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C’était écrit: à la recherche des bistrots perdus


Si la réalité dépasse parfois la fiction, c’est que la fiction précède souvent la réalité. La littérature prévoit l’avenir. Cette chronique le prouve.


Il n’est pas étonnant que la fermeture des bistrots ait été vécue comme l’une des conséquences les plus violentes de l’épidémie et qu’on ait pu recueillir autant de témoignages de sainte colère comme celui de Loïc Bouchet, cafetier à Nantes, dans Ouest France : « Je suis en train de crever à petit feu. » La clientèle aussi, si l’on en croit La Voix du Nord, qui a déniché en plein confinement un bistrot clandestin où les consommateurs buvaient dans un silence religieux. Déjà, bien avant le Covid, les bars étaient une espèce en voie de disparition : « En 2015, on ne comptait plus que 36 176 bars dans le pays. Deux fois moins qu’en 1970 », nous apprend France Bleu. Dans ce contexte, l’épidémie ressemble plus à un coup de grâce qu’à un coup du sort.

A lire aussi: Drunk, un film fantast-hic!

Cette disparition programmée ne peut que nous rappeler, en ce mois de novembre dont le troisième jeudi voit revenir le Beaujolais, le délicieux roman de René Fallet, Le Beaujolais nouveau est arrivé, qui date de 1975. L’action se déroule dans un trocson de banlieue, promis à la destruction par des promoteurs qui l’ont cerné d’immeubles pour y entasser des travailleurs qui ne se croiseront plus que dans les couloirs : « Le Café du Pauvre était le plus anachronique débit de boissons de Villeneuve-sur-Marne […] dans le vieux quartier que les fiers habitants des “résidences” appelaient la “Réserve”. […] C’était le bistrot parisien modèle 1930, celui que les films américains délivrent à intervalles réguliers aux spectateurs ébaubis de l’Arizona. » On y trouve un brassage social qui va de l’ancien combattant au cadre sup en rupture de ban en passant par le brocanteur. Sans doute un échantillon représentatif semblable à celui du bar clandestin de Lille.

Que viennent chercher les personnages dans ce Café du Pauvre ? La convivialité, comme dit notre sabir contemporain ? Oui, bien sûr, mais peut-être aussi une forme d’alcoolisme nécessaire au bon fonctionnement des relations humaines et même… du travail ! C’est en tout cas ce que pense Gladys Lutz sur France Culture, psychologue et ergonome, interrogée sur le film danois Drunk, sorti à la mi-octobre, qui remet au goût du jour la théorie « d’un psychiatre norvégien, Finn Skarderud, qui affirme qu’avec 0,5 g d’alcool par litre de sang en permanence, l’être humain décuple ses capacités relationnelles et professionnelles. » Alors proposons, avec René Fallet, ce slogan aux cafetiers dans leur lutte légitime : « Pour travailler bien, ne restez pas à jeun ! »

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Mila: Ségolène Royal a raison

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Je refuse d’être enfermé dans une alternative délétère qui nous contraindrait au silence ou à une abjecte connivence


Veut-on ne nous laisser le choix qu’entre un droit effréné au blasphème ou la complicité avec des tueurs islamistes ?

On pourrait le penser, à lire certaines des réactions indignées qui ont suivi les propos de Ségolène Royal sur CNews.

Un autre son de cloche, Elisabeth Lévy: Ségolène Royal: l’apologie de la lâcheté?

Elle a déclaré : « Je pense que certaines caricatures de Mahomet sont insultantes… Je comprends que certains se sentent insultés par cela y compris des musulmans qui ne sont ni intégristes ni radicaux…Je ne suis pas pour l’interdiction des caricatures mais je ne suis pas pour cautionner et dire que c’est bien ».

On a reproché à Ségolène Royal d’être alambiquée et équivoque dans l’affirmation de ses convictions sur ce thème hautement sensible : je ne trouve pas, sauf à vouloir imposer dans le débat une ligne monocolore, unilatérale et récusant toute volonté de tenir les deux bouts d’une chaîne.

Depuis sa première intervention sur la religion et Mahomet, une jeune fille, Mila, est au coeur de polémiques qui ne cessent pas. En effet elle a été scandaleusement menacée, agressée, insultée sur les réseaux sociaux et, dernièrement, on l’a intimidée en évoquant le sort de Samuel Paty qui pourrait être le sien. La condamnation totale de telles éructations doit être proférée, sans la moindre nuance.

Dénoncer la grossièreté de Mila n’est pas une complicité avec les assassins

Mila a été grossière dans son expression initiale puis, s’étant plainte d’avoir subi des menaces, des harcèlements et des atteintes intolérables à sa tranquillité, elle a à nouveau poussé la provocation en affichant cette indécence verbale d’un « doigt dans le cul de Mahomet ».

Ne pas juger cette saillie formidable, l’estimer indélicate fait-il immédiatement de vous le responsable d’une sorte de complaisance à l’encontre des assassins ? Evidemment non. Je refuse d’être enfermé dans une alternative délétère qui nous contraindrait au silence ou à une abjecte connivence.

La liberté d’expression, même dans sa définition la plus étendue possible, est-elle incompatible avec l’éducation qui peu ou prou peut-être définie comme l’aptitude notamment à se soucier d’autrui, de ses sentiments, de ses croyances ou de ses incroyances ? Il n’y a pas que sur le plan sanitaire que l’autre doit avoir de l’importance.

Par quelle aberration cette exigence démocratique – en effet il ne faut rien céder et le président de la République a eu raison de rappeler nos principes à nos adversaires d’ici et d’ailleurs qui demeurent sourds à notre conception de la laïcité – doit-elle
seulement se démontrer par la dérision ou le mépris à l’encontre de tout ce qui est religieux comme s’il ne suffisait pas des idées pour la justifier et nous rendre fiers d’elle ?

La caricature est une tradition française qui sous toutes ses formes a enrichi et illustré notre esprit frondeur. Mais est-on forcé d’applaudir des extrémités qui non seulement ne sont pas drôles – chacun est toutefois libre de les apprécier ou non – mais vont mettre à mal une multitude de croyants modérés, respectueux de nos lois et de notre culture, mais aussi servir de prétexte à des criminels ?

Cette position, qui est celle de Ségolène Royal, est pertinente, équilibrée et ce serait lui faire injure, à elle comme à tous ceux qui partagent son point de vue, que de les rendre si peu que ce soit solidaires de l’horreur.

Beaucoup pensent comme Ségolène Royal

La démocratie n’a pas vocation à favoriser seulement une liberté à sens unique. Il serait paradoxal, pour ne pas dire choquant, que les tenants de la vision de Ségolène Royal, plus nombreux qu’on ne le pense, soient contraints de se censurer et de se priver de leur droit à la liberté pour ne pas porter atteinte à la liberté démesurée, jamais questionnée, des autres. C’est au contraire le signe d’une République mature que de ne rien laisser sur le bord du chemin, l’opprobre absolu comme la compréhension équitable.

À lire aussi: Jean-Pierre Obin: «Pour les islamistes, le progrès, la tolérance, l’humanisme sont des valeurs exécrables»

Qu’on dépasse les caricatures de Mahomet. Je songe aux ignominies chantées de Frédéric Fromet sur Jésus-Christ (France Inter) et comme beaucoup j’en ai été scandalisé – également par la nullité du chansonnier ! Mais cela s’arrête là. Avoir pu le dire et le dénoncer nous a suffi.

Conseiller à Mila une politesse qui lui ferait du bien ferait-il de moi un traître à la cause de la liberté d’expression ? Je suis sûr que non. Défendre à tout prix les trésors de notre République, refuser qu’on prétende nous en priver, soit. Mais aussi être attentif à ce qu’on se doit à soi-même, sur les plans singulier et collectif. La liberté sans éducation est dangereuse. L’éducation sans liberté est ennuyeuse.

Ségolène Royal a raison, alors ne qualifions pas d’équivoque toute pensée au contraire courageuse.

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Forages pétroliers à Nonville (77): oui ou non?

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Tout le monde connait l’expression: « En France on n’a pas de pétrole, mais on a des idées »…


En France on n’a pas de pétrole, mais on a des idées ? Ce n’est pas tout à fait vrai. Il y a plusieurs dizaines de sites d’extraction de pétrole brut en activité, principalement dans le bassin parisien, en Auvergne et en Alsace. À Nonville, petite commune située au sud de la Seine-et-Marne, à 64 kilomètres à vol d’oiseau de Paris, la société Bridgeoil, exploite, depuis 2015, deux puits. Elle demande l’autorisation de forer dix puits supplémentaires, au grand dam des riverains.

En effet, ce site est à proximité immédiate d’un centre équestre et d’une ferme détenue par un négociant en paille. Les premières habitations sont à moins de 150 mètres. Le risque d’incendie est la première crainte évoquée par le maire, Gérard Balland. « Certes le pétrole est pompé par 1500 mètres de fond, mais on n’est pas à l’abri d’un accident, explique-t-il, d’autant que le fait d’aller forer à cette profondeur amène à la surface des odeurs d’œufs pourris dues au sulfure d’hydrogène (H2S), gaz toxique et fortement irritant à haute dose. » Depuis le 28 septembre dernier, un dispositif anti-odeur a été mis en place mais on constate encore de fortes odeurs, selon les voisins. Ces nuisances seraient multipliées par quatre avec les puits supplémentaires. Autres nuisances: le bruit des balanciers des derricks qui supportent les tiges de forage. « Ils seront remplacés ensuite par des pompes de fond mais il y en a bien pour un et demi an de travaux, 24/24, 7/7 », explique Monsieur Balland. Le conseil municipal s’est prononcé contre le projet, à l’unanimité.

Côté environnemental, on s’inquiète aussi de la proximité de zones humides classées et de massifs forestiers protégés. On est à quatre kilomètres de la forêt de Fontainebleau. Selon son propre rapport, Bridgeoil déclare que « les impacts sur les eaux souterraines sont jugés moyens à faibles. » Le site d’exploitation pétrolière chevauche une des plus importantes sources d’eau potable de la région parisienne qui fournit directement par aqueducs plus de 300 000 Parisiens en eau potable. Une enquête publique a été ouverte et une pétition circule, les citoyens se mobilisent. La décision finale sera prise par le préfet courant 2021. Entre l’eau et le pétrole, est-ce qu’il va se mouiller ?

Inde : le joyau de la haine


En Inde une marque de bijoux est accusée de cautionner le « djihad de l’amour », la conversion des hindoues à l’islam par le mariage. 


En Inde, le « djihad de l’amour » fait de nouveau parler de lui. Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, cette notion curieuse n’a rien à voir avec la mise en avant d’un prosélytisme islamique pacifique. Il s’agit au contraire de dénoncer la conversion de femmes à l’islam par le mariage. Depuis une quinzaine d’années, certains Indiens utilisent l’expression « Love Jihad » pour désigner l’existence supposée de réseaux musulmans organisés pour prendre épouse chez les hindoues, tandis que d’autres dénoncent ces accusations comme étant islamophobes et complotistes.

Début octobre, une grande marque de bijoux, Tanishq, a lancé une campagne de publicité en plusieurs volets nommée « Oneness » pour inciter les Indiens à « se retrouver » après un confinement très dur, et à célébrer ensemble les grandes fêtes religieuses (couverts de kilos d’or et de pierreries, et masque au visage). Mais l’une des vidéos a été l’objet de violentes critiques, suscitant même un appel au boycott de la marque. En cause : elle mettait en scène une jeune femme hindoue et sa belle-famille musulmane qui lui organisait une cérémonie de Valaikappu, destinée dans les rites hindous à protéger les femmes enceintes et leur bébé. Ce tableau idyllique d’un respect mutuel entre deux traditions a irrité nombre d’Indiens. Accusée de cautionner le « djihad de l’amour », Tanishq a retiré sa publicité, mais la polémique a suscité de vives empoignades numériques entre responsables et militants politiques. La coexistence entre hindous et musulmans est certes très ancienne ; force est de constater que l’« unité » n’est pas encore au rendez-vous.

Et si la méritocratie était le problème et non pas la solution?


 Après Les Deux Clans, le nouveau livre de l’intellectuel britannique, La Tête, la main et le coeur, dresse un bilan implacable d’un système qui survalorise les « têtes » – les surdiplômés des métropoles – aux dépens des ouvriers et des soignants. Entretien avec David Goodhart, propos recueillis par Jeremy Stubbs.


Causeur. Votre nouveau livre met en question le modèle méritocratique qui est le fondement de nos sociétés modernes, modèle nourri autant par le néolibéralisme globaliste que par la doctrine de l’égalité des chances. Qu’est-ce qui vous a conduit à attaquer une pareille vache sacrée ?

David Goodhart. La méritocratie est devenue aujourd’hui une manière de justifier des inégalités sociales criantes. Aux États-Unis, le pays de l’égalité des opportunités, du « self-made-man », du citoyen qui ne doit sa réussite qu’à lui-même, la plupart des gens pensent que leur pays est devenu moins méritocratique et qu’il y a moins de mobilité sociale. Dans les universités d’élite, il y a autant d’étudiants appartenant au 1 % des familles les plus aisées qu’aux 50 % des moins aisées. Au Royaume-Uni, l’écart n’est pas aussi flagrant, mais la tendance est similaire. Contrairement au mythe vendu très habilement par des hommes politiques de centre gauche, comme Bill Clinton ou Tony Blair, il est extrêmement difficile de créer une méritocratie authentique. Certes, il y a un degré de mobilité sociale pour des individus très talentueux, et même les personnes qui commencent la vie avec des avantages sociaux et économiques doivent travailler dur pour réussir des examens et décrocher des postes de haut niveau. Mais tant que les gens peuvent transmettre leurs avantages à leurs enfants, la méritocratie ne peut être qu’imparfaite.

