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Les réflexions de Claude Habib sur la question trans

Tous les hommes ne sont pas des femmes qui s’ignorent. Et inversement. En France, un certain bon sens populaire fait encore barrage à l’idéologie tendant à ériger l’indétermination sexuelle au rang de norme naturelle. Le débat révèle cependant l’hyper-individualisme des sociétés occidentales.


Le livre documenté et argumenté de Claude Habib lance un débat urgent qui en France, jusqu’à présent, n’a guère eu lieu. Des personnalités, comme Irène Théry ou Roselyne Bachelot, encouragent l’activisme médical en faveur d’une « transition » qui éloigne ceux qu’il prend en mains du sexe de leur naissance et les rapproche du sexe opposé, mais cela n’émeut guère l’opinion. Claude Habib explique pourquoi le débat ne prend pas. Pour la grande majorité de la population, la dualité sexuelle répartissant les traits physiques et les capacités reproductives est une évidence de tous les jours qui n’a pas besoin d’être rappelée. En revanche, pour la petite minorité des candidats à la transition et pour leurs soutiens, cette évidence scelle un enfermement dans une condition douloureuse à laquelle ils ont hâte d’échapper. Si la minorité mobilisée peut concéder à la majorité le droit de rester indifférente, c’est à la condition qu’elle reste silencieuse.

Toute réserve se heurte immédiatement à la protestation de ceux pour qui il est vital d’échapper à une fatalité douloureuse. Ils peuvent s’appuyer sur le « victimisme » qui domine des sociétés incapables de se projeter dans l’avenir mais s’estimant requises de réduire toutes les souffrances et de répondre à tous les besoins ressentis par les individus, s’engageant ainsi dans une voie négative en même temps qu’utopique, puisqu’il n’y a pas de limite à l’éradication du mal et du manque.

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Le féminisme critique les images désavantageuses que l’on donne des femmes et certaines lectures d’une division sexuelle qu’il admet néanmoins alors que le transitionisme met en cause le soubassement organique de la division entre hommes et femmes. On dénonçait les idées, le salut est maintenant de leur côté. La protestation contre la réclusion dans l’origine est résolument idéaliste, elle procède d’un sentiment personnel irrépressible, celui d’appartenir à un « genre » qui ne correspond pas au sexe de naissance.

Claude Habib, Ecrivaine française; professeur de Lettres à l’université Paris III ; spécialiste de littérature du XVIIIème siècle.

Le « comment ça marche ? » plutôt que le « pourquoi ? »

Tout contribue à entraver le débat sur la légitimité de la demande de transition : le petit nombre des personnes concernées, la radicalité de la demande, l’orientation victimaire de l’opinion sur un fond d’indifférence. Pourtant, d’une certaine manière, le débat a lieu quand même, mais il porte plus sur les modalités que sur le principe : usage des « hormones croisées » (masculines pour les femmes de naissance, féminines pour ceux qui sont nés hommes), interventions chirurgicales pour effacer certains organes et remplacer ceux qui manquent. Débat aussi sur le besoin et la valeur du consentement de l’intéressé, à tel ou tel âge, sur la nécessité de soumettre ce consentement au contrôle d’une autorité judiciaire. Débat enfin sur la participation de ceux qui sont devenus femmes aux compétitions sportives féminines et sur leur accès aux espaces réservés aux femmes… Ces discussions sont rendues plus complexes par le fait que la transition n’est jamais achevée, que le sexe d’origine ne se laisse jamais oublier, que la prise d’«hormones croisées » reste nécessaire pour maintenir l’apparence recherchée. Et si les interventions chirurgicales sont décisives, elles ne sont pas nécessairement satisfaisantes, surtout pour l’invention d’organes de substitution. Ainsi, il y a des cas où l’on tente de revenir sur l’« assignation » précédemment choisie.

Les aléas du parcours de transition apparaissent en particulier à propos du changement d’état civil. Pour délivrer la carte d’identité officialisant le changement, la loi française exige que l’apparence de la personne et la façon dont elle est reconnue dans son entourage correspondent à sa demande. Cette disposition est contestée par la CEDH : selon elle, la demande faite par une personne suffit à justifier qu’on change son état civil. Le législateur français veut pour sa part qu’avant d’accomplir cette formalité, on s’assure que le demandeur a accompli sur lui-même assez de changements pour que son engagement dans la transition soit un fait irréversible.

