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Que deviennent les terroristes de Daech?

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Alors qu’il était enfin affaibli, de nombreux signes montrent que le califat est de retour. Dans sa dernière communication, les islamistes se réjouissent de voir leurs ennemis affectés par le coronavirus. L’analyse de Gil Mihaely.


Daech est-il de retour ? Un peu plus d’un an après la chute des derniers bastions du « califat » et six mois après la mort de son calife Abou Bakr al-Baghdadi, l’État islamique (EI) montre de plus en plus de signes de vie.

Le 28 mai dernier, dans un enregistrement de 39 minutes diffusé sur ses chaînes Telegram, l’EI a menacé le Qatar en raison de sa participation à la lutte contre les djihadistes. « Pas un jour nous n’avons oublié que la base Al-Oudeid, construite par les tyrans du Qatar pour accueillir l’armée américaine, était et reste toujours le commandement de la campagne menée par les Croisés », déclare Abou Hamza El Qourachi, le porte-parole de l’EI, accusant également Doha « d’avoir financé des factions en Syrie et en Irak engagées contre les djihadistes ». Ce message vocal évoque aussi le coronavirus, un châtiment divin contre « les tyrans du monde » ennemis du califat. Enfin, il fait allusion aux « sommes importantes [dépensées] dans des tentatives désespérées pour sauver [les] économies laminées par la fièvre de l’épidémie » et conclut que nombre de ses ennemis « se retrouvent au bord de la faillite ». Les « Daechologues » ont vite fait remarquer qu’au-delà de son contenu, les silences du message sont également intéressants. En effet, très virulent contre le Qatar à cause de la présence d’une base militaire américaine, le porte-parole de l’EI ne dit mot sur les Émirats Arabes Unis (EAU) dont la base aérienne Al Dhafra abrite des unités américaines (et françaises). L’Arabie saoudite est épargnée et la Turquie s’en sort aussi à peu de frais. Difficile aussi de ne pas relever la date de la diffusion du message de l’EI, pendant le troisième anniversaire du déclenchement de la crise du Golfe qui s’est noué fin mai début juin 2017, aboutissant à une rupture de relations diplomatiques entre le Qatar d’un côté, l’Arabie Saoudite, les EAU, Bahreïn et Égypte de l’autre. Étrange coïncidence difficile à interpréter. Cependant, ce message de propagande doit être compris dans un contexte plus large : l’EI est en train de revenir sur le devant de la scène. Et pas que par voie de presse.  

Le coronavirus apporte un nouveau souffle à l’EI

Au cours des deux derniers mois, quand la moitié de la planète était à l’arrêt, l’EI semble avoir retrouvé un nouveau souffle, menant notamment une série d’attaques de grande envergure en Syrie et en l’Irak. Des attentats revendiqués par l’EI ont également été commis en Égypte, en Afrique, en Afghanistan, au Yémen et aux Maldives. Au Mozambique, le gouvernement soupçonne que des membres de l’organisation djihadiste auraient perpétré un massacre fin avril.  Pire encore, la recrudescence d’activité terroristes s’accompagne de témoignages suggérant que le groupe a une plus grande visibilité ces derniers mois dans les villages et les périphéries des villes d’Irak et de Syrie. 

A lire ensuite, Geoffroy Géraud-Legros: Covid-19, le temps des charlatans

Le modus operandi de certains attentats laisse croire que les groupes djihadistes sur le terrain ont accès à des renseignements sur les mouvements de troupes et les cibles qu’ils cherchent à attaquer. Cela signifie que certains groupes de l’EI ont survécu à la déroute du printemps 2019 et ne sont plus en fuite. Ils se réorganisent et retissent des réseaux d’informateurs et de soutien logistique ainsi que d’autres éléments permettant de se doter de l’infrastructure nécessaire pour passer à l’action terroriste. 

Les conséquences des annonces de Trump?

L’une des raisons principales du retour en force de l’EI est la diminution de la pression militaire qu’exerçait la coalition dirigée par les États-Unis. Cette pression n’avait cessé de croître depuis la reprise de Mossoul en 2017 et de Raqqa en 2018. Des opérations systématiques visaient à nettoyer des territoires entiers (villages abandonnés, zones montagneuses et désertiques) pour assurer que les djihadistes chassés des grands centres urbains ne trouvent pas le répit nécessaire à leur réorganisation. 

Cette pression constante a été notamment affaiblie par les atermoiements des États-Unis qui ont amené leurs alliés locaux – notamment les forces kurdes – à se tourner vers Moscou et Damas. Quand ils ont compris ne plus pouvoir compter sur Washington, les Kurdes ont dû trouver des alliés de circonstance pour empêcher la Turquie de s’imposer dans des zones qu’ils considèrent comme vitales pour leur survie en tant que peuple autonome. Le fait que les États-Unis soient revenus sur leur retrait annoncé n’a pas suffi à rétablir la confiance. En a résulté une forte diminution des capacités opérationnelles de la coalition occidentale dans cette région couvrant à peu près un tiers de la Syrie, territoire précédemment contrôlé par l’EI. 

Le chiendent s’enracine

En Irak, le contexte est également moins favorable à la lutte contre l’EI. Les protestations dans le centre et le sud du pays ont contraint le gouvernement à la démission, conduisant à une stagnation politique qui a duré jusqu’à début mai lorsque les partis politiques se sont mis d’accord sur un nouveau Premier ministre, Mustafa al-Kadhimi. Parallèlement, les échanges de tirs entre Washington et les mandataires de Téhéran, aboutissant à l’assassinat du général iranien Qassem Suleimani et du chef de la milice chiite Abu Mahdi al-Muhandis, ont diminué la portée et l’efficacité de la pression exercées sur l’EI.

A lire aussi, du même auteur: Iran: la vengeance la plus nulle au monde

C’est dans ce contexte que la récente série d’opérations djihadistes s’est déclenchée. La première attaque a eu lieu le 9 avril près de Palmyre contre les forces syriennes. Il s’agissait d’une embuscade tendue aux forces du régime syrien suivi d’un combat qui a duré quelques heures. Plus tard en avril, l’EI a mené trois attaques dont une contre le QG de la direction du contre-terrorisme et du renseignement à Kirkouk. Ces opérations, plus complexes que des massacres aléatoires, témoignent des capacités opérationnelles importantes. Et les menaces contre le Qatar pourraient indiquer que pour accompagner son regain d’opérations violentes, l’EI a adopté une stratégie de communication offensive. L’objectif est de remettre Daech à l’ordre du jour des médias et des décideurs dans la région. Mais pas uniquement. 

Ce retour assez rapide de l’EI suggère que l’organisation a pu s’enraciner profondément dans ces territoires à cheval entre la Syrie et l’Irak. Comme une plante désertique brulée par le soleil et asséchée par les vents, l’EI semble avoir la capacité de ressusciter et refleurir dès qu’une pluie passagère rend l’environnement moins hostile. 

Il semblerait donc que l’EI ne soit pas mort sous les coups de la coalition, qu’il s’installe dans la clandestinité dont il a été accoutumé dans sa période pré-califat et qu’il ait retrouvé un élan opérationnel et très probablement une nouvelle stratégie et une forme de direction. Il aura suffi de quelques mois de relâchement de la pression exercée par ses ennemis pour retrouver une capacité de nuisance certaine. Et puisque rien n’indique que les conditions d’un effort coordonné et soutenu de lutte contre l’EI soient réunies, il faut craindre qu’un élément de plus du monde d’avant parasite le monde d’après : l’EI va rester avec nous encore un certain temps.

Le Conseil d’État valide la télé-IVG


Saisi par des associations opposées à l’allongement du délai de l’IVG pendant la crise sanitaire, le Conseil d’État leur a donné tort.


L’IVG est un droit qu’il ne nous appartient pas de remettre en question. Mais c’est aussi une responsabilité. Responsabilité de la décision pour le couple concerné, responsabilité de la prescription qui la rend possible pour le médecin. D’où l’existence de la clause de conscience pour les praticiens. Le caractère sensible et très particulier de cet acte médical a justifié l’intervention du législateur, qui a strictement encadré la procédure dans le code de la santé publique, rendant notamment obligatoire le passage dans un établissement de santé au-delà de la 5ème semaine de grossesse. 

Mais pendant l’état d’urgence sanitaire, le ministre des Solidarités et de la Santé a édicté des mesures extraordinaires permettant de s’affranchir de cette obligation jusqu’à la 7ème semaine, et, plus encore, de permettre la prescription des médicaments nécessaires à l’IVG à domicile dans le cadre d’une simple téléconsultation.

Le Conseil d’État valide la décision gouvernementale exceptionnelle

Saisi en référé par les associations « Alliance Vita », « Juristes pour l’enfance » et « Pharmac’éthique », le Conseil d’État a refusé le 22 mai 2020, de suspendre cette décision ministérielle. Cette solution n’avait pourtant rien d’évident, d’autant plus qu’en référé, le doute sérieux sur la légalité d’une décision suffit au juge pour ordonner la suspension de la mesure, et non pas la preuve définitive de l’illégalité.

L’allongement du délai possible de l’IVG médicamenteuse n’est guère surprenant, la loi autorisant déjà l’IVG jusqu’à 12 semaines dans certaines conditions.

A lire aussi: A l’hôpital, la crainte du retour à la normale

Mais la validation par le Conseil d’État des conditions extraordinaires dans lesquelles celle-ci peut être pratiquée à domicile, y compris pour les mineures, est beaucoup plus étonnante, puisque la Haute juridiction a considéré que le recours à la téléconsultation était légal et suffisant.

Le passage obligatoire à l’hôpital n’est pourtant pas une fantaisie juridique, mais une précaution prise par le législateur afin de sensibiliser les femmes enceintes aux conséquences de l’IVG à un stade avancé, s’assurer de leur consentement réel à la mesure et la pratiquer dans de pleines conditions de sécurité sanitaire.

Or il est à craindre que la télémédecine n’offre pas les mêmes garanties : comment s’assurer de la datation exacte de la grossesse en téléconsultation ? du consentement réel de la patiente, notamment mineure, à distance ? de la parfaite sécurité de la patiente à distance en cas de complications ?

Un précédent sur lequel on ne pourra pas revenir?

La lecture de la décision rendue par le Conseil d’État est par ailleurs déroutante, qui considère que l’IVG par téléconsultation serait « de nature à contribuer à la diminution de la circulation du Covid-19 », une corrélation difficilement compréhensible.

La nécessité de faciliter le recours à l’IVG à domicile au prétexte de l’état d’urgence sanitaire est en outre loin d’être évidente, alors même qu’un des sept motifs de déplacement dérogatoire édicté par le gouvernement pendant le confinement était précisément la nécessité de se rendre à l’hôpital.

A lire aussi: Comment le mot « féminicide » nous est imposé

Il est à craindre que cet assouplissement des règles de l’IVG à domicile validé par le Conseil d’État ne crée un précédent, et que l’exception temporaire devienne la nouvelle norme.

La technique a été un outil indéniable pendant la triste période que nous avons connue, notamment pour le télétravail et pour éviter les déplacements inutiles. En médecine, la téléconsultation est un atout intéressant appelé à se développer pour de nombreuses pathologies. Mais il faut se garder de tous les excès et sa généralisation n’est pas forcément souhaitable. En particulier, l’IVG est un acte médical sensible, qui nécessite de faire preuve d’humanité et d’écoute. La froideur d’un échange par écrans interposés ne remplacera jamais l’échange humain chaleureux et compréhensif, ce que redoutait déjà Stanislaw Jerzy Lec en 1964 « La technique atteindra un tel niveau de perfection que l’homme pourra se passer de lui-même ».

Hommes, femmes, virus, mode d’emploi


Une infection peut encourager plusieurs comportements dangereux chez son hôte, visant à favoriser sa propre transmission. Par ailleurs, pandémie rime souvent avec un retour en force des idées et des « valeurs » conservatrices traditionnelles qui semblent mieux prémunir contre les risques de transmission


[Avertissement : récence de la pandémie oblige, toutes les études détaillées dans ce numéro sont des articles en prépublication qui ne sont pas passées sous les fourches caudines de la validation par les pairs. Leurs conclusions doivent, encore plus que d’habitude, être considérées comme parcellaires et provisoires.]

