie, une tentative de putsch avortée, menée l’été dernier par William Martinet, président de l’UNEF de 2013 à 2016, visant à placer le syndicat dans l’orbite de la France insoumise. Plusieurs membres du bureau national ont été exclus.

S’ajoutent à cela des errements idéologiques préoccupants, comme les réunions non mixtes de genre, auxquelles la direction de l’UNEF semble tenir beaucoup. Suicide électoral… La non-mixité, sans surprise, séduit moins l’étudiante que ne le fait l’étudiant, et réciproquement. Dans la chaleur des nuits festives de Tolbiac, mi-avril, un projet d’atelier non mixte défendu par l’UNEF a suscité tant de moqueries et d’indignation qu’il a été annulé (voir page 68).

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Colombie: Gustavo Petro, le gaucho au pays des libéraux

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Gustavo Petro, 58 ans, est l’homme de la gauche pour la présidentielle du 27 mai. Au pays de la droite reine, le programme de l’ex-guérillero détonne et séduit. Au point de faire basculer la Colombie ?


Alors que l’incarcération de Lula vient contrarier les espoirs de la gauche au Brésil, une partie de la presse a son attention portée sur ce qui serait une petite révolution : après soixante ans de gouvernements de droite, les Colombiens pourraient décider de porter au pouvoir Gustavo Petro, un économiste de gauche.

Ancien maire de Bogota, ancien militant du mouvement de guérilla urbaine M-19, mais aussi diplômé de l’université catholique de Louvain en Belgique, et adhérent à la théologie de la libération, cet élégant politicard en fin de cinquantaine est donné gagnant par plusieurs sondages. Ce qui incite à la prudence, c’est que, d’une part, les Colombiens ont penché à droite aux législatives et sénatoriales de mars dernier, et que par ailleurs, ces mêmes Colombiens, supposés approuver l’accord de paix avec les FARC d’après les fameux sondages, ont massivement rejeté celui-ci dans les urnes. Il est donc délicat de pronostiquer si le pays va réellement succomber au charisme du candidat, ou s’il va préférer continuer dans le même train qui le mène depuis l’assassinat de Jorge Gaitan, populaire réformateur des années 1940 – dont se revendique Petro – qui ne trouve désormais sa place que sur les billets de mille pesos (trente centimes d’euros)…

« Mettre les politiciens corrompus en prison et leur faire rendre l’argent qu’ils ont volé »

Néanmoins, le programme de Monsieur Petro mérite qu’on s’y arrête un peu, car il est assez inédit pour l’Etat qui doit son nom au malheureux conquérant génois : valorisation de l’éducation et création d’ « universités gratuites recherchant la qualité et l’excellence », santé « publique et gratuite pour tous sans discriminations »… Rien que cela serait tout à fait révolutionnaire pour ce pays à côté duquel le système français ferait presque figure d’Etat socialiste : dans la Colombie actuelle, si vous n’êtes pas de bonne famille, oubliez les études supérieures et ne pensez même pas survivre à un cancer… Mais le favori des sondeurs veut aussi préserver l’accord de paix avec les FARC, « mettre les politiciens corrompus en prison et leur faire rendre l’argent qu’ils ont volé », discuter avec Trump, et, non moins intéressant, sortir son pays de la dépendance au pétrole. Ne serait-ce que sur ce point, la « Colombie humaine » proposée par le candidat est difficilement assimilable à la société vénézuélienne en décrépitude du « camarade » Maduro.

Soixante ans de conflits laissent des cicatrices, Gustavo Petro n’a donc pas que des amis. Ses adversaires ne le ménagent pas. Son passé de militant pour une guérilla urbaine – qui lui valut d’être torturé par l’armée et emprisonné – lui revient toujours au nez. Bien qu’il ait dit considérer Nicolas Maduro comme un dictateur, il est taxé de populisme par une partie de la presse du pays – qui va même jusqu’à le comparer à Donald Trump. Les compagnons d’Alvaro Uribe – qui incarne la droite du pays -, l’ont, eux aussi, qualifié de « castrochaviste » : ils agitent inlassablement le spectre des expropriations et d’un chaos sur le modèle du Vénézuela voisin. Pour couronner le tout, Timochenko, leader des FARC recyclées en parti politique, s’est retiré de la course à la présidentielle (officiellement pour raisons de santé) du 27 mai, et pourrait soutenir Petro. Un soutien des plus encombrants pour ce dernier, qui s’est empressé de déclarer qu’il n’avait rien à voir avec les FARC.

Populiste et populaire, mais…

Depuis quelques années, Gustavo Petro reçoit régulièrement des menaces de mort. Et le 2 mars dernier, sa voiture blindée a carrément essuyé des jets de pierres à Cucuta, une commune située à deux pas de l’Etat chaviste. Dans la mesure où cinq candidats à la présidence ont été assassinés à la fin du XXe siècle, et que près de trois cents militants syndicaux ont été assassinés depuis janvier 2016, on comprendrait qu’il craigne pour sa vie. A-t-il peur ? En tout cas, il n’en laisse rien paraître : il sillonne son pays. De Cali l’authentique à la belle Carthagène des Indes, en passant par la sinistrée Buenaventura, il remue les Colombiens de gauche (oui, il y en a) lors de meetings en plein air. Enfilant parfois – quitte à faire sourire – le costume traditionnel de la région où il va, il tient de longs discours sans notes, promettant du social, une paix pérenne, d’en finir avec la corruption et de redonner ses lettres de noblesse au pays. Sur sa page Facebook, qui comptabilise plus d’un million de sympathisants – soit plus du double de celle d’Ivan Duque, son principal rival –  il pose tout sourire en chemise blanche en compagnie d’Amérindiens. L’homme qui veut incarner le peuple face à la « dictature de la corruption » (comme il a qualifié le pays lors d’un meeting à Ibagué) est à l’aise avec les petites gens des périphéries et la jeunesse, et semble avoir tout compris à l’art de la communication.

Après soixante ans d’une droitisation de l’opinion due à la chaotique guérilla des Farc, la gauche colombienne a donc trouvé son homme. Pour enfin accéder au pouvoir ? Quoiqu’en laissent croire les fameux sondages, il semble difficilement envisageable qu’elle y parvienne vraiment : à tort ou à raison, l’opinion reste encore sceptique envers une gauche qui pourrait la mener vers l’inconnu ; tandis qu’en choisissant Ivan Duque, le protégé d’Alvaro Uribe, elle sait au moins où elle va. Les résultats des législatives et sénatoriales vont dans ce sens. Mais alors que la gauche latino-américaine tombe en disgrâce depuis quelques années, il est compréhensible qu’elle voit en la Colombie une terre d’espérance. Pour un mois ou pour quatre ans ?

Alain Finkielkraut réagit à l’attentat de Paris et à la situation entre Israël et l’Iran


Chaque dimanche, sur les ondes de RCJ, Alain Finkielkraut commente, face à Élisabeth Lévy, l’actualité de la semaine. Un rythme qui permet, dit-il, de « s’arracher au magma ou flux des humeurs ».


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Bartali et Boni, deux sportifs dans la légende du dernier siècle

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Tous les champions n’entrent pas dans l’histoire. Les légendes ne se nourrissent pas seulement de chiffres abscons. L’histoire retient un style, un caractère, une attitude qui nous imposent un respect éternel.

Bartali, un résistant si discret

Face à Gino Bartali (1914-2000), l’émotion nous étreint. Les mots semblèrent tellement vains quand nous apprîmes que Gino le pieux, Gino le vieux, rouspéteur et splendide, dormant avec sa bicyclette et ne se séparant jamais de la médaille de la Madone avait caché de faux papiers d’identité dans la tige de sa selle, durant la Seconde Guerre mondiale. « Il mènera sa lutte contre la barbarie nazie en voyageant à vélo entre les différentes localités de l’Italie du centre et du nord » écrit Alberto Toscano dans L’incroyable destin du champion Gino Bartali (préface de Marek Halter) aux éditions Armand Colin. Gino, le juste fut si discret sur ses activités dans le réseau clandestin de résistance et sur son action personnelle dans le sauvetage et la protection des juifs italiens qu’il n’en parla jamais. C’est seulement après sa mort que le courage du « facteur » fut révélé et que ses admirateurs reconnurent en lui, bien plus qu’un vainqueur du Tour de France ou du Giro. En avril 2006, le président de la République italienne donna à son épouse Adriana, la médaille d’or du mérite civique. Et, en 2013, « les experts du Mémorial de Yad Vashem décident à leur tour de reconnaître officiellement le rôle de Gino Bartali pendant la guerre ».

Ce livre est aussi l’occasion de revenir sur la vraie fausse rivalité entre Coppi, le piémontais et Bartali, le toscan, le coco et le catho, deux ténébreux flamboyants, communiant la même religion celle du vélo et de l’effort. Malaparte avait déjà croqué les deux visages de cette Italie populaire dans un essai paru en 1947 et ressorti en 2007 chez Bernard Pascuito.

Un rugby de précision et d’attaque

Du cyclisme à l’ovalie, il n’y a qu’un coup d’accélérateur, qu’un jeu de jambes. Au même moment, sort en librairie un document exceptionnel qui retrace la carrière d’André Boniface, « le centre mythique » du stade Montois comme le souligne Olivier de Baillenx dans son ouvrage Boni’70, un printemps de rugby chez Atlantica. Ce spécialiste à la plume vive et à la documentation charpentée fait revivre la période démarrant à partir du printemps 1969 quand André accepte d’être l’entraîneur de l’équipe première des jaunes et noirs. La lecture du Temps des Boni de Denis Lalanne, notre maître à droper et à smasher, journaliste sportif et écrivain hussard, ami de Blondin, avait marqué notre adolescence. Baillenx, avec brio et l’appui de nombreux témoignages de joueurs de l’époque, se souvient d’André (aujourd’hui âgé de 83 ans), après la mort de son frère Guy, en 1968. Son retour sur les pelouses est une leçon de vie. Il va inculquer à toute une nouvelle génération, bien épaulé par le roc Dauga, un rugby du mouvement, aérien et chorégraphique, un rugby de précision et d’attaque, pas ce rugby fragmenté, toujours à l’arrêt que nous voyons trop souvent, un rugby de conquête et d’envie. « Et oui, le jeu, toujours. Le jeu des gamins qui courent dans la cour de récréation » avertit l’auteur. Avec ces deux légendes, le sport est toujours plus que du sport.

Un vélo contre la barbarie nazie, Alberto Toscano (Armand Colin, 2018)

Boni’70, un printemps de rugby, Olivier de Baillenx (Atlantica, 2018)

Etudiants de Nantes : la grève du 1%


Violence dans les rues et calme dans les amphithéâtres, la mobilisation nantaise est forte en images, mais pauvre en troupes.


Toutes les conditions étaient réunies pour que les luttes convergent à Nantes. Le mouvement de contestation étudiante a démarré alors que l’expulsion de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes n’était pas achevée. Par ailleurs, les occupations de locaux universitaires en faveur des sans-papiers ont démarré ici dès novembre 2017, à l’initiative de l’UNEF et du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA). Ces initiatives ont été largement relayées par les sites d’information alternatifs nés du combat pour la ZAD, Indymedia Nantes et Nantes révoltée. Ultime élément favorable, la sympathie de certains universitaires pour le mouvement de contestation. Le 6 mai 2016, un collectif de « sociologues atterrés » a publié une lettre ouverte incendiaire, à la suite d’un papier de Ouest-France considéré comme inadmissible. L’article en question se contentait pourtant de constater l’évidence : les manifestations de jeunes sont plus souvent organisées par des mouvements d’extrême gauche que totalement spontanées.

