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Résurrection du loup sinistre: Dé-Extinction Rébellion!

Résurrection d’espèces éteintes. L’annonce spectaculaire de l’entreprise américaine Colossal Biosciences soulève des questions éthiques assez vertigineuses. Analyse.


Il n’y a pas de moment plus propice pour parler de résurrection que la Semaine sainte, et c’est peut-être pour cette raison que Colossal, une entreprise pionnière dans le domaine de la bio-ingénierie, a récemment fait une annonce spectaculaire qui a captivé l’imagination du public : le retour du loup sinistre (Canis dirus), une espèce disparue depuis 10 000 ans ! Trois spécimens, nommés Remus, Romulus et Khaleesi (ce dernier, dont le nom est issu de la série télévisée et littéraire « Game of Thrones », n’a pas encore été présenté au public), ont vu le jour grâce à ce projet à la fois surprenant et prévisible.

Une projet secret ayant abouti l’automne dernier

La surprise réside dans le secret qui a entouré cette entreprise, prenant de court de nombreux experts, ainsi que dans le choix de l’espèce « ressuscitée », le loup sinistre, qui ne figurait pas parmi les candidats en tête pour la dé-extinction. En même temps, ce résultat semble prévisible — ou plutôt inévitable — tant il découle de la convergence entre les principes de la conservation et les avancées de la biotechnologie.

Les concepts de conservation regroupent un ensemble de principes et de stratégies destinés à préserver la biodiversité, les écosystèmes et les ressources naturelles de la planète. Ils recouvrent des approches variées, allant de la protection des espèces menacées et de leurs habitats à la restauration des milieux dégradés, tout en intégrant la promotion de pratiques durables dans l’usage des ressources. Plus récemment, grâce aux avancées scientifiques et technologiques, un champ nouveau est venu enrichir cette réflexion : la dé-extinction. L’objectif global de ces démarches est de renforcer la santé et la résilience de la biosphère, dans l’espoir d’assurer un avenir durable à l’ensemble des formes de vie, y compris l’humanité.

C’est trop injuste !

Les principes de conservation soulèvent néanmoins des questions épineuses quant à leur application et à leurs implications. L’un des écueils majeurs réside dans la définition et l’évaluation de la valeur écologique. Déterminer objectivement l’importance d’une espèce ou d’un écosystème demeure une tâche complexe, souvent teintée de subjectivité. Les critères employés — qu’ils soient économiques, esthétiques ou éthiques — varient considérablement, menant parfois à des décisions contestables et souvent contestées : c’est le cas de la réintroduction des loups et des ours en France. De surcroît, la focalisation sur certaines espèces ou certains milieux peut se faire au détriment d’autres, créant des déséquilibres et des formes d’injustice écologique.

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La restauration des habitats comporte également ses inconvénients. Les projets dans ce domaine sont souvent coûteux et complexes, nécessitant une expertise technique pointue ainsi que d’importantes ressources. Cette tâche se heurte à la complexité des interactions écologiques. Comprendre et anticiper les effets des interventions sur les chaînes alimentaires, les relations de symbiose ou les interdépendances naturelles représente un défi majeur. De plus, le succès de ces entreprises n’est jamais garanti, car elles peuvent être compromises par des facteurs imprévisibles, tels que les changements climatiques ou les invasions biologiques. Il convient aussi de souligner que restaurer un habitat ne signifie pas nécessairement revenir à un état originel, mais implique plutôt la création d’un nouvel équilibre écologique, potentiellement différent de celui qui prévalait autrefois.

La durabilité, bien que largement promue, demeure un concept souvent flou et sujet à interprétation. Sa mise en œuvre se heurte à des obstacles économiques, sociaux et politiques significatifs. Les intérêts à court terme, qu’ils soient industriels ou gouvernementaux, prennent fréquemment le pas sur les objectifs de durabilité à long terme, engendrant des compromis qui nuisent à la protection de l’environnement. En outre, la définition même de la durabilité varie selon les acteurs et les contextes, ce qui complique l’élaboration de politiques cohérentes et efficaces.

Enthousiasme médiatique, doutes scientifiques

Enfin, la dé-extinction, malgré l’enthousiasme qu’elle suscite dans les médias, soulève des interrogations éthiques et écologiques fondamentales. Ramener à la vie des espèces disparues pose des problèmes liés au bien-être animal, à la gestion des populations et aux risques pour les écosystèmes actuels. Par ailleurs, cette démarche pourrait détourner l’attention et les ressources de la conservation des espèces menacées, dont la protection constitue une priorité plus immédiate. Comme le rappelle l’exemple du bucardo, un chevreau cloné qui n’a survécu que quelques minutes après sa naissance, ce qui illustre bien les défis techniques et moraux que soulève cette approche.

Retournons à nos loups. Le retour des « terrifiants » créés par Colossal soulève dès lors des questions complexes, à commencer par celle de leur authenticité : sont-ils véritablement les répliques exactes de leurs ancêtres disparus ? En réalité, ces créatures issues de la biotechnologie ne sont pas des clones au sens strict, mais des recréations génétiquement modifiées, conçues à partir de l’ADN d’espèces proches et de fragments extraits de spécimens fossiles. Leur apparence et certains traits comportementaux peuvent rappeler ceux des loups préhistoriques, mais il ne s’agit pas d’une résurrection fidèle : leur génome comporte nécessairement des zones d’incertitude, voire des éléments d’innovation. Ces loups, aussi impressionnants soient-ils, résultent donc d’une reconstruction partielle où la science comble les lacunes par des choix technologiques. Ils ne peuvent ainsi être considérés comme de parfaits clones, mais plutôt comme des hybrides, à la croisée du passé reconstitué et du présent reconfiguré.

Dans le cas précis des loups terrifiants, Colossal a procédé en combinant des techniques avancées de génie génétique, notamment l’édition du génome à l’aide du célèbre outil CRISPR-Cas9, avec des cellules d’espèces proches encore vivantes, comme le loup gris ou le chien. En insérant dans leur ADN des fragments d’anciennes séquences génétiques extraites de fossiles, l’entreprise a conçu un organisme hybride reproduisant certaines caractéristiques physiques et comportementales des loups disparus. Il ne s’agit donc pas d’un clone parfait, mais d’une recréation partielle, issue d’une reconstruction génétique ciblée. La réussite de ce projet a été rendue possible par l’édition génétique de l’ADN du loup gris, incluant vingt modifications ciblées sur quatorze gènes. Des chiennes domestiques ont été utilisées comme mères porteuses pour mener à bien ces gestations inédites.

Ainsi, la réintroduction de ces loups à peu près « terrifiants » soulève une interrogation essentielle : ne risquons-nous pas de créer des monstres ? C’est effectivement toute l’ambivalence des biotechnologies : une prouesse scientifique porteuse d’espoirs écologiques, mais aussi de risques profonds. Les hybrides génétiques, mélange d’ADN fossile et moderne, ne sont pas des clones fidèles et leur viabilité à long terme reste incertaine, tout comme leur comportement dans des écosystèmes qu’ils n’ont jamais connus.

Si les « ciseaux génétiques » permettent des modifications ciblées, ils génèrent des altérations imprévues, mutations silencieuses ou effets hors cible, pouvant déclencher des cancers ou des déséquilibres métaboliques. La réparation cellulaire, souvent approximative, ajoute une couche de risques.

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Introduire une espèce hybride dans la nature revient à jouer aux apprentis sorciers. Ces organismes pourraient supplanter des prédateurs locaux, perturber les chaînes alimentaires ou transmettre des gènes anciens à des populations sauvages, menaçant la biodiversité qu’ils devaient enrichir.

On peut donc poser une autre question : vus les risques, cette résurrection ou réintroduction répond-elle à un impératif écologique ou s’agit-il surtout d’une démonstration de puissance technologique ?

Jusqu’à présent, les experts en conservation ont soutenu la dé-extinction lorsqu’elle visait à restaurer des équilibres écologiques perturbés, en réintroduisant notamment des espèces clés capables de revitaliser des habitats dégradés ou de réactiver des dynamiques naturelles. Ces choix s’appuyaient sur une évaluation rigoureuse des bénéfices attendus pour les écosystèmes. Dans le cas de Colossal, cependant, la communication semble privilégier l’exploit scientifique, mettant en avant la prouesse génétique plutôt que les bénéfices concrets pour la biodiversité. Cette orientation risque de transformer profondément la finalité de la conservation, en l’éloignant de ses objectifs écologiques pour en faire une vitrine de l’innovation technologique. La question n’est donc plus seulement de savoir si l’on peut ressusciter une espèce disparue, mais de comprendre pourquoi, et dans quel but, on choisit de le faire.

Il sera intéressant d’observer comment le monde de la conservation réagira à ce changement de paradigme, et si la logique qui sous-tend la dé-extinction évoluera. En attendant, les réactions à cette annonce sont diverses. Le ministre américain de l’Intérieur et Joe Rogan ont salué l’initiative, tandis que le compte Twitter de l’entreprise débat publiquement avec des journalistes sur la nature exacte de ce loup.

Profitant de l’engouement médiatique, l’entreprise a dévoilé ses ambitions futures, notamment le retour du mammouth laineux d’ici 2028, ainsi que celui du loup de Tasmanie. D’autres espèces emblématiques, telles que le dodo ou le pigeon voyageur noble, figurent également sur la liste des projets envisagés.

Le projet de réintroduction du loup de Tasmanie suit une approche similaire, reposant sur le clonage à partir de cellules prélevées sur un spécimen conservé dans un musée. Le pigeon voyageur noble, disparu en 1914 après une chasse massive, représente un autre défi, notamment du fait de la complexité que représente le clonage d’oiseaux, qui nécessite des manipulations génétiques particulièrement délicates. Quant au mammouth, l’idée consiste à modifier le génome de l’éléphant d’Asie pour créer un équivalent capable de survivre dans le climat sibérien.

L’idée serait de réintroduire cet éléphant-mammouth hybride dans le Parc du Pléistocène en Sibérie, un projet initié par l’écologiste Sergueï Zimov et son fils Nikita visant à restaurer un écosystème de steppe datant d’environ 12 000 ans. Cet environnement reconstitué pourrait non seulement offrir un habitat adapté au mammouth, mais aussi contribuer à limiter le changement climatique : en stabilisant le pergélisol, il réduirait les émissions de gaz à effet de serre libérés par son dégel, qui s’accélère dans la région. Cependant, le conflit en Ukraine a ralenti les avancées, plusieurs partenaires internationaux ayant suspendu leur collaboration avec le parc de Zimov.

D’autres initiatives de dé-extinction sont en cours, bien qu’à un stade moins avancé. L’aurochs européen et le quagga, une sous-espèce de zèbre, font l’objet d’expérimentations de reproduction sélective.

Jurassik Park ? Pas pour tout de suite

Aujourd’hui, le loup sinistre devance tous ces projets, marquant une étape décisive dans le domaine de la dé-extinction. Si cette discipline fascine autant qu’elle inquiète, une espèce semble écartée des tentatives : les dinosaures. Ils ne figurent pas sur les listes, bien que certains évoquent la possibilité de modifier génétiquement des oiseaux actuels, comme l’autruche, pour créer des créatures inspirées des dinosaures. Jusqu’ici rejetée au nom de la restauration des écosystèmes, cette idée pourrait être réévaluée au fur et à mesure que la technologie progresse et devient plus accessible.

Avec ce coup de communication et de technologie, Colossal, dirigée par Ben Lamm et le généticien George Church, s’impose aujourd’hui comme un acteur central dans ce domaine. Son modèle économique, fondé sur la propriété intellectuelle et, potentiellement, le tourisme, soulève des interrogations sur la nature de ses motivations et sur la place réelle accordée à la conservation, bref la question se pose s’il ne s’agit pas d’un loup de Wall Street. L’entreprise, financée par des fonds privés, devra désormais naviguer entre les espoirs nés de ses avancées scientifiques et les inquiétudes suscitées par leurs implications éthiques et écologiques.

Viva la muerte !

Euthanasie, IVG, ZFE… Y’a de la joie…


Il n’est pas nécessaire d’aller chercher bien loin les signes de la décadence vertigineuse de notre société. Il suffit de se reporter aux sujets sur lesquels elle entend réformer, légiférer en priorité. Et l’on a alors vite fait de constater que c’est à une société gangrénée par le morbide, fascinée par la mort que nous avons affaire.

Dans ce registre, elle a commencé par vouloir à tout prix inscrire dans la constitution le droit à l’avortement, pratique qui n’est autre que la mise à mort d’un être vivant, le fœtus. Mise à mort possible désormais à un stade de l’évolution de cet humain en devenir où, pour le supprimer, il faut en passer par l’acte symboliquement barbare entre tous, broyer le crâne, le cerveau.

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Et voilà qu’il s’agit à présent de faciliter le passage volontaire de vie à trépas, l’euthanasie, le suicide assisté. Faciliter en effet, parce que à lire le projet de loi, il semble bien que, si ce projet devait être voté en l’état, ce qu’à Dieu ne plaise, il deviendrait plus aisé de se faire expédier ad patres que de dénicher un médecin traitant en province. Un comble.

Fascination du morbide, en effet, que cette intention législative dont le résultat, si elle entrait en vigueur, ne ferait qu’ajouter un tourment à ceux qu’endurent déjà le malade. Le tourment de la culpabilisation de désirer vivre encore un peu. Le tourment de devoir se poser la question : stop ou encore ? Car le problème sera bien celui-là. S’entêter à demeurer en ce bas monde risquerait fort de devenir une sorte d’incongruité, une faute sociale, une lubie de mauvais citoyen, la norme progressiste en ce domaine étant de ne pas encombrer le plancher dès lors qu’on n’y serait plus convenablement alerte, dans un état conforme aux critères de vitalité prévus par les manuels.

Courage fuyons ! voilà la règle nouvelle. La société se découvrant incapable d’accompagner avec décence et dignité la vie jusque dans la faiblesse des derniers moments, capitule en rase campagne et se dote des moyens de précipiter l’issue. Aveu de terrifiante impuissance ! Mais qu’importe ! On n’est pas à un renoncement près. Et puis, mon bon monsieur, les retraites – ainsi d’ailleurs que les soins longue durée – coûtent si cher qu’abréger autant qu’on peut les vies improductives n’est pas loin de devenir un impératif économique.

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Et puis, il y a les petites morts, sociales celles-là. Les gueux exclus de ZFE, par exemple. Ce n’est pas la mise à mort, seulement l’envoi en purgatoire. L’interdiction de pénétrer dans le saint des saints, là où règne l’entre-soi de ceux qui ont de quoi. De quoi rouler propre. Les autres, ceux qui ne disposent d’autre moyen de déplacement que leur bagnole époumonée, qu’ils crèvent donc ! D’ailleurs, la ministre l’a dit. Les précaires n’ont pas d’auto. En fieffée technocrate qu’elle est, elle se trompe lourdement. Le précaire, notamment en campagne, n’a même que cela pour vivre encore, aller au pain, se rendre chez le lointain médecin, etc. Il n’a plus que sa bagnole trentenaire si ce n’est quadragénaire, en effet.  Et qui, avec cette belle trouvaille, ne sera même plus autorisée à le conduire en cas de besoin jusqu’au grand hôpital urbain. Mais quelle importance ! Le progressisme veille, qui ne résistera guère sans doute à proposer une solution particulièrement intelligente. Faisant d’une pierre deux coups, l’auto moribonde et le quidam qui ne l’est pas moins, oui, les deux ensemble à la casse.

Bien triste vision de l’avenir, bien sinistre conception de la vie qu’illustrent de telles priorités politiques ! Ce seraient les ultimes soubresauts d’une société désespérée d’elle-même que l’on ne s’en étonnerait guère.

LES TÊTES MOLLES - HONTE ET RUINE DE LA FRANCE

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Où il sera beaucoup question de l’Algérie mais pas que…

L’Algérie et ses OQTF nous préoccupent depuis des semaines. Mais l’actualité a aussi été marquée par le retour des retraites dans le débat public et celui des gens du voyage à Béziers, ainsi que celui de… La Belle et la Bête.


Ramadan

En plein bras de fer avec l’Algérie, on apprend que le gouvernement français vient d’accorder des visas à des « récitateurs » algériens du Coran durant la période du ramadan. Alors qu’Alger refuse d’admettre sur son sol ses ressortissants que la France souhaite expulser – on est juste après l’attentat de Mulhouse, où l’Algérie a refusé de reprendre Brahim A. « à dix reprises », d’après Bruno Retailleau. Alors que l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal – âgé de 80 ans et atteint d’un cancer – croupit toujours en prison depuis plus de quatre mois… Malgré les explications du ministre de l’Intérieur – « entraver la liberté de culte reviendrait à donner raison aux extrémistes […], à désespérer les patriotes musulmans sincères » –, l’effet est désastreux. Et le Rassemblement national se réjouit d’avoir enfin un angle d’attaque contre Bruno Retailleau…

OQTF (suite)

Madame Eva Marty, la fiancée de l’OQTF que Robert Ménard a refusé de marier en juillet 2023, a convoqué une conférence de presse le 4 mars. Elle souhaitait revenir sur son audition par les services de l’état civil de la ville de Béziers le matin même. Eva Marty ayant engagé une procédure pour se marier en Algérie, le consulat de France à Oran a demandé à la mairie de Béziers de procéder à un nouvel entretien, ce qui est la procédure normale. On se souviendra que la jeune fiancée n’avait cessé de se plaindre de la médiatisation faite autour de cette affaire : visiblement, elle en a trouvé les bons côtés puisque c’est elle à présent qui convoque la presse… On apprendra à cette occasion par la bouche de son avocate que le mariage ne pourra pas être prononcé par les autorités algériennes car… la future mariée n’y est pas en règle !

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Conclave

Quelle erreur ! Quelle faute ! Je ne comprends pas François Bayrou. J’entends toutes les raisons liées à la situation internationale qui nous obligent à faire des efforts, et donc, au choix, payer plus ou travailler davantage. Mais quelle mouche l’a donc piqué de déclarer, en plein conclave des retraites, qu’il n’était pas question de revenir à un âge de départ à la retraite à 62 ans ? Pourquoi donc ne pas laisser patrons et syndicats discuter jusqu’au bout ? Avec une toute petite chance qu’ils trouvent une solution économiquement viable – ce serait une belle surprise. Ou au contraire, que le conclave finisse par un constat d’échec dont le Premier ministre n’aurait pas été jugé responsable. Bref, lui qui ne dit jamais grand-chose a ici loupé une belle occasion de se taire.

OQTF (encore !)

Vendredi 14 mars. Le tribunal administratif de Montpellier a rendu sa décision concernant la demande d’annulation de l’expulsion de Mustapha, le fiancé sous OQTF d’Eva… Demande rejetée.

Contes de fées

Après les polémiques à répétition autour du film Blanche-Neige – pas si blanche que ça et sans les sept nains –, c’est au tour de La Belle et la Bête de faire scandale. Élisabeth Borne vient en effet d’annuler la commande destinée aux CM2 d’une version revisitée du conte, jugée « trop adulte ». Son dessinateur Jul crie à la « censure intempestive » et se demande si « le “grand remplacement” des princesses blondes par des jeunes filles méditerranéennes serait la limite à ne pas franchir pour l’administration versaillaise du ministère ». On apprend que la version modernisée met notamment en scène un père alcoolique qui chante du… Michel Sardou ! L’horreur, non ? Mais somme toute pas très original. Quitte à faire encore plus caricatural, on suggère à l’auteur – pour sa prochaine réécriture – de lui faire fredonner du Jean-Pax Méfret !