Un ennemi invisible et manipulateur

Telle est la recette d’un bon film de zombies : un mal aussi mystérieux que virulent émerge dans la population, les humains infectés perdent tout sens commun et passent le plus clair de leur temps à traquer leurs congénères pour les contaminer (avec ou sans caddie de supermarché). Sauf qu’il ne s’agit pas seulement d’un trope du cinéma de genre confortablement captif des frontières de la fiction. Comme le rappelle une étude en passe d’être publiée dans la revue Medical Hypotheses – dédiée, comme son nom l’indique, aux hypothèses médicales en attente de données –, l’évolution a transformé bien des pathogènes en pirates de nos faits et gestes, et rien ne dit que le SARS-CoV-2 fasse exception à cette règle. En d’autres termes, non seulement le nouveau coronavirus tue, met les économies à genoux et nous prive de nos libertés les plus élémentaires, mais il se pourrait bien qu’en se nichant au cœur de nos cellules pour y trouver ce qui lui manque pour persévérer dans l’existence, cet « ennemi invisible » fasse de nous ses marionnettes. Le travail de l’équipe de Steven M. Platek, professeur de psychologie et spécialiste de neurosciences évolutionnaires au Georgia Gwinnett College (États-Unis), porte sur un phénomène aujourd’hui bien connu des épidémiologistes : la manipulation de l’hôte. Soit le processus par lequel un pathogène modifie le comportement et/ou la physiologie de l’organisme qu’il infecte afin d’augmenter son propre taux de reproduction – le fameux R0. Un cas d’école est celui du virus de la rage colonisant à la fois le système nerveux central et la bave de la bestiole infectée. Elle devient aussi peu craintive qu’hyperagressive, mord à gogo et, ainsi, le virus va joyeusement perpétuer ses gènes ailleurs. Idem pour la toxoplasmose qui rend intrépides les rongeurs et augmente par la même occasion leurs chances de finir dans les intestins de félins, véritable lupanar pour le parasite. D’autres pathogènes sont encore plus pervers. Par exemple, le nématomorphe Spinochordodes tellinii, microscopique à sa naissance et long de plusieurs centimètres à maturité, pousse les sauterelles qu’il squatte à se « suicider » par grands sauts dans des mares où elles se noient. Pourquoi ? Parce que c’est dans l’eau que les vers rencontrent leurs partenaires sexuels. Avec le Covid-19, que pourrait-il se passer de similaire ? Entre autres, s’il manipule son monde comme le fait la grippe, sa période d’incubation asymptomatique pourrait s’accompagner d’un pic d’extraversion incitant des malades qui ne savent ni ne montrent qu’ils le sont à aller se frotter à leurs semblables. Et c’est là qu’on se dit qu’entre les images de ces bars surpeuplés à la veille du confinement et un film de Romero, la frontière est mince.

Référence : tinyurl.com/EmpriseVirale

A lire aussi, Nidra Poller : L’homme est un virus pour l’homme

Stéréotypes antiseptiques

Si la cervelle de Simone de Beauvoir a pu pondre beaucoup de conneries, elle avait vu juste en lui faisant écrire qu’il « suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question ». En optant pour une focale un peu moins gynocentrée, le fait est que les politiques libérales ont tendance à s’épanouir dans les sociétés riches, sûres et en bonne santé, quand la misère, la violence et les risques épidémiques tiennent plutôt de l’écosystème favorable au conservatisme. La crise sanitaire du Covid-19 charrie-t-elle déjà son lot d’inflexions « réacs » ? Selon des données rassemblées par Daniel L. Rosenfeld et A. Janet Tomiyama, psychologues à l’UCLA, la réponse est : « Ça en a tout l’air. » Dans un « preprint » – soit une étude qui n’a pas encore passé les fourches caudines de la validation par les pairs –, ils consignent les résultats de leur enquête menée auprès de 695 personnes (54 % de femmes, 46 % d’hommes) âgées de 18 à 88 ans et interrogées en deux vagues. La première, avant la flambée épidémique aux États-Unis, soit fin janvier, et la seconde en plein dedans, du 19 mars au 2 avril. Les participants devaient à la fois avouer leur orientation idéologique – sur une échelle de 1 (très libéral) à 7 (très conservateur) – et répondre à plusieurs questions censées mesurer leur degré d’adhésion à des « normes de genre traditionnelles ». Par exemple, sur une échelle de 1 (désaccord complet) à 7 (accord complet), ils devaient dire ce que leur inspirait une phrase comme « par rapport aux femmes, les hommes prennent davantage de risques » ou « par rapport aux hommes, les femmes sont plus hygiéniques ». Il en ressort que plus le Covid-19 s’est défoulé, plus la non-binarité a refoulé et la conception traditionnelle des deux sexes a avancé. Une observation cohérente avec un tas d’autres travaux montrant que la charge pathogénique d’une région – soit le risque d’y choper une sale maladie infectieuse – est positivement corrélée au degré de conservatisme de sa population. Notamment parce que bien des valeurs conservatrices relèvent d’un arsenal immunitaire comportemental et aident les individus à ne pas (trop) fréquenter des miasmes inconnus. En revanche, selon Rosenfeld et Tomiyama, la pandémie ne semble pas annoncer un retour de bâton idéologique. Pour le moment ?

Référence : tinyurl.com/SexismeViral

Accusé, touchez-vous

Les émotions ont-elles leur gestuelle attitrée ? Selon l’équipe de Bridget M. Waller, professeur de psychologie évolutionnaire à l’université de Portsmouth (Royaume-Uni), la réponse est oui. Travaillant sur la culpabilité, elle montre que cette émotion universellement ressentie lorsqu’un individu a l’impression d’avoir transgressé une norme sociale se traduit par des froncements de sourcils et des tripotages de cou. La chose n’aurait rien à voir avec des envies pas très catholiques de pendaison, mais avec la sélection naturelle, qui aurait favorisé de tels signaux non verbaux parce qu’ils indiquent à nos congénères toute l’ampleur de notre componction et les incitent à ne pas nous taper dessus. Autant dire que si un virus respiratoire arrive à pirater le bouzin et nous fait nous toucher le visage encore plus souvent qu’à l’accoutumée, on est mal barrés.

Référence : tinyurl.com/CouDuCoupable

A la recherche de la quatrième catégorie…

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Petite suite misogyne (1/2)


Je n’ai jamais eu le choix dans ma vie qu’entre des cinglées, des putes et des paumées. S’il existe une quatrième catégorie, j’adorerais qu’on m’en présente un spécimen avant ma mort. Ce serait une expérience inédite, mais dont je doute qu’elle se produise. Je vous tiendrai au courant.

Le plus troublant pour moi est le rapport sinueux qu’elles entretiennent avec la vérité. Elles se dénudent plus volontiers que d’admettre leurs manigances pour arriver à leur fin. Quand on les prend la main dans le sac, elles répondent : « Ce n’est pas de ma faute. » Ce n’est jamais de leur faute.

***

Les folles ont une propension à l’anorexie et à se couper les veines, comme si elles cherchaient à se prouver qu’elles existent. Les putes, elles, aspirent l’argent en même temps que le sperme. Leur rêve secret est de dépouiller l’homme, voire de le châtrer. Elles usent de leur sexe comme d’une matraque.

Les paumées ne savent jamais où elles en sont. Alors, elles cherchent un Maître. Les psys qui sont le plus souvent des charlatans, s’y intéressent de très près. Surtout quand la vie ne les a pas encore défraîchies. Souvent dépressives, faute de quelques gouttes de narcissisme, elles se réfugient sous leur couette. La procrastination est leur refuge. Elles se dépeignent souvent comme des « bipolaires » et en tirent une certaine satisfaction, la seule sans doute que la vie leur offrira.

***

Le plus troublant quand on a passé des années à les observer, c’est qu’à première vue elles donnent toutes une impression de parfaite normalité : elles se coulent dans le moule social avec une habileté confondante. On leur donnerait le bon Dieu sans confession. D’ailleurs certains hommes s’y laissent prendre et leur font même des enfants : c’est une assurance-vie pour elles et une garantie de moralité. Elles exigent une égalité des droits et adoptent volontiers le statut de victimes. D’ailleurs, aucune victime ne les laisse indifférentes. Il arrive même que ce soit touchant, quand ce n’est pas ridicule.

En revanche, elles se haïssent toutes entre elles. Leur méfiance instinctive s’exerce en priorité face aux femmes, car nul ne connaît mieux les femmes que la femme. Et c’est pourquoi elles sont à chacune leur pire ennemi, surtout quand elles se font des compliments et des mamours. Ces quelques propos peuvent sembler légèrement misogynes… voire indéfendables. Ils le sont hélas !

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Une femme avec une femme

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Marie-Paule Belle se souvient de son amour pour l’écrivain Françoise Mallet-Joris


Je regrette déjà le titre de cette chronique. Il est réducteur, faussement aguicheur, avec un côté militant, tape-à-l’œil, un fond d’arrogance qui ne reflète en rien le livre de souvenirs délicats que Marie-Paule Belle consacre à Françoise Mallet-Joris, disparue en 2016.

La jurée du Goncourt et la vedette des Carpentier

Il ne s’agit pas d’une déclaration publique, plutôt d’un message personnel. Une missive pour ses amis, ses fans et tous les autres qui se rappellent avoir croisé ce duo de femmes. A cette époque-là, on ne parlait pas encore de modernité, ces filles-là vivaient simplement à l’air libre sans justificatif de domicile et sans publicité tapageuse. Leur histoire se suffisait à elle-même, elles n’avaient pas besoin d’un porte-voix. Elles impressionnaient par leur naturel et leur complicité. Comme si tu étais toujours là, sorti chez Plon juste avant le début du confinement, a la pudeur des amours soyeuses qui persistent, même après les ruptures. De ces attachements qui construisent, qui façonnent une existence artistique commune, ce compagnonnage entre une femme de lettres surdouée dont les best-sellers ont trop souvent masqué la plume flamboyante et l’interprète de « La Parisienne », notre cousine adorée des années « Ring Parade », pianiste aussi discrète qu’exigeante. « Après la révélation de ce désir fou, notre amitié, qui était devenue amoureuse, s’est muée brutalement en passion » déclare Marie-Paule Belle, aussi heureuse que transformée par cette audace nouvelle.

A lire aussi: Quel crime a commis Morrissey?

La fille du Nord, flamande aux yeux clairs, à la blondeur conquérante et la petite brune Corse, frisée à profusion, au sourire de pinson. La jurée du Goncourt et la vedette des Carpentier. L’Académie royale de Belgique et L’Echelle de Jacob. Deux bourreaux de travail, chacune visant la perfection dans son art. Les mots fragiles et fugaces comme un trait d’union entre une parolière et une compositrice. Ce récit ressemble à l’image que je me faisais de la chanteuse, intègre et spirituelle, espiègle et cependant perdue, elle porte en elle, cette douce mélancolie des temps instables. Cette grâce est un mystère. Je succombe à sa voix, à ses manières, à cette énergie endiablée, ce divertissement intelligent comme disait autrefois ma grand-mère, sans me poser plus de questions. Ses chansons me touchent. Elles sont des fragments de mon enfance.

Une préface de Serge Lama

On ne se débarrasse pas si vite du passé et de ses fulgurances. Ils reviennent nous visiter à l’âge adulte, nous rappeler nos rêveries d’alors. Je revois ma mère au volant de sa Morris-Mini chanter par-dessus l’autoradio, et moi, affalé sur la mince banquette arrière, déjà au spectacle, déjà ébloui, déjà sous le charme. Combien ai-je aimé cette distance tantôt amusée, tantôt sentimentale qui incarne tellement l’esprit des années 1970. Confusément, j’associe Marie-Paule à Philippe de Broca, à Annie Girardot, aux Renault 5 découvrables sur les grands boulevards, aux dessins de Sempé et aux brasseries canaille de Saint-Germain-des-Prés. Cette joie gamine de découvrir la ville pour la première fois, de monter à la capitale et de vouloir s’y faire un nom, quitte à en payer l’addition. Marie-Paule possède ce provincialisme lyrique, cette envie de réussir et de ne pas trahir.

A lire ensuite: Dabadie, le couturier des mots

Une esthétique de l’honneur. Elle n’aura jamais transigé. Cette vérité, peu d’artistes, l’ont approchée. Elle ne tombe pas dans le banal, le trivial, elle ne geint pas comme tant de chanteuses actuelles. Elle nous livre ses meurtrissures comme ça, à la volée, entre les lignes, pour ne pas gêner. Marie-Paule Belle a accepté son destin. Il est traversé par la gloire et les doutes, les périodes plus maussades ne viennent pas flétrir l’humeur de l’artiste. Elle a résisté à la tentation de l’abandon. Nous aurions souhaité pour elle, encore plus de tubes, plus de passages télé, une plus ample reconnaissance. Mais, les gens qui savent reconnaître le vrai talent, ne se trompent pas. Marie-Paule conserve une place à part dans le cœur des Français. Ce témoignage composé de lettres et de réminiscences éparses, toujours empreint d’une tendresse élégante me fait penser aux plaisirs démodés d’Aznavour. Ce sont les plus virulents, ils continuent longtemps de nous bercer, de nous hanter.  Le lecteur ne se trouve jamais dans la position inconfortable du voyeur. Et Marie-Paule peut compter sur l’ami Serge Lama, en préfacier inspiré et réconfortant. Une urgence s’impose : il faut lire Marie-Paule Belle et aller l’écouter en concert.

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Quand Jean-Paul Brighelli entend parler d’enseignement en « distanciel », il sort son revolver


Un enseignant sur deux n’aurait pas regagné son établissement, et le ministère de l’Éducation nationale affiche une grande bienveillance. Dans ce billet, Jean-Paul Brighelli revient sur les difficultés de l’enseignement à distance.


Il y a deux leçons certaines à tirer de cette longue période d’enseignement à distance — que d’aucuns voudraient voir perdurer pour des raisons diverses, parfois diamétralement opposées : les hypocondriaques parce que l’absence de contact avec les gamins porteurs de germes les rassure, les paresseux parce que jamais meilleure occasion de ne pas travailler ne s’est présentée, et les contempteurs de la fonction publique, parce qu’ils y voient une splendide opportunité de diviser par dix le nombre d’enseignants. Sans compter certains élèves qui, las de servir de cibles vivantes à la racaille qui les traite d’« intellos » en les bousculant au passage et en les rackettant à l’occasion, ont adoré cette possibilité soudain offerte d’étudier au calme.