L’individualisme démocratique mis en cause

Claude Habib insiste sur les facteurs qui vont actuellement dans le sens d’une reconsidération de la question : flottements sur l’inscription légale, tendance, y compris dans les pays les plus libéraux, à retarder l’âge où les interventions sont permises, quitte à employer d’abord des retardateurs de maturité sexuelle, augmentation rapide des demandes, surtout chez les filles. Tout cela semble indiquer que l’horizon dans lequel les modifications sexuelles sont envisagées est en train de changer. On les voyait naguère comme devant réparer des accidents, des « erreurs de la nature ». Le « dysphorisme » concernait surtout les jeunes garçons, il appelait une réponse univoque et définitive. Désormais des théoriciennes en vogue désignent un horizon très différent, évoquant une indétermination de la sexualité, symbolisée par le spectre de l’arc-en-ciel. « La complexité des vies genrées n’est pas encore fixée », affirme Judith Butler (citée p. 131), ce qui correspond à la difficulté des adolescents à trouver leur place dans des sociétés euro-américaines plus incertaines que jamais. Dans ces conditions, l’aspect décisionnel de la « transition » deviendrait de plus en plus important, avec la possibilité d’allers et retours.

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La « Trans Pride March » dans le centre -ville de Toronto, 21 juin 2019. (Photo by Anatoliy Cherkasov / SOPA Images/Sipa USA)/26712588/Anatoliy Cherkasov/1906221816

Claude Habib n’avalise pas cette vision euphorique (au sens premier du mot) de la mobilité sexuelle. Si elle considère comme inévitable et devant être reconnue une certaine fascination précoce pour le sexe opposé, en particulier celle de certains garçons pour la représentation féminine de la beauté et de la douceur, elle voit par contre l’explosion actuelle de la demande de transition comme un effet de ce qu’elle appelle la « nouvelle inculture sexuelle contemporaine » (p. 141) qui trouble en premier lieu les filles. La demande de celles-ci de se rapprocher de la masculinité exprime leur désarroi d’être prises entre un principe d’égalité sans cesse ressassé et une crainte de la violence masculine sans cesse évoquée, d’où leur tentation d’aller voir ailleurs, du côté où est la sécurité. On peut insérer cette remarque sur une féminité en perte de repères dans une analyse de l’individualisme démocratique. La liberté et l’égalité ne suffisent pas à fonder une société, comme le montre l’incapacité des démocraties contemporaines à dessiner un rôle pour le féminin.

Un problème idéologique

Claude Habib va au-delà de l’analyse et de la dénonciation, elle donne sa vision de ce que peut être le rôle des femmes dans la distribution des comportements sexuels. Leur rôle est celui d’évaluatrices et d’éducatrices du désir plutôt informe des hommes. Pour cela elles doivent savoir, nous dit l’auteur, « plaire, se refuser, se donner », ne pas renoncer à juger, mais se risquer dans un jeu où elles peuvent perdre.

Usant à la fois de rigueur et de sensibilité, l’auteur de ce livre admet ainsi que dès le début de leur vie, certains puissent être attirés par ce qu’incarne le sexe opposé, la beauté et la douceur, ou bien la force et la détermination, et qu’une dissonance peut être ressentie entre le sexe naturel et le genre rêvé, d’où la possibilité de la « transition ». En revanche, le développement actuel de la demande de transition renvoyant à la crise des démocraties, elle approuve la tendance à contrôler et à freiner les entreprises de transition, notamment en élevant l’âge où elles sont autorisées. Dans la même ligne, il serait logique d’interdire la transition à ceux qui ont des enfants. Une telle décision irait contre la tendance à laisser la génération suivante gérer les effets des libertés que s’accorde la génération actuelle.

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Surtout, l’auteur, et c’est la substance même de son livre, refuse que soit laissée hors débat la question des identités sexuelles, soit qu’on estime celles-ci naturellement et définitivement fixées, soit qu’on s’en remette à la fantaisie de chacun.