Selon votre livre, « la méritocratie tend à devenir une oligarchie ».

Oui. Singapour fournit un cas type à cet égard. En 1965, cette république a quitté la Malaisie, où la répartition des richesses était basée sur l’ethnicité, afin de créer un système plus méritocratique. Il n’y avait pas, à l’époque, de grands propriétaires, la hiérarchie sociale était relativement plate. Cependant, aujourd’hui, les membres des familles les plus intelligentes, qui ont le mieux réussi sur le plan scolaire, occupent tous les postes supérieurs. Ce qui confirme ma thèse : dans la mesure où on peut léguer ses privilèges à ses descendants, que ce soit par la génétique, la culture ou les moyens financiers, la méritocratie se sclérose, les élites se perpétuent.

Où est le problème si les gens les plus intelligents occupent les postes les plus importants ?

Il ne s’agit nullement d’abandonner la sélection méritocratique pour les fonctions qui nécessitent des compétences supérieures. Je ne veux pas être opéré par un chirurgien qui ne soit pas hautement qualifié ; nous n’avons pas besoin d’ingénieurs atomiques qui n’ont que des connaissances approximatives en physique nucléaire. Mais faut-il étendre le même système de concurrence intellectuelle à la société tout entière ? Une première objection qu’on peut formuler contre un système méritocratique, c’est qu’il ne tient pas ses promesses de créer suffisamment de mobilité sociale. Une deuxième objection consiste à dire que sélectionner et récompenser les gens selon le mérite cadre mal avec une société démocratique qui considère tous ses citoyens comme égaux sur les plans moral et politique.

En France, on a depuis longtemps l’habitude de dire que « l’ascenseur social est en panne ». On a beaucoup répété ce cliché à propos du cri de détresse sociale qu’a été le mouvement des Gilets jaunes.

J’ai beaucoup de sympathie pour les Gilets jaunes qui se sentaient les victimes du snobisme des bobos. Le grand problème est que nous ne pouvons tout simplement pas remettre en marche la grande machine à créer la mobilité sociale. L’ascenseur social fonctionne le mieux quand il y a beaucoup de place aux étages supérieurs. C’est ce qui s’est passé dans les années 1960, 1970 ou 1980 : on avait besoin de cadres pour cette nouvelle économie du savoir qui se développait déjà. Il fallait que le système promeuve de nouvelles personnes pour grossir les rangs des classes professionnelles et managériales. Dans beaucoup de familles qui, jusqu’alors, étaient restées étrangères à l’enseignement supérieur, les parents étaient fiers de voir leurs enfants partir à l’université. Ils étaient dans l’« ascenseur ». Aujourd’hui, la situation a changé. Il n’y a plus assez de postes dans ces domaines très intellectuels pour accueillir tous ceux qui voudraient prendre cet ascenseur. Au Royaume-Uni, les statistiques officielles sont parlantes : entre 2000 et 2020, la part de la population appartenant aux deux catégories professionnelles supérieures n’est passée que de 35 % à 37 %.

Rassemblement de Gilets jaunes devant le consulat général de France à New York, 22 décembre 2018. © Atilgan Ozdil/ Anadolu Agency/ AFP
Rassemblement de Gilets jaunes devant le consulat général de France à New York, 22 décembre 2018. © Atilgan Ozdil/ Anadolu Agency/ AFP

Vous brossez un tableau bien sombre. Y a-t-il une solution ?

Ce qui nous a mis dans ce mauvais pétrin est notre définition du mérite et de sa récompense qui, actuellement, est associée trop étroitement aux aptitudes intellectuelles ou cognitives.  Il s’agit des capacités que je désigne dans mon livre par le mot « tête ». La réponse consiste à équilibrer le système, à donner plus de reconnaissance et de récompenses aux aptitudes de la « main » et du « cœur », celles qui sont importantes pour le travail manuel et pour les métiers du soin.

On dirait qu’il y a une mode en ce moment pour critiquer la méritocratie. Plusieurs penseurs, notamment américains, ont publié des livres allant dans ce sens[tooltips content= »Daniel Markovits, The Meritocracy Trap: How America’s Foundational Myth Feeds Inequality, Dismantles the Middle Class, and Devours the Elite, Penguin, 2019 ; Michael J. Sandel, The Tyranny of Merit: What’s become of the common good?, Allen Lane, 2020. »](1)[/tooltips]. Qu’avez-vous de différent ?

Je ne m’attaque pas seulement à la question de la méritocratie en général, mais à sa dimension cognitive, à la façon dont elle récompense surtout les aptitudes de la tête, plutôt que celles de la main et du cœur. Les causes en remontent aux années 1990 et 2000, à l’époque du « double libéralisme », un libéralisme à la fois économique et social. Les hérauts de la mondialisation ont juré que celle-ci représentait une force positive. La création d’un marché du travail mondial allait sortir de la pauvreté les plus démunis de la planète, en Chine ou en Inde, et permettre aux travailleurs des pays riches de se recycler en spécialistes qualifiés. Aux classes ouvrières, les politiciens occidentaux répétaient : « Ne vous inquiétez pas, les gars ; on s’en occupera. » En fait, ils ont abandonné ces populations, surtout aux États-Unis, au Royaume-Uni et en France, moins en Allemagne ou en Scandinavie. En acceptant le libéralisme économique et en promouvant des doctrines libérales sur l’immigration et la diversité, la gauche a aliéné sa base électorale, ce qui a donné lieu aux révoltes populistes et au succès électoral de Boris Johnson dans les circonscriptions défavorisées du nord de l’Angleterre.

Mais quel est le rôle de l’éducation dans tout cela ?

C’est à cette époque que la gauche est devenue le parti de l’enseignement supérieur, fixant comme objectif l’accès de 50 % des jeunes à l’université et cherchant ses électeurs naturels parmi les diplômés. Une des conséquences est une forme d’aliénation que j’appelle le « syndrome 15/50 ». Si, quand vous quittez l’école, 15 % de vos camarades vont à l’université, tandis que vous cherchez un emploi dans votre région, ce n’est pas très grave. Mais quand 50 % y vont en vous laissant derrière, c’est une autre histoire sur le plan psychologique : vous appartenez à la catégorie de ceux qui ont échoué. Désormais, il y a une seule notion d’une vie réussie, un seul ascenseur social, définis par l’économie du savoir et les compétences cognitives. Dans le passé, il était possible de très bien réussir dans sa carrière, que ce soit dans une grande entreprise ou dans les forces armées, sans diplôme universitaire. Aujourd’hui, c’est devenu quasiment impossible. Beaucoup trop de politiques gouvernementales ont été fondées sur la prémisse totalement fausse selon laquelle la classe sociale de l’élite cognitive serait infiniment extensible. Par conséquent, c’est à la fois notre système d’éducation et l’ensemble des incitations et des récompenses que nous proposons à nos jeunes qui sont déséquilibrés. Nous sous-évaluons la main et le cœur.

À lire aussi, Pascal Tripier-Constantin : On achève bien la méritocratie

Il y a ceux que j’appelle les « Cendrillons » de l’économie, les travailleurs qui sont dévalorisés par notre méritocratie actuelle. Dans le domaine médical et du soin, les médecins sont évidemment bien récompensés et respectés, et même les infirmiers dans une certaine mesure, mais les vrais laissés-pour-compte sont les soignants dans les EHPAD, dont beaucoup ne reçoivent que le salaire minimum. Si vous demandez à un économiste pourquoi ces salariés sont si mal récompensés, il vous répondra que c’est parce que n’importe qui pourrait faire leur travail. C’est un exemple d’une fâcheuse tendance générale consistant à tout évaluer en termes cognitifs. Il est évident que n’importe qui n’est pas nécessairement capable de faire ce métier. Il suffit de passer dix minutes dans un EHPAD pour voir qu’il y a de bons soignants et des moins bons. Le vrai obstacle ici, c’est qu’il est difficile de mesurer les aptitudes du cœur. Le mérite cognitif règne en maître, parce qu’il est relativement facile à mesurer. Les gens passent un examen qui est le même pour tous, qui est noté de la même façon, et dont les résultats fournissent une hiérarchie entre les candidats, qui se traduit plus ou moins dans la hiérarchie des emplois qu’on leur attribue. Évaluer le soin avec autant de rigueur apparente serait beaucoup plus délicat.

À cela s’ajoute le fait que ce secteur est traditionnellement considéré comme un domaine féminin et souffre d’une inégalité sexiste dans les salaires. Et pourtant, c’est un secteur qui est promis à une grande expansion. Dans nos sociétés, nous avons une population de plus en plus vieillissante qui aura besoin de plus en plus d’aides-soignants, notamment pour s’occuper de maladies séniles comme celle d’Alzheimer. D’ailleurs, les femmes, ayant plus d’opportunités pour l’emploi aujourd’hui que dans le passé, sont moins enclines à choisir une carrière dans le soin, tandis que les hommes sont peu disposés à les remplacer, laissant aux immigrés la tâche de combler le manque. Quand j’ai commencé à écrire mon livre, je pensais que l’objectif consistant à répartir la reconnaissance et les récompenses de manière plus équilibrée entre la tête, la main et le cœur était utopique. Depuis, j’en suis venu à la conclusion que ce rééquilibrage nous sera imposé. Nous sommes arrivés à ce que j’appelle le « zénith de la tête », à une situation où il n’y a plus de places libres dans l’économie du savoir, mais où nos concitoyens ont grand besoin de trouver des emplois rémunérés.

L'essayiste britannique David Goodhart © D.R.
L’essayiste britannique David Goodhart © D.R.

Vous faites une distinction dans votre livre entre les récompenses matérielles et le statut social : quelle en est l’importance ?

En général, le statut social va de pair avec l’argent, mais on peut les séparer dans une certaine mesure. C’est une des leçons de la pandémie. Nous avons applaudi les médecins et les infirmiers, mais nous avons applaudi aussi toutes ces personnes, souvent des smicards, qui remplissaient les rayons dans les supermarchés, conduisaient les camions, servaient aux caisses. La plupart du temps, on ne pensait même pas à elles et soudain, nous avons découvert combien elles étaient vitales pour notre existence. Nous avons découvert qu’elles aussi méritaient notre respect. Il y a une grande ironie dans le fait qu’autrefois, pour faire peur à nos enfants et les inciter à faire plus d’efforts à l’école, nous leur disions qu’ils finiraient par travailler dans un supermarché. En fait, le supermarché est un des derniers endroits où quelqu’un pourvu de qualifications minimales peut encore faire une carrière et monter en grade. Il reste un autre préjugé dans ce domaine. Ce genre de métier manuel est mal considéré, parce qu’il ne semble pas donner lieu à une forme d’épanouissement de soi. Pour les élites, seuls les métiers permettant l’expression de talents uniques et personnels méritent reconnaissance. Commençons plutôt par donner à ces gens des perspectives de carrière et un revenu convenable permettant une vie décente.

Vous ne vous contentez pas d’expliquer comment nous en sommes arrivés là, vous faites de la prospective. Les futurologues diffusent souvent des visions anxiogènes de l’avenir où la montée des robots et de l’intelligence artificielle finit par provoquer une véritable hécatombe sur le marché du travail pour les humains devenus superflus.

Je suis plutôt optimiste. Si l’automatisation a déjà détruit beaucoup d’emplois manuels, l’intelligence artificielle sonne le glas d’un certain nombre d’emplois cognitifs. Les activités intellectuelles susceptibles d’être routinisées, certains aspects de la comptabilité, du diagnostic médical ou du travail d’un directeur de banque, seront confiées à des algorithmes. Avec l’intelligence artificielle, l’économie se focalisera sur des activités à plus forte valeur ajoutée dans les trois domaines de la tête, de la main et du cœur. Cela nous permettra de corriger l’inadéquation qui existe entre notre système d’éducation et le marché de l’emploi. Nous surproduisons des diplômés destinés à des emplois cognitifs qui n’existent déjà plus. Attention : il serait trop facile de caricaturer mon argument. Je crois qu’il restera essentiel de développer des intelligences puissantes. Que ce soit pour développer des vaccins contre les virus ou pour extraire le carbone de l’atmosphère, l’humanité a probablement plus besoin que jamais de son intelligence pour résoudre les problèmes qu’elle a créés.

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« Hold-up »: quand l’esprit de contradiction systématique mène au complotisme

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Dans le documentaire Hold-up, chercheurs, médecins, mais aussi citoyens lambda, reviennent sur la pandémie de Covid-19, les origines du virus et les réponses des autorités face à la pandémie. L’ambition était noble, mais à vouloir apporter à tout prix la contradiction aux thèses les plus propagées par les grands médias, le documentaire se fourvoie dans le complotisme.


Le documentaire Hold-up commençait pourtant bien. Oui l’extension du masque à la population générale est discutable, d’autant plus que l’OMS a toujours émis des doutes sur son efficacité chez des personnes qui le portent souvent de manière inappropriée (sous le nez, mauvais ajustement, réutilisation, manipulation sans se désinfecter les mains, etc.).