La première leçon, c’est que l’efficacité d’un enseignement en « distanciel » est inversement proportionnelle à l’âge des élèves. La présence effective d’un enseignant est essentielle en Primaire. Plus grands, la présence effective de l’enseignant est secondaire. Cambridge vient d’annoncer l’annulation totale de ses cours en direct pour toute l’année 2020-2021. Leurs étudiants sont certainement capables d’apprendre via des visio-conférences, ou par des cours assénés depuis l’abîme du temps et de l’espace.

La seconde leçon est corrélée à la première : plus l’élève appartient à des classes sociales privilégiées, mieux il se passera de l’enseignant ; en revanche, ceux qui n’ont pas la culture sur l’évier, si je puis dire, ont le plus grand besoin d’une relation effective / affective, face-à-face — sans doute parce qu’il y a une bonne part de substitution et de transfert dans la relation enseignant / enseigné.

A lire aussi, du même auteur: Enseigner masqué?

À partir de là, on peut croiser les avantages et les inconvénients de ces deux tendances lourdes. Si vous venez d’un milieu peu cultivé, où le français n’est pas la langue d’usage, où le livre est un objet inconnu, presque hostile, vous avez besoin d’un enseignant face à vous, et d’autant plus si vous êtes plus jeune.

Le confinement a délibérément sacrifié des mômes de tous les âges qui ne demandaient souvent qu’à apprendre — et dont il est évident aujourd’hui que grâce à l’action combinée des pouvoirs publics, affairés à ne pas mériter la corde pour les pendre, et d’enseignants essentiellement attachés à leur intégrité épidermique, ils sont sacrifiés pour la vie. Ne croyez pas qu’en trois mois de « rattrapage » à la rentrée, vous remettrez sur les rails des gosses qui ont basculé du côté obscur des apprentissages. Ceux-là sont perdus, sans doute à tout jamais.

Presque tout le monde s’en fiche, ils étaient dans la mauvaise tranche du Protocole de Lisbonne — qui a divisé une fois pour toutes les « apprenants » en 10% de futurs cadres et 90% d’hilotes ubérisés. Pour ces derniers, il restera le foot à la télé, et le revenu universel dont la Gauche se fait aujourd’hui la propagandiste complaisante, au lieu de demander pour les plus démunis un travail réel dans une économie réelle. On applaudit bien fort.

Mais tout cela ne date pas d’hier. Le coronavirus a été le révélateur des tendances lourdes acquises par l’action conjointe des libertaires post-68 et des libéraux post-1973. En fait, cela remonte même aux années 1960, quand un certain René Haby, directeur de la DGESCO, ce bras armé du ministère de l’Education, eut l’idée d’imposer le français oral plutôt que la langue écrite, alors que le français est écrit même à l’oral, et les maths modernes afin de ne pas avantager (sic !) les élèves que leurs parents étaient susceptibles d’aider — et qui se payèrent des cours particuliers. Devenu ministre de Giscard, ce même Haby profita du regroupement familial pour descendre à tout jamais le niveau en imposant le collège unique. Les plus pauvres payèrent l’addition : exclus un jour, exclus toujours.
Pour la petite histoire, la plupart des syndicats enseignants, qui à l’époque réfléchissaient encore, tentèrent de s’opposer à ce dévissage programmé. En vain. L’« égalité », tarte à la crème des pédagogistes et autres faiseurs de merveilles, l’emporta sur la raison qui cherchait à préserver un certain élitisme républicain. Aujourd’hui, toute menace sur le collège unique passe à leurs yeux pour une atteinte au droit de l’enfant d’être absolument ignare.

Je ne sais pas si Blanquer survivra au remaniement qui s’annonce. Mais quel que …

>>> Lire la fin de ce billet sur le blog de Jean-Paul Brighelli <<<

Pour Stendhal


J’ai tant vu le soleil d’Emmanuel de Waresquiel, un essai sur le plus italien des écrivains français


Historien renommé, spécialiste de l’Empire et de la Restauration, Emmanuel de Waresquiel s’est amusé, dans un court essai écrit pendant ses vacances d’été à la campagne, à rédiger une lettre d’amitié à Henri Beyle (1783-1842). Lecteur de Stendhal depuis trente ans, l’historien a voulu voir plus clair sur la parenté d’âme qui le lie à l’auteur de La Chartreuse de Parme

Une disposition à la légèreté et au bonheur

Ce faisant, M. de Waresquiel rejoint, aux côtés de Jacques Laurent, de Jean Prévot et de Philippe Berthier, la cohorte des beylistes plutôt que la troupe des stendhaliens. Ceux-ci utilisent Stendhal pour faire carrière ; ils « travaillent sur » l’écrivain, parfois non sans apporter leur petite pierre à l’édifice. 

Ceux-là se découvrent une passion pour « le rêveur définitif » et, en amis, témoignent de leur reconnaissance pour cet homme qui leur a offert « cette disposition passagère à la légèreté et au bonheur » – je cite ici Waresquiel. C’est dire si J’ai tant vu le soleil illustre l’état de grâce de son auteur. Il ne nous apprend à peu près rien sur Stendhal, sinon cette référence à une lettre inédite de M. de Beyle (sic) à Talleyrand, datée du 7 avril 1814, par laquelle cet admirateur de Napoléon… se rallie au gouvernement provisoire. 

Amoureux transi et arriviste pataud

Non, ce court essai vaut pour sa fervente lucidité, pour son intelligence sensible – le livre d’un ami destiné aux amis d’Arrigo Beyle, Milanais, aux aficionados de ce sous-lieutenant de cavalerie qui chargea les Autrichiens à l’âge de dix-sept ans. Ce livre est pour tous ceux qu’émeut l’amoureux transi et qu’amuse l’arriviste pataud. Pour tous les frères de Quest’anima adorata Cimarosa, Mozart è Shakespeare.

Emmanuel de Waresquiel, J’ai tant vu le soleil, Gallimard, 118 pages

L’espoir d’un nouveau printemps des peuples européens!


Les Français n’ont plus été consultés par référendum depuis leur rejet en 2005 du traité établissant une constitution pour l’Europe. Jordan Bardella s’inquiète des conséquences de la mutualisation des dettes proposée après la crise du coronavirus. Tribune.


Le 29 mai 2005, en rejetant le projet de Constitution européenne, les Français ont barré la route à la chimère la plus précieuse des européistes : l’avènement d’un État fédéral, où la souveraineté nationale ne serait que le lointain souvenir des heures les plus sombres de notre continent. 

Le désaveu fut tel chez nos dirigeants et nos « élites », droite et gauche confondues, qu’il fallut pour eux emprunter la voie détournée du Traité de Lisbonne en 2007, dupant ainsi le peuple français en faisant voter un texte quasiment identique, à peine remanié sur la forme.

Les 500 milliards d’euros de « relance » sont l’écran de fumée qui dissimule un engrenage dangereux…

Quinze ans après ce « Non » – la dernière consultation référendaire en France, l’Union européenne n’a, de l’avis général, pas plus été à la hauteur de la crise sanitaire qu’elle ne l’a été devant toutes les crises précédentes. Cela n’empêche pas ses dirigeants de considérer la crise comme une opportunité, comme une énième occasion historique à saisir, comme un « grand pas en avant » à réaliser, selon les propres termes de la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen. 

En voulant mettre en œuvre la mutualisation de la dette à l’échelon européen, encensée partout comme la garantie d’un « moment hamiltonien » européen, Emmanuel Macron inscrit son nom sur la longue liste de nos dirigeants qui auront gouverné contre la souveraineté populaire, préférant faire de Bruxelles plutôt que de Paris la capitale du pouvoir central.

Les 500 milliards d’euros de « relance » sont l’écran de fumée qui dissimule un engrenage dangereux. Car qui dit dette commune, dit nécessairement besoin de ressources communes supplémentaires. L’argent magique n’existant pas, selon la formule consacrée, ces ressources propres pourront émaner d’une augmentation de la contribution des États au budget européen, et donc constituer autant d’argent versé indirectement par les contribuables. Mais elles peuvent aussi provenir de la mise en œuvre d’un impôt européen qui a toutes les chances de prendre la forme d’une « taxe carbone ». Les bonnes intentions écologiques et sanitaires permettront de justifier de nouveaux transferts de souveraineté. 

Jean Monnet théorisait la politique des « petits pas », par laquelle les États européens seraient peu à peu enchaînés les uns aux autres. Emmanuel Macron, chaussé de ses bottes de sept lieues fédéralistes, est lui un chaud partisan d’un « grand pas en avant », pourtant rejeté par les Français dans les urnes lors des dernières élections européennes de 2019.

Loin des mea culpa de circonstances ou des promesses de relocalisations, le « monde d’après » promis par Emmanuel Macron risque encore une fois d’être un nouveau jeu de dupes, tout autant anti-démocratique qu’anti-national.

D’aucuns y verront une exagération polémique, mais comment qualifier autrement ce plan qui, sans consultation démocratique, fournira à Bruxelles tous les attributs nécessaires d’un État fédéral, à savoir la capacité d’émettre de la dette puis potentiellement de lever l’impôt, et de se doter de ressources propres supplémentaires? 

Assez paradoxalement, l’espoir réside à ce jour dans « l’égoïsme » si décrié des pays « frugaux ». En rejetant les propositions de la Commission européenne, ils ont la capacité de mettre en échec les projets fédéralistes d’Emmanuel Macron et d’Angela Merkel. Et ce sursaut démocratique pourrait une fois de plus venir des Pays-Bas : n’est-ce pas en effet ce même peuple néerlandais qui, aux côtés des Français, a plébiscité le « Non » en 2005? L’espoir d’un nouveau printemps des peuples est permis.

Les colonnes Morris, marqueurs d’un confinement


À Paris, l’illusion de la nouveauté s’affiche dans les rues


Après deux semaines de déconfinement progressif, Paris porte-t-elle encore les stigmates de « 55 jours » à l’arrêt, « sans voir la terre » ? On se croirait dans la chanson « Cargo de Nuit » d’Axel Bauer. Bien sûr, la vie reprend peu à peu dans la capitale ; les cafetiers attendent leur bon de sortie comme un conscrit, la quille ; les bouchons commencent à bourgeonner aux heures de pointe ; la symphonie des klaxons rassure désormais les habitants qui ne se sont jamais vraiment habitués aux sirènes des ambulances, ils se souviennent des premiers jours de la pandémie où un deux tons lancinant et hypnotique striait la nuit ; des apprentis cyclistes s’aventurent avec méfiance sur leurs voies réservées comme s’ils foulaient la piste du cirque Pinder pour la première fois, le vélo n’est pas forcément le meilleur ami de l’homme ; les panneaux des élections municipales suscitent toujours autant de créativité artistique, le coup de crayon est franc, vulgaire, haineux et parfois juste ; des grappes de jeunes lycéens, désœuvrés faute d’ouverture des parcs et des écoles, trinquent à la bière chaude, sur le parvis des églises, sans oser pénétrer à l’intérieur ; les vigiles en costume noir continuent de bénir les clients au gel hydroalcoolique à l’entrée des magasins ; les boutiques de vêtements, idéologues du rabais, cassent les prix comme d’habitude et certains taxis rechignent toujours à prendre la carte sans contact.

Seuls les bouquinistes des quais ne paraissent pas démodés, ils ont rouvert leurs boîtes contrairement aux patrons des discothèques. Rien n’a fondamentalement changé dans les rues de la capitale. Doit-on s’en réjouir ? À quelques différences près tout de même, on croise plus de masques que de terrasses et moins de touristes que d’urgentistes. Dans ce long sas de déconfinement, les vieilles habitudes trépignent, elles attendent le feu vert pour démarrer en trombe. Les amateurs d’archéologie urbaine peuvent néanmoins observer les derniers vestiges du confinement. Pour l’instant, ils sont gratuits avant qu’un technocrate nous les fasse payer pour bien se faire voir de son ministre de tutelle. Ils datent précisément du mercredi 18 mars. Tous les historiens sont formels sur ce point-là. Aucune controverse universitaire à l’horizon, ce qui n’est pas le cas de l’épineux problème de la notation. La moyenne pour tous est un programme qui réjouirait nombre d’hommes politiques en ballotage très défavorable. Passer dans la classe supérieure à la rentrée ne sera pas automatique pour nos élus. Il n’est pas utile de se rendre au musée de Cluny pour admirer ces trésors, le trottoir les affiche à ciel ouvert.

A lire également, du même auteur : Youpi, la France n’a pas changé

Les colonnes Morris nous offrent un spectacle déroutant et dérangeant, du haut de ces pyramides en fonte, « 55 jours » vous contemplent. Un vrai champ de bataille. Une terre de désolation surmontée de quelques cylindres verts, tuteurs de l’ancien monde. Elles sont restées bloquées à la date fatidique du 18 mars. Cryogénisées dans leur caractère éphémère, figées dans la frise de notre histoire immédiate. Tant de films avortés, de pièces de théâtre déprogrammées, je pense au désarroi des attachés de presse, des acteurs, des techniciens, combien de dossiers, d’interviews, de promotions, de décors, tous balayés par le virus. Quand on sait l’énergie désespérée qu’il faut pour monter de tels projets, le dégoût nous emplit la gorge. En se baladant sur les boulevards, on est surtout saisi par l’accélération stupide du temps et notre appétit de nouveautés jamais rassasié. Nous vivons au rythme des avant-premières, des sorties du mercredi au cinéma, de l’office des librairies, nous avons pleinement conscience de cette vacuité, mais, emportés par cette sarabande infernale, nous ne pouvons y résister. Nous sommes tous accros à cette frénésie ridicule tout en sachant que les œuvres majeures, intemporelles et délicieuses, sont des exceptions à la règle marchande. Je dois le reconnaître, ce matin, j’étais en manque de nouveautés DVD, de romans, d’essais, j’ai honte d’avoir erré chez Gibert en proie à cette maladie très française : combler le vide citadin par un surcroît de culture. C’est grave docteur ? Je voulais revoir ma dose d’affiches érigées sur le pavé et de couvertures brillantes à l’intérieur des vitrines. Tout ça me semble si dérisoire, si dépassé, absurde même. Dans ma campagne désolée, j’étais moins sujet à ces crises de mysticisme culturel. Et si le Président reconfinait…

Des illusions de la start-up nation à la reconquête industrielle: en avant toute !