Claude Habib ne récuse pas a priori les changements de sexe, mais sa réflexion invalide l’idéologie qui les accompagne actuellement, qui les orchestre peut-on dire. Pour cette idéologie, le phénomène et son développement seraient l’accomplissement de l’individualisme qui est au cœur de notre société. Après voir délié l’individu de ses appartenances culturelles, nationales, religieuses, il le déracinerait de son identité biologique héritée, lui permettant de dire enfin : je suis qui je veux être. La conclusion de Claude Habib dément ce triomphalisme, elle montre que, pour beaucoup de celles qui entreprennent une transition, il ne s’agit pas de rejoindre le rêve contemporain d’autodéfinition mais, en passant de l’autre côté, d’échapper à la situation qui leur est faite dans la société des individus, qui se trouve ainsi de fait, quoi qu’il en semble, désavouée.

La question trans

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Claude Habib, La Question Trans, « Le Débat », Gallimard, 2021.

Ernst Jünger, orages d’encre

Les documentaires sur Ernst Jünger que diffuse actuellement Arte révèlent à quel point persistent à son sujet les malentendus plus ou moins intéressés. Oui, il a été pétri de chevalerie teutonne. Non, il n’a pas été un intellectuel du nazisme, il a même participé au complot contre Hitler en juillet 1944. Saisir la complexité de ce grand écrivain demande un petit effort.


Pas d’heure pour les braves ! À l’usage des insomniaques et autres nyctalopes, dans la nuit du 5 octobre Arte diffusait, coup sur coup, signés tous deux du même réalisateur, Falko Korth, des documentaires où l’immense écrivain Ernst Jünger (1895-1998) tenait une place de choix. Le premier, à l’approche de minuit, est un inédit qui a pour titre : Le Pen, Jünger et la Nouvelle Droite. Curieuse façon d’instrumentaliser post mortem la haute figure de Jünger, pour la réduire à un pur jalon idéologique. Lui succédait le second opus, millésimé 2019 – une rediffusion, donc, centrée sur L’Écrivain Ernst Jünger – c’est le titre. Orné toutefois d’un sous-titre passablement emphatique : « dans les tréfonds de l’Histoire ». Vivent les raccourcis. On peut utilement revoir le film sur arte.tv jusqu’au 3 novembre. Mais puisque – élections obligent – l’Europe vit à l’heure allemande, c’est surtout l’occasion, pour Causeur, de célébrer les mânes d’un très grand monsieur bien malmené par la postérité.

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Le malentendu

De fait, sur Jünger, à dessein ou faute de prendre la peine de le lire en entier, le malentendu n’en finit pas d’être exploité. L’homme s’éteint paisiblement à près de 103 ans – un âge qui autorise à avoir eu plusieurs vies. Or ses contempteurs – à l’instar, parfois, de ses fervents admirateurs eux-mêmes – s’emploient à le tirer par la manche : ils trient, lui arrangent un portrait opportunément adapté à leurs vues. Ce, sans jamais restituer ce titan des lettres germaniques, non seulement à sa fantastique longévité, mais aussi à sa complexité. Quel rapport, en effet, entre ce fils de bon bourgeois (son père, chimiste, avait fait fortune dans la pharmacie) qui, mauvais élève mais lecteur boulimique, s’engage à 16 ans dans la Légion étrangère, avant de se ruer en tête brûlée dans la Grande Guerre, et le patriarche entomologiste et transhumant, collectionneur de sabliers et de coléoptères ? Entre le néo-nationaliste de l’entre-deux-guerres et l’officier mondain, francophone et francophile qui, sous l’Occupation, passe, en uniforme, du Raphaël où il a son logement de fonction à son bureau du Majestic, non sans vouer au Führer et à son régime un mépris et une haine inextinguibles ?

Lorsqu’en 1982, le prix Goethe vient couronner son œuvre, verts et socialistes d’outre-Rhin se drapent dans le même manteau de l’indignation. Aujourd’hui encore, beaucoup s’acharnent à ne voir en lui que le fourrier intellectuel du nazisme. Il serait temps d’appréhender Ernst Jünger de façon moins sommaire. Et de reconnaître, au-delà du hiératisme cristallin de son écriture, sa vraie grandeur dans la tragédie du xxe siècle.

