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On achève bien la méritocratie

La crise du coronavirus en France est aussi une crise du "post-national"


On achève bien la méritocratie
20 heures à Saint Mandé, pendant le confinement en mai 2020 © Aurelien Morissard CHINE NOUVELLE/SIPA Numéro de reportage: 00959597_000010

Le coronavirus révèle que nous avons grand tort d’abandonner le cadre national au profit d’élites méritocratiques, déconnectées du peuple


Depuis la reconstruction de l’Europe après les deux guerres mondiales, un système de reconnaissance des personnes qui constitueraient la nouvelle classe dirigeante et dont on s’assurerait qu’elle ne nous conduise plus à la guerre a été mis en place.

Ce nouvel ordre social s’appuie sur le mérite comme valeur cardinale. Armées de ce principe, les sociétés occidentales ont souhaité se protéger de la dérive des élites qui nous avaient précisément conduit à l’autodestruction de masse, à la barbarie. Les élites méritocratiques de l’après-guerre nous ont en effet évité de nouvelles guerres, mais pour le reste, l’autodestruction démocratique et biologique est bien un fait de ce début du 21e siècle.

La construction de l’Union Européenne fut l’œuvre d’une élite méritocratique pour elle-même, au mépris des peuples. La crise du coronavirus scelle définitivement son effondrement

Face au coup d’arrêt de la civilisation que représente la crise sanitaire du coronavirus et qui agit comme véritable révélateur d’un système obsolète, nous devons comprendre comment les élites de chaque pays, devenues hors sol et gravitant autour du monde, nous ont conduit vers cette étrange défaite et comment à l’avenir, s’en défendre.

Élites désincarnées, coupées du pays (réel)

Le phénomène qu’il faut décrire pourrait se résumer en une phrase : le système méritocratique, mis en place dans le contexte de la mondialisation et d’instances supranationales, a produit des élites désincarnées peu aptes à prendre les bonnes décisions face à une crise qui concerne leur pays, leurs concitoyens.

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La méritocratie dispose, depuis 1945, d’un rouage essentiel à sa mise en place : la démocratisation scolaire. L’analyse prophétique de Michael Young, inventeur du mot en 1958, imagine le devenir d’une société où la sélection des élites se baserait sur les seuls diplômes obtenus au mérite de leurs efforts accomplis. Un tel système d’échafaudage de la société débouche alors sur une valorisation des méritants et un mépris des non méritants. Il y aurait de fait des « intellectuellement supérieurs » et des « intellectuellement inférieurs ». Revenant sur sa fine prédiction dans le journal britannique The Guardian, Down with meritocraty, en 2001, Michael Young insista sur le caractère hautain et définitif d’une caste de surdiplômés méritant leur place dominante face à une classe de non méritants moralement nue. L’irruption des gilets jaunes français ne fut pas plus belle démonstration. La prophétie de Young se termine par une révolte du peuple face à l’enfermement et l’aveuglement de cette élite méritocratique. Nous y sommes.

Renvoyez l’ascenseur!

La classe dirigeante actuelle n’a pas vu l’appauvrissement et le déclassement toujours plus grands des populations prises dans l’impasse de la mondialisation des échanges et sa version régionale européenne, l’Union Européenne et sa monnaie, l’Euro. Les sociétés sont aujourd’hui en proie aux révoltes populaires, les élites méritocratiques ont échoué. Un renversement est déjà à l’œuvre, bien décrit par Emmanuel Todd autour de son travail sur la lutte des classes au 21e siècle. Les classes populaires et moyennes se sont remplies de personnes intelligentes et compétentes qui n’ont pas pu bénéficier d’un ascenseur social à l’arrêt. Pour accentuer cette fracture, la méritocratie a en réalité sélectionné mécaniquement les profils les plus aptes à se soumettre et à rentrer en conformité. L’enfermement mental de la classe dirigeante est patent. Ce phénomène revêt une force particulière en France, modèle de l’école démocratisée, modèle de la course aux diplômes, modèle d’une vision universaliste de l’Homme.