Les crises à répétition achèvent de dissiper les rêves de « mondialisation heureuse » des économies post-industrielles ou en voie de désindustrialisation aggravée. La France d’Emmanuel Macron peut-elle sortir de sa « naïveté » et s’engager sur la voie d’une reconquête productive et technologique ?


Cet article est rédigé par Denis Bachelot, journaliste et essayiste, auteur de L’Islam, le Sexe et Nous (2009) et par Gilbert Pena, consultant en entreprise, ancien délégué général du Club du Small Business.

France vs Allemagne

L’Allemagne, nous dit l’économiste Julia Cagé, n’a pas hésité à massivement délocaliser sa production pour renforcer sa compétitivité. Certes, mais jamais au point d’en perdre le contrôle!

Elle a d’abord choisi prioritairement son environnement proche, l’Europe de l’est, pour baisser ses coûts de production, et intégrer ces pays dans son espace économique « naturel ». Elle a toujours également maintenu ses productions les plus stratégiques et à plus forte valeur ajoutée sur son territoire; chacun peut faire la différence entre une délocalisation qui vise à s’implanter sur de nouveaux marchés, sans nécessairement  réduire l’outil industriel domestique, et celle qui vise essentiellement à réduire les coûts de production. La France, dans le même temps, vendait ses fleurons industriels à la découpe.

>>> Première partie de l’article à retrouver ici <<<

Le résultat aujourd’hui est sans appel ; ainsi, si l’on compare les chiffres de l’emploi industriel de la France et de l’Allemagne sur les 30 dernières années, le constat est sévère pour notre pays : de 1989 à 2017, la France a perdu 30% de ses emplois industriels – de 4,5 millions à 3,180 – avec une part de l’industrie dans le PIB qui passait dans le même temps de 18% à 10,6%, quand l’Allemagne, sur la même période, maintenait une contribution industrielle au PIB de l’ordre de 22%, contre 30% en 90, juste avant la réunification ; avec une main d’œuvre industrielle de plus de 6 millions de salariés, soit le double de la France. A noter, par ailleurs, que la part de l’industrie manufacturière dans le PIB de la France est inférieure à celle de l’Italie et de l’Espagne, autour de 16%, et du Royaume-Uni à 17%.

Mais d’abord, et principalement, l’Allemagne veille à garder le contrôle capitalistique de ses entreprises ; un enjeu plus crucial que le lieu de production, puisqu’il est la clé des décisions stratégiques qui engage l’avenir. A la différence de la France qui a laissé partir ses pépites sans combattre, l’Allemagne, traumatisée par le rachat, en 2016, du groupe Kuka, fleuron de la robotique mondiale, utilise désormais un décret destiné à défendre ses entreprises stratégiques. La vulnérabilité de ses champions industriels à des prises de contrôle chinoises a déclenché une politique protectionniste identique à celle des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, déjà armés juridiquement face aux appétits chinois. Une politique fondée sur un protectionnisme sélectif, rejetée par l’Union Européenne. La balance commerciale française est un bon baromètre de notre effondrement industriel, avec un déficit cumulé de 2005 à 2019 de 840 milliards d’euros ! A comparer aux 2800 milliards d’excédents pour l’Allemagne sur la même période. Le chômage de masse accompagne pareillement le déclin de notre système productif. Le savoir faire technologique et la maîtrise des chaînes de valeurs, quelque soit le secteur d’activité, reste l’épine dorsale de la puissance économique.

L’Allemagne veille à garder le contrôle capitalistique de ses entreprises ; un enjeu plus crucial que le lieu de production, puisqu’il est la clé des décisions stratégiques qui engage l’avenir

Un enjeu de puissance

Nous touchons là au troisième point soulevé par Julia Cagé pour légitimer la désindustrialisation : l’essentiel, souligne-t-elle, est la captation de la valeur ajoutée dans la chaine de valeur. Et l’économiste de citer le cas, bien connu, d’Apple, qui capture l’essentiel de la valeur ajoutée de l’iPod, et non la Chine qui le fabrique. De même, la valeur ajoutée de la Chine dans les ordinateurs n’est que de 5%. « Il en va également ainsi de vos Nike préférées ». « Dans un système mondialisé de l’innovation, celui qui capture la valeur, c’est celui qui innove, pas celui qui produit », note-t-elle. La remarque est juste, mais, formulée telle quelle, elle ignore la dimension essentielle de la durée qui s’inscrit dans une vision de puissance géoéconomique. L’Occident a fait preuve d‘une naïveté coupable, en imaginant que la Chine se contenterait longtemps d’être l’atelier du monde. Elle s’est pensée, dès son ouverture à l’économie monde – comme le Japon en son temps, ou la Corée – comme une grande puissance en devenir, et a soumis l’accès à ses capacités de production à des transferts massifs de technologie, appuyés par de gigantesques efforts de formation de sa population.

A lire aussi: Déconfinement: “Les entreprises doivent traiter de toute urgence l’amertume des premiers de corvée!”

Il fallait être naïf, et arrogant à la fois, pour sous-estimer la capacité de ce pays à atteindre en un temps record, soit trois décennies, un niveau de performance technologique et de capacité d’innovation apte à rivaliser avec les pays les plus développés de l’ouest. Aujourd’hui, les Etats-Unis affrontent un concurrent qui challenge sa suprématie économique, et géopolitique du même coup. Le bras de fer autour de la 5G en est un exemple frappant, comme l’est également, la concurrence que les BATX chinois (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi) livrent au GAFAM américains, dans le domaine des réseaux qui dominent l’économie monde, et de la Tech en général. La Chine fait au moins jeu égal avec les Etats-Unis, loin devant l’Europe, en matière d’Intelligence artificielle. Elle abrite six des onze licornes d’IA dans le monde. Comme le note un article des Echos : « Divertissement, voiture autonome, paiement mobile, intelligence artificielle… Les champions chinois dépensent des milliards et recrutent au cœur de la Silicon Valley pour prendre le leadership mondial sur ces secteurs »[tooltips content= »Les Echos du 18/01/2020″]1[/tooltips].

La dynamique de conquête, incontestablement, est du côté de la Chine et non plus de l’Occident. Un pays qui agit avec une vision coordonnée et volontaire de son destin et de sa puissance, sur la durée, l’emporte logiquement sur ceux dont les choix stratégiques reposent avant tout sur la diversité éparse des intérêts particuliers et les exigences de rendement à court terme de fonds d’investissements étrangers.

Certains économistes, et non des moindres, au fil des dernières décennies, ont cependant résisté au mythe de la société post industrielle dans un environnement de mondialisation heureuse. On peut citer, à ce titre, le cas exemplaire de Jean-Louis Levet, qui réalisa une mission sur l’enjeu des délocalisations de sites de production quand il s’occupait des entreprises aux Commissariat général du Plan, au début des années 2000. Dès 1988, Jean-Louis Levet avait lancé un cri d’alarme dans un ouvrage au titre prémonitoire, « Une « France sans usines ? »[tooltips content= »« Une France sans usines », Economica, 1988″]2[/tooltips], afin de dénoncer la désindustrialisation en cours et avancer des propositions pour faire de l’industrie le moteur de la croissance d’une France moderne. On peut également évoquer les travaux d’économistes médiatisés, comme Elie Cohen, Christian Saint-Etienne ou Michel Didier, qui tous, dans leurs approches respectives, ont défendu la nécessité impérieuse de promouvoir une économie de production et d’innovation. On ne peut non plus ignorer les thèses et les avertissements du prix Nobel Maurice Allais, bien exprimés dans le titre de son ouvrage de 1999: « La mondialisation : la destruction des emplois et de la croissance : l’évidence empirique »[tooltips content= »« La Mondialisation : la destruction des emplois et de la croissance : l’évidence empirique », Clément Juglar, 1999″]3[/tooltips], qui battait en brèche le conformisme consensuel des « élites » nationales. Rarement, un esprit aussi visionnaire fut autant ignoré par ses compatriotes et contemporains !

Un  projet national pour une reconquête industrielle

Emmanuel Macron reconnaît volontiers que l’Europe, dont il se veut le champion, a été « naïve » dans sa politique d’ouverture sans contrôle aux intérêts chinois. Doux euphémisme, nous avons subi une Europe passoire qui n’avait rien de l’Europe « bouclier », dont il vantait il y a peu les mérites ! Ayant peur des paroles fortes qui engagent, il n’a pas encore osé dire comme Thierry Breton, Commissaire européen à l’Industrie, nommé sous son influence, que « La politique industrielle en Europe ne peut plus être conduite avec pour seul but de réduire les prix pour le consommateur »[tooltips content= »La Tribune du 05/03/2014″]4[/tooltips]. Un constat réaliste sur l’aveuglement économique de l’Europe de Maastricht.

Après avoir combattu de manière acerbe le patriotisme économique, le besoin de frontières sélectives et les vertus de la production locale, Macron veut nous convaincre qu’il s’est désormais converti à ce qu’il dénonçait hier comme passéiste et dangereux ! Difficile de le croire sur quelques belles paroles de circonstance. En politique, seuls les actes sont décisifs. C’est bien d’une reconstruction industrielle dont notre pays a besoin. L’Allemagne dispose depuis 2018 d’une «stratégie industrielle nationale pour 2030  ».

A lire aussi, Jean-Luc Gréau : L’Etat n’est plus un problème, il est redevenu la solution

A contrario, le discours fondateur de Macron sur la « start-up nation » s’est construit sur une vision simpliste de l’avenir d’une France inspirée par l’exemple américain de la création des GAFAM. Prenant la parole à la conférence LeWeb, en 2014[tooltips content= »Le Point du 23 mars 2020″]5[/tooltips], il ne cachait pas sa fascination pour les leaders mondiaux de la révolution numérique : « Mon obsession, lorsque je regarde le CAC 40 aujourd’hui, est de créer le CAC 40 de dans dix ans et d’avoir des milliers de grandes entreprises qui puissent remplacer le CAC 40 actuel. Ce serait une grossière erreur de protéger les entreprises et les jobs existants ». Des paroles lourdes de conséquences, d’un irréalisme sidérant, qui expliquent sa froide sérénité vis-à-vis de la perte de nos fleurons industriels appartenant à des secteurs « traditionnels ».

Pour rendre crédible sa conversion nouvelle, sa capacité à se « réinventer », qu’il commence, par exemple, par créer un ministère de l’Industrie, rayé d’un trait de plume en 2017, en y nommant, pourquoi pas, un chef d’entreprise ayant prouvé ses capacités à défendre les intérêts français. Il a l’embarras du choix !

Qu’il mette sur pied, dans le même ordre d’idée, une task force de personnalités incontestées – économistes, dirigeants d’entreprise, politiques – pour mener une réflexion  de fond sur un projet de reconquête industrielle pour notre pays, qui reste une nation de haute compétence technique et entrepreneuriale. Et pourquoi pas, à terme, le retour d’une structure pérenne – Commissariat au Plan, ou quel qu’en soit le nom – pour assister un Etat sachant dans sa fonction d’Etat stratège.

Le projet de retrouver le chemin d’une indépendance nationale « pleine et entière », de relocaliser, dans la mesure du possible et du souhaitable, nos industries perdues, doit être une ardente priorité pour une France qui s’apprête à traverser la pire des récessions de son histoire. Et puis que notre président se veut un européen exemplaire, c’est le moment où jamais, dans ces temps de crise aiguë, de proposer à nos partenaires une ambition industrielle européenne claire, centrée sur le noyau historique de l’UE, pour affirmer notre cohérence et notre volonté d’exister face aux appétits des puissances impériales  américaines et chinoises, qui lorgnent sur nos fleurons et nos centres de recherche d’excellence. L’Europe est une proie désirable et vulnérable !

Cette renaissance industrielle exige d’admettre la nécessité d’une politique industrielle, menée avec une volonté sans faille, une cohérence audacieuse dans les décisions; seuls moyens de retrouver un niveau de confiance des Français indispensable pour surmonter l’épreuve. Un projet qui engage l’ensemble du pays dans la construction d’un avenir prospère et souverain.

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Que deviennent les terroristes de Daech?

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Archive. Des combattants de l'Etat islamique et leurs familles, capturés par les forces syriennes démocratiques près de Baghouz en mars 2019 © LAURENCE GEAI/SIPA Numéro de reportage: 00919431_000155

Alors qu’il était enfin affaibli, de nombreux signes montrent que le califat est de retour. Dans sa dernière communication, les islamistes se réjouissent de voir leurs ennemis affectés par le coronavirus. L’analyse de Gil Mihaely.


