Etats-Unis, France, Italie: justice pour les élites!
Aux Etats-Unis, en France ou en Italie, des offensives judiciaires s’attachent à remettre en cause les choix souverains des peuples. La nouvelle démocratie se fera sans lui ou ne se fera pas.
Plusieurs événements très inquiétants se sont produits aux États-Unis, en Italie, et en France cet été. Sous des prétextes parfois grossiers, l’on a vu la justice pénale de chacun de ces trois pays tenter soit de mettre en cause le choix démocratique des peuples, soit de peser sur les processus mêmes de ces choix. Cette forme d’instrumentalisation de la justice est relativement nouvelle. Mais elle s’inscrit dans un processus déjà ancien.
La trahison des peuples
Rappelons que la démocratie représentative, système délicat et fragile, n’est pas sans défauts mais qu’elle a un mérite : celui de donner à l’expression majoritaire d’un peuple une légitimité permettant de gouverner. Si l’on est majoritaire à l’élection, on est légitime à tenir la barre pour une durée limitée. Et même ceux qui n’ont pas voté pour les vainqueurs devront leur obéir. Les deux conditions impératives de cette légitimité qui assurera la paix civile sont d’abord l’assurance qu’au terme du mandat une nouvelle majorité pourra défaire ce qu’a fait la précédente et ensuite que le résultat de l’élection soit le fruit d’une procédure honnête et sincère. Le problème pour les grands intérêts, les adeptes du « There is no alternative » (TINA) cher à Margaret Thatcher, les participants au sommet de Davos, les oints du seigneur comme les appelle Charles Gave, c’est que la possibilité de l’alternance démocratique devient un risque insupportable.
Alors ils rêvent d’un système que certains de ses théoriciens ont appelé « la démocratie sans le démos », c’est-à-dire sans le peuple, et qui consiste à mettre hors de portée de la délibération démocratique collective l’essentiel de ce qui en relevait auparavant. On ne dressera pas ici la liste de tout ce qui a pu être mis en œuvre pour assurer la pérennité d’un système de domination. Contentons-nous de quelques exemples grands ou petits. À tout seigneur tout honneur, l’Union européenne (UE) qui est un dispositif supranational tout à fait intéressant.
La justice des divins
Sur les plans économique, monétaire et juridique, tout ce qui relevait auparavant de la souveraineté des États-nations territoriaux qui la composent a été ossifié dans des traités à valeur constitutionnelle quasi immuables. L’UE a été construite délibérément avec cet objectif. Et quand un peuple s’avise de manifester un désaccord, on passe outre. Ce qui permet à Jean-Claude Juncker de dire tranquillement : « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens. »
En France, avec l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République, la volonté de porter atteinte aux libertés publiques s’est exprimée sans fard. Grands médias aux ordres, loi « fake news », révision constitutionnelle dangereuse, instrumentalisation de la justice – et dans ce dernier domaine, avec l’exécution judiciaire de François Fillon, nous avions pris de l’avance. Emmanuel Todd s’étonnait qu’avec l’élection d’Emmanuel Macron, la France ait emprunté une voie électorale inverse à celle du Brexit au Royaume-Uni, de l’élection de Trump aux Etats-Unis et de la coalition populiste en Italie. Il n’y a pas à être surpris, c’est l’intervention de la justice pénale qui a permis cette arrivée au pouvoir.
Nous avons les moyens de vous le faire payer…
On peut ne pas aimer du tout Donald Trump, mais en dehors de ceux qui souscrivent aux calembredaines de l’intervention russe, personne d’honnête ne peut contester son élection. Toutes les études d’opinion démontrent que son électorat lui reste fidèle et s’est probablement même étendu. Cela n’empêche pas le bloc néoconservateur qui avait misé sur Hillary Clinton de poursuivre un combat judiciaire assez ahurissant. Le système est très simple, il consiste à harceler les amis et les collaborateurs du président américain, à parvenir à dénicher des indices d’une infraction éventuelle aussi bénigne soit-elle. Puis on menace et fait chanter la personne mise en cause en lui proposant un marché très simple : « On vous assure l’immunité mais vous mettez en cause votre ancien ami, ancien patron, ancien client ». Craignant la lourdeur et le caractère ruineux d’un procès assorti d’une possible condamnation, certains préfèrent la tranquillité et choisissent le « je ne sais rien mais je dirai tout ». Les faucons néocons qui détestent Trump pensent tenir leur revanche. Pas sûr que cet acharnement garantisse la paix civile.
Et voilà que l’Italie s’y met aussi. Le suffrage universel a porté au pouvoir une coalition élue sur un programme clair, prévoyant un fort volet social, et un refus de poursuivre la dérive initiée par Angela Merkel soucieuse de plaire au patronat allemand en important de la main-d’œuvre à bas coût. Ladite dérive fait que l’Italie se retrouve en première ligne des trafics de migrants où les mafias locales en liaison avec les africaines s’en donnent à cœur joie. Matteo Salvini, ministre de l’Intérieur applique le programme adopté par la majorité des électeurs italiens, et massivement soutenu par l’opinion transalpine. Ce faisant, il heurte les grands intérêts et les belles âmes qui, consciemment ou non, prêtent la main à la nouvelle traite. Considérant que les soi-disant ONG sont parties prenantes du trafic, il leur refuse l’accostage dans les ports italiens et, s’ils rentrent quand même, le débarquement des nouveaux esclaves. Que n’a-t-il fait ! Il s’est trouvé un procureur pour lancer une enquête pour « séquestration », qualification du dernier ridicule lorsque l’on sait ce qu’elle désigne normalement en Italie. Rappelons que, contrairement à ce qu’il s’est passé en Allemagne, il n’y a eu aucune violence contre les migrants en Italie. Ce n’est pas seulement une provocation, cela caractérise bien cette instrumentalisation de la justice pénale pour empêcher la mise en œuvre de ce qui a été décidé par une élection régulière.
La France, laboratoire du monde
Et ce n’est pas tout. En France, une décision stupéfiante de magistrat instructeur du pôle financier prive le Rassemblement national (RN, ex-FN) des ressources qui lui sont dues en application de la loi. La Cour de cassation italienne fait mieux, puisqu’elle a lancé une procédure pour saisir tous les actifs du parti de Salvini à hauteur de 49 millions d’euros. Soi-disant pour garantir une condamnation non encore prononcée contre un de ses prédécesseurs à la tête de l’organisation pour des faits remontant à plus de 10 ans. Comprenons-nous bien, non seulement je n’ai aucune sympathie – au contraire – pour la Ligue du Nord et ses dirigeants – et je ne revendique pour eux aucune impunité – mais l’étude un peu détaillée des questions juridiques en cause démontre l’inanité de ces procédures judiciaires. Ces dévoiements n’ont qu’un but : bafouer une volonté populaire librement exprimée.
Exactement comme en France, mais avec moins d’originalité. En France, la justice pénale est carrément intervenue en amont de l’élection. L’opération judiciaire menée contre François Fillon a faussé la présidentielle et permis l’accession d’Emmanuel Macron à la présidence. Poursuivant sur sa lancée avec une forme d’acharnement contre le RN et son dernier épisode, celui de la privation de ses ressources. C’est une réalité qu’il faut rabâcher et ce d’autant plus que l’autre face de cette pièce est la protection dont bénéficient les amis du pouvoir. Pèsent sur François Bayrou et son Modem des soupçons de même nature et aussi lourds que ce qui concernent le RN. Ces gens-là dorment sur leurs deux oreilles, leur seule obligation étant de se réveiller de temps en temps pour apporter leur soutien à Emmanuel Macron. Il y a plein d’autres exemples, dont la liste, de Richard Ferrand à Françoise Nyssen en passant par Muriel Pénicaud, serait fastidieuse. On ne saurait trop conseiller aux opposants d’être très prudents. Il est fort probable que leur tour viendrait si jamais ils devenaient vraiment gênants pour le pouvoir en place.
Les fins d’un monde
Un jeune politologue américain, Yascha Mounk, vient de publier un ouvrage écrit juste après l’élection de Donald Trump. Dans Le peuple contre la démocratie, il analyse la montée des populismes comme symptôme de la crise de nos démocraties représentatives libérales. Dans un singulier renversement de perspective, il fait porter la responsabilité de cette crise aux peuples qui refusent le système que les élites occidentales tentent de leur imposer depuis de nombreuses années. Il dénonce la « dérive juridique et technocratique de l’exercice des pouvoirs » sans reconnaître qu’il s’agit d’un projet. Si la politique s’oppose de plus en plus aux opinions de la majorité, c’est parce que la majorité manifesterait sa mauvaise humeur en se laissant aller à ses mauvais penchants, à base de populisme, de chauvinisme et de lèpre.
Pour la remettre dans le droit chemin, la fin justifie les moyens. Avec les atteintes aux libertés et l’instrumentalisation de la justice pénale si nécessaire. Tant pis pour la démocratie.
Besson la main du roi
1. 7 septembre 2017 : Philippe Besson publie Un personnage de roman, roman vrai de l’accession au pouvoir d’Emmanuel Macron
2. 3 août 2018 : le Conseil des ministres modifie le décret n° 85-779 du 24 juillet 1985 portant application de l’article 25 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 fixant les emplois supérieurs pour lesquels la nomination est laissée à la décision du Gouvernement — particulièrement celui de consul général, « désormais laissé à la décision du Gouvernement. »
3. 29 août 2018 : Philippe Besson est nommé consul de France à Los Angeles.
4. « Le duc de Parme eut a traiter avec M. de Vendôme: il lui envoya l’évêque de Parme qui se trouva bien surpris d’être reçu par M. de Vendôme sur sa chaise percée, et plus encore de le voir se lever au milieu de la conférence, et se torcher le cul devant lui. Il en fut si indigné, que, toutefois sans mot dire, il s’en retourna à Parme sans finir ce qui l’avait amené, et déclara à son maître qu’il n’y retournerait de sa vie après ce qui lui était arrivé. Alberoni était fils d’un jardinier, qui, se sentant de l’esprit, avait pris un petit collet, pour, sous une figure d’abbé, aborder où son sarrau de toile eût été sans accès. Il était bouffon: il plut à Monsieur de Parme comme un bas valet dont on s’amuse; en s’en amusant, il lui trouva de l’esprit, et qu’il pouvait n’être pas incapable d’affaires. Il ne crut pas que la chaise percée de M. de Vendôme demandât un autre envoyé: il le chargea d’aller continuer et finir ce que l’évêque de Parme avait laissé à achever. Alberoni, qui n’avait point de morgue à garder, et qui savait très bien quel était Vendôme, résolut de lui plaire à quelque prix que ce fût pour venir à bout de sa commission au gré de son maître, et de s’avancer par là auprès de lui. Il traita donc avec M. de Vendôme sur sa chaise percée, égaya son affaire par des plaisanteries qui firent d’autant mieux rire le général, qu’il l’avait préparé par force louanges et hommages. Vendôme en usa avec lui comme il avait fait avec l’évêque, il se torcha le cul devant lui. A cette vue Alberoni s’écrie: O culo di angelo !… et courut le baiser. Rien n’avança plus ses affaires que cette infâme bouffonnerie. » (Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon)
Eglise et féministes, même logique
Le combat de ceux qui ont dénoncé avec humour les propos du pape, par le hashtag #nipapenipsychiatre, repose, chez certains, sur des principes douteux, proches de ceux qui justifient l’omerta au sein de l’Eglise.
