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L’homme est un virus pour l’homme

Le journal de Nidra Poller


L’homme est un virus pour l’homme
Vue aérienne du Diamond Princess dans le port de Yokohama, le 21 février 2020 © Masahiro Sugimoto/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22430703_000036

Épisode 1: Je tranche


Le virus m’a coupé le souffle. C’était quand ? Au mois de décembre, non ? On découvre d’un coup le coronavirus et la ville de Wuhan et déjà je suis assommée de mises en garde en provenance des Etats-Unis. Ce virus, c’est moins que rien. Un truc des Démocrates pour embêter Trump. En peu de temps, c’est repris par des sympathisants ici en France. Frappée par la suffisance de ces douteurs, je décide qu’il faut trancher vite et bien. Oui c’est sérieux. Non, on n’en fait pas trop. Je suivais alors le progrès de l’épidémie à travers mon antenne japonaise, me faisant des soucis pour lui. Nous n’étions qu’à nos débuts ici en France. Je comptais remettre ce papier début mars…
Mais…

Paris, le 10 mars

Oui, c’est terrifiant. Un ennemi caché, masqué, omniprésent, inconnu de nos anticorps, coriace, rapace et sans merci. Que faire pour se protéger de cette bestiole nanoscopique qui ne respecte aucune barrière ? Se laver les mains. Les chiffres montent et on commence à connaître les méthodes du coronavirus qui, laissé en liberté, réduit les poumons en lambeaux. Par rapport à ce monstre aux appétits dévorants, la microparticule polluante serait un adorable animal de compagnie. Mais ce n’est qu’en Chine, poumon de l’économie mondiale, qu’on rajoute des zéros au nombre de morts et de contaminés. 

Ce ne sont que des Chinois, frappés en pleine modernisation. D’un saut d’imaginaire on traverse le marché de bêtes sauvages et arrive à la confirmation d’une transmission humaine. Oui, c’est terrible. Le contact humain, cette chaleur qui éclaire la vie, devient nocif. Et si par malheur la victime est hospitalisée, elle est coupée de tout ce qui ressemble à un être vivant. Les soignants en tenue de protection maximum, les mains gantées, la voix mutée, la tendresse et le dévouement imperceptibles. Tu ne verras plus jamais tes proches, qui ne viendront pas te dire adieu. Tu perdras le souffle et la chair. Tu mourras entouré d’extraterrestres sans lune. 

Avec un mélange de désapprobation et de soulagement, on observait les mesures draconiennes imposées par les autorités chinoises : isolement des patients, des contaminés, des honnêtes citoyens, des villes, d’une province et l’arrêt de toute activité en dehors de la subsistance de base. Nous, on s’isolait de la Chine, c’est normal. 

La métaphore du Diamond Princess

Mais rien n’est étanche. On traquait ci et là de riches touristes chinois qui auraient apporté le virus dans leurs bagages Louis Vuitton, des ouvriers-coolies rentrés de vacances et des passagers de paquebots de croisière, découverts contaminés après coup. Le Diamond Princess, bloqué au large de Yokohama, les passagers confinés dans leurs cabines devenues cellules, commence à produire des chiffres qui montent en spirale. Les voyageurs to nowhere restent figés, ne résistent pas. Les jours passent. Le virus circule librement dans le bateau qui n’a pas le droit de bouger. Les prisonniers sont l’un après l’autre infectés, certains évacués vers des hôpitaux japonais, d’autres maintenus en « quarantaine » sur le navire. Le gouvernement israélien plaide en vain l’autorisation de sauver les siens. Un médecin japonais déjoue la surveillance, monte sur le bateau, fait le tour des installations et sonne l’alarme : c’est un incubateur du virus.

Comment comprendre la paralysie des clients argentés qui se laissent piéger de la sorte ? Ils ont payé pour être pris en main, pris en charge, dorlotés et, en l’occurrence, livrés aux appétits ogresques du coronavirus. Avant la fin du supplice, 617 sont mordus. Mais le virus chinois avait déjà commencé à se promener au Japon et des cas uniques à pointer dans nos beaux pays non-asiatiques. Les touristes sont bloqués, le virus n’a pas besoin de visa. Nous voici devant l’inévitable. Que faire ? Se laver les mains.