Reprenons. L’adolescent Jünger est un chien fou qui déteste l’école. Élève turbulent et médiocre, mais déjà lecteur boulimique autant que sportif, il s’inscrit avec son frère cadet Friedrich-Georg dans les Wandervogel, version germanique d’un scoutisme épicurien. C’est en jouant de ses relations que son géniteur parviendra à faire rapatrier depuis Oran et Sidi Bel Abbès son rejeton légionnaire, et à ramener l’adolescent fugueur au bercail – Jünger racontera cette aventure dans Jeux africains. Survient l’ordre de mobilisation générale. Ernst, bac en poche mais ravi d’esquiver les études, se porte illico volontaire. Versé au 73e régiment de fusiliers, le fantassin de 19 ans se cultive, dixit son attentif biographe Julien Hervé, « avec la ferveur brouillonne des autodidactes », entre plaisirs bachiques et pilonnages de tranchées. Quatre ans de Feux et Sang – pour reprendre l’un de ses titres. Très loin de caractériser une posture idéologique, le combat est alors pour lui une « expérience intérieure » fondatrice, qu’il transcrit dans ses carnets, où sa vocation d’écrivain est en germe (cf. Le Boqueteau 125). Quatorze fois blessé au cours de la Grande Guerre, bien moins nationaliste alors que lansquenet pétri de morale chevaleresque et plein d’appétit belliqueux, le sous-officier Jünger reçoit, à 23 ans, l’ordre « Pour le mérite », soit la plus haute, ancienne (et rare) distinction prussienne. Avec la publication d’Orages d’acier (livre qu’il ne cessera de remanier au fil d’éditions successives), Jünger, déjà auréolé de gloire militaire, se fait un nom.

Prenant ses distances avec le concept de « profils aryens », il a compris de bonne heure la nature criminelle du régime nazi

Dans le ressentiment des anciens combattants allemands à l’endroit d’un traité de Versailles qui rassasie l’humiliation de la défaite, on méconnaît souvent un trait capital : tandis qu’à la Victoire un tiers du territoire français est anéanti, l’Allemagne, elle, reste physiquement intacte. Des morts par millions, pour en arriver là ? L’amertume est lourde. Elle exacerbe le nationalisme véhément du Jünger des années 1920. Il quitte d’ailleurs l’armée dès 1923, pour entreprendre des études de philosophie et de zoologie à Leipzig. Il se fiance avec Greta von Jeinsen – fiançailles qui dureront quatre ans ; il est vrai que la jeune fille en avait 16. Ainsi divorcé des armes, mais marié à 27 ans (avec celle qu’il nomme « Perpetua », dans ses livres), le héros de 14-18 voyage (Naples, Marseille) et entame une carrière de journaliste engagé : « il faut fonder intellectuellement les quatre piliers du nationalisme moderne : l’idée nationale, l’idée sociale, l’idée guerrière et l’idée dictatoriale », écrit ainsi en 1926 le prestigieux collaborateur des revues Arminius, Der Vormarsch, etc. Au tribun Hitler, il envoie son livre Feu et Sang. Il se lie avec le jeune Ernst von Salomon (le futur auteur du célèbre Questionnaire), mais fréquente aussi bien le marxiste Ernst Niekisch. Lequel dira de son ami : « Il fait partie de ces rares hommes incapables de bassesse. Celui qui pénètre dans la sphère où il vit entre en contact avec une dure et froide sincérité, une sobre et sévère objectivité, et surtout un modèle d’intégrité humaine. »

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A l’écart du régime nazi

Cela n’empêche pas l’éternel quiproquo : quoi qu’en pensent ceux à qui il ne viendrait jamais à l’esprit de reprocher rétrospectivement à Sartre et à Beauvoir d’avoir été de fervents staliniens ou de s’être amourachés du satrape Fidel Castro, Jünger n’aura jamais cessé, dans ces années de formation intellectuelle, de marcher droit. Prenant ses distances avec le concept de « profils aryens », il a compris de bonne heure la nature criminelle du régime nazi. Dès la prise de pouvoir du Führer, il fait profil bas, quitte Berlin, voyage – Baléares, Dalmatie, Norvège, Brésil, Canaries, Rhodes et même Paris –, se réfugie bientôt dans des patelins discrets : Goslar, puis Kirchhorst, non loin de Hanovre. Il refuse l’offre de Goebbels d’entrer au Reichstag comme député national-socialiste, se défausse de l’invitation d’Hitler à parader à ses côtés dans les martiales cérémonies de Nuremberg, vient systématiquement en aide à ses amis juifs persécutés… Très tôt, ses relations avec le Parti s’enveniment. Au point que la police met son appartement sous surveillance, jusqu’à le perquisitionner : en cause, ses « mauvaises fréquentations » littéraires.