Oui le confinement total est un moyen archaïque et très discutable de répondre à une pandémie. Et si, comme le souligne Michael Levitt, prix Nobel de Chimie, on peut pardonner un premier confinement, persévérer dans cette stratégie aux effets néfastes multiples parfois mortels est diabolicum. Lorsqu’un chauffeur de taxi confie son incompréhension face aux mesures sanitaires prises par le gouvernement, il semble évoquer de façon brouillonne le dilemme du tramway utilisé par les chercheurs en sciences cognitives qui étudient la morale : un tramway dont on a perdu le contrôle fonce sur cinq ouvriers. Dans un cas, vous pouvez modifier l’aiguillage via une manette qui ferait dévier le tramway sur une autre voie où se trouve un seul ouvrier : celui-ci mourrait mais permettrait de sauver les cinq autres. Dans un autre cas, vous pouvez pousser un homme obèse qui se trouve sur une passerelle et qui grâce à son poids arrêterait le tramway et sauverait les cinq ouvriers. Certes c’est grotesque mais chaque fois c’est le même résultat : en moyenne 90% des personnes répondent qu’elles activeraient la manette mais refuseraient de pousser l’obèse. Comme la majorité des Français, le gouvernement n’est pas capable d’assumer la mort immédiate de personnes âgées et/ou comorbides atteintes de la Covid-19, mais est prêt à supporter les décès indirects du confinement, et ce même s’ils peuvent être plus nombreux et concerner des personnes plus jeunes.

A lire aussi, Alexis Brunet: Pourquoi il faut regarder le documentaire «Hold-up»

Non, le gouvernement n’est pas assoiffé d’autoritarisme comme on l’entend dans le documentaire. Il est, comme le reste de la population, pétri de moraline, et pour la justifier il fait peur, se fait peur, car rien de plus contagieux que cette émotion primitive. Comme le rappelle un des intervenants dans le documentaire, « à partir du moment où vous faites croire à quelqu’un qu’il est en danger de mort vous en faites ce que vous voulez ». Une étude menée auprès d’habitants de 96 pays a montré qu’à mesure que la menace perçue de la pandémie de Covid-19 augmentait dans les populations, l’influence de l’orientation politique (être conservateur ou libéral) sur la peur liée à la pandémie disparaissait tandis que l’influence de la personnalité (propension à être anxieux, difficulté à gérer le stress) persistait[tooltips content= »Lippold et al., Frontiers in Psychology, 2020. »](1)[/tooltips]. En clair, plus la mort parait imminente et plus on arrive à un consensus politique sur la nécessité d’agir vite et fort, et cette propension repose sur un mécanisme non rationnel, celui lié à la difficulté à gérer la peur.

Létalité, hydroxychloroquine, Big pharma…

Oui il faudrait s’interroger sur ces projections erronées de 400 000 morts liés à la Covid-19 en l’absence de confinement faites à partir de données que l’on commençait tout juste à accumuler. On peut regretter d’ailleurs que le documentaire n’explique pas clairement en quoi ce chiffre s’est avéré être faux plutôt que de se perdre une nouvelle fois en conjectures complotistes. Comme le démontre simplement dans un journal médical le Pr. Dominique Baudon, médecin spécialiste de santé publique et de maladies infectieuses, si l’on prend une létalité désormais admise de 0,5% pour la Covid-19, pour atteindre les 400 000 décès en France il faudrait une population de 80 millions de sujets (400 000 / 0,005)[tooltips content= »Baudon, Journal International de Médecine, 2020. »](2)[/tooltips], loin des 67 millions d’habitants actuels.

Oui il y a une discussion à mener sur le nombre de décès à attribuer à la Covid-19 : il faudrait distinguer les patients morts de la Covid-19 et ceux testés positifs au SARS-CoV-2 et dont l’espérance de vie était conditionnée par leur grand âge ou une pathologie incurable. En accusant les médecins de « coter Covid-19 » leurs patients par mercantilisme comme le font certains dans le documentaire plutôt que par facilité administrative on ferme la porte à un débat qui pourtant mériterait d’être ouvert.

Oui il faudra un jour faire le point sur l’hydroxychloroquine. Bien que les études montrent l’absence d’efficacité notable chez des patients hospitalisés, aucun élément à ce jour ne permet d’affirmer qu’elle ne serait pas efficace chez des patients pas ou peu symptomatiques ou en prévention. Mais penser que les médecins qui ont choisi de travailler dans le secteur public, comme le Pr. Karine Lacombe, porte-voix médiatique du courant scientifique anti-hydroxychloroquine, courent après quelques milliers d’euros au risque de mettre en péril la santé de leurs patients, c’est ignorer l’histoire de ces médecins français qui choisissent une carrière hospitalo-universitaire. Car si on peut leur reprocher parfois un égo démesuré qui compense un salaire loin de l’être, on ne peut croire qu’ils soient cupides. Lorsque l’on assiste au « lynchage » des auteurs de la méta-analyse récente qui soutient l’inefficacité de l’hydroxychloroquine[tooltips content= »Fiolet et al., Clinical Microbiology and Infection, 2020. »](3)[/tooltips], là encore les critiques relayées dans le documentaire ignorent qu’il est normal qu’une méta-analyse élimine des études présentant des biais selon les critères actuellement admis dans la littérature scientifique. Ce qui est critiquable est la dérive de la médecine qui, élevée au rang de science, pâtit des mêmes travers que celle-ci: toujours plus de données pour toujours moins de cerveaux capables de les analyser. Les méta-analyses qui s’éloignent de la médecine personnalisée, pourtant prônée ces dernières années dans les milieux universitaires médicaux, ne nous donnent accès qu’à la face émergée de l’iceberg.

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Oui l’industrie pharmaceutique est plus attachée à vendre des traitements qu’à éradiquer des maladies, ce qui ne veut pas dire qu’en poursuivant son objectif premier elle ne participe pas à traiter efficacement les maladies. Penser que les entreprises pharmaceutiques ou des dirigeants puissants créeraient des maladies comme le laisse parfois entendre le documentaire, c’est prêter bien trop d’intelligence ou de connaissances à une poignée d’êtres humains. La nature reste pour l’heure bien plus douée et a bien plus d’expérience que nous pour créer des formes de vie capables de se propager aux dépens d’autres.

Le retour de Luc Montagnier

Les questions soulevées par ce documentaire auraient mérité plus de rigueur journalistique. Le minimum étant de vérifier les propos de personnes qui ne sont ni médecins ni chercheurs, comme ce lanceur d’alerte qui parle d’une PCR à 50 cycles (en tant que virologue je n’ai jamais vu en France et n’ai jamais rendu un résultat allant au-delà de 40 cycles). On peut regretter aussi que le seul virologue interrogé soit le Pr. Luc Montagnier dont les capacités de raisonnement scientifique laissent à désirer depuis quelques années. Quant aux intervenants plus sérieux comme le médecin et ancien ministre Philippe Douste-Blazy, l’épidémiologiste Laurent Toubiana ou le prix Nobel de Chimie, leurs propos sont noyés dans ce flou complotiste qui rôde tout au long du documentaire et atteint son acmé avec une sage-femme qui découvre pétrifiée l’extrait d’une conférence du Dr. Laurent Alexandre, tronquée à dessein pour laisser entendre qu’il ferait l’apologie d’un homo deus poussé à éliminer les inutiles de la société[tooltips content= »Le Dr. Alexandre au contraire plaide pour une réflexion sur la façon d’inclure ceux qui pourraient ne plus trouver leur place dans une société régie par l’intelligence artificielle. »](4)[/tooltips]. Ce final pathétique à souhait et qui renoue avec le point Godwin (qui avait été atteint plus tôt dans le documentaire) entache définitivement la crédibilité du documentaire. Un documentaire à voir avec beaucoup de modération (intellectuelle).

Présidentielle en Côte d’Ivoire: les leçons tactiques de la victoire d’Alassane Ouattara

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Alassane Ouattara, réélu dès le premier tour avec 95,3% des voix, entame un troisième mandat de cinq ans. 


Alassane Ouattara peut se réjouir : il a réussi son pari. Alors que les observateurs prévoyaient une situation tendue après la décision de maintenir l’élection au 31 octobre, celle-ci s’est finalement déroulée dans un contexte relativement apaisé. Le scrutin a reçu l’approbation des différentes missions d’observation présentes sur le terrain. L’heure est désormais au dialogue avec l’opposition – appelé de ses vœux par Alassane Ouattara et déjà en partie matérialisé par la rencontre, ce 11 novembre, entre le Président et Henri Konan Bédié, son principal opposant – mais aussi et surtout à l’action. Deux mandats n’auront pas suffi à l’homme fort d’Abidjan pour faire profiter à tous les Ivoiriens, de façon inclusive, de la croissance insolente du pays. Beaucoup reste à faire.

Une élection globalement apaisée

Peu après le scrutin, la Mission internationale d’observation des libéraux et démocrate a salué “la maturité exemplaire et le sens des responsabilités élevés” du peuple ivoirien et félicité les organes en charge de l’élection pour la bonne organisation du scrutin. Même son de cloche du côté de l’Union africaine et de la Communauté économique des états de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Cette dernière a même récemment transmis ses félicitations au président Ouattara pour sa réélection, juste après la validation de sa victoire par le Conseil constitutionnel.

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Plus que la victoire d’Alassane Ouattara, ce succès électoral consacre l’échec de l’opposition. En effet, cette opposition disparate, composée d’ennemis d’hier et n’ayant pas d’autres projets que le « Ouattara doit partir » a péché. Elle aurait dû comprendre, elle qui regroupe une bonne partie de ce que la Côte d’Ivoire compte de vieux éléphants de l’univers politique, que la politique de la chaise vide est inopérante. En outre, son appel à la désobéissance civile a été un large échec et pour plusieurs raisons. En premier lieu, le traumatisme de 2010 est trop récent dans la mémoire des Ivoiriens, et peu ont envie d’aller risquer leur vie pour jouer un remake de cet épisode tragique. Ensuite, à part les appels au « dégagisme » ayant ciblé le président Ouattara, l’opposition n’a rien proposé, ou a été inaudible sur ses autres propositions. Enfin, Alassane Ouattara affichait à la fin de son second mandat un bilan à faire pâlir d’envie beaucoup de dirigeants de la planète. Il possédait donc un avantage certain.

Plutôt que de louvoyer, l’opposition aurait dû battre campagne, jouer selon les règles, même si elle ne les a pas édictées, et présenter un candidat unique. Si mathématiquement, elle avait de sérieuses chances de mettre en difficulté le président sortant, l’opposition aura péché par son égoïsme et ses petits calculs. Plus portée sur les déclarations tapageuses que sur l’action véritable auprès des populations, elle doit aujourd’hui prendre acte de sa défaite, et consolider ses propositions de réponses aux véritables problèmes des Ivoiriens en vue des prochaines élections.

Le jour d’après

Plus que l’organisation du scrutin qui, à quelques incidents près, s’est déroulé dans le calme, l’après-scrutin est riche d’enseignements. Il y a 10 ans, l’annonce de la victoire d’Alassane Ouattara sur son rival d’alors, Laurent Gbagbo, avait plongé le pays dans le chaos, ce dernier ne souhaitant pas reconnaitre sa défaite. S’en était suivie une crise post-électorale ayant entrainé la mort de plus de 3 000 Ivoiriens. En 2020, en dépit des prévisions pessimistes des Cassandre, le pays a survécu, preuve de son désir de tourner la page d’une histoire tragique. La raison en est simple: les Ivoiriens ont préféré laisser sa chance à un système, qui, quoiqu’imparfait, éloigne les spectres du passé. La rencontre entre Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié, ce mercredi 11 novembre, ayant « brisé la glace » et « rétabli la confiance » selon les deux intéressés, même si elle n’est qu’un prélude à un processus d’apaisement qui devrait prendre plusieurs mois, traduit bien ce changement de paradigme, et consacre symboliquement la primauté du vote et du dialogue sur la rue et les armes.

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Le passage du cap dangereux des élections ne doit cependant pas inviter à percevoir la victoire d’Alassane Ouattara comme un blanc-seing. Sous la présidence de l’actuel chef d’État, le pays s’est hissé en tête des pays les plus riches d’Afrique de l’Ouest, selon une récente étude de la Banque mondiale. Avec un PIB par habitant de 2 286 dollars à la fin de l’année 2019, la Côte d’Ivoire devance le Ghana et le Nigeria. Le fait que sa croissance moyenne se soit établie, au cours des huit dernières années, à 8,3%, n’y est sans doute pas pour rien. La nation éburnéenne peut en outre se vanter de progressions impressionnantes ces dernières années au classement Doing Business de la Banque Mondiale, ainsi que d’être le pays ayant enregistré la plus forte progression au sein du classement Mo Ibrahim de la gouvernance africaine (fondé sur des critères de sécurité et d’état de droit, de droits humains, de développement économique et humain). Reste qu’une grande partie de sa population souffre toujours de pauvreté, problématique à laquelle n’a qu’en partie répondu le passage en 2013 du salaire minimum de 36 000 à 60 000 FCFA.

Pas assez inclusive, la croissance ivoirienne ? Ouattara ne peut le nier. Le lundi 9 novembre, son premier message à la Nation depuis sa réélection y faisait d’ailleurs référence : « Place maintenant au temps de l’action. Et l’action pour moi, c’est le Projet de la Côte d’Ivoire Solidaire pour lequel j’ai été élu et qui va accélérer la transformation économique et sociale de notre pays, par une croissance plus inclusive. » Dont acte ? Réponse en 2025.

Retour à Athènes

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On s’est souvent gaussé du discours de Jules Ferry à l’Assemblée, le 28 juillet 1885. Affirmer « Il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures… » sonne mal à nos oreilles de droits-de-l’hommistes persuadés qu’il y a une dignité égale de toutes les races et de toutes les civilisations.