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Dimanche ordinaire

Dimanche 16 mars à 14 heures, je suis appelée pour intervenir auprès d’un convoi de gens du voyage qui ont décidé d’élire domicile sur le parking de notre stade de rugby, en forçant les grilles, cela va de soi… Après une bonne heure de discussion – durant laquelle j’essaie de trouver une solution de repli puisqu’il est hors de question qu’ils restent sur ce parking –, je tente de joindre le service de « médiation départementale », chargé de gérer ce genre de situation. Problème, on m’informe qu’ils ne travaillent pas le week-end. Pendant ce temps, j’ai le droit aux gesticulations habituelles – l’un hurle, l’autre pleure, pendant qu’un troisième fait semblant de les calmer. Ouf, le maire d’une commune proche accepte d’ouvrir son aire de passage avec quelques semaines d’avance. Tout ce petit monde s’en va dans le calme et en souriant. Il ne nous reste plus qu’à changer le cadenas…

Manifestation contre le racisme… et l’antisémitisme ?

Ce 22 mars a eu lieu un peu partout en France une marche contre – au choix – le racisme, l’antisémitisme, le fascisme, l’extrême droite. On pouvait d’ailleurs lire sur une des pancartes brandies à Paris : « Face au racisme et à l’antisémitisme, submersion antiraciste ». Quand on sait que La France insoumise notamment était à l’origine de cette manifestation, il y a de quoi s’étrangler. C’est bien ce parti d’extrême gauche qui, depuis des mois, des années maintenant, « joue » avec l’antisémitisme en vue d’un électoralisme effréné. C’est bien LFI aussi qui, pour appeler à cette marche, a publié une affiche représentant le visage démoniaque de Cyril Hanouna, dans la droite ligne des caricatures antisémites des années 1930. On attend toujours les excuses de J.-L. Mélenchon…

Élisabeth Badinter, peu suspecte d’accointances avec la droite dénoncée ici, dit d’ailleurs de LFI qu’elle est « farouchement antisémite ». À Béziers, on a eu le droit à l’inévitable « Béziers mérite mieux qu’un maire fasciste ». Vous avez dit caricature ?

Prise de conscience

On apprend en cette fin de mois de mars, dans une interview de Gérald Darmanin au JDD, que « les détenus étrangers représentent 24,5 % de la population carcérale » (alors que les étrangers ne représentent que 8,2 % de la population totale – chiffres Insee) et que « les étrangers doivent purger leur peine dans leur pays ». Le 12 décembre 2023, alors députée, je questionnais – ce n’était pas la première fois ! – le ministre de la Justice (alors Éric Dupont-Moretti) sur le nombre important de personnes étrangères détenues dans les prisons françaises. Je proposais, « afin de désengorger les prisons, de les rendre plus vivables et de ne plus faire peser le poids financier de l’incarcération des étrangers sur les Français, […] que les personnes de nationalité étrangère ayant été condamnées sur le sol français puissent purger leur peine de prison dans leur pays d’origine. » On dirait bien que Monsieur Darmanin a réfléchi à ma proposition…

Beauté italienne

Dans Vermiglio, Maura Delpero capte avec délicatesse la fin d’un monde rural pris dans les remous de la guerre. Entre solitude des hauteurs, amour clandestin et poids des traditions, elle signe une œuvre sensible et picturale, récompensée à juste titre par le Grand Prix du jury à la Mostra de Venise


Vermiglio ou la Mariée des montagnes de Maura Delpero a reçu le Grand Prix du jury à la Mostra de Venise en 2024, une récompense justement méritée pour ce très beau film.

L’action se déroule au milieu des années quarante, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, au moment de la débâcle italienne et de la proche défaite des nazis. Elle débute à l’hiver 1944, dans les montagnes du Trentin-Haut-Adige, en Italie, dans un petit village isolé, Vermiglio, où la vie suit le rythme des saisons. Un jeune soldat arrive, cherchant refuge. Le jeune homme Pietro et la fille aînée Lucia tombent amoureux, bouleversant à jamais la dynamique familiale de l’instituteur local, Cesare. Le destin bascule…

Beauté des forêts, des sommets enneigés, des prairies en fleurs : loin de la fureur des combats, la quiétude de la communauté est troublée par l’arrivée de deux soldats italiens déserteurs fuyant la déroute. Filmer la nature, les femmes et les hommes, la force et la beauté des traditions chrétiennes, filmer la guerre sans la montrer : c’est la belle réussite de Maura Delpero. Elle signe ici un deuxième long-métrage de fiction, épuré et âpre, tendre et tendu, après le remarquable Maternal sorti en 2019, qui suivait une religieuse arrivant dans un couvent pour jeunes filles en Argentine.

La cinéaste est retournée dans le village du nord-est de l’Italie où a grandi son père, récemment décédé. À travers le cycle complet des quatre saisons, elle montre la vie quotidienne des habitants, fidèles à leurs traditions rurales et chrétiennes.

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Vermiglio déborde de douceur. La beauté irradie chacun de ses plans, filmés comme des tableaux inspirés par les œuvres de Giovanni Segantini et Caspar David Friedrich pour les scènes extérieures, et par la peinture flamande pour les scènes d’intérieur, éclairées à la bougie. Cette lumière intime accentue la profondeur des échanges, notamment entre les nombreuses sœurs très proches du couple. Paysages de haute montagne hivernaux et immaculés, vert printanier des prairies, cimes ensoleillées d’été, roux automnal : tout est magnifié par la mise en scène tranchante et elliptique de Delpero, la lumière douce et les cadres acérés de la photographie de Mikhaïl Kritchman. Les Quatre Saisons de Vivaldi et les Nocturnes de Chopin accompagnent la narration et soulignent le caractère romanesque de cette fiction très documentée.

La mise en scène, mêlant austérité et puissance, permet à la réalisatrice d’instaurer une atmosphère intime et sensorielle dans ce village où la vie des femmes est marquée par la solitude, la rudesse du quotidien, mais aussi la force des traditions. C’est un grand film sur la disparition d’un monde montagnard, un portrait intelligent et touchant de la vie de famille vue à hauteur d’enfant. Il interroge la place sociale et traditionnelle des hommes et des femmes, en particulier celle d’un père instituteur, cultivé et sensible, autoritaire dans son foyer mais profondément attaché à l’éveil de ses élèves à la langue, à la poésie et à la musique. À la fois maître exemplaire et père faillible, il incarne toute l’ambiguïté d’un monde en mutation.

1h59

Pourquoi Frédéric Taddéï est-il si convaincant ?

Celui que le quotidien de gauche Le Monde qualifie de « dandy du débat télévisé » – pour mieux critiquer tout de suite après ses prestations sur RT France ou CNews -, est désormais directeur de l’hebdomadaire Marianne.


Directeur de Marianne, Frédéric Taddéï écrit à la dernière page, comme il se doit, « Le mot de la fin ». Dans le numéro en cours : « … Il faut abolir cette peine de mort politique qu’est la peine d’inéligibilité ». Je sais que son point de vue sera contredit aussi bien pour des motifs politiques que médiatiques. C’est le propre des idées fortes et ce n’est pas Frédéric Taddéï qui s’en plaindra ! Je n’ignore pas avoir déjà écrit sur Frédéric Taddéï et je ne ressens pas le besoin de m’en excuser. D’abord pour ma propre satisfaction. Je déplais trop souvent par une envie, à laquelle je ne veux résister, de dire le fond de ma pensée, la nature de mes humeurs, pour ne pas me féliciter de cette opportunité renouvelée de pouvoir estimer quelqu’un.

J’ajoute que le Frédéric Taddéï d’aujourd’hui a changé de registre. L’indépassable animateur de « Ce soir (ou jamais ! ») – dont l’effacement et la discrétion apparents valaient toutes les présences ostensibles – a été remplacé par le responsable d’une publication qui, sur le plan judiciaire notamment, est remarquable et par l’auteur libre et indépendant du Mot de la fin.

Un fervent défenseur de la liberté d’expression

À plusieurs reprises, j’ai soutenu Frédéric Taddéï qui n’avait pas besoin de moi pour se défendre. Le paradoxe est qu’on osait lui reprocher une conception intelligemment intégriste de la liberté d’expression contre celle rigide et sectaire cultivée chaque jour par Patrick Cohen. Frédéric Taddéï n’était pas un justicier qui choisissait de laisser parler seulement ceux que sa vision politique tolérait : il ouvrait la porte médiatique à tous, et d’abord à ceux auxquels l’accès à la visibilité était devenu impossible, voire interdit. Sa seule exigence toujours parfaitement respectée, à la télévision, tenait à cette limite : on ne transgressait pas la loi sur son plateau. Cette éthique et ce pluralisme du débat ont donné lieu à de passionnantes joutes où la contradiction, contrairement à tant de confrontations d’aujourd’hui, n’était pas de pure forme.

Frédéric Taddéï est d’abord pour moi un modèle dans la mise en œuvre, sans la moindre concession, d’une liberté d’expression exemplaire. J’aime pouvoir le rapprocher d’une journaliste essayiste atypique, Peggy Sastre, dont les points de vue, développés dans Causeur ou dans Le Point, offrent à qui les lit un champ stimulant de réflexions et de paradoxes. Elle s’attache à définir rigoureusement la liberté d’expression en faisait appel, notamment dans le dernier hebdomadaire cité, à des intellectuels qui confirment sa vision d’une plénitude irréprochable.

À lire aussi : Diabolisation 2.0

Quand elle écrit qu’ « une liberté d’expression qui n’oserait plus froisser personne deviendrait vite une liberté à usage limité », nul doute que Frédéric Taddéï partage sa conviction. Lorsqu’elle reprend à son compte l’analyse de Greg Lukianoff, un avocat, journaliste et militant américain, pour qui la liberté d’expression « est et restera toujours une idée ÉTERNELLEMENT RADICALE… pas seulement une garantie juridique mais un principe culturel exigeant dont la valeur ne se révèle qu’à l’épreuve de l’inconfort », je suis sûr que Frédéric Taddéï approuve cette approche irréprochable d’une liberté qui est beaucoup moins pour soi que pour les autres.

Un homme convaincant

Quand j’ai commencé à lire son « Mot de la fin » dans Marianne, j’ai éprouvé comme une émotion intellectuelle à voir le changement de cap de Frédéric Taddéï qui s’assignait, sur un certain nombre de thèmes, à penser et à dire ce que longtemps il avait eu pour déontologie de taire. J’ai naturellement pris son parti et je ne me suis pratiquement jamais trouvé en désaccord avec lui. Moins, pour être franc, parce que le fond de son écrit était forcément pertinent qu’à cause de la confiance immédiate, évidente, limpide dont je créditais un esprit et une personnalité qui, n’ayant jamais eu pour perversion d’étouffer ou de limiter le verbe d’autrui, bénéficiaient de mon assentiment quand ils s’aventuraient dans l’imprévisibilité de l’opinion et les nuances de la conviction.

À lire aussi du même auteur : De la cour d’assises à la cour médiatique…

Je me défie de plus en plus des censeurs officiels ou officieux qui, ayant toujours eu la vocation d’éradiquer, sur le plan politique, médiatique, judiciaire ou culturel, la liberté des autres, n’ont jamais su la pratiquer pour eux-mêmes.

Parce que Frédéric Taddéï est aux antipodes d’une telle petitesse, qu’il a passé son existence médiatique à se battre pour la liberté des autres, il me semble que porter sur celui qu’il a décidé d’être aujourd’hui, sur ses débuts brillants dans le Mot de la fin, un regard favorable, au moins une bienveillance critique, est la moindre des choses. Il est convaincant parce qu’il n’a aucune rançon à payer.

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Nous avons épuisé les dividendes de notre puissance

Pour le « plus profond des philosophes eurosceptiques » (selon le Weekly Standard), trois pressions extérieures s’exercent sur la France : à l’Est, Vladimir Poutine, à l’Ouest, Donald Trump, au sud l’islamisme. Face à ces menaces, il plaide pour que Paris s’écarte de la tentation fédéraliste et renoue avec l’idée gaullienne d’une Europe des nations.


Causeur. Dans le branle-bas international auquel nous assistons, il faut peut-être se poser des questions basiques, à commencer par celle-ci : quelle est la responsabilité des nations européennes si un pays européen est agressé ?

Pierre Manent. Cela dépend des nations. Certaines ne se sentent pas tenues à une responsabilité particulière par rapport à l’ensemble européen. Leur position géographique, ou leur expérience historique, les détourne de ce sentiment. Et puis il y a les pays qui estiment avoir des devoirs historiques vis-à-vis du continent, ou qui, par leur population, leur richesse ou leur force, ont un poids particulier : le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne, l’Italie… auxquels il convient sans doute d’ajouter aujourd’hui la Pologne. Mais de « petits pays » peuvent jouer un grand rôle par leurs initiatives et leur engagement, comme aujourd’hui le Danemark, ou les pays baltes. La responsabilité conférant des devoirs, c’est une obligation, pour chaque nation, de déterminer avec une certaine précision l’étendue et le caractère de ses responsabilités.

Cette responsabilité peut-elle être transférée aujourd’hui à l’Union européenne comme le suggèrent certains dirigeants, notamment Emmanuel Macron ?

Le porteur de la responsabilité ne peut être que la nation. Nos nations ont des responsabilités différentes puisque leurs capacités, leur influence, leur état moral, leurs choix sont différents. L’Union européenne n’est pas proprement un sujet politique, c’est une construction juridique par délégation des souverainetés nationales. En dépit des slogans idéologiques et des arguties juridiques, la source de toute légitimité en Europe réside toujours dans les nations gouvernées démocratiquement : lorsque les chefs d’État et de gouvernement se réunissent en Conseil, d’où procède leur légitimité ? De leurs nations respectives exclusivement. Les institutions européennes ne peuvent prétendre agréger les responsabilités nationales en une responsabilité politique de l’Union. Si l’on tient à parler d’une responsabilité politique de l’Europe, celle-ci résulte de l’action commune – de l’alliance – des différentes nations, chacune avec sa « part de responsabilité ». Que personne ne voie dans la guerre en Ukraine le moment propice pour un « saut fédéral » ! L’effort serait vain. Comment une horlogerie institutionnelle, élaborée sous le postulat d’une paix éternelle qui n’aurait jamais à être défendue, pourrait-elle être l’instrument de notre protection aujourd’hui que, de toutes parts, apparaît la vanité de cette hypothèse ? Les Européens et leurs nations se sont depuis trop longtemps cachés dans la foule européenne, foule sentimentale… Le moment est venu pour chacune de montrer ce qu’elle veut et ce qu’elle vaut. Nous voyons déjà se marquer une différenciation croissante entre les agents nationaux. Certains seront actifs et peut-être même « commandants », d’autres ne feront rien, ou même moins que rien.

Justement, la France n’a-t-elle pas des prétentions excessives ? Ne se croit-elle pas abusivement responsable des affaires du monde, en raison d’une forme de messianisme ?

Il est vrai que la France a parfois pris ou accepté des responsabilités politiques qu’elle n’a pas eu le courage, ou qu’elle n’avait pas les moyens, d’honorer, notamment dans l’entre-deux-guerres. Pourtant, si je déplore le contraste souvent choquant entre les paroles mirobolantes et la médiocrité des résultats, je crois qu’il y a quelque chose de juste et de noble, d’utile aussi, dans cette disposition : nous réclamons le droit de regarder l’état du monde avec nos propres yeux, et d’y agir selon notre jugement librement formé. J’en demande pardon à nos amis allemands, mais s’ils ont commis tant de bévues dommageables à l’Europe dans la période récente, c’est qu’ils s’étaient depuis trop longtemps accommodés de leurs dépendances croisées à la protection américaine et au gaz russe. On a beaucoup moqué la « folie des grandeurs » de de Gaulle. Aujourd’hui on se réjouit de disposer de la dissuasion nucléaire, qui n’existerait pas sans cette « folie ». Le « gaullisme », c’est la souveraineté de la France dans un ensemble européen que l’on doit souhaiter de plus en plus uni, avec une alliance américaine fort précieuse, mais sur laquelle il ne faut compter qu’avec prudence. La France exerce donc des responsabilités particulières liées à la dissuasion nucléaire qu’elle est la seule à maîtriser entièrement en Europe (le Royaume-Uni étant plus dépendant des Etats-Unis, voir l’article de Jeremy Stubbs pages 54 à 57 de notre magazine). Cela ne donne pas à notre pays le droit ni les moyens de jouer le chef de guerre, mais nous désigne comme l’un des pays les mieux placés pour orienter les énergies européennes.

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Vous pensez que ce nouveau désordre mondial pourrait réveiller la volonté nationale en nous. Mais le séparatisme musulman et le terrorisme islamiste n’ont pas eu cet effet.

Vous avez raison, rien ne permet d’assurer que nos réponses seront à la hauteur des défis, qui sont à la fois intérieurs et extérieurs. Pour l’intérieur, chacun connaît la liste : désindustrialisation, dette publique, démographie, immigration, etc. Pour l’extérieur, je dirais que nous sommes soumis à une triple pression. Pression venue de l’Est bien sûr, l’agression russe en Ukraine ; mais aussi pression venue de l’Ouest, des États-Unis, qui ne date pas de Trump, si vous considérez l’usage arbitraire et exorbitant que les Américains font de l’extraterritorialité de leur droit ; et enfin pression venue du Sud, à la fois pression migratoire et pression politique des États. Ces trois pressions sont évidemment d’un caractère très différent, elles concernent des organes distincts du corps politique et affectent diversement son métabolisme, mais c’est un même corps civique qui doit fournir la réponse – une réponse synthétique qui associe un certain sentiment de soi avec le désir d’agir pour préserver notre liberté et notre forme de vie. Qui peut prétendre opérer cette synthèse, sinon la nation ? L’Union européenne peut tout au plus fournir l’organe du plus petit dénominateur commun entre les nations. C’est donc à la France en tant que nation de retrouver une certaine capacité d’action, pour la mettre au service de la cause commune quand il y a lieu, comme c’est le cas aujourd’hui avec l’Ukraine.

Devons-nous pour cela regagner de la puissance, particulièrement sous sa forme la plus crue – militaire ?

Regagner de la puissance militaire, bien sûr. S’agissant de puissance, le dédain du monde, amis ou ennemis, s’adresse à nos nations autant qu’à l’Union européenne. Voyez avec quelle brutalité moqueuse J. D. Vance a traité l’Europe et ses nations, ou de quelle façon l’armée française vient d’être chassée d’Afrique de l’Ouest. En tout cas, c’est à partir d’efforts nationaux, s’ils sont vigoureux et soutenus, que l’ensemble européen pourra dégager une force respectable. Un des aspects les plus encourageants de la vie européenne aujourd’hui, c’est la vigueur du désir de vivre et d’être libre des petites nations – voyez les pays baltes.

