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Covid: la justice espagnole, garante des libertés

Outre-Pyrénées, la Cour constitutionnelle a déclaré inconstitutionnel « l’état d’alerte » sanitaire. Selon elle, la menace n’était pas suffisamment importante pour justifier des restrictions massives de libertés. Une décision diamétralement opposée à celle prise par notre Conseil constitutionnel.


Le 14 juillet, un coup de tonnerre retentit dans le ciel politique et institutionnel espagnol. La Cour constitutionnelle déclare inconstitutionnel « l’état d’alerte » (estado de alarma) mis en œuvre par le gouvernement de Pedro Sánchez au début de la pandémie de coronavirus. Validé par le Congrès des députés (chambre basse des Cortes Generales, le parlement), cet état d’alerte a notamment permis d’appliquer un confinement général de la population.

Durant quatre-vingt-dix-huit jours, environ 47 millions de personnes ont ainsi été priées de ne sortir qu’en cas de besoin impérieux. Les exceptions prévues par la loi étaient peu nombreuses (courses de première nécessité, consultations médicales, achat de médicaments, retour dans sa résidence principale, aide aux personnes âgées ou handicapées, etc.) et les conditions plus drastiques qu’en France. À partir du 28 avril 2020, la « désescalade » s’est organisée progressivement. Après la levée définitive de l’état d’alerte, plus aucun confinement national n’est mis en place outre-Pyrénées.

L’exécutif présidé par Pedro Sánchez a voulu réduire au maximum l’intervention de tout contre-pouvoir

L’état d’alerte, qui peut être décrété pour quinze jours (renouvelables par un vote du Congrès des députés), fait partie des régimes d’exception prévus dans la Constitution espagnole de 1978 (article 116), notamment en cas de pandémie ou de catastrophe de grande ampleur. Cette figure juridique est à l’époque contestée par une partie de l’opposition. De fait, c’est le parti de droite « radicale » Vox qui porte l’affaire devant la Cour constitutionnelle, estimant la mesure attentatoire aux libertés publiques.

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Divisée et visiblement ennuyée face aux conséquences éventuelles d’une décision de censure, la Cour constitutionnelle met du temps à statuer. Six magistrats se prononcent en faveur de l’annulation de l’état d’alerte et de ses conséquences légales, tandis que cinq s’y opposent.

La gauche espagnole ainsi que les médias et commentateurs qui en sont proches réagissent au quart de tour. Une certaine presse va jusqu’à parler de « prévarication » de la Cour constitutionnelle ou de sentence « illégale ». Partenaire minoritaire de la coalition au pouvoir à Madrid, Unidas Podemos s’emporte contre le pouvoir judiciaire. La toute nouvelle ministre de la Justice, la socialiste Pilar Llop, critique elle aussi la décision du haut tribunal. Pour l’équipe de Sánchez, non seulement la Cour a frappé d’inconstitutionnalité une loi qui a sauvé des vies, mais elle a au passage donné raison à Vox – alors même que certains magistrats « progressistes » du haut tribunal ont voté en faveur du recours.

Étrange raisonnement, qui dévoile une conception particulière de l’indépendance du pouvoir judiciaire.

Des répercussions pas si anodines

On peut trouver curieuse cette sentence a posteriori, le confinement concerné remontant à l’année dernière. Outre la portée symbolique de cet arrêt, les conséquences légales ne sont pas nulles, puisque l’on assiste désormais à une avalanche de recours visant à faire annuler les amendes infligées pour non-respect des mesures sanitaires.

De plus, selon les attendus de la sentence, le gouvernement espagnol a eu recours à l’état d’alerte, plutôt qu’aux contraignants états d’urgence (estado de excepción) et de siège (estado de sitio), afin d’éviter le contrôle parlementaire accru que ces deux derniers entraînent. En d’autres termes, l’exécutif présidé par Pedro Sánchez a voulu réduire au maximum l’intervention de tout contre-pouvoir. La nécessité de sauver des vies justifie d’autant moins cette politique que le gouvernement a commencé par minimiser la gravité de la pandémie et tardé à prendre des mesures. L’opposition considère d’ailleurs qu’il s’est rendu responsable de nombreux décès par ses tergiversations initiales.

Un passeport sanitaire retoqué

La justice espagnole ne s’est pas arrêtée là. Au début de cette année, l’arrivée des vaccins contre le coronavirus a été accueillie avec soulagement outre-Pyrénées. Malgré un net retard à l’allumage, comme dans le reste de l’Union européenne, au 23 juillet, plus de 67 % des Espagnols âgés de plus de 12 ans avaient ainsi reçu leurs deux doses de vaccin, tandis que près de 9 % supplémentaires étaient partiellement protégés. Un record mondial parmi les pays peuplés d’au moins 30 millions d’habitants, qui s’explique par la quasi-absence d’antivax et par une excellente organisation. Désormais, de nombreuses régions espagnoles proposent une première dose vaccinale sans rendez-vous et certains « vaccinodromes » ouvrent leurs portes vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Pedro Sánchez préside la XXIVe conférence des présidents de communautés autonomes, Salamanque, 30 juillet 2021. © EFE News Agency

Face à ce franc succès, certaines communautés autonomes ont commencé à réfléchir à l’application d’un passeport sanitaire comparable à celui que nous connaissons en France, concernant essentiellement la restauration, les lieux touristiques et les établissements de loisirs. L’idée a germé au sein d’exécutifs régionaux d’orientation politique différente – depuis la droite d’Alberto Núñez Feijóo (président de la Galice) ou de Juan Manuel Moreno (qui préside l’Andalousie), jusqu’à la gauche de Ximo Puig (qui dirige la Communauté valencienne). Le gouvernement estime pour sa part qu’un document de ce type créerait une discrimination entre Espagnols et renvoie donc la balle dans le camp des régions, qui se plaignent amèrement de l’absence d’une législation d’ensemble. Cela ne les empêche pas de légiférer mais, rapidement, les recours en justice viennent contrarier leurs plans.

Invariablement, les plus hautes juridictions régionales cassent l’application d’un passeport sanitaire. C’est le cas en Andalousie, aux îles Canaries, en Cantabrie, en Galice et dans la ville autonome de Melilla. L’Andalou Juan Manuel Moreno et son gouvernement décident de porter l’affaire devant la Cour suprême espagnole qui, le 18 août, ferme la porte au passe en donnant raison à la cour supérieure de justice de Grenade. La décision est nécessairement appelée à faire jurisprudence dans les autres communautés autonomes. À l’heure actuelle, seules les îles Baléares maintiennent encore une forme de passeport comparable pour accéder aux maisons de retraite ou à certains grands événements publics. Toutefois, cette mesure est elle aussi susceptible d’être rejetée par la justice.

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La justice espagnole dans son ensemble prend donc le contrepied de notre Conseil constitutionnel. S’appuyant sur la Constitution de 1978, elle estime que la menace sanitaire n’est pas suffisamment importante pour justifier des restrictions aussi massives des libertés. Les juges invoquent le droit à l’intimité (article 18 du texte constitutionnel) et le principe de non-discrimination entre Espagnols (article 14).

De même, la vaccination obligatoire a peu de chances d’aboutir outre-Pyrénées. La majorité des juristes estiment en effet qu’elle contreviendrait à l’article 15 de la Constitution. (« Toute personne a droit à la vie et à l’intégrité physique et morale. Nul ne peut, en aucun cas, être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants. ») Elle risquerait également de porter atteinte au principe d’« autonomie de la volonté » établi par la loi d’autonomie du patient, votée en 2002. La Cour constitutionnelle elle-même s’est prononcée en ce sens le 23 juillet dernier, suspendant une partie d’une loi galicienne qui prévoyait la vaccination obligatoire contre le Covid-19.

Le gouvernement de Pedro Sánchez a pour l’instant écarté toute mesure de ce type dans le pays, y compris pour des secteurs précis de la population (les enseignants ou les soignants, par exemple). Il faut dire qu’il n’existe aucun vaccin obligatoire outre-Pyrénées, pas même pour les nourrissons ou les enfants, et que la loi organique de 1986 qui prévoit l’obligation vaccinale dans certains cas est appliquée assez souplement. Aussi bien la ministre de la Santé Carolina Darias que la ministre de l’Éducation et de la Formation professionnelle, Pilar Alegría, ont jusqu’à présent rejeté toute contrainte en la matière pour les travailleurs qui dépendent de leur ministère.

Une cascade de décisions

Notons que la justice ibérique a également retoqué d’autres restrictions régionales. En Catalogne, elle a rejeté par deux fois un décret régional qui visait à imposer un couvre-feu à 148 communes au mois d’août, le réduisant à 19 villes. De son côté, la Cour suprême a interdit au gouvernement de Castille-La Manche d’imposer des tests systématiques pour les employés des maisons de retraite.

Il y a fort à parier que l’actualité espagnole va continuer à s’agiter dans ce domaine au cours des prochains mois, même si les partisans d’un « passe sanitaire » ne désarment pas. La Justice s’inscrit ainsi dans la droite ligne de l’école juridique de Salamanque qui, à l’âge moderne, confirmait en Espagne les libertés individuelles et collectives.

«Je suis choqué de voir à quel point les jeunes de ma génération se sont habitués à vivre en insécurité»

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Guilhem Carayon, 22 ans, est le nouveau président des Jeunes Républicains. Fils d’un ancien député UMP du Tarn, ce jeune homme au physique de rugbyman ne pratique ni la langue de bois, ni la flagornerie avec les barons LR. À la veille du congrès des Républicains, interview d’un militant en rupture avec « les politiciens véreux de tous bords, qui récitent des éléments de langage, et qui dégoutent les jeunes d’aller voter »…


Causeur. En 2016, la droite de gouvernement avait pléthore de présidentiables. Cinq ans après, comme au PS, aucun candidat ne s’impose… 

Guilhem Carayon. Aujourd’hui, il n’y a pas de leader naturel chez LR, c’est un fait. Il faut donc un système pour départager les candidats. On se dirige a priori vers une primaire ouverte aux sympathisants de droite. La crainte des organisateurs c’est de réunir moins de monde qu’en 2016, soit quatre millions de votants. Compte tenu de la plus faible notoriété des candidats, ce sera sans doute le cas. Mais je pense qu’une dynamique va se créer autour du candidat qui sortira gagnant du processus de désignation, à condition que son projet soit à la hauteur des enjeux. 

Je fais partie de la génération qui a commencé à s’intéresser à la politique avec Zemmour

Les électeurs peuvent-ils croire à un projet de droite assumé de la part de Pécresse et Bertrand, eux qui ont quitté LR en critiquant sa dérive droitière ? 

Je regrette de départ de Bertrand et Pécresse en 2017. Aujourd’hui, les deux ont compris qu’il fallait se rapprocher de notre famille politique. Dans un match, il faut respecter les règles de l’arbitre. Aujourd’hui, l’arbitre, c’est les Républicains. Et la règle qui a été fixée, c’est celle de l’unité pour battre Emmanuel Macron et relever la France. Que chacun prenne conscience qu’on doit jouer collectif pour gagner cette élection car deux candidats de droite à l’élection présidentielle, c’est la défaite assurée. Est-ce qu’on fait le choix de la victoire ou le choix de la défaite ? C’est ça la question. 

A lire aussi, Sophie de Menthon: Pourquoi pas un ticket Pécresse / Bertrand pour la présidentielle?

La France n’a jamais autant penché à droite, et pourtant aucun candidat LR ou ex-LR ne semble en mesure d’atteindre le deuxième tour. Pourquoi ? 

La vérité de septembre n’est jamais celle du printemps. La campagne n’a pas démarré, et je pense que la droite peut gagner si elle assume ses valeurs. Je note que les candidats tiennent aujourd’hui un discours très ferme, très à droite, en parlant d’identité, de fierté française, avec des mots qu’on n’utilisait plus depuis longtemps dans notre camp. La droite parlait d’intégration, presque tout le monde parle maintenant d’assimilation sans sourciller, car c’est la tradition française. Il n’y a plus de tabou. 

La popularité soudaine d’Eric Zemmour, sur une ligne politique proche du RPR, profite-t-elle de l’incapacité de LR à parler du réel aux Français? 

Je fais partie de la génération qui a commencé à s’intéresser à la politique avec Zemmour. Nous sommes nombreux à l’avoir vu défier les idéologues de gauche sur les plateaux télé et à la radio, souvent avec brio. Je trouve qu’il s’est radicalisé assez récemment. Son constat général sur les problèmes de la société française reste à mon sens pertinent, mais je lui reproche de le dire de manière trop caricaturale. Et parfois insupportable, comme lorsqu’il parle des femmes. Ou pire, quand il place sur le même plan la haine de la France de Mohamed Merrah, et ses victimes juives de l’école Ozar Hatorah de Toulouse, inhumées en Israël…  Comme si ce choix des familles des victimes était un affront à la France ! C’est d’une stupidité et d’une violence inouïe. Chacun sait que les juifs ne sont pas en sécurité dans notre pays à cause de l’antisémitisme, et que les cimetières juifs sont régulièrement profanés. Comment peut-on dire une chose pareille et vouloir devenir président ? 

Quels sont les enjeux principaux de la présidentielle pour les militants de votre génération ? 

D’une manière générale, l’État doit se concentrer uniquement sur le régalien, avec efficacité, et cesser de vouloir s’occuper de tout, comme le dit très bien David Lisnard. Gagner la présidentielle doit aussi nous permettre de retrouver notre souveraineté juridique sur la question migratoire. Je suis choqué de voir à quel point les jeunes de ma génération se sont habitués à vivre en insécurité. Toutes mes amies trouvent normal d’éviter les jupes et de prendre un Uber pour rentrer de soirée. Elles ont intégré le fait que marcher seule ou prendre les transports en commun le soir n’était plus possible dans la plupart des grandes villes. C’est hallucinant ! Les jeunes hommes ont aussi intégré le fait de baisser les yeux ou de changer de trottoir quand ils croisent une bande de racailles, car ils savent que les gars vont chercher les embrouilles systématiquement. Pour ma génération, l’ensauvagement de la société, c’est le quotidien. Mais peu de jeunes s’en plaignent, comme par « soumission », comme dirait Houellebecq, devant une situation devenue banale en France. 

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Et pourtant, votre génération est majoritairement pour la société multiculturelle, anti-laïcité, sensible au wokisme, au racialisme… 

Le lavage de cerveau de la gauche, des médias et des leaders d’opinion bien-pensants a fonctionné à plein depuis des décennies. Même l’école participe à ce conditionnement. Un sondage montre que 57% des jeunes enseignants soutiennent le port du voile à l’école. Dans ces conditions, comment compter sur eux pour éduquer à la laïcité et à l’universalisme à la française ? Même problème dans les universités ou l’islamo-gauchisme et le wokisme sont très présents. Je connais bien ce phénomène, puisque je suis étudiant à la Sorbonne, un nid woke bien connu. J’ai assisté à l’empêchement par la gauche de la conférence de l’intellectuel algérien Mohamed Sifaoui, qui devait s’exprimer sur la prévention à la radicalisation islamiste. C’était juste après un attentat. Sa conférence a été annulée, car les islamo-gauchistes du « Poing Levé », l’antichambre du NPA, voyait dans sa conférence un instrument de propagande fasciste ! Un comble… On a dépassé le cap du politiquement correct qui régnait jadis dans les facs, nous sommes passés au règne de l’idéologie décoloniale et racialiste. On laisse des profs de facs dire tranquillement en amphi que la police est raciste. Voilà la réalité. C’est une faute que d’avoir laissé cette situation s’enkyster de la sorte depuis 68. Y compris sur le vocabulaire que la droite utilise : on parle de « sans papiers », comme si c’était des victimes, alors qu’il s’agit de clandestins, de personnes en situation illégale. La gauche a imposé sa novlangue et sa politique. C’est bien pour ça qu’on n’expulse pas les  clandestins, car personne n’ose affronter les remontrances de la gauche et des médias. C’est pour cette raison qu’on a 22% d’étrangers dans nos prisons, qui n’ont pourtant rien à faire chez nous puisqu’ils ont commis des crimes. Il est temps que les choses changent. 

Quelle est la légitimité de la droite pour mettre fin à cette situation, quand Barnier, Bertrand et Pécresse ont déjà été au pouvoir ?  

C’est un mauvais procès. La situation du pays est bien pire après Hollande et Macron. Pour que la droite gagne, elle doit convaincre de sa volonté à mener les réformes radicales que les Français attendent. 

Vous avez été élu président des jeunes Républicains. Les 10 000 jeunes que vous représentez sont-ils écoutés par les barons du parti ? 

Clairement oui, précisément parce que nous sommes nombreux. Avant, dans ce parti comme dans les autres, les jeunes servaient à distribuer les tracts et coller les affiches. À la fin on nous remerciait, puis circulez on n’a plus besoin de vous. Les choses ont changé, le mouvement des jeunes LR est indépendant, avec ses propres statuts. Je n’ai donc aucun mal à exposer les idées fortes que nous défendons : stop à l’immigration incontrôlée, expulsion des immigrés illégaux, insécurité, réforme de la justice, fin de l’impunité pénale, libération de l’économie, réforme de l’éducation, soutien au nucléaire. Nous sommes là pour peser sur les débats, pas pour faire de la figuration. Les jeunes comprennent la société, ils ne la découvrent pas dans des fiches ou des notes, ils vivent dedans. Nous sommes d’une génération qui ne se taira pas devant l’effondrement de son pays.


800 000 voix de Harkis seront toujours bonnes à prendre

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Si les mots d’Emmanuel Macron envers les Harkis sont bienvenus, il est difficile de ne pas y voir aussi une stratégie électoraliste. La propension des bons apôtres macroniens à juger de haut leurs futurs adversaires et les thèmes mis en avant par Eric Zemmour est insupportable.


L’arrogance est un défaut détestable mais l’arrogance du pouvoir l’est encore bien davantage. Comme une sorte de pléonasme pervers. Je ne discute même plus des choix politiques, de l’adhésion à tel ou tel parti ou du soutien à apporter à une personnalité plutôt qu’à une autre. Mais de la manière dont ce pouvoir considère tous ceux qui ne pensent pas comme lui et n’appartiendraient pas à ce cercle de la rationalité qui n’éclairerait que le président de la République et LREM. Pour qui nous prennent-ils ?