Daech est-il de retour ? Un peu plus d’un an après la chute des derniers bastions du « califat » et six mois après la mort de son calife Abou Bakr al-Baghdadi, l’État islamique (EI) montre de plus en plus de signes de vie.

Le 28 mai dernier, dans un enregistrement de 39 minutes diffusé sur ses chaînes Telegram, l’EI a menacé le Qatar en raison de sa participation à la lutte contre les djihadistes. « Pas un jour nous n’avons oublié que la base Al-Oudeid, construite par les tyrans du Qatar pour accueillir l’armée américaine, était et reste toujours le commandement de la campagne menée par les Croisés », déclare Abou Hamza El Qourachi, le porte-parole de l’EI, accusant également Doha « d’avoir financé des factions en Syrie et en Irak engagées contre les djihadistes ». Ce message vocal évoque aussi le coronavirus, un châtiment divin contre « les tyrans du monde » ennemis du califat. Enfin, il fait allusion aux « sommes importantes [dépensées] dans des tentatives désespérées pour sauver [les] économies laminées par la fièvre de l’épidémie » et conclut que nombre de ses ennemis « se retrouvent au bord de la faillite ». Les « Daechologues » ont vite fait remarquer qu’au-delà de son contenu, les silences du message sont également intéressants. En effet, très virulent contre le Qatar à cause de la présence d’une base militaire américaine, le porte-parole de l’EI ne dit mot sur les Émirats Arabes Unis (EAU) dont la base aérienne Al Dhafra abrite des unités américaines (et françaises). L’Arabie saoudite est épargnée et la Turquie s’en sort aussi à peu de frais. Difficile aussi de ne pas relever la date de la diffusion du message de l’EI, pendant le troisième anniversaire du déclenchement de la crise du Golfe qui s’est noué fin mai début juin 2017, aboutissant à une rupture de relations diplomatiques entre le Qatar d’un côté, l’Arabie Saoudite, les EAU, Bahreïn et Égypte de l’autre. Étrange coïncidence difficile à interpréter. Cependant, ce message de propagande doit être compris dans un contexte plus large : l’EI est en train de revenir sur le devant de la scène. Et pas que par voie de presse.  

Le coronavirus apporte un nouveau souffle à l’EI

Au cours des deux derniers mois, quand la moitié de la planète était à l’arrêt, l’EI semble avoir retrouvé un nouveau souffle, menant notamment une série d’attaques de grande envergure en Syrie et en l’Irak. Des attentats revendiqués par l’EI ont également été commis en Égypte, en Afrique, en Afghanistan, au Yémen et aux Maldives. Au Mozambique, le gouvernement soupçonne que des membres de l’organisation djihadiste auraient perpétré un massacre fin avril.  Pire encore, la recrudescence d’activité terroristes s’accompagne de témoignages suggérant que le groupe a une plus grande visibilité ces derniers mois dans les villages et les périphéries des villes d’Irak et de Syrie. 

A lire ensuite, Geoffroy Géraud-Legros: Covid-19, le temps des charlatans

Le modus operandi de certains attentats laisse croire que les groupes djihadistes sur le terrain ont accès à des renseignements sur les mouvements de troupes et les cibles qu’ils cherchent à attaquer. Cela signifie que certains groupes de l’EI ont survécu à la déroute du printemps 2019 et ne sont plus en fuite. Ils se réorganisent et retissent des réseaux d’informateurs et de soutien logistique ainsi que d’autres éléments permettant de se doter de l’infrastructure nécessaire pour passer à l’action terroriste. 

Les conséquences des annonces de Trump?

L’une des raisons principales du retour en force de l’EI est la diminution de la pression militaire qu’exerçait la coalition dirigée par les États-Unis. Cette pression n’avait cessé de croître depuis la reprise de Mossoul en 2017 et de Raqqa en 2018. Des opérations systématiques visaient à nettoyer des territoires entiers (villages abandonnés, zones montagneuses et désertiques) pour assurer que les djihadistes chassés des grands centres urbains ne trouvent pas le répit nécessaire à leur réorganisation. 

Cette pression constante a été notamment affaiblie par les atermoiements des États-Unis qui ont amené leurs alliés locaux – notamment les forces kurdes – à se tourner vers Moscou et Damas. Quand ils ont compris ne plus pouvoir compter sur Washington, les Kurdes ont dû trouver des alliés de circonstance pour empêcher la Turquie de s’imposer dans des zones qu’ils considèrent comme vitales pour leur survie en tant que peuple autonome. Le fait que les États-Unis soient revenus sur leur retrait annoncé n’a pas suffi à rétablir la confiance. En a résulté une forte diminution des capacités opérationnelles de la coalition occidentale dans cette région couvrant à peu près un tiers de la Syrie, territoire précédemment contrôlé par l’EI. 

Le chiendent s’enracine

En Irak, le contexte est également moins favorable à la lutte contre l’EI. Les protestations dans le centre et le sud du pays ont contraint le gouvernement à la démission, conduisant à une stagnation politique qui a duré jusqu’à début mai lorsque les partis politiques se sont mis d’accord sur un nouveau Premier ministre, Mustafa al-Kadhimi. Parallèlement, les échanges de tirs entre Washington et les mandataires de Téhéran, aboutissant à l’assassinat du général iranien Qassem Suleimani et du chef de la milice chiite Abu Mahdi al-Muhandis, ont diminué la portée et l’efficacité de la pression exercées sur l’EI.

A lire aussi, du même auteur: Iran: la vengeance la plus nulle au monde

C’est dans ce contexte que la récente série d’opérations djihadistes s’est déclenchée. La première attaque a eu lieu le 9 avril près de Palmyre contre les forces syriennes. Il s’agissait d’une embuscade tendue aux forces du régime syrien suivi d’un combat qui a duré quelques heures. Plus tard en avril, l’EI a mené trois attaques dont une contre le QG de la direction du contre-terrorisme et du renseignement à Kirkouk. Ces opérations, plus complexes que des massacres aléatoires, témoignent des capacités opérationnelles importantes. Et les menaces contre le Qatar pourraient indiquer que pour accompagner son regain d’opérations violentes, l’EI a adopté une stratégie de communication offensive. L’objectif est de remettre Daech à l’ordre du jour des médias et des décideurs dans la région. Mais pas uniquement. 

Ce retour assez rapide de l’EI suggère que l’organisation a pu s’enraciner profondément dans ces territoires à cheval entre la Syrie et l’Irak. Comme une plante désertique brulée par le soleil et asséchée par les vents, l’EI semble avoir la capacité de ressusciter et refleurir dès qu’une pluie passagère rend l’environnement moins hostile. 

Il semblerait donc que l’EI ne soit pas mort sous les coups de la coalition, qu’il s’installe dans la clandestinité dont il a été accoutumé dans sa période pré-califat et qu’il ait retrouvé un élan opérationnel et très probablement une nouvelle stratégie et une forme de direction. Il aura suffi de quelques mois de relâchement de la pression exercée par ses ennemis pour retrouver une capacité de nuisance certaine. Et puisque rien n’indique que les conditions d’un effort coordonné et soutenu de lutte contre l’EI soient réunies, il faut craindre qu’un élément de plus du monde d’avant parasite le monde d’après : l’EI va rester avec nous encore un certain temps.

Le Conseil d’État valide la télé-IVG

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Le Ministre de la Santé Olivier Véran en déplacement à Dijon le 29 mai © JC Tardivon/SIPA Numéro de reportage: 00964680_000016

Saisi par des associations opposées à l’allongement du délai de l’IVG pendant la crise sanitaire, le Conseil d’État leur a donné tort.


L’IVG est un droit qu’il ne nous appartient pas de remettre en question. Mais c’est aussi une responsabilité. Responsabilité de la décision pour le couple concerné, responsabilité de la prescription qui la rend possible pour le médecin. D’où l’existence de la clause de conscience pour les praticiens. Le caractère sensible et très particulier de cet acte médical a justifié l’intervention du législateur, qui a strictement encadré la procédure dans le code de la santé publique, rendant notamment obligatoire le passage dans un établissement de santé au-delà de la 5ème semaine de grossesse. 

Mais pendant l’état d’urgence sanitaire, le ministre des Solidarités et de la Santé a édicté des mesures extraordinaires permettant de s’affranchir de cette obligation jusqu’à la 7ème semaine, et, plus encore, de permettre la prescription des médicaments nécessaires à l’IVG à domicile dans le cadre d’une simple téléconsultation.

Le Conseil d’État valide la décision gouvernementale exceptionnelle

Saisi en référé par les associations « Alliance Vita », « Juristes pour l’enfance » et « Pharmac’éthique », le Conseil d’État a refusé le 22 mai 2020, de suspendre cette décision ministérielle. Cette solution n’avait pourtant rien d’évident, d’autant plus qu’en référé, le doute sérieux sur la légalité d’une décision suffit au juge pour ordonner la suspension de la mesure, et non pas la preuve définitive de l’illégalité.

L’allongement du délai possible de l’IVG médicamenteuse n’est guère surprenant, la loi autorisant déjà l’IVG jusqu’à 12 semaines dans certaines conditions.

A lire aussi: A l’hôpital, la crainte du retour à la normale

Mais la validation par le Conseil d’État des conditions extraordinaires dans lesquelles celle-ci peut être pratiquée à domicile, y compris pour les mineures, est beaucoup plus étonnante, puisque la Haute juridiction a considéré que le recours à la téléconsultation était légal et suffisant.

Le passage obligatoire à l’hôpital n’est pourtant pas une fantaisie juridique, mais une précaution prise par le législateur afin de sensibiliser les femmes enceintes aux conséquences de l’IVG à un stade avancé, s’assurer de leur consentement réel à la mesure et la pratiquer dans de pleines conditions de sécurité sanitaire.

Or il est à craindre que la télémédecine n’offre pas les mêmes garanties : comment s’assurer de la datation exacte de la grossesse en téléconsultation ? du consentement réel de la patiente, notamment mineure, à distance ? de la parfaite sécurité de la patiente à distance en cas de complications ?

Un précédent sur lequel on ne pourra pas revenir?

La lecture de la décision rendue par le Conseil d’État est par ailleurs déroutante, qui considère que l’IVG par téléconsultation serait « de nature à contribuer à la diminution de la circulation du Covid-19 », une corrélation difficilement compréhensible.

La nécessité de faciliter le recours à l’IVG à domicile au prétexte de l’état d’urgence sanitaire est en outre loin d’être évidente, alors même qu’un des sept motifs de déplacement dérogatoire édicté par le gouvernement pendant le confinement était précisément la nécessité de se rendre à l’hôpital.

A lire aussi: Comment le mot « féminicide » nous est imposé

Il est à craindre que cet assouplissement des règles de l’IVG à domicile validé par le Conseil d’État ne crée un précédent, et que l’exception temporaire devienne la nouvelle norme.

La technique a été un outil indéniable pendant la triste période que nous avons connue, notamment pour le télétravail et pour éviter les déplacements inutiles. En médecine, la téléconsultation est un atout intéressant appelé à se développer pour de nombreuses pathologies. Mais il faut se garder de tous les excès et sa généralisation n’est pas forcément souhaitable. En particulier, l’IVG est un acte médical sensible, qui nécessite de faire preuve d’humanité et d’écoute. La froideur d’un échange par écrans interposés ne remplacera jamais l’échange humain chaleureux et compréhensif, ce que redoutait déjà Stanislaw Jerzy Lec en 1964 « La technique atteindra un tel niveau de perfection que l’homme pourra se passer de lui-même ».

Hommes, femmes, virus, mode d’emploi

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©Patricia Huchot-Boissier / Hans Lucas / AFP

Une infection peut encourager plusieurs comportements dangereux chez son hôte, visant à favoriser sa propre transmission. Par ailleurs, pandémie rime souvent avec un retour en force des idées et des « valeurs » conservatrices traditionnelles qui semblent mieux prémunir contre les risques de transmission


[Avertissement : récence de la pandémie oblige, toutes les études détaillées dans ce numéro sont des articles en prépublication qui ne sont pas passées sous les fourches caudines de la validation par les pairs. Leurs conclusions doivent, encore plus que d’habitude, être considérées comme parcellaires et provisoires.]