Vance a-t-il été si brutal et méprisant que vous le dites ? N’a-t-il pas plutôt essayé de nous alerter sur nos renoncements et nos faiblesses ?

Quand le vice-président américain dit aux Européens : « la liberté d’opinion chez vous laisse à désirer », je partage son opinion, mais pourquoi s’adresser à nous avec cette désinvolture moqueuse, sarcastique ? Comme s’il prenait plaisir à nous maltraiter. Si l’état de nos pays l’inquiète, il pouvait s’adresser à nous avec la gravité requise. En 1981, lorsque François Mitterrand a nommé des ministres communistes, le vice-président américain George W. Bush est venu à Paris pour s’en émouvoir. Mais il ne nous a pas engueulés ni humiliés.

Rencontre entre Donald Trump et Emmanuel Macron à la Maison-Blanche, 24 février 2025. L’ensemble européen ne pourra dégager une force respectable qu’à partir d’efforts nationaux vigoureux et soutenus © MARIN/UPI/SIPA

Cette rudesse accrue des Américains n’est-elle pas un aveu de faiblesse ?

La nouvelle brutalité américaine est un phénomène complexe qui mérite d’être pris au sérieux. Je suis porté à penser que, si les nouveaux dirigeants ont à ce point rejeté les formes diplomatiques, ce n’est pas seulement pour le plaisir médiocre de « parler sans filtre », mais aussi parce qu’ils sont en proie à une certaine forme de panique. Quand Donald Trump demande aux Ukrainiens de rembourser les États-Unis, il choque par sa mesquinerie, mais il trahit aussi une angoisse devant la disproportion entre les engagements américains dans le monde et leurs ressources présentes. On retient les vantardises de Trump, la violence de ses attaques contre ses adversaires politiques, mais on ignore ses descriptions de l’état alarmant de la société américaine. Si les succès des grandes entreprises de la tech sont très impressionnants, ils ne doivent pas dissimuler le fait que des piliers essentiels de la puissance américaine sont aujourd’hui défaillants, y compris dans le domaine industriel. D’où les efforts frénétiques de Donald Trump pour faire revenir, ou faire venir, les entreprises américaines et non américaines aux États-Unis. Est-ce l’empire qui abuse de sa force, ou l’empire que sa faiblesse menaçante affole ? Impressionnés par l’énormité du budget militaire américain, nous sous-estimons l’affaiblissement de l’armée américaine. Encore inégalée dans le renseignement et les communications, et dans certains systèmes d’armes, elle n’a plus de quoi entretenir l’immense réseau de ses bases aux quatre coins du monde. Le déclin de sa flotte, instrument décisif d’un empire maritime, est particulièrement alarmant. La Navy est en train, ou en passe, d’être surclassée par la marine chinoise, alors que la construction navale aux États-Unis est exsangue. Si les choses suivent leur train, les États-Unis ne garderont pas longtemps, à supposer qu’ils les aient encore, les moyens de dissuader la Chine d’attaquer et conquérir Taïwan. Bref, ils ne pourront bientôt plus entretenir leur empire et dissuader les rivaux. Il faut garder ces faits en mémoire, non pour excuser ou légitimer les excès de Trump, mais pour savoir quel est précisément l’état du monde dans lequel nous devons agir.

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Aujourd’hui, la polarisation s’accentue entre d’une part les pays qui misent en priorité sur la force pour régir les relations internationales et d’autre part ceux qui privilégient le droit. Or, on dirait précisément que nous sommes englués dans l’État de droit qui devient une toile d’araignée paralysante ?

Attention au « grand récit » européen ! « Ils » sont la force, « nous » sommes le droit. Si c’est vrai, faut-il s’en vanter ? Comment pouvons-nous à la fois déplorer l’impuissance européenne et célébrer notre Union fondée sur le seul droit… ? Si l’Europe a pu si longtemps imaginer qu’elle construisait une association exclusivement fondée sur le droit et les « valeurs », c’est non seulement parce qu’elle avait laissé à la force alors sans égale des États-Unis le soin de la protéger, mais aussi parce qu’elle jouissait du crédit et du prestige acquis pendant les siècles où elle a dominé le monde, par ses contributions à la science et au progrès social et humain certes, mais aussi par la force brute, y compris par la conquête. Nous ne recevons plus aujourd’hui les dividendes de notre force passée. Ils sont épuisés. Il nous faut reconstituer cette force ou périr. C’est aussi simple que cela.

Vous évoquez l’autre aspect du phénomène, à savoir la liquidation délibérée de notre force par la conception que nous nous sommes faite du droit ou de la justice, plus précisément par le sens que nous donnons aujourd’hui à la notion d’État de droit. Il ne s’agit plus simplement d’assurer l’impartialité et la régularité de l’action de l’État, de respecter la séparation des pouvoirs, de prévenir l’arbitraire… Il s’agit de prévenir tout abus en empêchant l’usage. Le régime représentatif dans lequel nous sommes supposés vivre encore a été largement privé de ses moyens de gouvernement par les hautes juridictions, non seulement européennes mais aussi et d’abord nationales. Toute décision du gouvernement motivée par le bien commun de la nation est a priori suspecte aujourd’hui. On craint qu’elle introduise une différence de traitement, une « discrimination », entre les citoyens français d’un côté, et les non-citoyens ou les hommes en général de l’autre. La jurisprudence du Conseil constitutionnel tend à résorber les droits du citoyen dans les droits de l’homme. Il ne faut pas s’étonner que la qualité de ses arguments laisse à désirer. Recouvrer la force perdue suppose d’abord de redonner ses droits à notre régime politique, le régime représentatif dans le cadre national, seul à même de joindre judicieusement le droit et la force.

Peut-être avons-nous besoin d’un ennemi – ou de la figure d’un ennemi – pour nous reconstituer en tant que communauté politique qui veut être maître de son destin ?

La vie politique est toujours une dialectique entre l’intérieur et l’extérieur. Nous sommes collectivement modelés par la manière dont notre mouvement intérieur rencontre le monde extérieur. Or, dans la mise en œuvre du projet européen, nous avons prétendu effacer la distinction entre l’intérieur et l’extérieur. D’un côté, nous nous projetons vers le « monde » non comme un « commun » qui a une « forme de vie » propre qu’il entend défendre, mais comme une proposition de « valeurs » destinées à effacer par leur simple « rayonnement » les divisions qui affectent l’humanité ; de l’autre et corrélativement, nous nous déclarons inconditionnellement ouverts au monde, offrant à tous les hommes l’hospitalité à laquelle ils ont droit en vertu de leur humanité. De quelque façon que l’on apprécie ces postulats, une chose est claire, ils interdisent toute formation d’un ensemble humain consistant. Quant à devenir « puissance », il n’y faut pas songer.

Je suis attaché autant qu’un autre à l’« universalisme européen », mais il n’y a pas d’accès immédiat à l’universel, on ne saurait vivre simplement « dans l’humanité ». La vie humaine réclame la formation d’associations particulières où les facultés humaines puissent se développer concrètement. On ne peut être authentiquement « ouvert au monde » que si l’on appartient d’abord à une communauté civique puissamment constituée, capable de produire et de transmettre une éducation commune riche et distincte.

Revenons-en à la situation géopolitique. Vous avez défini un objectif : retrouver une capacité d’action en tant que nation dans le cadre européen et en occupant sur le continent une place éminente parce que, tout de même, nous sommes la France. Qu’est-ce qui vous fait croire que ce sursaut adviendra ?

Je ne dis pas que ce sursaut adviendra, mais je veux croire qu’il est possible. Je mesure l’effet cumulé d’un demi-siècle de renoncements et d’abandons : la langue française, l’éducation primaire et secondaire, l’indépendance nationale, la transmission de la religion chrétienne… Quoi de plus démoralisant pour tout effort collectif que la maxime régnante : « mon désir, mon droit » ? Mais il y a toujours la « petite fille espérance », n’est-ce pas ? Sinon vous ne feriez pas Causeur ! N’oublions pas que nos adversaires ou rivaux ne sont guère brillants non plus. Sans parler de son régime et de la guerre cruelle qu’elle mène, la Russie se trouve dans un état social et moral lamentable. Quant aux États-Unis, je leur garde la gratitude que mérite leur contribution à la civilisation atlantique, leur démesure dangereuse et pourtant généreuse et finalement mesurée mais aujourd’hui, partagés entre la frénésie woke et la frénésie trumpiste, ils ne sont plus un objet d’admiration ou d’envie. Je pourrais évoquer d’autres parties du monde. Les présupposés de l’ordre d’après 1945 sont mis en cause, tout semble devenir liquide… Tout va donc dépendre de la manière dont les uns et les autres agiront. Qui sait ce que Trump fera demain ? Comment les choses vont évoluer sur le front ukrainien ? Je ne sais pas. Que va faire l’Allemagne ? Si on écoute le probable nouveau chancelier, Friedrich Merz, elle va faire le contraire de ce qu’elle a fait depuis vingt ans. J’en doute, mais je ne sais pas. En tout cas, nous Français, nous pouvons encore délibérer et décider, en tant que nation, de ce que nous voulons faire, si du moins nous nous rappelons que c’est là la raison d’être de la République et de sa Constitution. Un grand historien britannique pensait que le moteur de l’histoire était la dialectique entre le défi et la réponse au défi… Le défi est là, la réponse nous appartient.

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Comment cela peut-il se traduire concrètement ?

Quant à la force, nous pouvons obtenir des résultats significatifs si nous avons un peu de suite dans les idées. L’esprit de suite, la constance sont plus importants que les idées, car les idées tout le monde les a, ce sont à peu près les mêmes dans tous les pays. En France, renforcer la réserve opérationnelle et citoyenne, donner un contenu réel au SNU, mettre sur pied quelque chose comme la « garde nationale » de jadis, l’objectif est clair. Il s’agit à la fois de libérer l’armée proprement dite des tâches de simple surveillance et de nous mettre collectivement dans une certaine disposition active. Il y faut simplement un peu de sincérité et un peu de constance. Commençons par là.

On veut rétablir la conscription alors que les Français refusent majoritairement de travailler six mois de plus !

Appeler les Français à se mobiliser pour leur pays exposé à une menace « existentielle », tout en leur promettant de ne pas augmenter les impôts ni de toucher à leur modèle social, cela fait surgir le doute, voire le soupçon. Mais il est trop facile de recenser les raisons de dire « à quoi bon ? ». J’essaie d’être encourageant.

Une centaine de jeunes volontaires âgés de 15 à 17 ans participent à un séjour de cohésion du service national universel (SNU) à Douai, dans le Nord, juillet 2023 © Sarah ALCALAY/SIPA

La patrie a besoin de vous ! Cet emploi par le président de la République d’un terme aussi vertical a d’autant plus sidéré que ce discours va à l’encontre de tout ce qu’on nous dit depuis des décennies, notamment à l’École publique, où on nous apprend plutôt que c’est le pays qui a une dette envers nous. Comment opérer un renversement ?

Puisque la patrie a besoin de nous, c’est donc qu’elle existe et a besoin d’être défendue. Partons, ou repartons de là. Jean-Jacques Rousseau, qui déplorait en son temps l’effacement des nations dans une civilisation européenne gâtée par les jouissances et la vanité, appelait ses contemporains à retrouver le sens de la patrie. S’adressant aux Polonais opprimés par la Russie, il leur faisait remarquer qu’« il est naturellement dans tous les cœurs de grandes passions en réserve ». Avons-nous le désir de puiser dans ces « réserves » ? Sommes-nous sûrs d’ailleurs qu’elles existent ? Nous le saurons si nous essayons. Et vous avez raison, cet effort suppose un certain renversement du mouvement qui nous emporte depuis si longtemps. La classe éclairée s’était persuadée que l’avenir appartenait à ceux qui se laissent modeler par les flux – flux d’hommes, de marchandises, d’informations, etc. Nous découvrons la nécessité de nous rassembler, de nous resserrer, pour enfin à nouveau nous donner consistance. « Patriotes » ou « européistes », « nationalistes » ou « progressistes », nous savons ce qu’ils disent, mais nous ne savons pas, et ils ne savent pas, ce qu’ils feront. En deçà de l’effort de défense qui s’impose à tous, nous avons à conduire un effort de connaissance morale et pour ainsi dire intime, afin de nous informer de ce que nous sommes, voulons et pouvons – en somme, un examen de conscience en vue du commun, mais que chacun doit conduire pour lui-même. La jactance étant le vice et le fléau de tous les partis, le premier commandement est celui d’une certaine sobriété, non seulement de parole mais aussi de pensée.

Pourquoi la loi naturelle ?

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Culture et médias publics: il est temps d’en finir avec la propagande aux frais du contribuable

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Depuis Jack Lang, la confiscation de la culture par un clan politique (au mépris du pluralisme, de la liberté de création et de l’intérêt général) est un véritable scandale démocratique ! Alors que la société se fracture et que les opinions des citoyens français ont tendance à se polariser, il est urgent de faire respecter la neutralité.


Tous les gestes créatifs, du plus exigeant au plus populaire, ont contribué depuis des siècles à façonner notre culture, et donc la France elle-même. Les grandes œuvres de l’esprit, les chefs-d’œuvre du cinéma et de la musique, le patrimoine architectural, la langue, la mode, composent le ciment qui nous lie, depuis Rabelais jusqu’à Houellebecq en passant par François Truffaut ou Alain Bashung.

La grandeur d’un pays ne se mesure pas seulement à ses résultats économiques, mais aussi à la puissance de sa culture. Dans un domaine comme dans l’autre, les 50 nuances de social-étatisme qui dirigent la France depuis des décennies ont bridé et affaibli le pays. La soviétisation de la France, planifiée depuis Paris par une caste interchangeable, n’a pas épargné la culture. Rien n’échappe à la main de l’État démiurge, incapable sur l’insécurité ou l’immigration illégale, mais implacable pour « emmerder les Français » comme disait Pompidou, réduire nos libertés, régir nos vies dans le moindre détail, penser à notre place, et transformer la culture en outil de propagande. 

Nourrir une vision de gauche du monde

Depuis 1981 et le règne de Jack Lang rue de Valois, la culture publique est devenue une arme politique, et un monde en coupes réglées. Les 15 milliards € d’argent public dépensés chaque année (Etat plus collectivités) ne servent pas à rendre la culture accessible à tous, ni à élever les esprits, mais essentiellement à nourrir une vision progressiste du monde — inclusive, bien-pensante, loin du peuple, bref, de gauche —, et à rémunérer ceux qui jouent le jeu. « Une subvention contre une signature au bas d’un manifeste électoral », écrivait Michel Schneider dans son remarquable essai La comédie de la culture (1993), consacrée au Ministère et ses dérives.

En institutionnalisant la culture, en organisant sa bureaucratie, en professionnalisant les métiers, en nommant depuis la rue de Valois les directeurs des scènes nationales, des festivals, des musées, ou encore les responsables de l’audiovisuel public ou du cinéma, en récompensant les bons élèves à coups de subventions/récompenses, le camp du bien a posé les fondations solides d’un système à la botte de son idéologie. Depuis lors, jamais un ministre de la Culture, y compris de droite, n’a osé la moindre réforme, même modeste, visant à un soupçon de pluralisme. La gauche culturelle, prompte à hurler au fascisme dans les médias à la moindre incartade, fait peur. Dans ce microcosme militant, ivre de sa supériorité morale, l’entresoi est un art de vivre et la pensée unique règne en maître. Dans ce monde binaire biberonné aux subventions, de l’art contemporain au théâtre, du cinéma aux médias publics, l’univers est divisé en deux camps : d’un côté le « camp du bien » (eux), et de l’autre les Français qui pensent mal et qu’il s’agit de rééduquer (soit 90 % de la population, qui finance sans broncher cet entre-soi par l’impôt).

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Plus subtil et pervers que la censure directe, ce système conduit à l’autocensure des artistes. Discuter aujourd’hui « en off » avec des créateurs, fussent-ils dramaturges, scénaristes, chorégraphes, ou candidats à la direction d’une scène nationale, revient à entendre toujours le même discours résigné. Obtenir un poste ou une subvention contraint à se soumettre au dogme, à masquer ses opinions, et donc à s’autocensurer. Dans un monde régi par une idéologie politique allant de LFI à la gauche du PS, même les universalistes républicains de gauche vivent cachés…. Pas un projet sans moraline diversitaire n’est envisageable. Pas un dossier de subvention ou de candidature sans les mots et thèmes obligatoires de la culture institutionnelle : urgence climatique, vivre-ensemble, racisme systémique de la France, glorification des LGBTQI+, haine de la « laïcité islamophobe » (sic), haine du libéralisme, des riches, de la culture classique, des flics, et bien entendu du Blanc de plus de cinquante ans, à moins qu’il ne fût déconstruit et repentant.

Il faut fréquenter les festivals, visiter les FRAC, voir les expositions d’art contemporain, regarder attentivement ce que finance le CNC, ce qu’expose le Palais de Tokyo, ou le CV des artistes politisés logés à la Villa Médicis de Rome, etc…, pour mesurer l’ampleur de la mainmise de la gauche sur la culture institutionnelle. On constate une absence quasi totale de pluralisme. Idem sur les antennes de l’audiovisuel public, sous la tutelle du ministère de la Culture. A ce rythme, c’est le consentement à l’impôt de la majorité silencieuse, méprisée par la caste au pouvoir, qui sera bientôt en jeu.    

Renversement de paradigme

Imaginons un instant la situation inverse, pour mesurer la gravité de ce qui relève du détournement légal d’argent public à des fins politiques. Si un Jack Lang de droite avait fait exactement la même chose, si la culture publique était depuis des décennies entre les mains de petits marquis de droite, qui ne financeraient que des spectacles à la gloire de Jeanne d’Arc, la rénovation des églises, et censureraient toutes tentatives de spectacles jugés décadents, tout le monde serait à juste titre horrifié. Nous parlerions à raison de culture réactionnaire et de dérive totalitaire.

Dans tous les cas, la confiscation de la culture par un clan est un scandale démocratique, et un danger pour l’unité nationale. Paradoxalement, ceux qui participent à ce système se vivent en rempart vivant contre le totalitarisme. Ils oublient que l’élection de Trump aux Etats-Unis est moins une adhésion à son projet qu’une réaction épidermique de la majorité silencieuse contre les excès du progressisme woke, et le déni du réel glorifié par le show-biz et les médias mainstream. La gronde électorale des peuples en Europe et en France relève de la même mécanique infernale.

La cancel culture, tribunal de l’inquisition du wokisme, a placé le dernier clou du cercueil sur l’art et la création. L’art doit plus que jamais donner des leçons de gauche. « À quoi sert d’écrire si ce n’est pas pour dénoncer le racisme ? », écrit Édouard Louis, mètre étalon de l’époque. Plus rien ne doit offenser les minorités. Charles Bukowski ou Serge Gainsbourg pourraient-ils créer librement aujourd’hui ? Sans doute pas. Le tribunal de la bien-pensance veille au grain. Or on ne fait pas de l’art avec des bons sentiments. Les artistes ne sont pas des ONG. Pas de culture forte et puissante sans liberté d’expression, sans liberté de ton. Pas d’art dérangeant et révolutionnaire possible quand les corbeaux de la cancel culture reposent sur les épaules des créateurs, surveillant leur moindre écart. Martelons-le : pire encore que la censure, l’autocensure est la plus insupportable des contraintes qui pèsent sur les artistes. Combien de chefs-d’œuvre et d’idées formidables ont été tués dans l’œuf, ou affadis par leur créateur, par crainte des conséquences sociales et financières ?