Après les propos du pape semblant très maladroitement associer homosexualité et psychiatrie, la journaliste et militante LGBT, Alice Coffin, a choisi de répondre par un hashtag plein d’humour, #nipapenipsychiatre, suscitant de nombreux tweets souvent émouvants, régulièrement drôles, et même courageux.
Moi, Enfant-à-tendances-homosexuelles , qui ne connut ni pape, ni psychiatre. #nipapenipsychiatre pic.twitter.com/4G4jmyjUFK
— Alice Coffin (@alicecoffin) 28 août 2018
Chacun ses références, pour ma part j’y ajoute volontiers par la pensée des images de l’enfance d’Alexandre le Grand, Sappho, Socrate, et de quelqu’un qui, bien avant François, fut Pontife de Rome, un certain… César !
Touche pas à ma paroisse
Mais à côté de cette belle initiative, Alice Coffin a aussi réagi de manière particulièrement problématique aux accusations portées contre Asia Argento, affirmant : « En tant que militante féministe, j’ai pour ligne de ne jamais critiquer publiquement une autre femme. »
#AsiaArgento : Puisque je lis ici des injonctions aux féministes à se positionner et bien précisément en tant que militante féministe, j’ai pour ligne de ne jamais critiquer publiquement une autre femme. Ce qui vaut a fortiori pour Asia Argento.
— Alice Coffin (@alicecoffin) 20 août 2018
Reconnaissons-lui le mérite d’être consciente des limites d’une telle position, qui relève plus d’un choix stratégique que d’une posture de principe. Et pourtant.
Comment ne pas voir là un écho des écrits odieux de Houria Bouteldja, qui valorise l’attitude d’une femme noire refusant de dénoncer son violeur également noir, parce qu’elle « ne pourrait pas supporter de voir un autre homme noir en prison » ?
Comment ne pas y voir aussi un écho de ce qui est justement reproché à de trop nombreux prélats, qui ont choisi de taire les crimes abominables dont ils avaient connaissance, non pas par complaisance envers les coupables, mais pour protéger l’Église ?
Une vision particulière de l’intérêt général
Tout comme les féministes qui estiment que l’on peut bafouer la justice au nom de la cause des femmes, tout comme les « antiracistes » qui estiment que l’on peut bafouer la justice (et les droits les plus élémentaires des femmes) au nom de la cause des « minorités opprimées », ces prélats ont estimé pouvoir bafouer la justice au nom de l’Église, affaiblie, attaquée de toutes parts, et à leurs yeux plus importante que tout. On connaît le résultat.
Bien sûr, il est parfois impossible de servir efficacement une cause, même parfaitement juste et nécessaire, en jouant en permanence au chevalier blanc.
Mais prenons garde. Même si un groupe, une institution ou une idée méritent d’être défendus, les défendre au mépris de la vérité est au minimum dangereux et le plus souvent contre-productif.
N’oublions pas l’essence même de ce qui fonde notre société : la recherche commune de l’intérêt général, qui n’est absolument pas la même chose que la seule tentative d’équilibrer les intérêts particuliers, aussi légitimes fussent-ils.
Je me réjouis que « nous » ne serve plus à t’étouffer « toi » ni à me dissoudre « moi ». Mais ce n’est pas pour autant que toi et moi devons accepter que « toi » et « moi » rendent impossible que « toi et moi » soyons ensemble au service de « nous ».
La simple volonté de concilier les intérêts des personnes ou des groupes ne peut au mieux qu’apaiser temporairement les tensions, chacun attendant une opportunité pour tout renégocier à son seul avantage. Le communautarisme est dès lors inévitable, les « accommodements raisonnables » sont des lignes de front précaires avant la prochaine lutte d’influence, la surenchère permanente répond à la concurrence victimaire dans une course aux extrêmes, les autres (autres personnes, autres groupes) ne sont plus des concitoyens mais des rivaux, ou éventuellement des alliés temporaires au gré de collusions d’intérêts précaires, ou de haines partagées et autres « convergences des luttes ».
Le nom de la cause
L’intérêt général, en revanche, permet de dépasser ces oppositions et ces jeux malsains entre factions, notamment parce qu’il permet à chacun, et à chaque groupe, de gagner en légitimité aux yeux des autres en œuvrant à quelque chose qui profite à tous.
A long terme, seule la recherche exigeante de l’intérêt général permettra d’éviter la guerre de tous contre tous. Et si difficile que cela puisse être, cela impose parfois de préférer défendre ce qui est juste plutôt que de prendre systématiquement le parti des « siens ».
C’est vrai d’un « privilégié » qui voit les plus pauvres que lui comme des personnes et non de simples ressources, et se préoccupe de justice sociale. C’est vrai d’un militant syndical qui se souvient « qu’il ne suffit pas d’être pauvre pour être honnête ». C’est vrai d’un policier ou d’un gendarme qui refuse de couvrir un ripoux. C’est vrai d’un philosophe de gauche qui « préfère une analyse juste d’Alain de Benoist à une analyse injuste de Minc, BHL ou Attali ». C’est vrai d’une remarquable journaliste noire qui dénonce le racialisme et les assignations identitaires. C’est vrai d’une essayiste ardemment engagée qui prend la peine de nuancer sa critique des propos du pape, en les écoutant en entier plutôt que de se limiter à une petite phrase.
Beaucoup de choses à dire sur la façon dont l’Eglise persécute les homosexuels depuis des siècles tout en protégeant les pédophiles. Mais les propos reprochés au #pape François sont plus complexes que rapportés hors de leur contexte. #papeFrancois https://t.co/FS5V5uC8zJ
— Caroline Fourest (@CarolineFourest) 28 août 2018
C’est vrai d’un pape qui demande aux évêques de dénoncer les prêtres pédophiles plutôt que de sacrifier des enfants.
Ici comme ailleurs, cela s’appelle la rigueur intellectuelle, l’honnêteté, la droiture. En France, nous avons aussi l’habitude de lui donner un autre très beau nom. Nous appelons cela République.
Les deux corps (oubliés) du roi Macron
Si la réalité dépasse parfois la fiction, c’est que la fiction précède souvent la réalité. La littérature prévoit l’avenir. Cette chronique le prouve.
« La Cour d’Honneur de l’Élysée est connue pour ses tapis rouges. Le 21 juin, elle se transforme en piste de danse pour la Fête de la Musique ! Au programme : Busy P, Cézaire, Chloé, Kavinsky et Kiddy Smile. Les places sont limitées : inscrivez-vous vite ! », clamait le compte Twitter de la présidence pour la Fête de la musique 2018. Transformer les lieux de pouvoir en lieux de fêtes, pour s’attirer les bonnes grâces du peuple et surtout de la jeunesse, voilà qui ne date pas d’hier. Les empereurs romains s’en firent une spécialité, notamment les psychopathes de la dynastie julio-claudienne vus par Suétone, tel Caligula : « Pour augmenter à jamais la durée des réjouissances publiques aux fêtes des Saturnales, il y ajouta un jour, et le nomma “la fête de la jeunesse”. »
Saint-Simon, fine mouche, dans ses Mémoires, avait compris pour sa part cette utilisation très politique du lieu de pouvoir : « Ce fut là où il commença à attirer le monde par les fêtes et les galanteries, et à faire sentir qu’il voulait être vu souvent », écrit le duc à propos de Louis XIV, quand le monarque décida de se fixer Versailles. Il ajoute : « Les fêtes fréquentes […] furent des moyens que le roi saisit pour distinguer et pour mortifier en nommant les personnes qui à chaque fois en devaient être, et pour tenir chacun assidu et attentif à lui plaire. »
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C’est à l’Élysée, et non à Versailles, qu’a été pris l’étonnant cliché montrant le couple présidentiel entouré de danseurs queer, vêtus de hauts résille, dans une promiscuité ambiguë et comique à la fois, qui ne grandissait pas franchement la fonction présidentielle. Mais oser le dire était une preuve d’infamie rédhibitoire pour Castaner qui, avec sa subtilité habituelle, a utilisé la disqualification caricaturale pour les moqueurs : « Diffusons cette photo puisqu’elle gêne tant une partie de la classe politique qui banalise des propos racistes et homophobes. » Sauf que la question n’est pas là. La question est de savoir si oui ou non Macron le Jupitérien a oublié pour la circonstance la théorie de Kantorowicz sur Les Deux Corps du roi : « Dans ce corps mortel du roi vient se loger le corps immortel du royaume que le roi transmet à son successeur », c’est-à-dire un corps qui ne s’appartient plus quand il est celui du chef de l’État.
Quelques jours plus tôt, pourtant, un collégien avait appris à ses dépens que le corps sacré de Macron ne supportait pas qu’on le tutoie après l’avoir accueilli avec l’Internationale. Apparemment, la musique électro le gêne moins que les chants révolutionnaires. Le pouvoir, c’est aussi l’art de choisir des rebelles qui vous conviennent.
Abracadabra, Macron fait disparaître les Danois!
La poudre de Perlimpinpin n’a jamais marché aussi bien. En l’espace de quelques heures, Emmanuel Macron a affirmé tout et en même temps son contraire. Au Danemark, le président a assuré que « le vrai Danois n’existait pas » avant de le faire réapparaître pour mieux critiquer le « Gaulois ».
Nicolas Hulot ayant enfin compris qu’il n’était pas, en même temps, libéral et écologiste, Emmanuel Macron devait avoir à cœur de recycler son fameux slogan. Ainsi, lundi, devant la conférence des ambassadeurs, il expliquait : « Enfin, parce que, partout dans le monde, les identités profondes des peuples ont resurgi, avec leurs imaginaires historiques. C’est un fait. Ceux qui croyaient à l’avènement d’un peuple mondialisé, protégé des morsures de l’histoire, se sont profondément trompés. Partout dans le monde, la psyché profonde est revenue à chacun de nos peuples, et c’est vrai, de l’Inde à la Hongrie, en passant par la Grèce, jusqu’aux Etats-Unis. Regardez-y de plus près, elle est parfois détournée, parfois exacerbée, mais c’est un fait qui dit quelque chose du retour des peuples. C’est une bonne chose sans doute, en tout cas, je le crois. » Le lendemain au Danemark, devant des étudiants, il tenait un tout autre discours : « Le vrai Danois n’existe pas, il est déjà européen. Même votre langue n’est pas seulement le danois, elle est part de la langue européenne », avant d’ajouter : « C’est pareil pour les Français ».
« En même temps », saison 2
Ainsi donc, le président de la République peut – pas tout à fait en même temps mais en moins de 36h – affirmer que l’identité profonde existe puis qu’elle n’existe pas. Comme dirait la patronne Elisabeth, c’est une cuiller pour Causeur, et une cuiller pour Libé. Depuis que sa candidature pointait à la fin de l’été 2016, lorsqu’il quittait le gouvernement, nous avons été saturés du « en même temps » macronien. Et, alors qu’il a pu faire merveille au point de le porter au pouvoir puis de lui permettre un bon départ, ce slogan est en train de devenir une véritable faiblesse, risquant de mécontenter à la fois ceux qui croient en l’identité et la souveraineté nationales et ceux qui les croient dépassées. Et cela vaut sur d’autres sujets.