Faut-il vraiment admirer cette démarche présidentielle fluctuante et racoleuse qui passe de la colonisation crime contre l’humanité au pardon demandé aux Harkis ? En passant par notre ministre de l’Intérieur, petit-fils de Harki, contraint à Alger de rendre hommage aux combattants du FLN et la complaisance présidentielle à l’égard de la famille de Maurice Audin. Ces sinuosités erratiques et contradictoires ne visent qu’à racoler de l’électorat pour 2022 ! 800 000 voix de Harkis seront toujours bonnes à prendre !

Le président Macron se surpasse

Je ne conteste pas qu’en fin de mandat aucun président ne s’est tenu éloigné de la démagogie mais Emmanuel Macron, sans doute persuadé d’être réélu mais continuant par précaution à mettre la main à la pâte, dépasse très largement ce que la tradition démocratique juge acceptable. Avec un cynisme qui n’éprouve même plus le besoin de se voiler, à droite, à gauche, au centre, il flatte, joue de l’émotion, récompense, accumule et multiplie. Plus de six milliards d’aides. Les vannes lâchées à tous points de vue.

Il n’y a plus l’ombre d’une cohérence dans cette machine qui tourne à plein régime et fait feu de tout bois, l’essentiel étant de cueillir et de récolter. Dans la soie et le velours, c’est une honte républicaine. Mais pour qui nous prennent-ils !

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Non seulement le président est en campagne depuis plusieurs mois – c’est sans doute ce qu’on appelle faire son devoir jusqu’à la fin de son mandat ! – mais son entourage, par exemple Christophe Castaner, ancien ministre et chef de file des députés LREM, ou Stanislas Guerini, délégué général de LREM, se permettent de moquer les opposants au président.

Mais bien sûr…

D’abord, ces bons apôtres macroniens sont-ils fondés à juger de haut leurs adversaires ? Ont-ils été si brillants, si remarquables dans leurs fonctions, pour qu’on puisse attacher une quelconque crédibilité à leur dénonciation ? Pour pourfendre Eric Zemmour qui probablement sera candidat, tout doit servir jusqu’à l’absurde. On a bien compris que le président était le seul à user d’une « dialectique rationnelle » alors que « le discours de Zemmour est brutal et basé sur l’émotionnel ». Le débat sera « tiré vers le bas » : comment ne pas croire à l’air de supériorité affiché par les inconditionnels du président qui ont démontré sur les plateaux de télévision à quel point ils avaient un programme très riche à faire valoir : dire du bien d’Emmanuel Macron. C’est ce qu’il convient à l’évidence de reconnaître pour des argumentations tirées vers le haut ! Ils nous prennent pour qui !

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Le citoyen est-il si niais pour ne pas comprendre qu’il est intolérable pour ce pouvoir de voir advenir au premier plan de la campagne présidentielle les thèmes qui lui importent ? Comme la faiblesse régalienne de ce président et de son équipe est patente, comme l’immigration et le communautarisme sont des enjeux capitaux face auxquels les réponses sont médiocres, comme la société est fracturée, il ne faudra surtout pas parler de ces maux et de ces désastres. Mais seulement de l’économique et du social qui à tort ou à raison sont perçus comme le moins mauvais du bilan présidentiel.

Loin d’être « tiré vers le bas », le débat, avec tous ceux qui sont attentifs au délitement de la France et à sa dislocation en univers autarciques et malfaisants où la République ne fait plus la loi, de Valérie Pécresse à Xavier Bertrand, de Marine Le Pen à Eric Zemmour, sera au contraire authentique et de qualité. Tiré vers le vrai. Je rejoins Jean-Claude Dassier qui dans l’Heure des Pros 2 du 20 septembre a déclaré qu’avec Zemmour la confrontation aurait « de la gueule ». Il n’est pas nécessaire d’approuver ce dernier pour juger sommaire, infiniment réducteur et insultant le jugement à son encontre le résumant à « une logorrhée nationaliste et islamophobe ». Ce n’est pas seulement le mépriser mais ne rien comprendre à ce qu’il est et à son influence. Et donc ne pas chercher à la réduire ! Mais pour qui nous prennent-ils donc !

Ce que demande le peuple

Seront mises sur la table démocratique, par Zemmour et d’autres, des problématiques et des angoisses qui n’auront que le seul tort de n’être pas celles des élites mais celles du peuple. Et il faudrait d’urgence la desservir pour ne pas ruiner l’image d’un président soucieux de la seule France qui va bien et pour laquelle il a tant fait !

Dans cette complexité et cette effervescence, ces surprises et ces attentes, il est sans doute difficile pour beaucoup de prendre déjà un parti mais à voir la manière dont l’arrogance de ce pouvoir se convainc lui-même qu’il est irréprochable et performant, dont il se pousse du col, peut-être sait-on déjà qui n’aura pas notre voix ? Mais pour qui nous prend-il donc !


Le regard d’Elisabeth Lévy: « Macron sur les Harkis ? Difficile d’évacuer le soupçon d’électoralisme »

Retrouvez la chronique d’Elisabeth Lévy tous les matins à 8h10 dans la matinale de Sud Radio.

Derek Chauvin, condamné d’avance

Le procès de Derek Chauvin, policier blanc reconnu coupable de la mort du Noir George Floyd, a été marqué par une instruction expédiée à la hâte, des violations de droits de l’accusé et d’innombrables pressions politiques et médiatiques. Dans l’Amérique d’aujourd’hui, rendre la justice, c’est aussi satisfaire les lobbys racialistes.


La mort de George Floyd, survenue le 25 mai 2020, a déclenché une vague d’indignation et de violence qui s’est répandue à travers les États-Unis et le monde. Disons-le d’emblée, cette mort, enregistrée par des caméras de sécurité et des téléphones portables, est aussi cruelle que regrettable. Le 20 avril 2021, un jury a reconnu Derek Chauvin, un policier blanc de Minneapolis, coupable de la mort de Floyd. Le 25 juin, Chauvin a été condamné à 22 ans et six mois d’emprisonnement, et la demande d’un nouveau procès faite par son équipe de défense a été rejetée. Entre-temps, le 7 mai, il a été mis en examen, avec trois autres policiers, pour la violation des droits civils de Floyd, ainsi que pour un autre cas, survenu en 2017, où Chauvin, par la même technique d’immobilisation que celle utilisée sur Floyd, avait provoqué l’évanouissement d’un adolescent. Ces procès débuteront en 2022.

Une nécessité politique nationale

Le spectre du premier procès de Derek Chauvin, avec ses nombreux dysfonctionnements, continuera à hanter l’Amérique. Ce procès n’a jamais été qu’une simple affaire judiciaire [1]. Pour la plupart des Américains, sa condamnation était une nécessité politique nationale. Or, cette volonté farouche de le voir condamné l’a privé de beaucoup de ses droits constitutionnels. Très peu de commentateurs ont eu le courage de défendre la présomption d’innocence et son droit à un procès équitable.

Pour les militants BLM, les partisans de la « théorie critique de la race » et les défenseurs des droits civiques, George Floyd n’est pas seulement une victime, mais un martyr, un doux géant, un véritable ange, équipé dans certaines représentations d’une paire d’ailes, tandis que la culpabilité de Derek Chauvin était acquise d’avance. En conséquence, le procès devait nécessairement aboutir à des verdicts de culpabilité sur tous les chefs d’accusation afin de contribuer au démantèlement du « racisme systémique » en Amérique. Logiquement, pour ces activistes, toute forme d’action directe était justifiée, des manifestations de rue aux pressions politiques, accompagnées d’une menace implicite de nouvelles violences – tout ce qu’il fallait pour garantir le « bon » verdict.

Manifestation après la mort de George Floyd, Atlanta, 29 mai 2020. © Ben Hendren / ANADOLU AGENCY / AFP

La foule des citoyens impatients d’assister à un procès expéditif a exercé une pression terrible sur les autorités politiques et judiciaires du Minnesota. Mike Freeman, le procureur du comté local, chargé d’engager les poursuites criminelles contre Chauvin, en a été une des premières victimes. Aux yeux de ses détracteurs, il s’était montré par le passé trop favorable à la police, et une campagne a réclamé sa mise à l’écart. Au cours des deux semaines suivant la mort de George Floyd, son bureau a reçu plus de 4 millions de courriels et 29 000 messages vocaux exigeant une accélération du processus judiciaire, tandis que lui-même était la cible d’attaques personnelles sur les réseaux sociaux. Des manifestations presque quotidiennes, rassemblant parfois plus d’un millier de personnes, ont assiégé sa résidence privée, de sorte qu’il a été obligé de vendre sa maison à perte pour déménager et protéger sa famille. Pour les manifestants, il était tout à fait légitime d’intimider un élu et de chasser sa famille de son domicile. « C’était une grande victoire. On a fêté ça », a affirmé l’un des meneurs. Finalement, en septembre 2020, le gouverneur du Minnesota a remplacé l’équipe de Freeman par une autre issue du bureau du procureur général de l’État.

Les autorités ont sans doute estimé que si le procès était dépaysé et que Chauvin était acquitté par un jury majoritairement blanc, Minneapolis brûlerait

Le juge de la cour fédérale de district, Peter Cahill, un magistrat respecté fort de quatorze ans d’expérience dans le poste après une carrière de procureur et d’avocat, a très vite été lui aussi  en butte aux pressions extérieures. Il avait la faculté d’isoler les jurés pendant la durée du procès afin de minimiser l’influence des médias et des événements sur leur verdict. Pourtant, il a refusé une demande en ce sens de la défense de Chauvin, prétextant que la couverture médiatique de la mort de Floyd avait déjà été considérable. Il a même permis que le procès soit diffusé à la télévision pour la première fois dans l’histoire de l’État du Minnesota. Enfin, il a rejeté la demande de l’avocat de Chauvin d’un dépaysement du procès, qui aurait permis que celui-ci se déroule dans un autre comté ou État, avec un nouveau juge et un nouveau jury. Un tel changement n’est pas inhabituel quand il s’agit de procès importants très médiatisés, où on peut craindre que les jurés soient biaisés ou victimes d’intimidation. En 1999, la cour d’appel avait annulé la condamnation d’un policier blanc de Detroit, accusé d’avoir battu à mort un automobiliste noir, parce qu’au moins un des jurés avait exprimé la crainte qu’un tel verdict déclenchât des émeutes.

1 500 bâtiments dégradés, des morts

Dans le procès de Derek Chauvin, la menace de violences était à prendre au sérieux. Dans les quelques semaines qui ont suivi le 25 mai, la région Minneapolis-Saint-Paul a été le théâtre d’au moins deux morts, 604 arrestations et plus de 500 millions de dollars de dommages touchant environ 1 500 bâtiments. À l’évidence, la municipalité de Minneapolis craignait  qu’un verdict de non-culpabilité provoque une nouvelle vague de violences. Chaque jour, les jurés, sous protection policière, accédaient au palais de justice par une porte dissimulée. Ils ne pouvaient pas l’ignorer: le bâtiment était entouré de barbelés, de barrières et de véhicules militaires. Le jour du verdict, plus de 2 000 membres de la garde nationale et 1 100 policiers assuraient la sécurité autour du tribunal. Le souvenir de l’affaire Rodney King a certainement joué. En 1992, cet homme noir a été battu à mort par quatre policiers blancs. Le verdict de non-culpabilité, rendu par la suite par un jury majoritairement blanc, a déclenché les pires émeutes locales de toute l’histoire des États-Unis, avec un bilan de 63 morts et 2 383 blessés. Les autorités ont sans doute estimé que, si le procès était dépaysé et que Chauvin était acquitté par un jury majoritairement blanc, Minneapolis brûlerait.

Le processus de sélection des jurés, long et fastidieux, est souvent problématique dans les affaires importantes. Cela a été encore plus vrai pour Derek Chauvin. Le 12 mars, quatre jours seulement après le début de ce processus, Jacob Frey, le maire de Minneapolis, un jeune et ambitieux avocat des droits civiques, très engagé dans le mouvement pour accélérer le cours de la justice, a, lors d’une conférence de presse fracassante, annoncé que le conseil municipal avait approuvé le paiement de 27 millions de dollars de dommages et intérêts à la famille de Floyd qui avait lancé des poursuites contre la ville pour mort injustifiée, Chauvin et ses collègues policiers ayant utilisé « une force injustifiée, excessive, illégale et mortelle ». Un tel paiement constituait de la part de la municipalité un aveu de culpabilité qui, à ce moment précis, ne pouvait qu’influencer le jury. Et il a suscité la colère du juge Cahill. À la fin de la sélection des jurés, dans un comté – celui de Hennepin où se situe la ville de Minneapolis – blanc à 68 % et noir à seulement 13 %, la moitié des jurés étaient noirs ou métissés, et certains avaient déjà critiqué les forces de l’ordre américaines pour leur traitement des Noirs.

Beaucoup d’Américains de la classe moyenne, blancs et résidant dans des quartiers plus aisés, ne croient pas au fond d’eux-mêmes que leur pays soit institutionnellement raciste

En termes de moyens, le ministère public, avec 13 avocats et un spécialiste de la sélection des jurés, avait un avantage évident. L’équipe de défense, financée par le syndicat de la police, comportait un seul avocat et un assistant juridique. C’était David contre Goliath. La phase de la présentation des preuves a été dominée par le témoin-vedette à charge, la vidéo de neuf minutes de la mort de la victime. Les témoins experts ont défendu des avis divergents sur la légalité de l’usage par Chauvin de son genou et sur le fait que ce genou ait été la cause principale de la mort de Floyd. Le médecin légiste du comté a estimé que Floyd était mort d’un arrêt cardiaque, plutôt que d’une asphyxie, et qu’il avait une maladie du cœur, le sien étant gonflé. Son sang contenait des taux dangereux de fentanyl et de méthamphétamines. De surcroît, il avait ingurgité de la drogue pour éviter d’être accusé de possession de stupéfiants. Ces éléments auraient pu créer un doute dans l’esprit des jurés quant à la pleine responsabilité de Chauvin. Les procureurs ont rejeté ces arguments comme absurdes et déclaré que Floyd était décédé parce que le cœur de Chauvin était « trop petit ». L’émotion a primé sur la science.

“Coupable, coupable, coupable!”

D’autres événements ont influencé le procès. Le 11 avril, toujours dans le Minnesota, un Noir de 20 ans, Daunte Wright, a été tué par une policière blanche, provoquant deux jours de confrontations entre manifestants et forces de l’ordre, accompagnées de pillages. Le 19, une sénatrice démocrate, l’Afro-Américaine Maxine Waters, a déclaré lors d’une nouvelle manifestation : « J’espère que nous aurons un verdict de coupable, coupable, coupable. Et si ce n’est pas le cas, nous ne pourrons pas partir. Il faudra qu’on reste dans la rue. […] Il faudra que nous soyons plus agressifs. » Le 20, le jury rendait effectivement un verdict de culpabilité sur les trois chefs d’accusation (homicide involontaire et meurtre aux deuxième et troisième degrés). Le jugement a créé un sentiment de soulagement et de jubilation dans une grande partie du pays. Selon des sondages, 92 % des Noirs et 90 % des sympathisants démocrates ont approuvé la condamnation de Chauvin.

Bien que certaines voix, notamment celle de l’éminent spécialiste de droit criminel et constitutionnel Alan Dershowitz, se soient élevées pour pointer les erreurs significatives dans la gestion du procès, le jugement du 25 juin a débouté la demande d’appel de Derek Chauvin. Pour les manifestants, les activistes BLM et les militants des droits civiques, le procès Chauvin est une « affaire close ». Pourtant, le nom du policier, ainsi que les doutes sur la conduite de son procès, risquent de revenir sur le devant de la scène l’année prochaine avec le second procès des droits civils. 2022 est aussi l’année des élections de mi-mandat, en novembre, qui précéderont la campagne présidentielle de 2023-2024. Autant dire que les enjeux politiques sont importants. Si les démocrates perdent leur majorité de cinq sièges à la Chambre des représentants, cela paralysera tous les projets Biden-Harris. On observe déjà une évolution de l’opinion publique qui s’éloigne du programme de Biden, surtout en matière de politique identitaire. Beaucoup d’Américains de la classe moyenne, blancs et résidant dans des quartiers plus aisés, ne croient pas au fond d’eux-mêmes que leur pays soit institutionnellement raciste, pas plus qu’ils ne pensent que le financement de la police doive être supprimé ou que le gouvernement doive imposer la « théorie critique de la race » dans les écoles et dans les entreprises. Le rappel de la hâte avec laquelle Derek Chauvin a été condamné et des aspects discutables de son procès pourrait alimenter une réaction contre le matraquage idéologique, encouragé et exploité par Joe Biden, au sujet du racisme systémique et de la suprématie blanche. L’Amérique profonde ne sort peut-être pas dans la rue pour protester, mais elle sort pour voter.


[1] Voir Alain Destexhe, « L’Amérique ne pouvait pas ne pas condamner Chauvin », Causeur.fr, 24 avril 2021.

Qui a eu cette idée folle, un jour de fermer l’école?

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Dans son nouveau livre, le ministre de l’Éducation nationale, qui ferraille dur face à des syndicats frileux, espère que l’épidémie permettra aux Français de retrouver le sens de l’École.


Point n’est besoin d’être prof de Lettres pour savoir que dans un texte, ce qui n’est pas dit est au moins aussi important que ce qui s’énonce. 

Le non-dit pèse son poids, et dans les essais quasi politiques — et le dernier livre de Jean-Michel Blanquer appartient à cette catégorie —, il marque les thèmes dominants. 

Sous le visage souriant du ministre, on devine assez bien, à lire École ouverte (Gallimard), son exaspération rétrospective, après 18 mois de lutte pour maintenir les écoles en état de recevoir les élèves, ou pour aménager au mieux ces vacances forcées que furent les confinements, stricts ou perlés, face aux jusqu’au-boutistes du cadenas sanitaire ou à un corps enseignant qui, pour aussi admirable que le décrive le ministre, se mit parfois « aux abonnés absents » au moment où l’on avait le plus besoin de lui.