Querelle entre les fiers-à-bras et les réalistes

Alors qu’il devient évident que le coronavirus est un problème planétaire, les sceptiques bombent le torse aux cris de pas de panique. Au-dessus de la mêlée, plus calés que les épidémiologistes de réputation internationale, ne souffrant d’aucun symptôme attribuable à ce coronavirus médiocre, ils rigolent à voir les faiblards courir dans tous les sens pour éviter d’être touchés par leur voisin ou par le rhume. Oui, mon frère, ce n’est qu’un petit rhume et si certains en meurent c’est qu’ils étaient déjà vieux et mal portants.  

Leur camarade de lutte contre l’hystérie, c’est la grippe. Ils se promènent avec les chiffres sous le bras, prêts à ridiculiser quiconque prétend que le coronavirus mérite deux lignes dans la presse écrite et une émission de télévision et encore.

C’est une posture valorisante, preuve d’indépendance d’esprit. Sauf qu’ils citent toujours les mêmes arguments. Ras le bol du tapage médiatique. On est en train d’annuler des matchs de foot et de détruire l’économie pour des broutilles. Tout comme les passagers du Diamond Princess mesmérisés par une réalité aussi brutale qu’inattendue, les fiers sceptiques s’arrêtent net dans un petit monde circonscrit par leur peur. D’abord, ça touche très peu de gens. Même en Chine, à l’épicentre, la plupart des porteurs du virus guérissent, le taux de mortalité est négligeable, on nous a déjà fait le cinéma avec le SARS, Zika et d’autres dont on a oublié le nom.   

N’est-ce pas séduisant ? Je ne l’ai pas, tu ne l’as pas, haro sur les paranos. Les spécialistes n’en savent rien, les autorités courent derrière la foule au lieu de m’écouter car je sais tout. Je sais, par exemple, que les chiffres actuels, somme toute modestes par rapport à la population planétaire, sont définitifs. C’est fini… ou quasiment fini. Quelle rigolade ! Pas de panique disent les fiers-à-bras. Ça passera.  Pensez aux morts de la grippe. Pourquoi pas aux accidentés de la route ? 

L’incertitude me gagne

En fait, ces chiffres « modestes » sont le résultat des mesures que les savent-tout méprisent. Selon une étude (que je ne suis pas en mesure de vérifier) en l’absence des mesures, certes inadéquates, prises pendant les deux semaines de confinement sur le Diamond Princess, on aurait eu 2970 au lieu de 617 infectés. Il n’y a que l’Iran pour appliquer la leçon des fiers sceptiques. On y meurt nombreux. 

Peu importe. Les esprits élevés le répètent à l’envie : le coronavirus, ce n’est rien. C’est un rhume. Comment savoir ? On ne parle que du coronavirus du matin au soir, mais ça reste abstrait. Les porteurs sains ne savent même pas qu’ils sont infectés. Les cas graves disparaissent pour resurgir en chiffres. Enfin, ceux qui vont, sauf imprévu, guérir souffrent, parait-il, de la fièvre et d’une toux sèche. 

Toutefois, ils sont un peu comme les passagers du Diamond Princess, figés dans l’incertitude. Moi, par exemple. Depuis trois jours je tousse, une toux sèche qui ne répond à aucun remède de confort, ni sirop ni dragées. La poitrine se tord en spasmes incontrôlables. Ce n’est pas la grippe (survivante de la grippe asiatique de 1957, je ne l’ai plus jamais attrapée). J’ai eu une bronchite il y a 25 ans. Sinon, jamais de toux. Alors ? Si ce n’est pas le coronavirus c’est un concours de circonstances invraisemblable. Je suis bien dans la tranche d’âge des vulnérables, mais j’ai une santé de jeunesse. J’achète un thermomètre, le dernier s’est épuisé à ne rien faire, comme celui d’avant. 37°9 ne me dit rien, je ne sais même pas ce que c’est la fièvre.

Qu’est-ce qui m’arrive ? Je fais mon intéressante ?

Je l’ai ? Moi ? Le coronavirus ?

Il ne faut pas dire n’importe quoi !

Bon…  si je l’ai, je saurai au moins tenir un carnet de bord !

>>> Suite demain… <<<



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