Un ennemi invisible et manipulateur

Telle est la recette d’un bon film de zombies : un mal aussi mystérieux que virulent émerge dans la population, les humains infectés perdent tout sens commun et passent le plus clair de leur temps à traquer leurs congénères pour les contaminer (avec ou sans caddie de supermarché). Sauf qu’il ne s’agit pas seulement d’un trope du cinéma de genre confortablement captif des frontières de la fiction. Comme le rappelle une étude en passe d’être publiée dans la revue Medical Hypotheses – dédiée, comme son nom l’indique, aux hypothèses médicales en attente de données –, l’évolution a transformé bien des pathogènes en pirates de nos faits et gestes, et rien ne dit que le SARS-CoV-2 fasse exception à cette règle. En d’autres termes, non seulement le nouveau coronavirus tue, met les économies à genoux et nous prive de nos libertés les plus élémentaires, mais il se pourrait bien qu’en se nichant au cœur de nos cellules pour y trouver ce qui lui manque pour persévérer dans l’existence, cet « ennemi invisible » fasse de nous ses marionnettes. Le travail de l’équipe de Steven M. Platek, professeur de psychologie et spécialiste de neurosciences évolutionnaires au Georgia Gwinnett College (États-Unis), porte sur un phénomène aujourd’hui bien connu des épidémiologistes : la manipulation de l’hôte. Soit le processus par lequel un pathogène modifie le comportement et/ou la physiologie de l’organisme qu’il infecte afin d’augmenter son propre taux de reproduction – le fameux R0. Un cas d’école est celui du virus de la rage colonisant à la fois le système nerveux central et la bave de la bestiole infectée. Elle devient aussi peu craintive qu’hyperagressive, mord à gogo et, ainsi, le virus va joyeusement perpétuer ses gènes ailleurs. Idem pour la toxoplasmose qui rend intrépides les rongeurs et augmente par la même occasion leurs chances de finir dans les intestins de félins, véritable lupanar pour le parasite. D’autres pathogènes sont encore plus pervers. Par exemple, le nématomorphe Spinochordodes tellinii, microscopique à sa naissance et long de plusieurs centimètres à maturité, pousse les sauterelles qu’il squatte à se « suicider » par grands sauts dans des mares où elles se noient. Pourquoi ? Parce que c’est dans l’eau que les vers rencontrent leurs partenaires sexuels. Avec le Covid-19, que pourrait-il se passer de similaire ? Entre autres, s’il manipule son monde comme le fait la grippe, sa période d’incubation asymptomatique pourrait s’accompagner d’un pic d’extraversion incitant des malades qui ne savent ni ne montrent qu’ils le sont à aller se frotter à leurs semblables. Et c’est là qu’on se dit qu’entre les images de ces bars surpeuplés à la veille du confinement et un film de Romero, la frontière est mince.

Référence : tinyurl.com/EmpriseVirale

A lire aussi, Nidra Poller : L’homme est un virus pour l’homme

Stéréotypes antiseptiques

Si la cervelle de Simone de Beauvoir a pu pondre beaucoup de conneries, elle avait vu juste en lui faisant écrire qu’il « suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question ». En optant pour une focale un peu moins gynocentrée, le fait est que les politiques libérales ont tendance à s’épanouir dans les sociétés riches, sûres et en bonne santé, quand la misère, la violence et les risques épidémiques tiennent plutôt de l’écosystème favorable au conservatisme. La crise sanitaire du Covid-19 charrie-t-elle déjà son lot d’inflexions « réacs » ? Selon des données rassemblées par Daniel L. Rosenfeld et A. Janet Tomiyama, psychologues à l’UCLA, la réponse est : « Ça en a tout l’air. » Dans un « preprint » – soit une étude qui n’a pas encore passé les fourches caudines de la validation par les pairs –, ils consignent les résultats de leur enquête menée auprès de 695 personnes (54 % de femmes, 46 % d’hommes) âgées de 18 à 88 ans et interrogées en deux vagues. La première, avant la flambée épidémique aux États-Unis, soit fin janvier, et la seconde en plein dedans, du 19 mars au 2 avril. Les participants devaient à la fois avouer leur orientation idéologique – sur une échelle de 1 (très libéral) à 7 (très conservateur) – et répondre à plusieurs questions censées mesurer leur degré d’adhésion à des « normes de genre traditionnelles ». Par exemple, sur une échelle de 1 (désaccord complet) à 7 (accord complet), ils devaient dire ce que leur inspirait une phrase comme « par rapport aux femmes, les hommes prennent davantage de risques » ou « par rapport aux hommes, les femmes sont plus hygiéniques ». Il en ressort que plus le Covid-19 s’est défoulé, plus la non-binarité a refoulé et la conception traditionnelle des deux sexes a avancé. Une observation cohérente avec un tas d’autres travaux montrant que la charge pathogénique d’une région – soit le risque d’y choper une sale maladie infectieuse – est positivement corrélée au degré de conservatisme de sa population. Notamment parce que bien des valeurs conservatrices relèvent d’un arsenal immunitaire comportemental et aident les individus à ne pas (trop) fréquenter des miasmes inconnus. En revanche, selon Rosenfeld et Tomiyama, la pandémie ne semble pas annoncer un retour de bâton idéologique. Pour le moment ?

Référence : tinyurl.com/SexismeViral

Accusé, touchez-vous

Les émotions ont-elles leur gestuelle attitrée ? Selon l’équipe de Bridget M. Waller, professeur de psychologie évolutionnaire à l’université de Portsmouth (Royaume-Uni), la réponse est oui. Travaillant sur la culpabilité, elle montre que cette émotion universellement ressentie lorsqu’un individu a l’impression d’avoir transgressé une norme sociale se traduit par des froncements de sourcils et des tripotages de cou. La chose n’aurait rien à voir avec des envies pas très catholiques de pendaison, mais avec la sélection naturelle, qui aurait favorisé de tels signaux non verbaux parce qu’ils indiquent à nos congénères toute l’ampleur de notre componction et les incitent à ne pas nous taper dessus. Autant dire que si un virus respiratoire arrive à pirater le bouzin et nous fait nous toucher le visage encore plus souvent qu’à l’accoutumée, on est mal barrés.

Référence : tinyurl.com/CouDuCoupable

A la recherche de la quatrième catégorie…

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Image d'illustration / Unsplash

Petite suite misogyne (1/2)


Je n’ai jamais eu le choix dans ma vie qu’entre des cinglées, des putes et des paumées. S’il existe une quatrième catégorie, j’adorerais qu’on m’en présente un spécimen avant ma mort. Ce serait une expérience inédite, mais dont je doute qu’elle se produise. Je vous tiendrai au courant.

Le plus troublant pour moi est le rapport sinueux qu’elles entretiennent avec la vérité. Elles se dénudent plus volontiers que d’admettre leurs manigances pour arriver à leur fin. Quand on les prend la main dans le sac, elles répondent : « Ce n’est pas de ma faute. » Ce n’est jamais de leur faute.

***

Les folles ont une propension à l’anorexie et à se couper les veines, comme si elles cherchaient à se prouver qu’elles existent. Les putes, elles, aspirent l’argent en même temps que le sperme. Leur rêve secret est de dépouiller l’homme, voire de le châtrer. Elles usent de leur sexe comme d’une matraque.

Les paumées ne savent jamais où elles en sont. Alors, elles cherchent un Maître. Les psys qui sont le plus souvent des charlatans, s’y intéressent de très près. Surtout quand la vie ne les a pas encore défraîchies. Souvent dépressives, faute de quelques gouttes de narcissisme, elles se réfugient sous leur couette. La procrastination est leur refuge. Elles se dépeignent souvent comme des « bipolaires » et en tirent une certaine satisfaction, la seule sans doute que la vie leur offrira.

***

Le plus troublant quand on a passé des années à les observer, c’est qu’à première vue elles donnent toutes une impression de parfaite normalité : elles se coulent dans le moule social avec une habileté confondante. On leur donnerait le bon Dieu sans confession. D’ailleurs certains hommes s’y laissent prendre et leur font même des enfants : c’est une assurance-vie pour elles et une garantie de moralité. Elles exigent une égalité des droits et adoptent volontiers le statut de victimes. D’ailleurs, aucune victime ne les laisse indifférentes. Il arrive même que ce soit touchant, quand ce n’est pas ridicule.

En revanche, elles se haïssent toutes entre elles. Leur méfiance instinctive s’exerce en priorité face aux femmes, car nul ne connaît mieux les femmes que la femme. Et c’est pourquoi elles sont à chacune leur pire ennemi, surtout quand elles se font des compliments et des mamours. Ces quelques propos peuvent sembler légèrement misogynes… voire indéfendables. Ils le sont hélas !

Confession d'un gentil garçon

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Une femme avec une femme

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Marie-Paule Belle © Bruno Klein

Marie-Paule Belle se souvient de son amour pour l’écrivain Françoise Mallet-Joris


Je regrette déjà le titre de cette chronique. Il est réducteur, faussement aguicheur, avec un côté militant, tape-à-l’œil, un fond d’arrogance qui ne reflète en rien le livre de souvenirs délicats que Marie-Paule Belle consacre à Françoise Mallet-Joris, disparue en 2016.

La jurée du Goncourt et la vedette des Carpentier

Il ne s’agit pas d’une déclaration publique, plutôt d’un message personnel. Une missive pour ses amis, ses fans et tous les autres qui se rappellent avoir croisé ce duo de femmes. A cette époque-là, on ne parlait pas encore de modernité, ces filles-là vivaient simplement à l’air libre sans justificatif de domicile et sans publicité tapageuse. Leur histoire se suffisait à elle-même, elles n’avaient pas besoin d’un porte-voix. Elles impressionnaient par leur naturel et leur complicité. Comme si tu étais toujours là, sorti chez Plon juste avant le début du confinement, a la pudeur des amours soyeuses qui persistent, même après les ruptures. De ces attachements qui construisent, qui façonnent une existence artistique commune, ce compagnonnage entre une femme de lettres surdouée dont les best-sellers ont trop souvent masqué la plume flamboyante et l’interprète de « La Parisienne », notre cousine adorée des années « Ring Parade », pianiste aussi discrète qu’exigeante. « Après la révélation de ce désir fou, notre amitié, qui était devenue amoureuse, s’est muée brutalement en passion » déclare Marie-Paule Belle, aussi heureuse que transformée par cette audace nouvelle.

A lire aussi: Quel crime a commis Morrissey?

La fille du Nord, flamande aux yeux clairs, à la blondeur conquérante et la petite brune Corse, frisée à profusion, au sourire de pinson. La jurée du Goncourt et la vedette des Carpentier. L’Académie royale de Belgique et L’Echelle de Jacob. Deux bourreaux de travail, chacune visant la perfection dans son art. Les mots fragiles et fugaces comme un trait d’union entre une parolière et une compositrice. Ce récit ressemble à l’image que je me faisais de la chanteuse, intègre et spirituelle, espiègle et cependant perdue, elle porte en elle, cette douce mélancolie des temps instables. Cette grâce est un mystère. Je succombe à sa voix, à ses manières, à cette énergie endiablée, ce divertissement intelligent comme disait autrefois ma grand-mère, sans me poser plus de questions. Ses chansons me touchent. Elles sont des fragments de mon enfance.

Une préface de Serge Lama

On ne se débarrasse pas si vite du passé et de ses fulgurances. Ils reviennent nous visiter à l’âge adulte, nous rappeler nos rêveries d’alors. Je revois ma mère au volant de sa Morris-Mini chanter par-dessus l’autoradio, et moi, affalé sur la mince banquette arrière, déjà au spectacle, déjà ébloui, déjà sous le charme. Combien ai-je aimé cette distance tantôt amusée, tantôt sentimentale qui incarne tellement l’esprit des années 1970. Confusément, j’associe Marie-Paule à Philippe de Broca, à Annie Girardot, aux Renault 5 découvrables sur les grands boulevards, aux dessins de Sempé et aux brasseries canaille de Saint-Germain-des-Prés. Cette joie gamine de découvrir la ville pour la première fois, de monter à la capitale et de vouloir s’y faire un nom, quitte à en payer l’addition. Marie-Paule possède ce provincialisme lyrique, cette envie de réussir et de ne pas trahir.

A lire ensuite: Dabadie, le couturier des mots

Une esthétique de l’honneur. Elle n’aura jamais transigé. Cette vérité, peu d’artistes, l’ont approchée. Elle ne tombe pas dans le banal, le trivial, elle ne geint pas comme tant de chanteuses actuelles. Elle nous livre ses meurtrissures comme ça, à la volée, entre les lignes, pour ne pas gêner. Marie-Paule Belle a accepté son destin. Il est traversé par la gloire et les doutes, les périodes plus maussades ne viennent pas flétrir l’humeur de l’artiste. Elle a résisté à la tentation de l’abandon. Nous aurions souhaité pour elle, encore plus de tubes, plus de passages télé, une plus ample reconnaissance. Mais, les gens qui savent reconnaître le vrai talent, ne se trompent pas. Marie-Paule conserve une place à part dans le cœur des Français. Ce témoignage composé de lettres et de réminiscences éparses, toujours empreint d’une tendresse élégante me fait penser aux plaisirs démodés d’Aznavour. Ce sont les plus virulents, ils continuent longtemps de nous bercer, de nous hanter.  Le lecteur ne se trouve jamais dans la position inconfortable du voyeur. Et Marie-Paule peut compter sur l’ami Serge Lama, en préfacier inspiré et réconfortant. Une urgence s’impose : il faut lire Marie-Paule Belle et aller l’écouter en concert.

Comme si tu étais toujours là de Marie-Paule Belle – Plon

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Quand Jean-Paul Brighelli entend parler d’enseignement en « distanciel », il sort son revolver

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Une écolière reprend les cours à Bruxelles le 28 mai 2020 © ISOPIX/SIPA Numéro de reportage: 00962980_000004

Un enseignant sur deux n’aurait pas regagné son établissement, et le ministère de l’Éducation nationale affiche une grande bienveillance. Dans ce billet, Jean-Paul Brighelli revient sur les difficultés de l’enseignement à distance.


Il y a deux leçons certaines à tirer de cette longue période d’enseignement à distance — que d’aucuns voudraient voir perdurer pour des raisons diverses, parfois diamétralement opposées : les hypocondriaques parce que l’absence de contact avec les gamins porteurs de germes les rassure, les paresseux parce que jamais meilleure occasion de ne pas travailler ne s’est présentée, et les contempteurs de la fonction publique, parce qu’ils y voient une splendide opportunité de diviser par dix le nombre d’enseignants. Sans compter certains élèves qui, las de servir de cibles vivantes à la racaille qui les traite d’« intellos » en les bousculant au passage et en les rackettant à l’occasion, ont adoré cette possibilité soudain offerte d’étudier au calme.