À peine 1 % d’étudiants mobilisés

En dépit de ces circonstances favorables, on ne peut pas dire que le feu ait tourné au brasier. D’assemblée générale en sit-in, la mobilisation tourne autour de 500 personnes, soit 1 % seulement des 56 585 étudiants nantais. « J’irais bien aux manifestations, commente candidement Solenn, élève en hypokhâgne, mais j’ai trop de travail. » Les tentatives pour créer une convergence avec le reste du mouvement social se sont limitées à des invitations croisées en assemblée générale, quelques cheminots allant chez les étudiants et inversement. En réalité, les facs nantaises sont plutôt calmes.

On ne peut en dire autant des manifestations. Le 19 avril, Françoise Verchère, opposante historique à l’aéroport, a annoncé son retrait des débats, écœurée par les débordements. Évoquant « certains radicaux » avec qui elle « défie quiconque de passer une après-midi », l’élue Front de gauche s’inquiète. « L’idée de convergence des luttes, voire de Grand Soir, plane évidemment, la violence augmente chaque jour… Un immense gâchis. » Mais un gâchis qui ne concerne les étudiants qu’à la marge.

Cinq leçons pour lancer sa revue “non-conformiste”

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Vous êtes jeune, vos poils poussent, et vous êtes révoltés par le monde moderne et sa vulgarité. Tels Fabrice Del Dongo ou Musset, vous avez la nostalgie des grandes épopées, et vous voulez que tout le monde le sache. Un moyen commode pour partager vos goûts et dégoûts du jour serait de lancer votre propre revue « non-conformiste ». Problème : vous ne savez pas comment faire. Rassurez-vous, La Camisole vous donne quelques conseils :

1) Dites toujours la même chose

Rappelez régulièrement à votre lectorat – soit vous et vos quelques amis – votre dégoût du monde moderne. La répétition étant la base de la pédagogie et le lectorat étant idiot par définition – sinon, il n’aurait pas besoin de lire -, ne cherchez pas à faire original. Trouvez-vous un créneau, quelques phrases toutes faites, un catalogue d’auteurs fétiches, et répétez tout cela à l’encan (par exemple, vous pouvez pourfendre l’horreur du monde moderne, appeler au retour de l’Esprit, défendre la conciliation de l’écologie et du catholicisme…).

2) Sachez faire preuve de complexité

Vous avez appris en khâgne à problématiser un sujet, à offrir une définition nuancée de chaque terme, bref, à enculer les mouches. Essayez donc de faire en sorte que chacun de vos articles ressemble à une longue introduction de dissertation, en rappelant toujours que « les choses ne sont pas si simples », sans jamais donner la moindre solution, la moindre réponse, car ce serait de mauvais goût, et utilitariste…

3) Honni soit qui Péguy ne cite

Citez Péguy coûte que coûte, même si vous ne l’avez pas lu. Tâchez d’ailleurs de prendre un air pénétré en le faisant, avec le regard fuyant à l’horizon et en passant la main dans vos cheveux, ainsi que lorsque vous parlez d’ « Absolu », de « l’Esprit contre la Matière », de la « Foi », de la « Mystique », etc… Si, de surcroît, vous avez le teint blême du jeune homme phtisique – qui aurait convenu à un séminariste du XIXème siècle, à un intello sartrien des années 50 ou à un assidu des bars gays et backrooms parisiens d’aujourd’hui -, c’est le jackpot ! (NDLR : fonctionne aussi avec Léon Bloy)

4) Soyez plus à gauche que la gauche

Cherchez sans arrêt à concurrencer la gauche sur son propre terrrain. Tout jeune rédacteur de revue « non-conformiste » est un peu archéologue des idées. Citez donc des fossiles de la pensée : marxistes orthodoxes ou non, communistes « terroir » à la Clouscard, et autres penseurs à la mords-moi-le-Michéa. Vous vous couperez de votre milieu droitier d’origine, sans pour autant parvenir à séduire les milieux de gauche, qui vous tiendront toujours pour suspects car, au fond, réactionnaires. Vous serez incompris de tous, et pourrez vous en désoler, des trémolos dans la voix et un regard de chien battu dans les yeux – mais de toute façon, vous aimez jouer les incompris et en éprouverez une certaine jouissance.

5) Fréquentez les bars de merde situés dans des quartiers à la con 

Vous êtes de droite, mais vous voulez apparaître de gauche, branché – et comme l’Alzheimer de Mamie se fait plus long que prévu, vous tardez à hériter et n’avez pas les moyens de vous payer des verres dans les bars des Champs ou à Saint-Germain. Le hasard fait bien les choses, il existe un endroit idoine, avec ses trottoirs sales jonchés de déchets et ses bars pourris tenus par des exilés patibulaires : l’Est parisien. Privilégiez donc Belleville, la Bastille ou les Buttes-Chaumont pour vos réunions, soirées de lancement et dîners-conférences. Attention toutefois à ne pas trop fréquenter Ménilmontant et ses environs : les antifas du coin vous détestent et ne vous feront pas de cadeau (voir point n°4).

Voilà, vous avez tous les éléments pour lancer votre propre torchon qui vous voudra toute la sympathie et la reconnaissance de vos six amis parisiens et de leurs publications respectives. Au plaisir de vous lire bientôt !

Retrouvez cet article sur le site de La Camisole

Marin, l’autre héros français


Tabassé puis laissé pour mort à Lyon alors qu’il défendait des amoureux qui s’embrassaient, Marin est depuis lourdement handicapé. A l’époque des faits, en novembre 2016, ni les grands médias ni François Hollande n’avaient jugé bon de s’émouvoir de son cas. Alors que son agresseur vient d’écoper de la moitié de la peine requise par l’avocat général, l’affaire Marin témoigne de plusieurs dénis français. 


La vie de Marin a basculé le 11 novembre 2016 lorsque, prenant la défense d’un couple d’amoureux  pris à parti très agressivement parce qu’ils s’embrassaient, par ce qu’il est de coutume d’appeler euphémiquement des « jeunes » dans le quartier de la Part-Dieu à Lyon, il est victime de coups d’une rare violence et laissé pour mort. Très nombreux furent ceux qui suivirent avec émotion son combat héroïque pour ne pas mourir, pour revenir du coma et peu à peu tenter de se réapproprier les choses les plus élémentaires de la vie. Ce jeune homme brillant, sympathique et dévoué, étudiant en 3ème année de droit, titulaire d’un baccalauréat avec mention très bien, amoureux de sa petite amie présente au moment de la sauvage agression, bon fils, frère aimant, joueur de foot et fan inconditionnel de l’ASSE qui le soutiendra dans sa convalescence, va lutter en champion, point par point, pied à pied, pour tenter de se reconstruire en dépit des très graves et irréversibles séquelles qu’il conserve de l’insupportable attentat contre la vie dont il a été victime.

François Hollande a préféré Théo

Curieusement pourtant, son sort ne semble pas beaucoup émouvoir les pouvoirs publics ni le chef de l’Etat de l’époque François Hollande, plus prompt à se rendre, avec le ridicule et coupable empressement qui l’avait déjà caractérisé au moment de l’affaire Leonarda, au chevet d’un Théo plus que douteux. D’un côté, un fait de délinquance ordinaire érigé en combat social mystificateur et victimaire, de l’autre un acte de bravoure et de résistance face à l’ensauvagement de la société largement passé sous silence afin de ne pas « faire le jeu »…

A lire aussi: On en fait beaucoup pour Théo…

Il n’a donc pas été fait, dans cette affaire, le procès de l’idéologie régressive qui porte constamment ses anathèmes contre l’ « impudeur » supposée de l’amour et des femmes : c’était pourtant la base et la cause directe de l’agression. On peut se demander, en effet, depuis quand il n’est plus devenu possible de s’embrasser librement sans qu’une police de la pudeur ne s’abatte.

Le Beltrame de la société civile

Marin, c’est le Arnaud Beltrame de la société civile, du quotidien de si nombreux Français confrontés à la violence, à la régression de la civilité dans l’espace public, à ce terrorisme de basse intensité de la sauvagerie qui rend le « vivre-ensemble », au nom duquel pourtant il se répand, impossible. Or, le traitement de cette affaire par les pouvoirs publics au moment des faits, ou plus exactement son absence de traitement, est le reflet de l’aveuglement et du déni qui entourent la réalité dont elle est pourtant le symptôme éclatant.

Déni quant aux causes de l’agression tout d’abord, dont il aura été urgent de taire le motif déclencheur. Car il ne s’agit pas d’une banale altercation requalifiable en simple bagarre de rue qui aurait mal tourné ou en fait divers tragique : il s’agit d’un véritable problème social de régression des mœurs qui conduit des pans croissants de la population à considérer comme abominablement impudique et intolérable qu’un couple s’embrasse, que l’amour et les individus soient libres. Cet aspect de la réalité a été promptement passé sous silence alors qu’il constitue pourtant la source du problème ici posé, la cause de cette même violence que subissent de nombreuses jeunes filles dans de nombreux quartiers, qualifiées d’impudiques selon exactement la même rhétorique si elles osent présenter leur corps non dissimulé dans l’espace public.

La dissimulation au secours de la récupération

Si cette cause pourtant évidente n’a pas été évoquée avec le courage et la clarté requis, c’est parce que la seule obsession dans ce dossier, jusqu’à ces tout derniers jours, est de ne pas abonder dans le sens de la mystérieuse « fachosphère » dont on semble redouter en permanence l’action secrète et manipulatrice. Il ne s’agit manifestement pas de se méfier des délinquants ni de l’idéologie qui les encourage à la violence, non, il s’agit de redouter le halo paranormal et plus ou moins fantasmagorique de la « récupération » par l’extrême droite numérique. Cette dernière, dont on ignore où elle se situe exactement, probablement quelque part entre l’atmosphère et les confins de l’Univers, et qui semble toutefois obséder jusqu’à la paralysie bon nombre d’acteurs et d’observateurs, serait donc le véritable danger. A ceux qui se coltinent la réalité de se débrouiller tout seuls avec la violence concrète et d’en avoir le corps et l’esprit massacrés à vie.

Au nom de cette inversion paradigmatique de la réalité, de ce déni du réel, les véritables causes et le sens de cette agression auront été passés sous silence. Si les pouvoirs publics s’emparaient du réel, le « récupéraient », justement, afin de le traiter, ce qui constitue normalement la base mais aussi l’objectif de leur action et donc leur seule légitimité, cela fournirait une excellente garantie contre ces mystérieuses récupérations nauséabondes dignes de la mythologie gréco-romaine dont on se préoccupe beaucoup. Mais la question ne sera toujours pas posée, elle dérange.

Cet aveuglement, qui a pour hantise un hypothétique risque de « stigmatisation », préfère ne pas regarder en face celui qui, pour le coup, porte dans sa chair les vrais stigmates d’un vrai danger, bien réel celui-ci.

Où est sa Légion d’honneur ?

Ainsi, Marin ne s’est curieusement pas encore vu décerner la Légion d’honneur, malgré le mouvement populaire de soutien et de pression qui s’est constitué pour en faire la demande. Le ministre de l’Intérieur et ancien maire de Lyon, Gérard Collomb affirme pourtant en avoir activement saisi le président Emmanuel Macron et l’on suppose donc que cette Légion, pourtant tellement méritée tant il s’agit bien d’honneur et d’un honneur national, s’est perdue quelque part dans le trou noir du courage politique, errant entre la stratosphère et la fameuse « fachosphère » que d’éminents astrophysiciens découvriront peut-être un jour.

