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Hommes, femmes, virus, mode d’emploi

Des effets du Covid-19 sur le comportement


Hommes, femmes, virus, mode d’emploi
©Patricia Huchot-Boissier / Hans Lucas / AFP

Une infection peut encourager plusieurs comportements dangereux chez son hôte, visant à favoriser sa propre transmission. Par ailleurs, pandémie rime souvent avec un retour en force des idées et des « valeurs » conservatrices traditionnelles qui semblent mieux prémunir contre les risques de transmission


[Avertissement : récence de la pandémie oblige, toutes les études détaillées dans ce numéro sont des articles en prépublication qui ne sont pas passées sous les fourches caudines de la validation par les pairs. Leurs conclusions doivent, encore plus que d’habitude, être considérées comme parcellaires et provisoires.]

Un ennemi invisible et manipulateur

Telle est la recette d’un bon film de zombies : un mal aussi mystérieux que virulent émerge dans la population, les humains infectés perdent tout sens commun et passent le plus clair de leur temps à traquer leurs congénères pour les contaminer (avec ou sans caddie de supermarché). Sauf qu’il ne s’agit pas seulement d’un trope du cinéma de genre confortablement captif des frontières de la fiction. Comme le rappelle une étude en passe d’être publiée dans la revue Medical Hypotheses – dédiée, comme son nom l’indique, aux hypothèses médicales en attente de données –, l’évolution a transformé bien des pathogènes en pirates de nos faits et gestes, et rien ne dit que le SARS-CoV-2 fasse exception à cette règle. En d’autres termes, non seulement le nouveau coronavirus tue, met les économies à genoux et nous prive de nos libertés les plus élémentaires, mais il se pourrait bien qu’en se nichant au cœur de nos cellules pour y trouver ce qui lui manque pour persévérer dans l’existence, cet « ennemi invisible » fasse de nous ses marionnettes. Le travail de l’équipe de Steven M. Platek, professeur de psychologie et spécialiste de neurosciences évolutionnaires au Georgia Gwinnett College (États-Unis), porte sur un phénomène aujourd’hui bien connu des épidémiologistes : la manipulation de l’hôte. Soit le processus par lequel un pathogène modifie le comportement et/ou la physiologie de l’organisme qu’il infecte afin d’augmenter son propre taux de reproduction – le fameux R0. Un cas d’école est celui du virus de la rage colonisant à la fois le système nerveux central et la bave de la bestiole infectée. Elle devient aussi peu craintive qu’hyperagressive, mord à gogo et, ainsi, le virus va joyeusement perpétuer ses gènes ailleurs. Idem pour la toxoplasmose qui rend intrépides les rongeurs et augmente par la même occasion leurs chances de finir dans les intestins de félins, véritable lupanar pour le parasite. D’autres pathogènes sont encore plus pervers. Par exemple, le nématomorphe Spinochordodes tellinii, microscopique à sa naissance et long de plusieurs centimètres à maturité, pousse les sauterelles qu’il squatte à se « suicider » par grands sauts dans des mares où elles se noient. Pourquoi ? Parce que c’est dans l’eau que les vers rencontrent leurs partenaires sexuels. Avec le Covid-19, que pourrait-il se passer de similaire ? Entre autres, s’il manipule son monde comme le fait la grippe, sa période d’incubation asymptomatique pourrait s’accompagner d’un pic d’extraversion incitant des malades qui ne savent ni ne montrent qu’ils le sont à aller se frotter à leurs semblables. Et c’est là qu’on se dit qu’entre les images de ces bars surpeuplés à la veille du confinement et un film de Romero, la frontière est mince.

Référence : tinyurl.com/EmpriseVirale

A lire aussi, Nidra Poller : L’homme est un virus pour l’homme

Stéréotypes antiseptiques

Si la cervelle de Simone de Beauvoir a pu pondre beaucoup de conneries, elle avait vu juste en lui faisant écrire qu’il « suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question ». En optant pour une focale un peu moins gynocentrée, le fait est que les politiques libérales ont tendance à s’épanouir dans les sociétés riches, sûres et en bonne santé, quand la misère, la violence et les risques épidémiques tiennent plutôt de l’écosystème favorable au conservatisme. La crise sanitaire du Covid-19 charrie-t-elle déjà son lot d’inflexions « réacs » ? Selon des données rassemblées par Daniel L. Rosenfeld et A. Janet Tomiyama, psychologues à l’UCLA, la réponse est : « Ça en a tout l’air. » Dans un « preprint » – soit une étude qui n’a pas encore passé les fourches caudines de la validation par les pairs –, ils consignent les résultats de leur enquête menée auprès de 695 personnes (54 % de femmes, 46 % d’hommes) âgées de 18 à 88 ans et interrogées en deux vagues. La première, avant la flambée épidémique aux États-Unis, soit fin janvier, et la seconde en plein dedans, du 19 mars au 2 avril. Les participants devaient à la fois avouer leur orientation idéologique – sur une échelle de 1 (très libéral) à 7 (très conservateur) – et répondre à plusieurs questions censées mesurer leur degré d’adhésion à des « normes de genre traditionnelles ». Par exemple, sur une échelle de 1 (désaccord complet) à 7 (accord complet), ils devaient dire ce que leur inspirait une phrase comme « par rapport aux femmes, les hommes prennent davantage de risques » ou « par rapport aux hommes, les femmes sont plus hygiéniques ». Il en ressort que plus le Covid-19 s’est défoulé, plus la non-binarité a refoulé et la conception traditionnelle des deux sexes a avancé. Une observation cohérente avec un tas d’autres travaux montrant que la charge pathogénique d’une région – soit le risque d’y choper une sale maladie infectieuse – est positivement corrélée au degré de conservatisme de sa population. Notamment parce que bien des valeurs conservatrices relèvent d’un arsenal immunitaire comportemental et aident les individus à ne pas (trop) fréquenter des miasmes inconnus. En revanche, selon Rosenfeld et Tomiyama, la pandémie ne semble pas annoncer un retour de bâton idéologique. Pour le moment ?

Référence : tinyurl.com/SexismeViral

Accusé, touchez-vous

Les émotions ont-elles leur gestuelle attitrée ? Selon l’équipe de Bridget M. Waller, professeur de psychologie évolutionnaire à l’université de Portsmouth (Royaume-Uni), la réponse est oui. Travaillant sur la culpabilité, elle montre que cette émotion universellement ressentie lorsqu’un individu a l’impression d’avoir transgressé une norme sociale se traduit par des froncements de sourcils et des tripotages de cou. La chose n’aurait rien à voir avec des envies pas très catholiques de pendaison, mais avec la sélection naturelle, qui aurait favorisé de tels signaux non verbaux parce qu’ils indiquent à nos congénères toute l’ampleur de notre componction et les incitent à ne pas nous taper dessus. Autant dire que si un virus respiratoire arrive à pirater le bouzin et nous fait nous toucher le visage encore plus souvent qu’à l’accoutumée, on est mal barrés.

Référence : tinyurl.com/CouDuCoupable

Mai 2020 – Causeur #79

Article extrait du Magazine Causeur




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Peggy Sastre est une journaliste scientifique, essayiste, traductrice et blogueuse française. Dernière publication, "La Haine orpheline" (Anne Carrière, 2020)

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