Ces enseignants qui avaient peur de mourir du Covid

Je n’en veux pour preuve l’absence quasi-totale du mot « syndicats » : il apparaît furtivement p. 71, à propos d’une « grève massive » dont Blanquer souligne aussitôt qu’elle fut « peu suivie » — et parfois en creux, au détour d’une expression, lorsque le ministre évoque « les professionnels du tohu-bohu ». Ces mêmes syndicats qui aujourd’hui encore font dans la surenchère sécuritaire — alors qu’un seul enseignant est décédé du Covid, au tout début de l’épidémie, et encore l’avait-il attrapé en Chine. Mais j’ai trop en mémoire cette responsable syndicale arrivant au collège Daumier de Martigues avec son mètre-ruban, en mai 2020, pour mesurer l’espacement exact entre les tables et vérifier qu’elle ne prenait pas de risques exagérés en revenant au travail — et qui, du haut de sa suffisance syndicale, fit supprimer tout ce qui était susceptible de porter un instant un virus, ordinateurs et rétro-projecteurs compris. 

Peut-être aurait-elle dû supprimer les élèves…

C’est justement d’élèves que parle Blanquer. Certes, il salue l’engagement de ceux qui consacrèrent à l’enseignement en distanciel bien plus de temps et d’énergie que ne leur coûtaient leurs cours ordinaires — évoquant celle qui montait les étages des immeubles sans ascenseur pour distribuer le travail aux enfants les plus démunis, ou ceux qui improvisèrent sur France 4 des séances filmées suivies par plus de 800 000 élèves. Mais il se soucie surtout des enfants et des adolescents que gère la rue de Grenelle. Il s’en soucie bien plus que nombre de syndicalistes qui se disputèrent les nouveaux adhérents dans les rangs des trouillards, quitte à renier ce qui avait été le cœur de leur engagement, des décennies durant. C’est ainsi que le SNALC s’aligna sur les positions du SNES — et vit ses effectifs fondre au profit d’Action et démocratie, un petit syndicat qui ne hurlait pas avec les hystériques de la pandémie.

Enseigner est un apostolat

Parce que quitte à me répéter… Ce métier est un apostolat, et rien d’autre. Vos propres enfants passent loin derrière ceux que l’on vous confie — c’est du moins ainsi que j’ai fonctionné pendant 45 ans. Et ce n’est pas quand l’urgence impose d’avoir un peu d’audace que l’on doit reculer. Sinon, le 15 novembre 1797, Bonaparte n’aurait pas traversé le pont d’Arcole au péril de sa vie : il aurait constitué une Commission pour savoir quelle solution présentait le moins de risques.

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Je n’ai jamais ménagé mes critiques envers Blanquer. Je n’ai jamais compris pourquoi il n’a pas, dans les dix premières minutes de son ministériat, pris un décret annulant tous ceux de Vallaud-Belkacem. Ni pourquoi il n’a pas imposé immédiatement une méthode de lecture à des instituteurs qui persistent à employer du semi-global : la méthode Lego, testée avec succès dans quelques centaines d’écoles au grand dam des institutionnels de la Bêtise, n’a été mise au point que fin 2020 — alors que des méthodes alpha-syllabiques efficaces existaient depuis longtemps. Ni pourquoi il n’a pas viré séance tenante les pontes du pédagogisme qui tenaient, et tiennent encore, les Instituts de formation des maîtres : le sacro-saint statut de la Fonction publique ne tient pas lorsque la nation est en danger — et depuis trente ans, le pédagogisme l’a mise en danger. Après tout, en arrachant les mutations aux syndicats qui en faisaient leurs choux gras, il n’a pas hésité à contourner le « barème » : la multiplication des « postes à profil », qui échappent aux règles de fer qui ont fait de la viviparité la preuve de la compétence pédagogique, de sorte que dans les postes les plus exposés ne sont nommés que les néo-profs les plus inexpérimentés, sont une bonne chose ; mais pourquoi ne pas avoir décrété qu’ils seraient désormais la règle, partout, toujours, et que les chefs d’établissement pourraient constituer les équipes de leur choix ? Combien je connais de proviseurs qui rêvent d’orienter vers une retraite précoce des enseignants qui ânonnent le même cours depuis des lustres — quand ils ne se contentent pas de lire le journal devant leurs élèves éberlués…

Tout cela pour dire que j’ai abordé ce livre avec méfiance. Je suis trop républicain pour ne pas me méfier d’un démocrate.

Dès les premières lignes Blanquer pose le problème : « Que cette épidémie ait au moins ce mérite : nous obliger à retrouver le sens de l’École ». Parce qu’il s’était dilué depuis une trentaine d’années, et que cela paraît arranger tout le monde. « L’enseignement de l’ignorance », comme dit Michéa, pouvait s’adapter aux confinements les plus étroits, au port du masque qui gêne la transmission et la communication, aux cours à distance qui n’en sont pas vraiment. « Dans cette situation incertaine s’est joué le choix entre une École vue comme notre institution fondamentale ou comme la variable d’ajustement de nos peurs. » 

Le thème de la future campagne d’Emmanuel Macron ?

Disons tout de suite que le ministre a l’air de penser — et je le rejoins entièrement sur ce point — que l’Éducation et la Culture seront les enjeux majeurs des prochains mois. Et le thème central, sans doute, de la campagne de Macron II. Ses concurrents n’ont pas pris la mesure de ce qui vient de se passer, et qui n’est pas entièrement derrière nous. Les Français ne veulent pas entendre parler d’économie, de dette, ni même d’emploi. Ils veulent qu’on les rassure sur leur être profond, sur la résistance aux menées islamistes (Blanquer nomme ainsi l’agresseur de Samuel Paty, p endant que d’autres préfèrent parler de « loup solitaire », tout comme il a identifié clairement les islamo-gauchistes qui « font le lit de ce qui est l’un des fascismes de notre temps »), ils veulent éviter le « suicide français » dont un célèbre polémiste leur rebat les oreilles… Zemmour pour le moment a seul compris, avec Valérie Pécresse, que le renouveau français serait le thème principal de la campagne.

Le ministre n’est pas de ceux qui prônent, comme Ivan Illich, la « société sans école », ni qui croient que la parole des hilotes vaut celle des savants. La « déconstruction » à la française a manqué d’anéantir l’École, il veut, dit-il, la rebâtir.

Propos étrange dans la bouche d’un homme qui en théorie vit ses derniers mois rue de Grenelle — où il a battu tous les records de longévité, au milieu de l’hostilité syndicale. Pense-t-il y rester au-delà de la réélection de Macron — que je me suis permis d’annoncer il y a plusieurs mois ? Je crois que Blanquer a compris que le souverainisme, dont tout le monde parle et qu’on ne voit nulle part, sera l’enjeu central de la campagne qui s’est ouverte. Et que l’École est le pilier central d’une nation souveraine. « La mère de toutes les batailles », dit-il. 

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Il ne suffit pas, pour s’autocongratuler, de constater que « la France a été un des pays qui ont le plus maintenu les écoles ouvertes… » En Lombardie, note incidemment Blanquer, les élèves ne sont ainsi quasiment pas revenus en classe entre mars 2020 et juin 2021 — un rêve de fainéant. Et d’insister sur la nécessité de l’École comme « lieu physique ». 

Encore faut-il mesurer exactement ce qui s’est effectivement perdu — et ce qui aurait pu se perdre.

L’attitude frileuse des syndicats, les diktats des médicastres, « ceinture et bretelles à tous les étages », dit joliment Blanquer, soûlés de succès médiatiques — Knock enfin au pouvoir ! — et qui « tiennent pour bien peu de poids la fermeture des écoles », les craintes des parents influencés par des médias qui racolaient en brodant sur une apocalypse qui n’a jamais eu lieu, celles des enfants que l’on persuadait — une faute impardonnable — qu’ils allaient tuer leurs grands-parents, tel était le terrain sur lequel a combattu le ministre. Par loyauté il affirme que Macron partageait ses convictions sur la nécessité de conserver le plus longtemps possible les élèves en face de leurs enseignants. Mais bien souvent les souhaits en ce sens du ministre ont été contredits par l’Élysée, soumis à la férule d’experts bardés d’avis péremptoires et ravis d’anéantir les libertés publiques : le Covid, note Blanquer, qui a des Lettres, a marqué la revanche de Rousseau sur Locke, du dirigisme absolu contre la liberté de vivre. Blanquer, soutenu en ce sens par un directeur de Cabinet que le Covid a touché sans le couler, a œuvré au mieux, avec des moyens parfois dérisoires, pour maintenir à flot la relation pédagogique. 

Plutôt Phèdre que Netflix

Il sait bien qu’il a perdu un certain nombre d’élèves — surtout dans ce qu’il appelle « les territoires les plus pauvres ». Et pourtant c’est un député communiste, Sébastien Jumel, qui au début mai 2020 s’est insurgé contre la reprise. Elle est loin, l’époque où le Parti donnait des cours du soir aux ouvriers.

Et à trois jours de la rentrée de septembre, « un groupe de scientifiques et de médecins croit bon de publier une pétition. Pour expliquer que l’Éducation Nationale n’était pas prête. » La crainte sans doute de ne plus être invité sur BFM pour s’y faire maquiller.

La récente décision de fermer les classes dès qu’un cas de Covid est révélé touche principalement les écoles des ghettos sociaux où la résistance aux vaccins est la plus forte. Double peine… Le ministre doit savoir aussi que ces mois de vacances forcées, qui voyaient déambuler des bandes d’adolescents désœuvrés dans les rues de Marseille, ont mis à mal l’habitude scolaire elle-même, laissé des séquelles d’une ampleur considérable, et que les élèves sont revenus en classe bardés d’habitudes bien peu scolaires. Sans compter que leurs compétences en lecture, par exemple, ont diminué en moyenne de 20% — on est passé de pas grand-chose à presque rien. Il n’ignore pas qu’ils ont bronzé à la lumière de leur télé — et qu’il fallait les faire revenir en classe au plus tôt, parce que, dit-il joliment, « plutôt Phèdre que Netflix ». Surtout ceux des lycées professionnels, privés d’ateliers et de savoir-faire. Il sait enfin que nombre d’enseignants voudraient passer tout de suite, alors même que le variant Delta régresse, de la phase 2 à la phase 3 — rentrer chez soi et se réfugier sous leur couette. Cette épidémie (le terme ferait sourire ceux qui ont vécu la peste de 1348 ou la grippe de 1918 — mais nous avons perdu l’habitude d’être en danger de mort) a rendu fous trop de gens. Oui, il y a certes de quoi se demander, comme le fait le ministre, « comment réagirait notre pays en cas de guerre ». Surtout depuis que l’on ne donne plus le petit Bara comme exemple à l’école. Ni Bayard, ni Duguesclin. Quant à Napoléon, il se fait déboulonner à Rouen et ailleurs. Et le Conseil de défense sanitaire s’aligne sur Edmond Le Bœuf qui à la veille de la déroute de 1870, affirmait : « Il ne manque pas un bouton de guêtre. » On connaît la suite.

Ce livre a une seconde partie, plus programmatique, une partie qui explique le titre de l’ouvrage. Blanquer y explique que la fermeture des écoles, dans le monde, a suivi très exactement la part des investissements auxquels consentent les pays en matière d’éducation. Singapour ou la Corée du Sud, qui n’ont que les cerveaux comme matière première, brillent dans les palmarès — parce que, comme le formule très bien Blanquer, « ”l’éducation est le meilleur des calculs économiques.” Qui parie avec moi que ce sera l’un des thèmes principaux de la campagne à venir de Macron ? Ou de quiconque aura compris que « les seuls « raisonnables » sur cette planète sont ceux qui voient que nous ne nous n’en sortirons pas si nous ne donnons pas réellement la priorité à l’avenir, c’est-à-dire aux enfants, c’est-à-dire à l’éducation. » Qui parie avec moi que cette phrase ressortira toute crue d’un prochain discours de Macron ?

Le monde à venir se dessine en Orient. Blanquer ne détesterait pas qu’il se dessine aussi ici. Mais il faudrait d’autres méthodes, plus musclées que les siennes. Non pas un équilibre, qu’il appelle de ses vœux, entre un ministère jacobin et des transferts de responsabilités à tonalité girondine, mais une mutation complète du système. On ne reviendra pas à l’École de la IIIe République, qui nourrit tant de fantasmes. Celle du XXIe siècle sera délocalisée ou ne sera pas. 

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Elisabeth Lévy: « Nous avons fait cette une pour alerter sur un phénomène »

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Vendredi dernier, notre directrice de la rédaction était invitée chez Cyril Hanouna, au sujet de notre dernière Une...


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La diversité, cette maladie chronique de la démocratie française


Plusieurs voix s’élèvent contre l’offensive d’Éric Zemmour en lui reprochant d’ignorer les véritables préoccupations des Français. Elles avancent que les Français sont inquiets de l’érosion du pouvoir d’achat, de la hausse du chômage et du changement climatique. L’Islam et l’immigration seraient des problèmes parmi d’autres. C’est drôle : les mêmes n’ont pas dit un mot lorsque Macron et Castex ont éteint les lumières sur le débat public pour cause de pandémie ! Cela fait presque deux ans que le covid est la seule priorité que le gouvernement daigne aborder, le seul problème dont il se sent responsable.

Taquinerie à part, la question est extrêmement intéressante sur le fond. En effet, la diversité est une machine à polluer le débat public : elle intoxique l’agenda politique et détourne l’attention des sujets les plus nobles et fascinants.  Elle met sur le devant de la scène des thèmes à la charge symbolique explosive et d’autres, moins sensibles, mais tout à fait stériles.

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En tête des sujets explosifs qui phagocytent le débat : l’islamisme et l’ensauvagement. Ce sont deux « cadeaux » que l’immigration a fait à la France. Par leur nature, ils déstabilisent totalement la société qui se retrouve, pour la première fois depuis longtemps, confrontée à la peur. La peur primaire que ressent la proie face à son prédateur, la peur de perdre son habitat et son territoire ; la peur de la femme face au risque du viol ; la peur de l’homme qui mesure qu’il ne peut plus défendre sa famille d’une agression extérieure, ce qui le rend absolument « inutile » sur le plan symbolique ; la peur causée par le spectre de la mort violente pour des raisons futiles (le « mauvais regard »), la terreur suscitée par le fanatisme religieux et la perspective d’une guerre religieuse sur le sol français. N’oublions pas que la France est un pays de guerre civile : les Huguenots contre les Catholiques, les révolutionnaires contre les monarchistes, Vichy contre la gauche. Tous ces conflits ont été habités par le fanatisme idéologique et religieux, cette expérience a laissé des traces, et elles sont réveillées à chaque « escarmouche » entre le peuple de souche, déchristianisé, et le peuple immigré, majoritairement musulman.

Cette peur s’empare des esprits et des coeurs. Elle relativise tous les autres sujets, même les plus structurants comme la politique énergétique ou environnementale. La peur nous « dégrade » et nous remet à notre condition animale : je survis ou pas ? je suis une proie ou bien un prédateur ?

Impossible de demander aux passagers du bus de Bayonne dont le chauffeur a été lynché par des jeunes immigrés de se préoccuper du changement climatique ! Ils ont été durablement traumatisés et exigent que justice soit faite avant de penser à autre chose. Impossible de demander à une femme qui se fait harceler dans la rue du matin au soir de se passionner pour des questions d’urbanisme ! Quand l’intégrité physique et morale est en jeu, les sujets techniques deviennent soudain étonnement lointains et futiles.

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D’autres sujets moins dramatiques polluent tout autant les esprits des Français et les détournent des grandes questions de notre époque. Je pense par exemple aux querelles minables sur la représentativité et qui se réduisent au final à calculer le taux de mélanine dans le sexe de l’ange. Quand on ne se chamaille pas sur les « discriminations », on se dispute sur les violences policières prétendument infligées à un voyou. L’on perd un temps « de dingue » sur des polémiques stériles impliquant des racailles dont le Q.I et la contribution sociale sont nulles.

Parmi les questions minables, il y a le sujet du Ramadan. La France, au lieu de réfléchir à la relation avec la Chine ou à la conquête spatiale, se retrouve à aménager les horaires des écoles ou à modifier les dates des examens académiques. L’on peut dire la même chose de la fête du mouton et de ses querelles éternelles sur la protection des animaux, les lieux d’abattage et l’hygiène. Ça ne vole pas très haut…

Donc si l’on veut réellement renouer avec les sujets qui importent vraiment, il convient de régler le problème de l’immigration. Sinon, la France aura de moins en moins de temps et « d’espace cerveau disponible » à consacrer aux enjeux qui en valent vraiment la peine.

Maryam Monsef: une féministe pro-talibans?

Nos frères talibans…


Le retour au pouvoir des talibans, ces champions incontestés de la misogynie, a eu l’effet imprévu de lancer un concours de gaffes parmi les féministes de la planète. La Française Sandrine Rousseau, candidate à la primaire des Verts, a mis la barre assez haut quand, lors d’un débat sur BFM TV, elle a semblé affirmer qu’il valait mieux avoir des terroristes potentiels en France pour pouvoir les surveiller, propos qu’elle a ensuite qualifiés de « maladroits ».

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Mais elle est concurrencée par la Canadienne Maryam Monsef, ministre des Femmes et de l’Égalité des genres dans le gouvernement de Justin Trudeau (qui cherche à se faire élire pour la troisième fois le 20 septembre). Lors d’une conférence de presse, le 25 août, avant de demander au nouveau régime de Kaboul d’assurer l’évacuation de tous ceux qui voulaient quitter l’Afghanistan – demande quelque peu naïve –, elle lance cette phrase : « Je profite de cette occasion pour m’adresser à nos frères les talibans. » L’esclandre est immédiat, la plupart des Canadiens ne comprenant pas qu’une féministe puisse appeler « frères » des guerriers pratiquant la charia la plus stricte. Elle invoque un usage courant parmi les musulmans qui consiste à appeler « frères » des hommes, quels qu’ils soient. La crédibilité de Mme Monsef a déjà été mise à mal par un scandale datant de 2016 : ayant rejoint le gouvernement de Trudeau l’année précédente, elle avait mis en avant son statut de première députée d’origine afghane, avant qu’un quotidien révèle qu’elle était née en Iran.

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Toutes les féministes séduites par leurs frères talibans et souhaitant avoir plus de contacts avec eux pourraient voir ce vœu exaucé : le nouveau gouvernement afghan risque d’hériter de son prédécesseur un siège dans la commission des Nations unies sur la condition de la femme.