Astérix le Gaulois et les peuples contingents
Mais revenons au Royaume du Danemark puisque le président de la République n’a pas parlé que devant les étudiants. Il s’est aussi érigé en rempart contre le nouveau duo formé par Viktor Orban et Matteo Salvini, opposant les « progressistes » dont il lui sied d’être désigné comme le chef de file par le couple italo-hongrois, aux « nationalistes ». Et il a aussi cédé une nouvelle fois à la tentation de fustiger ses compatriotes depuis une terre étrangère, comparant les Danois, ce « peuple luthérien » tellement ouvert aux réformes qu’il aimerait imposer aux « Gaulois réfractaires au changement ».
Il essentialisait ainsi deux peuples dont le sien, l’un forcément ouvert à la transformation car luthérien, et l’autre conservateur, forcément conservateur, car héritier de Vercingétorix. Comment saisir cette phrase au bout de trois jours de déclarations contradictoires ? Faut-il comprendre que le Danois sera toujours Danois car luthérien, et que le Français sera toujours Français, parce qu’il a trop lu Goscinny ? Il faut reconnaître que son explication devant les ambassadeurs avait davantage de gueule. Faut-il comprendre au contraire que, compte tenu qu’il n’y a pas de vrais Danois – même si plutôt luthérien – et pas de vrais Français – même si tous enfants d’Astérix -, autant imiter les réformes progressistes des premiers qui ont l’avantage d’aller dans le sens de l’Union européenne, mise en danger par les « nationalistes » ? Ou, plus sûrement, n’y a-t-il rien à comprendre, Emmanuel Macron procédant à un de ses fameux enfumages politiques dont il a le secret depuis qu’il est entré en politique ?
Être ou ne pas être…
Toujours est-il que le Royaume du Danemark n’était pas forcément le meilleur lieu pour illustrer le projet « progressiste » contre les méchants « nationalistes ». Car c’est bien ce pays qui, en 1992, fut en quelque sorte le « village gaulois » en rébellion, décidant souverainement par référendum la non-adoption du traité de Maastricht et donc le maintien de la Couronne comme monnaie nationale. C’est bien ce peuple qui, avant même l’Italie ou la Hongrie, envoya un groupe puissant au Parlement de ce qu’Emmanuel Macron nomme « nationalistes » ou « populistes ». C’est bien ce pays qui a mis en œuvre une politique d’assimilation et de baisse de l’immigration qui feraient hurler les députés LREM si c’était Laurent Wauquiez qui les proposait.
Qui sait si, du côté de Milan, Salvini et Orban n’ont pas été surpris qu’Emmanuel Macron leur réponde aussi vertement depuis Copenhague, alors que, décidément, il y a sans doute plus « populiste » qu’eux au Royaume du Danemark.
Le Québec, une autre France en campagne
Un mois avant les élections générales québécoises, les thèmes de campagne abordés et les pratiques de certains politiques rappellent étrangement une autre contrée francophone. Place au jeu des sept erreurs.
La nation québécoise aura à se choisir, le 1er octobre, un nouveau gouvernement. Plusieurs options politiques s’offrent aux citoyens. La première : donner un nouveau mandat au Premier ministre sortant Philippe Couillard, un neurochirurgien ayant œuvré en Arabie saoudite et placé ses gains dans l’île de Jersey pour contourner le fisc québécois, et à ses troupes du Parti libéral du Québec. La seconde : le déloger en mettant au pouvoir la Coalition Avenir Québec (CAQ), un parti fédéraliste de centre-droit intéressé par la réduction de l’État, et un peu par les questions identitaires, dirigé par l’ex-souverainiste, François Legault. La troisième : élire le Parti québécois de Jean-François Lisée, parti indépendantiste dont une des promesses phares est de ne pas réaliser l’indépendance au cours de son mandat. La dernière : élire un gouvernement composé de l’équipe du parti de gauche radicale Québec solidaire mené, par souci d’équité hommes/femmes, par deux co-porte-paroles : le jeune syndicaliste étudiant, Gabriel Nadeau-Dubois, et la travailleuse communautaire moustachue, Manon Massé.
Je t’aime donc je les suis
Dans la foulée de la campagne électorale en cours, plusieurs candidats redoublent d’originalité dans leur production hebdomadaire de bourdes. Après que l’aspirante Premier ministre, Manon Massé, eût déclaré que l’anglais était une des langues officielles du Québec – ce qui est objectivement faux – ce fut au tour de la candidate libérale Gertrude Bourdon, directrice générale du centre hospitalier universitaire de Québec généreusement rémunérée, de s’empêtrer.
Lançant sa campagne entourée de son chef Couillard, qui la nommait ministre avant même qu’elle il ne soit élu, et du ministre de la Santé sortant le docteur Gaétan Barrette, Gertrude Bourdon fit devant les caméras sa profession de foi libérale : contre la haine et l’intolérance, pour le fédéralisme canadien. Le choix de l’équipe Couillard allait, pour elle, de soi, c’était une question de valeurs, une histoire d’attachement sincère et viscéral.
Simultanément, on apprenait sur les ondes des grands réseaux d’information que Madame Bourdon avait « magasiné » longuement son entrée en politique dans tous les partis à l’exception de Québec solidaire et que, quelques jours avant son grandiose lancement libéral, elle envoyait un SMS à un haut responsable de la Coalition Avenir Québec mentionnant qu’elle allait, avec toute l’équipe de la CAQ, « marquer l’histoire ». Se voyant dans l’eau chaude, Gertrude Bourdon s’est empressée de démentir, accusant la CAQ de mentir, avant d’être reléguée en arrière-plan de la campagne libérale, conséquence de sa misérable entrée en scène. La bonimenteuse allait toutefois être démasquée : les SMS furent révélés.
Si tu n’es pas avec moi tu es donc contre tous
L’histoire n’a rien d’étonnant. Il n’est pas rare, au Québec, que les individus souhaitant faire carrière en politique flirtent à gauche et à droite avant d’accepter la meilleure offre et choisissent leur camp par opportunisme davantage que par conviction profonde. La suite du récit est plus intéressante et met en scène la grande maladie de notre temps : l’hystérie collective engendrée par l’œuvre de personnes agissant tels des possédés.
A la suite de la divulgation des preuves du magasinage partisan de Gertrude Bourdon, il fallait chercher, en bons militants, à mener un procès contre le parti ayant mis au jour la crue réalité de l’opportunisme politique de la candidate vedette. Des stratèges masculins du PLQ de Philippe Couillard n’ont rien trouvé de mieux que de tenter de générer l’hystérie collective en mettant en scène deux femmes candidates du parti, l’ex-journaliste Christine Saint-Pierre et la fiscaliste Marwah Rizqy, dont le rôle allait être d’accuser François Legault et la CAQ de sexisme pour s’en être pris à une femme candidate.
Le diable, un épouvantail libéral
François Legault, premier dans les sondages, est en effet à la tête du seul parti ayant affirmé qu’il fallait mieux réguler l’immigration au Québec et sélectionner plus sévèrement les nouveaux arrivants. Il est aussi le seul à ne pas être allé parader au défilé de la fierté gaie tenu à Montréal en août dernier. Il représente, aux yeux des libéraux, un diable dont on doit exorciser la société québécoise. Pour faire croire à l’existence de ce démon, divers possédés se donnent en spectacle. Reprenant des concepts complexes, les tordant à leur avantage, les simplifiant, ils tentent d’attirer la collectivité dans l’hystérie.
Le phénomène n’est pas d’aujourd’hui, comme nous l’apprend Yves-Marie Bercé dans Esprits et démons : histoire des phénomènes d’hystérie collective. Si elles étaient autrefois intimement liées au domaine religieux, les crises d’hystérie collectives sont aujourd’hui l’apanage de l’idéologie libérale, des groupuscules militants qu’elle génère (néo-féministes et adeptes de la théorie du genre, notamment) et de la morale qu’elle défend, qui s’impose ni plus ni moins comme la nouvelle donne religieuse de l’époque.
La campagne électorale québécoise n’en est qu’à sa première semaine et déjà, l’empire du Bien rafle tous les honneurs.
« La Guerre de France » aura-t-elle lieu?
La Guerre de France aura-t-elle ou n’aura-t-elle pas lieu, pour parodier le titre de Giraudoux ? La roue du monde tourne-t-elle par le divin (Foi) ou l’Absolu (Nation) ? Le présent n’est-il que reprise, répétition, dette éternelle kierkegaardienne où même la mort ne sonne pas le terme ? Sommes-nous pris dans le cycle absurde et infini du vouloir-vivre schopenhauerien ? Peut-on sortir des ténèbres, du sang, de la guerre, donc ? Thanatos a-t-il sur la Loi à chaque fois le dernier mot ?
Voici quelques questions que le roman de Christian de Moliner pose, en les inscrivant dans une histoire menée par des protagonistes poursuivant tous des idéaux différents, l’auteur se faisant quant à ces possibilités idéelles discret et neutre.
Pas un essai, un roman
Les tensions actuelles ne cessent d’inspirer essais politiques, théories plus ou moins farfelues, réalisme tragique, utopies bisounours, articles contradictoires, éclairages obscurs de philosophie politique, géopolitique, métapolitique, complotisme ; les images sanglantes et titres accrocheurs font vendre dans une ambiance de voyeurisme et de pulsion de mort (Charlie Hebdo, Bataclan, Nice, etc.).
La surprise de ce roman de la rentrée littéraire est qu’il ne s’agit pas du tout d’une énième élucubration politique mais bien d’une dystopie, de littérature donc : et que se passerait-il si, dans un futur proche, la guerre civile, cette « guerre de France », était là pour de bon ? La fiction se veut rythmée et haletante, façon série noire.
Le titre du livre n’est pas sans mettre la puce à l’oreille et faire entrer le fictif brutalement dans une actualité délicate : en effet, en juin dernier, une organisation dont le site internet était nommé « guerre de France » préparait, semble-t-il, des assassinats contre des imams et des femmes voilées. Ni l’auteur, Christian de Moliner, ni son éditeur, Pierre-Guillaume de Roux, n’en savaient rien au moment de déposer le titre du livre, qui tenait tant à cœur à son auteur depuis de longues années.
Ici, la petite histoire familiale se mêle à la grande Histoire, comme les plus beaux récits mythologiques nous y ont habitués. Tout ne serait-il que reprise, répétition, éternel retour ? C’est ce que ce thriller saccadé, qui va peut-être parfois trop vite et perd son lecteur, pourrait laisser penser.
Djamila au pied de la guerre
Djamila, protagoniste du roman, se voit, telle une Antigone ou un Œdipe du futur, dans l’impossibilité de fuir sa malédiction familiale, de surcroît imbriquée à cette Guerre de France sans précédent : enfant née d’un viol, cette dernière se retrouve à son corps défendant, en pleine guerre civile, contrainte à jouer l’intermédiaire impuissante, perdue et passive – anti-héroïne par excellence –, entre Saoudiens pro-Islamistes, Russes pro-nationalistes et Américains soutenant l’Élysée contre les deux camps antagonistes.
Pourquoi cette jeune étudiante fragile plutôt qu’un James Bond aguerri à la violence, aux stratagèmes et à la diplomatie ? Un héros qui sait mener l’action et rétablir la paix ? Un cow-boy, un shérif ou même un barbouze ?
