Pour retrouver une industrie de défense digne de ce nom, l’Europe aurait tout intérêt à prendre exemple sur la Russie, la Chine et les États-Unis.
Le 4 mars, Ursula von der Leyen a annoncé le lancement du plan « Readiness 2030/ReArm Europe », destiné à doper l’économie de défense du Vieux Continent. Derrière les belles formules et un budget de pas moins de 800 milliards d’euros sur cinq ans, une question se pose : le volontarisme financier suffit-il à relancer une dynamique industrielle ?
Changement d’échelle
Fabriquer des blindés, des missiles et des munitions exige des matières premières (acier, titane, tungstène, terres rares, etc.) ainsi que des produits semi-finis (tels que les semi-conducteurs), dont nous maîtrisons peu ou mal l’approvisionnement. Et lorsque ces intrants sont disponibles, encore faut-il que l’énergie soit accessible à un prix compétitif. À cet égard, EDF, bien qu’entreprise d’État, ne joue pas convenablement son rôle, comme l’a pointé Roland Lescure, ancien ministre de l’Industrie (2022-2024), le 13 mars dans L’Usine nouvelle.
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Enfin et surtout, il ne suffit pas de décréter l’augmentation des cadences de production. Il faut ouvrir de nouvelles usines, former, recruter. Aujourd’hui, le principal goulot d’étranglement réside dans le manque de sites industriels, mais aussi d’ouvriers spécialisés et d’ingénieurs, dont la formation demande des années. Sans main-d’œuvre qualifiée, impossible de changer d’échelle.
Comme d’autres pays, il faut être prêt !
Comment surmonter tant d’obstacles ? Même s’ils sont loin d’apporter toutes les réponses, trois cas d’école méritent d’être passés en revue : la Russie, la Chine et les États-Unis.
Depuis qu’elle a envahi l’Ukraine en 2022, la Russie est passée en économie de guerre. Mais son appareil productif est resté sensiblement le même. Seulement, ses priorités ont été réorientées vers le militaire. Par exemple, des usines de wagons assemblent désormais des chars. Les chaînes tournent en 24/7, avec un renforcement massif des effectifs. Contrairement aux idées reçues, Vladimir Poutine n’a pas sacrifié son industrie, il l’a simplement adaptée à ses nouvelles exigences.
La Chine, elle, n’est pas en guerre, mais son économie est structurée pour pouvoir basculer en quelques semaines. Les grandes usines du pays conservent des capacités de production duales, qui permettent de passer du civil au militaire à tout moment. Les fabricants de semi-conducteurs sont en outre contraints de garder des stocks importants pour l’armée. Contrairement à la France, dont les dirigeants commencent à réfléchir une fois le conflit commencé, la Chine a déjà intégré la logique martiale dans son organisation économique.
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Les États-Unis, enfin, préparent également leur industrie à une éventuelle guerre prolongée. Ils sont en train de relocaliser la production d’acier et de semi-conducteurs, tandis que la « Bipartisan Infrastructure Law », votée en 2021 sous Joe Biden, a pour objet de moderniser les grands axes routiers stratégiques reliant les bases militaires. Depuis l’élection de Donald Trump, le gouvernement prévoit en outre des coupes dans les pensions des soldats retraités afin de libérer des fonds servant à subventionner l’industrie de l’armement.
Face à ces trois puissances qui se comportent comme des « carnivores » (pour reprendre la formule d’Emmanuel Macron), il ne suffit pas que l’herbivore européen proclame qu’il va désormais manger de la viande. Il faut également qu’il aiguise ses dents.