Peu de politiques ont le courage d’oser s’attaquer publiquement aux Tables de la Loi gravées par Jack Lang. Mais les choses changent tant le camp du bien autoproclamé s’effondre dans les urnes, et tant sont antidémocratiques les dérives observées. David Lisnard signait récemmment dans Le Figaro une tribune contre le financement par l’argent du contribuable de spectacles hostiles aux valeurs républicaines[1]. Christelle Morançais, présidente du Conseil Régional des pays de la Loire, vient d’annoncer la fin de l’essentiel des subventions régionales automatiques à la culture, évoquant « le monopole intouchable d’associations très politisées, qui vivent d’argent public ». On peut critiquer cette décision radicale, mais la politisation de ces associations est un secret de Polichinelle. Une remise à plat du système s’impose pour en finir avec ses abus.    

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« ll fut un temps où la culture servait à ouvrir les yeux », regrette Alain Finkielkraut. Ceux qui la régentent lui demandent désormais d’avoir les yeux grands fermés sur la réalité du monde, de regarder les Français de haut, et d’assener des leçons de morale. La présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte, résume sa mission avec toute la candeur du camp du bien : «On essaie de représenter la France telle qu’on voudrait qu’elle soit». L’urgence n’est pas de fusionner France télé et Radio France, mais bel et bien de garantir le pluralisme dans les grilles des médias publics. La mission du service public est de financer des programmes exigeants, sans obligation d’audience, que le privé ne finance pas. La seule utilité d’un média public n’est pas de concurrencer Netflix ou de produire des jeux, mais de tirer les spectateurs vers le haut. Nous en sommes loin. Face à ces dérives, comment s’étonner que certains réclament la privatisation de l’audiovisuel public ? 

Minée de l’intérieur et victime d’un déclassement accéléré dans tous les domaines, la France a plus que jamais besoin d’une culture et d’un système éducatif forts. Et donc de financements à la hauteur des enjeux. Mais une réforme puissante et radicale est nécessaire pour libérer la culture institutionnelle de l’emprise politique. Nous ne voulons surtout pas une culture « de droite » pour remplacer une culture « de gauche », mais une réforme profonde garantissant la liberté d’expression, de création, et le pluralisme. La neutralité des services publics — dans la culture, dans les médias, à l’école, mais aussi dans la justice — est un impératif non négociable dans une démocratie digne de ce nom, n’en déplaise à la CGT spectacle ou au Syndicat de la Magistrature. Il est urgent de faire respecter la neutralité des services publics, et l’ensemble des Français qui les financent. Il y va de la survie de notre démocratie tant la société se fracture en deux camps radicalisés.

La vérrouillage de services publics (justice, culture, médias) et des institutions (Conseil d’État, Conseil Constitutionnel, Arcom) par un camp politique — qui de surcroit se gargarise en permanence de protéger l’État de droit —, devrait être au cœur de nos inquiétudes. Dans l’état actuel des choses, qui peut affirmer que la France est encore une démocratie exemplaire ?  

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[1] https://www.lefigaro.fr/vox/societe/l-argent-public-n-a-pas-a-financer-des-spectacles-hostiles-aux-valeurs-republicaines-20230421

Mort sur ordonnance

Éthique. Les débats sur la « fin de vie » reprennent ce mardi à l’Assemblée nationale. Le Premier ministre François Bayrou a scindé le texte initial en deux volets distincts. Les conservateurs soulignent que la légalisation de l’euthanasie constitue un enjeu de civilisation, marquant selon eux un basculement anthropologique majeur. Ils redoutent que la proposition de loi sur les soins palliatifs ne réponde pas suffisamment aux besoins réels du pays, tandis que celle relative à l’aide à mourir dépasserait largement les engagements pris par Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle. Le regard d’Elisabeth Lévy.


Alors que la loi sur l’euthanasie sera examinée à partir du 12 mai, j’écoute ceux qui doutent. La légèreté anthropologique de certains défenseurs de cette loi est effrayante. Planqués derrière quelques slogans comme « mourir dans la dignité », ils renvoient tout opposant dans les cordes de la réaction. Ils brandissent des cas personnels réellement bouleversants pour empêcher de réfléchir. Que répondre à quelqu’un qui implore la société de mettre fin à son calvaire ?

Je n’ai pas de religion concernant cette question. La mort doit peut-être échapper à la loi. C’est une question douloureuse, difficile, et qui ne devrait pas être une cause militante qu’on se jette à la tête. Sur Le Figaro TV[1], l’écrivain Michel Houellebecq parle d’une espèce d’arrogance progressiste qui revient à balayer toute la sagesse et les pensées antérieures. Voilà pourquoi il faut écouter ceux qui doutent plutôt que les marchands de certitudes. Houellebecq distingue l’euthanasie du suicide assisté où la société fournit le poison mais ne l’administre pas (Entre 1/3 et 50% des gens ne l’utilisent pas une fois qu’on leur a remis, d’ailleurs). Sa grande inquiétude, c’est que les malades et les vieux se sentent de trop. « Par des siècles de condition difficile, on a été dressé à l’impératif de ne pas être à charge. Mais ce n’est pas une envie de mourir. » 

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Houellebecq n’est pas un spécialiste du sujet, répliquera-t-on.

D’abord, toute personne qui réfléchit à notre civilisation peut être un spécialiste. Ensuite écoutons aussi les vrais spécialistes. Écoutons donc Théo Boer, professeur d’éthique aux Pays-Bas, pays pionnier dans le domaine, qui signait hier une tribune dans Le Monde[2] : « J’ai cru qu’un cadre rigoureux pouvait prévenir les dérives de l’euthanasie: je n’en suis plus si sûr ». Son texte m’a bouleversée. Tout le monde devrait le lire. Il n’y a pas d’idéologie. M. Boer part du réel. Que nous dit-il ? En 2024, son pays a enregistré une hausse de 10% des euthanasies. Désormais, cela représente près de 6% des décès en Hollande. Où on observe par ailleurs l’émergence de l’euthanasie à deux (108 décès en 2024). Pire : l’euthanasie pour troubles psychiatriques a augmenté de + 59 %. Souvenons-nous de cette jeune Belge de 18 ans, traumatisée par les attentats, qui avait obtenu le droit d’être tuée. Des patients physiquement en bonne santé, mais souffrant mentalement demandent et obtiennent donc désormais de mourir.

Le centriste Olivier Falorni est le rapporteur du texte qui sera débattu à l’Assemblée cette semaine © Jacques Witt/SIPA Numéro de reportage : 00906654_000020

Et cela continue. Car le Parlement hollandais examinera bientôt une loi accordant le suicide assisté à toute personne âgée de 74 ans, même bien-portante… En somme : vous avez fait votre temps, on vous débranche ! Cela commence à faire peur. Bien sûr, il faut prendre en compte la souffrance des malades en phase terminale. Le développement des soins palliatifs est donc fondamental. Mais l’extension permanente du domaine de la mort assistée crée un risque que les malades ressentent une pression pour en finir. Il s’agit d’inscrire dans la loi le droit, voire le devoir de tuer. On a le droit voire le devoir de douter.


Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Sud Radio au micro de Jean-Jacques Bourdin


[1] https://www.lefigaro.fr/vox/societe/il-n-y-a-aucun-besoin-d-etre-un-catho-reac-pour-etre-contre-l-euthanasie-michel-houellebecq-debat-de-la-fin-de-vie-au-figaro-20250406

[2] https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/04/07/theo-boer-professeur-d-ethique-neerlandais-j-ai-cru-qu-un-cadre-rigoureux-pouvait-prevenir-les-derives-de-l-euthanasie-je-n-en-suis-plus-si-sur_6592197_3232.html

Armement: les recettes carnivores

Pour retrouver une industrie de défense digne de ce nom, l’Europe aurait tout intérêt à prendre exemple sur la Russie, la Chine et les États-Unis.


Le 4 mars, Ursula von der Leyen a annoncé le lancement du plan « Readiness 2030/ReArm Europe », destiné à doper l’économie de défense du Vieux Continent. Derrière les belles formules et un budget de pas moins de 800 milliards d’euros sur cinq ans, une question se pose : le volontarisme financier suffit-il à relancer une dynamique industrielle ?

Changement d’échelle

Fabriquer des blindés, des missiles et des munitions exige des matières premières (acier, titane, tungstène, terres rares, etc.) ainsi que des produits semi-finis (tels que les semi-conducteurs), dont nous maîtrisons peu ou mal l’approvisionnement. Et lorsque ces intrants sont disponibles, encore faut-il que l’énergie soit accessible à un prix compétitif. À cet égard, EDF, bien qu’entreprise d’État, ne joue pas convenablement son rôle, comme l’a pointé Roland Lescure, ancien ministre de l’Industrie (2022-2024), le 13 mars dans L’Usine nouvelle.

À lire aussi : Nous avons épuisé les dividendes de notre puissance

Enfin et surtout, il ne suffit pas de décréter l’augmentation des cadences de production. Il faut ouvrir de nouvelles usines, former, recruter. Aujourd’hui, le principal goulot d’étranglement réside dans le manque de sites industriels, mais aussi d’ouvriers spécialisés et d’ingénieurs, dont la formation demande des années. Sans main-d’œuvre qualifiée, impossible de changer d’échelle.

Comme d’autres pays, il faut être prêt !

Comment surmonter tant d’obstacles ? Même s’ils sont loin d’apporter toutes les réponses, trois cas d’école méritent d’être passés en revue : la Russie, la Chine et les États-Unis.

Depuis qu’elle a envahi l’Ukraine en 2022, la Russie est passée en économie de guerre. Mais son appareil productif est resté sensiblement le même. Seulement, ses priorités ont été réorientées vers le militaire. Par exemple, des usines de wagons assemblent désormais des chars. Les chaînes tournent en 24/7, avec un renforcement massif des effectifs. Contrairement aux idées reçues, Vladimir Poutine n’a pas sacrifié son industrie, il l’a simplement adaptée à ses nouvelles exigences.

La Chine, elle, n’est pas en guerre, mais son économie est structurée pour pouvoir basculer en quelques semaines. Les grandes usines du pays conservent des capacités de production duales, qui permettent de passer du civil au militaire à tout moment. Les fabricants de semi-conducteurs sont en outre contraints de garder des stocks importants pour l’armée. Contrairement à la France, dont les dirigeants commencent à réfléchir une fois le conflit commencé, la Chine a déjà intégré la logique martiale dans son organisation économique.

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Les États-Unis, enfin, préparent également leur industrie à une éventuelle guerre prolongée. Ils sont en train de relocaliser la production d’acier et de semi-conducteurs, tandis que la « Bipartisan Infrastructure Law », votée en 2021 sous Joe Biden, a pour objet de moderniser les grands axes routiers stratégiques reliant les bases militaires. Depuis l’élection de Donald Trump, le gouvernement prévoit en outre des coupes dans les pensions des soldats retraités afin de libérer des fonds servant à subventionner l’industrie de l’armement.

Face à ces trois puissances qui se comportent comme des « carnivores » (pour reprendre la formule d’Emmanuel Macron), il ne suffit pas que l’herbivore européen proclame qu’il va désormais manger de la viande. Il faut également qu’il aiguise ses dents.

La poésie en plein essor

À l’occasion du Printemps des Poètes, Jean-Yves Reuzeau publie l’anthologie Esprit de Résistance qui réunit 118 poètes d’aujourd’hui. Avec 7% de progression pour l’année 2024 et 1,6 million d’exemplaires vendus, le genre connaît la plus belle progression de l’édition. Il a répondu à nos questions.


Alors que l’édition 2025 du Printemps des Poètes se termine, nous avons rencontré Jean-Yves Reuzeau, éditeur, écrivain et poète, qui vient de sortir Esprit de Résistance, l’année poétique : 118 poètes d’aujourd’hui, aux éditions Seghers. « L’Année poétique propose un rendez-vous annuel aux passionnés de poésie », expliquent ces dernières en quatrième de couverture de l’ouvrage. « (…) Des poètes consacrés et de nouvelles voix qui viennent de France, de Belgique, du Luxembourg, du Québec ou de Suisse, ou encore de Guinée, d’Haïti, du Liban, du Maroc, de Roumanie ou de Djibouti, pour ceux qui ont choisi d’écrire en français. (…) Tous résistent aux convenances et aux discours dominants, à l’impérialisme du sens, à une ère de cynisme et de médiocrité sublimée, pour s’insurger contre l’état du monde. »


Volcanique

Causeur. Que représente pour vous le Printemps des poètes ?

Jean-Yves Reuzeau : Le Printemps des Poètes est une manifestation nationale et internationale qui a fêté ses 25 ans d’activité. Celle-ci permet une large sensibilisation à la poésie sous toutes ses formes non seulement pendant quinze jours mais aussi durant toute l’année. Son rôle est très important pour éveiller l’intérêt des plus jeunes et élargir le public concerné et rajeuni. Il faut se rendre compte que plus de 18 000 manifestations sont programmées en 2025. Et que plusieurs millions de personnes sont mises en face d’un poème à cette occasion. Le thème choisi cette année par le Printemps des Poètes, « volcanique », souligne la vitalité étonnante de ce genre littéraire, principalement depuis la crise du Covid.

Quel rôle avez-vous joué au sein de ce Printemps des poètes au fil des ans et des éditions ?

Depuis sept ans, à la demande du Printemps des Poètes, je publie à cette occasion une importante anthologie de poésie francophone contemporaine. Ces livres présentent des textes inédits d’une centaine d’auteurs en pleine activité créatrice. Cette année, cette anthologie est éditée par les éditions Seghers qui ont souhaité donner une nouvelle vie à leur mythique collection « L’Année poétique ». Avec pour titre Esprit de résistance. Pour l’occasion, j’ai organisé une quinzaine de rencontres-lectures dans des librairies, des théâtres ou d’autres lieux. À Paris, Montpellier, Montréal, Marseille, Genève, etc. Souvent devant un public nombreux et enthousiaste.

Pouvez-vous nous présenter cette anthologie Esprit de résistance ?

Ce livre volumineux (400 pages) a pour ambition d’offrir un large panorama de la création poétique dans la francophonie, mais aussi à travers le monde. Tous les textes sont inédits et écrits pour l’occasion. Ils doivent être écrits par des auteurs qui ont parfois choisi d’écrire en français. Certains viennent du Liban, de Roumanie, de Guinée, de Djibouti ou d’Haïti. Chaque génération est représentée à part quasiment égale. Sans oublier la présence des grands noms qui nous ont quittés en une année particulièrement cruelle : Guy Goffette, Charles Juliet, Annie Le Brun, Jacques Réda ou Jacques Roubaud. Une trentaine de pages de notes biographiques permettent aux lecteurs de partir à la découverte de l’œuvre des auteurs qui les auront le plus marqués. Une anthologie doit avant tout être un espace de découvertes.

« Poètes, vos papiers ! »

Parmi ces 118 poètes, pourriez-vous nous parler de quatre ou cinq qui vous ont marqué vous-même, étonné, interpellé ? Et pourquoi ?

Pour un anthologiste, le plus excitant reste sans doute de révéler de nouvelles voix. Pour cette année, les plus remarquées sont notamment celles de Sara Bourre, Julia Lepère, Julie Nakache, Noah Truong ou Pauline Picot dont un poème de huit vers a particulièrement marqué les esprits. Ces poèmes parlent du quotidien, des menaces de notre temps, mais aussi d’espoir et d’ouverture, de brûlure du langage et de folie passionnément.

Esprit de résistance. Résister contre qui, contre quoi ? Il y a un côté engagé, rebelle dans cette expression. Selon vous, la poésie doit-elle être engagée ? Ne peut-elle pas être désengagée, sensuelle, douce, apaisée ?

Esprit de résistance : thème choisi en pensant à Pierre Seghers, créateur de la fameuse collection « Poètes d’aujourd’hui » et en lutte sa vie durant, mais aussi en réaction face à une époque particulièrement chaotique et menaçante. Résistance contre l’intolérance ambiante et face aux mensonges et trahisons qui rongent nos sociétés de façon accélérée. Guerres réelles, économiques ou idéologiques. De toute façon, la poésie reste acte de résistance en elle-même, par ses audaces textuelles et ses tentatives de réparer le réel. Elle résiste aux convenances, aux discours dominants.

Couture, Arthur H., Marie Modiano ; il y a quelques chanteurs et chanteuses parmi les 118. Pourquoi ?

Plusieurs chanteurs et chanteuses participent à cette anthologie : CharlÉlie Couture, Arthur H, Arthur Teboul, Marie Modiano, Clara Ysé… Certains écrivains ou lecteurs du genre tentent comme toujours de renier le statut de poète à ceux ou celles qui portent les mots en musique. Sans doute vexés ou frustrés par un succès médiatique ou commercial qui leur fait défaut… « Poètes vos papiers ! » hurlait ainsi Léo Ferré, pour faire justement se pâmer les précieux à l’arrêt…

L’édition se méfie-t-elle un peu moins de la poésie, dite peu vendeuse ?

L’édition a bien sûr remarqué, depuis la période pandémie, que le secteur de la poésie connaissait un essor conséquent. La poésie est d’ailleurs un des très rares domaines en croissance, avec 7 % de progression pour l’année 2024 selon l’institut d’étude de marché GfK. Pour 1,6 million d’exemplaires vendus. La poésie a toujours progressé en temps de crise et le nouveau dérèglement international risque de renforcer cette tendance. Des collections se créent (notamment de poche) chez les éditeurs traditionnels comme chez les indépendants. Les librairies agrandissent leurs rayons spécifiques, exposent ces livres en vitrine. Les tirages augmentent. Les thématiques se cristallisent souvent sur les préoccupations de l’époque (féminisme, animalisme, éco-anxiété, état de guerre permanent, phénomènes migratoires, présence invasive de l’intelligence artificielle, etc.) Les lectures publiques rencontrent un succès croissant. Remy de Gourmont l’affirmait avec provocation dès 1892 : « Il n’y a qu’un seul genre en littérature : le poème. »

Esprit de Résistance, L’année poétique : 118 poètes d’aujourd’hui, Jean-Yves Reuzeau ; éd. Seghers ; 386 p.

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Résurrection du loup sinistre: Dé-Extinction Rébellion!

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La société de « dé-extinction » Colossal Biosciences a annoncé la naissance en bonne santé d'animaux issus de sa dernière tentative de ramener des animaux préhistoriques d’entre les morts : des loups géants ou « loups terribles ». Dallas, 7 avril 2025 © Colossal Inc./Cover Images/SIPA

Résurrection d’espèces éteintes. L’annonce spectaculaire de l’entreprise américaine Colossal Biosciences soulève des questions éthiques assez vertigineuses. Analyse.