Déni également quant à la réponse pénale apportée : l’auteur des coups, alors âgé de 17 ans et 8 mois (et l’on se doute bien que sa force physique de destruction n’aurait pas brutalement décuplé en 4 mois ni comme par enchantement le matin de ses 18 ans : elle était déjà là, adulte et bestiale, lorsqu’elle s’est abattue pour massacrer Marin), a bénéficié de la mansuétude de la Cour d’assises des mineurs de Lyon. Elle lui a appliqué l’excuse de minorité et l’a condamné à 7 ans et demi de prison ferme au lieu des 14 ans requis par l’avocat général, un verdict contre lequel la partie civile a annoncé toutefois ne pas souhaiter faire appel en raison de l’immense fatigue qu’un nouveau procès représenterait pour Marin. Dans ce cas pourtant, l’excuse de minorité aurait pu être levée, en raison du lourd passé de délinquance de l’accusé (18 condamnations à son actif dont certaines pour faits de violence), en raison de son imminente majorité au moment des faits, en raison du fait que son geste s’est apparenté, ce qui a été souligné, à une quasi tentative d’homicide. Mais non, c’est l’esprit rédempteur de l’ordonnance du 2 février 1945, organisant une justice pénale des mineurs de l’immédiat après-guerre, qui prévaudra dans cette affaire, en dépit de l’évolution du réel social et en marge du bon sens.

Je dénie donc je suis

Face à ces dénis de toute nature, aveuglement quant aux causes de l’agression, aveuglement quant à ses conséquences, aveuglement quant aux solutions à y apporter, Marin et sa famille sont restés dignes et héroïques, bien que très choqués par le verdict. Comme pour le colonel Beltrame, l’autre héros français, la foi a joué un rôle, notamment cette rencontre récente avec le Pape François, afin de se hisser à un niveau élevé d’engagement, de résistance à l’adversité, d’espérance et de courage face au réel, et même, d’aptitude au pardon.

On peut à l’inverse espérer que dans le naufrage du traitement social, médiatique, politique et judiciaire de cette affaire, l’auteur des coups, le coupable du martyre de Marin, n’aille pas pour parachever son parcours criminel, se radicaliser dans une prison dont on doute qu’elle puisse, de toute façon, à elle seule résoudre le problème qui se pose ici et qui concerne le dysfonctionnement de la société française tout entière.

Macron: un start-uper ne devrait pas lire ça!

Surprenant l’entretien qu’Emmanuel Macron a accordé à la Nouvelle revue française (NRF). S’il y a bien un lieu où je ne l’attendais pas, c’est dans cette prestigieuse revue à vocation purement littéraire. Je l’ai lu avec une curiosité vorace, m’attendant au pire. Et force m’est d’en convenir, il s’en tire diaboliquement bien citant tantôt Stendhal ( » Il est une façon de manger un œuf à la coque qui annonce les progrès faits dans la vie dévote » ), François Mauriac et son Bloc-Notes de L’Express ou Pierre Viansson-Ponté qui dans une chronique légendaire du Monde  écrivait peu avant Mai 68 : « La France s’ennuie « .

Retour du tragique

À la question : « Que diriez-vous en 2018 ? », Emmanuel Macron répond : « Je ne pense pas que la France s’ennuie, mais elle est inquiète. » Et elle a toutes les raisons de l’être, ajoute-t-il, car « l’Histoire que nous vivons en Europe redevient tragique. Elle ne sera plus protégée, comme elle l’a été depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ». Paradoxalement, c’est ce qui le rend optimiste. Et cette confession sidérante : « Du point de vue du système politique traditionnel, je suis une aberration. En réalité, je ne suis que l’émanation du goût du peuple français pour le romanesque. » Dommage à ce propos,  puisqu’on lui demande ce qu’il lit, qu’il ne mentionne pas Michel Houellebecq : la confrontation ne manquerait pas de sel.

Stendhalien jusqu’au bout

D’autant que, pour lui, la littérature l’emporte et l’emportera toujours sur la sociologie et même sur la philosophie. Encore Stendhal : « Une cristallisation stendhalienne » a débuté en 2017 avec le peuple français. Cette « rencontre amoureuse » ne durera pas, il en est parfaitement conscient. Cette lucidité donne à son personnage romanesque – encore et toujours Stendhal – une profondeur inattendue. La différence engendre la haine et c’est pourquoi il la cultive. Sans guillotine, pas de gloire. Du coup, le stratège cynique, l’ambitieux sans scrupule, l’économiste dénué de toute compassion se métamorphose par la magie de la littérature en un en personnage infiniment plus complexe qu’il n’y paraît, porté par un narcissisme sans limite, mais également une culture littéraire qui demeure son point d’ancrage. Tout au moins quand il s’exprime dans la NRF.



Islamisme : puisque les sociologues vous disent qu’il n’y a pas de problème…

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Hal'Shop, le premier supermarché français 100% hallal, ouvert à Nanterre, mars 2010.

En retard d’une bonne quinzaine d’années sur les professeurs quotidiennement confrontés à la génération Kouachi, le monde universitaire commence enfin à ouvrir les yeux, bien que les ripolineurs du réel n’aient pas dit leur dernier mot. Reste à savoir comment sauver cette génération qui paraît perdue.


Quand les sociologues du déni veulent prouver au péquin moyen qu’il ne voit pas ce qu’il voit et ne vit pas ce qu’il vit, ils trouvent toujours une étude qui défie le sens commun : l’une vous prouvera que le niveau monte à l’école, l’autre que l’intégration des enfants d’immigrés ne cesse de progresser, une troisième qu’il n’y a aucun lien entre l’islam et la radicalisation islamiste. Et une dernière qu’il neige en été. L’arraisonnement de la sociologie par l’idéologie, magnifiquement étudié dans un récent dossier du Débat[tooltips content= »« La sociologie au risque d’un dévoiement », in Le Débat, n° 197, nov.-déc. 2017. »]1[/tooltips], a conduit la première à dire aux acteurs « comment doit être le monde » plutôt que « comment il est », écrit Nathalie Heinich. Et, dans la foulée, à interdire qu’on voie comment il est. Ce mauvais penchant, à l’œuvre depuis des années sous l’appellation générique de politiquement correct, se déploie avec une ardeur renouvelée depuis janvier 2015.

La recherche confirme ce que tout le monde sait: il y a aujourd’hui un problème dans l’islam

Après les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, les Français veulent comprendre, y compris ces musulmans du coin de la rue qui savent depuis longtemps, sans pouvoir rien y faire, qu’une partie de « leur » jeunesse a sérieusement déraillé – dans la délinquance, l’islam radical ou les deux. On pressent qu’au-delà d’une minorité de passeurs à l’acte, la forêt qui cache de tels arbres souffre d’un mal plus profond que personne n’a voulu voir. On convoque les auteurs des Territoires perdus de la République, jusqu’alors suspects. Au gré des reportages, le pays découvre qu’une minorité significative de ses enfants d’adoption récente vit sur une autre planète mentale et ne cache pas sa détestation de nos mœurs collectives, en particulier de la liberté des femmes. Fantasmes, exagérations, amalgames, hurlent les ripolineurs du réel. La preuve que ça n’existe pas, c’est que vous n’avez pas de chiffres.

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Les chiffres finissent par arriver et avec eux les études scientifiques. Des enquêtes journalistiques et des témoignages de proviseurs, professeurs ou policiers complètent le tableau. Et surprise : le péquin moyen voyait juste ! Autrement dit, la recherche confirme les pires impressions du sens commun et prouve notamment ce que tout le monde sait, à commencer par les musulmans : il y a aujourd’hui un problème dans l’islam – donc un problème de l’islam. Un problème d’acculturation qui ne se fait pas sur fond de déculturation galopante (qui n’est pas pour le coup une spécialité islamique). Certes, l’habituelle phalange des chercheurs-effaceurs tombe à bras raccourcis sur la méthodologie (validée par le CNRS) qui aboutirait à une étude à charge contre l’islam, on connaît la chanson. Ils ont beau tempêter et psalmodier, la lucidité progresse. Y compris parmi les musulmans : « Aujourd’hui, il n’y en a pas un qui s’indignerait sincèrement de la phrase de Zemmour sur les dealers », s’amuse Tarik Yildiz, fin observateur de l’islam sunnite.

Ce n’est pas faire injure à Anne Muxel et à Olivier Galland que d’observer que leur passionnante « enquête auprès des lycéens » ne contient pas de révélation fracassante, sinon celle que la sécession d’une partie de la jeunesse est encore plus inquiétante que ce qu’on croyait (voir pages 22-23, l’article de Daoud Boughezala). Comme l’ont bien noté les gardiens du temple progressiste, furibonds que certains de leurs confrères aillent fouiner là où leur dit depuis trois ans qu’il n’y a rien à voir, leur étude (qui fourmille de données précieuses pour l’analyse et la compréhension) valide une fois encore les sombres inventions de l’expérience sensible : la radicalisation religieuse est, dans une très large mesure, une singularité musulmane. Et, parmi les lycéens se déclarant de cette confession, elle touche une minorité significative, comme en témoignent les nombreux incidents rapportés ou non par la presse.

« Quand vous ne vivez qu’avec des gens de la même origine et de la même religion que vous, le Blanc, c’est l’étranger. »

De façon amusante, et conformément à la parabole du chaudron de Freud, les adversaires du réel affirment en même temps qu’il n’y a pas de problème et que c’est de notre faute. La jeunesse islamo-radicalisée n’existe pas, mais c’est nous qui l’avons créée. Il faut dire que, sur ce point, ils n’ont pas complètement tort. Si une partie de la jeunesse française rompt les amarres culturelles avec son pays de naissance, qui a accueilli leurs parents ou grands-parents, c’est, au moins en partie, de notre faute. Mais pas, comme le leur a seriné la gauche, parce que nous sommes « méchants » – racistes, discrimineurs et néocoloniaux –, mais parce que nous sommes trop gentils – complaisants, laxistes, pour ne pas dire honteusement mous du genou. « La génération Kouachi – on la voit venir depuis 2005 – vient de loin et nous l’avons fabriquée en remplaçant l’exigence par la compassion », s’agace Marie Ibn Arabi, professeur de philosophie qui enseigne aujourd’hui l’anglais dans un lycée professionnel des Hauts-de-Seine, où la quasi-totalité des élèves est issue de l’immigration musulmane. « À vrai dire, j’enseigne surtout les principes républicains, et même la politesse de base. » L’entre-soi n’arrange rien, comme l’ont compris ces mères de Montpellier qui réclament des Pierre et des Bernard dans les classes de leurs enfants. « Quand vous ne vivez qu’avec des gens de la même origine et de la même religion que vous, le Blanc, c’est l’étranger. » C’est parce qu’il voyait monter de concert l’islamisme et la délinquance que le père de Marie, un bon musulman, l’a inscrite dans un collège catholique. Du reste, comme le souligne Sacha, jeune agrégé de lettres nommé dans un collège de Seine-Saint-Denis, « ce ne sont pas les familles traditionnelles, empreintes de valeurs, qui posent des problèmes. Au contraire, celles-ci apprennent à leurs enfants à ne pas parler de religion à l’école. Ceux qui jurent sur le Coran à tout bout de champ bricolent un islam identitaire qui leur permet de séparer le monde entre “eux” et “nous”. » Nous les musulmans et eux, un vaste ensemble agglomérant l’Occident, les chrétiens, Israël et tous ceux qui tirent les ficelles et aussi tous les gogos qui ne voient pas qu’on leur cache tout.