Cela parce que le père de Djamila, François Bavay, surnommé le « boucher de Nantes » (notre auteur a peut-être trop aimé la série télévisée Dexter !) en raison de son extrême cruauté (pour ceux qui n’auraient pas suivi), n’est autre que le chef des divisés nationalistes, partisans d’une France d’antan, d’une France coloniale, et dont la détermination profonde est de « ressusciter la France, la purifier, la relever, la faire redevenir elle-même » (les irréductibles Gaulois ?). Les Saoudiens pro-islamistes, quant à eux, souhaitent des zones spécifiques où la seule charia ferait loi (les « Gentils » de Saint Thomas d’Aquin avec lesquels on s’efforce de discuter depuis longtemps). Comme le glisse l’auteur au travers de Djamila, c’est « dans l’univers moyenâgeux [qu’] évoluaient les protagonistes de la Guerre de France ».
L’affrontement des Idées, Foi, Nation (et même, Famille !), immortelles, produit quant à lui l’hémorragie en France, sa « vivisection ». Comme le disait le jeune Antonin Artaud, « la cruauté est l’application d’une Idée ». Et en effet, en dystopie comme dans la vie, la purification s’achève généralement par un massacre, un holocauste comme le dit Djamila, d’ailleurs approuvée par ce père réprouvé et détesté, qui s’avère bien différent de celui qu’elle avait diabolisé toute sa vie.
Ainsi, la jeune femme, dont nous suivons les pensées, paradoxes, hésitations, ressassements, redondances, angoisses, et dilemmes, se réifie au cours de sa mission particulièrement perverse : négocier certes, mais surtout tuer ce père qu’elle a en horreur, responsable du suicide de sa mère, mais malgré tout, son père. Quand le monstre se fait homme, tout devient plus compliqué. Tuer le père, même ce père-là, n’est donc pas une mince affaire. Les sentiments et émotions de Djamila se partagent et la divisent, rendant l’issue de l’intrigue d’autant plus difficile à démêler, et elle de plus en plus impuissante dans sa quête d’une autre Idée : la paix.
Cette idée a-t-elle déjà existé comme une petite lueur quelque part au moins dans le ciel des Idées platonicien ? Et si c’était le cas, n’est-elle pas éteinte pour de bon ? Djamila voudrait bien que les Atrides, et ainsi, la guerre, prennent fin avec elle, mais est-ce seulement possible ? Y aura-t-il au moins un pâle Agamemnon ?
Sans divulgation supplémentaire de la dystopie de Christian de Moliner, il semblerait bien que comme chez Ionesco, même si la Guerre de Troie n’aura pas lieu, les javelots, eux, immanquablement, se baisseront avec la fermeture du quatrième mur du théâtre de la cruauté.
Le thriller laisse le lecteur sur la même impression que Deleuze et Guattari dans l’Île déserte : « On continue sur la lancée présente et, de répressions en répressions, on ira vers un fascisme auprès duquel Hitler et Mussolini apparaîtront comme de la rigolade. »
Au secours, on me prend pour une féministe!
Parce que femme, je suis présumée féministe. Alors que cette cause m’indiffère…
Moi qui laissais autrefois la parole au silence, j’ai récemment ressenti le besoin d’exprimer mon désarroi face aux vagues de militantisme contemporain. Perdue dans le chaos de bras et de jambes féministes, je me retire et me retrouve à justifier ce qui est dans ma nature.
Les gens me confondent fréquemment avec une communiste fumeuse de chanvre, une imbécile heureuse, une Faf à béret tricolore, une snob sous ecstasy, une mauvaise tragédienne et parfois même… une féministe. Après m’être demandée durant dix ans si c’était la faute de mes envolées lyriques sur l’amour ou de ma garde-robe d’inspiration Dame Ginette, j’ai finalement compris, qu’en quelques années, « féministe » était devenu synonyme de « femme ».
Ni pour ni contre, bien au contraire
Certains étaient accusés d’être des sorcières ou des uranistes, moi je suis clouée au pilori, le front estampillé « réac » au fer rouge. Les pauvres bougres sont déçus, eux qui m’avaient imaginée comme un corbeau morne-gai voguant librement à travers les vents de la vie. Leur raisonnement binaire me catapulte tout droit dans la catégorie des vilains défenseurs velus du patriarcat. Bienvenue en contrée sophiste où ne pas promouvoir l’extension du domaine de la femme dans la société revient à lutter pour la pérennité de la phallocratie. Ils se trompent, je ne suis pas contre le féminisme et ses aficionados, je ne suis simplement pas des leurs. Je suis comme tout le monde, je peine à adhérer à une cause que je ne comprends pas. Je ne vais donc pas batailler pour obtenir l’octroi de nouveaux droits à une catégorie de personnes (de certaines nationalités) qui, selon moi, les a déjà tous en ses mains.
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Par-dessus le marché, je ne suis pas partisane de la généralisation et de l’étiquetage des gens. Je suis effectivement une femme, je ne suis pas non-binaire, mais je suis avant tout une somme de défauts, de qualités, d’obsessions et d’ambitions tout autant ridicules les unes que les autres. Je ne ressemble à aucune femme et vous non plus. J’aimerais que chacun fasse de soi-même sa propre cause. Et, si je devais défendre fiévreusement une certaine catégorie d’opprimés, je ne penserais pas aux femmes en premier mais plutôt aux clodos, enfants disparus et animaux maltraités. Je ne saurais m’émouvoir devant les pleurs d’une femme qui découvre le fossé entre son salaire et celui de son voisin de bureau masculin. Eh oui, on embrasse véritablement une cause que lorsque les vérités qu’elle dénonce nous remuent jusqu’aux tripes.
Je doute de moi, pas des femmes
Quand j’y pense, mon indifférence à la cause féministe était prévisible. Mon grand frère, ma grande sœur et moi avons reçu une éducation quasiment indemne de traces de différenciation sexuelle et mes géniteurs n’ont jamais tenté de réprimer mon individualisme que certains appellent égoïsme. Même si mes parents m’ont d’abord inscrite à des cours de danse classique, ils ont rapidement compris que ce n’était pas mon dada et ont assisté à toutes mes compétitions de Karaté. Du jogging noir porté une année entière aux refus de porter des robes mignonnettes, en passant par les cimetières dessinés sur la main, la courte expulsion du lycée et l’utilisation d’un vivier de mots grossiers sans cesse renouvelé, ils ne m’ont jamais interdit une pratique ou contesté l’un de mes opinions en raison de mon sexe. Pourtant derniers survivants du conservatisme, ils n’ont pas respecté les carcans du genre.
Peut-être ai-je été mal élevée ou suis-je mégalomane, mais je suis heureuse d’affirmer que je me sens légitime dans ce que j’entreprends, la plupart du temps. Et lorsque ce n’est pas le cas, je doute alors de mes capacités physiques, artistiques, intellectuelles mais je ne pointe jamais du doigt ma condition/état de femme.
Cessez donc de m’enquiquiner avec des questions de genre et d’égalité de droits qui n’éveillent ni ma curiosité ni mon empathie mais ne méprisez pas non plus ce qui se noie lorsque la vague passe.
Mariage de Vincent Cassel: dis-moi qui tu es, je te dirai qui baiser
Quand le multiculturalisme mène à l’apartheid. La mairie de Bidart où l’acteur, Vincent Cassel, a épousé une femme métissée a été vandalisée. On lui reproche d’être « sexclavagiste ».
Vincent Cassel est-il « sexclavagiste » ? Apparemment, la question se pose en ce mois d’août 2018. Tout récemment, l’acteur célébrait son mariage avec le mannequin Tina Kunakey, une femme couleur café de 21 ans. Il n’en fallait pas plus pour faire réagir sur les réseaux sociaux. Dès l’annonce de leur liaison, en 2015, des internautes se disaient déjà scandalisés de voir l’acteur aux côtés de cette bombe édénique.
Le multiculturalisme refait le mur
La hargne à l’endroit de l’acteur ne se manifeste pas seulement virtuellement. La presse nous apprenait hier que la mairie de Bidart, au Pays basque, avait été vandalisée après le passage des deux tourtereaux. Le lendemain de la cérémonie du mariage, les services municipaux ont dû effacer des messages haineux laissés sous forme de graffitis.
« Femme objet pornifiée, mariage machiste, sexclavagiste », pouvait-on lire, entre autres, sur les murs. Vincent Cassel ferait de sa femme un objet pornographique. En bon Européen, Vincent Cassel serait sexuellement colonialiste.
Ce n’est pas seulement la différence d’âge entre les deux amants (il en a 51) qui a pu choquer certains exaltés. Après tout, ce n’est pas la première fois qu’un homme riche et célèbre épouse une femme beaucoup plus jeune que lui. Évidemment, le puritanisme gagne du terrain, mais cet écart n’explique pas à lui seul cette réaction.
Il est vrai qu’aujourd’hui, Serge Reggiani ne pourrait peut-être plus chanter Il suffirait de presque rien sans susciter la désapprobation de certains mouvements.
Mais le cas de Cassel est différent, car son crime semble aussi d’ordre ethnique… En épousant une métisse, l’acteur aurait transgressé les nouvelles règles du racialement correct. Vincent Cassel pillerait des trésors qui ne lui appartiennent pas.
La fesse cachée du multiculturalisme
Cette histoire n’est pas anecdotique. Au contraire, elle est symptomatique du triomphe du multiculturalisme. Il faudra bien finir par l’admettre : poussé à l’extrême, le multiculturalisme mène à l’apartheid. Les libéraux nous avaient promis le métissage, mais il n’adviendra jamais dans ces conditions. Les antiracistes racistes veulent nous dire avec qui sortir, manger, boire, flirter et baiser. Avant de nous marier, nous devrons leur demander une autorisation. Le nouvel antiracisme est un antilibéralisme.
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Les nouveaux antiracistes voient du colonialisme partout. Puisque les rapports de domination sont de moins en moins économiques entre l’Occident et le reste du monde, il fallait bien en inventer d’autres qui seraient symboliques. Ainsi, manger des sushis serait de l’appropriation culturelle, boire du thé serait colonialiste et se marier avec une femme noire impérialiste. Les antiracistes racistes puisent ces idées dans les « cultural studies », un courant universitaire qui prône une sorte de décolonisation totale de l’imaginaire.
Gauguin rentre au pays
Au fond, ce qui est indirectement reproché à Cassel, c’est d’être un « orientaliste sexuel ». Vincent Cassel ne devrait pas planter sa croix dans les plus beaux eldorados de la féminité. Peu importe ce que pense ou ressent vraiment l’acteur : consciemment ou non, il ne ferait que perpétuer des schémas de domination.
Ironie du sort, Cassel incarnait récemment Paul Gauguin dans Gauguin – Voyage de Tahiti, un long-métrage qui doit être vu comme le summum de l’orientalisme colonial par les guerriers sociaux. De fait, ce peintre français est connu pour ses portraits colorés de Polynésiennes. Des tableaux de muses érotiques qui feraient scandale aujourd’hui.
Le multiculturalisme est un totalitarisme soft qui impose la ségrégation avec des airs de bohême. Pour preuve, il se préoccupe même de la sexualité des gens au nom du vivre-ensemble. Le multiculturalisme est un interventionnisme moral. Dans le vaste monde multiculti, la liberté est seulement économique.