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Ce que n’avait pas pu percevoir Michael Young, c’est l’effacement progressif des nations, au profit de la gouvernance supranationale mondialisée. Les élites bardées de diplômes se sont détachées de leurs pays pour entrer dans le monde merveilleux d’une vie hors sol et planétaire, laissant la majorité de non méritants se débrouiller entre eux, dans leurs terroirs. Les décisions prises par ces élites furent donc à leur avantage, oubliant leurs pays, oubliant les gens qui allaient rester là, les somewhere de David Goodhart.

Les procédures ont remplacé la prise de décision en responsabilité

La main de l’Homme n’est plus fiable, elle joue contre lui. Nous sommes pris entre une main de l’Homme qui hier conduisait aux guerres et une main de l’Homme qui aujourd’hui conduit à la destruction écologique et démocratique. L’homme méritocratique doit d’abord se déprendre de sa vision qu’il a de lui et de croire qu’il mérite sa place en ayant prouvé, lors de son parcours scolaire, son intelligence supérieure. Il doit ensuite s’extraire du piège idéologique qui est de croire que l’effacement des nations nous a préservé des guerres et que la menace écologique et démocratique ne peut se résoudre qu’à l’échelle supranationale. Le système méritocratique d’après-guerre a aussi veillé dans les détails à ce que l’Homme ne décide plus, trop risqué. Est apparue alors une classe dirigeante conformiste dans l’application des cadres et des normes, incapable de choisir, une classe devenue irresponsable malgré elle. Les mots du Professeur Perronne, engagé aux côtés du Professeur Raoult dans la réponse médicale au coronavirus, ont bien décrit cet état : « La médecine est tombée sous la coupe des méthodologistes depuis les années quatre-vingt, au début du SIDA, en disant : tout ce qui n’est pas démontré de façon formelle avec les canons de la science n’existe pas ». La clinique, l’expérience de terrain ont disparu de la pratique. 

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Engluées dans des procédures visant le brouillage des responsabilités et des décisions, les autorités médicales et politiques françaises ont choisi d’attendre que tous les critères scientifiques soient certifiés. La corruption académique, selon l’expression d’Idriss Aberkane, est l’une des conséquences de cette méritocratie fermentée.

L’heure est venue de réhabiliter la nation

La nation est en réalité l’espace de la vie humaine qui est en mesure de répondre à tous les défis du 21e siècle y compris l’entretien vertueux d’une méritocratie renouvelée et vivante. Pour éviter les dérives folles de nos élites, celles-ci doivent régulièrement rendre des comptes à la souveraineté populaire. Les expériences humaines contenues dans cette communauté de destin qu’est la nation seront toujours plus grandes qu’une série de diplômes qui n’est qu’une formalisation arbitraire, dans un contexte donné, d’une certaine aptitude à se conformer à une forme de pensée et une forme d’agir.

La nation est une société complexe soutenable susceptible d’augmenter l’humanité de l’Homme. Elle lui fournit d’abord et avant tout l’accès aux nécessités biologiques, une protection et une identité d’appartenance puis, dans un deuxième temps, une éducation et les moyens d’un possible accomplissement de soi. L’effondrement des sociétés devenues trop complexes démontre toujours leur impossibilité à pourvoir durablement les trois premières fonctions. L’Union Européenne et sa monnaie unique sont entrées dans une hypercomplexité qui ne peut plus fournir une protection biologique, économique et sociale acceptables d’une part, ni une identité d’appartenance dont une communauté de destin a besoin d’autre part. Cette construction fut l’œuvre d’une élite méritocratique pour elle-même, au mépris des peuples. La crise du coronavirus scelle définitivement son effondrement et rend à la nation son espace organique de la civilisation. Les nouvelles élites « renationalisées » sont maintenant tenues de prendre leurs responsabilités sous le contrôle de la souveraineté populaire retrouvée. Les peuples vont vite le faire savoir.

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