Le pire tort que la France puisse faire à ces milliers d’adolescents qui rêvent de djihad (sans aller plus loin) et crachent sur leur drapeau serait évidemment de leur céder. Notre faiblesse est une insulte. C’est la conclusion de Marie et de nombre d’acteurs de terrain, parmi ceux qui sont en première ligne : les professeurs et les responsables éducatifs. Car si ces derniers, comme les magistrats, notamment pour enfants, comptent dans leurs rangs pas mal « d’amis du désastre » qui encouragent la jeunesse musulmane à camper sur son statut victimaire, on y croise aussi beaucoup d’ardents républicains qui, depuis des années, défendent pied à pied la laïcité scolaire en milieu hostile. Or, depuis l’arrivée de Jean-Michel Blanquer, ces derniers ne sont plus, ou plus seulement, les vilains petits canards réacs de salles des profs si pleines de bons sentiments qu’on ne peut plus y glisser la moindre réflexion, mais le fer de lance d’une reconquête culturelle lancée au plus haut niveau de l’État ; ou à tout le moins à l’avant-dernier étage, celui du ministère de l’Éducation nationale.

« Tout va très bien, madame la marquise »

Constater que nous sommes en partie responsables de ce qui se passe n’est pas une invitation à nous flageller, mais à nous retrousser les manches. Ce que nous avons fait, nous pouvons le défaire. Face au diagnostic plutôt effrayant que Muxel et Galland étayent, après d’autres, on est tentés de se dire que c’est foutu, que le mal est trop profond. Que nous avons perdu, sans la livrer, la bataille des esprits musulmans à laquelle nous appelait Gilles Kepel, il y a quinze ans. Il suffit de parler avec quelques-uns de ceux qui ne renoncent pas, chacun à leur niveau, dans leur domaine, pour conclure qu’on n’a pas le droit de ne pas essayer. Certes, il n’existe pas de recette-miracle pour désendoctriner, mais l’expérience humaine suggère que la Raison peut y aider. Et ça, c’est un peu le rayon de l’école. Tant pis si cela suppose parfois de lutter contre l’influence des familles. C’est bien dans cette perspective que le ministère vient de promulguer l’obligation scolaire dès l’âge de trois ans, une mesure à laquelle on attache beaucoup d’importance Rue de Grenelle.

Pour agir, il faut savoir. Jusque-là, la consigne implicite était « pas de vagues », « tout va très bien, madame la marquise », ce qui signifie « cassez ou cachez le thermomètre ». Peu soucieux d’être mal notés, les établissements les plus sensibles minimisaient ou étouffaient les incidents, qu’ils concernent la laïcité, la sécurité ou les deux. Ils refusaient par exemple de traduire les élèves en conseil de discipline, à la fois par aveuglement compassionnel et par lâcheté administrative – n’allaient-ils pas se faire repérer à la fois comme des « durs » et comme des faiseurs d’embrouilles et de mauvaise publicité ? Aujourd’hui, les incidents remontent chaque jour au cabinet du ministre. Et quand il ne s’agit pas d’incidents, mais d’emprise de la voyoucratie comme au lycée Gallieni de Toulouse, le ministère emploie la manière forte : sanctions prises à l’encontre de toute la chaîne hiérarchique, y compris de l’inspecteur d’académie, qui n’a excellé qu’à faire l’autruche, nomination d’une équipe de choc et d’un responsable sécurité (que cela soit nécessaire est certes affligeant, mais ne rien faire le serait encore plus).

On dira à raison qu’il est plus facile de faire régner l’ordre dans les cours de récréation que la raison dans les esprits. Marie Ibn Arabi assure que ce n’est pas si compliqué, qu’il suffit de croire à ce qu’on dit. Ce qui renvoie à la question, épineuse mais pas insoluble, de la formation des professeurs, dont beaucoup ne sont armés ni intellectuellement ni moralement pour répondre aux questions et plus encore aux certitudes de leurs élèves. Ainsi prénommée par gratitude pour l’hôpital marocain Marie-Feuillet où elle a été sauvée à la naissance (lui-même nommé ainsi en hommage à l’infirmière de Mohammed V), Marie précise en riant (au téléphone) qu’elle a « une tête d’Arabe », et qu’elle est musulmane. Mais ses élèves ne la connaissent que sous son nom marital, plutôt franchouillard. Récemment, une de ses amies, également prof, a vu un collègue dire à un élève : « À demain, inch’Allah. » Pas vraiment son genre. En début d’année, elle avertit ses élèves : « Je ne veux pas entendre d’incantation religieuse, et je ne veux pas connaître votre religion, sinon, vous aurez des heures de colle. » Résultat, quand un élève lâche un « inch’Allah », il dit : « Pardon madame, je ne l’ai pas fait exprès. » Les sceptiques diront que ça ne change rien. Au contraire, qu’il y ait un lieu où, dans son intérêt même, on demande à l’adolescent de renoncer aux codes de la famille, du quartier et de la communauté, c’est énorme. Si les enfants de l’immigration expriment encore, dans toutes les enquêtes, une grande confiance dans l’école, ce n’est pas parce qu’elle est bienveillante, voire laxiste, mais parce que, en dépit des bons sentiments dans lesquels elle est engluée, elle reste la seule instance publique qui leur oppose des limites.

Depuis l’arrivée de Jean-Michel Blanquer, les profs laïques ne sont plus considérés comme des vilains petits canards réacs

Jusqu’à la dernière rentrée, Marie et son petit groupe de collègues, aussi intransigeants qu’elle sur l’exigence républicaine, étaient plutôt mal vus, pour ne pas dire ostracisés, en salle des profs. « Quand il y avait un conflit prof/élève, on commençait par chercher la responsabilité de l’adulte. » Le proviseur l’a traitée un jour « d’ayatollah de la laïcité ». On n’en dira pas autant de lui : l’an dernier, en annonçant le programme de la fête de l’école, il a précisé que l’horaire choisi permettrait d’aller rompre le jeûne. Et combien de fois a-t-elle entendu, dans la bouche de ses collègues, ces jérémiades compassionnelles qui masquent mal un profond mépris : « les pauvres, il faut les comprendre, avec ce qu’on leur a fait », ou alors « et puis, ils sont très gentils ». Un jour, dans un préconseil de classe (où si j’ai bien compris, on a le droit de rester entre adultes), alors qu’il était question d’une classe particulièrement pénible où personne n’apprenait rien, et qu’elle entendait les habituels discours lénifiants destinés à rendre tolérable l’intolérable, Marie a cassé l’ambiance : « Assez de postures, a-t-elle dit. Lequel d’entre nous accepterait que ses gosses soient dans cette classe ? » Les bons sentiments eux-mêmes ont des limites. Heureusement pour les enfants de gauche.

Depuis l’arrivée de Jean-Michel Blanquer Rue de Grenelle et, dans la foulée, d’un nouveau proviseur qui a clairement annoncé son intention de rétablir la République dans son établissement, Marie et ses amis ont le sentiment que la roue a tourné et que l’institution est de leur côté.

La fermeté paie. Cette évidence de bon sens pour tout éducateur avait déserté l’Éducation nationale, ainsi d’ailleurs que nombre de médias et d’intellectuels qui n’en finissent jamais d’inventer des excuses aux comportements les plus inacceptables, leur tolérance s’arrêtant juste au seuil de la violence armée. Cette fermeté n’exclut nullement la bienveillance, elle en est au contraire la preuve et la condition, car elle signifie que l’on croit que celui que l’on a la charge d’élever, au sens strict du terme, en est capable.

Proviseur des années durant d’un lycée planté au cœur d’une des plus célèbres, c’est-à-dire des plus dangereuses, cités de la région parisienne, Catherine (prénom fictif) a dû régler un conflit naissant avec les jeunes filles voilées, 150 à 200 sur un effectif global de 1 200 élèves. En effet, celles-ci avaient pris l’habitude de se dévoiler dans l’enceinte du lycée, juste devant le premier bâtiment. La cheffe d’établissement entendait les faire reculer, mais voulait d’autant moins allumer une guerre religieuse que le lycée est situé à proximité de deux mosquées, dont l’une ne semble pas avoir été informée de l’existence de l’islam des Lumières. « J’ai proposé un donnant/donnant. Elles acceptaient de se dévoiler devant la grille, en échange, je leur installais un endroit abrité de la pluie et surtout, équipé d’un miroir. Et ce miroir, bientôt suivi d’une table pour les sacs, a fait des miracles. » Destiné à permettre aux jeunes filles de rectifier leur mise avant de quitter le lycée, le miroir, évidemment, a retrouvé sa destination originelle et permis à des ados de se pomponner avant de retrouver leurs copains. Il a aussi matérialisé la séparation dénuée d’hostilité entre l’école et son environnement. Catherine se rappelle avec émotion avoir vu une de ces jeunes filles expliquer, dans un documentaire-maison, que ce miroir était la preuve qu’elle avait sa place dans l’école de la République. « Quand j’ai refusé que des élèves entrent voilées quand elles accompagnaient leur père pour les rencontres avec les professeurs, ils ont compris. Parce qu’ils savent que nous sommes de leur côté et que nous leur expliquons le sens de cette règle. »

« On sait qu’il y a un lien très direct entre la petite délinquance et cet islam des banlieues qui nourrit le séparatisme »

Il ne s’agit pas d’être naïf. Il faudra des années de ce travail de fourmi pour enrayer la « tentation radicale », d’autant plus que celle-ci se conjugue à un niveau particulièrement catastrophique. « Je ne peux pas enseigner Le Cid, ils ne comprennent pas la langue », reconnaît Sacha, prof dans le 9-3. En revanche, ils ont très bien compris, pour l’avoir entendu mille fois dans la bouche d’intellectuels éminents, d’élus complaisants et de journalistes-vedettes que la laïcité était un truc inventé par « les Français » pour s’attaquer à l’islam. La culture de ses élèves se résume à trois univers : le rap, le hip-hop et la télé-réalité, en particulier les émissions les plus bas de gamme. Une de ses élèves lui a un jour expliqué pourquoi : « On voit que les gens qui participent sont complètement cons. Et pour une fois, on est moins cons qu’eux. » Pour infiniment déchirante qu’elle soit, cette anecdote plaide encore une fois pour le redressement. Il y a malgré tout chez cette jeune fille la petite flamme de lucidité et de colère qui pourrait, pour peu que quelqu’un la protège et la fasse grandir, l’arracher à un destin écrit d’avance.

Même avec une équipe déterminée à sa tête, l’école ne gagnera pas seule la bataille. « On n’a pas vraiment de prise sur l’idéologie religieuse. En revanche, on sait qu’il y a un lien très direct entre la petite délinquance et cet islam des banlieues qui nourrit le séparatisme », observe Tarik Yildiz. Face à l’islam, les institutions et la société ont déjà testé l’aveuglement et l’accommodement. Il reste à essayer la fermeté. Tarik Yildiz s’agace de voir ceux qui défient la loi et l’État ne rencontrer que des ventres mous, à commencer par celui de la Justice : « Nous parlons tout le temps de respect, mais comment voulez-vous qu’ils nous respectent alors que nous nous montrons hésitants, coupables, honteux. Si nous voulons être respectés, nous devons apparaître forts. Pour les fortes têtes, qui pourrissent le climat de toute une classe, il faut créer des centres éducatifs fermés où régnera une vraie discipline militaire : c’est cela être humaniste. En réalité, la meilleure preuve qu’on les respecte serait de refuser de toutes nos forces de s’adapter à eux. »

Il y a du boulot. En attendant, on a bassement envie de présenter l’addition à tous ceux qui, depuis des années, claironnent qu’il n’y a pas un problème d’islamisme mais d’islamophobie, et s’efforcent de persuader toute une frange de la jeunesse que la France a une dette à son égard et que tous ses malheurs viennent de l’injustice. Qu’ils se rassurent, on ne leur demandera pas de se livrer, comme on l’exige aujourd’hui de tout porc présumé, à une autocritique publique. On n’attend même pas d’eux qu’ils voient ce que les autres voient. Simplement, qu’ils cessent d’insulter ceux qui voient et entendent combattre le séparatisme mortifère dont ils n’ont eu de cesse de nier l’existence après avoir contribué à sa propagation, obsédés qu’ils étaient par leur détestation de cette France qu’ils jugent moisie.