Frexit: les souverainistes éparpillés comme jamais

Philippe Murer envisage un remède à la division du camp national


Des personnalités souverainistes sonnent l’alarme dans une tribune parue vendredi dans Valeurs Actuelles. La multiplicité des périls auxquels la France fait face la menace dans son existence même. Le paradoxe posé est simple : les souverainistes qui disent vouloir sauver la France peuvent-ils être éparpillés en une multitude de candidatures à l’élection présidentielle, risquant ainsi la défaite et cinq ans de naufrage supplémentaire à la France ? Ne nous laissons pas aveugler par la colère, sauver la France signifie battre Macron mais aussi tous les candidats équivalents à Macron, de Yannick Jadot à Xavier Bertrand en passant par Valérie Pécresse et Anne Hidalgo.

Dans cet article, je ne m’exprime bien entendu qu’à titre personnel. 

Frexit ou pas Frexit ?

Pour l’élection présidentielle de 2022, le camp national sera divisé en une multitude de factions : RN eurocritique, Florian Philippot et François Asselineau en frexiteurs assumés, Nicolas Dupont-Aignan pour une Europe des Nations libres, Georges Kuzmanovic en souverainiste de gauche, possible frexiteur et Eric Zemmour dont la position sur la souveraineté et l’indépendance nationale est fluctuante. Tous ces candidats défendent la réduction voire l’assèchement des flux d’immigration, une politique d’assimilation et la défense de l’identité, à des degrés là aussi différents. La défense de l’identité et de la souveraineté sont éminemment complémentaires. Un gouvernement ne peut pas défendre l’identité nationale (ne serait-ce qu’arrêter les flux d’immigration) s’il n’a pas de souveraineté nationale, de pouvoirs réels pour le faire. Détenir la souveraineté nationale, pouvoir définir où l’on va sans savoir qui l’on est, sans défendre son identité n’a pas de sens.

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Le RN dit défendre la nation et le camp national contre le mondialisme tout en restant dans l’UE et l’euro. Si ses porte-paroles reconnaissent que l’UE affaiblit profondément la France, ils refusent de rétablir la souveraineté nationale pour arrêter l’hémorragie et préfèrent se battre pour tenter d’atténuer les effets néfastes de l’institution européenne sur notre pays. Cette année, Marine Le Pen a décidé qu’il fallait rester dans la CEDH ; même l’européiste Michel Barnier a reconnu que les textes juridiques de la CEDH empêchaient de réguler les flux d’immigration. Marine Le Pen veut aussi rester dans Schengen même si l’absence de frontières qu’impose cet accord entraîne l’incapacité de contrôler qui entre en France et donc d’avoir une politique d’immigration. En conclusion, le RN défend la France en paroles mais n’a pas de projets pour la défendre en actes forts s’il arrivait au pouvoir. Conséquences de ces revirements : une partie importante de ses électeurs n’ont pas voulu se déplacer pour les élections régionales, lui faisant subir une défaite, après avoir été tancés par les dirigeants pour désertion après le premier tour. Ces dernières années, l’unique point fort du RN était sa position de grand parti national susceptible de faire de gros scores électoraux. Les électeurs français s’y ralliaient tant bien que mal pour peser face à Macron. Si ce dernier point fort s’efface, le risque de chute brutale du RN est important. À moins d’un tête-à-queue idéologique du RN, qui lui serait préjudiciable quatre ans après le précédent tête-à-queue, on comprendra que s’allier avec le RN pour la présidentielle n’a pas de sens pour les autres partis du camp national.

Si j’étais président de la République…

Les autres partis évoqués se disent souverainistes à des degrés différents et défendent avec des propositions différentes la cause nationale.

Florian Philippot et François Asselineau défendent tous deux une sortie de la France de l’Union Européenne et le rétablissement rapide de la souveraineté nationale. Leurs positions sont connues et ils sont des gaullistes convaincus. Leurs différences sur le fond sont faibles. Il n’y a que quelques différences sur la forme. Asselineau défend un référendum sur l’immigration quand Philippot veut arrêter les flux d’immigration.

Nicolas Dupont-Aignan avec son parti Debout la France se présentera aussi à l’élection présidentielle. Il est aussi gaulliste, a pour projet une « Europe des Nations libres et des coopérations concrètes » et le rétablissement de la souveraineté nationale. Nicolas Dupont-Aignan veut arrêter les flux d’immigration.

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Georges Kuzmanovic et son parti République Souveraine est ce qui reste de la partition souverainiste de Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle de 2017. Il fut évacué de la France Insoumise car il veut « ralentir ou assécher » les flux d’immigration et il est partisan de l’assimilation. Voici ses mots sur la souveraineté nationale : « Je ne suis pas un fétichiste du Frexit, mais quelle que soit l’option choisie en fonction du rapport de force et des circonstances, elle devra être une voie de rupture avec cette Union Européenne, légitimée par un référendum populaire ». Il se présente aussi à l’élection présidentielle.

Probablement candidat, Eric Zemmour est l’inconnu de cette élection présidentielle. Tout le monde connaît ses positions claires et affirmées sur l’identité nationale et les flux d’immigration. Si en tant que journaliste, il fut partisan de la sortie de l’euro et défenseur de la souveraineté nationale, ses positions en tant que candidat à l’élection présidentielle relèvent du point d’interrogation. Une question clé s’impose. L’Union Européenne ayant une politique constamment très favorable à l’immigration serait vent debout contre un Zemmour président qui voudrait arrêter les flux d’immigration en France ce qui ouvrirait la voie à un arrêt dans tous les pays d’Europe qui le voudraient. Puisque Zemmour et l’Union Européenne seraient dans un bras de fer sur l’immigration, la BCE, bras armé financier de l’Union Européenne répliquerait, comme d’habitude, en asphyxiant financièrement la France comme elle a asphyxié la Grèce et commencé à asphyxier l’Italie du gouvernement Italien Salvini fin 2017. Cette politique de la BCE avait vidé les distributeurs d’argent en Grèce, fait monter les taux grecs à des niveaux stratosphériques jusqu’à ce que le gouvernement grec plie. Cette politique avait fait monter les taux italiens au niveau très inconfortable de 4% jusqu’à ce que le gouvernement Salvini change ses projets pourtant modestes sur le budget et plie. Dans ce combat sur les flux d’immigration, un Zemmour président aurait trois choix.

  • Le choix de continuer ses projets sur l’immigration et de laisser l’économie française s’asphyxier lentement à cause du manque de liquidités fournies par la BCE ; ce n’est pas un choix envisageable. 
  • Le choix de négocier avec l’Union Européenne sur les projets sur l’immigration et de plier en échange du soutien en liquidités à l’économie française ; dans ce cas, voter Zemmour n’aurait pas servi à grand-chose pour ses électeurs. 
  • Le choix de gagner le bras de fer sur les flux d’immigration en coupant le nœud coulant financier qui détruirait l’économie française, c’est-à-dire en sortant de l’euro sur le champ pour fournir l’économie en liquidités. Cela demande des convictions sur le sujet et une vraie préparation à ce combat que suppose tout bras de fer avec l’Union Européenne. Sortir de l’euro pour pouvoir appliquer sa politique d’immigration signifierait d’ailleurs à terme sortir de l’Union Européenne. 

À lire aussi, Philippe Bilger: Que manque-t-il à Eric Zemmour?

Ceci démontre une fois de plus que la défense de l’identité nécessite le rétablissement de la souveraineté nationale, à moins de considérer l’identité comme un folklore local qui ne se paie que de mots.

Pour la France, mettre les égos de côté

Nous pourrions évoquer pour finir l’ex-ministre Arnaud Montebourg mais ses positions sur la souveraineté nationale, l’identité et l’immigration sont tout sauf claires. Il refuserait sans aucun doute toute discussion avec nombre de candidats souverainistes qui pour la gauche classique sont « l’extrême-droite ».

Nous l’avons vu, à l’exception de Zemmour dont les positions finales sont inconnues, les différences réelles de ces candidatures sont factuellement peu importantes au regard des points communs et des enjeux. Qui plus est, les différences entre les candidats souverainistes, Zemmour compris, sont dues en partie à la nécessité d’être différents et de disposer d’un créneau politique viable, de survivre politiquement. Ne leur jetons pas la pierre, en ce monde nécessité fait loi. Cependant, retenons que nombre d’entre eux ont des positions et des projets pour la France finalement très proches dans le débat public et des positions encore plus proches dans leur for intérieur. Ainsi, se rassembler autour d’une table pour discuter d’un éventuel programme commun de salut public, d’un programme de sauvetage de la France loin du débat public, hors de toute stratégie politicienne, peut tout changer. Dans une France au bord de l’abîme, l’intérêt général commande une telle approche. Même la question la plus épineuse, « qui sera le candidat si un accord était trouvé ? », a une réponse potentielle. Chaque représentant à la table de discussion pourrait voter pour un candidat à l’exception de lui-même. Celui qui rassemble le mieux tous les autres autour de son nom serait la tête de file naturelle pour défendre la France, les autres et leurs troupes étant des généraux précieux dans la bataille qui s’annonce. 

L’avantage d’une candidature rassemblée est immense : disposer d’un niveau correct de sondage et d’une bonne exposition médiatique, sachant qu’un bon niveau de sondage permet une bonne exposition médiatique et inversement. Les électeurs ont tendance à voter pour les candidats qui ont des chances de gagner et les journalistes ont tendance à les inviter, leur permettant de convaincre leurs électeurs potentiels. 

Enfin, voici ce que pensent les électeurs des petits partis souverainistes : puisque ces candidats veulent sauver une France qu’ils savent en perdition, ils ne sont pas cohérents en n’essayant pas de s’allier pour donner une chance à la France. S’ils ne s’allient pas, c’est à cause de leurs égos. La conclusion est impitoyable et explique les faibles scores de ces partis aux dernières élections malgré la popularité des thèmes de la souveraineté et de l’identité : je n’irai pas voter pour eux car ils trop petits et qu’ils ne sont pas au service de l’intérêt général mais au service de leurs égos. 

Quoi que partiellement fausse puisque la survie politique commandait souvent ces approches dans le passé, cette thèse fait des ravages. Inversement, un déblocage de la situation par la discussion et la tentative d’adopter un programme de salut public pourrait faire des miracles, démontrant la volonté indéfectible des candidats de sauver leur pays. La progression d’une candidature rassemblée pourrait alors être très rapide. Par contraste, ce sont les autres candidats à l’élection présidentielle qui sembleraient défendre leurs égos aux yeux de l’opinion et subiraient une certaine décrédibilisation.

N’oublions pas que les différences exprimées et les divisions sont le fruit du passé. Elles ne doivent pas obérer l’avenir, elles ne doivent pas empêcher le sauvetage de la France.

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Roland Jaccard a tenu parole

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Notre ami Roland Jaccard s’est suicidé lundi 20 septembre.


Roland Jaccard a mis fin à ses jours hier, lundi 20 septembre. Nombre de ses amis ont reçu un courriel matinal indiquant qu’il était sur le point de partir, qu’il tirait sa révérence. Pour moi, c’était à 8h09. Avec pour objet « Une leçon de dandysme helvétique » et les phrases suivantes dans le corps du texte : « Tu es un des seuls à m’avoir compris! Amitiés vives ! » 

Roland m’a fait beaucoup d’honneur. Nous n’étions peut-être pas beaucoup à l’avoir compris, mais il y en avait tout de même quelques-uns. À l’avoir compris et à l’avoir aimé. J’ai trainé un vilain pressentiment, toute la matinée, mais j’étais face à des étudiants et je me suis promis de l’appeler dès la pause de midi. Deux coups de téléphone de Gil Mihaely puis d’Elisabeth Lévy m’ont indiqué que c’était devenu inutile.

https://twitter.com/ELevyCauseur/status/1439931484224229384

J’ai été sidéré mais pas surpris. Sidéré parce que, tout de même, la mort d’un ami, d’une de ces amitiés littéraires transformée en affection réciproque avec le temps, c’est une espèce de bloc d’abîme au creux de l’âme et des tripes, un bloc d’abîme que connaissent tous ceux qui apprennent la disparition brutale d’un être cher. 

A relire, Roland Jaccard: La laitière et l’étudiant de Sciences-Po

Mais je n’ai pas été surpris : qui connaissait Roland savait que le suicide était chez lui un thème récurrent, une obsession, une porte de sortie presque rassurante. Le suicide est cette liberté terrible des stoïciens, et il y avait du stoïcien chez Roland au-delà de son hédonisme élégant, résumé ainsi par Marc-Aurèle dans Pensées pour moi-même : « Il y a trop de fumée ici, je m’en vais ». Le suicide, Roland connaissait : en leur temps son père et son grand-père avaient eux aussi choisi la nuit. Il écrivait dans « Les Carnets de mon père », un de ses « Billets du vaurien » qu’il donnait chaque semaine à Causeur : « Soyons francs : nous avons aimé vivre une fois, mais nous n’aimerions pas recommencer. C’était aussi l’opinion de mon père. » C’est à 80 ans que son père avait tiré sa révérence. Roland a écrit et dit, souvent, qu’il n’avait pas l’intention de le dépasser en âge. Et de fait, il allait avoir 80 ans, le 22 septembre. Quand vous aimez quelqu’un, vous ne l’écoutez pas, ou vous ne voulez pas le croire. C’est oublier que derrière la désinvolture de Roland, derrière son élégante et éternelle dégaine d’adolescent filiforme, il était d’une terrible rigueur. Il n’épargnait personne de ses sarcasmes et surtout pas lui-même. Mais on se rassure comme on peut, quand on aime. Après tout, un de ses maîtres et amis, Cioran, n’avait-il pas dans toute son œuvre parlé du suicide comme seule solution rationnelle à l’horreur du monde sans jamais passer à l’acte ? 

Non, décidément, malheureux comme les pierres mais pas surpris : lundi 13 septembre, après des mois d’absence puisqu’il avait décidé de revenir vivre dans sa ville natale, à Lausanne, depuis le début de la crise sanitaire, il était apparu à une réunion de rédaction suivie d’un pot célébrant le départ d’un des nôtres. Il paraît évident, maintenant, qu’il était venu nous dire au revoir ou plus précisément, car là encore on méconnait trop souvent à quel point celui qui faisait profession de cynisme aimait l’amitié, il avait voulu passer un peu de temps avec nous une dernière fois. De quoi ai-je parlé avec Roland pour ce qui était, sans que je le sache, une ultime rencontre ? Je ne sais pas pourquoi, j’ai du mal à m’en souvenir. Je voudrais vous dire qu’il avait donné des indices implicites, ce ne serait pas vrai. Il avait son flegme habituel, son sourire oriental, son exquise courtoisie d’homme qui a perdu depuis longtemps toute illusion mais qui n’en fait pas un drame, courtoisie héritée de cette civilisation naufragée de la Mitteleuropa à laquelle avait appartenu sa mère autrichienne.

Je voudrais tout de même souligner, maintenant, son importance dans le paysage intellectuel français. Il a écrit des livres essentiels sur la psychanalyse avec laquelle il entretenait des rapports ambigus comme avec tout le reste, notamment L’exil intérieur en 1975. Il y disait d’une autre manière, ce que Debord avait cerné dans La Société du Spectacle : l’impossibilité dans le monde moderne pour les êtres de rencontrer d’autres êtres, et pire encore l’impossibilité pour l’homme de coïncider avec lui-même. Il a été aussi une des plus belles plumes du Monde comme critique des essais et surtout un éditeur hors pair aux PUF où sa collection, « Perspectives critiques », présente un catalogue de rêve. On lui doit la découverte d’André Comte-Sponville mais il a aussi publié Clément Rosset ou Marcel Conche et a assuré, à travers plusieurs autres auteurs, les noces de la philosophie et de la littérature : on y trouve ainsi les inclassables et tellement talentueux Romain Slocombe et Frédéric Pajak.

A relire, Roland Jaccard: L’internationale des dégoûtés du genre humain

Après, d’autres le réduiront sans doute à une légende qu’il a malicieusement entretenue dans ses journaux intimes dont le monumental Le Monde d’avant (1983-1988) paru au début de l’année dont nous avons rendu compte dans Causeur. Son amitié, jamais reniée, avec Matzneff malgré les brouilles, son goût pour les jeunes filles qui ressemblaient à son idole, Louise Brooks, ou qui venait de l’Empire du Levant. Sa manière de jauger et de juger les hommes à la manière dont ils jouaient au ping-pong et aux échecs. Une de ses grandes tristesses fut d’ailleurs la fermeture pour rénovation du Lutétia, où on pouvait le trouver tous les dimanches dans les salons où il vous mettait très rapidement échec et mat.

Au-delà de son refus de la postérité, celle qui consiste à avoir des enfants comme celle qui nous fait survivre à notre propre mort en étant encore lu dans vingt ou trente ans, le nihiliste Roland était un homme étonnamment soucieux de transmettre. Il refusait de l’admettre, il disait que je le taquinais, mais pourtant il suffit d’ouvrir un de ses livres pour avoir envie de lire les auteurs dont il parle : Cioran, bien sûr mais aussi son cher Amiel ou encore Paul Nizon. J’en oublie, forcément.

Je ne sais pas où est Roland désormais. Il se riait de mon communisme comme de mon catholicisme qui revient avec l’âge. Il n’empêche, je suis content d’avoir ses livres dans ma bibliothèque. Je vais le relire. C’est encore la meilleure des prières en même temps que le plus beau des hommages que je peux lui rendre. Le plus consolant aussi, car nous allons être un certain nombre, à Causeur et ailleurs, à avoir besoin d’être consolé.

Covid: la justice espagnole, garante des libertés

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L’assemblée plénière du Tribunal constitutionnel espagnol. © Tribunal Constitucional de España

Outre-Pyrénées, la Cour constitutionnelle a déclaré inconstitutionnel « l’état d’alerte » sanitaire. Selon elle, la menace n’était pas suffisamment importante pour justifier des restrictions massives de libertés. Une décision diamétralement opposée à celle prise par notre Conseil constitutionnel.