Etats-Unis, France, Italie: justice pour les élites!
Aux Etats-Unis, en France ou en Italie, des offensives judiciaires s’attachent à remettre en cause les choix souverains des peuples. La nouvelle démocratie se fera sans lui ou ne se fera pas.
Plusieurs événements très inquiétants se sont produits aux États-Unis, en Italie, et en France cet été. Sous des prétextes parfois grossiers, l’on a vu la justice pénale de chacun de ces trois pays tenter soit de mettre en cause le choix démocratique des peuples, soit de peser sur les processus mêmes de ces choix. Cette forme d’instrumentalisation de la justice est relativement nouvelle. Mais elle s’inscrit dans un processus déjà ancien.
La trahison des peuples
Rappelons que la démocratie représentative, système délicat et fragile, n’est pas sans défauts mais qu’elle a un mérite : celui de donner à l’expression majoritaire d’un peuple une légitimité permettant de gouverner. Si l’on est majoritaire à l’élection, on est légitime à tenir la barre pour une durée limitée. Et même ceux qui n’ont pas voté pour les vainqueurs devront leur obéir. Les deux conditions impératives de cette légitimité qui assurera la paix civile sont d’abord l’assurance qu’au terme du mandat une nouvelle majorité pourra défaire ce qu’a fait la précédente et ensuite que le résultat de l’élection soit le fruit d’une procédure honnête et sincère. Le problème pour les grands intérêts, les adeptes du « There is no alternative » (TINA) cher à Margaret Thatcher, les participants au sommet de Davos, les oints du seigneur comme les appelle Charles Gave, c’est que la possibilité de l’alternance démocratique devient un risque insupportable.
Alors ils rêvent d’un système que certains de ses théoriciens ont appelé « la démocratie sans le démos », c’est-à-dire sans le peuple, et qui consiste à mettre hors de portée de la délibération démocratique collective l’essentiel de ce qui en relevait auparavant. On ne dressera pas ici la liste de tout ce qui a pu être mis en œuvre pour assurer la pérennité d’un système de domination. Contentons-nous de quelques exemples grands ou petits. À tout seigneur tout honneur, l’Union européenne (UE) qui est un dispositif supranational tout à fait intéressant.
La justice des divins
Sur les plans économique, monétaire et juridique, tout ce qui relevait auparavant de la souveraineté des États-nations territoriaux qui la composent a été ossifié dans des traités à valeur constitutionnelle quasi immuables. L’UE a été construite délibérément avec cet objectif. Et quand un peuple s’avise de manifester un désaccord, on passe outre. Ce qui permet à Jean-Claude Juncker de dire tranquillement : « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens. »
En France, avec l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République, la volonté de porter atteinte aux libertés publiques s’est exprimée sans fard. Grands médias aux ordres, loi « fake news », révision constitutionnelle dangereuse, instrumentalisation de la justice – et dans ce dernier domaine, avec l’exécution judiciaire de François Fillon, nous avions pris de l’avance. Emmanuel Todd s’étonnait qu’avec l’élection d’Emmanuel Macron, la France ait emprunté une voie électorale inverse à celle du Brexit au Royaume-Uni, de l’élection de Trump aux Etats-Unis et de la coalition populiste en Italie. Il n’y a pas à être surpris, c’est l’intervention de la justice pénale qui a permis cette arrivée au pouvoir.
Nous avons les moyens de vous le faire payer…
On peut ne pas aimer du tout Donald Trump, mais en dehors de ceux qui souscrivent aux calembredaines de l’intervention russe, personne d’honnête ne peut contester son élection. Toutes les études d’opinion démontrent que son électorat lui reste fidèle et s’est probablement même étendu. Cela n’empêche pas le bloc néoconservateur qui avait misé sur Hillary Clinton de poursuivre un combat judiciaire assez ahurissant. Le système est très simple, il consiste à harceler les amis et les collaborateurs du président américain, à parvenir à dénicher des indices d’une infraction éventuelle aussi bénigne soit-elle. Puis on menace et fait chanter la personne mise en cause en lui proposant un marché très simple : « On vous assure l’immunité mais vous mettez en cause votre ancien ami, ancien patron, ancien client ». Craignant la lourdeur et le caractère ruineux d’un procès assorti d’une possible condamnation, certains préfèrent la tranquillité et choisissent le « je ne sais rien mais je dirai tout ». Les faucons néocons qui détestent Trump pensent tenir leur revanche. Pas sûr que cet acharnement garantisse la paix civile.
Et voilà que l’Italie s’y met aussi. Le suffrage universel a porté au pouvoir une coalition élue sur un programme clair, prévoyant un fort volet social, et un refus de poursuivre la dérive initiée par Angela Merkel soucieuse de plaire au patronat allemand en important de la main-d’œuvre à bas coût. Ladite dérive fait que l’Italie se retrouve en première ligne des trafics de migrants où les mafias locales en liaison avec les africaines s’en donnent à cœur joie. Matteo Salvini, ministre de l’Intérieur applique le programme adopté par la majorité des électeurs italiens, et massivement soutenu par l’opinion transalpine. Ce faisant, il heurte les grands intérêts et les belles âmes qui, consciemment ou non, prêtent la main à la nouvelle traite. Considérant que les soi-disant ONG sont parties prenantes du trafic, il leur refuse l’accostage dans les ports italiens et, s’ils rentrent quand même, le débarquement des nouveaux esclaves. Que n’a-t-il fait ! Il s’est trouvé un procureur pour lancer une enquête pour « séquestration », qualification du dernier ridicule lorsque l’on sait ce qu’elle désigne normalement en Italie. Rappelons que, contrairement à ce qu’il s’est passé en Allemagne, il n’y a eu aucune violence contre les migrants en Italie. Ce n’est pas seulement une provocation, cela caractérise bien cette instrumentalisation de la justice pénale pour empêcher la mise en œuvre de ce qui a été décidé par une élection régulière.
La France, laboratoire du monde
Et ce n’est pas tout. En France, une décision stupéfiante de magistrat instructeur du pôle financier prive le Rassemblement national (RN, ex-FN) des ressources qui lui sont dues en application de la loi. La Cour de cassation italienne fait mieux, puisqu’elle a lancé une procédure pour saisir tous les actifs du parti de Salvini à hauteur de 49 millions d’euros. Soi-disant pour garantir une condamnation non encore prononcée contre un de ses prédécesseurs à la tête de l’organisation pour des faits remontant à plus de 10 ans. Comprenons-nous bien, non seulement je n’ai aucune sympathie – au contraire – pour la Ligue du Nord et ses dirigeants – et je ne revendique pour eux aucune impunité – mais l’étude un peu détaillée des questions juridiques en cause démontre l’inanité de ces procédures judiciaires. Ces dévoiements n’ont qu’un but : bafouer une volonté populaire librement exprimée.
Exactement comme en France, mais avec moins d’originalité. En France, la justice pénale est carrément intervenue en amont de l’élection. L’opération judiciaire menée contre François Fillon a faussé la présidentielle et permis l’accession d’Emmanuel Macron à la présidence. Poursuivant sur sa lancée avec une forme d’acharnement contre le RN et son dernier épisode, celui de la privation de ses ressources. C’est une réalité qu’il faut rabâcher et ce d’autant plus que l’autre face de cette pièce est la protection dont bénéficient les amis du pouvoir. Pèsent sur François Bayrou et son Modem des soupçons de même nature et aussi lourds que ce qui concernent le RN. Ces gens-là dorment sur leurs deux oreilles, leur seule obligation étant de se réveiller de temps en temps pour apporter leur soutien à Emmanuel Macron. Il y a plein d’autres exemples, dont la liste, de Richard Ferrand à Françoise Nyssen en passant par Muriel Pénicaud, serait fastidieuse. On ne saurait trop conseiller aux opposants d’être très prudents. Il est fort probable que leur tour viendrait si jamais ils devenaient vraiment gênants pour le pouvoir en place.
Les fins d’un monde
Un jeune politologue américain, Yascha Mounk, vient de publier un ouvrage écrit juste après l’élection de Donald Trump. Dans Le peuple contre la démocratie, il analyse la montée des populismes comme symptôme de la crise de nos démocraties représentatives libérales. Dans un singulier renversement de perspective, il fait porter la responsabilité de cette crise aux peuples qui refusent le système que les élites occidentales tentent de leur imposer depuis de nombreuses années. Il dénonce la « dérive juridique et technocratique de l’exercice des pouvoirs » sans reconnaître qu’il s’agit d’un projet. Si la politique s’oppose de plus en plus aux opinions de la majorité, c’est parce que la majorité manifesterait sa mauvaise humeur en se laissant aller à ses mauvais penchants, à base de populisme, de chauvinisme et de lèpre.
Pour la remettre dans le droit chemin, la fin justifie les moyens. Avec les atteintes aux libertés et l’instrumentalisation de la justice pénale si nécessaire. Tant pis pour la démocratie.
Besson la main du roi
1. 7 septembre 2017 : Philippe Besson publie Un personnage de roman, roman vrai de l’accession au pouvoir d’Emmanuel Macron
2. 3 août 2018 : le Conseil des ministres modifie le décret n° 85-779 du 24 juillet 1985 portant application de l’article 25 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 fixant les emplois supérieurs pour lesquels la nomination est laissée à la décision du Gouvernement — particulièrement celui de consul général, « désormais laissé à la décision du Gouvernement. »
3. 29 août 2018 : Philippe Besson est nommé consul de France à Los Angeles.
4. « Le duc de Parme eut a traiter avec M. de Vendôme: il lui envoya l’évêque de Parme qui se trouva bien surpris d’être reçu par M. de Vendôme sur sa chaise percée, et plus encore de le voir se lever au milieu de la conférence, et se torcher le cul devant lui. Il en fut si indigné, que, toutefois sans mot dire, il s’en retourna à Parme sans finir ce qui l’avait amené, et déclara à son maître qu’il n’y retournerait de sa vie après ce qui lui était arrivé. Alberoni était fils d’un jardinier, qui, se sentant de l’esprit, avait pris un petit collet, pour, sous une figure d’abbé, aborder où son sarrau de toile eût été sans accès. Il était bouffon: il plut à Monsieur de Parme comme un bas valet dont on s’amuse; en s’en amusant, il lui trouva de l’esprit, et qu’il pouvait n’être pas incapable d’affaires. Il ne crut pas que la chaise percée de M. de Vendôme demandât un autre envoyé: il le chargea d’aller continuer et finir ce que l’évêque de Parme avait laissé à achever. Alberoni, qui n’avait point de morgue à garder, et qui savait très bien quel était Vendôme, résolut de lui plaire à quelque prix que ce fût pour venir à bout de sa commission au gré de son maître, et de s’avancer par là auprès de lui. Il traita donc avec M. de Vendôme sur sa chaise percée, égaya son affaire par des plaisanteries qui firent d’autant mieux rire le général, qu’il l’avait préparé par force louanges et hommages. Vendôme en usa avec lui comme il avait fait avec l’évêque, il se torcha le cul devant lui. A cette vue Alberoni s’écrie: O culo di angelo !… et courut le baiser. Rien n’avança plus ses affaires que cette infâme bouffonnerie. » (Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon)
Eglise et féministes, même logique
Le combat de ceux qui ont dénoncé avec humour les propos du pape, par le hashtag #nipapenipsychiatre, repose, chez certains, sur des principes douteux, proches de ceux qui justifient l’omerta au sein de l’Eglise.