Si sur le premier point cela va de soi — il n’y a pas de race inférieure, quoi que vous mettiez sous le mot « race » —, il n’en est pas de même en ce qui concerne le second. La formule de Samuel Huntington, le « choc des civilisations », remonte à 1996. Elle a été maintes fois critiquée par les belles âmes, sauf qu’elle s’est révélée, au fil des guerres effectives et des attentats, d’une redoutable clairvoyance. La mondialisation amène en contact immédiat des régimes, des civilisations et des croyances qui se sont ignorées pendant des siècles, parce que l’éloignement géographique interdisait de fait le contact. Mais voilà, deux clics d’ordinateur mettent aujourd’hui le Pakistanais le plus rétrograde à portée de kalachnikov de n’importe quel caricaturiste français, qu’il vilipende instantanément et brûlerait volontiers dans un grand pogrom de ses œuvres.

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D’aucuns nous préviennent alors qu’il faut ménager les susceptibilités de ces gens-là, faire preuve de tact, ne pas offenser leurs superstitions, etc.

Jean-Michel Delacomptée, écrivain très estimable (Notre langue française — 2018 — est un bon livre, même si son auteur, soucieux de plaire aux Académiciens qui l’ont couronné, ne rentre guère dans le détail de cette langue en lambeaux enseignée dans nos écoles, grâce à une habile politique pédagogique) vient de se fendre sur le sujet d’un article intéressant dans le Figaro du 14 novembre.

Soucieux de défendre la chèvre et le chou, le couscous et le cassoulet, il évoque l’ombre de Jules Ferry pour relativiser notre belle ambition d’universaliser les valeurs sur lesquelles s’est fondée notre République : « Défendre la liberté de conscience dans les pays de confession musulmane représente une tâche d’une extraordinaire difficulté. Blasphème, apostasie, contestation de la parole coranique y suscitent opprobre, procès, prison, crimes de sang. Penser que l’on peut, en republiant les caricatures dans le cadre du procès des attentats de janvier 2015, opposer la grandeur de la liberté de conscience à l’obscurantisme qui ronge ces pays relève de la même illusion que celle qui conduisit les Etats-Unis à tenter d’imposer par la force la démocratie en Irak. Vient aussi à l’esprit l’exemple de la IIIe République qui, alléguant un souci d’authentique humanisme, prétendit apporter aux peuples « moins avancés » les lumières de la civilisation. »

Et de résumer : « L’universalisme de nos valeurs fait à juste titre notre fierté, mais il nous leurre. »

De là à conclure que nous devrions ménager les susceptibilités de gens qui nous achètent des Vache-qui-rit et des Mirages, il n’y a qu’un pas. Sauf que de la précaution à la soumission, il n’y a aussi qu’un pas.

Les Athéniens du Ve siècle ne prétendirent jamais imposer leur mode de vie aux Perses — il faudra attendre l’ambition d’Alexandre pour en arriver là, et surtout le délitement de l’empire du Grand Roi. Ils appelaient « barbares » ceux qui ne partageaient ni leur langue, ni leurs coutumes. Le mot n’avait rien de péjoratif en soi, c’était une distinction géographico-linguistique, à une époque où Ninive ou Babylone étaient juste de beaux noms vagues, à des distances prodigieuses — pas des réalités déboulant sur l’écran de l’ordinateur ou sous le couteau des assassins. De même, ils avaient baptisés « métèques » les citoyens qui n’étaient pas d’extraction athénienne, et auxquels ils refusaient les droits des citoyens.

Peut-être faut-il en revenir à Athènes. Comprendre que les pays qui nous abreuvent d’injures sont juste des barbares. Que ceux qui chez nous les imitent, et que nous avons importés en grand nombre, le sont aussi. Qu’il faut un bon bout de temps pour qu’un barbare d’importation devienne citoyen français de plein droit — et nous devrions peut-être réintroduire des distinctions entre habitants de l’Hexagone, selon l’acquisition des Lumières sur lesquelles est fondée notre civilisation : j’avais tenté d’expliquer cela en écrivant Voltaire ou le jihad. Lis l’Encyclopédie, récite le Dictionnaire philosophique, adhère au discours des Lumières, ou résous-toi à n’avoir qu’un statut de métèque athénien – littéralement, « celui qui a changé de résidence ». Tant que tu n’épouses pas les valeurs de notre civilisation, ne t’étonne pas que nous rejetions la greffe.

Les Allemands n’ont pas de ces pudeurs de vierges. Leurs Turcs d’importation restent des Turcs longtemps. Ça ne les empêche pas d’œuvrer à la grandeur de l’Allemagne.

Respecter les croyances, en ces temps d’exacerbation des passions, revient très vite à respecter des fanatismes — et aucun fanatisme ne peut être accepté dans une France des Lumières. C’était le sens de l’intervention célèbre du comte de Clermont-Tonnerre en décembre 1789, à propos des Juifs : « « Il faut tout refuser aux Juifs comme nation et tout accorder aux Juifs comme individus ». La création par Napoléon du Consistoire en 1808, qui permit l’intégration pacifique de tant d’Israélites qui étaient persécutés en raison de leur religion, s’inscrit dans cette optique.

Il est inconcevable que nous acceptions — et il n’est pas trop tard, tant que la démographie ne crée pas une situation irréversible qui nous ferait basculer dans la tyrannie des barbares — la constitution de « communautés » faisant pratiquement nation dans certaines périphéries urbaines. Inconcevable que l’École, qui devrait être le berceau commun d’où émergent tous les citoyens français, se soit résignée à tolérer des discours séparatistes, voire criminels. Si nous n’avions pas laissé des pédagogues en mal de démagogie instaurer, depuis la loi Jospin (1989), le droit des élèves à proférer des insanités, nous ne verrions pas des gosses de 15 ans vendre leur prof d’Histoire à un assassin pour une poignée de cacahouètes.

Oui, il y a des barbares dans nombre de pays. S’ils ont envie de se soûler de sables et de corans, à leur guise. L’époque où nous avions l’illusion de pouvoir les éduquer aux Lumières est bien passée, et le colonialisme n’a jamais apporté que des rancœurs mal digérées : pensez, nous les avons guéris de la fièvre jaune, de la malaria, de l’esclavage, du tribalisme, et autres joyeusetés qui constituent le fond de leur civilisation — aussi respectables, à distance, que celle des Perses pour les Athéniens.

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Quant à ceux qui sont aujourd’hui présents sur le sol français, il faut les intégrer. Cesser de prétendre que la démocratie nous impose de respecter leurs superstitions. Justement, comme je l’expliquais il y a peu, la démocratie n’est pas la république. Alors, « Français, encore un effort si vous voulez être républicains » — et cessez de plaindre ou même de « comprendre » ceux qui encensent les égorgeurs. Éduquons-les, ou rejetons-les.

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Ségolène Royal: l’apologie de la lâcheté?

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Vidéo. Hier sur CNews, Ségolène Royal a ressuscité le délit de blasphème. Élisabeth Lévy réagit.


La jeune Mila est encore et toujours la cible d’attaques et parfois d’appels au meurtre. Son tort ? Être restée dans les clous de la loi en ayant insulté une idéologie, mais jamais les croyants en tant qu’individus. Voilà que Ségolène Royal, hier, au nom d’une fraternité – un mot fort dévoyé -, rêve presque d’un retour au délit de blasphème.

À propos des caricatures, l’ancienne ministre socialiste a en effet affirmé qu’elles « bless[aient] des millions de personnes à travers le monde ». Et s’est ainsi désolidarisée de la ligne politique d’Emmanuel Macron, avant d’ajouter: « La liberté d’expression ne permet pas de dire et de faire n’importe quoi. » Le tout, au nom de la fraternité.

Ségolène Royal toujours à côté de la plaque

Ce matin sur Sud Radio, Élisabeth Lévy a réagi à ces déclarations problématiques sur la liberté d’expression.

Pour la directrice de la rédaction de Causeur, « Ségolène Royal ressuscite un délit de blasphème aboli par la Révolution ». Une fois encore, elle rappelle qu’il ne faut pas se fourvoyer et confondre « l’insulte à une religion, un dieu ou un prophète » avec « la haine des croyants ».

À lire aussi: Jean-Pierre Obin: «Pour les islamistes, le progrès, la tolérance, l’humanisme sont des valeurs exécrables»

Non sans ironie, Elisabeth Lévy a également rappelé le triste sort de la jeune Mila, menacée de mort par des islamistes et de nombreuses personnes sur les réseaux sociaux:

« Si une jeune fille de 16 ans peut le comprendre, une ancienne ministre aussi!»

Pour notre directrice, «Ségolène Royal et tous les autres adeptes du ‘Oui mais’» défendent une fraternité qui «ressemble plutôt à une apologie de la lâcheté.»

Causeur vous propose de visionner l’intégralité de son intervention matinale:

>>> Retrouvez le regard libre d’Elisabeth Lévy du lundi au vendredi à 8h15 dans la matinale de Sud Radio <<<

Christine Lagarde, dernier rempart face à la crise?


La Banque centrale européenne (BCE) joue un rôle clé dans la survie de la monnaie unique. En manipulant les taux, elle permet aux États de continuer à assurer le service de leur dette, qui apparaît de moins en moins comme un problème.


Christine Lagarde a célébré ce 1er novembre son premier anniversaire à la tête de la Banque centrale européenne (BCE). Mais l’heure n’était pas à la fête. Les mesures de restrictions et de confinement se mettent en place partout en Europe, et laissent augurer une dégradation de l’activité économique au quatrième trimestre. Fin octobre, la BCE a déclaré qu’elle annoncerait de nouvelles mesures de soutien à l’économie le 10 décembre. La plupart des économistes anticipent un relèvement de l’enveloppe du programme d’achats d’urgence lié à la pandémie (PEPP) de 500 milliards d’euros (après avoir augmenté de 750 à 1.350 milliards d’euros en juin).

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La présidente de la BCE encourage les États à dépenser sans compter, ce qui est finalement peu surprenant de la part de l’ancienne ministre de l’économie de Nicolas Sarkozy qui aura réussi l’exploit en seulement quatre ans (2007 à 2011) d’augmenter la dette publique de 500 milliards d’euros. Pour sa défense, la crise des subprimes est passée par là, mais elle avait été largement sous-estimés par la ministre. Ne déclarait-elle pas en novembre 2007: «La crise de l’immobilier et la crise financière ne semblent pas avoir d’effet sur l’économie réelle américaine. Il n’y a pas de raisons de penser qu’on aura un effet sur l’économie réelle française» ? Ses compétences d’ancienne championne de natation l’auront sans doute aidée à surnager dans cette crise, pour se retrouver propulsée à la tête du FMI. Quoi de mieux qu’une professionnelle du barreau pour remplacer DSK au pied-levé, empêtré dans ses ennuis judiciaires liés au scandale du Sofitel? Directrice générale du FMI, elle opère un changement de braquet (confirmant l’adage que la fonction fait l’homme, ou la femme) en exhortant les pays à réduire leur endettement public et réaliser des économies, estimant même que la dette publique accumulée par les pays riches approche des niveaux atteints en «temps de guerre». Une fois présidente de la BCE, elle retourne sa veste (sur laquelle elle épingle une petite chouette dorée) en incitant à la dépense publique. La chouette est censée représenter la sagesse et la prudence mais, au vu de son parcours, la girouette paraît plus appropriée.

Un remède pire que le mal

En revanche, il y a un point sur lequel elle affiche une véritable constance: c’est son engagement pour la cause des femmes, plaidant pour une économie plus féministe: «Les institutions financières doivent donner l’exemple, et promouvoir la féminisation de l’économie en général, car c’est bon pour la croissance mondiale.» Cette femme de pouvoir convaincue que la féminisation des instances dirigeantes des banques s’accompagne d’une diminution des risques financiers, va même jusqu’à dire: «Si Lehman Brothers s’était appelée “Lehman Sisters”, la situation des banques en 2008 aurait été bien différente.» Une déclaration qui doit laisser Alice Coffin admirative.

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Alors si des femmes dirigeantes auraient pu éviter la crise de 2008, Christine Lagarde veut être celle qui empêchera la disparition de l’euro. La BCE joue en effet un rôle clef dans la survie de la monnaie unique en manipulant les taux afin de permettre aux États de continuer à assurer le service de leur dette qui apparaît de moins en moins comme un problème. La politique monétaire permet ainsi aux États de gagner du temps, et du temps il en faut, la mise en place du plan de relance budgétaire de l’Union étant longue et fastidieuse. Voté l’été dernier, les fonds ne devraient pas être disponibles avant l’été prochain.

La BCE continue d’administrer un remède pire que le mal, à savoir une politique de taux bas alimentant la dette, pénalisant les épargnants et alimentant des bulles. Christine Lagarde hulule: «il n’y a pas de limite à notre engagement pour l’euro», repoussant toujours plus loin les limites en termes d’injections de liquidité et de monétisation de la dette publique, à tel point que son prédécesseur Mario Draghi (l’homme du «whatever it takes ») fait désormais pâle figure. Avec cependant le risque d’un éclatement qui sera encore plus brutal, et où le risque de contagion sera plus difficile à maîtriser que la propagation du virus. Et cette fois, il sera difficile de blâmer le manque de diversité au sein des instances de gouvernance comme cause de dysfonctionnement du système.

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C’était écrit: à la recherche des bistrots perdus

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Le café "Au petit fer à cheval" dans le quartier historique du Marais à Paris, le 19 septembre 2019. © Thibault Camus/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22380818_000007

Si la réalité dépasse parfois la fiction, c’est que la fiction précède souvent la réalité. La littérature prévoit l’avenir. Cette chronique le prouve.