La première leçon, c’est que l’efficacité d’un enseignement en « distanciel » est inversement proportionnelle à l’âge des élèves. La présence effective d’un enseignant est essentielle en Primaire. Plus grands, la présence effective de l’enseignant est secondaire. Cambridge vient d’annoncer l’annulation totale de ses cours en direct pour toute l’année 2020-2021. Leurs étudiants sont certainement capables d’apprendre via des visio-conférences, ou par des cours assénés depuis l’abîme du temps et de l’espace.

La seconde leçon est corrélée à la première : plus l’élève appartient à des classes sociales privilégiées, mieux il se passera de l’enseignant ; en revanche, ceux qui n’ont pas la culture sur l’évier, si je puis dire, ont le plus grand besoin d’une relation effective / affective, face-à-face — sans doute parce qu’il y a une bonne part de substitution et de transfert dans la relation enseignant / enseigné.

A lire aussi, du même auteur: Enseigner masqué?

À partir de là, on peut croiser les avantages et les inconvénients de ces deux tendances lourdes. Si vous venez d’un milieu peu cultivé, où le français n’est pas la langue d’usage, où le livre est un objet inconnu, presque hostile, vous avez besoin d’un enseignant face à vous, et d’autant plus si vous êtes plus jeune.

Le confinement a délibérément sacrifié des mômes de tous les âges qui ne demandaient souvent qu’à apprendre — et dont il est évident aujourd’hui que grâce à l’action combinée des pouvoirs publics, affairés à ne pas mériter la corde pour les pendre, et d’enseignants essentiellement attachés à leur intégrité épidermique, ils sont sacrifiés pour la vie. Ne croyez pas qu’en trois mois de « rattrapage » à la rentrée, vous remettrez sur les rails des gosses qui ont basculé du côté obscur des apprentissages. Ceux-là sont perdus, sans doute à tout jamais.

Presque tout le monde s’en fiche, ils étaient dans la mauvaise tranche du Protocole de Lisbonne — qui a divisé une fois pour toutes les « apprenants » en 10% de futurs cadres et 90% d’hilotes ubérisés. Pour ces derniers, il restera le foot à la télé, et le revenu universel dont la Gauche se fait aujourd’hui la propagandiste complaisante, au lieu de demander pour les plus démunis un travail réel dans une économie réelle. On applaudit bien fort.

Mais tout cela ne date pas d’hier. Le coronavirus a été le révélateur des tendances lourdes acquises par l’action conjointe des libertaires post-68 et des libéraux post-1973. En fait, cela remonte même aux années 1960, quand un certain René Haby, directeur de la DGESCO, ce bras armé du ministère de l’Education, eut l’idée d’imposer le français oral plutôt que la langue écrite, alors que le français est écrit même à l’oral, et les maths modernes afin de ne pas avantager (sic !) les élèves que leurs parents étaient susceptibles d’aider — et qui se payèrent des cours particuliers. Devenu ministre de Giscard, ce même Haby profita du regroupement familial pour descendre à tout jamais le niveau en imposant le collège unique. Les plus pauvres payèrent l’addition : exclus un jour, exclus toujours.
Pour la petite histoire, la plupart des syndicats enseignants, qui à l’époque réfléchissaient encore, tentèrent de s’opposer à ce dévissage programmé. En vain. L’« égalité », tarte à la crème des pédagogistes et autres faiseurs de merveilles, l’emporta sur la raison qui cherchait à préserver un certain élitisme républicain. Aujourd’hui, toute menace sur le collège unique passe à leurs yeux pour une atteinte au droit de l’enfant d’être absolument ignare.

Je ne sais pas si Blanquer survivra au remaniement qui s’annonce. Mais quel que …

>>> Lire la fin de ce billet sur le blog de Jean-Paul Brighelli <<<

Pour Stendhal

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Emmanuel de WARESQUIEL (2011) Photo: Hannah Assouline

J’ai tant vu le soleil d’Emmanuel de Waresquiel, un essai sur le plus italien des écrivains français


Historien renommé, spécialiste de l’Empire et de la Restauration, Emmanuel de Waresquiel s’est amusé, dans un court essai écrit pendant ses vacances d’été à la campagne, à rédiger une lettre d’amitié à Henri Beyle (1783-1842). Lecteur de Stendhal depuis trente ans, l’historien a voulu voir plus clair sur la parenté d’âme qui le lie à l’auteur de La Chartreuse de Parme

Une disposition à la légèreté et au bonheur

Ce faisant, M. de Waresquiel rejoint, aux côtés de Jacques Laurent, de Jean Prévot et de Philippe Berthier, la cohorte des beylistes plutôt que la troupe des stendhaliens. Ceux-ci utilisent Stendhal pour faire carrière ; ils « travaillent sur » l’écrivain, parfois non sans apporter leur petite pierre à l’édifice. 

Ceux-là se découvrent une passion pour « le rêveur définitif » et, en amis, témoignent de leur reconnaissance pour cet homme qui leur a offert « cette disposition passagère à la légèreté et au bonheur » – je cite ici Waresquiel. C’est dire si J’ai tant vu le soleil illustre l’état de grâce de son auteur. Il ne nous apprend à peu près rien sur Stendhal, sinon cette référence à une lettre inédite de M. de Beyle (sic) à Talleyrand, datée du 7 avril 1814, par laquelle cet admirateur de Napoléon… se rallie au gouvernement provisoire. 

Amoureux transi et arriviste pataud

Non, ce court essai vaut pour sa fervente lucidité, pour son intelligence sensible – le livre d’un ami destiné aux amis d’Arrigo Beyle, Milanais, aux aficionados de ce sous-lieutenant de cavalerie qui chargea les Autrichiens à l’âge de dix-sept ans. Ce livre est pour tous ceux qu’émeut l’amoureux transi et qu’amuse l’arriviste pataud. Pour tous les frères de Quest’anima adorata Cimarosa, Mozart è Shakespeare.

Emmanuel de Waresquiel, J’ai tant vu le soleil, Gallimard, 118 pages

L’espoir d’un nouveau printemps des peuples européens!

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Jordan Bardella à Strasbourg © Jean-Francois Badias/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22353601_000020

Les Français n’ont plus été consultés par référendum depuis leur rejet en 2005 du traité établissant une constitution pour l’Europe. Jordan Bardella s’inquiète des conséquences de la mutualisation des dettes proposée après la crise du coronavirus. Tribune.


Le 29 mai 2005, en rejetant le projet de Constitution européenne, les Français ont barré la route à la chimère la plus précieuse des européistes : l’avènement d’un État fédéral, où la souveraineté nationale ne serait que le lointain souvenir des heures les plus sombres de notre continent. 

Le désaveu fut tel chez nos dirigeants et nos « élites », droite et gauche confondues, qu’il fallut pour eux emprunter la voie détournée du Traité de Lisbonne en 2007, dupant ainsi le peuple français en faisant voter un texte quasiment identique, à peine remanié sur la forme.

Les 500 milliards d’euros de « relance » sont l’écran de fumée qui dissimule un engrenage dangereux…

Quinze ans après ce « Non » – la dernière consultation référendaire en France, l’Union européenne n’a, de l’avis général, pas plus été à la hauteur de la crise sanitaire qu’elle ne l’a été devant toutes les crises précédentes. Cela n’empêche pas ses dirigeants de considérer la crise comme une opportunité, comme une énième occasion historique à saisir, comme un « grand pas en avant » à réaliser, selon les propres termes de la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen. 

En voulant mettre en œuvre la mutualisation de la dette à l’échelon européen, encensée partout comme la garantie d’un « moment hamiltonien » européen, Emmanuel Macron inscrit son nom sur la longue liste de nos dirigeants qui auront gouverné contre la souveraineté populaire, préférant faire de Bruxelles plutôt que de Paris la capitale du pouvoir central.

Les 500 milliards d’euros de « relance » sont l’écran de fumée qui dissimule un engrenage dangereux. Car qui dit dette commune, dit nécessairement besoin de ressources communes supplémentaires. L’argent magique n’existant pas, selon la formule consacrée, ces ressources propres pourront émaner d’une augmentation de la contribution des États au budget européen, et donc constituer autant d’argent versé indirectement par les contribuables. Mais elles peuvent aussi provenir de la mise en œuvre d’un impôt européen qui a toutes les chances de prendre la forme d’une « taxe carbone ». Les bonnes intentions écologiques et sanitaires permettront de justifier de nouveaux transferts de souveraineté. 

Jean Monnet théorisait la politique des « petits pas », par laquelle les États européens seraient peu à peu enchaînés les uns aux autres. Emmanuel Macron, chaussé de ses bottes de sept lieues fédéralistes, est lui un chaud partisan d’un « grand pas en avant », pourtant rejeté par les Français dans les urnes lors des dernières élections européennes de 2019.

Loin des mea culpa de circonstances ou des promesses de relocalisations, le « monde d’après » promis par Emmanuel Macron risque encore une fois d’être un nouveau jeu de dupes, tout autant anti-démocratique qu’anti-national.

D’aucuns y verront une exagération polémique, mais comment qualifier autrement ce plan qui, sans consultation démocratique, fournira à Bruxelles tous les attributs nécessaires d’un État fédéral, à savoir la capacité d’émettre de la dette puis potentiellement de lever l’impôt, et de se doter de ressources propres supplémentaires? 

Assez paradoxalement, l’espoir réside à ce jour dans « l’égoïsme » si décrié des pays « frugaux ». En rejetant les propositions de la Commission européenne, ils ont la capacité de mettre en échec les projets fédéralistes d’Emmanuel Macron et d’Angela Merkel. Et ce sursaut démocratique pourrait une fois de plus venir des Pays-Bas : n’est-ce pas en effet ce même peuple néerlandais qui, aux côtés des Français, a plébiscité le « Non » en 2005? L’espoir d’un nouveau printemps des peuples est permis.

Les colonnes Morris, marqueurs d’un confinement

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© Louise MERESSE/SIPA/2005101357

À Paris, l’illusion de la nouveauté s’affiche dans les rues


Après deux semaines de déconfinement progressif, Paris porte-t-elle encore les stigmates de « 55 jours » à l’arrêt, « sans voir la terre » ? On se croirait dans la chanson « Cargo de Nuit » d’Axel Bauer. Bien sûr, la vie reprend peu à peu dans la capitale ; les cafetiers attendent leur bon de sortie comme un conscrit, la quille ; les bouchons commencent à bourgeonner aux heures de pointe ; la symphonie des klaxons rassure désormais les habitants qui ne se sont jamais vraiment habitués aux sirènes des ambulances, ils se souviennent des premiers jours de la pandémie où un deux tons lancinant et hypnotique striait la nuit ; des apprentis cyclistes s’aventurent avec méfiance sur leurs voies réservées comme s’ils foulaient la piste du cirque Pinder pour la première fois, le vélo n’est pas forcément le meilleur ami de l’homme ; les panneaux des élections municipales suscitent toujours autant de créativité artistique, le coup de crayon est franc, vulgaire, haineux et parfois juste ; des grappes de jeunes lycéens, désœuvrés faute d’ouverture des parcs et des écoles, trinquent à la bière chaude, sur le parvis des églises, sans oser pénétrer à l’intérieur ; les vigiles en costume noir continuent de bénir les clients au gel hydroalcoolique à l’entrée des magasins ; les boutiques de vêtements, idéologues du rabais, cassent les prix comme d’habitude et certains taxis rechignent toujours à prendre la carte sans contact.

Seuls les bouquinistes des quais ne paraissent pas démodés, ils ont rouvert leurs boîtes contrairement aux patrons des discothèques. Rien n’a fondamentalement changé dans les rues de la capitale. Doit-on s’en réjouir ? À quelques différences près tout de même, on croise plus de masques que de terrasses et moins de touristes que d’urgentistes. Dans ce long sas de déconfinement, les vieilles habitudes trépignent, elles attendent le feu vert pour démarrer en trombe. Les amateurs d’archéologie urbaine peuvent néanmoins observer les derniers vestiges du confinement. Pour l’instant, ils sont gratuits avant qu’un technocrate nous les fasse payer pour bien se faire voir de son ministre de tutelle. Ils datent précisément du mercredi 18 mars. Tous les historiens sont formels sur ce point-là. Aucune controverse universitaire à l’horizon, ce qui n’est pas le cas de l’épineux problème de la notation. La moyenne pour tous est un programme qui réjouirait nombre d’hommes politiques en ballotage très défavorable. Passer dans la classe supérieure à la rentrée ne sera pas automatique pour nos élus. Il n’est pas utile de se rendre au musée de Cluny pour admirer ces trésors, le trottoir les affiche à ciel ouvert.