Il n’y a pas de moment plus propice pour parler de résurrection que la Semaine sainte, et c’est peut-être pour cette raison que Colossal, une entreprise pionnière dans le domaine de la bio-ingénierie, a récemment fait une annonce spectaculaire qui a captivé l’imagination du public : le retour du loup sinistre (Canis dirus), une espèce disparue depuis 10 000 ans ! Trois spécimens, nommés Remus, Romulus et Khaleesi (ce dernier, dont le nom est issu de la série télévisée et littéraire « Game of Thrones », n’a pas encore été présenté au public), ont vu le jour grâce à ce projet à la fois surprenant et prévisible.

Une projet secret ayant abouti l’automne dernier

La surprise réside dans le secret qui a entouré cette entreprise, prenant de court de nombreux experts, ainsi que dans le choix de l’espèce « ressuscitée », le loup sinistre, qui ne figurait pas parmi les candidats en tête pour la dé-extinction. En même temps, ce résultat semble prévisible — ou plutôt inévitable — tant il découle de la convergence entre les principes de la conservation et les avancées de la biotechnologie.

Les concepts de conservation regroupent un ensemble de principes et de stratégies destinés à préserver la biodiversité, les écosystèmes et les ressources naturelles de la planète. Ils recouvrent des approches variées, allant de la protection des espèces menacées et de leurs habitats à la restauration des milieux dégradés, tout en intégrant la promotion de pratiques durables dans l’usage des ressources. Plus récemment, grâce aux avancées scientifiques et technologiques, un champ nouveau est venu enrichir cette réflexion : la dé-extinction. L’objectif global de ces démarches est de renforcer la santé et la résilience de la biosphère, dans l’espoir d’assurer un avenir durable à l’ensemble des formes de vie, y compris l’humanité.

C’est trop injuste !

Les principes de conservation soulèvent néanmoins des questions épineuses quant à leur application et à leurs implications. L’un des écueils majeurs réside dans la définition et l’évaluation de la valeur écologique. Déterminer objectivement l’importance d’une espèce ou d’un écosystème demeure une tâche complexe, souvent teintée de subjectivité. Les critères employés — qu’ils soient économiques, esthétiques ou éthiques — varient considérablement, menant parfois à des décisions contestables et souvent contestées : c’est le cas de la réintroduction des loups et des ours en France. De surcroît, la focalisation sur certaines espèces ou certains milieux peut se faire au détriment d’autres, créant des déséquilibres et des formes d’injustice écologique.

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La restauration des habitats comporte également ses inconvénients. Les projets dans ce domaine sont souvent coûteux et complexes, nécessitant une expertise technique pointue ainsi que d’importantes ressources. Cette tâche se heurte à la complexité des interactions écologiques. Comprendre et anticiper les effets des interventions sur les chaînes alimentaires, les relations de symbiose ou les interdépendances naturelles représente un défi majeur. De plus, le succès de ces entreprises n’est jamais garanti, car elles peuvent être compromises par des facteurs imprévisibles, tels que les changements climatiques ou les invasions biologiques. Il convient aussi de souligner que restaurer un habitat ne signifie pas nécessairement revenir à un état originel, mais implique plutôt la création d’un nouvel équilibre écologique, potentiellement différent de celui qui prévalait autrefois.

La durabilité, bien que largement promue, demeure un concept souvent flou et sujet à interprétation. Sa mise en œuvre se heurte à des obstacles économiques, sociaux et politiques significatifs. Les intérêts à court terme, qu’ils soient industriels ou gouvernementaux, prennent fréquemment le pas sur les objectifs de durabilité à long terme, engendrant des compromis qui nuisent à la protection de l’environnement. En outre, la définition même de la durabilité varie selon les acteurs et les contextes, ce qui complique l’élaboration de politiques cohérentes et efficaces.

Enthousiasme médiatique, doutes scientifiques

Enfin, la dé-extinction, malgré l’enthousiasme qu’elle suscite dans les médias, soulève des interrogations éthiques et écologiques fondamentales. Ramener à la vie des espèces disparues pose des problèmes liés au bien-être animal, à la gestion des populations et aux risques pour les écosystèmes actuels. Par ailleurs, cette démarche pourrait détourner l’attention et les ressources de la conservation des espèces menacées, dont la protection constitue une priorité plus immédiate. Comme le rappelle l’exemple du bucardo, un chevreau cloné qui n’a survécu que quelques minutes après sa naissance, ce qui illustre bien les défis techniques et moraux que soulève cette approche.

Retournons à nos loups. Le retour des « terrifiants » créés par Colossal soulève dès lors des questions complexes, à commencer par celle de leur authenticité : sont-ils véritablement les répliques exactes de leurs ancêtres disparus ? En réalité, ces créatures issues de la biotechnologie ne sont pas des clones au sens strict, mais des recréations génétiquement modifiées, conçues à partir de l’ADN d’espèces proches et de fragments extraits de spécimens fossiles. Leur apparence et certains traits comportementaux peuvent rappeler ceux des loups préhistoriques, mais il ne s’agit pas d’une résurrection fidèle : leur génome comporte nécessairement des zones d’incertitude, voire des éléments d’innovation. Ces loups, aussi impressionnants soient-ils, résultent donc d’une reconstruction partielle où la science comble les lacunes par des choix technologiques. Ils ne peuvent ainsi être considérés comme de parfaits clones, mais plutôt comme des hybrides, à la croisée du passé reconstitué et du présent reconfiguré.

Dans le cas précis des loups terrifiants, Colossal a procédé en combinant des techniques avancées de génie génétique, notamment l’édition du génome à l’aide du célèbre outil CRISPR-Cas9, avec des cellules d’espèces proches encore vivantes, comme le loup gris ou le chien. En insérant dans leur ADN des fragments d’anciennes séquences génétiques extraites de fossiles, l’entreprise a conçu un organisme hybride reproduisant certaines caractéristiques physiques et comportementales des loups disparus. Il ne s’agit donc pas d’un clone parfait, mais d’une recréation partielle, issue d’une reconstruction génétique ciblée. La réussite de ce projet a été rendue possible par l’édition génétique de l’ADN du loup gris, incluant vingt modifications ciblées sur quatorze gènes. Des chiennes domestiques ont été utilisées comme mères porteuses pour mener à bien ces gestations inédites.

Ainsi, la réintroduction de ces loups à peu près « terrifiants » soulève une interrogation essentielle : ne risquons-nous pas de créer des monstres ? C’est effectivement toute l’ambivalence des biotechnologies : une prouesse scientifique porteuse d’espoirs écologiques, mais aussi de risques profonds. Les hybrides génétiques, mélange d’ADN fossile et moderne, ne sont pas des clones fidèles et leur viabilité à long terme reste incertaine, tout comme leur comportement dans des écosystèmes qu’ils n’ont jamais connus.

Si les « ciseaux génétiques » permettent des modifications ciblées, ils génèrent des altérations imprévues, mutations silencieuses ou effets hors cible, pouvant déclencher des cancers ou des déséquilibres métaboliques. La réparation cellulaire, souvent approximative, ajoute une couche de risques.

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Introduire une espèce hybride dans la nature revient à jouer aux apprentis sorciers. Ces organismes pourraient supplanter des prédateurs locaux, perturber les chaînes alimentaires ou transmettre des gènes anciens à des populations sauvages, menaçant la biodiversité qu’ils devaient enrichir.

On peut donc poser une autre question : vus les risques, cette résurrection ou réintroduction répond-elle à un impératif écologique ou s’agit-il surtout d’une démonstration de puissance technologique ?

Jusqu’à présent, les experts en conservation ont soutenu la dé-extinction lorsqu’elle visait à restaurer des équilibres écologiques perturbés, en réintroduisant notamment des espèces clés capables de revitaliser des habitats dégradés ou de réactiver des dynamiques naturelles. Ces choix s’appuyaient sur une évaluation rigoureuse des bénéfices attendus pour les écosystèmes. Dans le cas de Colossal, cependant, la communication semble privilégier l’exploit scientifique, mettant en avant la prouesse génétique plutôt que les bénéfices concrets pour la biodiversité. Cette orientation risque de transformer profondément la finalité de la conservation, en l’éloignant de ses objectifs écologiques pour en faire une vitrine de l’innovation technologique. La question n’est donc plus seulement de savoir si l’on peut ressusciter une espèce disparue, mais de comprendre pourquoi, et dans quel but, on choisit de le faire.

Il sera intéressant d’observer comment le monde de la conservation réagira à ce changement de paradigme, et si la logique qui sous-tend la dé-extinction évoluera. En attendant, les réactions à cette annonce sont diverses. Le ministre américain de l’Intérieur et Joe Rogan ont salué l’initiative, tandis que le compte Twitter de l’entreprise débat publiquement avec des journalistes sur la nature exacte de ce loup.

Profitant de l’engouement médiatique, l’entreprise a dévoilé ses ambitions futures, notamment le retour du mammouth laineux d’ici 2028, ainsi que celui du loup de Tasmanie. D’autres espèces emblématiques, telles que le dodo ou le pigeon voyageur noble, figurent également sur la liste des projets envisagés.

Le projet de réintroduction du loup de Tasmanie suit une approche similaire, reposant sur le clonage à partir de cellules prélevées sur un spécimen conservé dans un musée. Le pigeon voyageur noble, disparu en 1914 après une chasse massive, représente un autre défi, notamment du fait de la complexité que représente le clonage d’oiseaux, qui nécessite des manipulations génétiques particulièrement délicates. Quant au mammouth, l’idée consiste à modifier le génome de l’éléphant d’Asie pour créer un équivalent capable de survivre dans le climat sibérien.

L’idée serait de réintroduire cet éléphant-mammouth hybride dans le Parc du Pléistocène en Sibérie, un projet initié par l’écologiste Sergueï Zimov et son fils Nikita visant à restaurer un écosystème de steppe datant d’environ 12 000 ans. Cet environnement reconstitué pourrait non seulement offrir un habitat adapté au mammouth, mais aussi contribuer à limiter le changement climatique : en stabilisant le pergélisol, il réduirait les émissions de gaz à effet de serre libérés par son dégel, qui s’accélère dans la région. Cependant, le conflit en Ukraine a ralenti les avancées, plusieurs partenaires internationaux ayant suspendu leur collaboration avec le parc de Zimov.

D’autres initiatives de dé-extinction sont en cours, bien qu’à un stade moins avancé. L’aurochs européen et le quagga, une sous-espèce de zèbre, font l’objet d’expérimentations de reproduction sélective.

Jurassik Park ? Pas pour tout de suite

Aujourd’hui, le loup sinistre devance tous ces projets, marquant une étape décisive dans le domaine de la dé-extinction. Si cette discipline fascine autant qu’elle inquiète, une espèce semble écartée des tentatives : les dinosaures. Ils ne figurent pas sur les listes, bien que certains évoquent la possibilité de modifier génétiquement des oiseaux actuels, comme l’autruche, pour créer des créatures inspirées des dinosaures. Jusqu’ici rejetée au nom de la restauration des écosystèmes, cette idée pourrait être réévaluée au fur et à mesure que la technologie progresse et devient plus accessible.

Avec ce coup de communication et de technologie, Colossal, dirigée par Ben Lamm et le généticien George Church, s’impose aujourd’hui comme un acteur central dans ce domaine. Son modèle économique, fondé sur la propriété intellectuelle et, potentiellement, le tourisme, soulève des interrogations sur la nature de ses motivations et sur la place réelle accordée à la conservation, bref la question se pose s’il ne s’agit pas d’un loup de Wall Street. L’entreprise, financée par des fonds privés, devra désormais naviguer entre les espoirs nés de ses avancées scientifiques et les inquiétudes suscitées par leurs implications éthiques et écologiques.

Viva la muerte !

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Nice, mars 2025 © SYSPEO/SIPA

Euthanasie, IVG, ZFE… Y’a de la joie…


Il n’est pas nécessaire d’aller chercher bien loin les signes de la décadence vertigineuse de notre société. Il suffit de se reporter aux sujets sur lesquels elle entend réformer, légiférer en priorité. Et l’on a alors vite fait de constater que c’est à une société gangrénée par le morbide, fascinée par la mort que nous avons affaire.

Dans ce registre, elle a commencé par vouloir à tout prix inscrire dans la constitution le droit à l’avortement, pratique qui n’est autre que la mise à mort d’un être vivant, le fœtus. Mise à mort possible désormais à un stade de l’évolution de cet humain en devenir où, pour le supprimer, il faut en passer par l’acte symboliquement barbare entre tous, broyer le crâne, le cerveau.

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Et voilà qu’il s’agit à présent de faciliter le passage volontaire de vie à trépas, l’euthanasie, le suicide assisté. Faciliter en effet, parce que à lire le projet de loi, il semble bien que, si ce projet devait être voté en l’état, ce qu’à Dieu ne plaise, il deviendrait plus aisé de se faire expédier ad patres que de dénicher un médecin traitant en province. Un comble.

Fascination du morbide, en effet, que cette intention législative dont le résultat, si elle entrait en vigueur, ne ferait qu’ajouter un tourment à ceux qu’endurent déjà le malade. Le tourment de la culpabilisation de désirer vivre encore un peu. Le tourment de devoir se poser la question : stop ou encore ? Car le problème sera bien celui-là. S’entêter à demeurer en ce bas monde risquerait fort de devenir une sorte d’incongruité, une faute sociale, une lubie de mauvais citoyen, la norme progressiste en ce domaine étant de ne pas encombrer le plancher dès lors qu’on n’y serait plus convenablement alerte, dans un état conforme aux critères de vitalité prévus par les manuels.

Courage fuyons ! voilà la règle nouvelle. La société se découvrant incapable d’accompagner avec décence et dignité la vie jusque dans la faiblesse des derniers moments, capitule en rase campagne et se dote des moyens de précipiter l’issue. Aveu de terrifiante impuissance ! Mais qu’importe ! On n’est pas à un renoncement près. Et puis, mon bon monsieur, les retraites – ainsi d’ailleurs que les soins longue durée – coûtent si cher qu’abréger autant qu’on peut les vies improductives n’est pas loin de devenir un impératif économique.

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Et puis, il y a les petites morts, sociales celles-là. Les gueux exclus de ZFE, par exemple. Ce n’est pas la mise à mort, seulement l’envoi en purgatoire. L’interdiction de pénétrer dans le saint des saints, là où règne l’entre-soi de ceux qui ont de quoi. De quoi rouler propre. Les autres, ceux qui ne disposent d’autre moyen de déplacement que leur bagnole époumonée, qu’ils crèvent donc ! D’ailleurs, la ministre l’a dit. Les précaires n’ont pas d’auto. En fieffée technocrate qu’elle est, elle se trompe lourdement. Le précaire, notamment en campagne, n’a même que cela pour vivre encore, aller au pain, se rendre chez le lointain médecin, etc. Il n’a plus que sa bagnole trentenaire si ce n’est quadragénaire, en effet.  Et qui, avec cette belle trouvaille, ne sera même plus autorisée à le conduire en cas de besoin jusqu’au grand hôpital urbain. Mais quelle importance ! Le progressisme veille, qui ne résistera guère sans doute à proposer une solution particulièrement intelligente. Faisant d’une pierre deux coups, l’auto moribonde et le quidam qui ne l’est pas moins, oui, les deux ensemble à la casse.

Bien triste vision de l’avenir, bien sinistre conception de la vie qu’illustrent de telles priorités politiques ! Ce seraient les ultimes soubresauts d’une société désespérée d’elle-même que l’on ne s’en étonnerait guère.

LES TÊTES MOLLES - HONTE ET RUINE DE LA FRANCE

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Où il sera beaucoup question de l’Algérie mais pas que…

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L’Algérie et ses OQTF nous préoccupent depuis des semaines. Mais l’actualité a aussi été marquée par le retour des retraites dans le débat public et celui des gens du voyage à Béziers, ainsi que celui de… La Belle et la Bête.


Ramadan

En plein bras de fer avec l’Algérie, on apprend que le gouvernement français vient d’accorder des visas à des « récitateurs » algériens du Coran durant la période du ramadan. Alors qu’Alger refuse d’admettre sur son sol ses ressortissants que la France souhaite expulser – on est juste après l’attentat de Mulhouse, où l’Algérie a refusé de reprendre Brahim A. « à dix reprises », d’après Bruno Retailleau. Alors que l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal – âgé de 80 ans et atteint d’un cancer – croupit toujours en prison depuis plus de quatre mois… Malgré les explications du ministre de l’Intérieur – « entraver la liberté de culte reviendrait à donner raison aux extrémistes […], à désespérer les patriotes musulmans sincères » –, l’effet est désastreux. Et le Rassemblement national se réjouit d’avoir enfin un angle d’attaque contre Bruno Retailleau…

OQTF (suite)

Madame Eva Marty, la fiancée de l’OQTF que Robert Ménard a refusé de marier en juillet 2023, a convoqué une conférence de presse le 4 mars. Elle souhaitait revenir sur son audition par les services de l’état civil de la ville de Béziers le matin même. Eva Marty ayant engagé une procédure pour se marier en Algérie, le consulat de France à Oran a demandé à la mairie de Béziers de procéder à un nouvel entretien, ce qui est la procédure normale. On se souviendra que la jeune fiancée n’avait cessé de se plaindre de la médiatisation faite autour de cette affaire : visiblement, elle en a trouvé les bons côtés puisque c’est elle à présent qui convoque la presse… On apprendra à cette occasion par la bouche de son avocate que le mariage ne pourra pas être prononcé par les autorités algériennes car… la future mariée n’y est pas en règle !

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Conclave

Quelle erreur ! Quelle faute ! Je ne comprends pas François Bayrou. J’entends toutes les raisons liées à la situation internationale qui nous obligent à faire des efforts, et donc, au choix, payer plus ou travailler davantage. Mais quelle mouche l’a donc piqué de déclarer, en plein conclave des retraites, qu’il n’était pas question de revenir à un âge de départ à la retraite à 62 ans ? Pourquoi donc ne pas laisser patrons et syndicats discuter jusqu’au bout ? Avec une toute petite chance qu’ils trouvent une solution économiquement viable – ce serait une belle surprise. Ou au contraire, que le conclave finisse par un constat d’échec dont le Premier ministre n’aurait pas été jugé responsable. Bref, lui qui ne dit jamais grand-chose a ici loupé une belle occasion de se taire.

OQTF (encore !)

Vendredi 14 mars. Le tribunal administratif de Montpellier a rendu sa décision concernant la demande d’annulation de l’expulsion de Mustapha, le fiancé sous OQTF d’Eva… Demande rejetée.

Contes de fées

Après les polémiques à répétition autour du film Blanche-Neige – pas si blanche que ça et sans les sept nains –, c’est au tour de La Belle et la Bête de faire scandale. Élisabeth Borne vient en effet d’annuler la commande destinée aux CM2 d’une version revisitée du conte, jugée « trop adulte ». Son dessinateur Jul crie à la « censure intempestive » et se demande si « le “grand remplacement” des princesses blondes par des jeunes filles méditerranéennes serait la limite à ne pas franchir pour l’administration versaillaise du ministère ». On apprend que la version modernisée met notamment en scène un père alcoolique qui chante du… Michel Sardou ! L’horreur, non ? Mais somme toute pas très original. Quitte à faire encore plus caricatural, on suggère à l’auteur – pour sa prochaine réécriture – de lui faire fredonner du Jean-Pax Méfret !