Il n’est pas étonnant que la fermeture des bistrots ait été vécue comme l’une des conséquences les plus violentes de l’épidémie et qu’on ait pu recueillir autant de témoignages de sainte colère comme celui de Loïc Bouchet, cafetier à Nantes, dans Ouest France : « Je suis en train de crever à petit feu. » La clientèle aussi, si l’on en croit La Voix du Nord, qui a déniché en plein confinement un bistrot clandestin où les consommateurs buvaient dans un silence religieux. Déjà, bien avant le Covid, les bars étaient une espèce en voie de disparition : « En 2015, on ne comptait plus que 36 176 bars dans le pays. Deux fois moins qu’en 1970 », nous apprend France Bleu. Dans ce contexte, l’épidémie ressemble plus à un coup de grâce qu’à un coup du sort.

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Cette disparition programmée ne peut que nous rappeler, en ce mois de novembre dont le troisième jeudi voit revenir le Beaujolais, le délicieux roman de René Fallet, Le Beaujolais nouveau est arrivé, qui date de 1975. L’action se déroule dans un trocson de banlieue, promis à la destruction par des promoteurs qui l’ont cerné d’immeubles pour y entasser des travailleurs qui ne se croiseront plus que dans les couloirs : « Le Café du Pauvre était le plus anachronique débit de boissons de Villeneuve-sur-Marne […] dans le vieux quartier que les fiers habitants des “résidences” appelaient la “Réserve”. […] C’était le bistrot parisien modèle 1930, celui que les films américains délivrent à intervalles réguliers aux spectateurs ébaubis de l’Arizona. » On y trouve un brassage social qui va de l’ancien combattant au cadre sup en rupture de ban en passant par le brocanteur. Sans doute un échantillon représentatif semblable à celui du bar clandestin de Lille.

Que viennent chercher les personnages dans ce Café du Pauvre ? La convivialité, comme dit notre sabir contemporain ? Oui, bien sûr, mais peut-être aussi une forme d’alcoolisme nécessaire au bon fonctionnement des relations humaines et même… du travail ! C’est en tout cas ce que pense Gladys Lutz sur France Culture, psychologue et ergonome, interrogée sur le film danois Drunk, sorti à la mi-octobre, qui remet au goût du jour la théorie « d’un psychiatre norvégien, Finn Skarderud, qui affirme qu’avec 0,5 g d’alcool par litre de sang en permanence, l’être humain décuple ses capacités relationnelles et professionnelles. » Alors proposons, avec René Fallet, ce slogan aux cafetiers dans leur lutte légitime : « Pour travailler bien, ne restez pas à jeun ! »

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Mila: Ségolène Royal a raison

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Ségolène Royal sur CNews face à Laurence Ferrari, le 16 novembre 2020.© Capture d'écran

Je refuse d’être enfermé dans une alternative délétère qui nous contraindrait au silence ou à une abjecte connivence


Veut-on ne nous laisser le choix qu’entre un droit effréné au blasphème ou la complicité avec des tueurs islamistes ?

On pourrait le penser, à lire certaines des réactions indignées qui ont suivi les propos de Ségolène Royal sur CNews.

Un autre son de cloche, Elisabeth Lévy: Ségolène Royal: l’apologie de la lâcheté?

Elle a déclaré : « Je pense que certaines caricatures de Mahomet sont insultantes… Je comprends que certains se sentent insultés par cela y compris des musulmans qui ne sont ni intégristes ni radicaux…Je ne suis pas pour l’interdiction des caricatures mais je ne suis pas pour cautionner et dire que c’est bien ».

On a reproché à Ségolène Royal d’être alambiquée et équivoque dans l’affirmation de ses convictions sur ce thème hautement sensible : je ne trouve pas, sauf à vouloir imposer dans le débat une ligne monocolore, unilatérale et récusant toute volonté de tenir les deux bouts d’une chaîne.

Depuis sa première intervention sur la religion et Mahomet, une jeune fille, Mila, est au coeur de polémiques qui ne cessent pas. En effet elle a été scandaleusement menacée, agressée, insultée sur les réseaux sociaux et, dernièrement, on l’a intimidée en évoquant le sort de Samuel Paty qui pourrait être le sien. La condamnation totale de telles éructations doit être proférée, sans la moindre nuance.

Dénoncer la grossièreté de Mila n’est pas une complicité avec les assassins

Mila a été grossière dans son expression initiale puis, s’étant plainte d’avoir subi des menaces, des harcèlements et des atteintes intolérables à sa tranquillité, elle a à nouveau poussé la provocation en affichant cette indécence verbale d’un « doigt dans le cul de Mahomet ».

Ne pas juger cette saillie formidable, l’estimer indélicate fait-il immédiatement de vous le responsable d’une sorte de complaisance à l’encontre des assassins ? Evidemment non. Je refuse d’être enfermé dans une alternative délétère qui nous contraindrait au silence ou à une abjecte connivence.

La liberté d’expression, même dans sa définition la plus étendue possible, est-elle incompatible avec l’éducation qui peu ou prou peut-être définie comme l’aptitude notamment à se soucier d’autrui, de ses sentiments, de ses croyances ou de ses incroyances ? Il n’y a pas que sur le plan sanitaire que l’autre doit avoir de l’importance.

Par quelle aberration cette exigence démocratique – en effet il ne faut rien céder et le président de la République a eu raison de rappeler nos principes à nos adversaires d’ici et d’ailleurs qui demeurent sourds à notre conception de la laïcité – doit-elle
seulement se démontrer par la dérision ou le mépris à l’encontre de tout ce qui est religieux comme s’il ne suffisait pas des idées pour la justifier et nous rendre fiers d’elle ?

La caricature est une tradition française qui sous toutes ses formes a enrichi et illustré notre esprit frondeur. Mais est-on forcé d’applaudir des extrémités qui non seulement ne sont pas drôles – chacun est toutefois libre de les apprécier ou non – mais vont mettre à mal une multitude de croyants modérés, respectueux de nos lois et de notre culture, mais aussi servir de prétexte à des criminels ?

Cette position, qui est celle de Ségolène Royal, est pertinente, équilibrée et ce serait lui faire injure, à elle comme à tous ceux qui partagent son point de vue, que de les rendre si peu que ce soit solidaires de l’horreur.

Beaucoup pensent comme Ségolène Royal

La démocratie n’a pas vocation à favoriser seulement une liberté à sens unique. Il serait paradoxal, pour ne pas dire choquant, que les tenants de la vision de Ségolène Royal, plus nombreux qu’on ne le pense, soient contraints de se censurer et de se priver de leur droit à la liberté pour ne pas porter atteinte à la liberté démesurée, jamais questionnée, des autres. C’est au contraire le signe d’une République mature que de ne rien laisser sur le bord du chemin, l’opprobre absolu comme la compréhension équitable.

À lire aussi: Jean-Pierre Obin: «Pour les islamistes, le progrès, la tolérance, l’humanisme sont des valeurs exécrables»

Qu’on dépasse les caricatures de Mahomet. Je songe aux ignominies chantées de Frédéric Fromet sur Jésus-Christ (France Inter) et comme beaucoup j’en ai été scandalisé – également par la nullité du chansonnier ! Mais cela s’arrête là. Avoir pu le dire et le dénoncer nous a suffi.

Conseiller à Mila une politesse qui lui ferait du bien ferait-il de moi un traître à la cause de la liberté d’expression ? Je suis sûr que non. Défendre à tout prix les trésors de notre République, refuser qu’on prétende nous en priver, soit. Mais aussi être attentif à ce qu’on se doit à soi-même, sur les plans singulier et collectif. La liberté sans éducation est dangereuse. L’éducation sans liberté est ennuyeuse.

Ségolène Royal a raison, alors ne qualifions pas d’équivoque toute pensée au contraire courageuse.

Le Mur des cons

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Forages pétroliers à Nonville (77): oui ou non?

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Image d'illustration Pixabay

Tout le monde connait l’expression: « En France on n’a pas de pétrole, mais on a des idées »…


En France on n’a pas de pétrole, mais on a des idées ? Ce n’est pas tout à fait vrai. Il y a plusieurs dizaines de sites d’extraction de pétrole brut en activité, principalement dans le bassin parisien, en Auvergne et en Alsace. À Nonville, petite commune située au sud de la Seine-et-Marne, à 64 kilomètres à vol d’oiseau de Paris, la société Bridgeoil, exploite, depuis 2015, deux puits. Elle demande l’autorisation de forer dix puits supplémentaires, au grand dam des riverains.

En effet, ce site est à proximité immédiate d’un centre équestre et d’une ferme détenue par un négociant en paille. Les premières habitations sont à moins de 150 mètres. Le risque d’incendie est la première crainte évoquée par le maire, Gérard Balland. « Certes le pétrole est pompé par 1500 mètres de fond, mais on n’est pas à l’abri d’un accident, explique-t-il, d’autant que le fait d’aller forer à cette profondeur amène à la surface des odeurs d’œufs pourris dues au sulfure d’hydrogène (H2S), gaz toxique et fortement irritant à haute dose. » Depuis le 28 septembre dernier, un dispositif anti-odeur a été mis en place mais on constate encore de fortes odeurs, selon les voisins. Ces nuisances seraient multipliées par quatre avec les puits supplémentaires. Autres nuisances: le bruit des balanciers des derricks qui supportent les tiges de forage. « Ils seront remplacés ensuite par des pompes de fond mais il y en a bien pour un et demi an de travaux, 24/24, 7/7 », explique Monsieur Balland. Le conseil municipal s’est prononcé contre le projet, à l’unanimité.

Côté environnemental, on s’inquiète aussi de la proximité de zones humides classées et de massifs forestiers protégés. On est à quatre kilomètres de la forêt de Fontainebleau. Selon son propre rapport, Bridgeoil déclare que « les impacts sur les eaux souterraines sont jugés moyens à faibles. » Le site d’exploitation pétrolière chevauche une des plus importantes sources d’eau potable de la région parisienne qui fournit directement par aqueducs plus de 300 000 Parisiens en eau potable. Une enquête publique a été ouverte et une pétition circule, les citoyens se mobilisent. La décision finale sera prise par le préfet courant 2021. Entre l’eau et le pétrole, est-ce qu’il va se mouiller ?

Inde : le joyau de la haine

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Femmes indiennes affichant leurs bijoux. © D.R.

En Inde une marque de bijoux est accusée de cautionner le « djihad de l’amour », la conversion des hindoues à l’islam par le mariage. 


En Inde, le « djihad de l’amour » fait de nouveau parler de lui. Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, cette notion curieuse n’a rien à voir avec la mise en avant d’un prosélytisme islamique pacifique. Il s’agit au contraire de dénoncer la conversion de femmes à l’islam par le mariage. Depuis une quinzaine d’années, certains Indiens utilisent l’expression « Love Jihad » pour désigner l’existence supposée de réseaux musulmans organisés pour prendre épouse chez les hindoues, tandis que d’autres dénoncent ces accusations comme étant islamophobes et complotistes.

Début octobre, une grande marque de bijoux, Tanishq, a lancé une campagne de publicité en plusieurs volets nommée « Oneness » pour inciter les Indiens à « se retrouver » après un confinement très dur, et à célébrer ensemble les grandes fêtes religieuses (couverts de kilos d’or et de pierreries, et masque au visage). Mais l’une des vidéos a été l’objet de violentes critiques, suscitant même un appel au boycott de la marque. En cause : elle mettait en scène une jeune femme hindoue et sa belle-famille musulmane qui lui organisait une cérémonie de Valaikappu, destinée dans les rites hindous à protéger les femmes enceintes et leur bébé. Ce tableau idyllique d’un respect mutuel entre deux traditions a irrité nombre d’Indiens. Accusée de cautionner le « djihad de l’amour », Tanishq a retiré sa publicité, mais la polémique a suscité de vives empoignades numériques entre responsables et militants politiques. La coexistence entre hindous et musulmans est certes très ancienne ; force est de constater que l’« unité » n’est pas encore au rendez-vous.

Et si la méritocratie était le problème et non pas la solution?

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Manifestation de personnels des Ehpad pour protester contre le plan de relance annoncé par le gouvernement, 17 septembre 2020 © GILE Michel/ SIPA 00981610_000002

 Après Les Deux Clans, le nouveau livre de l’intellectuel britannique, La Tête, la main et le coeur, dresse un bilan implacable d’un système qui survalorise les « têtes » – les surdiplômés des métropoles – aux dépens des ouvriers et des soignants. Entretien avec David Goodhart, propos recueillis par Jeremy Stubbs.


Causeur. Votre nouveau livre met en question le modèle méritocratique qui est le fondement de nos sociétés modernes, modèle nourri autant par le néolibéralisme globaliste que par la doctrine de l’égalité des chances. Qu’est-ce qui vous a conduit à attaquer une pareille vache sacrée ?

David Goodhart. La méritocratie est devenue aujourd’hui une manière de justifier des inégalités sociales criantes. Aux États-Unis, le pays de l’égalité des opportunités, du « self-made-man », du citoyen qui ne doit sa réussite qu’à lui-même, la plupart des gens pensent que leur pays est devenu moins méritocratique et qu’il y a moins de mobilité sociale. Dans les universités d’élite, il y a autant d’étudiants appartenant au 1 % des familles les plus aisées qu’aux 50 % des moins aisées. Au Royaume-Uni, l’écart n’est pas aussi flagrant, mais la tendance est similaire. Contrairement au mythe vendu très habilement par des hommes politiques de centre gauche, comme Bill Clinton ou Tony Blair, il est extrêmement difficile de créer une méritocratie authentique. Certes, il y a un degré de mobilité sociale pour des individus très talentueux, et même les personnes qui commencent la vie avec des avantages sociaux et économiques doivent travailler dur pour réussir des examens et décrocher des postes de haut niveau. Mais tant que les gens peuvent transmettre leurs avantages à leurs enfants, la méritocratie ne peut être qu’imparfaite.