Le 14 juillet, un coup de tonnerre retentit dans le ciel politique et institutionnel espagnol. La Cour constitutionnelle déclare inconstitutionnel « l’état d’alerte » (estado de alarma) mis en œuvre par le gouvernement de Pedro Sánchez au début de la pandémie de coronavirus. Validé par le Congrès des députés (chambre basse des Cortes Generales, le parlement), cet état d’alerte a notamment permis d’appliquer un confinement général de la population.

Durant quatre-vingt-dix-huit jours, environ 47 millions de personnes ont ainsi été priées de ne sortir qu’en cas de besoin impérieux. Les exceptions prévues par la loi étaient peu nombreuses (courses de première nécessité, consultations médicales, achat de médicaments, retour dans sa résidence principale, aide aux personnes âgées ou handicapées, etc.) et les conditions plus drastiques qu’en France. À partir du 28 avril 2020, la « désescalade » s’est organisée progressivement. Après la levée définitive de l’état d’alerte, plus aucun confinement national n’est mis en place outre-Pyrénées.

L’exécutif présidé par Pedro Sánchez a voulu réduire au maximum l’intervention de tout contre-pouvoir

L’état d’alerte, qui peut être décrété pour quinze jours (renouvelables par un vote du Congrès des députés), fait partie des régimes d’exception prévus dans la Constitution espagnole de 1978 (article 116), notamment en cas de pandémie ou de catastrophe de grande ampleur. Cette figure juridique est à l’époque contestée par une partie de l’opposition. De fait, c’est le parti de droite « radicale » Vox qui porte l’affaire devant la Cour constitutionnelle, estimant la mesure attentatoire aux libertés publiques.

A lire aussi, Pierre-Henri Tavoillot: « Confondre obéissance et dictature, c’est rendre la vie commune impossible »

Divisée et visiblement ennuyée face aux conséquences éventuelles d’une décision de censure, la Cour constitutionnelle met du temps à statuer. Six magistrats se prononcent en faveur de l’annulation de l’état d’alerte et de ses conséquences légales, tandis que cinq s’y opposent.

La gauche espagnole ainsi que les médias et commentateurs qui en sont proches réagissent au quart de tour. Une certaine presse va jusqu’à parler de « prévarication » de la Cour constitutionnelle ou de sentence « illégale ». Partenaire minoritaire de la coalition au pouvoir à Madrid, Unidas Podemos s’emporte contre le pouvoir judiciaire. La toute nouvelle ministre de la Justice, la socialiste Pilar Llop, critique elle aussi la décision du haut tribunal. Pour l’équipe de Sánchez, non seulement la Cour a frappé d’inconstitutionnalité une loi qui a sauvé des vies, mais elle a au passage donné raison à Vox – alors même que certains magistrats « progressistes » du haut tribunal ont voté en faveur du recours.

Étrange raisonnement, qui dévoile une conception particulière de l’indépendance du pouvoir judiciaire.

Des répercussions pas si anodines

On peut trouver curieuse cette sentence a posteriori, le confinement concerné remontant à l’année dernière. Outre la portée symbolique de cet arrêt, les conséquences légales ne sont pas nulles, puisque l’on assiste désormais à une avalanche de recours visant à faire annuler les amendes infligées pour non-respect des mesures sanitaires.

De plus, selon les attendus de la sentence, le gouvernement espagnol a eu recours à l’état d’alerte, plutôt qu’aux contraignants états d’urgence (estado de excepción) et de siège (estado de sitio), afin d’éviter le contrôle parlementaire accru que ces deux derniers entraînent. En d’autres termes, l’exécutif présidé par Pedro Sánchez a voulu réduire au maximum l’intervention de tout contre-pouvoir. La nécessité de sauver des vies justifie d’autant moins cette politique que le gouvernement a commencé par minimiser la gravité de la pandémie et tardé à prendre des mesures. L’opposition considère d’ailleurs qu’il s’est rendu responsable de nombreux décès par ses tergiversations initiales.

Un passeport sanitaire retoqué

La justice espagnole ne s’est pas arrêtée là. Au début de cette année, l’arrivée des vaccins contre le coronavirus a été accueillie avec soulagement outre-Pyrénées. Malgré un net retard à l’allumage, comme dans le reste de l’Union européenne, au 23 juillet, plus de 67 % des Espagnols âgés de plus de 12 ans avaient ainsi reçu leurs deux doses de vaccin, tandis que près de 9 % supplémentaires étaient partiellement protégés. Un record mondial parmi les pays peuplés d’au moins 30 millions d’habitants, qui s’explique par la quasi-absence d’antivax et par une excellente organisation. Désormais, de nombreuses régions espagnoles proposent une première dose vaccinale sans rendez-vous et certains « vaccinodromes » ouvrent leurs portes vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Pedro Sánchez préside la XXIVe conférence des présidents de communautés autonomes, Salamanque, 30 juillet 2021. © EFE News Agency

Face à ce franc succès, certaines communautés autonomes ont commencé à réfléchir à l’application d’un passeport sanitaire comparable à celui que nous connaissons en France, concernant essentiellement la restauration, les lieux touristiques et les établissements de loisirs. L’idée a germé au sein d’exécutifs régionaux d’orientation politique différente – depuis la droite d’Alberto Núñez Feijóo (président de la Galice) ou de Juan Manuel Moreno (qui préside l’Andalousie), jusqu’à la gauche de Ximo Puig (qui dirige la Communauté valencienne). Le gouvernement estime pour sa part qu’un document de ce type créerait une discrimination entre Espagnols et renvoie donc la balle dans le camp des régions, qui se plaignent amèrement de l’absence d’une législation d’ensemble. Cela ne les empêche pas de légiférer mais, rapidement, les recours en justice viennent contrarier leurs plans.

Invariablement, les plus hautes juridictions régionales cassent l’application d’un passeport sanitaire. C’est le cas en Andalousie, aux îles Canaries, en Cantabrie, en Galice et dans la ville autonome de Melilla. L’Andalou Juan Manuel Moreno et son gouvernement décident de porter l’affaire devant la Cour suprême espagnole qui, le 18 août, ferme la porte au passe en donnant raison à la cour supérieure de justice de Grenade. La décision est nécessairement appelée à faire jurisprudence dans les autres communautés autonomes. À l’heure actuelle, seules les îles Baléares maintiennent encore une forme de passeport comparable pour accéder aux maisons de retraite ou à certains grands événements publics. Toutefois, cette mesure est elle aussi susceptible d’être rejetée par la justice.

A lire aussi, du même auteur: Madrid: mais comment font ces drôles d’Ibères?

La justice espagnole dans son ensemble prend donc le contrepied de notre Conseil constitutionnel. S’appuyant sur la Constitution de 1978, elle estime que la menace sanitaire n’est pas suffisamment importante pour justifier des restrictions aussi massives des libertés. Les juges invoquent le droit à l’intimité (article 18 du texte constitutionnel) et le principe de non-discrimination entre Espagnols (article 14).

De même, la vaccination obligatoire a peu de chances d’aboutir outre-Pyrénées. La majorité des juristes estiment en effet qu’elle contreviendrait à l’article 15 de la Constitution. (« Toute personne a droit à la vie et à l’intégrité physique et morale. Nul ne peut, en aucun cas, être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants. ») Elle risquerait également de porter atteinte au principe d’« autonomie de la volonté » établi par la loi d’autonomie du patient, votée en 2002. La Cour constitutionnelle elle-même s’est prononcée en ce sens le 23 juillet dernier, suspendant une partie d’une loi galicienne qui prévoyait la vaccination obligatoire contre le Covid-19.

Le gouvernement de Pedro Sánchez a pour l’instant écarté toute mesure de ce type dans le pays, y compris pour des secteurs précis de la population (les enseignants ou les soignants, par exemple). Il faut dire qu’il n’existe aucun vaccin obligatoire outre-Pyrénées, pas même pour les nourrissons ou les enfants, et que la loi organique de 1986 qui prévoit l’obligation vaccinale dans certains cas est appliquée assez souplement. Aussi bien la ministre de la Santé Carolina Darias que la ministre de l’Éducation et de la Formation professionnelle, Pilar Alegría, ont jusqu’à présent rejeté toute contrainte en la matière pour les travailleurs qui dépendent de leur ministère.

Une cascade de décisions

Notons que la justice ibérique a également retoqué d’autres restrictions régionales. En Catalogne, elle a rejeté par deux fois un décret régional qui visait à imposer un couvre-feu à 148 communes au mois d’août, le réduisant à 19 villes. De son côté, la Cour suprême a interdit au gouvernement de Castille-La Manche d’imposer des tests systématiques pour les employés des maisons de retraite.

Il y a fort à parier que l’actualité espagnole va continuer à s’agiter dans ce domaine au cours des prochains mois, même si les partisans d’un « passe sanitaire » ne désarment pas. La Justice s’inscrit ainsi dans la droite ligne de l’école juridique de Salamanque qui, à l’âge moderne, confirmait en Espagne les libertés individuelles et collectives.

«Je suis choqué de voir à quel point les jeunes de ma génération se sont habitués à vivre en insécurité»

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Guilhem Carayon. Photo: D.R.

Guilhem Carayon, 22 ans, est le nouveau président des Jeunes Républicains. Fils d’un ancien député UMP du Tarn, ce jeune homme au physique de rugbyman ne pratique ni la langue de bois, ni la flagornerie avec les barons LR. À la veille du congrès des Républicains, interview d’un militant en rupture avec « les politiciens véreux de tous bords, qui récitent des éléments de langage, et qui dégoutent les jeunes d’aller voter »…


Causeur. En 2016, la droite de gouvernement avait pléthore de présidentiables. Cinq ans après, comme au PS, aucun candidat ne s’impose… 

Guilhem Carayon. Aujourd’hui, il n’y a pas de leader naturel chez LR, c’est un fait. Il faut donc un système pour départager les candidats. On se dirige a priori vers une primaire ouverte aux sympathisants de droite. La crainte des organisateurs c’est de réunir moins de monde qu’en 2016, soit quatre millions de votants. Compte tenu de la plus faible notoriété des candidats, ce sera sans doute le cas. Mais je pense qu’une dynamique va se créer autour du candidat qui sortira gagnant du processus de désignation, à condition que son projet soit à la hauteur des enjeux. 

Je fais partie de la génération qui a commencé à s’intéresser à la politique avec Zemmour

Les électeurs peuvent-ils croire à un projet de droite assumé de la part de Pécresse et Bertrand, eux qui ont quitté LR en critiquant sa dérive droitière ? 

Je regrette de départ de Bertrand et Pécresse en 2017. Aujourd’hui, les deux ont compris qu’il fallait se rapprocher de notre famille politique. Dans un match, il faut respecter les règles de l’arbitre. Aujourd’hui, l’arbitre, c’est les Républicains. Et la règle qui a été fixée, c’est celle de l’unité pour battre Emmanuel Macron et relever la France. Que chacun prenne conscience qu’on doit jouer collectif pour gagner cette élection car deux candidats de droite à l’élection présidentielle, c’est la défaite assurée. Est-ce qu’on fait le choix de la victoire ou le choix de la défaite ? C’est ça la question. 

A lire aussi, Sophie de Menthon: Pourquoi pas un ticket Pécresse / Bertrand pour la présidentielle?

La France n’a jamais autant penché à droite, et pourtant aucun candidat LR ou ex-LR ne semble en mesure d’atteindre le deuxième tour. Pourquoi ? 

La vérité de septembre n’est jamais celle du printemps. La campagne n’a pas démarré, et je pense que la droite peut gagner si elle assume ses valeurs. Je note que les candidats tiennent aujourd’hui un discours très ferme, très à droite, en parlant d’identité, de fierté française, avec des mots qu’on n’utilisait plus depuis longtemps dans notre camp. La droite parlait d’intégration, presque tout le monde parle maintenant d’assimilation sans sourciller, car c’est la tradition française. Il n’y a plus de tabou. 

La popularité soudaine d’Eric Zemmour, sur une ligne politique proche du RPR, profite-t-elle de l’incapacité de LR à parler du réel aux Français? 

Je fais partie de la génération qui a commencé à s’intéresser à la politique avec Zemmour. Nous sommes nombreux à l’avoir vu défier les idéologues de gauche sur les plateaux télé et à la radio, souvent avec brio. Je trouve qu’il s’est radicalisé assez récemment. Son constat général sur les problèmes de la société française reste à mon sens pertinent, mais je lui reproche de le dire de manière trop caricaturale. Et parfois insupportable, comme lorsqu’il parle des femmes. Ou pire, quand il place sur le même plan la haine de la France de Mohamed Merrah, et ses victimes juives de l’école Ozar Hatorah de Toulouse, inhumées en Israël…  Comme si ce choix des familles des victimes était un affront à la France ! C’est d’une stupidité et d’une violence inouïe. Chacun sait que les juifs ne sont pas en sécurité dans notre pays à cause de l’antisémitisme, et que les cimetières juifs sont régulièrement profanés. Comment peut-on dire une chose pareille et vouloir devenir président ? 

Quels sont les enjeux principaux de la présidentielle pour les militants de votre génération ? 

D’une manière générale, l’État doit se concentrer uniquement sur le régalien, avec efficacité, et cesser de vouloir s’occuper de tout, comme le dit très bien David Lisnard. Gagner la présidentielle doit aussi nous permettre de retrouver notre souveraineté juridique sur la question migratoire. Je suis choqué de voir à quel point les jeunes de ma génération se sont habitués à vivre en insécurité. Toutes mes amies trouvent normal d’éviter les jupes et de prendre un Uber pour rentrer de soirée. Elles ont intégré le fait que marcher seule ou prendre les transports en commun le soir n’était plus possible dans la plupart des grandes villes. C’est hallucinant ! Les jeunes hommes ont aussi intégré le fait de baisser les yeux ou de changer de trottoir quand ils croisent une bande de racailles, car ils savent que les gars vont chercher les embrouilles systématiquement. Pour ma génération, l’ensauvagement de la société, c’est le quotidien. Mais peu de jeunes s’en plaignent, comme par « soumission », comme dirait Houellebecq, devant une situation devenue banale en France. 

A lire ensuite: Florian Philippot: « Ce n’est pas moi qui entretiens la peur »

Et pourtant, votre génération est majoritairement pour la société multiculturelle, anti-laïcité, sensible au wokisme, au racialisme… 

Le lavage de cerveau de la gauche, des médias et des leaders d’opinion bien-pensants a fonctionné à plein depuis des décennies. Même l’école participe à ce conditionnement. Un sondage montre que 57% des jeunes enseignants soutiennent le port du voile à l’école. Dans ces conditions, comment compter sur eux pour éduquer à la laïcité et à l’universalisme à la française ? Même problème dans les universités ou l’islamo-gauchisme et le wokisme sont très présents. Je connais bien ce phénomène, puisque je suis étudiant à la Sorbonne, un nid woke bien connu. J’ai assisté à l’empêchement par la gauche de la conférence de l’intellectuel algérien Mohamed Sifaoui, qui devait s’exprimer sur la prévention à la radicalisation islamiste. C’était juste après un attentat. Sa conférence a été annulée, car les islamo-gauchistes du « Poing Levé », l’antichambre du NPA, voyait dans sa conférence un instrument de propagande fasciste ! Un comble… On a dépassé le cap du politiquement correct qui régnait jadis dans les facs, nous sommes passés au règne de l’idéologie décoloniale et racialiste. On laisse des profs de facs dire tranquillement en amphi que la police est raciste. Voilà la réalité. C’est une faute que d’avoir laissé cette situation s’enkyster de la sorte depuis 68. Y compris sur le vocabulaire que la droite utilise : on parle de « sans papiers », comme si c’était des victimes, alors qu’il s’agit de clandestins, de personnes en situation illégale. La gauche a imposé sa novlangue et sa politique. C’est bien pour ça qu’on n’expulse pas les  clandestins, car personne n’ose affronter les remontrances de la gauche et des médias. C’est pour cette raison qu’on a 22% d’étrangers dans nos prisons, qui n’ont pourtant rien à faire chez nous puisqu’ils ont commis des crimes. Il est temps que les choses changent. 

Quelle est la légitimité de la droite pour mettre fin à cette situation, quand Barnier, Bertrand et Pécresse ont déjà été au pouvoir ?  

C’est un mauvais procès. La situation du pays est bien pire après Hollande et Macron. Pour que la droite gagne, elle doit convaincre de sa volonté à mener les réformes radicales que les Français attendent. 

Vous avez été élu président des jeunes Républicains. Les 10 000 jeunes que vous représentez sont-ils écoutés par les barons du parti ? 

Clairement oui, précisément parce que nous sommes nombreux. Avant, dans ce parti comme dans les autres, les jeunes servaient à distribuer les tracts et coller les affiches. À la fin on nous remerciait, puis circulez on n’a plus besoin de vous. Les choses ont changé, le mouvement des jeunes LR est indépendant, avec ses propres statuts. Je n’ai donc aucun mal à exposer les idées fortes que nous défendons : stop à l’immigration incontrôlée, expulsion des immigrés illégaux, insécurité, réforme de la justice, fin de l’impunité pénale, libération de l’économie, réforme de l’éducation, soutien au nucléaire. Nous sommes là pour peser sur les débats, pas pour faire de la figuration. Les jeunes comprennent la société, ils ne la découvrent pas dans des fiches ou des notes, ils vivent dedans. Nous sommes d’une génération qui ne se taira pas devant l’effondrement de son pays.


800 000 voix de Harkis seront toujours bonnes à prendre

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De gauche à droite, Salah Abdelkrim, le président Macron et le général François Meyer. Cérémonie a la mémoire des Harkis au palais de l'Élysée, 20 septembre 2021 © Gonzalo Fuentes/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22607277_000006

Si les mots d’Emmanuel Macron envers les Harkis sont bienvenus, il est difficile de ne pas y voir aussi une stratégie électoraliste. La propension des bons apôtres macroniens à juger de haut leurs futurs adversaires et les thèmes mis en avant par Eric Zemmour est insupportable.


L’arrogance est un défaut détestable mais l’arrogance du pouvoir l’est encore bien davantage. Comme une sorte de pléonasme pervers. Je ne discute même plus des choix politiques, de l’adhésion à tel ou tel parti ou du soutien à apporter à une personnalité plutôt qu’à une autre. Mais de la manière dont ce pouvoir considère tous ceux qui ne pensent pas comme lui et n’appartiendraient pas à ce cercle de la rationalité qui n’éclairerait que le président de la République et LREM. Pour qui nous prennent-ils ?