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Dimanche ordinaire

Dimanche 16 mars à 14 heures, je suis appelée pour intervenir auprès d’un convoi de gens du voyage qui ont décidé d’élire domicile sur le parking de notre stade de rugby, en forçant les grilles, cela va de soi… Après une bonne heure de discussion – durant laquelle j’essaie de trouver une solution de repli puisqu’il est hors de question qu’ils restent sur ce parking –, je tente de joindre le service de « médiation départementale », chargé de gérer ce genre de situation. Problème, on m’informe qu’ils ne travaillent pas le week-end. Pendant ce temps, j’ai le droit aux gesticulations habituelles – l’un hurle, l’autre pleure, pendant qu’un troisième fait semblant de les calmer. Ouf, le maire d’une commune proche accepte d’ouvrir son aire de passage avec quelques semaines d’avance. Tout ce petit monde s’en va dans le calme et en souriant. Il ne nous reste plus qu’à changer le cadenas…

Manifestation contre le racisme… et l’antisémitisme ?

Ce 22 mars a eu lieu un peu partout en France une marche contre – au choix – le racisme, l’antisémitisme, le fascisme, l’extrême droite. On pouvait d’ailleurs lire sur une des pancartes brandies à Paris : « Face au racisme et à l’antisémitisme, submersion antiraciste ». Quand on sait que La France insoumise notamment était à l’origine de cette manifestation, il y a de quoi s’étrangler. C’est bien ce parti d’extrême gauche qui, depuis des mois, des années maintenant, « joue » avec l’antisémitisme en vue d’un électoralisme effréné. C’est bien LFI aussi qui, pour appeler à cette marche, a publié une affiche représentant le visage démoniaque de Cyril Hanouna, dans la droite ligne des caricatures antisémites des années 1930. On attend toujours les excuses de J.-L. Mélenchon…

Élisabeth Badinter, peu suspecte d’accointances avec la droite dénoncée ici, dit d’ailleurs de LFI qu’elle est « farouchement antisémite ». À Béziers, on a eu le droit à l’inévitable « Béziers mérite mieux qu’un maire fasciste ». Vous avez dit caricature ?

Prise de conscience

On apprend en cette fin de mois de mars, dans une interview de Gérald Darmanin au JDD, que « les détenus étrangers représentent 24,5 % de la population carcérale » (alors que les étrangers ne représentent que 8,2 % de la population totale – chiffres Insee) et que « les étrangers doivent purger leur peine dans leur pays ». Le 12 décembre 2023, alors députée, je questionnais – ce n’était pas la première fois ! – le ministre de la Justice (alors Éric Dupont-Moretti) sur le nombre important de personnes étrangères détenues dans les prisons françaises. Je proposais, « afin de désengorger les prisons, de les rendre plus vivables et de ne plus faire peser le poids financier de l’incarcération des étrangers sur les Français, […] que les personnes de nationalité étrangère ayant été condamnées sur le sol français puissent purger leur peine de prison dans leur pays d’origine. » On dirait bien que Monsieur Darmanin a réfléchi à ma proposition…

Beauté italienne

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© Paname distribution

Dans Vermiglio, Maura Delpero capte avec délicatesse la fin d’un monde rural pris dans les remous de la guerre. Entre solitude des hauteurs, amour clandestin et poids des traditions, elle signe une œuvre sensible et picturale, récompensée à juste titre par le Grand Prix du jury à la Mostra de Venise


Vermiglio ou la Mariée des montagnes de Maura Delpero a reçu le Grand Prix du jury à la Mostra de Venise en 2024, une récompense justement méritée pour ce très beau film.

L’action se déroule au milieu des années quarante, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, au moment de la débâcle italienne et de la proche défaite des nazis. Elle débute à l’hiver 1944, dans les montagnes du Trentin-Haut-Adige, en Italie, dans un petit village isolé, Vermiglio, où la vie suit le rythme des saisons. Un jeune soldat arrive, cherchant refuge. Le jeune homme Pietro et la fille aînée Lucia tombent amoureux, bouleversant à jamais la dynamique familiale de l’instituteur local, Cesare. Le destin bascule…

Beauté des forêts, des sommets enneigés, des prairies en fleurs : loin de la fureur des combats, la quiétude de la communauté est troublée par l’arrivée de deux soldats italiens déserteurs fuyant la déroute. Filmer la nature, les femmes et les hommes, la force et la beauté des traditions chrétiennes, filmer la guerre sans la montrer : c’est la belle réussite de Maura Delpero. Elle signe ici un deuxième long-métrage de fiction, épuré et âpre, tendre et tendu, après le remarquable Maternal sorti en 2019, qui suivait une religieuse arrivant dans un couvent pour jeunes filles en Argentine.

La cinéaste est retournée dans le village du nord-est de l’Italie où a grandi son père, récemment décédé. À travers le cycle complet des quatre saisons, elle montre la vie quotidienne des habitants, fidèles à leurs traditions rurales et chrétiennes.

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Vermiglio déborde de douceur. La beauté irradie chacun de ses plans, filmés comme des tableaux inspirés par les œuvres de Giovanni Segantini et Caspar David Friedrich pour les scènes extérieures, et par la peinture flamande pour les scènes d’intérieur, éclairées à la bougie. Cette lumière intime accentue la profondeur des échanges, notamment entre les nombreuses sœurs très proches du couple. Paysages de haute montagne hivernaux et immaculés, vert printanier des prairies, cimes ensoleillées d’été, roux automnal : tout est magnifié par la mise en scène tranchante et elliptique de Delpero, la lumière douce et les cadres acérés de la photographie de Mikhaïl Kritchman. Les Quatre Saisons de Vivaldi et les Nocturnes de Chopin accompagnent la narration et soulignent le caractère romanesque de cette fiction très documentée.

La mise en scène, mêlant austérité et puissance, permet à la réalisatrice d’instaurer une atmosphère intime et sensorielle dans ce village où la vie des femmes est marquée par la solitude, la rudesse du quotidien, mais aussi la force des traditions. C’est un grand film sur la disparition d’un monde montagnard, un portrait intelligent et touchant de la vie de famille vue à hauteur d’enfant. Il interroge la place sociale et traditionnelle des hommes et des femmes, en particulier celle d’un père instituteur, cultivé et sensible, autoritaire dans son foyer mais profondément attaché à l’éveil de ses élèves à la langue, à la poésie et à la musique. À la fois maître exemplaire et père faillible, il incarne toute l’ambiguïté d’un monde en mutation.

1h59

Pourquoi Frédéric Taddéï est-il si convaincant ?

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Frédéric Taddéï, août 2018 © Hannah Assouline

Celui que le quotidien de gauche Le Monde qualifie de « dandy du débat télévisé » – pour mieux critiquer tout de suite après ses prestations sur RT France ou CNews -, est désormais directeur de l’hebdomadaire Marianne.


Directeur de Marianne, Frédéric Taddéï écrit à la dernière page, comme il se doit, « Le mot de la fin ». Dans le numéro en cours : « … Il faut abolir cette peine de mort politique qu’est la peine d’inéligibilité ». Je sais que son point de vue sera contredit aussi bien pour des motifs politiques que médiatiques. C’est le propre des idées fortes et ce n’est pas Frédéric Taddéï qui s’en plaindra ! Je n’ignore pas avoir déjà écrit sur Frédéric Taddéï et je ne ressens pas le besoin de m’en excuser. D’abord pour ma propre satisfaction. Je déplais trop souvent par une envie, à laquelle je ne veux résister, de dire le fond de ma pensée, la nature de mes humeurs, pour ne pas me féliciter de cette opportunité renouvelée de pouvoir estimer quelqu’un.

J’ajoute que le Frédéric Taddéï d’aujourd’hui a changé de registre. L’indépassable animateur de « Ce soir (ou jamais ! ») – dont l’effacement et la discrétion apparents valaient toutes les présences ostensibles – a été remplacé par le responsable d’une publication qui, sur le plan judiciaire notamment, est remarquable et par l’auteur libre et indépendant du Mot de la fin.

Un fervent défenseur de la liberté d’expression

À plusieurs reprises, j’ai soutenu Frédéric Taddéï qui n’avait pas besoin de moi pour se défendre. Le paradoxe est qu’on osait lui reprocher une conception intelligemment intégriste de la liberté d’expression contre celle rigide et sectaire cultivée chaque jour par Patrick Cohen. Frédéric Taddéï n’était pas un justicier qui choisissait de laisser parler seulement ceux que sa vision politique tolérait : il ouvrait la porte médiatique à tous, et d’abord à ceux auxquels l’accès à la visibilité était devenu impossible, voire interdit. Sa seule exigence toujours parfaitement respectée, à la télévision, tenait à cette limite : on ne transgressait pas la loi sur son plateau. Cette éthique et ce pluralisme du débat ont donné lieu à de passionnantes joutes où la contradiction, contrairement à tant de confrontations d’aujourd’hui, n’était pas de pure forme.

Frédéric Taddéï est d’abord pour moi un modèle dans la mise en œuvre, sans la moindre concession, d’une liberté d’expression exemplaire. J’aime pouvoir le rapprocher d’une journaliste essayiste atypique, Peggy Sastre, dont les points de vue, développés dans Causeur ou dans Le Point, offrent à qui les lit un champ stimulant de réflexions et de paradoxes. Elle s’attache à définir rigoureusement la liberté d’expression en faisait appel, notamment dans le dernier hebdomadaire cité, à des intellectuels qui confirment sa vision d’une plénitude irréprochable.

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Quand elle écrit qu’ « une liberté d’expression qui n’oserait plus froisser personne deviendrait vite une liberté à usage limité », nul doute que Frédéric Taddéï partage sa conviction. Lorsqu’elle reprend à son compte l’analyse de Greg Lukianoff, un avocat, journaliste et militant américain, pour qui la liberté d’expression « est et restera toujours une idée ÉTERNELLEMENT RADICALE… pas seulement une garantie juridique mais un principe culturel exigeant dont la valeur ne se révèle qu’à l’épreuve de l’inconfort », je suis sûr que Frédéric Taddéï approuve cette approche irréprochable d’une liberté qui est beaucoup moins pour soi que pour les autres.

Un homme convaincant

Quand j’ai commencé à lire son « Mot de la fin » dans Marianne, j’ai éprouvé comme une émotion intellectuelle à voir le changement de cap de Frédéric Taddéï qui s’assignait, sur un certain nombre de thèmes, à penser et à dire ce que longtemps il avait eu pour déontologie de taire. J’ai naturellement pris son parti et je ne me suis pratiquement jamais trouvé en désaccord avec lui. Moins, pour être franc, parce que le fond de son écrit était forcément pertinent qu’à cause de la confiance immédiate, évidente, limpide dont je créditais un esprit et une personnalité qui, n’ayant jamais eu pour perversion d’étouffer ou de limiter le verbe d’autrui, bénéficiaient de mon assentiment quand ils s’aventuraient dans l’imprévisibilité de l’opinion et les nuances de la conviction.

À lire aussi du même auteur : De la cour d’assises à la cour médiatique…

Je me défie de plus en plus des censeurs officiels ou officieux qui, ayant toujours eu la vocation d’éradiquer, sur le plan politique, médiatique, judiciaire ou culturel, la liberté des autres, n’ont jamais su la pratiquer pour eux-mêmes.

Parce que Frédéric Taddéï est aux antipodes d’une telle petitesse, qu’il a passé son existence médiatique à se battre pour la liberté des autres, il me semble que porter sur celui qu’il a décidé d’être aujourd’hui, sur ses débuts brillants dans le Mot de la fin, un regard favorable, au moins une bienveillance critique, est la moindre des choses. Il est convaincant parce qu’il n’a aucune rançon à payer.

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Nous avons épuisé les dividendes de notre puissance

Pierre Manent © Hannah Assouline

Pour le « plus profond des philosophes eurosceptiques » (selon le Weekly Standard), trois pressions extérieures s’exercent sur la France : à l’Est, Vladimir Poutine, à l’Ouest, Donald Trump, au sud l’islamisme. Face à ces menaces, il plaide pour que Paris s’écarte de la tentation fédéraliste et renoue avec l’idée gaullienne d’une Europe des nations.


Causeur. Dans le branle-bas international auquel nous assistons, il faut peut-être se poser des questions basiques, à commencer par celle-ci : quelle est la responsabilité des nations européennes si un pays européen est agressé ?

Pierre Manent. Cela dépend des nations. Certaines ne se sentent pas tenues à une responsabilité particulière par rapport à l’ensemble européen. Leur position géographique, ou leur expérience historique, les détourne de ce sentiment. Et puis il y a les pays qui estiment avoir des devoirs historiques vis-à-vis du continent, ou qui, par leur population, leur richesse ou leur force, ont un poids particulier : le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne, l’Italie… auxquels il convient sans doute d’ajouter aujourd’hui la Pologne. Mais de « petits pays » peuvent jouer un grand rôle par leurs initiatives et leur engagement, comme aujourd’hui le Danemark, ou les pays baltes. La responsabilité conférant des devoirs, c’est une obligation, pour chaque nation, de déterminer avec une certaine précision l’étendue et le caractère de ses responsabilités.

Cette responsabilité peut-elle être transférée aujourd’hui à l’Union européenne comme le suggèrent certains dirigeants, notamment Emmanuel Macron ?

Le porteur de la responsabilité ne peut être que la nation. Nos nations ont des responsabilités différentes puisque leurs capacités, leur influence, leur état moral, leurs choix sont différents. L’Union européenne n’est pas proprement un sujet politique, c’est une construction juridique par délégation des souverainetés nationales. En dépit des slogans idéologiques et des arguties juridiques, la source de toute légitimité en Europe réside toujours dans les nations gouvernées démocratiquement : lorsque les chefs d’État et de gouvernement se réunissent en Conseil, d’où procède leur légitimité ? De leurs nations respectives exclusivement. Les institutions européennes ne peuvent prétendre agréger les responsabilités nationales en une responsabilité politique de l’Union. Si l’on tient à parler d’une responsabilité politique de l’Europe, celle-ci résulte de l’action commune – de l’alliance – des différentes nations, chacune avec sa « part de responsabilité ». Que personne ne voie dans la guerre en Ukraine le moment propice pour un « saut fédéral » ! L’effort serait vain. Comment une horlogerie institutionnelle, élaborée sous le postulat d’une paix éternelle qui n’aurait jamais à être défendue, pourrait-elle être l’instrument de notre protection aujourd’hui que, de toutes parts, apparaît la vanité de cette hypothèse ? Les Européens et leurs nations se sont depuis trop longtemps cachés dans la foule européenne, foule sentimentale… Le moment est venu pour chacune de montrer ce qu’elle veut et ce qu’elle vaut. Nous voyons déjà se marquer une différenciation croissante entre les agents nationaux. Certains seront actifs et peut-être même « commandants », d’autres ne feront rien, ou même moins que rien.

Justement, la France n’a-t-elle pas des prétentions excessives ? Ne se croit-elle pas abusivement responsable des affaires du monde, en raison d’une forme de messianisme ?

Il est vrai que la France a parfois pris ou accepté des responsabilités politiques qu’elle n’a pas eu le courage, ou qu’elle n’avait pas les moyens, d’honorer, notamment dans l’entre-deux-guerres. Pourtant, si je déplore le contraste souvent choquant entre les paroles mirobolantes et la médiocrité des résultats, je crois qu’il y a quelque chose de juste et de noble, d’utile aussi, dans cette disposition : nous réclamons le droit de regarder l’état du monde avec nos propres yeux, et d’y agir selon notre jugement librement formé. J’en demande pardon à nos amis allemands, mais s’ils ont commis tant de bévues dommageables à l’Europe dans la période récente, c’est qu’ils s’étaient depuis trop longtemps accommodés de leurs dépendances croisées à la protection américaine et au gaz russe. On a beaucoup moqué la « folie des grandeurs » de de Gaulle. Aujourd’hui on se réjouit de disposer de la dissuasion nucléaire, qui n’existerait pas sans cette « folie ». Le « gaullisme », c’est la souveraineté de la France dans un ensemble européen que l’on doit souhaiter de plus en plus uni, avec une alliance américaine fort précieuse, mais sur laquelle il ne faut compter qu’avec prudence. La France exerce donc des responsabilités particulières liées à la dissuasion nucléaire qu’elle est la seule à maîtriser entièrement en Europe (le Royaume-Uni étant plus dépendant des Etats-Unis, voir l’article de Jeremy Stubbs pages 54 à 57 de notre magazine). Cela ne donne pas à notre pays le droit ni les moyens de jouer le chef de guerre, mais nous désigne comme l’un des pays les mieux placés pour orienter les énergies européennes.

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Vous pensez que ce nouveau désordre mondial pourrait réveiller la volonté nationale en nous. Mais le séparatisme musulman et le terrorisme islamiste n’ont pas eu cet effet.

Vous avez raison, rien ne permet d’assurer que nos réponses seront à la hauteur des défis, qui sont à la fois intérieurs et extérieurs. Pour l’intérieur, chacun connaît la liste : désindustrialisation, dette publique, démographie, immigration, etc. Pour l’extérieur, je dirais que nous sommes soumis à une triple pression. Pression venue de l’Est bien sûr, l’agression russe en Ukraine ; mais aussi pression venue de l’Ouest, des États-Unis, qui ne date pas de Trump, si vous considérez l’usage arbitraire et exorbitant que les Américains font de l’extraterritorialité de leur droit ; et enfin pression venue du Sud, à la fois pression migratoire et pression politique des États. Ces trois pressions sont évidemment d’un caractère très différent, elles concernent des organes distincts du corps politique et affectent diversement son métabolisme, mais c’est un même corps civique qui doit fournir la réponse – une réponse synthétique qui associe un certain sentiment de soi avec le désir d’agir pour préserver notre liberté et notre forme de vie. Qui peut prétendre opérer cette synthèse, sinon la nation ? L’Union européenne peut tout au plus fournir l’organe du plus petit dénominateur commun entre les nations. C’est donc à la France en tant que nation de retrouver une certaine capacité d’action, pour la mettre au service de la cause commune quand il y a lieu, comme c’est le cas aujourd’hui avec l’Ukraine.

Devons-nous pour cela regagner de la puissance, particulièrement sous sa forme la plus crue – militaire ?

Regagner de la puissance militaire, bien sûr. S’agissant de puissance, le dédain du monde, amis ou ennemis, s’adresse à nos nations autant qu’à l’Union européenne. Voyez avec quelle brutalité moqueuse J. D. Vance a traité l’Europe et ses nations, ou de quelle façon l’armée française vient d’être chassée d’Afrique de l’Ouest. En tout cas, c’est à partir d’efforts nationaux, s’ils sont vigoureux et soutenus, que l’ensemble européen pourra dégager une force respectable. Un des aspects les plus encourageants de la vie européenne aujourd’hui, c’est la vigueur du désir de vivre et d’être libre des petites nations – voyez les pays baltes.

Vance a-t-il été si brutal et méprisant que vous le dites ? N’a-t-il pas plutôt essayé de nous alerter sur nos renoncements et nos faiblesses ?