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L’Etat combat-il vraiment le terrorisme ?

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Des policiers surveillent la zone dans laquelle s'est produit l'attentat au couteau à Paris le 12 mai 2018. SIPA. AP22200775_000010

Pendant la campagne électorale, Emmanuel Macron ne semblait pas avoir de position très claire sur l’islam radical et le djihadisme. Un an plus tard, président de la République, il a prononcé aux Invalides un discours (en hommage à Arnaud Beltrame) qui nomme enfin l’ennemi. Mais pendant cette année qui vient de s’écouler, qu’a-t-il réellement fait ? Malheureusement, pas grand-chose.

La dimension culturelle de la lutte contre le totalitarisme islamiste est bien sûr la plus importante. Emmanuel Macron dit en avoir conscience. Son gouvernement a pris sur ce point quelques décisions fortes, notamment la nomination de Souâd Ayada à la tête du Conseil supérieur des Programmes (CSP), choix fondamental car l’une des principales lignes de front du conflit mondial qui oppose les Droits de l’Homme à la charia se trouve dans les lycées, les collèges, les écoles.

Un bilan catastrophique

A contrario, les propos de certains proches du président laissent planer le doute, des sorties ridicules de Christophe Castaner à l’arrogance de Yassine Bellatar, jamais démenti lorsqu’il fait valoir sa proximité avec Emmanuel Macron.

Plus que jamais, nous avons donc besoin de démarches comme l’appel des 100 contre le séparatisme islamiste ou le « manifeste contre le nouvel[tooltips content= »Bien que cet antisémitisme d’inspiration islamique n’ait rien de « nouveau ». Il est au moins aussi ancien que les plus anciennes versions connues du Coran, et fut l’un des vecteurs de l’alliance entre les islamistes et le régime nazi. »]1[/tooltips] antisémitisme » (que l’on peut signer ici), pour deux raisons au moins. Elles montrent à nos gouvernants que le déni de réalité ne prend plus et que les électeurs attendent des résultats. Elles démasquent ceux dont les objectifs réels sont, d’une part, d’exonérer l’islam de toute responsabilité afin de maintenir la fiction de sa perfection et de faciliter ses ambitions hégémoniques, et, d’autre part, de protéger les intérêts communautaires des croyants au détriment du reste du monde.

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Mais qu’en est-il de la lutte contre le djihadisme à proprement parler ? Le terrorisme, la « propagande par le fait », n’est qu’un mode d’action parmi d’autres et non une fin en soi, mais il ne faut pas en négliger l’impact psychologique et politique, ni bien sûr le coût économique et surtout humain.

Sur ce point, le bilan du gouvernement est catastrophique, à tel point qu’il est permis de se demander si l’État cherche à vaincre le terrorisme ou simplement à pouvoir dire qu’il le combat – ce qui n’est absolument pas la même chose.

Démonstrations de faiblesse

Après Sun Tzu et Clausewitz, il n’est plus permis d’ignorer que la victoire ne découle pas de l’anéantissement de l’ennemi, mais de l’anéantissement de sa volonté de nous affronter. Il tient évidemment le même raisonnement à notre sujet, et évalue ses chances à l’aune de notre volonté de poursuivre la lutte. Une des conditions de la victoire est donc de prouver à l’ennemi notre détermination à le combattre.

Or, dans le cas du djihadisme, l’ennemi est prêt à tuer et à mourir, une grande partie de ses troupes ont fait face à des conditions extrêmes et n’abandonnent pas pour autant. Il est prêt à affecter la totalité de ses ressources à la bataille, ressources intellectuelles, morales, humaines, matérielles, politiques, culturelles. Voilà la mesure de sa détermination, et notre réponse doit être à la hauteur, tant en termes d’engagement que de volonté de vaincre. Les Alliés n’ont pas triomphé des nazis et libéré Auschwitz avec des bougies posées sur des charniers, par la non-violence et l’apaisement !

Et qu’avons-nous ? Un ministre de l’Intérieur qui se félicite d’avoir expulsé 20 radicalisés en trois mois ! Non seulement son résultat est lamentable, mais il ne se rend même pas compte qu’il devrait en avoir honte. Des groupes islamistes présentent des candidats aux élections, comme ailleurs en Europe. Eux et leurs alliés s’infiltrent dans le monde associatif, des clubs de sport au soutien scolaire et maintenant Act’Up. Nous collaborons avec des pays qui financent et encouragent l’idéologie qui veut nous détruire.

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La lutte contre le djihadisme à l’intérieur de nos frontières s’inscrit dans le cadre plus global de la lutte contre la criminalité et de l’action conjuguée (ou qui devrait l’être) de la justice et des forces de l’ordre. Or, la prééminence donnée par l’institution judiciaire à la forme au détriment du fond, sa sévérité envers les citoyens ordinaires couplée à son extraordinaire indulgence envers les délinquants d’habitude (« culture de l’excuse »[tooltips content= »C’est exactement ce que décrit Ibn Khaldoun : l’empire en déliquescence contrôle férocement les citoyens normalement intégrés à la société, mais se montre pusillanime envers les marginaux structurellement violents. »]2[/tooltips]), ne peut qu’encourager toutes les contestations violentes, y compris le djihadisme.

Le syndrome de Batman

Comment respecter une société trop lâche pour combattre ceux qui menacent ses citoyens, et qui démontre sa faiblesse en recherchant systématiquement l’apaisement au prix des accommodements les plus déraisonnables ? Comment respecter ses valeurs, quand elles sont dévoyées par de soi-disant « élites », qui les invoquent pour se justifier en se donnant des airs de vertu lorsqu’elles préfèrent abandonner les faibles à la prédation des pires plutôt qu’affronter les choix éthiques difficiles qui risqueraient de troubler leur petit confort moral (pour les amateurs de comics, c’est le « syndrome de Batman » : le héros se refuse à tuer, il épargne systématiquement son ennemi qui s’évade et tue de nouvelles victimes jusqu’à ce que le héros le rattrape, et ainsi de suite. Ce « héros » accorde manifestement plus de valeur à son code de conduite et à la vie de son ennemi, qu’il connaît, qu’aux nombreuses vies anonymes qu’il sacrifie en lui laissant la possibilité de continuer à agir) ? Comment respecter la démocratie quand des magistrats sans aucune légitimité démocratique se permettent de mépriser la volonté générale ? Comment respecter la République, quand il devient nécessaire de se mettre à la limite de l’illégalité pour attirer l’attention et obtenir que l’État fasse appliquer la loi ? Comment respecter la France lorsqu’elle confond critique nécessaire et auto-flagellation systématique, lorsqu’elle reproche de ne pas s’intégrer à ceux à qui elle-même répète sans cesse qu’elle mérite qu’ils la haïssent ?

Pourtant des solutions existent, s’appuyant notamment sur les sanctions trop peu utilisées concernant les dérives sectaires, les groupes factieux, l’apologie du terrorisme ou l’intelligence avec l’ennemi.

Nous avons les moyens de vous faire plier

Elles ne résoudront pas tout, elles n’empêcheront pas tous les futurs attentats, mais elles nous donneront les moyens de riposter. La vraie politique est l’art difficile de négocier des compromis entre l’idéal et le réel. Ce n’est pas de jouer aux chevaliers blancs selon des scénarios simplistes, et sans se préoccuper du prix à payer dès lors qu’il est payé par d’autres, des habitants du Yémen aux Kurdes, en passant par les « petits blancs » des banlieues et les Juifs qui fuient le 9.3.

Nous avons les moyens d’interdire les groupes cultuels ou politiques qui refusent de se plier à nos fondamentaux anthropologiques (liberté de pensée et de conscience, égalité juridique des sexes, refus des assignations identitaires…), et préférer des interlocuteurs fiables à des interlocuteurs supposés majoritaires. Au sujet des saccages du 1er mai – qui en disent long sur la capacité de l’État à remplir ses missions régaliennes – Édouard Philippe a déclaré qu’il « condamne également l’irresponsabilité des discours radicaux qui encouragent de tels agissements. » Appliquons la même logique au CFCM, aux Frères musulmans, au PIR, au CCIF, à la Grande Mosquée de Paris !

Nous avons les moyens d’expulser les radicalisés étrangers, pour peu que les tribunaux cessent d’y faire obstacle pour des questions de pure forme et quoi qu’en pense la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).

Nous pouvons reconquérir sans angélisme les « territoires perdus de la République ». Ils sont dominés par une culture qui ne respecte pas ceux qui sont respectables, mais ceux qui se font respecter. Toute main tendue avant l’épreuve de force y est prise pour un aveu de faiblesse et de lâcheté, il faut donc d’abord y démontrer la capacité de la République à s’imposer par la contrainte avant de pouvoir discuter. Commençons par y appliquer les principes simples de contre-insurrection exposés depuis longtemps par David Galula[tooltips content= »Contre-insurrection : théorie et pratique, traité passionnant, reconnu mais hélas très mal appliqué par l’armée américaine. »]3[/tooltips], qui sans être une panacée forment une base solide, notamment cette règle absolue qui consiste à être généreux envers nos alliés et non pas nos ennemis, contrairement à ce que propose Jean-Louis Borloo qui voudrait dépenser des milliards au profit de groupes hostiles au lieu d’investir sur les individus désireux de s’intégrer. Et souvenons-nous de ce que la Chine ancienne a merveilleusement synthétisé en une phrase : « Faites en sorte que les vaincus puissent se féliciter de vous avoir pour vainqueurs. »[tooltips content= »Traité militaire de maître Wou.« ]4[/tooltips]

Nous pouvons tous agir

Si les moyens manquent, outre un meilleur emploi des ressources de l’État[tooltips content= »Sur le budget de la Défense notamment, voir les excellents articles de Michel Goya sur son blog. »]5[/tooltips] et puisqu’il est question d’effort collectif, nous pourrions par exemple supprimer un jour férié pour financer une montée en puissance des forces de sécurité et des services de renseignement. Nous payons déjà bien trop d’impôts, mais un peuple qui ne serait pas capable de consacrer l’équivalent d’une journée par an à combattre un totalitarisme qui le menace aurait déjà perdu.

Réalisons un audit complet de nos services spécialisés, intégrant le retour d’expérience (retex) de tous les attentats de ces dernières années. Les meilleurs spécialistes comme les meilleures organisations peuvent connaître des échecs, mais à force le mantra « il n’y a pas eu de dysfonctionnements » est aussi absurde que le « padamalgam ».