Faut-il vraiment admirer cette démarche présidentielle fluctuante et racoleuse qui passe de la colonisation crime contre l’humanité au pardon demandé aux Harkis ? En passant par notre ministre de l’Intérieur, petit-fils de Harki, contraint à Alger de rendre hommage aux combattants du FLN et la complaisance présidentielle à l’égard de la famille de Maurice Audin. Ces sinuosités erratiques et contradictoires ne visent qu’à racoler de l’électorat pour 2022 ! 800 000 voix de Harkis seront toujours bonnes à prendre !

Le président Macron se surpasse

Je ne conteste pas qu’en fin de mandat aucun président ne s’est tenu éloigné de la démagogie mais Emmanuel Macron, sans doute persuadé d’être réélu mais continuant par précaution à mettre la main à la pâte, dépasse très largement ce que la tradition démocratique juge acceptable. Avec un cynisme qui n’éprouve même plus le besoin de se voiler, à droite, à gauche, au centre, il flatte, joue de l’émotion, récompense, accumule et multiplie. Plus de six milliards d’aides. Les vannes lâchées à tous points de vue.

Il n’y a plus l’ombre d’une cohérence dans cette machine qui tourne à plein régime et fait feu de tout bois, l’essentiel étant de cueillir et de récolter. Dans la soie et le velours, c’est une honte républicaine. Mais pour qui nous prennent-ils !

A lire aussi: Michel Onfray revient sur quelques crimes de la pensée

Non seulement le président est en campagne depuis plusieurs mois – c’est sans doute ce qu’on appelle faire son devoir jusqu’à la fin de son mandat ! – mais son entourage, par exemple Christophe Castaner, ancien ministre et chef de file des députés LREM, ou Stanislas Guerini, délégué général de LREM, se permettent de moquer les opposants au président.

Mais bien sûr…

D’abord, ces bons apôtres macroniens sont-ils fondés à juger de haut leurs adversaires ? Ont-ils été si brillants, si remarquables dans leurs fonctions, pour qu’on puisse attacher une quelconque crédibilité à leur dénonciation ? Pour pourfendre Eric Zemmour qui probablement sera candidat, tout doit servir jusqu’à l’absurde. On a bien compris que le président était le seul à user d’une « dialectique rationnelle » alors que « le discours de Zemmour est brutal et basé sur l’émotionnel ». Le débat sera « tiré vers le bas » : comment ne pas croire à l’air de supériorité affiché par les inconditionnels du président qui ont démontré sur les plateaux de télévision à quel point ils avaient un programme très riche à faire valoir : dire du bien d’Emmanuel Macron. C’est ce qu’il convient à l’évidence de reconnaître pour des argumentations tirées vers le haut ! Ils nous prennent pour qui !

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Le citoyen est-il si niais pour ne pas comprendre qu’il est intolérable pour ce pouvoir de voir advenir au premier plan de la campagne présidentielle les thèmes qui lui importent ? Comme la faiblesse régalienne de ce président et de son équipe est patente, comme l’immigration et le communautarisme sont des enjeux capitaux face auxquels les réponses sont médiocres, comme la société est fracturée, il ne faudra surtout pas parler de ces maux et de ces désastres. Mais seulement de l’économique et du social qui à tort ou à raison sont perçus comme le moins mauvais du bilan présidentiel.

Loin d’être « tiré vers le bas », le débat, avec tous ceux qui sont attentifs au délitement de la France et à sa dislocation en univers autarciques et malfaisants où la République ne fait plus la loi, de Valérie Pécresse à Xavier Bertrand, de Marine Le Pen à Eric Zemmour, sera au contraire authentique et de qualité. Tiré vers le vrai. Je rejoins Jean-Claude Dassier qui dans l’Heure des Pros 2 du 20 septembre a déclaré qu’avec Zemmour la confrontation aurait « de la gueule ». Il n’est pas nécessaire d’approuver ce dernier pour juger sommaire, infiniment réducteur et insultant le jugement à son encontre le résumant à « une logorrhée nationaliste et islamophobe ». Ce n’est pas seulement le mépriser mais ne rien comprendre à ce qu’il est et à son influence. Et donc ne pas chercher à la réduire ! Mais pour qui nous prennent-ils donc !

Ce que demande le peuple

Seront mises sur la table démocratique, par Zemmour et d’autres, des problématiques et des angoisses qui n’auront que le seul tort de n’être pas celles des élites mais celles du peuple. Et il faudrait d’urgence la desservir pour ne pas ruiner l’image d’un président soucieux de la seule France qui va bien et pour laquelle il a tant fait !

Dans cette complexité et cette effervescence, ces surprises et ces attentes, il est sans doute difficile pour beaucoup de prendre déjà un parti mais à voir la manière dont l’arrogance de ce pouvoir se convainc lui-même qu’il est irréprochable et performant, dont il se pousse du col, peut-être sait-on déjà qui n’aura pas notre voix ? Mais pour qui nous prend-il donc !


Le regard d’Elisabeth Lévy: « Macron sur les Harkis ? Difficile d’évacuer le soupçon d’électoralisme »

Retrouvez la chronique d’Elisabeth Lévy tous les matins à 8h10 dans la matinale de Sud Radio.

Derek Chauvin, condamné d’avance

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Derek Chauvin © D.R.

Le procès de Derek Chauvin, policier blanc reconnu coupable de la mort du Noir George Floyd, a été marqué par une instruction expédiée à la hâte, des violations de droits de l’accusé et d’innombrables pressions politiques et médiatiques. Dans l’Amérique d’aujourd’hui, rendre la justice, c’est aussi satisfaire les lobbys racialistes.


La mort de George Floyd, survenue le 25 mai 2020, a déclenché une vague d’indignation et de violence qui s’est répandue à travers les États-Unis et le monde. Disons-le d’emblée, cette mort, enregistrée par des caméras de sécurité et des téléphones portables, est aussi cruelle que regrettable. Le 20 avril 2021, un jury a reconnu Derek Chauvin, un policier blanc de Minneapolis, coupable de la mort de Floyd. Le 25 juin, Chauvin a été condamné à 22 ans et six mois d’emprisonnement, et la demande d’un nouveau procès faite par son équipe de défense a été rejetée. Entre-temps, le 7 mai, il a été mis en examen, avec trois autres policiers, pour la violation des droits civils de Floyd, ainsi que pour un autre cas, survenu en 2017, où Chauvin, par la même technique d’immobilisation que celle utilisée sur Floyd, avait provoqué l’évanouissement d’un adolescent. Ces procès débuteront en 2022.

Une nécessité politique nationale

Le spectre du premier procès de Derek Chauvin, avec ses nombreux dysfonctionnements, continuera à hanter l’Amérique. Ce procès n’a jamais été qu’une simple affaire judiciaire [1]. Pour la plupart des Américains, sa condamnation était une nécessité politique nationale. Or, cette volonté farouche de le voir condamné l’a privé de beaucoup de ses droits constitutionnels. Très peu de commentateurs ont eu le courage de défendre la présomption d’innocence et son droit à un procès équitable.

Pour les militants BLM, les partisans de la « théorie critique de la race » et les défenseurs des droits civiques, George Floyd n’est pas seulement une victime, mais un martyr, un doux géant, un véritable ange, équipé dans certaines représentations d’une paire d’ailes, tandis que la culpabilité de Derek Chauvin était acquise d’avance. En conséquence, le procès devait nécessairement aboutir à des verdicts de culpabilité sur tous les chefs d’accusation afin de contribuer au démantèlement du « racisme systémique » en Amérique. Logiquement, pour ces activistes, toute forme d’action directe était justifiée, des manifestations de rue aux pressions politiques, accompagnées d’une menace implicite de nouvelles violences – tout ce qu’il fallait pour garantir le « bon » verdict.

Manifestation après la mort de George Floyd, Atlanta, 29 mai 2020. © Ben Hendren / ANADOLU AGENCY / AFP

La foule des citoyens impatients d’assister à un procès expéditif a exercé une pression terrible sur les autorités politiques et judiciaires du Minnesota. Mike Freeman, le procureur du comté local, chargé d’engager les poursuites criminelles contre Chauvin, en a été une des premières victimes. Aux yeux de ses détracteurs, il s’était montré par le passé trop favorable à la police, et une campagne a réclamé sa mise à l’écart. Au cours des deux semaines suivant la mort de George Floyd, son bureau a reçu plus de 4 millions de courriels et 29 000 messages vocaux exigeant une accélération du processus judiciaire, tandis que lui-même était la cible d’attaques personnelles sur les réseaux sociaux. Des manifestations presque quotidiennes, rassemblant parfois plus d’un millier de personnes, ont assiégé sa résidence privée, de sorte qu’il a été obligé de vendre sa maison à perte pour déménager et protéger sa famille. Pour les manifestants, il était tout à fait légitime d’intimider un élu et de chasser sa famille de son domicile. « C’était une grande victoire. On a fêté ça », a affirmé l’un des meneurs. Finalement, en septembre 2020, le gouverneur du Minnesota a remplacé l’équipe de Freeman par une autre issue du bureau du procureur général de l’État.

Les autorités ont sans doute estimé que si le procès était dépaysé et que Chauvin était acquitté par un jury majoritairement blanc, Minneapolis brûlerait

Le juge de la cour fédérale de district, Peter Cahill, un magistrat respecté fort de quatorze ans d’expérience dans le poste après une carrière de procureur et d’avocat, a très vite été lui aussi  en butte aux pressions extérieures. Il avait la faculté d’isoler les jurés pendant la durée du procès afin de minimiser l’influence des médias et des événements sur leur verdict. Pourtant, il a refusé une demande en ce sens de la défense de Chauvin, prétextant que la couverture médiatique de la mort de Floyd avait déjà été considérable. Il a même permis que le procès soit diffusé à la télévision pour la première fois dans l’histoire de l’État du Minnesota. Enfin, il a rejeté la demande de l’avocat de Chauvin d’un dépaysement du procès, qui aurait permis que celui-ci se déroule dans un autre comté ou État, avec un nouveau juge et un nouveau jury. Un tel changement n’est pas inhabituel quand il s’agit de procès importants très médiatisés, où on peut craindre que les jurés soient biaisés ou victimes d’intimidation. En 1999, la cour d’appel avait annulé la condamnation d’un policier blanc de Detroit, accusé d’avoir battu à mort un automobiliste noir, parce qu’au moins un des jurés avait exprimé la crainte qu’un tel verdict déclenchât des émeutes.

1 500 bâtiments dégradés, des morts

Dans le procès de Derek Chauvin, la menace de violences était à prendre au sérieux. Dans les quelques semaines qui ont suivi le 25 mai, la région Minneapolis-Saint-Paul a été le théâtre d’au moins deux morts, 604 arrestations et plus de 500 millions de dollars de dommages touchant environ 1 500 bâtiments. À l’évidence, la municipalité de Minneapolis craignait  qu’un verdict de non-culpabilité provoque une nouvelle vague de violences. Chaque jour, les jurés, sous protection policière, accédaient au palais de justice par une porte dissimulée. Ils ne pouvaient pas l’ignorer: le bâtiment était entouré de barbelés, de barrières et de véhicules militaires. Le jour du verdict, plus de 2 000 membres de la garde nationale et 1 100 policiers assuraient la sécurité autour du tribunal. Le souvenir de l’affaire Rodney King a certainement joué. En 1992, cet homme noir a été battu à mort par quatre policiers blancs. Le verdict de non-culpabilité, rendu par la suite par un jury majoritairement blanc, a déclenché les pires émeutes locales de toute l’histoire des États-Unis, avec un bilan de 63 morts et 2 383 blessés. Les autorités ont sans doute estimé que, si le procès était dépaysé et que Chauvin était acquitté par un jury majoritairement blanc, Minneapolis brûlerait.

Le processus de sélection des jurés, long et fastidieux, est souvent problématique dans les affaires importantes. Cela a été encore plus vrai pour Derek Chauvin. Le 12 mars, quatre jours seulement après le début de ce processus, Jacob Frey, le maire de Minneapolis, un jeune et ambitieux avocat des droits civiques, très engagé dans le mouvement pour accélérer le cours de la justice, a, lors d’une conférence de presse fracassante, annoncé que le conseil municipal avait approuvé le paiement de 27 millions de dollars de dommages et intérêts à la famille de Floyd qui avait lancé des poursuites contre la ville pour mort injustifiée, Chauvin et ses collègues policiers ayant utilisé « une force injustifiée, excessive, illégale et mortelle ». Un tel paiement constituait de la part de la municipalité un aveu de culpabilité qui, à ce moment précis, ne pouvait qu’influencer le jury. Et il a suscité la colère du juge Cahill. À la fin de la sélection des jurés, dans un comté – celui de Hennepin où se situe la ville de Minneapolis – blanc à 68 % et noir à seulement 13 %, la moitié des jurés étaient noirs ou métissés, et certains avaient déjà critiqué les forces de l’ordre américaines pour leur traitement des Noirs.

Beaucoup d’Américains de la classe moyenne, blancs et résidant dans des quartiers plus aisés, ne croient pas au fond d’eux-mêmes que leur pays soit institutionnellement raciste

En termes de moyens, le ministère public, avec 13 avocats et un spécialiste de la sélection des jurés, avait un avantage évident. L’équipe de défense, financée par le syndicat de la police, comportait un seul avocat et un assistant juridique. C’était David contre Goliath. La phase de la présentation des preuves a été dominée par le témoin-vedette à charge, la vidéo de neuf minutes de la mort de la victime. Les témoins experts ont défendu des avis divergents sur la légalité de l’usage par Chauvin de son genou et sur le fait que ce genou ait été la cause principale de la mort de Floyd. Le médecin légiste du comté a estimé que Floyd était mort d’un arrêt cardiaque, plutôt que d’une asphyxie, et qu’il avait une maladie du cœur, le sien étant gonflé. Son sang contenait des taux dangereux de fentanyl et de méthamphétamines. De surcroît, il avait ingurgité de la drogue pour éviter d’être accusé de possession de stupéfiants. Ces éléments auraient pu créer un doute dans l’esprit des jurés quant à la pleine responsabilité de Chauvin. Les procureurs ont rejeté ces arguments comme absurdes et déclaré que Floyd était décédé parce que le cœur de Chauvin était « trop petit ». L’émotion a primé sur la science.

“Coupable, coupable, coupable!”

D’autres événements ont influencé le procès. Le 11 avril, toujours dans le Minnesota, un Noir de 20 ans, Daunte Wright, a été tué par une policière blanche, provoquant deux jours de confrontations entre manifestants et forces de l’ordre, accompagnées de pillages. Le 19, une sénatrice démocrate, l’Afro-Américaine Maxine Waters, a déclaré lors d’une nouvelle manifestation : « J’espère que nous aurons un verdict de coupable, coupable, coupable. Et si ce n’est pas le cas, nous ne pourrons pas partir. Il faudra qu’on reste dans la rue. […] Il faudra que nous soyons plus agressifs. » Le 20, le jury rendait effectivement un verdict de culpabilité sur les trois chefs d’accusation (homicide involontaire et meurtre aux deuxième et troisième degrés). Le jugement a créé un sentiment de soulagement et de jubilation dans une grande partie du pays. Selon des sondages, 92 % des Noirs et 90 % des sympathisants démocrates ont approuvé la condamnation de Chauvin.

Bien que certaines voix, notamment celle de l’éminent spécialiste de droit criminel et constitutionnel Alan Dershowitz, se soient élevées pour pointer les erreurs significatives dans la gestion du procès, le jugement du 25 juin a débouté la demande d’appel de Derek Chauvin. Pour les manifestants, les activistes BLM et les militants des droits civiques, le procès Chauvin est une « affaire close ». Pourtant, le nom du policier, ainsi que les doutes sur la conduite de son procès, risquent de revenir sur le devant de la scène l’année prochaine avec le second procès des droits civils. 2022 est aussi l’année des élections de mi-mandat, en novembre, qui précéderont la campagne présidentielle de 2023-2024. Autant dire que les enjeux politiques sont importants. Si les démocrates perdent leur majorité de cinq sièges à la Chambre des représentants, cela paralysera tous les projets Biden-Harris. On observe déjà une évolution de l’opinion publique qui s’éloigne du programme de Biden, surtout en matière de politique identitaire. Beaucoup d’Américains de la classe moyenne, blancs et résidant dans des quartiers plus aisés, ne croient pas au fond d’eux-mêmes que leur pays soit institutionnellement raciste, pas plus qu’ils ne pensent que le financement de la police doive être supprimé ou que le gouvernement doive imposer la « théorie critique de la race » dans les écoles et dans les entreprises. Le rappel de la hâte avec laquelle Derek Chauvin a été condamné et des aspects discutables de son procès pourrait alimenter une réaction contre le matraquage idéologique, encouragé et exploité par Joe Biden, au sujet du racisme systémique et de la suprématie blanche. L’Amérique profonde ne sort peut-être pas dans la rue pour protester, mais elle sort pour voter.


[1] Voir Alain Destexhe, « L’Amérique ne pouvait pas ne pas condamner Chauvin », Causeur.fr, 24 avril 2021.

Qui a eu cette idée folle, un jour de fermer l’école?

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Le ministre à Yvré-L Evesque (72), 15 septembre 2021 © SICCOLI PATRICK/SIPA Numéro de reportage : 01038511_000021

Dans son nouveau livre, le ministre de l’Éducation nationale, qui ferraille dur face à des syndicats frileux, espère que l’épidémie permettra aux Français de retrouver le sens de l’École.


Point n’est besoin d’être prof de Lettres pour savoir que dans un texte, ce qui n’est pas dit est au moins aussi important que ce qui s’énonce. 

Le non-dit pèse son poids, et dans les essais quasi politiques — et le dernier livre de Jean-Michel Blanquer appartient à cette catégorie —, il marque les thèmes dominants. 

Sous le visage souriant du ministre, on devine assez bien, à lire École ouverte (Gallimard), son exaspération rétrospective, après 18 mois de lutte pour maintenir les écoles en état de recevoir les élèves, ou pour aménager au mieux ces vacances forcées que furent les confinements, stricts ou perlés, face aux jusqu’au-boutistes du cadenas sanitaire ou à un corps enseignant qui, pour aussi admirable que le décrive le ministre, se mit parfois « aux abonnés absents » au moment où l’on avait le plus besoin de lui.

