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Colombie: la triste victoire de la résignation


Colombie: la triste victoire de la résignation
Sipa. Numéro de reportage : AP21958415_000017.
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Sipa. Numéro de reportage : AP21958415_000017.

Santos, le président colombien, aurait pu faire passer son traité de paix avec les Farc sans consulter le peuple. Il a souhaité lui donner plus de poids en organisant un référendum. Il s’est sans doute imaginé un peu naïvement qu’on préfère une paix -même imparfaite- à une guerre. Sauf que non. L’accord n’a aucune valeur légale. Six ans de négociations pour rien. Un plan de paix de près de trois cents pages que peu de Colombiens ont lu pour rien. Des signatures et annonces à tout va pour rien. Les colombes et le Prix Nobel envolés. Vu ainsi ça pourrait prêter à sourire. Sauf qu’il s’agit de la tentative la plus aboutie de mettre un terme à un bien vieux et sale conflit qui s’envole avec. Pourquoi les Colombiens ont-ils rejeté cet accord dans l´isoloir ? Beaucoup ont eu peur qu’il permette aux Farc d’accéder un jour au pouvoir. L’ancien président Alvaro Uribe -grand vainqueur de ce coup de théâtre-qui n’a cessé de clamer ces derniers mois que cet accord ouvrirait la porte à une dictature communiste de type Venezuela ou Cuba, y est pour beaucoup. Il ne s’agissait pourtant que de cinq députés et cinq sénateurs des Farc qui auraient fait leur entrée dans l’arène politique. Et à moins d’un coup d’Etat, imaginer Timochenko -guide suprême des Farc- qui doit se contenter d’un taux de popularité de 3 %, être couronné un jour premier roi communiste de  Colombie revient à envisager que nous serions bientôt dirigés par Nathalie Artaud. Une hypothèse mensongère et grotesque donc, mais qui a porté ses fruits.

Les Farc mènent le bal

L’ironie de cette histoire, c’est que la possibilité ou non de voir renaître un plan de paix est soumise au bon vouloir des Farc. Ces derniers ont affirmé à plusieurs reprises avant le vote que si le « non » l’emportait, ils ne retourneraient pas à la table des négociations. Santos a aussi dit que les hostilités reprendraient. Uribe a répété pendant des mois que cet accord devait être modifié. Sauf qu’invité aux négociations à la Havane quatre ans durant, il n’a jamais voulu y mettre les pieds.  À l’annonce des résultats, tandis que Santos a affirmé vouloir lutter pour la pacification de son pays jusqu’à la fin de son mandat, Timochenko a annoncé maintenir sa volonté d’aller jusqu’à la paix. Reste à voir si les coéquipiers de ce dernier acceptent de reprendre des pourparlers, et sous quelles conditions. Beaucoup de Colombiens ont estimé que ce traité n’était pas assez dur envers les Farc, et doutent de la bonne intégration des guérilléros dans la société civile. Mais ces derniers ont-ils vraiment intérêt à accepter d’aller docilement en prison – et avec le sourire- alors qu’ils n’ont jamais perdu leur guerre ?

On me rétorquera que les blessures d’un conflit sont très difficiles à panser, et que n’ayant jamais vécu la guerre –et j’en suis verni- je suis bien mal placé pour donner des leçons de morale. C’est vrai. Reste que les victimes directes des Farc, tout comme les régions rurales qui ont le plus souffert du conflit, ont très largement voté en faveur du plan de paix, à l’inverse des citoyens des grandes villes, qui vivent essentiellement le conflit à travers la télé.

On pourra objecter  que, comme dans l’épisode du Brexit, le peuple a su donner une belle leçon aux élites qui prétendent savoir ce qui est bon ou non pour lui. C’est vrai là aussi, Santos a été trop confiant, il s’est emballé, et les journaux ont sans doute trop voulu inculquer aux Colombiens ce qu’ils devaient faire (voter « oui ») et ne pas faire (voter « non »). Mais il s’agit d’un sujet un peu plus grave que la sortie ou non de l’Union européenne : il s’agit de guerre et de paix. Au lieu de prendre exemple sur l’Irlande du Nord qui parvint à surmonter ses soifs de vengeance pour accéder à une société pacifiée, le peuple colombien a préféré la voie du conflit interminable et insoluble, ou du moins celle d’un avenir incertain. Un choix démocratique donc respectable, certes, mais il devra en assumer les conséquences. Si le cessez-le-feu –pour l’instant maintenu- devait par malheur être levé, ce sont les gens des régions rurales, qui ont très largement soutenu cet accord, qui seraient les premières touchées.



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Enseignant, auteur du roman "Grossophobie" (Éditions Ovadia, 2022).

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