Après les propos du pape semblant très maladroitement associer homosexualité et psychiatrie, la journaliste et militante LGBT, Alice Coffin, a choisi de répondre par un hashtag plein d’humour, #nipapenipsychiatre, suscitant de nombreux tweets souvent émouvants, régulièrement drôles, et même courageux.
Moi, Enfant-à-tendances-homosexuelles , qui ne connut ni pape, ni psychiatre. #nipapenipsychiatre pic.twitter.com/4G4jmyjUFK
— Alice Coffin (@alicecoffin) 28 août 2018
Chacun ses références, pour ma part j’y ajoute volontiers par la pensée des images de l’enfance d’Alexandre le Grand, Sappho, Socrate, et de quelqu’un qui, bien avant François, fut Pontife de Rome, un certain… César !
Touche pas à ma paroisse
Mais à côté de cette belle initiative, Alice Coffin a aussi réagi de manière particulièrement problématique aux accusations portées contre Asia Argento, affirmant : « En tant que militante féministe, j’ai pour ligne de ne jamais critiquer publiquement une autre femme. »
#AsiaArgento : Puisque je lis ici des injonctions aux féministes à se positionner et bien précisément en tant que militante féministe, j’ai pour ligne de ne jamais critiquer publiquement une autre femme. Ce qui vaut a fortiori pour Asia Argento.
— Alice Coffin (@alicecoffin) 20 août 2018
Reconnaissons-lui le mérite d’être consciente des limites d’une telle position, qui relève plus d’un choix stratégique que d’une posture de principe. Et pourtant.
Comment ne pas voir là un écho des écrits odieux de Houria Bouteldja, qui valorise l’attitude d’une femme noire refusant de dénoncer son violeur également noir, parce qu’elle « ne pourrait pas supporter de voir un autre homme noir en prison » ?
Comment ne pas y voir aussi un écho de ce qui est justement reproché à de trop nombreux prélats, qui ont choisi de taire les crimes abominables dont ils avaient connaissance, non pas par complaisance envers les coupables, mais pour protéger l’Église ?
Une vision particulière de l’intérêt général
Tout comme les féministes qui estiment que l’on peut bafouer la justice au nom de la cause des femmes, tout comme les « antiracistes » qui estiment que l’on peut bafouer la justice (et les droits les plus élémentaires des femmes) au nom de la cause des « minorités opprimées », ces prélats ont estimé pouvoir bafouer la justice au nom de l’Église, affaiblie, attaquée de toutes parts, et à leurs yeux plus importante que tout. On connaît le résultat.
Bien sûr, il est parfois impossible de servir efficacement une cause, même parfaitement juste et nécessaire, en jouant en permanence au chevalier blanc.
Mais prenons garde. Même si un groupe, une institution ou une idée méritent d’être défendus, les défendre au mépris de la vérité est au minimum dangereux et le plus souvent contre-productif.
N’oublions pas l’essence même de ce qui fonde notre société : la recherche commune de l’intérêt général, qui n’est absolument pas la même chose que la seule tentative d’équilibrer les intérêts particuliers, aussi légitimes fussent-ils.
Je me réjouis que « nous » ne serve plus à t’étouffer « toi » ni à me dissoudre « moi ». Mais ce n’est pas pour autant que toi et moi devons accepter que « toi » et « moi » rendent impossible que « toi et moi » soyons ensemble au service de « nous ».
La simple volonté de concilier les intérêts des personnes ou des groupes ne peut au mieux qu’apaiser temporairement les tensions, chacun attendant une opportunité pour tout renégocier à son seul avantage. Le communautarisme est dès lors inévitable, les « accommodements raisonnables » sont des lignes de front précaires avant la prochaine lutte d’influence, la surenchère permanente répond à la concurrence victimaire dans une course aux extrêmes, les autres (autres personnes, autres groupes) ne sont plus des concitoyens mais des rivaux, ou éventuellement des alliés temporaires au gré de collusions d’intérêts précaires, ou de haines partagées et autres « convergences des luttes ».
Le nom de la cause
L’intérêt général, en revanche, permet de dépasser ces oppositions et ces jeux malsains entre factions, notamment parce qu’il permet à chacun, et à chaque groupe, de gagner en légitimité aux yeux des autres en œuvrant à quelque chose qui profite à tous.
A long terme, seule la recherche exigeante de l’intérêt général permettra d’éviter la guerre de tous contre tous. Et si difficile que cela puisse être, cela impose parfois de préférer défendre ce qui est juste plutôt que de prendre systématiquement le parti des « siens ».
C’est vrai d’un « privilégié » qui voit les plus pauvres que lui comme des personnes et non de simples ressources, et se préoccupe de justice sociale. C’est vrai d’un militant syndical qui se souvient « qu’il ne suffit pas d’être pauvre pour être honnête ». C’est vrai d’un policier ou d’un gendarme qui refuse de couvrir un ripoux. C’est vrai d’un philosophe de gauche qui « préfère une analyse juste d’Alain de Benoist à une analyse injuste de Minc, BHL ou Attali ». C’est vrai d’une remarquable journaliste noire qui dénonce le racialisme et les assignations identitaires. C’est vrai d’une essayiste ardemment engagée qui prend la peine de nuancer sa critique des propos du pape, en les écoutant en entier plutôt que de se limiter à une petite phrase.
Beaucoup de choses à dire sur la façon dont l’Eglise persécute les homosexuels depuis des siècles tout en protégeant les pédophiles. Mais les propos reprochés au #pape François sont plus complexes que rapportés hors de leur contexte. #papeFrancois https://t.co/FS5V5uC8zJ
— Caroline Fourest (@CarolineFourest) 28 août 2018
C’est vrai d’un pape qui demande aux évêques de dénoncer les prêtres pédophiles plutôt que de sacrifier des enfants.
Ici comme ailleurs, cela s’appelle la rigueur intellectuelle, l’honnêteté, la droiture. En France, nous avons aussi l’habitude de lui donner un autre très beau nom. Nous appelons cela République.
Les deux corps (oubliés) du roi Macron
Si la réalité dépasse parfois la fiction, c’est que la fiction précède souvent la réalité. La littérature prévoit l’avenir. Cette chronique le prouve.
« La Cour d’Honneur de l’Élysée est connue pour ses tapis rouges. Le 21 juin, elle se transforme en piste de danse pour la Fête de la Musique ! Au programme : Busy P, Cézaire, Chloé, Kavinsky et Kiddy Smile. Les places sont limitées : inscrivez-vous vite ! », clamait le compte Twitter de la présidence pour la Fête de la musique 2018. Transformer les lieux de pouvoir en lieux de fêtes, pour s’attirer les bonnes grâces du peuple et surtout de la jeunesse, voilà qui ne date pas d’hier. Les empereurs romains s’en firent une spécialité, notamment les psychopathes de la dynastie julio-claudienne vus par Suétone, tel Caligula : « Pour augmenter à jamais la durée des réjouissances publiques aux fêtes des Saturnales, il y ajouta un jour, et le nomma “la fête de la jeunesse”. »
Saint-Simon, fine mouche, dans ses Mémoires, avait compris pour sa part cette utilisation très politique du lieu de pouvoir : « Ce fut là où il commença à attirer le monde par les fêtes et les galanteries, et à faire sentir qu’il voulait être vu souvent », écrit le duc à propos de Louis XIV, quand le monarque décida de se fixer Versailles. Il ajoute : « Les fêtes fréquentes […] furent des moyens que le roi saisit pour distinguer et pour mortifier en nommant les personnes qui à chaque fois en devaient être, et pour tenir chacun assidu et attentif à lui plaire. »
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C’est à l’Élysée, et non à Versailles, qu’a été pris l’étonnant cliché montrant le couple présidentiel entouré de danseurs queer, vêtus de hauts résille, dans une promiscuité ambiguë et comique à la fois, qui ne grandissait pas franchement la fonction présidentielle. Mais oser le dire était une preuve d’infamie rédhibitoire pour Castaner qui, avec sa subtilité habituelle, a utilisé la disqualification caricaturale pour les moqueurs : « Diffusons cette photo puisqu’elle gêne tant une partie de la classe politique qui banalise des propos racistes et homophobes. » Sauf que la question n’est pas là. La question est de savoir si oui ou non Macron le Jupitérien a oublié pour la circonstance la théorie de Kantorowicz sur Les Deux Corps du roi : « Dans ce corps mortel du roi vient se loger le corps immortel du royaume que le roi transmet à son successeur », c’est-à-dire un corps qui ne s’appartient plus quand il est celui du chef de l’État.
Quelques jours plus tôt, pourtant, un collégien avait appris à ses dépens que le corps sacré de Macron ne supportait pas qu’on le tutoie après l’avoir accueilli avec l’Internationale. Apparemment, la musique électro le gêne moins que les chants révolutionnaires. Le pouvoir, c’est aussi l’art de choisir des rebelles qui vous conviennent.
Abracadabra, Macron fait disparaître les Danois!
La poudre de Perlimpinpin n’a jamais marché aussi bien. En l’espace de quelques heures, Emmanuel Macron a affirmé tout et en même temps son contraire. Au Danemark, le président a assuré que « le vrai Danois n’existait pas » avant de le faire réapparaître pour mieux critiquer le « Gaulois ».
Nicolas Hulot ayant enfin compris qu’il n’était pas, en même temps, libéral et écologiste, Emmanuel Macron devait avoir à cœur de recycler son fameux slogan. Ainsi, lundi, devant la conférence des ambassadeurs, il expliquait : « Enfin, parce que, partout dans le monde, les identités profondes des peuples ont resurgi, avec leurs imaginaires historiques. C’est un fait. Ceux qui croyaient à l’avènement d’un peuple mondialisé, protégé des morsures de l’histoire, se sont profondément trompés. Partout dans le monde, la psyché profonde est revenue à chacun de nos peuples, et c’est vrai, de l’Inde à la Hongrie, en passant par la Grèce, jusqu’aux Etats-Unis. Regardez-y de plus près, elle est parfois détournée, parfois exacerbée, mais c’est un fait qui dit quelque chose du retour des peuples. C’est une bonne chose sans doute, en tout cas, je le crois. » Le lendemain au Danemark, devant des étudiants, il tenait un tout autre discours : « Le vrai Danois n’existe pas, il est déjà européen. Même votre langue n’est pas seulement le danois, elle est part de la langue européenne », avant d’ajouter : « C’est pareil pour les Français ».
« En même temps », saison 2
Ainsi donc, le président de la République peut – pas tout à fait en même temps mais en moins de 36h – affirmer que l’identité profonde existe puis qu’elle n’existe pas. Comme dirait la patronne Elisabeth, c’est une cuiller pour Causeur, et une cuiller pour Libé. Depuis que sa candidature pointait à la fin de l’été 2016, lorsqu’il quittait le gouvernement, nous avons été saturés du « en même temps » macronien. Et, alors qu’il a pu faire merveille au point de le porter au pouvoir puis de lui permettre un bon départ, ce slogan est en train de devenir une véritable faiblesse, risquant de mécontenter à la fois ceux qui croient en l’identité et la souveraineté nationales et ceux qui les croient dépassées. Et cela vaut sur d’autres sujets.