Prenons en compte l’exigence prioritaire de lutte contre l’islamisme dans notre politique étrangère. La diplomatie est l’art de parler, même à nos ennemis, pas de nous persuader qu’ils sont nos alliés. L’Arabie saoudite, le Qatar, le Pakistan, la Turquie soutiennent idéologiquement, financièrement et politiquement l’hydre qui nous attaque. Dont acte. L’Iran n’est pas notre allié, mais ne nous menace pas directement : négocions sans relâche. La Russie a retrouvé des ambitions à sa mesure, nous découvrons qu’à côté d’elle nous sommes des nains géopolitiques ? Restons prudents, mais mieux vaudrait que le Tsar soit notre allié face au Sultan que l’allié du Sultan contre nous. Quoi qu’on puisse dire de Sputnik ou RT, la parole du Kremlin est bien moins nocive que celle d’AJ+, et des prédicateurs de Doha, Riyad ou Al Azhar !

Reste un dernier point, absolument essentiel : et nous, que pouvons-nous faire ? Chacun d’entre nous ?

Avant tout, oser la réflexion créative : plutôt que de vouloir de bonnes idées, mieux vaut avoir des idées, et ensuite seulement les soumettre à un examen critique et analyser leur efficacité, leurs inconvénients, leur faisabilité, les éventuelles objections éthiques. Mais d’abord, avoir des idées ! Et être à l’écoute de celles des autres pour relayer celles qui nous semblent bonnes.

Nous préparer concrètement en nous formant à quelques actes réflexes et aux premiers secours – ce qui d’ailleurs peut toujours être utile. Participer à la sécurité des événements autour de nous : sorties scolaires, cérémonies civiles ou religieuses, etc. La vigilance ne suffira pas à tout éviter, mais il ne faut pas sous-estimer l’effet dissuasif ne serait-ce que de deux bénévoles réellement attentifs à ce qui se passe autour d’eux.

Et par tous les moyens d’expression que nous avons, faire monter une clameur que ni les médias ni les politiques ne pourront ignorer : exiger la fin du déni et des compromissions, briser le carcan naissant de « l’islamiquement correct »[tooltips content= »Belle formule d’Alexandre Del Valle dans La stratégie de l’intimidation. »]6[/tooltips]. Chaque voix qui osera s’exprimer rendra la censure plus difficile, chaque esprit libre qui osera poser les questions qui dérangent rendra les mensonges plus fragiles. L’opinion publique est le centre de gravité stratégique des démocraties libérales[tooltips content= »« Le centre de gravité est cette caractéristique, capacité ou lieu à partir duquel une nation (…) tire sa liberté d’action, sa force physique ou sa volonté de combattre. » Carl von Clausewitz, De la guerre. »]7[/tooltips], et nous sommes l’opinion publique ! Demandons inlassablement des comptes à nos gouvernants, aux forces de l’ordre, aux magistrats : ils ne sont pas là pour « faire de leur mieux » et apaiser, mais pour se battre et gagner. Qu’ils soient bien persuadés que les Français n’accepteront rien de moins.

A l’UNEF, on n’a pas d’idées mais on a des subventions

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Militant de l'UNEF, 15 février 2018. Crédit photo Samuel Boivin.

Si elle est à l’avant-garde de la mobilisation, l’Union nationale des étudiants de France (UNEF) a depuis longtemps perdu ses troupes et ses idées. Mais pas ses subventions.


« L’UNEF perd peu à peu contact avec la masse des étudiants, et l’organisation dépérit lentement. Paralysée financièrement […], lieu d’affrontements de groupuscules politiques », l’Union nationale des étudiants de France (UNEF) demeure néanmoins « au carrefour de tous les foyers d’agitation du monde étudiant ». Ces lignes décrivent la situation du syndicat en… 1968[tooltips content= »Voir « Une jeunesse centenaire, brève histoire de l’UNEF », disponible en ligne. »]1[/tooltips]. Victime de schismes en cascade, au sujet de la guerre d’Algérie puis de l’adhésion au marxisme, l’UNEF était déjà en crise il y a cinquante ans. L’organisation a ainsi vu ses effectifs fondre de 80 000 adhérents dans les années 1950 à 20 000 en 1968. Elle en revendique aujourd’hui 19 000, alors que le nombre d’étudiants a décuplé. Son effectif est passé d’un étudiant sur deux en 1956 à moins d’un sur cent en 2018 (0,8 %).

A lire aussi: Caroline de Haas et l’Unef des fous

L’UNEF est encore le deuxième syndicat étudiant de France, derrière la FAGE, mais avec une participation dérisoire aux différentes élections qui mesurent la représentativité : 7,1 % en 2017 pour désigner les délégués du Conseil national des œuvres universitaires (Cnous), soit dix fois moins qu’aux élections de 1973 (71 %). À Nanterre, ex-bastion syndical, 2 % des inscrits ont voté en 2015…

Tous les observateurs s’accordent à dire que le noyau actif de l’UNEF est proche de 2 000 militants. Pour les élections du conseil d’administration de La Mutuelle des étudiants (LMDE), en avril 2017, l’UNEF, qui truste tous les sièges, a mobilisé exactement 2 218 votants.

Le secret de sa longévité, les subventions

La LMDE, d’ailleurs, est la clé qui permet de comprendre comment l’UNEF tient encore : par les subventions. Le conseil d’administration de la mutuelle ne sert plus à rien. La LMDE était si mal gérée que l’Assurance maladie l’a reprise en main en octobre 2015 (en attendant l’intégration des étudiants au régime général, à la rentrée prochaine). Les instances décisionnaires de la LMDE ont été maintenues pour la forme, mais aussi pour défrayer une quinzaine de militants UNEF à temps plein, à hauteur de quelques centaines d’euros par mois. Les aides versées par l’État sont très conséquentes. Les annexes au projet de loi de finances 2018 annoncent un total de 801 000 euros de subventions pour l’UNEF en 2016. En y ajoutant les soutiens des conseils régionaux et des municipalités, on dépasse probablement le million d’euros. C’est pour ce trésor de guerre que l’UNEF se déchire. Dernière péripétie, une tentative de putsch avortée, menée l’été dernier par William Martinet, président de l’UNEF de 2013 à 2016, visant à placer le syndicat dans l’orbite de la France insoumise. Plusieurs membres du bureau national ont été exclus.

S’ajoutent à cela des errements idéologiques préoccupants, comme les réunions non mixtes de genre, auxquelles la direction de l’UNEF semble tenir beaucoup. Suicide électoral… La non-mixité, sans surprise, séduit moins l’étudiante que ne le fait l’étudiant, et réciproquement. Dans la chaleur des nuits festives de Tolbiac, mi-avril, un projet d’atelier non mixte défendu par l’UNEF a suscité tant de moqueries et d’indignation qu’il a été annulé (voir page 68).

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Colombie: Gustavo Petro, le gaucho au pays des libéraux

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Gustavo Petro lorsqu'il était maire de Bogota, 2014. SIPA. AP21506171_000001

Gustavo Petro, 58 ans, est l’homme de la gauche pour la présidentielle du 27 mai. Au pays de la droite reine, le programme de l’ex-guérillero détonne et séduit. Au point de faire basculer la Colombie ?


Alors que l’incarcération de Lula vient contrarier les espoirs de la gauche au Brésil, une partie de la presse a son attention portée sur ce qui serait une petite révolution : après soixante ans de gouvernements de droite, les Colombiens pourraient décider de porter au pouvoir Gustavo Petro, un économiste de gauche.

Ancien maire de Bogota, ancien militant du mouvement de guérilla urbaine M-19, mais aussi diplômé de l’université catholique de Louvain en Belgique, et adhérent à la théologie de la libération, cet élégant politicard en fin de cinquantaine est donné gagnant par plusieurs sondages. Ce qui incite à la prudence, c’est que, d’une part, les Colombiens ont penché à droite aux législatives et sénatoriales de mars dernier, et que par ailleurs, ces mêmes Colombiens, supposés approuver l’accord de paix avec les FARC d’après les fameux sondages, ont massivement rejeté celui-ci dans les urnes. Il est donc délicat de pronostiquer si le pays va réellement succomber au charisme du candidat, ou s’il va préférer continuer dans le même train qui le mène depuis l’assassinat de Jorge Gaitan, populaire réformateur des années 1940 – dont se revendique Petro – qui ne trouve désormais sa place que sur les billets de mille pesos (trente centimes d’euros)…

« Mettre les politiciens corrompus en prison et leur faire rendre l’argent qu’ils ont volé »

Néanmoins, le programme de Monsieur Petro mérite qu’on s’y arrête un peu, car il est assez inédit pour l’Etat qui doit son nom au malheureux conquérant génois : valorisation de l’éducation et création d’ « universités gratuites recherchant la qualité et l’excellence », santé « publique et gratuite pour tous sans discriminations »… Rien que cela serait tout à fait révolutionnaire pour ce pays à côté duquel le système français ferait presque figure d’Etat socialiste : dans la Colombie actuelle, si vous n’êtes pas de bonne famille, oubliez les études supérieures et ne pensez même pas survivre à un cancer… Mais le favori des sondeurs veut aussi préserver l’accord de paix avec les FARC, « mettre les politiciens corrompus en prison et leur faire rendre l’argent qu’ils ont volé », discuter avec Trump, et, non moins intéressant, sortir son pays de la dépendance au pétrole. Ne serait-ce que sur ce point, la « Colombie humaine » proposée par le candidat est difficilement assimilable à la société vénézuélienne en décrépitude du « camarade » Maduro.

Soixante ans de conflits laissent des cicatrices, Gustavo Petro n’a donc pas que des amis. Ses adversaires ne le ménagent pas. Son passé de militant pour une guérilla urbaine – qui lui valut d’être torturé par l’armée et emprisonné – lui revient toujours au nez. Bien qu’il ait dit considérer Nicolas Maduro comme un dictateur, il est taxé de populisme par une partie de la presse du pays – qui va même jusqu’à le comparer à Donald Trump. Les compagnons d’Alvaro Uribe – qui incarne la droite du pays -, l’ont, eux aussi, qualifié de « castrochaviste » : ils agitent inlassablement le spectre des expropriations et d’un chaos sur le modèle du Vénézuela voisin. Pour couronner le tout, Timochenko, leader des FARC recyclées en parti politique, s’est retiré de la course à la présidentielle (officiellement pour raisons de santé) du 27 mai, et pourrait soutenir Petro. Un soutien des plus encombrants pour ce dernier, qui s’est empressé de déclarer qu’il n’avait rien à voir avec les FARC.

Populiste et populaire, mais…

Depuis quelques années, Gustavo Petro reçoit régulièrement des menaces de mort. Et le 2 mars dernier, sa voiture blindée a carrément essuyé des jets de pierres à Cucuta, une commune située à deux pas de l’Etat chaviste. Dans la mesure où cinq candidats à la présidence ont été assassinés à la fin du XXe siècle, et que près de trois cents militants syndicaux ont été assassinés depuis janvier 2016, on comprendrait qu’il craigne pour sa vie. A-t-il peur ? En tout cas, il n’en laisse rien paraître : il sillonne son pays. De Cali l’authentique à la belle Carthagène des Indes, en passant par la sinistrée Buenaventura, il remue les Colombiens de gauche (oui, il y en a) lors de meetings en plein air. Enfilant parfois – quitte à faire sourire – le costume traditionnel de la région où il va, il tient de longs discours sans notes, promettant du social, une paix pérenne, d’en finir avec la corruption et de redonner ses lettres de noblesse au pays. Sur sa page Facebook, qui comptabilise plus d’un million de sympathisants – soit plus du double de celle d’Ivan Duque, son principal rival –  il pose tout sourire en chemise blanche en compagnie d’Amérindiens. L’homme qui veut incarner le peuple face à la « dictature de la corruption » (comme il a qualifié le pays lors d’un meeting à Ibagué) est à l’aise avec les petites gens des périphéries et la jeunesse, et semble avoir tout compris à l’art de la communication.