Quand le vice-président américain dit aux Européens : « la liberté d’opinion chez vous laisse à désirer », je partage son opinion, mais pourquoi s’adresser à nous avec cette désinvolture moqueuse, sarcastique ? Comme s’il prenait plaisir à nous maltraiter. Si l’état de nos pays l’inquiète, il pouvait s’adresser à nous avec la gravité requise. En 1981, lorsque François Mitterrand a nommé des ministres communistes, le vice-président américain George W. Bush est venu à Paris pour s’en émouvoir. Mais il ne nous a pas engueulés ni humiliés.

Rencontre entre Donald Trump et Emmanuel Macron à la Maison-Blanche, 24 février 2025. L’ensemble européen ne pourra dégager une force respectable qu’à partir d’efforts nationaux vigoureux et soutenus © MARIN/UPI/SIPA

Cette rudesse accrue des Américains n’est-elle pas un aveu de faiblesse ?

La nouvelle brutalité américaine est un phénomène complexe qui mérite d’être pris au sérieux. Je suis porté à penser que, si les nouveaux dirigeants ont à ce point rejeté les formes diplomatiques, ce n’est pas seulement pour le plaisir médiocre de « parler sans filtre », mais aussi parce qu’ils sont en proie à une certaine forme de panique. Quand Donald Trump demande aux Ukrainiens de rembourser les États-Unis, il choque par sa mesquinerie, mais il trahit aussi une angoisse devant la disproportion entre les engagements américains dans le monde et leurs ressources présentes. On retient les vantardises de Trump, la violence de ses attaques contre ses adversaires politiques, mais on ignore ses descriptions de l’état alarmant de la société américaine. Si les succès des grandes entreprises de la tech sont très impressionnants, ils ne doivent pas dissimuler le fait que des piliers essentiels de la puissance américaine sont aujourd’hui défaillants, y compris dans le domaine industriel. D’où les efforts frénétiques de Donald Trump pour faire revenir, ou faire venir, les entreprises américaines et non américaines aux États-Unis. Est-ce l’empire qui abuse de sa force, ou l’empire que sa faiblesse menaçante affole ? Impressionnés par l’énormité du budget militaire américain, nous sous-estimons l’affaiblissement de l’armée américaine. Encore inégalée dans le renseignement et les communications, et dans certains systèmes d’armes, elle n’a plus de quoi entretenir l’immense réseau de ses bases aux quatre coins du monde. Le déclin de sa flotte, instrument décisif d’un empire maritime, est particulièrement alarmant. La Navy est en train, ou en passe, d’être surclassée par la marine chinoise, alors que la construction navale aux États-Unis est exsangue. Si les choses suivent leur train, les États-Unis ne garderont pas longtemps, à supposer qu’ils les aient encore, les moyens de dissuader la Chine d’attaquer et conquérir Taïwan. Bref, ils ne pourront bientôt plus entretenir leur empire et dissuader les rivaux. Il faut garder ces faits en mémoire, non pour excuser ou légitimer les excès de Trump, mais pour savoir quel est précisément l’état du monde dans lequel nous devons agir.

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Aujourd’hui, la polarisation s’accentue entre d’une part les pays qui misent en priorité sur la force pour régir les relations internationales et d’autre part ceux qui privilégient le droit. Or, on dirait précisément que nous sommes englués dans l’État de droit qui devient une toile d’araignée paralysante ?

Attention au « grand récit » européen ! « Ils » sont la force, « nous » sommes le droit. Si c’est vrai, faut-il s’en vanter ? Comment pouvons-nous à la fois déplorer l’impuissance européenne et célébrer notre Union fondée sur le seul droit… ? Si l’Europe a pu si longtemps imaginer qu’elle construisait une association exclusivement fondée sur le droit et les « valeurs », c’est non seulement parce qu’elle avait laissé à la force alors sans égale des États-Unis le soin de la protéger, mais aussi parce qu’elle jouissait du crédit et du prestige acquis pendant les siècles où elle a dominé le monde, par ses contributions à la science et au progrès social et humain certes, mais aussi par la force brute, y compris par la conquête. Nous ne recevons plus aujourd’hui les dividendes de notre force passée. Ils sont épuisés. Il nous faut reconstituer cette force ou périr. C’est aussi simple que cela.

Vous évoquez l’autre aspect du phénomène, à savoir la liquidation délibérée de notre force par la conception que nous nous sommes faite du droit ou de la justice, plus précisément par le sens que nous donnons aujourd’hui à la notion d’État de droit. Il ne s’agit plus simplement d’assurer l’impartialité et la régularité de l’action de l’État, de respecter la séparation des pouvoirs, de prévenir l’arbitraire… Il s’agit de prévenir tout abus en empêchant l’usage. Le régime représentatif dans lequel nous sommes supposés vivre encore a été largement privé de ses moyens de gouvernement par les hautes juridictions, non seulement européennes mais aussi et d’abord nationales. Toute décision du gouvernement motivée par le bien commun de la nation est a priori suspecte aujourd’hui. On craint qu’elle introduise une différence de traitement, une « discrimination », entre les citoyens français d’un côté, et les non-citoyens ou les hommes en général de l’autre. La jurisprudence du Conseil constitutionnel tend à résorber les droits du citoyen dans les droits de l’homme. Il ne faut pas s’étonner que la qualité de ses arguments laisse à désirer. Recouvrer la force perdue suppose d’abord de redonner ses droits à notre régime politique, le régime représentatif dans le cadre national, seul à même de joindre judicieusement le droit et la force.

Peut-être avons-nous besoin d’un ennemi – ou de la figure d’un ennemi – pour nous reconstituer en tant que communauté politique qui veut être maître de son destin ?

La vie politique est toujours une dialectique entre l’intérieur et l’extérieur. Nous sommes collectivement modelés par la manière dont notre mouvement intérieur rencontre le monde extérieur. Or, dans la mise en œuvre du projet européen, nous avons prétendu effacer la distinction entre l’intérieur et l’extérieur. D’un côté, nous nous projetons vers le « monde » non comme un « commun » qui a une « forme de vie » propre qu’il entend défendre, mais comme une proposition de « valeurs » destinées à effacer par leur simple « rayonnement » les divisions qui affectent l’humanité ; de l’autre et corrélativement, nous nous déclarons inconditionnellement ouverts au monde, offrant à tous les hommes l’hospitalité à laquelle ils ont droit en vertu de leur humanité. De quelque façon que l’on apprécie ces postulats, une chose est claire, ils interdisent toute formation d’un ensemble humain consistant. Quant à devenir « puissance », il n’y faut pas songer.

Je suis attaché autant qu’un autre à l’« universalisme européen », mais il n’y a pas d’accès immédiat à l’universel, on ne saurait vivre simplement « dans l’humanité ». La vie humaine réclame la formation d’associations particulières où les facultés humaines puissent se développer concrètement. On ne peut être authentiquement « ouvert au monde » que si l’on appartient d’abord à une communauté civique puissamment constituée, capable de produire et de transmettre une éducation commune riche et distincte.

Revenons-en à la situation géopolitique. Vous avez défini un objectif : retrouver une capacité d’action en tant que nation dans le cadre européen et en occupant sur le continent une place éminente parce que, tout de même, nous sommes la France. Qu’est-ce qui vous fait croire que ce sursaut adviendra ?

Je ne dis pas que ce sursaut adviendra, mais je veux croire qu’il est possible. Je mesure l’effet cumulé d’un demi-siècle de renoncements et d’abandons : la langue française, l’éducation primaire et secondaire, l’indépendance nationale, la transmission de la religion chrétienne… Quoi de plus démoralisant pour tout effort collectif que la maxime régnante : « mon désir, mon droit » ? Mais il y a toujours la « petite fille espérance », n’est-ce pas ? Sinon vous ne feriez pas Causeur ! N’oublions pas que nos adversaires ou rivaux ne sont guère brillants non plus. Sans parler de son régime et de la guerre cruelle qu’elle mène, la Russie se trouve dans un état social et moral lamentable. Quant aux États-Unis, je leur garde la gratitude que mérite leur contribution à la civilisation atlantique, leur démesure dangereuse et pourtant généreuse et finalement mesurée mais aujourd’hui, partagés entre la frénésie woke et la frénésie trumpiste, ils ne sont plus un objet d’admiration ou d’envie. Je pourrais évoquer d’autres parties du monde. Les présupposés de l’ordre d’après 1945 sont mis en cause, tout semble devenir liquide… Tout va donc dépendre de la manière dont les uns et les autres agiront. Qui sait ce que Trump fera demain ? Comment les choses vont évoluer sur le front ukrainien ? Je ne sais pas. Que va faire l’Allemagne ? Si on écoute le probable nouveau chancelier, Friedrich Merz, elle va faire le contraire de ce qu’elle a fait depuis vingt ans. J’en doute, mais je ne sais pas. En tout cas, nous Français, nous pouvons encore délibérer et décider, en tant que nation, de ce que nous voulons faire, si du moins nous nous rappelons que c’est là la raison d’être de la République et de sa Constitution. Un grand historien britannique pensait que le moteur de l’histoire était la dialectique entre le défi et la réponse au défi… Le défi est là, la réponse nous appartient.

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Comment cela peut-il se traduire concrètement ?

Quant à la force, nous pouvons obtenir des résultats significatifs si nous avons un peu de suite dans les idées. L’esprit de suite, la constance sont plus importants que les idées, car les idées tout le monde les a, ce sont à peu près les mêmes dans tous les pays. En France, renforcer la réserve opérationnelle et citoyenne, donner un contenu réel au SNU, mettre sur pied quelque chose comme la « garde nationale » de jadis, l’objectif est clair. Il s’agit à la fois de libérer l’armée proprement dite des tâches de simple surveillance et de nous mettre collectivement dans une certaine disposition active. Il y faut simplement un peu de sincérité et un peu de constance. Commençons par là.

On veut rétablir la conscription alors que les Français refusent majoritairement de travailler six mois de plus !

Appeler les Français à se mobiliser pour leur pays exposé à une menace « existentielle », tout en leur promettant de ne pas augmenter les impôts ni de toucher à leur modèle social, cela fait surgir le doute, voire le soupçon. Mais il est trop facile de recenser les raisons de dire « à quoi bon ? ». J’essaie d’être encourageant.

Une centaine de jeunes volontaires âgés de 15 à 17 ans participent à un séjour de cohésion du service national universel (SNU) à Douai, dans le Nord, juillet 2023 © Sarah ALCALAY/SIPA

La patrie a besoin de vous ! Cet emploi par le président de la République d’un terme aussi vertical a d’autant plus sidéré que ce discours va à l’encontre de tout ce qu’on nous dit depuis des décennies, notamment à l’École publique, où on nous apprend plutôt que c’est le pays qui a une dette envers nous. Comment opérer un renversement ?

Puisque la patrie a besoin de nous, c’est donc qu’elle existe et a besoin d’être défendue. Partons, ou repartons de là. Jean-Jacques Rousseau, qui déplorait en son temps l’effacement des nations dans une civilisation européenne gâtée par les jouissances et la vanité, appelait ses contemporains à retrouver le sens de la patrie. S’adressant aux Polonais opprimés par la Russie, il leur faisait remarquer qu’« il est naturellement dans tous les cœurs de grandes passions en réserve ». Avons-nous le désir de puiser dans ces « réserves » ? Sommes-nous sûrs d’ailleurs qu’elles existent ? Nous le saurons si nous essayons. Et vous avez raison, cet effort suppose un certain renversement du mouvement qui nous emporte depuis si longtemps. La classe éclairée s’était persuadée que l’avenir appartenait à ceux qui se laissent modeler par les flux – flux d’hommes, de marchandises, d’informations, etc. Nous découvrons la nécessité de nous rassembler, de nous resserrer, pour enfin à nouveau nous donner consistance. « Patriotes » ou « européistes », « nationalistes » ou « progressistes », nous savons ce qu’ils disent, mais nous ne savons pas, et ils ne savent pas, ce qu’ils feront. En deçà de l’effort de défense qui s’impose à tous, nous avons à conduire un effort de connaissance morale et pour ainsi dire intime, afin de nous informer de ce que nous sommes, voulons et pouvons – en somme, un examen de conscience en vue du commun, mais que chacun doit conduire pour lui-même. La jactance étant le vice et le fléau de tous les partis, le premier commandement est celui d’une certaine sobriété, non seulement de parole mais aussi de pensée.

Pourquoi la loi naturelle ?

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Culture et médias publics: il est temps d’en finir avec la propagande aux frais du contribuable

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Rassemblement des salariés des médias publics contre le projet de loi de fusion, devant l'Assemblée nationale, Paris, 1er avril 2025 © ROMUALD MEIGNEUX/SIPA

Depuis Jack Lang, la confiscation de la culture par un clan politique (au mépris du pluralisme, de la liberté de création et de l’intérêt général) est un véritable scandale démocratique ! Alors que la société se fracture et que les opinions des citoyens français ont tendance à se polariser, il est urgent de faire respecter la neutralité.


Tous les gestes créatifs, du plus exigeant au plus populaire, ont contribué depuis des siècles à façonner notre culture, et donc la France elle-même. Les grandes œuvres de l’esprit, les chefs-d’œuvre du cinéma et de la musique, le patrimoine architectural, la langue, la mode, composent le ciment qui nous lie, depuis Rabelais jusqu’à Houellebecq en passant par François Truffaut ou Alain Bashung.

La grandeur d’un pays ne se mesure pas seulement à ses résultats économiques, mais aussi à la puissance de sa culture. Dans un domaine comme dans l’autre, les 50 nuances de social-étatisme qui dirigent la France depuis des décennies ont bridé et affaibli le pays. La soviétisation de la France, planifiée depuis Paris par une caste interchangeable, n’a pas épargné la culture. Rien n’échappe à la main de l’État démiurge, incapable sur l’insécurité ou l’immigration illégale, mais implacable pour « emmerder les Français » comme disait Pompidou, réduire nos libertés, régir nos vies dans le moindre détail, penser à notre place, et transformer la culture en outil de propagande. 

Nourrir une vision de gauche du monde

Depuis 1981 et le règne de Jack Lang rue de Valois, la culture publique est devenue une arme politique, et un monde en coupes réglées. Les 15 milliards € d’argent public dépensés chaque année (Etat plus collectivités) ne servent pas à rendre la culture accessible à tous, ni à élever les esprits, mais essentiellement à nourrir une vision progressiste du monde — inclusive, bien-pensante, loin du peuple, bref, de gauche —, et à rémunérer ceux qui jouent le jeu. « Une subvention contre une signature au bas d’un manifeste électoral », écrivait Michel Schneider dans son remarquable essai La comédie de la culture (1993), consacrée au Ministère et ses dérives.

En institutionnalisant la culture, en organisant sa bureaucratie, en professionnalisant les métiers, en nommant depuis la rue de Valois les directeurs des scènes nationales, des festivals, des musées, ou encore les responsables de l’audiovisuel public ou du cinéma, en récompensant les bons élèves à coups de subventions/récompenses, le camp du bien a posé les fondations solides d’un système à la botte de son idéologie. Depuis lors, jamais un ministre de la Culture, y compris de droite, n’a osé la moindre réforme, même modeste, visant à un soupçon de pluralisme. La gauche culturelle, prompte à hurler au fascisme dans les médias à la moindre incartade, fait peur. Dans ce microcosme militant, ivre de sa supériorité morale, l’entresoi est un art de vivre et la pensée unique règne en maître. Dans ce monde binaire biberonné aux subventions, de l’art contemporain au théâtre, du cinéma aux médias publics, l’univers est divisé en deux camps : d’un côté le « camp du bien » (eux), et de l’autre les Français qui pensent mal et qu’il s’agit de rééduquer (soit 90 % de la population, qui finance sans broncher cet entre-soi par l’impôt).

A lire aussi: L’État de droit, c’est plus fort que toi !

Plus subtil et pervers que la censure directe, ce système conduit à l’autocensure des artistes. Discuter aujourd’hui « en off » avec des créateurs, fussent-ils dramaturges, scénaristes, chorégraphes, ou candidats à la direction d’une scène nationale, revient à entendre toujours le même discours résigné. Obtenir un poste ou une subvention contraint à se soumettre au dogme, à masquer ses opinions, et donc à s’autocensurer. Dans un monde régi par une idéologie politique allant de LFI à la gauche du PS, même les universalistes républicains de gauche vivent cachés…. Pas un projet sans moraline diversitaire n’est envisageable. Pas un dossier de subvention ou de candidature sans les mots et thèmes obligatoires de la culture institutionnelle : urgence climatique, vivre-ensemble, racisme systémique de la France, glorification des LGBTQI+, haine de la « laïcité islamophobe » (sic), haine du libéralisme, des riches, de la culture classique, des flics, et bien entendu du Blanc de plus de cinquante ans, à moins qu’il ne fût déconstruit et repentant.

Il faut fréquenter les festivals, visiter les FRAC, voir les expositions d’art contemporain, regarder attentivement ce que finance le CNC, ce qu’expose le Palais de Tokyo, ou le CV des artistes politisés logés à la Villa Médicis de Rome, etc…, pour mesurer l’ampleur de la mainmise de la gauche sur la culture institutionnelle. On constate une absence quasi totale de pluralisme. Idem sur les antennes de l’audiovisuel public, sous la tutelle du ministère de la Culture. A ce rythme, c’est le consentement à l’impôt de la majorité silencieuse, méprisée par la caste au pouvoir, qui sera bientôt en jeu.    

Renversement de paradigme

Imaginons un instant la situation inverse, pour mesurer la gravité de ce qui relève du détournement légal d’argent public à des fins politiques. Si un Jack Lang de droite avait fait exactement la même chose, si la culture publique était depuis des décennies entre les mains de petits marquis de droite, qui ne financeraient que des spectacles à la gloire de Jeanne d’Arc, la rénovation des églises, et censureraient toutes tentatives de spectacles jugés décadents, tout le monde serait à juste titre horrifié. Nous parlerions à raison de culture réactionnaire et de dérive totalitaire.

Dans tous les cas, la confiscation de la culture par un clan est un scandale démocratique, et un danger pour l’unité nationale. Paradoxalement, ceux qui participent à ce système se vivent en rempart vivant contre le totalitarisme. Ils oublient que l’élection de Trump aux Etats-Unis est moins une adhésion à son projet qu’une réaction épidermique de la majorité silencieuse contre les excès du progressisme woke, et le déni du réel glorifié par le show-biz et les médias mainstream. La gronde électorale des peuples en Europe et en France relève de la même mécanique infernale.

La cancel culture, tribunal de l’inquisition du wokisme, a placé le dernier clou du cercueil sur l’art et la création. L’art doit plus que jamais donner des leçons de gauche. « À quoi sert d’écrire si ce n’est pas pour dénoncer le racisme ? », écrit Édouard Louis, mètre étalon de l’époque. Plus rien ne doit offenser les minorités. Charles Bukowski ou Serge Gainsbourg pourraient-ils créer librement aujourd’hui ? Sans doute pas. Le tribunal de la bien-pensance veille au grain. Or on ne fait pas de l’art avec des bons sentiments. Les artistes ne sont pas des ONG. Pas de culture forte et puissante sans liberté d’expression, sans liberté de ton. Pas d’art dérangeant et révolutionnaire possible quand les corbeaux de la cancel culture reposent sur les épaules des créateurs, surveillant leur moindre écart. Martelons-le : pire encore que la censure, l’autocensure est la plus insupportable des contraintes qui pèsent sur les artistes. Combien de chefs-d’œuvre et d’idées formidables ont été tués dans l’œuf, ou affadis par leur créateur, par crainte des conséquences sociales et financières ?