Astérix le Gaulois et les peuples contingents
Mais revenons au Royaume du Danemark puisque le président de la République n’a pas parlé que devant les étudiants. Il s’est aussi érigé en rempart contre le nouveau duo formé par Viktor Orban et Matteo Salvini, opposant les « progressistes » dont il lui sied d’être désigné comme le chef de file par le couple italo-hongrois, aux « nationalistes ». Et il a aussi cédé une nouvelle fois à la tentation de fustiger ses compatriotes depuis une terre étrangère, comparant les Danois, ce « peuple luthérien » tellement ouvert aux réformes qu’il aimerait imposer aux « Gaulois réfractaires au changement ».
Il essentialisait ainsi deux peuples dont le sien, l’un forcément ouvert à la transformation car luthérien, et l’autre conservateur, forcément conservateur, car héritier de Vercingétorix. Comment saisir cette phrase au bout de trois jours de déclarations contradictoires ? Faut-il comprendre que le Danois sera toujours Danois car luthérien, et que le Français sera toujours Français, parce qu’il a trop lu Goscinny ? Il faut reconnaître que son explication devant les ambassadeurs avait davantage de gueule. Faut-il comprendre au contraire que, compte tenu qu’il n’y a pas de vrais Danois – même si plutôt luthérien – et pas de vrais Français – même si tous enfants d’Astérix -, autant imiter les réformes progressistes des premiers qui ont l’avantage d’aller dans le sens de l’Union européenne, mise en danger par les « nationalistes » ? Ou, plus sûrement, n’y a-t-il rien à comprendre, Emmanuel Macron procédant à un de ses fameux enfumages politiques dont il a le secret depuis qu’il est entré en politique ?
Être ou ne pas être…
Toujours est-il que le Royaume du Danemark n’était pas forcément le meilleur lieu pour illustrer le projet « progressiste » contre les méchants « nationalistes ». Car c’est bien ce pays qui, en 1992, fut en quelque sorte le « village gaulois » en rébellion, décidant souverainement par référendum la non-adoption du traité de Maastricht et donc le maintien de la Couronne comme monnaie nationale. C’est bien ce peuple qui, avant même l’Italie ou la Hongrie, envoya un groupe puissant au Parlement de ce qu’Emmanuel Macron nomme « nationalistes » ou « populistes ». C’est bien ce pays qui a mis en œuvre une politique d’assimilation et de baisse de l’immigration qui feraient hurler les députés LREM si c’était Laurent Wauquiez qui les proposait.
Qui sait si, du côté de Milan, Salvini et Orban n’ont pas été surpris qu’Emmanuel Macron leur réponde aussi vertement depuis Copenhague, alors que, décidément, il y a sans doute plus « populiste » qu’eux au Royaume du Danemark.
Le Québec, une autre France en campagne

Un mois avant les élections générales québécoises, les thèmes de campagne abordés et les pratiques de certains politiques rappellent étrangement une autre contrée francophone. Place au jeu des sept erreurs.
La nation québécoise aura à se choisir, le 1er octobre, un nouveau gouvernement. Plusieurs options politiques s’offrent aux citoyens. La première : donner un nouveau mandat au Premier ministre sortant Philippe Couillard, un neurochirurgien ayant œuvré en Arabie saoudite et placé ses gains dans l’île de Jersey pour contourner le fisc québécois, et à ses troupes du Parti libéral du Québec. La seconde : le déloger en mettant au pouvoir la Coalition Avenir Québec (CAQ), un parti fédéraliste de centre-droit intéressé par la réduction de l’État, et un peu par les questions identitaires, dirigé par l’ex-souverainiste, François Legault. La troisième : élire le Parti québécois de Jean-François Lisée, parti indépendantiste dont une des promesses phares est de ne pas réaliser l’indépendance au cours de son mandat. La dernière : élire un gouvernement composé de l’équipe du parti de gauche radicale Québec solidaire mené, par souci d’équité hommes/femmes, par deux co-porte-paroles : le jeune syndicaliste étudiant, Gabriel Nadeau-Dubois, et la travailleuse communautaire moustachue, Manon Massé.
Je t’aime donc je les suis
Dans la foulée de la campagne électorale en cours, plusieurs candidats redoublent d’originalité dans leur production hebdomadaire de bourdes. Après que l’aspirante Premier ministre, Manon Massé, eût déclaré que l’anglais était une des langues officielles du Québec – ce qui est objectivement faux – ce fut au tour de la candidate libérale Gertrude Bourdon, directrice générale du centre hospitalier universitaire de Québec généreusement rémunérée, de s’empêtrer.
Lançant sa campagne entourée de son chef Couillard, qui la nommait ministre avant même qu’elle il ne soit élu, et du ministre de la Santé sortant le docteur Gaétan Barrette, Gertrude Bourdon fit devant les caméras sa profession de foi libérale : contre la haine et l’intolérance, pour le fédéralisme canadien. Le choix de l’équipe Couillard allait, pour elle, de soi, c’était une question de valeurs, une histoire d’attachement sincère et viscéral.
Simultanément, on apprenait sur les ondes des grands réseaux d’information que Madame Bourdon avait « magasiné » longuement son entrée en politique dans tous les partis à l’exception de Québec solidaire et que, quelques jours avant son grandiose lancement libéral, elle envoyait un SMS à un haut responsable de la Coalition Avenir Québec mentionnant qu’elle allait, avec toute l’équipe de la CAQ, « marquer l’histoire ». Se voyant dans l’eau chaude, Gertrude Bourdon s’est empressée de démentir, accusant la CAQ de mentir, avant d’être reléguée en arrière-plan de la campagne libérale, conséquence de sa misérable entrée en scène. La bonimenteuse allait toutefois être démasquée : les SMS furent révélés.
Si tu n’es pas avec moi tu es donc contre tous
L’histoire n’a rien d’étonnant. Il n’est pas rare, au Québec, que les individus souhaitant faire carrière en politique flirtent à gauche et à droite avant d’accepter la meilleure offre et choisissent leur camp par opportunisme davantage que par conviction profonde. La suite du récit est plus intéressante et met en scène la grande maladie de notre temps : l’hystérie collective engendrée par l’œuvre de personnes agissant tels des possédés.
A la suite de la divulgation des preuves du magasinage partisan de Gertrude Bourdon, il fallait chercher, en bons militants, à mener un procès contre le parti ayant mis au jour la crue réalité de l’opportunisme politique de la candidate vedette. Des stratèges masculins du PLQ de Philippe Couillard n’ont rien trouvé de mieux que de tenter de générer l’hystérie collective en mettant en scène deux femmes candidates du parti, l’ex-journaliste Christine Saint-Pierre et la fiscaliste Marwah Rizqy, dont le rôle allait être d’accuser François Legault et la CAQ de sexisme pour s’en être pris à une femme candidate.
Le diable, un épouvantail libéral
François Legault, premier dans les sondages, est en effet à la tête du seul parti ayant affirmé qu’il fallait mieux réguler l’immigration au Québec et sélectionner plus sévèrement les nouveaux arrivants. Il est aussi le seul à ne pas être allé parader au défilé de la fierté gaie tenu à Montréal en août dernier. Il représente, aux yeux des libéraux, un diable dont on doit exorciser la société québécoise. Pour faire croire à l’existence de ce démon, divers possédés se donnent en spectacle. Reprenant des concepts complexes, les tordant à leur avantage, les simplifiant, ils tentent d’attirer la collectivité dans l’hystérie.
Le phénomène n’est pas d’aujourd’hui, comme nous l’apprend Yves-Marie Bercé dans Esprits et démons : histoire des phénomènes d’hystérie collective. Si elles étaient autrefois intimement liées au domaine religieux, les crises d’hystérie collectives sont aujourd’hui l’apanage de l’idéologie libérale, des groupuscules militants qu’elle génère (néo-féministes et adeptes de la théorie du genre, notamment) et de la morale qu’elle défend, qui s’impose ni plus ni moins comme la nouvelle donne religieuse de l’époque.
La campagne électorale québécoise n’en est qu’à sa première semaine et déjà, l’empire du Bien rafle tous les honneurs.
« La Guerre de France » aura-t-elle lieu?
La Guerre de France aura-t-elle ou n’aura-t-elle pas lieu, pour parodier le titre de Giraudoux ? La roue du monde tourne-t-elle par le divin (Foi) ou l’Absolu (Nation) ? Le présent n’est-il que reprise, répétition, dette éternelle kierkegaardienne où même la mort ne sonne pas le terme ? Sommes-nous pris dans le cycle absurde et infini du vouloir-vivre schopenhauerien ? Peut-on sortir des ténèbres, du sang, de la guerre, donc ? Thanatos a-t-il sur la Loi à chaque fois le dernier mot ?
Voici quelques questions que le roman de Christian de Moliner pose, en les inscrivant dans une histoire menée par des protagonistes poursuivant tous des idéaux différents, l’auteur se faisant quant à ces possibilités idéelles discret et neutre.
Pas un essai, un roman
Les tensions actuelles ne cessent d’inspirer essais politiques, théories plus ou moins farfelues, réalisme tragique, utopies bisounours, articles contradictoires, éclairages obscurs de philosophie politique, géopolitique, métapolitique, complotisme ; les images sanglantes et titres accrocheurs font vendre dans une ambiance de voyeurisme et de pulsion de mort (Charlie Hebdo, Bataclan, Nice, etc.).
La surprise de ce roman de la rentrée littéraire est qu’il ne s’agit pas du tout d’une énième élucubration politique mais bien d’une dystopie, de littérature donc : et que se passerait-il si, dans un futur proche, la guerre civile, cette « guerre de France », était là pour de bon ? La fiction se veut rythmée et haletante, façon série noire.
Le titre du livre n’est pas sans mettre la puce à l’oreille et faire entrer le fictif brutalement dans une actualité délicate : en effet, en juin dernier, une organisation dont le site internet était nommé « guerre de France » préparait, semble-t-il, des assassinats contre des imams et des femmes voilées. Ni l’auteur, Christian de Moliner, ni son éditeur, Pierre-Guillaume de Roux, n’en savaient rien au moment de déposer le titre du livre, qui tenait tant à cœur à son auteur depuis de longues années.
Ici, la petite histoire familiale se mêle à la grande Histoire, comme les plus beaux récits mythologiques nous y ont habitués. Tout ne serait-il que reprise, répétition, éternel retour ? C’est ce que ce thriller saccadé, qui va peut-être parfois trop vite et perd son lecteur, pourrait laisser penser.
Djamila au pied de la guerre
Djamila, protagoniste du roman, se voit, telle une Antigone ou un Œdipe du futur, dans l’impossibilité de fuir sa malédiction familiale, de surcroît imbriquée à cette Guerre de France sans précédent : enfant née d’un viol, cette dernière se retrouve à son corps défendant, en pleine guerre civile, contrainte à jouer l’intermédiaire impuissante, perdue et passive – anti-héroïne par excellence –, entre Saoudiens pro-Islamistes, Russes pro-nationalistes et Américains soutenant l’Élysée contre les deux camps antagonistes.
Pourquoi cette jeune étudiante fragile plutôt qu’un James Bond aguerri à la violence, aux stratagèmes et à la diplomatie ? Un héros qui sait mener l’action et rétablir la paix ? Un cow-boy, un shérif ou même un barbouze ?