Ces enseignants qui avaient peur de mourir du Covid

Je n’en veux pour preuve l’absence quasi-totale du mot « syndicats » : il apparaît furtivement p. 71, à propos d’une « grève massive » dont Blanquer souligne aussitôt qu’elle fut « peu suivie » — et parfois en creux, au détour d’une expression, lorsque le ministre évoque « les professionnels du tohu-bohu ». Ces mêmes syndicats qui aujourd’hui encore font dans la surenchère sécuritaire — alors qu’un seul enseignant est décédé du Covid, au tout début de l’épidémie, et encore l’avait-il attrapé en Chine. Mais j’ai trop en mémoire cette responsable syndicale arrivant au collège Daumier de Martigues avec son mètre-ruban, en mai 2020, pour mesurer l’espacement exact entre les tables et vérifier qu’elle ne prenait pas de risques exagérés en revenant au travail — et qui, du haut de sa suffisance syndicale, fit supprimer tout ce qui était susceptible de porter un instant un virus, ordinateurs et rétro-projecteurs compris. 

Peut-être aurait-elle dû supprimer les élèves…

C’est justement d’élèves que parle Blanquer. Certes, il salue l’engagement de ceux qui consacrèrent à l’enseignement en distanciel bien plus de temps et d’énergie que ne leur coûtaient leurs cours ordinaires — évoquant celle qui montait les étages des immeubles sans ascenseur pour distribuer le travail aux enfants les plus démunis, ou ceux qui improvisèrent sur France 4 des séances filmées suivies par plus de 800 000 élèves. Mais il se soucie surtout des enfants et des adolescents que gère la rue de Grenelle. Il s’en soucie bien plus que nombre de syndicalistes qui se disputèrent les nouveaux adhérents dans les rangs des trouillards, quitte à renier ce qui avait été le cœur de leur engagement, des décennies durant. C’est ainsi que le SNALC s’aligna sur les positions du SNES — et vit ses effectifs fondre au profit d’Action et démocratie, un petit syndicat qui ne hurlait pas avec les hystériques de la pandémie.

Enseigner est un apostolat

Parce que quitte à me répéter… Ce métier est un apostolat, et rien d’autre. Vos propres enfants passent loin derrière ceux que l’on vous confie — c’est du moins ainsi que j’ai fonctionné pendant 45 ans. Et ce n’est pas quand l’urgence impose d’avoir un peu d’audace que l’on doit reculer. Sinon, le 15 novembre 1797, Bonaparte n’aurait pas traversé le pont d’Arcole au péril de sa vie : il aurait constitué une Commission pour savoir quelle solution présentait le moins de risques.

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Je n’ai jamais ménagé mes critiques envers Blanquer. Je n’ai jamais compris pourquoi il n’a pas, dans les dix premières minutes de son ministériat, pris un décret annulant tous ceux de Vallaud-Belkacem. Ni pourquoi il n’a pas imposé immédiatement une méthode de lecture à des instituteurs qui persistent à employer du semi-global : la méthode Lego, testée avec succès dans quelques centaines d’écoles au grand dam des institutionnels de la Bêtise, n’a été mise au point que fin 2020 — alors que des méthodes alpha-syllabiques efficaces existaient depuis longtemps. Ni pourquoi il n’a pas viré séance tenante les pontes du pédagogisme qui tenaient, et tiennent encore, les Instituts de formation des maîtres : le sacro-saint statut de la Fonction publique ne tient pas lorsque la nation est en danger — et depuis trente ans, le pédagogisme l’a mise en danger. Après tout, en arrachant les mutations aux syndicats qui en faisaient leurs choux gras, il n’a pas hésité à contourner le « barème » : la multiplication des « postes à profil », qui échappent aux règles de fer qui ont fait de la viviparité la preuve de la compétence pédagogique, de sorte que dans les postes les plus exposés ne sont nommés que les néo-profs les plus inexpérimentés, sont une bonne chose ; mais pourquoi ne pas avoir décrété qu’ils seraient désormais la règle, partout, toujours, et que les chefs d’établissement pourraient constituer les équipes de leur choix ? Combien je connais de proviseurs qui rêvent d’orienter vers une retraite précoce des enseignants qui ânonnent le même cours depuis des lustres — quand ils ne se contentent pas de lire le journal devant leurs élèves éberlués…

Tout cela pour dire que j’ai abordé ce livre avec méfiance. Je suis trop républicain pour ne pas me méfier d’un démocrate.

Dès les premières lignes Blanquer pose le problème : « Que cette épidémie ait au moins ce mérite : nous obliger à retrouver le sens de l’École ». Parce qu’il s’était dilué depuis une trentaine d’années, et que cela paraît arranger tout le monde. « L’enseignement de l’ignorance », comme dit Michéa, pouvait s’adapter aux confinements les plus étroits, au port du masque qui gêne la transmission et la communication, aux cours à distance qui n’en sont pas vraiment. « Dans cette situation incertaine s’est joué le choix entre une École vue comme notre institution fondamentale ou comme la variable d’ajustement de nos peurs. » 

Le thème de la future campagne d’Emmanuel Macron ?

Disons tout de suite que le ministre a l’air de penser — et je le rejoins entièrement sur ce point — que l’Éducation et la Culture seront les enjeux majeurs des prochains mois. Et le thème central, sans doute, de la campagne de Macron II. Ses concurrents n’ont pas pris la mesure de ce qui vient de se passer, et qui n’est pas entièrement derrière nous. Les Français ne veulent pas entendre parler d’économie, de dette, ni même d’emploi. Ils veulent qu’on les rassure sur leur être profond, sur la résistance aux menées islamistes (Blanquer nomme ainsi l’agresseur de Samuel Paty, p endant que d’autres préfèrent parler de « loup solitaire », tout comme il a identifié clairement les islamo-gauchistes qui « font le lit de ce qui est l’un des fascismes de notre temps »), ils veulent éviter le « suicide français » dont un célèbre polémiste leur rebat les oreilles… Zemmour pour le moment a seul compris, avec Valérie Pécresse, que le renouveau français serait le thème principal de la campagne.

Le ministre n’est pas de ceux qui prônent, comme Ivan Illich, la « société sans école », ni qui croient que la parole des hilotes vaut celle des savants. La « déconstruction » à la française a manqué d’anéantir l’École, il veut, dit-il, la rebâtir.

Propos étrange dans la bouche d’un homme qui en théorie vit ses derniers mois rue de Grenelle — où il a battu tous les records de longévité, au milieu de l’hostilité syndicale. Pense-t-il y rester au-delà de la réélection de Macron — que je me suis permis d’annoncer il y a plusieurs mois ? Je crois que Blanquer a compris que le souverainisme, dont tout le monde parle et qu’on ne voit nulle part, sera l’enjeu central de la campagne qui s’est ouverte. Et que l’École est le pilier central d’une nation souveraine. « La mère de toutes les batailles », dit-il. 

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Il ne suffit pas, pour s’autocongratuler, de constater que « la France a été un des pays qui ont le plus maintenu les écoles ouvertes… » En Lombardie, note incidemment Blanquer, les élèves ne sont ainsi quasiment pas revenus en classe entre mars 2020 et juin 2021 — un rêve de fainéant. Et d’insister sur la nécessité de l’École comme « lieu physique ». 

Encore faut-il mesurer exactement ce qui s’est effectivement perdu — et ce qui aurait pu se perdre.

L’attitude frileuse des syndicats, les diktats des médicastres, « ceinture et bretelles à tous les étages », dit joliment Blanquer, soûlés de succès médiatiques — Knock enfin au pouvoir ! — et qui « tiennent pour bien peu de poids la fermeture des écoles », les craintes des parents influencés par des médias qui racolaient en brodant sur une apocalypse qui n’a jamais eu lieu, celles des enfants que l’on persuadait — une faute impardonnable — qu’ils allaient tuer leurs grands-parents, tel était le terrain sur lequel a combattu le ministre. Par loyauté il affirme que Macron partageait ses convictions sur la nécessité de conserver le plus longtemps possible les élèves en face de leurs enseignants. Mais bien souvent les souhaits en ce sens du ministre ont été contredits par l’Élysée, soumis à la férule d’experts bardés d’avis péremptoires et ravis d’anéantir les libertés publiques : le Covid, note Blanquer, qui a des Lettres, a marqué la revanche de Rousseau sur Locke, du dirigisme absolu contre la liberté de vivre. Blanquer, soutenu en ce sens par un directeur de Cabinet que le Covid a touché sans le couler, a œuvré au mieux, avec des moyens parfois dérisoires, pour maintenir à flot la relation pédagogique. 

Plutôt Phèdre que Netflix

Il sait bien qu’il a perdu un certain nombre d’élèves — surtout dans ce qu’il appelle « les territoires les plus pauvres ». Et pourtant c’est un député communiste, Sébastien Jumel, qui au début mai 2020 s’est insurgé contre la reprise. Elle est loin, l’époque où le Parti donnait des cours du soir aux ouvriers.

Et à trois jours de la rentrée de septembre, « un groupe de scientifiques et de médecins croit bon de publier une pétition. Pour expliquer que l’Éducation Nationale n’était pas prête. » La crainte sans doute de ne plus être invité sur BFM pour s’y faire maquiller.

La récente décision de fermer les classes dès qu’un cas de Covid est révélé touche principalement les écoles des ghettos sociaux où la résistance aux vaccins est la plus forte. Double peine… Le ministre doit savoir aussi que ces mois de vacances forcées, qui voyaient déambuler des bandes d’adolescents désœuvrés dans les rues de Marseille, ont mis à mal l’habitude scolaire elle-même, laissé des séquelles d’une ampleur considérable, et que les élèves sont revenus en classe bardés d’habitudes bien peu scolaires. Sans compter que leurs compétences en lecture, par exemple, ont diminué en moyenne de 20% — on est passé de pas grand-chose à presque rien. Il n’ignore pas qu’ils ont bronzé à la lumière de leur télé — et qu’il fallait les faire revenir en classe au plus tôt, parce que, dit-il joliment, « plutôt Phèdre que Netflix ». Surtout ceux des lycées professionnels, privés d’ateliers et de savoir-faire. Il sait enfin que nombre d’enseignants voudraient passer tout de suite, alors même que le variant Delta régresse, de la phase 2 à la phase 3 — rentrer chez soi et se réfugier sous leur couette. Cette épidémie (le terme ferait sourire ceux qui ont vécu la peste de 1348 ou la grippe de 1918 — mais nous avons perdu l’habitude d’être en danger de mort) a rendu fous trop de gens. Oui, il y a certes de quoi se demander, comme le fait le ministre, « comment réagirait notre pays en cas de guerre ». Surtout depuis que l’on ne donne plus le petit Bara comme exemple à l’école. Ni Bayard, ni Duguesclin. Quant à Napoléon, il se fait déboulonner à Rouen et ailleurs. Et le Conseil de défense sanitaire s’aligne sur Edmond Le Bœuf qui à la veille de la déroute de 1870, affirmait : « Il ne manque pas un bouton de guêtre. » On connaît la suite.

Ce livre a une seconde partie, plus programmatique, une partie qui explique le titre de l’ouvrage. Blanquer y explique que la fermeture des écoles, dans le monde, a suivi très exactement la part des investissements auxquels consentent les pays en matière d’éducation. Singapour ou la Corée du Sud, qui n’ont que les cerveaux comme matière première, brillent dans les palmarès — parce que, comme le formule très bien Blanquer, « ”l’éducation est le meilleur des calculs économiques.” Qui parie avec moi que ce sera l’un des thèmes principaux de la campagne à venir de Macron ? Ou de quiconque aura compris que « les seuls « raisonnables » sur cette planète sont ceux qui voient que nous ne nous n’en sortirons pas si nous ne donnons pas réellement la priorité à l’avenir, c’est-à-dire aux enfants, c’est-à-dire à l’éducation. » Qui parie avec moi que cette phrase ressortira toute crue d’un prochain discours de Macron ?

Le monde à venir se dessine en Orient. Blanquer ne détesterait pas qu’il se dessine aussi ici. Mais il faudrait d’autres méthodes, plus musclées que les siennes. Non pas un équilibre, qu’il appelle de ses vœux, entre un ministère jacobin et des transferts de responsabilités à tonalité girondine, mais une mutation complète du système. On ne reviendra pas à l’École de la IIIe République, qui nourrit tant de fantasmes. Celle du XXIe siècle sera délocalisée ou ne sera pas. 

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Elisabeth Lévy: « Nous avons fait cette une pour alerter sur un phénomène »

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Vendredi dernier, notre directrice de la rédaction était invitée chez Cyril Hanouna, au sujet de notre dernière Une...


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La diversité, cette maladie chronique de la démocratie française

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L'essayiste Driss Ghali. D.R.

Plusieurs voix s’élèvent contre l’offensive d’Éric Zemmour en lui reprochant d’ignorer les véritables préoccupations des Français. Elles avancent que les Français sont inquiets de l’érosion du pouvoir d’achat, de la hausse du chômage et du changement climatique. L’Islam et l’immigration seraient des problèmes parmi d’autres. C’est drôle : les mêmes n’ont pas dit un mot lorsque Macron et Castex ont éteint les lumières sur le débat public pour cause de pandémie ! Cela fait presque deux ans que le covid est la seule priorité que le gouvernement daigne aborder, le seul problème dont il se sent responsable.

Taquinerie à part, la question est extrêmement intéressante sur le fond. En effet, la diversité est une machine à polluer le débat public : elle intoxique l’agenda politique et détourne l’attention des sujets les plus nobles et fascinants.  Elle met sur le devant de la scène des thèmes à la charge symbolique explosive et d’autres, moins sensibles, mais tout à fait stériles.

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En tête des sujets explosifs qui phagocytent le débat : l’islamisme et l’ensauvagement. Ce sont deux « cadeaux » que l’immigration a fait à la France. Par leur nature, ils déstabilisent totalement la société qui se retrouve, pour la première fois depuis longtemps, confrontée à la peur. La peur primaire que ressent la proie face à son prédateur, la peur de perdre son habitat et son territoire ; la peur de la femme face au risque du viol ; la peur de l’homme qui mesure qu’il ne peut plus défendre sa famille d’une agression extérieure, ce qui le rend absolument « inutile » sur le plan symbolique ; la peur causée par le spectre de la mort violente pour des raisons futiles (le « mauvais regard »), la terreur suscitée par le fanatisme religieux et la perspective d’une guerre religieuse sur le sol français. N’oublions pas que la France est un pays de guerre civile : les Huguenots contre les Catholiques, les révolutionnaires contre les monarchistes, Vichy contre la gauche. Tous ces conflits ont été habités par le fanatisme idéologique et religieux, cette expérience a laissé des traces, et elles sont réveillées à chaque « escarmouche » entre le peuple de souche, déchristianisé, et le peuple immigré, majoritairement musulman.

Cette peur s’empare des esprits et des coeurs. Elle relativise tous les autres sujets, même les plus structurants comme la politique énergétique ou environnementale. La peur nous « dégrade » et nous remet à notre condition animale : je survis ou pas ? je suis une proie ou bien un prédateur ?

Impossible de demander aux passagers du bus de Bayonne dont le chauffeur a été lynché par des jeunes immigrés de se préoccuper du changement climatique ! Ils ont été durablement traumatisés et exigent que justice soit faite avant de penser à autre chose. Impossible de demander à une femme qui se fait harceler dans la rue du matin au soir de se passionner pour des questions d’urbanisme ! Quand l’intégrité physique et morale est en jeu, les sujets techniques deviennent soudain étonnement lointains et futiles.

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D’autres sujets moins dramatiques polluent tout autant les esprits des Français et les détournent des grandes questions de notre époque. Je pense par exemple aux querelles minables sur la représentativité et qui se réduisent au final à calculer le taux de mélanine dans le sexe de l’ange. Quand on ne se chamaille pas sur les « discriminations », on se dispute sur les violences policières prétendument infligées à un voyou. L’on perd un temps « de dingue » sur des polémiques stériles impliquant des racailles dont le Q.I et la contribution sociale sont nulles.

Parmi les questions minables, il y a le sujet du Ramadan. La France, au lieu de réfléchir à la relation avec la Chine ou à la conquête spatiale, se retrouve à aménager les horaires des écoles ou à modifier les dates des examens académiques. L’on peut dire la même chose de la fête du mouton et de ses querelles éternelles sur la protection des animaux, les lieux d’abattage et l’hygiène. Ça ne vole pas très haut…

Donc si l’on veut réellement renouer avec les sujets qui importent vraiment, il convient de régler le problème de l’immigration. Sinon, la France aura de moins en moins de temps et « d’espace cerveau disponible » à consacrer aux enjeux qui en valent vraiment la peine.

Maryam Monsef: une féministe pro-talibans?

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Maryam Monsef, la Ministre des Femmes et de l'Égalité des genres de Justin Trudeau. Photo D.R.

Nos frères talibans…


Le retour au pouvoir des talibans, ces champions incontestés de la misogynie, a eu l’effet imprévu de lancer un concours de gaffes parmi les féministes de la planète. La Française Sandrine Rousseau, candidate à la primaire des Verts, a mis la barre assez haut quand, lors d’un débat sur BFM TV, elle a semblé affirmer qu’il valait mieux avoir des terroristes potentiels en France pour pouvoir les surveiller, propos qu’elle a ensuite qualifiés de « maladroits ».

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Mais elle est concurrencée par la Canadienne Maryam Monsef, ministre des Femmes et de l’Égalité des genres dans le gouvernement de Justin Trudeau (qui cherche à se faire élire pour la troisième fois le 20 septembre). Lors d’une conférence de presse, le 25 août, avant de demander au nouveau régime de Kaboul d’assurer l’évacuation de tous ceux qui voulaient quitter l’Afghanistan – demande quelque peu naïve –, elle lance cette phrase : « Je profite de cette occasion pour m’adresser à nos frères les talibans. » L’esclandre est immédiat, la plupart des Canadiens ne comprenant pas qu’une féministe puisse appeler « frères » des guerriers pratiquant la charia la plus stricte. Elle invoque un usage courant parmi les musulmans qui consiste à appeler « frères » des hommes, quels qu’ils soient. La crédibilité de Mme Monsef a déjà été mise à mal par un scandale datant de 2016 : ayant rejoint le gouvernement de Trudeau l’année précédente, elle avait mis en avant son statut de première députée d’origine afghane, avant qu’un quotidien révèle qu’elle était née en Iran.