Après soixante ans d’une droitisation de l’opinion due à la chaotique guérilla des Farc, la gauche colombienne a donc trouvé son homme. Pour enfin accéder au pouvoir ? Quoiqu’en laissent croire les fameux sondages, il semble difficilement envisageable qu’elle y parvienne vraiment : à tort ou à raison, l’opinion reste encore sceptique envers une gauche qui pourrait la mener vers l’inconnu ; tandis qu’en choisissant Ivan Duque, le protégé d’Alvaro Uribe, elle sait au moins où elle va. Les résultats des législatives et sénatoriales vont dans ce sens. Mais alors que la gauche latino-américaine tombe en disgrâce depuis quelques années, il est compréhensible qu’elle voit en la Colombie une terre d’espérance. Pour un mois ou pour quatre ans ?

Alain Finkielkraut réagit à l’attentat de Paris et à la situation entre Israël et l’Iran

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Chaque dimanche, sur les ondes de RCJ, Alain Finkielkraut commente, face à Élisabeth Lévy, l’actualité de la semaine. Un rythme qui permet, dit-il, de « s’arracher au magma ou flux des humeurs ».


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Bartali et Boni, deux sportifs dans la légende du dernier siècle

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gino bartali boniface velo
Gino Bartali, 1953. Sipa. Numéro de reportage : AP21468168_000001.

Tous les champions n’entrent pas dans l’histoire. Les légendes ne se nourrissent pas seulement de chiffres abscons. L’histoire retient un style, un caractère, une attitude qui nous imposent un respect éternel.

Bartali, un résistant si discret

Face à Gino Bartali (1914-2000), l’émotion nous étreint. Les mots semblèrent tellement vains quand nous apprîmes que Gino le pieux, Gino le vieux, rouspéteur et splendide, dormant avec sa bicyclette et ne se séparant jamais de la médaille de la Madone avait caché de faux papiers d’identité dans la tige de sa selle, durant la Seconde Guerre mondiale. « Il mènera sa lutte contre la barbarie nazie en voyageant à vélo entre les différentes localités de l’Italie du centre et du nord » écrit Alberto Toscano dans L’incroyable destin du champion Gino Bartali (préface de Marek Halter) aux éditions Armand Colin. Gino, le juste fut si discret sur ses activités dans le réseau clandestin de résistance et sur son action personnelle dans le sauvetage et la protection des juifs italiens qu’il n’en parla jamais. C’est seulement après sa mort que le courage du « facteur » fut révélé et que ses admirateurs reconnurent en lui, bien plus qu’un vainqueur du Tour de France ou du Giro. En avril 2006, le président de la République italienne donna à son épouse Adriana, la médaille d’or du mérite civique. Et, en 2013, « les experts du Mémorial de Yad Vashem décident à leur tour de reconnaître officiellement le rôle de Gino Bartali pendant la guerre ».

Ce livre est aussi l’occasion de revenir sur la vraie fausse rivalité entre Coppi, le piémontais et Bartali, le toscan, le coco et le catho, deux ténébreux flamboyants, communiant la même religion celle du vélo et de l’effort. Malaparte avait déjà croqué les deux visages de cette Italie populaire dans un essai paru en 1947 et ressorti en 2007 chez Bernard Pascuito.

Un rugby de précision et d’attaque

Du cyclisme à l’ovalie, il n’y a qu’un coup d’accélérateur, qu’un jeu de jambes. Au même moment, sort en librairie un document exceptionnel qui retrace la carrière d’André Boniface, « le centre mythique » du stade Montois comme le souligne Olivier de Baillenx dans son ouvrage Boni’70, un printemps de rugby chez Atlantica. Ce spécialiste à la plume vive et à la documentation charpentée fait revivre la période démarrant à partir du printemps 1969 quand André accepte d’être l’entraîneur de l’équipe première des jaunes et noirs. La lecture du Temps des Boni de Denis Lalanne, notre maître à droper et à smasher, journaliste sportif et écrivain hussard, ami de Blondin, avait marqué notre adolescence. Baillenx, avec brio et l’appui de nombreux témoignages de joueurs de l’époque, se souvient d’André (aujourd’hui âgé de 83 ans), après la mort de son frère Guy, en 1968. Son retour sur les pelouses est une leçon de vie. Il va inculquer à toute une nouvelle génération, bien épaulé par le roc Dauga, un rugby du mouvement, aérien et chorégraphique, un rugby de précision et d’attaque, pas ce rugby fragmenté, toujours à l’arrêt que nous voyons trop souvent, un rugby de conquête et d’envie. « Et oui, le jeu, toujours. Le jeu des gamins qui courent dans la cour de récréation » avertit l’auteur. Avec ces deux légendes, le sport est toujours plus que du sport.

Un vélo contre la barbarie nazie, Alberto Toscano (Armand Colin, 2018)

Boni’70, un printemps de rugby, Olivier de Baillenx (Atlantica, 2018)

Etudiants de Nantes : la grève du 1%

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Manifestation contre la sélection à l'université, Nantes,avril 2018. SIPA. 00852725_000011

Violence dans les rues et calme dans les amphithéâtres, la mobilisation nantaise est forte en images, mais pauvre en troupes.


Toutes les conditions étaient réunies pour que les luttes convergent à Nantes. Le mouvement de contestation étudiante a démarré alors que l’expulsion de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes n’était pas achevée. Par ailleurs, les occupations de locaux universitaires en faveur des sans-papiers ont démarré ici dès novembre 2017, à l’initiative de l’UNEF et du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA). Ces initiatives ont été largement relayées par les sites d’information alternatifs nés du combat pour la ZAD, Indymedia Nantes et Nantes révoltée. Ultime élément favorable, la sympathie de certains universitaires pour le mouvement de contestation. Le 6 mai 2016, un collectif de « sociologues atterrés » a publié une lettre ouverte incendiaire, à la suite d’un papier de Ouest-France considéré comme inadmissible. L’article en question se contentait pourtant de constater l’évidence : les manifestations de jeunes sont plus souvent organisées par des mouvements d’extrême gauche que totalement spontanées.

À peine 1 % d’étudiants mobilisés

En dépit de ces circonstances favorables, on ne peut pas dire que le feu ait tourné au brasier. D’assemblée générale en sit-in, la mobilisation tourne autour de 500 personnes, soit 1 % seulement des 56 585 étudiants nantais. « J’irais bien aux manifestations, commente candidement Solenn, élève en hypokhâgne, mais j’ai trop de travail. » Les tentatives pour créer une convergence avec le reste du mouvement social se sont limitées à des invitations croisées en assemblée générale, quelques cheminots allant chez les étudiants et inversement. En réalité, les facs nantaises sont plutôt calmes.

On ne peut en dire autant des manifestations. Le 19 avril, Françoise Verchère, opposante historique à l’aéroport, a annoncé son retrait des débats, écœurée par les débordements. Évoquant « certains radicaux » avec qui elle « défie quiconque de passer une après-midi », l’élue Front de gauche s’inquiète. « L’idée de convergence des luttes, voire de Grand Soir, plane évidemment, la violence augmente chaque jour… Un immense gâchis. » Mais un gâchis qui ne concerne les étudiants qu’à la marge.

Cinq leçons pour lancer sa revue “non-conformiste”

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michea pasolini peguy revue gauche
Jean-Claude Michéa (photo Hannah Assouline), Charles Péguy (wikipédia) et Pier Paolo Pasolini (Sipa. Numéro de reportage :51419086_000001).

Vous êtes jeune, vos poils poussent, et vous êtes révoltés par le monde moderne et sa vulgarité. Tels Fabrice Del Dongo ou Musset, vous avez la nostalgie des grandes épopées, et vous voulez que tout le monde le sache. Un moyen commode pour partager vos goûts et dégoûts du jour serait de lancer votre propre revue « non-conformiste ». Problème : vous ne savez pas comment faire. Rassurez-vous, La Camisole vous donne quelques conseils :

1) Dites toujours la même chose

Rappelez régulièrement à votre lectorat – soit vous et vos quelques amis – votre dégoût du monde moderne. La répétition étant la base de la pédagogie et le lectorat étant idiot par définition – sinon, il n’aurait pas besoin de lire -, ne cherchez pas à faire original. Trouvez-vous un créneau, quelques phrases toutes faites, un catalogue d’auteurs fétiches, et répétez tout cela à l’encan (par exemple, vous pouvez pourfendre l’horreur du monde moderne, appeler au retour de l’Esprit, défendre la conciliation de l’écologie et du catholicisme…).

2) Sachez faire preuve de complexité

Vous avez appris en khâgne à problématiser un sujet, à offrir une définition nuancée de chaque terme, bref, à enculer les mouches. Essayez donc de faire en sorte que chacun de vos articles ressemble à une longue introduction de dissertation, en rappelant toujours que « les choses ne sont pas si simples », sans jamais donner la moindre solution, la moindre réponse, car ce serait de mauvais goût, et utilitariste…

3) Honni soit qui Péguy ne cite

Citez Péguy coûte que coûte, même si vous ne l’avez pas lu. Tâchez d’ailleurs de prendre un air pénétré en le faisant, avec le regard fuyant à l’horizon et en passant la main dans vos cheveux, ainsi que lorsque vous parlez d’ « Absolu », de « l’Esprit contre la Matière », de la « Foi », de la « Mystique », etc… Si, de surcroît, vous avez le teint blême du jeune homme phtisique – qui aurait convenu à un séminariste du XIXème siècle, à un intello sartrien des années 50 ou à un assidu des bars gays et backrooms parisiens d’aujourd’hui -, c’est le jackpot ! (NDLR : fonctionne aussi avec Léon Bloy)

4) Soyez plus à gauche que la gauche

Cherchez sans arrêt à concurrencer la gauche sur son propre terrrain. Tout jeune rédacteur de revue « non-conformiste » est un peu archéologue des idées. Citez donc des fossiles de la pensée : marxistes orthodoxes ou non, communistes « terroir » à la Clouscard, et autres penseurs à la mords-moi-le-Michéa. Vous vous couperez de votre milieu droitier d’origine, sans pour autant parvenir à séduire les milieux de gauche, qui vous tiendront toujours pour suspects car, au fond, réactionnaires. Vous serez incompris de tous, et pourrez vous en désoler, des trémolos dans la voix et un regard de chien battu dans les yeux – mais de toute façon, vous aimez jouer les incompris et en éprouverez une certaine jouissance.

5) Fréquentez les bars de merde situés dans des quartiers à la con 

Vous êtes de droite, mais vous voulez apparaître de gauche, branché – et comme l’Alzheimer de Mamie se fait plus long que prévu, vous tardez à hériter et n’avez pas les moyens de vous payer des verres dans les bars des Champs ou à Saint-Germain. Le hasard fait bien les choses, il existe un endroit idoine, avec ses trottoirs sales jonchés de déchets et ses bars pourris tenus par des exilés patibulaires : l’Est parisien. Privilégiez donc Belleville, la Bastille ou les Buttes-Chaumont pour vos réunions, soirées de lancement et dîners-conférences. Attention toutefois à ne pas trop fréquenter Ménilmontant et ses environs : les antifas du coin vous détestent et ne vous feront pas de cadeau (voir point n°4).

Voilà, vous avez tous les éléments pour lancer votre propre torchon qui vous voudra toute la sympathie et la reconnaissance de vos six amis parisiens et de leurs publications respectives. Au plaisir de vous lire bientôt !