Selon votre livre, « la méritocratie tend à devenir une oligarchie ».

Oui. Singapour fournit un cas type à cet égard. En 1965, cette république a quitté la Malaisie, où la répartition des richesses était basée sur l’ethnicité, afin de créer un système plus méritocratique. Il n’y avait pas, à l’époque, de grands propriétaires, la hiérarchie sociale était relativement plate. Cependant, aujourd’hui, les membres des familles les plus intelligentes, qui ont le mieux réussi sur le plan scolaire, occupent tous les postes supérieurs. Ce qui confirme ma thèse : dans la mesure où on peut léguer ses privilèges à ses descendants, que ce soit par la génétique, la culture ou les moyens financiers, la méritocratie se sclérose, les élites se perpétuent.

Où est le problème si les gens les plus intelligents occupent les postes les plus importants ?

Il ne s’agit nullement d’abandonner la sélection méritocratique pour les fonctions qui nécessitent des compétences supérieures. Je ne veux pas être opéré par un chirurgien qui ne soit pas hautement qualifié ; nous n’avons pas besoin d’ingénieurs atomiques qui n’ont que des connaissances approximatives en physique nucléaire. Mais faut-il étendre le même système de concurrence intellectuelle à la société tout entière ? Une première objection qu’on peut formuler contre un système méritocratique, c’est qu’il ne tient pas ses promesses de créer suffisamment de mobilité sociale. Une deuxième objection consiste à dire que sélectionner et récompenser les gens selon le mérite cadre mal avec une société démocratique qui considère tous ses citoyens comme égaux sur les plans moral et politique.

En France, on a depuis longtemps l’habitude de dire que « l’ascenseur social est en panne ». On a beaucoup répété ce cliché à propos du cri de détresse sociale qu’a été le mouvement des Gilets jaunes.

J’ai beaucoup de sympathie pour les Gilets jaunes qui se sentaient les victimes du snobisme des bobos. Le grand problème est que nous ne pouvons tout simplement pas remettre en marche la grande machine à créer la mobilité sociale. L’ascenseur social fonctionne le mieux quand il y a beaucoup de place aux étages supérieurs. C’est ce qui s’est passé dans les années 1960, 1970 ou 1980 : on avait besoin de cadres pour cette nouvelle économie du savoir qui se développait déjà. Il fallait que le système promeuve de nouvelles personnes pour grossir les rangs des classes professionnelles et managériales. Dans beaucoup de familles qui, jusqu’alors, étaient restées étrangères à l’enseignement supérieur, les parents étaient fiers de voir leurs enfants partir à l’université. Ils étaient dans l’« ascenseur ». Aujourd’hui, la situation a changé. Il n’y a plus assez de postes dans ces domaines très intellectuels pour accueillir tous ceux qui voudraient prendre cet ascenseur. Au Royaume-Uni, les statistiques officielles sont parlantes : entre 2000 et 2020, la part de la population appartenant aux deux catégories professionnelles supérieures n’est passée que de 35 % à 37 %.

Rassemblement de Gilets jaunes devant le consulat général de France à New York, 22 décembre 2018. © Atilgan Ozdil/ Anadolu Agency/ AFP
Rassemblement de Gilets jaunes devant le consulat général de France à New York, 22 décembre 2018. © Atilgan Ozdil/ Anadolu Agency/ AFP

Vous brossez un tableau bien sombre. Y a-t-il une solution ?

Ce qui nous a mis dans ce mauvais pétrin est notre définition du mérite et de sa récompense qui, actuellement, est associée trop étroitement aux aptitudes intellectuelles ou cognitives.  Il s’agit des capacités que je désigne dans mon livre par le mot « tête ». La réponse consiste à équilibrer le système, à donner plus de reconnaissance et de récompenses aux aptitudes de la « main » et du « cœur », celles qui sont importantes pour le travail manuel et pour les métiers du soin.

On dirait qu’il y a une mode en ce moment pour critiquer la méritocratie. Plusieurs penseurs, notamment américains, ont publié des livres allant dans ce sens[tooltips content= »Daniel Markovits, The Meritocracy Trap: How America’s Foundational Myth Feeds Inequality, Dismantles the Middle Class, and Devours the Elite, Penguin, 2019 ; Michael J. Sandel, The Tyranny of Merit: What’s become of the common good?, Allen Lane, 2020. »](1)[/tooltips]. Qu’avez-vous de différent ?

Je ne m’attaque pas seulement à la question de la méritocratie en général, mais à sa dimension cognitive, à la façon dont elle récompense surtout les aptitudes de la tête, plutôt que celles de la main et du cœur. Les causes en remontent aux années 1990 et 2000, à l’époque du « double libéralisme », un libéralisme à la fois économique et social. Les hérauts de la mondialisation ont juré que celle-ci représentait une force positive. La création d’un marché du travail mondial allait sortir de la pauvreté les plus démunis de la planète, en Chine ou en Inde, et permettre aux travailleurs des pays riches de se recycler en spécialistes qualifiés. Aux classes ouvrières, les politiciens occidentaux répétaient : « Ne vous inquiétez pas, les gars ; on s’en occupera. » En fait, ils ont abandonné ces populations, surtout aux États-Unis, au Royaume-Uni et en France, moins en Allemagne ou en Scandinavie. En acceptant le libéralisme économique et en promouvant des doctrines libérales sur l’immigration et la diversité, la gauche a aliéné sa base électorale, ce qui a donné lieu aux révoltes populistes et au succès électoral de Boris Johnson dans les circonscriptions défavorisées du nord de l’Angleterre.

Mais quel est le rôle de l’éducation dans tout cela ?

C’est à cette époque que la gauche est devenue le parti de l’enseignement supérieur, fixant comme objectif l’accès de 50 % des jeunes à l’université et cherchant ses électeurs naturels parmi les diplômés. Une des conséquences est une forme d’aliénation que j’appelle le « syndrome 15/50 ». Si, quand vous quittez l’école, 15 % de vos camarades vont à l’université, tandis que vous cherchez un emploi dans votre région, ce n’est pas très grave. Mais quand 50 % y vont en vous laissant derrière, c’est une autre histoire sur le plan psychologique : vous appartenez à la catégorie de ceux qui ont échoué. Désormais, il y a une seule notion d’une vie réussie, un seul ascenseur social, définis par l’économie du savoir et les compétences cognitives. Dans le passé, il était possible de très bien réussir dans sa carrière, que ce soit dans une grande entreprise ou dans les forces armées, sans diplôme universitaire. Aujourd’hui, c’est devenu quasiment impossible. Beaucoup trop de politiques gouvernementales ont été fondées sur la prémisse totalement fausse selon laquelle la classe sociale de l’élite cognitive serait infiniment extensible. Par conséquent, c’est à la fois notre système d’éducation et l’ensemble des incitations et des récompenses que nous proposons à nos jeunes qui sont déséquilibrés. Nous sous-évaluons la main et le cœur.

À lire aussi, Pascal Tripier-Constantin : On achève bien la méritocratie

Il y a ceux que j’appelle les « Cendrillons » de l’économie, les travailleurs qui sont dévalorisés par notre méritocratie actuelle. Dans le domaine médical et du soin, les médecins sont évidemment bien récompensés et respectés, et même les infirmiers dans une certaine mesure, mais les vrais laissés-pour-compte sont les soignants dans les EHPAD, dont beaucoup ne reçoivent que le salaire minimum. Si vous demandez à un économiste pourquoi ces salariés sont si mal récompensés, il vous répondra que c’est parce que n’importe qui pourrait faire leur travail. C’est un exemple d’une fâcheuse tendance générale consistant à tout évaluer en termes cognitifs. Il est évident que n’importe qui n’est pas nécessairement capable de faire ce métier. Il suffit de passer dix minutes dans un EHPAD pour voir qu’il y a de bons soignants et des moins bons. Le vrai obstacle ici, c’est qu’il est difficile de mesurer les aptitudes du cœur. Le mérite cognitif règne en maître, parce qu’il est relativement facile à mesurer. Les gens passent un examen qui est le même pour tous, qui est noté de la même façon, et dont les résultats fournissent une hiérarchie entre les candidats, qui se traduit plus ou moins dans la hiérarchie des emplois qu’on leur attribue. Évaluer le soin avec autant de rigueur apparente serait beaucoup plus délicat.

À cela s’ajoute le fait que ce secteur est traditionnellement considéré comme un domaine féminin et souffre d’une inégalité sexiste dans les salaires. Et pourtant, c’est un secteur qui est promis à une grande expansion. Dans nos sociétés, nous avons une population de plus en plus vieillissante qui aura besoin de plus en plus d’aides-soignants, notamment pour s’occuper de maladies séniles comme celle d’Alzheimer. D’ailleurs, les femmes, ayant plus d’opportunités pour l’emploi aujourd’hui que dans le passé, sont moins enclines à choisir une carrière dans le soin, tandis que les hommes sont peu disposés à les remplacer, laissant aux immigrés la tâche de combler le manque. Quand j’ai commencé à écrire mon livre, je pensais que l’objectif consistant à répartir la reconnaissance et les récompenses de manière plus équilibrée entre la tête, la main et le cœur était utopique. Depuis, j’en suis venu à la conclusion que ce rééquilibrage nous sera imposé. Nous sommes arrivés à ce que j’appelle le « zénith de la tête », à une situation où il n’y a plus de places libres dans l’économie du savoir, mais où nos concitoyens ont grand besoin de trouver des emplois rémunérés.

L'essayiste britannique David Goodhart © D.R.
L’essayiste britannique David Goodhart © D.R.

Vous faites une distinction dans votre livre entre les récompenses matérielles et le statut social : quelle en est l’importance ?

En général, le statut social va de pair avec l’argent, mais on peut les séparer dans une certaine mesure. C’est une des leçons de la pandémie. Nous avons applaudi les médecins et les infirmiers, mais nous avons applaudi aussi toutes ces personnes, souvent des smicards, qui remplissaient les rayons dans les supermarchés, conduisaient les camions, servaient aux caisses. La plupart du temps, on ne pensait même pas à elles et soudain, nous avons découvert combien elles étaient vitales pour notre existence. Nous avons découvert qu’elles aussi méritaient notre respect. Il y a une grande ironie dans le fait qu’autrefois, pour faire peur à nos enfants et les inciter à faire plus d’efforts à l’école, nous leur disions qu’ils finiraient par travailler dans un supermarché. En fait, le supermarché est un des derniers endroits où quelqu’un pourvu de qualifications minimales peut encore faire une carrière et monter en grade. Il reste un autre préjugé dans ce domaine. Ce genre de métier manuel est mal considéré, parce qu’il ne semble pas donner lieu à une forme d’épanouissement de soi. Pour les élites, seuls les métiers permettant l’expression de talents uniques et personnels méritent reconnaissance. Commençons plutôt par donner à ces gens des perspectives de carrière et un revenu convenable permettant une vie décente.

Vous ne vous contentez pas d’expliquer comment nous en sommes arrivés là, vous faites de la prospective. Les futurologues diffusent souvent des visions anxiogènes de l’avenir où la montée des robots et de l’intelligence artificielle finit par provoquer une véritable hécatombe sur le marché du travail pour les humains devenus superflus.

Je suis plutôt optimiste. Si l’automatisation a déjà détruit beaucoup d’emplois manuels, l’intelligence artificielle sonne le glas d’un certain nombre d’emplois cognitifs. Les activités intellectuelles susceptibles d’être routinisées, certains aspects de la comptabilité, du diagnostic médical ou du travail d’un directeur de banque, seront confiées à des algorithmes. Avec l’intelligence artificielle, l’économie se focalisera sur des activités à plus forte valeur ajoutée dans les trois domaines de la tête, de la main et du cœur. Cela nous permettra de corriger l’inadéquation qui existe entre notre système d’éducation et le marché de l’emploi. Nous surproduisons des diplômés destinés à des emplois cognitifs qui n’existent déjà plus. Attention : il serait trop facile de caricaturer mon argument. Je crois qu’il restera essentiel de développer des intelligences puissantes. Que ce soit pour développer des vaccins contre les virus ou pour extraire le carbone de l’atmosphère, l’humanité a probablement plus besoin que jamais de son intelligence pour résoudre les problèmes qu’elle a créés.

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« Hold-up »: quand l’esprit de contradiction systématique mène au complotisme

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Capture d'écran YouTube

Dans le documentaire Hold-up, chercheurs, médecins, mais aussi citoyens lambda, reviennent sur la pandémie de Covid-19, les origines du virus et les réponses des autorités face à la pandémie. L’ambition était noble, mais à vouloir apporter à tout prix la contradiction aux thèses les plus propagées par les grands médias, le documentaire se fourvoie dans le complotisme.


Le documentaire Hold-up commençait pourtant bien. Oui l’extension du masque à la population générale est discutable, d’autant plus que l’OMS a toujours émis des doutes sur son efficacité chez des personnes qui le portent souvent de manière inappropriée (sous le nez, mauvais ajustement, réutilisation, manipulation sans se désinfecter les mains, etc.).