A lire également, du même auteur : Youpi, la France n’a pas changé

Les colonnes Morris nous offrent un spectacle déroutant et dérangeant, du haut de ces pyramides en fonte, « 55 jours » vous contemplent. Un vrai champ de bataille. Une terre de désolation surmontée de quelques cylindres verts, tuteurs de l’ancien monde. Elles sont restées bloquées à la date fatidique du 18 mars. Cryogénisées dans leur caractère éphémère, figées dans la frise de notre histoire immédiate. Tant de films avortés, de pièces de théâtre déprogrammées, je pense au désarroi des attachés de presse, des acteurs, des techniciens, combien de dossiers, d’interviews, de promotions, de décors, tous balayés par le virus. Quand on sait l’énergie désespérée qu’il faut pour monter de tels projets, le dégoût nous emplit la gorge. En se baladant sur les boulevards, on est surtout saisi par l’accélération stupide du temps et notre appétit de nouveautés jamais rassasié. Nous vivons au rythme des avant-premières, des sorties du mercredi au cinéma, de l’office des librairies, nous avons pleinement conscience de cette vacuité, mais, emportés par cette sarabande infernale, nous ne pouvons y résister. Nous sommes tous accros à cette frénésie ridicule tout en sachant que les œuvres majeures, intemporelles et délicieuses, sont des exceptions à la règle marchande. Je dois le reconnaître, ce matin, j’étais en manque de nouveautés DVD, de romans, d’essais, j’ai honte d’avoir erré chez Gibert en proie à cette maladie très française : combler le vide citadin par un surcroît de culture. C’est grave docteur ? Je voulais revoir ma dose d’affiches érigées sur le pavé et de couvertures brillantes à l’intérieur des vitrines. Tout ça me semble si dérisoire, si dépassé, absurde même. Dans ma campagne désolée, j’étais moins sujet à ces crises de mysticisme culturel. Et si le Président reconfinait…

Des illusions de la start-up nation à la reconquête industrielle: en avant toute !

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L'usine de Flins de Renault au futur très incertain © CHRISTOPHE SAIDI/SIPA

Les crises à répétition achèvent de dissiper les rêves de « mondialisation heureuse » des économies post-industrielles ou en voie de désindustrialisation aggravée. La France d’Emmanuel Macron peut-elle sortir de sa « naïveté » et s’engager sur la voie d’une reconquête productive et technologique ?


Cet article est rédigé par Denis Bachelot, journaliste et essayiste, auteur de L’Islam, le Sexe et Nous (2009) et par Gilbert Pena, consultant en entreprise, ancien délégué général du Club du Small Business.

France vs Allemagne

L’Allemagne, nous dit l’économiste Julia Cagé, n’a pas hésité à massivement délocaliser sa production pour renforcer sa compétitivité. Certes, mais jamais au point d’en perdre le contrôle!

Elle a d’abord choisi prioritairement son environnement proche, l’Europe de l’est, pour baisser ses coûts de production, et intégrer ces pays dans son espace économique « naturel ». Elle a toujours également maintenu ses productions les plus stratégiques et à plus forte valeur ajoutée sur son territoire; chacun peut faire la différence entre une délocalisation qui vise à s’implanter sur de nouveaux marchés, sans nécessairement  réduire l’outil industriel domestique, et celle qui vise essentiellement à réduire les coûts de production. La France, dans le même temps, vendait ses fleurons industriels à la découpe.

>>> Première partie de l’article à retrouver ici <<<

Le résultat aujourd’hui est sans appel ; ainsi, si l’on compare les chiffres de l’emploi industriel de la France et de l’Allemagne sur les 30 dernières années, le constat est sévère pour notre pays : de 1989 à 2017, la France a perdu 30% de ses emplois industriels – de 4,5 millions à 3,180 – avec une part de l’industrie dans le PIB qui passait dans le même temps de 18% à 10,6%, quand l’Allemagne, sur la même période, maintenait une contribution industrielle au PIB de l’ordre de 22%, contre 30% en 90, juste avant la réunification ; avec une main d’œuvre industrielle de plus de 6 millions de salariés, soit le double de la France. A noter, par ailleurs, que la part de l’industrie manufacturière dans le PIB de la France est inférieure à celle de l’Italie et de l’Espagne, autour de 16%, et du Royaume-Uni à 17%.

Mais d’abord, et principalement, l’Allemagne veille à garder le contrôle capitalistique de ses entreprises ; un enjeu plus crucial que le lieu de production, puisqu’il est la clé des décisions stratégiques qui engage l’avenir. A la différence de la France qui a laissé partir ses pépites sans combattre, l’Allemagne, traumatisée par le rachat, en 2016, du groupe Kuka, fleuron de la robotique mondiale, utilise désormais un décret destiné à défendre ses entreprises stratégiques. La vulnérabilité de ses champions industriels à des prises de contrôle chinoises a déclenché une politique protectionniste identique à celle des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, déjà armés juridiquement face aux appétits chinois. Une politique fondée sur un protectionnisme sélectif, rejetée par l’Union Européenne. La balance commerciale française est un bon baromètre de notre effondrement industriel, avec un déficit cumulé de 2005 à 2019 de 840 milliards d’euros ! A comparer aux 2800 milliards d’excédents pour l’Allemagne sur la même période. Le chômage de masse accompagne pareillement le déclin de notre système productif. Le savoir faire technologique et la maîtrise des chaînes de valeurs, quelque soit le secteur d’activité, reste l’épine dorsale de la puissance économique.

L’Allemagne veille à garder le contrôle capitalistique de ses entreprises ; un enjeu plus crucial que le lieu de production, puisqu’il est la clé des décisions stratégiques qui engage l’avenir

Un enjeu de puissance

Nous touchons là au troisième point soulevé par Julia Cagé pour légitimer la désindustrialisation : l’essentiel, souligne-t-elle, est la captation de la valeur ajoutée dans la chaine de valeur. Et l’économiste de citer le cas, bien connu, d’Apple, qui capture l’essentiel de la valeur ajoutée de l’iPod, et non la Chine qui le fabrique. De même, la valeur ajoutée de la Chine dans les ordinateurs n’est que de 5%. « Il en va également ainsi de vos Nike préférées ». « Dans un système mondialisé de l’innovation, celui qui capture la valeur, c’est celui qui innove, pas celui qui produit », note-t-elle. La remarque est juste, mais, formulée telle quelle, elle ignore la dimension essentielle de la durée qui s’inscrit dans une vision de puissance géoéconomique. L’Occident a fait preuve d‘une naïveté coupable, en imaginant que la Chine se contenterait longtemps d’être l’atelier du monde. Elle s’est pensée, dès son ouverture à l’économie monde – comme le Japon en son temps, ou la Corée – comme une grande puissance en devenir, et a soumis l’accès à ses capacités de production à des transferts massifs de technologie, appuyés par de gigantesques efforts de formation de sa population.

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Il fallait être naïf, et arrogant à la fois, pour sous-estimer la capacité de ce pays à atteindre en un temps record, soit trois décennies, un niveau de performance technologique et de capacité d’innovation apte à rivaliser avec les pays les plus développés de l’ouest. Aujourd’hui, les Etats-Unis affrontent un concurrent qui challenge sa suprématie économique, et géopolitique du même coup. Le bras de fer autour de la 5G en est un exemple frappant, comme l’est également, la concurrence que les BATX chinois (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi) livrent au GAFAM américains, dans le domaine des réseaux qui dominent l’économie monde, et de la Tech en général. La Chine fait au moins jeu égal avec les Etats-Unis, loin devant l’Europe, en matière d’Intelligence artificielle. Elle abrite six des onze licornes d’IA dans le monde. Comme le note un article des Echos : « Divertissement, voiture autonome, paiement mobile, intelligence artificielle… Les champions chinois dépensent des milliards et recrutent au cœur de la Silicon Valley pour prendre le leadership mondial sur ces secteurs »[tooltips content= »Les Echos du 18/01/2020″]1[/tooltips].

La dynamique de conquête, incontestablement, est du côté de la Chine et non plus de l’Occident. Un pays qui agit avec une vision coordonnée et volontaire de son destin et de sa puissance, sur la durée, l’emporte logiquement sur ceux dont les choix stratégiques reposent avant tout sur la diversité éparse des intérêts particuliers et les exigences de rendement à court terme de fonds d’investissements étrangers.

Certains économistes, et non des moindres, au fil des dernières décennies, ont cependant résisté au mythe de la société post industrielle dans un environnement de mondialisation heureuse. On peut citer, à ce titre, le cas exemplaire de Jean-Louis Levet, qui réalisa une mission sur l’enjeu des délocalisations de sites de production quand il s’occupait des entreprises aux Commissariat général du Plan, au début des années 2000. Dès 1988, Jean-Louis Levet avait lancé un cri d’alarme dans un ouvrage au titre prémonitoire, « Une « France sans usines ? »[tooltips content= »« Une France sans usines », Economica, 1988″]2[/tooltips], afin de dénoncer la désindustrialisation en cours et avancer des propositions pour faire de l’industrie le moteur de la croissance d’une France moderne. On peut également évoquer les travaux d’économistes médiatisés, comme Elie Cohen, Christian Saint-Etienne ou Michel Didier, qui tous, dans leurs approches respectives, ont défendu la nécessité impérieuse de promouvoir une économie de production et d’innovation. On ne peut non plus ignorer les thèses et les avertissements du prix Nobel Maurice Allais, bien exprimés dans le titre de son ouvrage de 1999: « La mondialisation : la destruction des emplois et de la croissance : l’évidence empirique »[tooltips content= »« La Mondialisation : la destruction des emplois et de la croissance : l’évidence empirique », Clément Juglar, 1999″]3[/tooltips], qui battait en brèche le conformisme consensuel des « élites » nationales. Rarement, un esprit aussi visionnaire fut autant ignoré par ses compatriotes et contemporains !

Un  projet national pour une reconquête industrielle

Emmanuel Macron reconnaît volontiers que l’Europe, dont il se veut le champion, a été « naïve » dans sa politique d’ouverture sans contrôle aux intérêts chinois. Doux euphémisme, nous avons subi une Europe passoire qui n’avait rien de l’Europe « bouclier », dont il vantait il y a peu les mérites ! Ayant peur des paroles fortes qui engagent, il n’a pas encore osé dire comme Thierry Breton, Commissaire européen à l’Industrie, nommé sous son influence, que « La politique industrielle en Europe ne peut plus être conduite avec pour seul but de réduire les prix pour le consommateur »[tooltips content= »La Tribune du 05/03/2014″]4[/tooltips]. Un constat réaliste sur l’aveuglement économique de l’Europe de Maastricht.

Après avoir combattu de manière acerbe le patriotisme économique, le besoin de frontières sélectives et les vertus de la production locale, Macron veut nous convaincre qu’il s’est désormais converti à ce qu’il dénonçait hier comme passéiste et dangereux ! Difficile de le croire sur quelques belles paroles de circonstance. En politique, seuls les actes sont décisifs. C’est bien d’une reconstruction industrielle dont notre pays a besoin. L’Allemagne dispose depuis 2018 d’une «stratégie industrielle nationale pour 2030  ».

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A contrario, le discours fondateur de Macron sur la « start-up nation » s’est construit sur une vision simpliste de l’avenir d’une France inspirée par l’exemple américain de la création des GAFAM. Prenant la parole à la conférence LeWeb, en 2014[tooltips content= »Le Point du 23 mars 2020″]5[/tooltips], il ne cachait pas sa fascination pour les leaders mondiaux de la révolution numérique : « Mon obsession, lorsque je regarde le CAC 40 aujourd’hui, est de créer le CAC 40 de dans dix ans et d’avoir des milliers de grandes entreprises qui puissent remplacer le CAC 40 actuel. Ce serait une grossière erreur de protéger les entreprises et les jobs existants ». Des paroles lourdes de conséquences, d’un irréalisme sidérant, qui expliquent sa froide sérénité vis-à-vis de la perte de nos fleurons industriels appartenant à des secteurs « traditionnels ».

Pour rendre crédible sa conversion nouvelle, sa capacité à se « réinventer », qu’il commence, par exemple, par créer un ministère de l’Industrie, rayé d’un trait de plume en 2017, en y nommant, pourquoi pas, un chef d’entreprise ayant prouvé ses capacités à défendre les intérêts français. Il a l’embarras du choix !

Qu’il mette sur pied, dans le même ordre d’idée, une task force de personnalités incontestées – économistes, dirigeants d’entreprise, politiques – pour mener une réflexion  de fond sur un projet de reconquête industrielle pour notre pays, qui reste une nation de haute compétence technique et entrepreneuriale. Et pourquoi pas, à terme, le retour d’une structure pérenne – Commissariat au Plan, ou quel qu’en soit le nom – pour assister un Etat sachant dans sa fonction d’Etat stratège.

Le projet de retrouver le chemin d’une indépendance nationale « pleine et entière », de relocaliser, dans la mesure du possible et du souhaitable, nos industries perdues, doit être une ardente priorité pour une France qui s’apprête à traverser la pire des récessions de son histoire. Et puis que notre président se veut un européen exemplaire, c’est le moment où jamais, dans ces temps de crise aiguë, de proposer à nos partenaires une ambition industrielle européenne claire, centrée sur le noyau historique de l’UE, pour affirmer notre cohérence et notre volonté d’exister face aux appétits des puissances impériales  américaines et chinoises, qui lorgnent sur nos fleurons et nos centres de recherche d’excellence. L’Europe est une proie désirable et vulnérable !

Cette renaissance industrielle exige d’admettre la nécessité d’une politique industrielle, menée avec une volonté sans faille, une cohérence audacieuse dans les décisions; seuls moyens de retrouver un niveau de confiance des Français indispensable pour surmonter l’épreuve. Un projet qui engage l’ensemble du pays dans la construction d’un avenir prospère et souverain.

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