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Les colonnes Morris, marqueurs d’un confinement

Les vestiges d'une époque déjà révolue


Les colonnes Morris, marqueurs d’un confinement
© Louise MERESSE/SIPA/2005101357

À Paris, l’illusion de la nouveauté s’affiche dans les rues


Après deux semaines de déconfinement progressif, Paris porte-t-elle encore les stigmates de « 55 jours » à l’arrêt, « sans voir la terre » ? On se croirait dans la chanson « Cargo de Nuit » d’Axel Bauer. Bien sûr, la vie reprend peu à peu dans la capitale ; les cafetiers attendent leur bon de sortie comme un conscrit, la quille ; les bouchons commencent à bourgeonner aux heures de pointe ; la symphonie des klaxons rassure désormais les habitants qui ne se sont jamais vraiment habitués aux sirènes des ambulances, ils se souviennent des premiers jours de la pandémie où un deux tons lancinant et hypnotique striait la nuit ; des apprentis cyclistes s’aventurent avec méfiance sur leurs voies réservées comme s’ils foulaient la piste du cirque Pinder pour la première fois, le vélo n’est pas forcément le meilleur ami de l’homme ; les panneaux des élections municipales suscitent toujours autant de créativité artistique, le coup de crayon est franc, vulgaire, haineux et parfois juste ; des grappes de jeunes lycéens, désœuvrés faute d’ouverture des parcs et des écoles, trinquent à la bière chaude, sur le parvis des églises, sans oser pénétrer à l’intérieur ; les vigiles en costume noir continuent de bénir les clients au gel hydroalcoolique à l’entrée des magasins ; les boutiques de vêtements, idéologues du rabais, cassent les prix comme d’habitude et certains taxis rechignent toujours à prendre la carte sans contact.

Seuls les bouquinistes des quais ne paraissent pas démodés, ils ont rouvert leurs boîtes contrairement aux patrons des discothèques. Rien n’a fondamentalement changé dans les rues de la capitale. Doit-on s’en réjouir ? À quelques différences près tout de même, on croise plus de masques que de terrasses et moins de touristes que d’urgentistes. Dans ce long sas de déconfinement, les vieilles habitudes trépignent, elles attendent le feu vert pour démarrer en trombe. Les amateurs d’archéologie urbaine peuvent néanmoins observer les derniers vestiges du confinement. Pour l’instant, ils sont gratuits avant qu’un technocrate nous les fasse payer pour bien se faire voir de son ministre de tutelle. Ils datent précisément du mercredi 18 mars. Tous les historiens sont formels sur ce point-là. Aucune controverse universitaire à l’horizon, ce qui n’est pas le cas de l’épineux problème de la notation. La moyenne pour tous est un programme qui réjouirait nombre d’hommes politiques en ballotage très défavorable. Passer dans la classe supérieure à la rentrée ne sera pas automatique pour nos élus. Il n’est pas utile de se rendre au musée de Cluny pour admirer ces trésors, le trottoir les affiche à ciel ouvert.

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Les colonnes Morris nous offrent un spectacle déroutant et dérangeant, du haut de ces pyramides en fonte, « 55 jours » vous contemplent. Un vrai champ de bataille. Une terre de désolation surmontée de quelques cylindres verts, tuteurs de l’ancien monde. Elles sont restées bloquées à la date fatidique du 18 mars. Cryogénisées dans leur caractère éphémère, figées dans la frise de notre histoire immédiate. Tant de films avortés, de pièces de théâtre déprogrammées, je pense au désarroi des attachés de presse, des acteurs, des techniciens, combien de dossiers, d’interviews, de promotions, de décors, tous balayés par le virus. Quand on sait l’énergie désespérée qu’il faut pour monter de tels projets, le dégoût nous emplit la gorge. En se baladant sur les boulevards, on est surtout saisi par l’accélération stupide du temps et notre appétit de nouveautés jamais rassasié. Nous vivons au rythme des avant-premières, des sorties du mercredi au cinéma, de l’office des librairies, nous avons pleinement conscience de cette vacuité, mais, emportés par cette sarabande infernale, nous ne pouvons y résister. Nous sommes tous accros à cette frénésie ridicule tout en sachant que les œuvres majeures, intemporelles et délicieuses, sont des exceptions à la règle marchande. Je dois le reconnaître, ce matin, j’étais en manque de nouveautés DVD, de romans, d’essais, j’ai honte d’avoir erré chez Gibert en proie à cette maladie très française : combler le vide citadin par un surcroît de culture. C’est grave docteur ? Je voulais revoir ma dose d’affiches érigées sur le pavé et de couvertures brillantes à l’intérieur des vitrines. Tout ça me semble si dérisoire, si dépassé, absurde même. Dans ma campagne désolée, j’étais moins sujet à ces crises de mysticisme culturel. Et si le Président reconfinait…



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Journaliste et écrivain. A paraître : "Et maintenant, voici venir un long hiver...", Éditions Héliopoles, 2022

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