Oui le confinement total est un moyen archaïque et très discutable de répondre à une pandémie. Et si, comme le souligne Michael Levitt, prix Nobel de Chimie, on peut pardonner un premier confinement, persévérer dans cette stratégie aux effets néfastes multiples parfois mortels est diabolicum. Lorsqu’un chauffeur de taxi confie son incompréhension face aux mesures sanitaires prises par le gouvernement, il semble évoquer de façon brouillonne le dilemme du tramway utilisé par les chercheurs en sciences cognitives qui étudient la morale : un tramway dont on a perdu le contrôle fonce sur cinq ouvriers. Dans un cas, vous pouvez modifier l’aiguillage via une manette qui ferait dévier le tramway sur une autre voie où se trouve un seul ouvrier : celui-ci mourrait mais permettrait de sauver les cinq autres. Dans un autre cas, vous pouvez pousser un homme obèse qui se trouve sur une passerelle et qui grâce à son poids arrêterait le tramway et sauverait les cinq ouvriers. Certes c’est grotesque mais chaque fois c’est le même résultat : en moyenne 90% des personnes répondent qu’elles activeraient la manette mais refuseraient de pousser l’obèse. Comme la majorité des Français, le gouvernement n’est pas capable d’assumer la mort immédiate de personnes âgées et/ou comorbides atteintes de la Covid-19, mais est prêt à supporter les décès indirects du confinement, et ce même s’ils peuvent être plus nombreux et concerner des personnes plus jeunes.

A lire aussi, Alexis Brunet: Pourquoi il faut regarder le documentaire «Hold-up»

Non, le gouvernement n’est pas assoiffé d’autoritarisme comme on l’entend dans le documentaire. Il est, comme le reste de la population, pétri de moraline, et pour la justifier il fait peur, se fait peur, car rien de plus contagieux que cette émotion primitive. Comme le rappelle un des intervenants dans le documentaire, « à partir du moment où vous faites croire à quelqu’un qu’il est en danger de mort vous en faites ce que vous voulez ». Une étude menée auprès d’habitants de 96 pays a montré qu’à mesure que la menace perçue de la pandémie de Covid-19 augmentait dans les populations, l’influence de l’orientation politique (être conservateur ou libéral) sur la peur liée à la pandémie disparaissait tandis que l’influence de la personnalité (propension à être anxieux, difficulté à gérer le stress) persistait[tooltips content= »Lippold et al., Frontiers in Psychology, 2020. »](1)[/tooltips]. En clair, plus la mort parait imminente et plus on arrive à un consensus politique sur la nécessité d’agir vite et fort, et cette propension repose sur un mécanisme non rationnel, celui lié à la difficulté à gérer la peur.

Létalité, hydroxychloroquine, Big pharma…

Oui il faudrait s’interroger sur ces projections erronées de 400 000 morts liés à la Covid-19 en l’absence de confinement faites à partir de données que l’on commençait tout juste à accumuler. On peut regretter d’ailleurs que le documentaire n’explique pas clairement en quoi ce chiffre s’est avéré être faux plutôt que de se perdre une nouvelle fois en conjectures complotistes. Comme le démontre simplement dans un journal médical le Pr. Dominique Baudon, médecin spécialiste de santé publique et de maladies infectieuses, si l’on prend une létalité désormais admise de 0,5% pour la Covid-19, pour atteindre les 400 000 décès en France il faudrait une population de 80 millions de sujets (400 000 / 0,005)[tooltips content= »Baudon, Journal International de Médecine, 2020. »](2)[/tooltips], loin des 67 millions d’habitants actuels.

Oui il y a une discussion à mener sur le nombre de décès à attribuer à la Covid-19 : il faudrait distinguer les patients morts de la Covid-19 et ceux testés positifs au SARS-CoV-2 et dont l’espérance de vie était conditionnée par leur grand âge ou une pathologie incurable. En accusant les médecins de « coter Covid-19 » leurs patients par mercantilisme comme le font certains dans le documentaire plutôt que par facilité administrative on ferme la porte à un débat qui pourtant mériterait d’être ouvert.

Oui il faudra un jour faire le point sur l’hydroxychloroquine. Bien que les études montrent l’absence d’efficacité notable chez des patients hospitalisés, aucun élément à ce jour ne permet d’affirmer qu’elle ne serait pas efficace chez des patients pas ou peu symptomatiques ou en prévention. Mais penser que les médecins qui ont choisi de travailler dans le secteur public, comme le Pr. Karine Lacombe, porte-voix médiatique du courant scientifique anti-hydroxychloroquine, courent après quelques milliers d’euros au risque de mettre en péril la santé de leurs patients, c’est ignorer l’histoire de ces médecins français qui choisissent une carrière hospitalo-universitaire. Car si on peut leur reprocher parfois un égo démesuré qui compense un salaire loin de l’être, on ne peut croire qu’ils soient cupides. Lorsque l’on assiste au « lynchage » des auteurs de la méta-analyse récente qui soutient l’inefficacité de l’hydroxychloroquine[tooltips content= »Fiolet et al., Clinical Microbiology and Infection, 2020. »](3)[/tooltips], là encore les critiques relayées dans le documentaire ignorent qu’il est normal qu’une méta-analyse élimine des études présentant des biais selon les critères actuellement admis dans la littérature scientifique. Ce qui est critiquable est la dérive de la médecine qui, élevée au rang de science, pâtit des mêmes travers que celle-ci: toujours plus de données pour toujours moins de cerveaux capables de les analyser. Les méta-analyses qui s’éloignent de la médecine personnalisée, pourtant prônée ces dernières années dans les milieux universitaires médicaux, ne nous donnent accès qu’à la face émergée de l’iceberg.

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Oui l’industrie pharmaceutique est plus attachée à vendre des traitements qu’à éradiquer des maladies, ce qui ne veut pas dire qu’en poursuivant son objectif premier elle ne participe pas à traiter efficacement les maladies. Penser que les entreprises pharmaceutiques ou des dirigeants puissants créeraient des maladies comme le laisse parfois entendre le documentaire, c’est prêter bien trop d’intelligence ou de connaissances à une poignée d’êtres humains. La nature reste pour l’heure bien plus douée et a bien plus d’expérience que nous pour créer des formes de vie capables de se propager aux dépens d’autres.

Le retour de Luc Montagnier

Les questions soulevées par ce documentaire auraient mérité plus de rigueur journalistique. Le minimum étant de vérifier les propos de personnes qui ne sont ni médecins ni chercheurs, comme ce lanceur d’alerte qui parle d’une PCR à 50 cycles (en tant que virologue je n’ai jamais vu en France et n’ai jamais rendu un résultat allant au-delà de 40 cycles). On peut regretter aussi que le seul virologue interrogé soit le Pr. Luc Montagnier dont les capacités de raisonnement scientifique laissent à désirer depuis quelques années. Quant aux intervenants plus sérieux comme le médecin et ancien ministre Philippe Douste-Blazy, l’épidémiologiste Laurent Toubiana ou le prix Nobel de Chimie, leurs propos sont noyés dans ce flou complotiste qui rôde tout au long du documentaire et atteint son acmé avec une sage-femme qui découvre pétrifiée l’extrait d’une conférence du Dr. Laurent Alexandre, tronquée à dessein pour laisser entendre qu’il ferait l’apologie d’un homo deus poussé à éliminer les inutiles de la société[tooltips content= »Le Dr. Alexandre au contraire plaide pour une réflexion sur la façon d’inclure ceux qui pourraient ne plus trouver leur place dans une société régie par l’intelligence artificielle. »](4)[/tooltips]. Ce final pathétique à souhait et qui renoue avec le point Godwin (qui avait été atteint plus tôt dans le documentaire) entache définitivement la crédibilité du documentaire. Un documentaire à voir avec beaucoup de modération (intellectuelle).

Présidentielle en Côte d’Ivoire: les leçons tactiques de la victoire d’Alassane Ouattara

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Le président ivoirien Alassane Ouattara s'exprime devant les journalistes après avoir voté le jour de l'élection présidentielle, le 31 octobre 2020. © Leo Correa/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22508632_000009

Alassane Ouattara, réélu dès le premier tour avec 95,3% des voix, entame un troisième mandat de cinq ans. 


Alassane Ouattara peut se réjouir : il a réussi son pari. Alors que les observateurs prévoyaient une situation tendue après la décision de maintenir l’élection au 31 octobre, celle-ci s’est finalement déroulée dans un contexte relativement apaisé. Le scrutin a reçu l’approbation des différentes missions d’observation présentes sur le terrain. L’heure est désormais au dialogue avec l’opposition – appelé de ses vœux par Alassane Ouattara et déjà en partie matérialisé par la rencontre, ce 11 novembre, entre le Président et Henri Konan Bédié, son principal opposant – mais aussi et surtout à l’action. Deux mandats n’auront pas suffi à l’homme fort d’Abidjan pour faire profiter à tous les Ivoiriens, de façon inclusive, de la croissance insolente du pays. Beaucoup reste à faire.

Une élection globalement apaisée

Peu après le scrutin, la Mission internationale d’observation des libéraux et démocrate a salué “la maturité exemplaire et le sens des responsabilités élevés” du peuple ivoirien et félicité les organes en charge de l’élection pour la bonne organisation du scrutin. Même son de cloche du côté de l’Union africaine et de la Communauté économique des états de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Cette dernière a même récemment transmis ses félicitations au président Ouattara pour sa réélection, juste après la validation de sa victoire par le Conseil constitutionnel.

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Plus que la victoire d’Alassane Ouattara, ce succès électoral consacre l’échec de l’opposition. En effet, cette opposition disparate, composée d’ennemis d’hier et n’ayant pas d’autres projets que le « Ouattara doit partir » a péché. Elle aurait dû comprendre, elle qui regroupe une bonne partie de ce que la Côte d’Ivoire compte de vieux éléphants de l’univers politique, que la politique de la chaise vide est inopérante. En outre, son appel à la désobéissance civile a été un large échec et pour plusieurs raisons. En premier lieu, le traumatisme de 2010 est trop récent dans la mémoire des Ivoiriens, et peu ont envie d’aller risquer leur vie pour jouer un remake de cet épisode tragique. Ensuite, à part les appels au « dégagisme » ayant ciblé le président Ouattara, l’opposition n’a rien proposé, ou a été inaudible sur ses autres propositions. Enfin, Alassane Ouattara affichait à la fin de son second mandat un bilan à faire pâlir d’envie beaucoup de dirigeants de la planète. Il possédait donc un avantage certain.

Plutôt que de louvoyer, l’opposition aurait dû battre campagne, jouer selon les règles, même si elle ne les a pas édictées, et présenter un candidat unique. Si mathématiquement, elle avait de sérieuses chances de mettre en difficulté le président sortant, l’opposition aura péché par son égoïsme et ses petits calculs. Plus portée sur les déclarations tapageuses que sur l’action véritable auprès des populations, elle doit aujourd’hui prendre acte de sa défaite, et consolider ses propositions de réponses aux véritables problèmes des Ivoiriens en vue des prochaines élections.

Le jour d’après

Plus que l’organisation du scrutin qui, à quelques incidents près, s’est déroulé dans le calme, l’après-scrutin est riche d’enseignements. Il y a 10 ans, l’annonce de la victoire d’Alassane Ouattara sur son rival d’alors, Laurent Gbagbo, avait plongé le pays dans le chaos, ce dernier ne souhaitant pas reconnaitre sa défaite. S’en était suivie une crise post-électorale ayant entrainé la mort de plus de 3 000 Ivoiriens. En 2020, en dépit des prévisions pessimistes des Cassandre, le pays a survécu, preuve de son désir de tourner la page d’une histoire tragique. La raison en est simple: les Ivoiriens ont préféré laisser sa chance à un système, qui, quoiqu’imparfait, éloigne les spectres du passé. La rencontre entre Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié, ce mercredi 11 novembre, ayant « brisé la glace » et « rétabli la confiance » selon les deux intéressés, même si elle n’est qu’un prélude à un processus d’apaisement qui devrait prendre plusieurs mois, traduit bien ce changement de paradigme, et consacre symboliquement la primauté du vote et du dialogue sur la rue et les armes.

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Le passage du cap dangereux des élections ne doit cependant pas inviter à percevoir la victoire d’Alassane Ouattara comme un blanc-seing. Sous la présidence de l’actuel chef d’État, le pays s’est hissé en tête des pays les plus riches d’Afrique de l’Ouest, selon une récente étude de la Banque mondiale. Avec un PIB par habitant de 2 286 dollars à la fin de l’année 2019, la Côte d’Ivoire devance le Ghana et le Nigeria. Le fait que sa croissance moyenne se soit établie, au cours des huit dernières années, à 8,3%, n’y est sans doute pas pour rien. La nation éburnéenne peut en outre se vanter de progressions impressionnantes ces dernières années au classement Doing Business de la Banque Mondiale, ainsi que d’être le pays ayant enregistré la plus forte progression au sein du classement Mo Ibrahim de la gouvernance africaine (fondé sur des critères de sécurité et d’état de droit, de droits humains, de développement économique et humain). Reste qu’une grande partie de sa population souffre toujours de pauvreté, problématique à laquelle n’a qu’en partie répondu le passage en 2013 du salaire minimum de 36 000 à 60 000 FCFA.

Pas assez inclusive, la croissance ivoirienne ? Ouattara ne peut le nier. Le lundi 9 novembre, son premier message à la Nation depuis sa réélection y faisait d’ailleurs référence : « Place maintenant au temps de l’action. Et l’action pour moi, c’est le Projet de la Côte d’Ivoire Solidaire pour lequel j’ai été élu et qui va accélérer la transformation économique et sociale de notre pays, par une croissance plus inclusive. » Dont acte ? Réponse en 2025.