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Toutes les féministes séduites par leurs frères talibans et souhaitant avoir plus de contacts avec eux pourraient voir ce vœu exaucé : le nouveau gouvernement afghan risque d’hériter de son prédécesseur un siège dans la commission des Nations unies sur la condition de la femme.

Frexit: les souverainistes éparpillés comme jamais

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Nicolas Dupont-Aignan et Georges Kuzmanovic, tous deux candidats à la présidentielle Photos: Hannah Assouline

Philippe Murer envisage un remède à la division du camp national


Des personnalités souverainistes sonnent l’alarme dans une tribune parue vendredi dans Valeurs Actuelles. La multiplicité des périls auxquels la France fait face la menace dans son existence même. Le paradoxe posé est simple : les souverainistes qui disent vouloir sauver la France peuvent-ils être éparpillés en une multitude de candidatures à l’élection présidentielle, risquant ainsi la défaite et cinq ans de naufrage supplémentaire à la France ? Ne nous laissons pas aveugler par la colère, sauver la France signifie battre Macron mais aussi tous les candidats équivalents à Macron, de Yannick Jadot à Xavier Bertrand en passant par Valérie Pécresse et Anne Hidalgo.

Dans cet article, je ne m’exprime bien entendu qu’à titre personnel. 

Frexit ou pas Frexit ?

Pour l’élection présidentielle de 2022, le camp national sera divisé en une multitude de factions : RN eurocritique, Florian Philippot et François Asselineau en frexiteurs assumés, Nicolas Dupont-Aignan pour une Europe des Nations libres, Georges Kuzmanovic en souverainiste de gauche, possible frexiteur et Eric Zemmour dont la position sur la souveraineté et l’indépendance nationale est fluctuante. Tous ces candidats défendent la réduction voire l’assèchement des flux d’immigration, une politique d’assimilation et la défense de l’identité, à des degrés là aussi différents. La défense de l’identité et de la souveraineté sont éminemment complémentaires. Un gouvernement ne peut pas défendre l’identité nationale (ne serait-ce qu’arrêter les flux d’immigration) s’il n’a pas de souveraineté nationale, de pouvoirs réels pour le faire. Détenir la souveraineté nationale, pouvoir définir où l’on va sans savoir qui l’on est, sans défendre son identité n’a pas de sens.

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Le RN dit défendre la nation et le camp national contre le mondialisme tout en restant dans l’UE et l’euro. Si ses porte-paroles reconnaissent que l’UE affaiblit profondément la France, ils refusent de rétablir la souveraineté nationale pour arrêter l’hémorragie et préfèrent se battre pour tenter d’atténuer les effets néfastes de l’institution européenne sur notre pays. Cette année, Marine Le Pen a décidé qu’il fallait rester dans la CEDH ; même l’européiste Michel Barnier a reconnu que les textes juridiques de la CEDH empêchaient de réguler les flux d’immigration. Marine Le Pen veut aussi rester dans Schengen même si l’absence de frontières qu’impose cet accord entraîne l’incapacité de contrôler qui entre en France et donc d’avoir une politique d’immigration. En conclusion, le RN défend la France en paroles mais n’a pas de projets pour la défendre en actes forts s’il arrivait au pouvoir. Conséquences de ces revirements : une partie importante de ses électeurs n’ont pas voulu se déplacer pour les élections régionales, lui faisant subir une défaite, après avoir été tancés par les dirigeants pour désertion après le premier tour. Ces dernières années, l’unique point fort du RN était sa position de grand parti national susceptible de faire de gros scores électoraux. Les électeurs français s’y ralliaient tant bien que mal pour peser face à Macron. Si ce dernier point fort s’efface, le risque de chute brutale du RN est important. À moins d’un tête-à-queue idéologique du RN, qui lui serait préjudiciable quatre ans après le précédent tête-à-queue, on comprendra que s’allier avec le RN pour la présidentielle n’a pas de sens pour les autres partis du camp national.

Si j’étais président de la République…

Les autres partis évoqués se disent souverainistes à des degrés différents et défendent avec des propositions différentes la cause nationale.

Florian Philippot et François Asselineau défendent tous deux une sortie de la France de l’Union Européenne et le rétablissement rapide de la souveraineté nationale. Leurs positions sont connues et ils sont des gaullistes convaincus. Leurs différences sur le fond sont faibles. Il n’y a que quelques différences sur la forme. Asselineau défend un référendum sur l’immigration quand Philippot veut arrêter les flux d’immigration.

Nicolas Dupont-Aignan avec son parti Debout la France se présentera aussi à l’élection présidentielle. Il est aussi gaulliste, a pour projet une « Europe des Nations libres et des coopérations concrètes » et le rétablissement de la souveraineté nationale. Nicolas Dupont-Aignan veut arrêter les flux d’immigration.

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Georges Kuzmanovic et son parti République Souveraine est ce qui reste de la partition souverainiste de Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle de 2017. Il fut évacué de la France Insoumise car il veut « ralentir ou assécher » les flux d’immigration et il est partisan de l’assimilation. Voici ses mots sur la souveraineté nationale : « Je ne suis pas un fétichiste du Frexit, mais quelle que soit l’option choisie en fonction du rapport de force et des circonstances, elle devra être une voie de rupture avec cette Union Européenne, légitimée par un référendum populaire ». Il se présente aussi à l’élection présidentielle.

Probablement candidat, Eric Zemmour est l’inconnu de cette élection présidentielle. Tout le monde connaît ses positions claires et affirmées sur l’identité nationale et les flux d’immigration. Si en tant que journaliste, il fut partisan de la sortie de l’euro et défenseur de la souveraineté nationale, ses positions en tant que candidat à l’élection présidentielle relèvent du point d’interrogation. Une question clé s’impose. L’Union Européenne ayant une politique constamment très favorable à l’immigration serait vent debout contre un Zemmour président qui voudrait arrêter les flux d’immigration en France ce qui ouvrirait la voie à un arrêt dans tous les pays d’Europe qui le voudraient. Puisque Zemmour et l’Union Européenne seraient dans un bras de fer sur l’immigration, la BCE, bras armé financier de l’Union Européenne répliquerait, comme d’habitude, en asphyxiant financièrement la France comme elle a asphyxié la Grèce et commencé à asphyxier l’Italie du gouvernement Italien Salvini fin 2017. Cette politique de la BCE avait vidé les distributeurs d’argent en Grèce, fait monter les taux grecs à des niveaux stratosphériques jusqu’à ce que le gouvernement grec plie. Cette politique avait fait monter les taux italiens au niveau très inconfortable de 4% jusqu’à ce que le gouvernement Salvini change ses projets pourtant modestes sur le budget et plie. Dans ce combat sur les flux d’immigration, un Zemmour président aurait trois choix.

  • Le choix de continuer ses projets sur l’immigration et de laisser l’économie française s’asphyxier lentement à cause du manque de liquidités fournies par la BCE ; ce n’est pas un choix envisageable. 
  • Le choix de négocier avec l’Union Européenne sur les projets sur l’immigration et de plier en échange du soutien en liquidités à l’économie française ; dans ce cas, voter Zemmour n’aurait pas servi à grand-chose pour ses électeurs. 
  • Le choix de gagner le bras de fer sur les flux d’immigration en coupant le nœud coulant financier qui détruirait l’économie française, c’est-à-dire en sortant de l’euro sur le champ pour fournir l’économie en liquidités. Cela demande des convictions sur le sujet et une vraie préparation à ce combat que suppose tout bras de fer avec l’Union Européenne. Sortir de l’euro pour pouvoir appliquer sa politique d’immigration signifierait d’ailleurs à terme sortir de l’Union Européenne. 

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Ceci démontre une fois de plus que la défense de l’identité nécessite le rétablissement de la souveraineté nationale, à moins de considérer l’identité comme un folklore local qui ne se paie que de mots.

Pour la France, mettre les égos de côté

Nous pourrions évoquer pour finir l’ex-ministre Arnaud Montebourg mais ses positions sur la souveraineté nationale, l’identité et l’immigration sont tout sauf claires. Il refuserait sans aucun doute toute discussion avec nombre de candidats souverainistes qui pour la gauche classique sont « l’extrême-droite ».

Nous l’avons vu, à l’exception de Zemmour dont les positions finales sont inconnues, les différences réelles de ces candidatures sont factuellement peu importantes au regard des points communs et des enjeux. Qui plus est, les différences entre les candidats souverainistes, Zemmour compris, sont dues en partie à la nécessité d’être différents et de disposer d’un créneau politique viable, de survivre politiquement. Ne leur jetons pas la pierre, en ce monde nécessité fait loi. Cependant, retenons que nombre d’entre eux ont des positions et des projets pour la France finalement très proches dans le débat public et des positions encore plus proches dans leur for intérieur. Ainsi, se rassembler autour d’une table pour discuter d’un éventuel programme commun de salut public, d’un programme de sauvetage de la France loin du débat public, hors de toute stratégie politicienne, peut tout changer. Dans une France au bord de l’abîme, l’intérêt général commande une telle approche. Même la question la plus épineuse, « qui sera le candidat si un accord était trouvé ? », a une réponse potentielle. Chaque représentant à la table de discussion pourrait voter pour un candidat à l’exception de lui-même. Celui qui rassemble le mieux tous les autres autour de son nom serait la tête de file naturelle pour défendre la France, les autres et leurs troupes étant des généraux précieux dans la bataille qui s’annonce. 

L’avantage d’une candidature rassemblée est immense : disposer d’un niveau correct de sondage et d’une bonne exposition médiatique, sachant qu’un bon niveau de sondage permet une bonne exposition médiatique et inversement. Les électeurs ont tendance à voter pour les candidats qui ont des chances de gagner et les journalistes ont tendance à les inviter, leur permettant de convaincre leurs électeurs potentiels. 

Enfin, voici ce que pensent les électeurs des petits partis souverainistes : puisque ces candidats veulent sauver une France qu’ils savent en perdition, ils ne sont pas cohérents en n’essayant pas de s’allier pour donner une chance à la France. S’ils ne s’allient pas, c’est à cause de leurs égos. La conclusion est impitoyable et explique les faibles scores de ces partis aux dernières élections malgré la popularité des thèmes de la souveraineté et de l’identité : je n’irai pas voter pour eux car ils trop petits et qu’ils ne sont pas au service de l’intérêt général mais au service de leurs égos. 

Quoi que partiellement fausse puisque la survie politique commandait souvent ces approches dans le passé, cette thèse fait des ravages. Inversement, un déblocage de la situation par la discussion et la tentative d’adopter un programme de salut public pourrait faire des miracles, démontrant la volonté indéfectible des candidats de sauver leur pays. La progression d’une candidature rassemblée pourrait alors être très rapide. Par contraste, ce sont les autres candidats à l’élection présidentielle qui sembleraient défendre leurs égos aux yeux de l’opinion et subiraient une certaine décrédibilisation.

N’oublions pas que les différences exprimées et les divisions sont le fruit du passé. Elles ne doivent pas obérer l’avenir, elles ne doivent pas empêcher le sauvetage de la France.

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Roland Jaccard a tenu parole

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L'écrivain et éditeur suisse Roland Jaccard © Hannah Assouline

Notre ami Roland Jaccard s’est suicidé lundi 20 septembre.


Roland Jaccard a mis fin à ses jours hier, lundi 20 septembre. Nombre de ses amis ont reçu un courriel matinal indiquant qu’il était sur le point de partir, qu’il tirait sa révérence. Pour moi, c’était à 8h09. Avec pour objet « Une leçon de dandysme helvétique » et les phrases suivantes dans le corps du texte : « Tu es un des seuls à m’avoir compris! Amitiés vives ! » 

Roland m’a fait beaucoup d’honneur. Nous n’étions peut-être pas beaucoup à l’avoir compris, mais il y en avait tout de même quelques-uns. À l’avoir compris et à l’avoir aimé. J’ai trainé un vilain pressentiment, toute la matinée, mais j’étais face à des étudiants et je me suis promis de l’appeler dès la pause de midi. Deux coups de téléphone de Gil Mihaely puis d’Elisabeth Lévy m’ont indiqué que c’était devenu inutile.

https://twitter.com/ELevyCauseur/status/1439931484224229384

J’ai été sidéré mais pas surpris. Sidéré parce que, tout de même, la mort d’un ami, d’une de ces amitiés littéraires transformée en affection réciproque avec le temps, c’est une espèce de bloc d’abîme au creux de l’âme et des tripes, un bloc d’abîme que connaissent tous ceux qui apprennent la disparition brutale d’un être cher. 

A relire, Roland Jaccard: La laitière et l’étudiant de Sciences-Po

Mais je n’ai pas été surpris : qui connaissait Roland savait que le suicide était chez lui un thème récurrent, une obsession, une porte de sortie presque rassurante. Le suicide est cette liberté terrible des stoïciens, et il y avait du stoïcien chez Roland au-delà de son hédonisme élégant, résumé ainsi par Marc-Aurèle dans Pensées pour moi-même : « Il y a trop de fumée ici, je m’en vais ». Le suicide, Roland connaissait : en leur temps son père et son grand-père avaient eux aussi choisi la nuit. Il écrivait dans « Les Carnets de mon père », un de ses « Billets du vaurien » qu’il donnait chaque semaine à Causeur : « Soyons francs : nous avons aimé vivre une fois, mais nous n’aimerions pas recommencer. C’était aussi l’opinion de mon père. » C’est à 80 ans que son père avait tiré sa révérence. Roland a écrit et dit, souvent, qu’il n’avait pas l’intention de le dépasser en âge. Et de fait, il allait avoir 80 ans, le 22 septembre. Quand vous aimez quelqu’un, vous ne l’écoutez pas, ou vous ne voulez pas le croire. C’est oublier que derrière la désinvolture de Roland, derrière son élégante et éternelle dégaine d’adolescent filiforme, il était d’une terrible rigueur. Il n’épargnait personne de ses sarcasmes et surtout pas lui-même. Mais on se rassure comme on peut, quand on aime. Après tout, un de ses maîtres et amis, Cioran, n’avait-il pas dans toute son œuvre parlé du suicide comme seule solution rationnelle à l’horreur du monde sans jamais passer à l’acte ? 

Non, décidément, malheureux comme les pierres mais pas surpris : lundi 13 septembre, après des mois d’absence puisqu’il avait décidé de revenir vivre dans sa ville natale, à Lausanne, depuis le début de la crise sanitaire, il était apparu à une réunion de rédaction suivie d’un pot célébrant le départ d’un des nôtres. Il paraît évident, maintenant, qu’il était venu nous dire au revoir ou plus précisément, car là encore on méconnait trop souvent à quel point celui qui faisait profession de cynisme aimait l’amitié, il avait voulu passer un peu de temps avec nous une dernière fois. De quoi ai-je parlé avec Roland pour ce qui était, sans que je le sache, une ultime rencontre ? Je ne sais pas pourquoi, j’ai du mal à m’en souvenir. Je voudrais vous dire qu’il avait donné des indices implicites, ce ne serait pas vrai. Il avait son flegme habituel, son sourire oriental, son exquise courtoisie d’homme qui a perdu depuis longtemps toute illusion mais qui n’en fait pas un drame, courtoisie héritée de cette civilisation naufragée de la Mitteleuropa à laquelle avait appartenu sa mère autrichienne.

Je voudrais tout de même souligner, maintenant, son importance dans le paysage intellectuel français. Il a écrit des livres essentiels sur la psychanalyse avec laquelle il entretenait des rapports ambigus comme avec tout le reste, notamment L’exil intérieur en 1975. Il y disait d’une autre manière, ce que Debord avait cerné dans La Société du Spectacle : l’impossibilité dans le monde moderne pour les êtres de rencontrer d’autres êtres, et pire encore l’impossibilité pour l’homme de coïncider avec lui-même. Il a été aussi une des plus belles plumes du Monde comme critique des essais et surtout un éditeur hors pair aux PUF où sa collection, « Perspectives critiques », présente un catalogue de rêve. On lui doit la découverte d’André Comte-Sponville mais il a aussi publié Clément Rosset ou Marcel Conche et a assuré, à travers plusieurs autres auteurs, les noces de la philosophie et de la littérature : on y trouve ainsi les inclassables et tellement talentueux Romain Slocombe et Frédéric Pajak.

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Après, d’autres le réduiront sans doute à une légende qu’il a malicieusement entretenue dans ses journaux intimes dont le monumental Le Monde d’avant (1983-1988) paru au début de l’année dont nous avons rendu compte dans Causeur. Son amitié, jamais reniée, avec Matzneff malgré les brouilles, son goût pour les jeunes filles qui ressemblaient à son idole, Louise Brooks, ou qui venait de l’Empire du Levant. Sa manière de jauger et de juger les hommes à la manière dont ils jouaient au ping-pong et aux échecs. Une de ses grandes tristesses fut d’ailleurs la fermeture pour rénovation du Lutétia, où on pouvait le trouver tous les dimanches dans les salons où il vous mettait très rapidement échec et mat.

Au-delà de son refus de la postérité, celle qui consiste à avoir des enfants comme celle qui nous fait survivre à notre propre mort en étant encore lu dans vingt ou trente ans, le nihiliste Roland était un homme étonnamment soucieux de transmettre. Il refusait de l’admettre, il disait que je le taquinais, mais pourtant il suffit d’ouvrir un de ses livres pour avoir envie de lire les auteurs dont il parle : Cioran, bien sûr mais aussi son cher Amiel ou encore Paul Nizon. J’en oublie, forcément.

Je ne sais pas où est Roland désormais. Il se riait de mon communisme comme de mon catholicisme qui revient avec l’âge. Il n’empêche, je suis content d’avoir ses livres dans ma bibliothèque. Je vais le relire. C’est encore la meilleure des prières en même temps que le plus beau des hommages que je peux lui rendre. Le plus consolant aussi, car nous allons être un certain nombre, à Causeur et ailleurs, à avoir besoin d’être consolé.