Retrouvez cet article sur le site de La Camisole

Marin, l’autre héros français

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Marin Sauvajon arrive au tribunal de Lyon pour assister au procès de son agresseur, 5 mai 2018. Le jeune homme avait tenté héroïquement de défendre un couple qui s'embrassait dans la rue à Lyon ©JEFF PACHOUD/AFP

Tabassé puis laissé pour mort à Lyon alors qu’il défendait des amoureux qui s’embrassaient, Marin est depuis lourdement handicapé. A l’époque des faits, en novembre 2016, ni les grands médias ni François Hollande n’avaient jugé bon de s’émouvoir de son cas. Alors que son agresseur vient d’écoper de la moitié de la peine requise par l’avocat général, l’affaire Marin témoigne de plusieurs dénis français. 


La vie de Marin a basculé le 11 novembre 2016 lorsque, prenant la défense d’un couple d’amoureux  pris à parti très agressivement parce qu’ils s’embrassaient, par ce qu’il est de coutume d’appeler euphémiquement des « jeunes » dans le quartier de la Part-Dieu à Lyon, il est victime de coups d’une rare violence et laissé pour mort. Très nombreux furent ceux qui suivirent avec émotion son combat héroïque pour ne pas mourir, pour revenir du coma et peu à peu tenter de se réapproprier les choses les plus élémentaires de la vie. Ce jeune homme brillant, sympathique et dévoué, étudiant en 3ème année de droit, titulaire d’un baccalauréat avec mention très bien, amoureux de sa petite amie présente au moment de la sauvage agression, bon fils, frère aimant, joueur de foot et fan inconditionnel de l’ASSE qui le soutiendra dans sa convalescence, va lutter en champion, point par point, pied à pied, pour tenter de se reconstruire en dépit des très graves et irréversibles séquelles qu’il conserve de l’insupportable attentat contre la vie dont il a été victime.

François Hollande a préféré Théo

Curieusement pourtant, son sort ne semble pas beaucoup émouvoir les pouvoirs publics ni le chef de l’Etat de l’époque François Hollande, plus prompt à se rendre, avec le ridicule et coupable empressement qui l’avait déjà caractérisé au moment de l’affaire Leonarda, au chevet d’un Théo plus que douteux. D’un côté, un fait de délinquance ordinaire érigé en combat social mystificateur et victimaire, de l’autre un acte de bravoure et de résistance face à l’ensauvagement de la société largement passé sous silence afin de ne pas « faire le jeu »…

A lire aussi: On en fait beaucoup pour Théo…

Il n’a donc pas été fait, dans cette affaire, le procès de l’idéologie régressive qui porte constamment ses anathèmes contre l’ « impudeur » supposée de l’amour et des femmes : c’était pourtant la base et la cause directe de l’agression. On peut se demander, en effet, depuis quand il n’est plus devenu possible de s’embrasser librement sans qu’une police de la pudeur ne s’abatte.

Le Beltrame de la société civile

Marin, c’est le Arnaud Beltrame de la société civile, du quotidien de si nombreux Français confrontés à la violence, à la régression de la civilité dans l’espace public, à ce terrorisme de basse intensité de la sauvagerie qui rend le « vivre-ensemble », au nom duquel pourtant il se répand, impossible. Or, le traitement de cette affaire par les pouvoirs publics au moment des faits, ou plus exactement son absence de traitement, est le reflet de l’aveuglement et du déni qui entourent la réalité dont elle est pourtant le symptôme éclatant.

Déni quant aux causes de l’agression tout d’abord, dont il aura été urgent de taire le motif déclencheur. Car il ne s’agit pas d’une banale altercation requalifiable en simple bagarre de rue qui aurait mal tourné ou en fait divers tragique : il s’agit d’un véritable problème social de régression des mœurs qui conduit des pans croissants de la population à considérer comme abominablement impudique et intolérable qu’un couple s’embrasse, que l’amour et les individus soient libres. Cet aspect de la réalité a été promptement passé sous silence alors qu’il constitue pourtant la source du problème ici posé, la cause de cette même violence que subissent de nombreuses jeunes filles dans de nombreux quartiers, qualifiées d’impudiques selon exactement la même rhétorique si elles osent présenter leur corps non dissimulé dans l’espace public.

La dissimulation au secours de la récupération

Si cette cause pourtant évidente n’a pas été évoquée avec le courage et la clarté requis, c’est parce que la seule obsession dans ce dossier, jusqu’à ces tout derniers jours, est de ne pas abonder dans le sens de la mystérieuse « fachosphère » dont on semble redouter en permanence l’action secrète et manipulatrice. Il ne s’agit manifestement pas de se méfier des délinquants ni de l’idéologie qui les encourage à la violence, non, il s’agit de redouter le halo paranormal et plus ou moins fantasmagorique de la « récupération » par l’extrême droite numérique. Cette dernière, dont on ignore où elle se situe exactement, probablement quelque part entre l’atmosphère et les confins de l’Univers, et qui semble toutefois obséder jusqu’à la paralysie bon nombre d’acteurs et d’observateurs, serait donc le véritable danger. A ceux qui se coltinent la réalité de se débrouiller tout seuls avec la violence concrète et d’en avoir le corps et l’esprit massacrés à vie.

Au nom de cette inversion paradigmatique de la réalité, de ce déni du réel, les véritables causes et le sens de cette agression auront été passés sous silence. Si les pouvoirs publics s’emparaient du réel, le « récupéraient », justement, afin de le traiter, ce qui constitue normalement la base mais aussi l’objectif de leur action et donc leur seule légitimité, cela fournirait une excellente garantie contre ces mystérieuses récupérations nauséabondes dignes de la mythologie gréco-romaine dont on se préoccupe beaucoup. Mais la question ne sera toujours pas posée, elle dérange.

Cet aveuglement, qui a pour hantise un hypothétique risque de « stigmatisation », préfère ne pas regarder en face celui qui, pour le coup, porte dans sa chair les vrais stigmates d’un vrai danger, bien réel celui-ci.

Où est sa Légion d’honneur ?

Ainsi, Marin ne s’est curieusement pas encore vu décerner la Légion d’honneur, malgré le mouvement populaire de soutien et de pression qui s’est constitué pour en faire la demande. Le ministre de l’Intérieur et ancien maire de Lyon, Gérard Collomb affirme pourtant en avoir activement saisi le président Emmanuel Macron et l’on suppose donc que cette Légion, pourtant tellement méritée tant il s’agit bien d’honneur et d’un honneur national, s’est perdue quelque part dans le trou noir du courage politique, errant entre la stratosphère et la fameuse « fachosphère » que d’éminents astrophysiciens découvriront peut-être un jour.

Déni également quant à la réponse pénale apportée : l’auteur des coups, alors âgé de 17 ans et 8 mois (et l’on se doute bien que sa force physique de destruction n’aurait pas brutalement décuplé en 4 mois ni comme par enchantement le matin de ses 18 ans : elle était déjà là, adulte et bestiale, lorsqu’elle s’est abattue pour massacrer Marin), a bénéficié de la mansuétude de la Cour d’assises des mineurs de Lyon. Elle lui a appliqué l’excuse de minorité et l’a condamné à 7 ans et demi de prison ferme au lieu des 14 ans requis par l’avocat général, un verdict contre lequel la partie civile a annoncé toutefois ne pas souhaiter faire appel en raison de l’immense fatigue qu’un nouveau procès représenterait pour Marin. Dans ce cas pourtant, l’excuse de minorité aurait pu être levée, en raison du lourd passé de délinquance de l’accusé (18 condamnations à son actif dont certaines pour faits de violence), en raison de son imminente majorité au moment des faits, en raison du fait que son geste s’est apparenté, ce qui a été souligné, à une quasi tentative d’homicide. Mais non, c’est l’esprit rédempteur de l’ordonnance du 2 février 1945, organisant une justice pénale des mineurs de l’immédiat après-guerre, qui prévaudra dans cette affaire, en dépit de l’évolution du réel social et en marge du bon sens.

Je dénie donc je suis

Face à ces dénis de toute nature, aveuglement quant aux causes de l’agression, aveuglement quant à ses conséquences, aveuglement quant aux solutions à y apporter, Marin et sa famille sont restés dignes et héroïques, bien que très choqués par le verdict. Comme pour le colonel Beltrame, l’autre héros français, la foi a joué un rôle, notamment cette rencontre récente avec le Pape François, afin de se hisser à un niveau élevé d’engagement, de résistance à l’adversité, d’espérance et de courage face au réel, et même, d’aptitude au pardon.

On peut à l’inverse espérer que dans le naufrage du traitement social, médiatique, politique et judiciaire de cette affaire, l’auteur des coups, le coupable du martyre de Marin, n’aille pas pour parachever son parcours criminel, se radicaliser dans une prison dont on doute qu’elle puisse, de toute façon, à elle seule résoudre le problème qui se pose ici et qui concerne le dysfonctionnement de la société française tout entière.

Macron: un start-uper ne devrait pas lire ça!

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emmanuel macron stendhal
Emmanuel Macron au Salon du lire de Paris, 2018. Sipa. Numéro de reportage : 00849837_000036.

Surprenant l’entretien qu’Emmanuel Macron a accordé à la Nouvelle revue française (NRF). S’il y a bien un lieu où je ne l’attendais pas, c’est dans cette prestigieuse revue à vocation purement littéraire. Je l’ai lu avec une curiosité vorace, m’attendant au pire. Et force m’est d’en convenir, il s’en tire diaboliquement bien citant tantôt Stendhal ( » Il est une façon de manger un œuf à la coque qui annonce les progrès faits dans la vie dévote » ), François Mauriac et son Bloc-Notes de L’Express ou Pierre Viansson-Ponté qui dans une chronique légendaire du Monde  écrivait peu avant Mai 68 : « La France s’ennuie « .

Retour du tragique

À la question : « Que diriez-vous en 2018 ? », Emmanuel Macron répond : « Je ne pense pas que la France s’ennuie, mais elle est inquiète. » Et elle a toutes les raisons de l’être, ajoute-t-il, car « l’Histoire que nous vivons en Europe redevient tragique. Elle ne sera plus protégée, comme elle l’a été depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ». Paradoxalement, c’est ce qui le rend optimiste. Et cette confession sidérante : « Du point de vue du système politique traditionnel, je suis une aberration. En réalité, je ne suis que l’émanation du goût du peuple français pour le romanesque. » Dommage à ce propos,  puisqu’on lui demande ce qu’il lit, qu’il ne mentionne pas Michel Houellebecq : la confrontation ne manquerait pas de sel.

Stendhalien jusqu’au bout

D’autant que, pour lui, la littérature l’emporte et l’emportera toujours sur la sociologie et même sur la philosophie. Encore Stendhal : « Une cristallisation stendhalienne » a débuté en 2017 avec le peuple français. Cette « rencontre amoureuse » ne durera pas, il en est parfaitement conscient. Cette lucidité donne à son personnage romanesque – encore et toujours Stendhal – une profondeur inattendue. La différence engendre la haine et c’est pourquoi il la cultive. Sans guillotine, pas de gloire. Du coup, le stratège cynique, l’ambitieux sans scrupule, l’économiste dénué de toute compassion se métamorphose par la magie de la littérature en un en personnage infiniment plus complexe qu’il n’y paraît, porté par un narcissisme sans limite, mais également une culture littéraire qui demeure son point d’ancrage. Tout au moins quand il s’exprime dans la NRF.