Cela parce que le père de Djamila, François Bavay, surnommé le « boucher de Nantes » (notre auteur a peut-être trop aimé la série télévisée Dexter !) en raison de son extrême cruauté (pour ceux qui n’auraient pas suivi), n’est autre que le chef des divisés nationalistes, partisans d’une France d’antan, d’une France coloniale, et dont la détermination profonde est de « ressusciter la France, la purifier, la relever, la faire redevenir elle-même » (les irréductibles Gaulois ?). Les Saoudiens pro-islamistes, quant à eux, souhaitent des zones spécifiques où la seule charia ferait loi (les « Gentils » de Saint Thomas d’Aquin avec lesquels on s’efforce de discuter depuis longtemps). Comme le glisse l’auteur au travers de Djamila, c’est « dans l’univers moyenâgeux [qu’] évoluaient les protagonistes de la Guerre de France ».
L’affrontement des Idées, Foi, Nation (et même, Famille !), immortelles, produit quant à lui l’hémorragie en France, sa « vivisection ». Comme le disait le jeune Antonin Artaud, « la cruauté est l’application d’une Idée ». Et en effet, en dystopie comme dans la vie, la purification s’achève généralement par un massacre, un holocauste comme le dit Djamila, d’ailleurs approuvée par ce père réprouvé et détesté, qui s’avère bien différent de celui qu’elle avait diabolisé toute sa vie.
Ainsi, la jeune femme, dont nous suivons les pensées, paradoxes, hésitations, ressassements, redondances, angoisses, et dilemmes, se réifie au cours de sa mission particulièrement perverse : négocier certes, mais surtout tuer ce père qu’elle a en horreur, responsable du suicide de sa mère, mais malgré tout, son père. Quand le monstre se fait homme, tout devient plus compliqué. Tuer le père, même ce père-là, n’est donc pas une mince affaire. Les sentiments et émotions de Djamila se partagent et la divisent, rendant l’issue de l’intrigue d’autant plus difficile à démêler, et elle de plus en plus impuissante dans sa quête d’une autre Idée : la paix.
Cette idée a-t-elle déjà existé comme une petite lueur quelque part au moins dans le ciel des Idées platonicien ? Et si c’était le cas, n’est-elle pas éteinte pour de bon ? Djamila voudrait bien que les Atrides, et ainsi, la guerre, prennent fin avec elle, mais est-ce seulement possible ? Y aura-t-il au moins un pâle Agamemnon ?
Sans divulgation supplémentaire de la dystopie de Christian de Moliner, il semblerait bien que comme chez Ionesco, même si la Guerre de Troie n’aura pas lieu, les javelots, eux, immanquablement, se baisseront avec la fermeture du quatrième mur du théâtre de la cruauté.
Le thriller laisse le lecteur sur la même impression que Deleuze et Guattari dans l’Île déserte : « On continue sur la lancée présente et, de répressions en répressions, on ira vers un fascisme auprès duquel Hitler et Mussolini apparaîtront comme de la rigolade. »
Au secours, on me prend pour une féministe!
Parce que femme, je suis présumée féministe. Alors que cette cause m’indiffère…
Moi qui laissais autrefois la parole au silence, j’ai récemment ressenti le besoin d’exprimer mon désarroi face aux vagues de militantisme contemporain. Perdue dans le chaos de bras et de jambes féministes, je me retire et me retrouve à justifier ce qui est dans ma nature.
Les gens me confondent fréquemment avec une communiste fumeuse de chanvre, une imbécile heureuse, une Faf à béret tricolore, une snob sous ecstasy, une mauvaise tragédienne et parfois même… une féministe. Après m’être demandée durant dix ans si c’était la faute de mes envolées lyriques sur l’amour ou de ma garde-robe d’inspiration Dame Ginette, j’ai finalement compris, qu’en quelques années, « féministe » était devenu synonyme de « femme ».
Ni pour ni contre, bien au contraire
Certains étaient accusés d’être des sorcières ou des uranistes, moi je suis clouée au pilori, le front estampillé « réac » au fer rouge. Les pauvres bougres sont déçus, eux qui m’avaient imaginée comme un corbeau morne-gai voguant librement à travers les vents de la vie. Leur raisonnement binaire me catapulte tout droit dans la catégorie des vilains défenseurs velus du patriarcat. Bienvenue en contrée sophiste où ne pas promouvoir l’extension du domaine de la femme dans la société revient à lutter pour la pérennité de la phallocratie. Ils se trompent, je ne suis pas contre le féminisme et ses aficionados, je ne suis simplement pas des leurs. Je suis comme tout le monde, je peine à adhérer à une cause que je ne comprends pas. Je ne vais donc pas batailler pour obtenir l’octroi de nouveaux droits à une catégorie de personnes (de certaines nationalités) qui, selon moi, les a déjà tous en ses mains.
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Par-dessus le marché, je ne suis pas partisane de la généralisation et de l’étiquetage des gens. Je suis effectivement une femme, je ne suis pas non-binaire, mais je suis avant tout une somme de défauts, de qualités, d’obsessions et d’ambitions tout autant ridicules les unes que les autres. Je ne ressemble à aucune femme et vous non plus. J’aimerais que chacun fasse de soi-même sa propre cause. Et, si je devais défendre fiévreusement une certaine catégorie d’opprimés, je ne penserais pas aux femmes en premier mais plutôt aux clodos, enfants disparus et animaux maltraités. Je ne saurais m’émouvoir devant les pleurs d’une femme qui découvre le fossé entre son salaire et celui de son voisin de bureau masculin. Eh oui, on embrasse véritablement une cause que lorsque les vérités qu’elle dénonce nous remuent jusqu’aux tripes.
Je doute de moi, pas des femmes
Quand j’y pense, mon indifférence à la cause féministe était prévisible. Mon grand frère, ma grande sœur et moi avons reçu une éducation quasiment indemne de traces de différenciation sexuelle et mes géniteurs n’ont jamais tenté de réprimer mon individualisme que certains appellent égoïsme. Même si mes parents m’ont d’abord inscrite à des cours de danse classique, ils ont rapidement compris que ce n’était pas mon dada et ont assisté à toutes mes compétitions de Karaté. Du jogging noir porté une année entière aux refus de porter des robes mignonnettes, en passant par les cimetières dessinés sur la main, la courte expulsion du lycée et l’utilisation d’un vivier de mots grossiers sans cesse renouvelé, ils ne m’ont jamais interdit une pratique ou contesté l’un de mes opinions en raison de mon sexe. Pourtant derniers survivants du conservatisme, ils n’ont pas respecté les carcans du genre.
Peut-être ai-je été mal élevée ou suis-je mégalomane, mais je suis heureuse d’affirmer que je me sens légitime dans ce que j’entreprends, la plupart du temps. Et lorsque ce n’est pas le cas, je doute alors de mes capacités physiques, artistiques, intellectuelles mais je ne pointe jamais du doigt ma condition/état de femme.
Cessez donc de m’enquiquiner avec des questions de genre et d’égalité de droits qui n’éveillent ni ma curiosité ni mon empathie mais ne méprisez pas non plus ce qui se noie lorsque la vague passe.
Mariage de Vincent Cassel: dis-moi qui tu es, je te dirai qui baiser

Quand le multiculturalisme mène à l’apartheid. La mairie de Bidart où l’acteur, Vincent Cassel, a épousé une femme métissée a été vandalisée. On lui reproche d’être « sexclavagiste ».
Vincent Cassel est-il « sexclavagiste » ? Apparemment, la question se pose en ce mois d’août 2018. Tout récemment, l’acteur célébrait son mariage avec le mannequin Tina Kunakey, une femme couleur café de 21 ans. Il n’en fallait pas plus pour faire réagir sur les réseaux sociaux. Dès l’annonce de leur liaison, en 2015, des internautes se disaient déjà scandalisés de voir l’acteur aux côtés de cette bombe édénique.
Le multiculturalisme refait le mur
La hargne à l’endroit de l’acteur ne se manifeste pas seulement virtuellement. La presse nous apprenait hier que la mairie de Bidart, au Pays basque, avait été vandalisée après le passage des deux tourtereaux. Le lendemain de la cérémonie du mariage, les services municipaux ont dû effacer des messages haineux laissés sous forme de graffitis.
« Femme objet pornifiée, mariage machiste, sexclavagiste », pouvait-on lire, entre autres, sur les murs. Vincent Cassel ferait de sa femme un objet pornographique. En bon Européen, Vincent Cassel serait sexuellement colonialiste.
Ce n’est pas seulement la différence d’âge entre les deux amants (il en a 51) qui a pu choquer certains exaltés. Après tout, ce n’est pas la première fois qu’un homme riche et célèbre épouse une femme beaucoup plus jeune que lui. Évidemment, le puritanisme gagne du terrain, mais cet écart n’explique pas à lui seul cette réaction.
Il est vrai qu’aujourd’hui, Serge Reggiani ne pourrait peut-être plus chanter Il suffirait de presque rien sans susciter la désapprobation de certains mouvements.
Mais le cas de Cassel est différent, car son crime semble aussi d’ordre ethnique… En épousant une métisse, l’acteur aurait transgressé les nouvelles règles du racialement correct. Vincent Cassel pillerait des trésors qui ne lui appartiennent pas.
La fesse cachée du multiculturalisme
Cette histoire n’est pas anecdotique. Au contraire, elle est symptomatique du triomphe du multiculturalisme. Il faudra bien finir par l’admettre : poussé à l’extrême, le multiculturalisme mène à l’apartheid. Les libéraux nous avaient promis le métissage, mais il n’adviendra jamais dans ces conditions. Les antiracistes racistes veulent nous dire avec qui sortir, manger, boire, flirter et baiser. Avant de nous marier, nous devrons leur demander une autorisation. Le nouvel antiracisme est un antilibéralisme.
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Les nouveaux antiracistes voient du colonialisme partout. Puisque les rapports de domination sont de moins en moins économiques entre l’Occident et le reste du monde, il fallait bien en inventer d’autres qui seraient symboliques. Ainsi, manger des sushis serait de l’appropriation culturelle, boire du thé serait colonialiste et se marier avec une femme noire impérialiste. Les antiracistes racistes puisent ces idées dans les « cultural studies », un courant universitaire qui prône une sorte de décolonisation totale de l’imaginaire.
Gauguin rentre au pays
Au fond, ce qui est indirectement reproché à Cassel, c’est d’être un « orientaliste sexuel ». Vincent Cassel ne devrait pas planter sa croix dans les plus beaux eldorados de la féminité. Peu importe ce que pense ou ressent vraiment l’acteur : consciemment ou non, il ne ferait que perpétuer des schémas de domination.
Ironie du sort, Cassel incarnait récemment Paul Gauguin dans Gauguin – Voyage de Tahiti, un long-métrage qui doit être vu comme le summum de l’orientalisme colonial par les guerriers sociaux. De fait, ce peintre français est connu pour ses portraits colorés de Polynésiennes. Des tableaux de muses érotiques qui feraient scandale aujourd’hui.
Le multiculturalisme est un totalitarisme soft qui impose la ségrégation avec des airs de bohême. Pour preuve, il se préoccupe même de la sexualité des gens au nom du vivre-ensemble. Le multiculturalisme est un interventionnisme moral. Dans le vaste monde multiculti, la liberté est seulement économique.