Peu de politiques ont le courage d’oser s’attaquer publiquement aux Tables de la Loi gravées par Jack Lang. Mais les choses changent tant le camp du bien autoproclamé s’effondre dans les urnes, et tant sont antidémocratiques les dérives observées. David Lisnard signait récemmment dans Le Figaro une tribune contre le financement par l’argent du contribuable de spectacles hostiles aux valeurs républicaines[1]. Christelle Morançais, présidente du Conseil Régional des pays de la Loire, vient d’annoncer la fin de l’essentiel des subventions régionales automatiques à la culture, évoquant « le monopole intouchable d’associations très politisées, qui vivent d’argent public ». On peut critiquer cette décision radicale, mais la politisation de ces associations est un secret de Polichinelle. Une remise à plat du système s’impose pour en finir avec ses abus.    

A lire aussi: L’Arcom, « autorité indépendante », mais de qui ?

« ll fut un temps où la culture servait à ouvrir les yeux », regrette Alain Finkielkraut. Ceux qui la régentent lui demandent désormais d’avoir les yeux grands fermés sur la réalité du monde, de regarder les Français de haut, et d’assener des leçons de morale. La présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte, résume sa mission avec toute la candeur du camp du bien : «On essaie de représenter la France telle qu’on voudrait qu’elle soit». L’urgence n’est pas de fusionner France télé et Radio France, mais bel et bien de garantir le pluralisme dans les grilles des médias publics. La mission du service public est de financer des programmes exigeants, sans obligation d’audience, que le privé ne finance pas. La seule utilité d’un média public n’est pas de concurrencer Netflix ou de produire des jeux, mais de tirer les spectateurs vers le haut. Nous en sommes loin. Face à ces dérives, comment s’étonner que certains réclament la privatisation de l’audiovisuel public ? 

Minée de l’intérieur et victime d’un déclassement accéléré dans tous les domaines, la France a plus que jamais besoin d’une culture et d’un système éducatif forts. Et donc de financements à la hauteur des enjeux. Mais une réforme puissante et radicale est nécessaire pour libérer la culture institutionnelle de l’emprise politique. Nous ne voulons surtout pas une culture « de droite » pour remplacer une culture « de gauche », mais une réforme profonde garantissant la liberté d’expression, de création, et le pluralisme. La neutralité des services publics — dans la culture, dans les médias, à l’école, mais aussi dans la justice — est un impératif non négociable dans une démocratie digne de ce nom, n’en déplaise à la CGT spectacle ou au Syndicat de la Magistrature. Il est urgent de faire respecter la neutralité des services publics, et l’ensemble des Français qui les financent. Il y va de la survie de notre démocratie tant la société se fracture en deux camps radicalisés.

La vérrouillage de services publics (justice, culture, médias) et des institutions (Conseil d’État, Conseil Constitutionnel, Arcom) par un camp politique — qui de surcroit se gargarise en permanence de protéger l’État de droit —, devrait être au cœur de nos inquiétudes. Dans l’état actuel des choses, qui peut affirmer que la France est encore une démocratie exemplaire ?  

La Comédie de la culture (H.C. Essais)

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[1] https://www.lefigaro.fr/vox/societe/l-argent-public-n-a-pas-a-financer-des-spectacles-hostiles-aux-valeurs-republicaines-20230421

Mort sur ordonnance

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© Martin Meissner/AP/SIPA Numéro de reportage : AP21680542_000002

Éthique. Les débats sur la « fin de vie » reprennent ce mardi à l’Assemblée nationale. Le Premier ministre François Bayrou a scindé le texte initial en deux volets distincts. Les conservateurs soulignent que la légalisation de l’euthanasie constitue un enjeu de civilisation, marquant selon eux un basculement anthropologique majeur. Ils redoutent que la proposition de loi sur les soins palliatifs ne réponde pas suffisamment aux besoins réels du pays, tandis que celle relative à l’aide à mourir dépasserait largement les engagements pris par Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle. Le regard d’Elisabeth Lévy.


Alors que la loi sur l’euthanasie sera examinée à partir du 12 mai, j’écoute ceux qui doutent. La légèreté anthropologique de certains défenseurs de cette loi est effrayante. Planqués derrière quelques slogans comme « mourir dans la dignité », ils renvoient tout opposant dans les cordes de la réaction. Ils brandissent des cas personnels réellement bouleversants pour empêcher de réfléchir. Que répondre à quelqu’un qui implore la société de mettre fin à son calvaire ?

Je n’ai pas de religion concernant cette question. La mort doit peut-être échapper à la loi. C’est une question douloureuse, difficile, et qui ne devrait pas être une cause militante qu’on se jette à la tête. Sur Le Figaro TV[1], l’écrivain Michel Houellebecq parle d’une espèce d’arrogance progressiste qui revient à balayer toute la sagesse et les pensées antérieures. Voilà pourquoi il faut écouter ceux qui doutent plutôt que les marchands de certitudes. Houellebecq distingue l’euthanasie du suicide assisté où la société fournit le poison mais ne l’administre pas (Entre 1/3 et 50% des gens ne l’utilisent pas une fois qu’on leur a remis, d’ailleurs). Sa grande inquiétude, c’est que les malades et les vieux se sentent de trop. « Par des siècles de condition difficile, on a été dressé à l’impératif de ne pas être à charge. Mais ce n’est pas une envie de mourir. » 

A lire aussi: Marcel Gauchet : « L’Europe est l’idiot du village global » 

Houellebecq n’est pas un spécialiste du sujet, répliquera-t-on.

D’abord, toute personne qui réfléchit à notre civilisation peut être un spécialiste. Ensuite écoutons aussi les vrais spécialistes. Écoutons donc Théo Boer, professeur d’éthique aux Pays-Bas, pays pionnier dans le domaine, qui signait hier une tribune dans Le Monde[2] : « J’ai cru qu’un cadre rigoureux pouvait prévenir les dérives de l’euthanasie: je n’en suis plus si sûr ». Son texte m’a bouleversée. Tout le monde devrait le lire. Il n’y a pas d’idéologie. M. Boer part du réel. Que nous dit-il ? En 2024, son pays a enregistré une hausse de 10% des euthanasies. Désormais, cela représente près de 6% des décès en Hollande. Où on observe par ailleurs l’émergence de l’euthanasie à deux (108 décès en 2024). Pire : l’euthanasie pour troubles psychiatriques a augmenté de + 59 %. Souvenons-nous de cette jeune Belge de 18 ans, traumatisée par les attentats, qui avait obtenu le droit d’être tuée. Des patients physiquement en bonne santé, mais souffrant mentalement demandent et obtiennent donc désormais de mourir.

Le centriste Olivier Falorni est le rapporteur du texte qui sera débattu à l’Assemblée cette semaine © Jacques Witt/SIPA Numéro de reportage : 00906654_000020

Et cela continue. Car le Parlement hollandais examinera bientôt une loi accordant le suicide assisté à toute personne âgée de 74 ans, même bien-portante… En somme : vous avez fait votre temps, on vous débranche ! Cela commence à faire peur. Bien sûr, il faut prendre en compte la souffrance des malades en phase terminale. Le développement des soins palliatifs est donc fondamental. Mais l’extension permanente du domaine de la mort assistée crée un risque que les malades ressentent une pression pour en finir. Il s’agit d’inscrire dans la loi le droit, voire le devoir de tuer. On a le droit voire le devoir de douter.


Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Sud Radio au micro de Jean-Jacques Bourdin


[1] https://www.lefigaro.fr/vox/societe/il-n-y-a-aucun-besoin-d-etre-un-catho-reac-pour-etre-contre-l-euthanasie-michel-houellebecq-debat-de-la-fin-de-vie-au-figaro-20250406

[2] https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/04/07/theo-boer-professeur-d-ethique-neerlandais-j-ai-cru-qu-un-cadre-rigoureux-pouvait-prevenir-les-derives-de-l-euthanasie-je-n-en-suis-plus-si-sur_6592197_3232.html

Armement: les recettes carnivores

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L'usine d'armement du groupe franco-allemand KNDS à Bourges © Charles Bury/SIPA

Pour retrouver une industrie de défense digne de ce nom, l’Europe aurait tout intérêt à prendre exemple sur la Russie, la Chine et les États-Unis.


Le 4 mars, Ursula von der Leyen a annoncé le lancement du plan « Readiness 2030/ReArm Europe », destiné à doper l’économie de défense du Vieux Continent. Derrière les belles formules et un budget de pas moins de 800 milliards d’euros sur cinq ans, une question se pose : le volontarisme financier suffit-il à relancer une dynamique industrielle ?

Changement d’échelle

Fabriquer des blindés, des missiles et des munitions exige des matières premières (acier, titane, tungstène, terres rares, etc.) ainsi que des produits semi-finis (tels que les semi-conducteurs), dont nous maîtrisons peu ou mal l’approvisionnement. Et lorsque ces intrants sont disponibles, encore faut-il que l’énergie soit accessible à un prix compétitif. À cet égard, EDF, bien qu’entreprise d’État, ne joue pas convenablement son rôle, comme l’a pointé Roland Lescure, ancien ministre de l’Industrie (2022-2024), le 13 mars dans L’Usine nouvelle.

À lire aussi : Nous avons épuisé les dividendes de notre puissance

Enfin et surtout, il ne suffit pas de décréter l’augmentation des cadences de production. Il faut ouvrir de nouvelles usines, former, recruter. Aujourd’hui, le principal goulot d’étranglement réside dans le manque de sites industriels, mais aussi d’ouvriers spécialisés et d’ingénieurs, dont la formation demande des années. Sans main-d’œuvre qualifiée, impossible de changer d’échelle.

Comme d’autres pays, il faut être prêt !

Comment surmonter tant d’obstacles ? Même s’ils sont loin d’apporter toutes les réponses, trois cas d’école méritent d’être passés en revue : la Russie, la Chine et les États-Unis.

Depuis qu’elle a envahi l’Ukraine en 2022, la Russie est passée en économie de guerre. Mais son appareil productif est resté sensiblement le même. Seulement, ses priorités ont été réorientées vers le militaire. Par exemple, des usines de wagons assemblent désormais des chars. Les chaînes tournent en 24/7, avec un renforcement massif des effectifs. Contrairement aux idées reçues, Vladimir Poutine n’a pas sacrifié son industrie, il l’a simplement adaptée à ses nouvelles exigences.

La Chine, elle, n’est pas en guerre, mais son économie est structurée pour pouvoir basculer en quelques semaines. Les grandes usines du pays conservent des capacités de production duales, qui permettent de passer du civil au militaire à tout moment. Les fabricants de semi-conducteurs sont en outre contraints de garder des stocks importants pour l’armée. Contrairement à la France, dont les dirigeants commencent à réfléchir une fois le conflit commencé, la Chine a déjà intégré la logique martiale dans son organisation économique.

À lire aussi : Réarmement: se reposer ou être libres…

Les États-Unis, enfin, préparent également leur industrie à une éventuelle guerre prolongée. Ils sont en train de relocaliser la production d’acier et de semi-conducteurs, tandis que la « Bipartisan Infrastructure Law », votée en 2021 sous Joe Biden, a pour objet de moderniser les grands axes routiers stratégiques reliant les bases militaires. Depuis l’élection de Donald Trump, le gouvernement prévoit en outre des coupes dans les pensions des soldats retraités afin de libérer des fonds servant à subventionner l’industrie de l’armement.

Face à ces trois puissances qui se comportent comme des « carnivores » (pour reprendre la formule d’Emmanuel Macron), il ne suffit pas que l’herbivore européen proclame qu’il va désormais manger de la viande. Il faut également qu’il aiguise ses dents.

La poésie en plein essor

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L'écrivain et poète français Jean-Yves Reuzeau © Léna Tritscher

À l’occasion du Printemps des Poètes, Jean-Yves Reuzeau publie l’anthologie Esprit de Résistance qui réunit 118 poètes d’aujourd’hui. Avec 7% de progression pour l’année 2024 et 1,6 million d’exemplaires vendus, le genre connaît la plus belle progression de l’édition. Il a répondu à nos questions.


Alors que l’édition 2025 du Printemps des Poètes se termine, nous avons rencontré Jean-Yves Reuzeau, éditeur, écrivain et poète, qui vient de sortir Esprit de Résistance, l’année poétique : 118 poètes d’aujourd’hui, aux éditions Seghers. « L’Année poétique propose un rendez-vous annuel aux passionnés de poésie », expliquent ces dernières en quatrième de couverture de l’ouvrage. « (…) Des poètes consacrés et de nouvelles voix qui viennent de France, de Belgique, du Luxembourg, du Québec ou de Suisse, ou encore de Guinée, d’Haïti, du Liban, du Maroc, de Roumanie ou de Djibouti, pour ceux qui ont choisi d’écrire en français. (…) Tous résistent aux convenances et aux discours dominants, à l’impérialisme du sens, à une ère de cynisme et de médiocrité sublimée, pour s’insurger contre l’état du monde. »


Volcanique

Causeur. Que représente pour vous le Printemps des poètes ?

Jean-Yves Reuzeau : Le Printemps des Poètes est une manifestation nationale et internationale qui a fêté ses 25 ans d’activité. Celle-ci permet une large sensibilisation à la poésie sous toutes ses formes non seulement pendant quinze jours mais aussi durant toute l’année. Son rôle est très important pour éveiller l’intérêt des plus jeunes et élargir le public concerné et rajeuni. Il faut se rendre compte que plus de 18 000 manifestations sont programmées en 2025. Et que plusieurs millions de personnes sont mises en face d’un poème à cette occasion. Le thème choisi cette année par le Printemps des Poètes, « volcanique », souligne la vitalité étonnante de ce genre littéraire, principalement depuis la crise du Covid.

Quel rôle avez-vous joué au sein de ce Printemps des poètes au fil des ans et des éditions ?

Depuis sept ans, à la demande du Printemps des Poètes, je publie à cette occasion une importante anthologie de poésie francophone contemporaine. Ces livres présentent des textes inédits d’une centaine d’auteurs en pleine activité créatrice. Cette année, cette anthologie est éditée par les éditions Seghers qui ont souhaité donner une nouvelle vie à leur mythique collection « L’Année poétique ». Avec pour titre Esprit de résistance. Pour l’occasion, j’ai organisé une quinzaine de rencontres-lectures dans des librairies, des théâtres ou d’autres lieux. À Paris, Montpellier, Montréal, Marseille, Genève, etc. Souvent devant un public nombreux et enthousiaste.

Pouvez-vous nous présenter cette anthologie Esprit de résistance ?

Ce livre volumineux (400 pages) a pour ambition d’offrir un large panorama de la création poétique dans la francophonie, mais aussi à travers le monde. Tous les textes sont inédits et écrits pour l’occasion. Ils doivent être écrits par des auteurs qui ont parfois choisi d’écrire en français. Certains viennent du Liban, de Roumanie, de Guinée, de Djibouti ou d’Haïti. Chaque génération est représentée à part quasiment égale. Sans oublier la présence des grands noms qui nous ont quittés en une année particulièrement cruelle : Guy Goffette, Charles Juliet, Annie Le Brun, Jacques Réda ou Jacques Roubaud. Une trentaine de pages de notes biographiques permettent aux lecteurs de partir à la découverte de l’œuvre des auteurs qui les auront le plus marqués. Une anthologie doit avant tout être un espace de découvertes.

« Poètes, vos papiers ! »

Parmi ces 118 poètes, pourriez-vous nous parler de quatre ou cinq qui vous ont marqué vous-même, étonné, interpellé ? Et pourquoi ?

Pour un anthologiste, le plus excitant reste sans doute de révéler de nouvelles voix. Pour cette année, les plus remarquées sont notamment celles de Sara Bourre, Julia Lepère, Julie Nakache, Noah Truong ou Pauline Picot dont un poème de huit vers a particulièrement marqué les esprits. Ces poèmes parlent du quotidien, des menaces de notre temps, mais aussi d’espoir et d’ouverture, de brûlure du langage et de folie passionnément.

Esprit de résistance. Résister contre qui, contre quoi ? Il y a un côté engagé, rebelle dans cette expression. Selon vous, la poésie doit-elle être engagée ? Ne peut-elle pas être désengagée, sensuelle, douce, apaisée ?

Esprit de résistance : thème choisi en pensant à Pierre Seghers, créateur de la fameuse collection « Poètes d’aujourd’hui » et en lutte sa vie durant, mais aussi en réaction face à une époque particulièrement chaotique et menaçante. Résistance contre l’intolérance ambiante et face aux mensonges et trahisons qui rongent nos sociétés de façon accélérée. Guerres réelles, économiques ou idéologiques. De toute façon, la poésie reste acte de résistance en elle-même, par ses audaces textuelles et ses tentatives de réparer le réel. Elle résiste aux convenances, aux discours dominants.

Couture, Arthur H., Marie Modiano ; il y a quelques chanteurs et chanteuses parmi les 118. Pourquoi ?

Plusieurs chanteurs et chanteuses participent à cette anthologie : CharlÉlie Couture, Arthur H, Arthur Teboul, Marie Modiano, Clara Ysé… Certains écrivains ou lecteurs du genre tentent comme toujours de renier le statut de poète à ceux ou celles qui portent les mots en musique. Sans doute vexés ou frustrés par un succès médiatique ou commercial qui leur fait défaut… « Poètes vos papiers ! » hurlait ainsi Léo Ferré, pour faire justement se pâmer les précieux à l’arrêt…

L’édition se méfie-t-elle un peu moins de la poésie, dite peu vendeuse ?

L’édition a bien sûr remarqué, depuis la période pandémie, que le secteur de la poésie connaissait un essor conséquent. La poésie est d’ailleurs un des très rares domaines en croissance, avec 7 % de progression pour l’année 2024 selon l’institut d’étude de marché GfK. Pour 1,6 million d’exemplaires vendus. La poésie a toujours progressé en temps de crise et le nouveau dérèglement international risque de renforcer cette tendance. Des collections se créent (notamment de poche) chez les éditeurs traditionnels comme chez les indépendants. Les librairies agrandissent leurs rayons spécifiques, exposent ces livres en vitrine. Les tirages augmentent. Les thématiques se cristallisent souvent sur les préoccupations de l’époque (féminisme, animalisme, éco-anxiété, état de guerre permanent, phénomènes migratoires, présence invasive de l’intelligence artificielle, etc.) Les lectures publiques rencontrent un succès croissant. Remy de Gourmont l’affirmait avec provocation dès 1892 : « Il n’y a qu’un seul genre en littérature : le poème. »

Esprit de Résistance, L’année poétique : 118 poètes d’aujourd’hui, Jean-Yves Reuzeau ; éd. Seghers ; 386 p.

Esprit de résistance - L'Année poétique. Anthologie

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