Retour à Athènes

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Jean-Michel Delacomptée. Photographe: Hannah Assouline

 

On s’est souvent gaussé du discours de Jules Ferry à l’Assemblée, le 28 juillet 1885. Affirmer « Il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures… » sonne mal à nos oreilles de droits-de-l’hommistes persuadés qu’il y a une dignité égale de toutes les races et de toutes les civilisations.

Si sur le premier point cela va de soi — il n’y a pas de race inférieure, quoi que vous mettiez sous le mot « race » —, il n’en est pas de même en ce qui concerne le second. La formule de Samuel Huntington, le « choc des civilisations », remonte à 1996. Elle a été maintes fois critiquée par les belles âmes, sauf qu’elle s’est révélée, au fil des guerres effectives et des attentats, d’une redoutable clairvoyance. La mondialisation amène en contact immédiat des régimes, des civilisations et des croyances qui se sont ignorées pendant des siècles, parce que l’éloignement géographique interdisait de fait le contact. Mais voilà, deux clics d’ordinateur mettent aujourd’hui le Pakistanais le plus rétrograde à portée de kalachnikov de n’importe quel caricaturiste français, qu’il vilipende instantanément et brûlerait volontiers dans un grand pogrom de ses œuvres.

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D’aucuns nous préviennent alors qu’il faut ménager les susceptibilités de ces gens-là, faire preuve de tact, ne pas offenser leurs superstitions, etc.

Jean-Michel Delacomptée, écrivain très estimable (Notre langue française — 2018 — est un bon livre, même si son auteur, soucieux de plaire aux Académiciens qui l’ont couronné, ne rentre guère dans le détail de cette langue en lambeaux enseignée dans nos écoles, grâce à une habile politique pédagogique) vient de se fendre sur le sujet d’un article intéressant dans le Figaro du 14 novembre.

Soucieux de défendre la chèvre et le chou, le couscous et le cassoulet, il évoque l’ombre de Jules Ferry pour relativiser notre belle ambition d’universaliser les valeurs sur lesquelles s’est fondée notre République : « Défendre la liberté de conscience dans les pays de confession musulmane représente une tâche d’une extraordinaire difficulté. Blasphème, apostasie, contestation de la parole coranique y suscitent opprobre, procès, prison, crimes de sang. Penser que l’on peut, en republiant les caricatures dans le cadre du procès des attentats de janvier 2015, opposer la grandeur de la liberté de conscience à l’obscurantisme qui ronge ces pays relève de la même illusion que celle qui conduisit les Etats-Unis à tenter d’imposer par la force la démocratie en Irak. Vient aussi à l’esprit l’exemple de la IIIe République qui, alléguant un souci d’authentique humanisme, prétendit apporter aux peuples « moins avancés » les lumières de la civilisation. »

Et de résumer : « L’universalisme de nos valeurs fait à juste titre notre fierté, mais il nous leurre. »

De là à conclure que nous devrions ménager les susceptibilités de gens qui nous achètent des Vache-qui-rit et des Mirages, il n’y a qu’un pas. Sauf que de la précaution à la soumission, il n’y a aussi qu’un pas.

Les Athéniens du Ve siècle ne prétendirent jamais imposer leur mode de vie aux Perses — il faudra attendre l’ambition d’Alexandre pour en arriver là, et surtout le délitement de l’empire du Grand Roi. Ils appelaient « barbares » ceux qui ne partageaient ni leur langue, ni leurs coutumes. Le mot n’avait rien de péjoratif en soi, c’était une distinction géographico-linguistique, à une époque où Ninive ou Babylone étaient juste de beaux noms vagues, à des distances prodigieuses — pas des réalités déboulant sur l’écran de l’ordinateur ou sous le couteau des assassins. De même, ils avaient baptisés « métèques » les citoyens qui n’étaient pas d’extraction athénienne, et auxquels ils refusaient les droits des citoyens.

Peut-être faut-il en revenir à Athènes. Comprendre que les pays qui nous abreuvent d’injures sont juste des barbares. Que ceux qui chez nous les imitent, et que nous avons importés en grand nombre, le sont aussi. Qu’il faut un bon bout de temps pour qu’un barbare d’importation devienne citoyen français de plein droit — et nous devrions peut-être réintroduire des distinctions entre habitants de l’Hexagone, selon l’acquisition des Lumières sur lesquelles est fondée notre civilisation : j’avais tenté d’expliquer cela en écrivant Voltaire ou le jihad. Lis l’Encyclopédie, récite le Dictionnaire philosophique, adhère au discours des Lumières, ou résous-toi à n’avoir qu’un statut de métèque athénien – littéralement, « celui qui a changé de résidence ». Tant que tu n’épouses pas les valeurs de notre civilisation, ne t’étonne pas que nous rejetions la greffe.

Les Allemands n’ont pas de ces pudeurs de vierges. Leurs Turcs d’importation restent des Turcs longtemps. Ça ne les empêche pas d’œuvrer à la grandeur de l’Allemagne.

Respecter les croyances, en ces temps d’exacerbation des passions, revient très vite à respecter des fanatismes — et aucun fanatisme ne peut être accepté dans une France des Lumières. C’était le sens de l’intervention célèbre du comte de Clermont-Tonnerre en décembre 1789, à propos des Juifs : « « Il faut tout refuser aux Juifs comme nation et tout accorder aux Juifs comme individus ». La création par Napoléon du Consistoire en 1808, qui permit l’intégration pacifique de tant d’Israélites qui étaient persécutés en raison de leur religion, s’inscrit dans cette optique.

Il est inconcevable que nous acceptions — et il n’est pas trop tard, tant que la démographie ne crée pas une situation irréversible qui nous ferait basculer dans la tyrannie des barbares — la constitution de « communautés » faisant pratiquement nation dans certaines périphéries urbaines. Inconcevable que l’École, qui devrait être le berceau commun d’où émergent tous les citoyens français, se soit résignée à tolérer des discours séparatistes, voire criminels. Si nous n’avions pas laissé des pédagogues en mal de démagogie instaurer, depuis la loi Jospin (1989), le droit des élèves à proférer des insanités, nous ne verrions pas des gosses de 15 ans vendre leur prof d’Histoire à un assassin pour une poignée de cacahouètes.

Oui, il y a des barbares dans nombre de pays. S’ils ont envie de se soûler de sables et de corans, à leur guise. L’époque où nous avions l’illusion de pouvoir les éduquer aux Lumières est bien passée, et le colonialisme n’a jamais apporté que des rancœurs mal digérées : pensez, nous les avons guéris de la fièvre jaune, de la malaria, de l’esclavage, du tribalisme, et autres joyeusetés qui constituent le fond de leur civilisation — aussi respectables, à distance, que celle des Perses pour les Athéniens.

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Quant à ceux qui sont aujourd’hui présents sur le sol français, il faut les intégrer. Cesser de prétendre que la démocratie nous impose de respecter leurs superstitions. Justement, comme je l’expliquais il y a peu, la démocratie n’est pas la république. Alors, « Français, encore un effort si vous voulez être républicains » — et cessez de plaindre ou même de « comprendre » ceux qui encensent les égorgeurs. Éduquons-les, ou rejetons-les.

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Ségolène Royal: l’apologie de la lâcheté?

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Vidéo. Hier sur CNews, Ségolène Royal a ressuscité le délit de blasphème. Élisabeth Lévy réagit.


La jeune Mila est encore et toujours la cible d’attaques et parfois d’appels au meurtre. Son tort ? Être restée dans les clous de la loi en ayant insulté une idéologie, mais jamais les croyants en tant qu’individus. Voilà que Ségolène Royal, hier, au nom d’une fraternité – un mot fort dévoyé -, rêve presque d’un retour au délit de blasphème.

À propos des caricatures, l’ancienne ministre socialiste a en effet affirmé qu’elles « bless[aient] des millions de personnes à travers le monde ». Et s’est ainsi désolidarisée de la ligne politique d’Emmanuel Macron, avant d’ajouter: « La liberté d’expression ne permet pas de dire et de faire n’importe quoi. » Le tout, au nom de la fraternité.

Ségolène Royal toujours à côté de la plaque

Ce matin sur Sud Radio, Élisabeth Lévy a réagi à ces déclarations problématiques sur la liberté d’expression.

Pour la directrice de la rédaction de Causeur, « Ségolène Royal ressuscite un délit de blasphème aboli par la Révolution ». Une fois encore, elle rappelle qu’il ne faut pas se fourvoyer et confondre « l’insulte à une religion, un dieu ou un prophète » avec « la haine des croyants ».

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Non sans ironie, Elisabeth Lévy a également rappelé le triste sort de la jeune Mila, menacée de mort par des islamistes et de nombreuses personnes sur les réseaux sociaux:

« Si une jeune fille de 16 ans peut le comprendre, une ancienne ministre aussi!»

Pour notre directrice, «Ségolène Royal et tous les autres adeptes du ‘Oui mais’» défendent une fraternité qui «ressemble plutôt à une apologie de la lâcheté.»

Causeur vous propose de visionner l’intégralité de son intervention matinale:

>>> Retrouvez le regard libre d’Elisabeth Lévy du lundi au vendredi à 8h15 dans la matinale de Sud Radio <<<

Christine Lagarde, dernier rempart face à la crise?

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Christine Lagarde. © Action Press/Shutterstock/SIPA Numéro de reportage : Shutterstock40790926_000082

La Banque centrale européenne (BCE) joue un rôle clé dans la survie de la monnaie unique. En manipulant les taux, elle permet aux États de continuer à assurer le service de leur dette, qui apparaît de moins en moins comme un problème.


Christine Lagarde a célébré ce 1er novembre son premier anniversaire à la tête de la Banque centrale européenne (BCE). Mais l’heure n’était pas à la fête. Les mesures de restrictions et de confinement se mettent en place partout en Europe, et laissent augurer une dégradation de l’activité économique au quatrième trimestre. Fin octobre, la BCE a déclaré qu’elle annoncerait de nouvelles mesures de soutien à l’économie le 10 décembre. La plupart des économistes anticipent un relèvement de l’enveloppe du programme d’achats d’urgence lié à la pandémie (PEPP) de 500 milliards d’euros (après avoir augmenté de 750 à 1.350 milliards d’euros en juin).

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La présidente de la BCE encourage les États à dépenser sans compter, ce qui est finalement peu surprenant de la part de l’ancienne ministre de l’économie de Nicolas Sarkozy qui aura réussi l’exploit en seulement quatre ans (2007 à 2011) d’augmenter la dette publique de 500 milliards d’euros. Pour sa défense, la crise des subprimes est passée par là, mais elle avait été largement sous-estimés par la ministre. Ne déclarait-elle pas en novembre 2007: «La crise de l’immobilier et la crise financière ne semblent pas avoir d’effet sur l’économie réelle américaine. Il n’y a pas de raisons de penser qu’on aura un effet sur l’économie réelle française» ? Ses compétences d’ancienne championne de natation l’auront sans doute aidée à surnager dans cette crise, pour se retrouver propulsée à la tête du FMI. Quoi de mieux qu’une professionnelle du barreau pour remplacer DSK au pied-levé, empêtré dans ses ennuis judiciaires liés au scandale du Sofitel? Directrice générale du FMI, elle opère un changement de braquet (confirmant l’adage que la fonction fait l’homme, ou la femme) en exhortant les pays à réduire leur endettement public et réaliser des économies, estimant même que la dette publique accumulée par les pays riches approche des niveaux atteints en «temps de guerre». Une fois présidente de la BCE, elle retourne sa veste (sur laquelle elle épingle une petite chouette dorée) en incitant à la dépense publique. La chouette est censée représenter la sagesse et la prudence mais, au vu de son parcours, la girouette paraît plus appropriée.

Un remède pire que le mal

En revanche, il y a un point sur lequel elle affiche une véritable constance: c’est son engagement pour la cause des femmes, plaidant pour une économie plus féministe: «Les institutions financières doivent donner l’exemple, et promouvoir la féminisation de l’économie en général, car c’est bon pour la croissance mondiale.» Cette femme de pouvoir convaincue que la féminisation des instances dirigeantes des banques s’accompagne d’une diminution des risques financiers, va même jusqu’à dire: «Si Lehman Brothers s’était appelée “Lehman Sisters”, la situation des banques en 2008 aurait été bien différente.» Une déclaration qui doit laisser Alice Coffin admirative.

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Alors si des femmes dirigeantes auraient pu éviter la crise de 2008, Christine Lagarde veut être celle qui empêchera la disparition de l’euro. La BCE joue en effet un rôle clef dans la survie de la monnaie unique en manipulant les taux afin de permettre aux États de continuer à assurer le service de leur dette qui apparaît de moins en moins comme un problème. La politique monétaire permet ainsi aux États de gagner du temps, et du temps il en faut, la mise en place du plan de relance budgétaire de l’Union étant longue et fastidieuse. Voté l’été dernier, les fonds ne devraient pas être disponibles avant l’été prochain.

La BCE continue d’administrer un remède pire que le mal, à savoir une politique de taux bas alimentant la dette, pénalisant les épargnants et alimentant des bulles. Christine Lagarde hulule: «il n’y a pas de limite à notre engagement pour l’euro», repoussant toujours plus loin les limites en termes d’injections de liquidité et de monétisation de la dette publique, à tel point que son prédécesseur Mario Draghi (l’homme du «whatever it takes ») fait désormais pâle figure. Avec cependant le risque d’un éclatement qui sera encore plus brutal, et où le risque de contagion sera plus difficile à maîtriser que la propagation du virus. Et cette fois, il sera difficile de blâmer le manque de diversité au sein des instances de gouvernance comme cause de dysfonctionnement du système.

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