Dès 1933, il est contraint de jeter du lest : quantité de feuillets compromettants partent en fumée. Deux traits majeurs du nazisme le hérissent : son légalisme faux-derche, son antisémitisme doctrinaire. Le Travailleur (Der Arbeiter), son grand-œuvre des années 1930 au façonnage duquel Jünger s’attelle cinq années durant, passe encore aux yeux de ses détracteurs pour une apologie du national-socialisme. Cet essai permettra d’instruire durablement, à ses dépens, les plus invraisemblables contresens. Dans le documentaire d’Arte évoqué plus haut, la critique littéraire Iris Radisch ne s’en prive pas, faisant de Jünger un antisémite sans autre forme de procès. Et ignorant bien sûr qu’à la même époque, à distance du rationalisme nihiliste dont cet essai magistral n’est jamais que le froid déchiffrement, s’ébauche déjà chez l’écrivain la féconde veine écologique dont il ressourcera son vieil âge.  

Certes, compter Heidegger (les deux célébrités ne se rencontreront qu’après-guerre) au nombre de ses admirateurs précoces, voilà qui, pour notre si bien-pensante postérité, n’arrange pas le cas Jünger. Prudence étant mère de sûreté, Jünger refusera à bon escient jusqu’en 1994 que Le Travailleur soit traduit en français ! Cet essai, d’une plume souveraine et glacée, expression d’une mutation où le Type remplace l’individu sous l’assignation de la civilisation technicienne, ne préfigurait pourtant aucun programme politique. Fait significatif, à sa sortie la presse d’extrême droite reproche à l’ouvrage de n’intégrer nulle part la donnée raciale. Serait-ce donc un livre… « bolchevique » ? Une dame critique énonce charitablement que l’auteur se rapproche « dangereusement de la zone où l’on mérite une balle dans la tête » (sic). Nous ne sommes encore qu’en 1931 ! En 1939, le roman Sur les falaises de marbre déploiera la fresque allégorique du Léviathan nazi. La face honnie d’Hitler y apparaît sous les traits immondes de « Kniebolo », et ses sbires se voient désignés sous le nom de « lémures ».

Ernst Jünger à Marrakech (Maroc), février 1977. ©Francois Lagarde/Opale/Leemage

Quand, promu capitaine, Jünger participe à la campagne de France, il ne songe plus qu’à épargner civils et monuments (à Laon, en particulier). L’armistice conclu, le voilà appelé à l’état-major parisien. Au spectacle de l’étoile jaune et des exactions de la SS, il est « pris de dégoût à la vue des uniformes, des épaulettes, des décorations, des armes, choses dont j’ai tant aimé l’éclat ». « Nous tenons, écrit-il encore, nos réunions dans le ventre du Léviathan et cherchons de plus à garder notre attention et notre cœur disponibles pour ceux qui sont faibles et sans protection. »

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Lui a-t-on assez reproché d’avoir été un mondain gourmet vêtu en vert-de-gris, passant (hors quelques semaines sur le front russe, dans le Caucase, en 1942) du salon de Florence Gould à l’atelier de Picasso, de chez Maxim’s au restaurant du Ritz, des emplettes bibliophiles aux conciliabules avec Jouhandeau, Cocteau, Guitry, Morand, Léautaud, Green ou Giraudoux ; et même – impardonnable ! – avec Céline, qu’il appelle Merline dans son Journal, et dont les diatribes le terrifient. Dans le plus grand secret, dès 1941, au risque de sa vie, Jünger rédige La Paix, texte qui en appelle à une Europe sans État-nation. Il a, Dieu merci, un coffre-fort où mettre ses manuscrits à l’abri des fouineurs. En 1944, il arrachera Ernstel, son fils de 17 ans, incarcéré pour propos défaitistes, aux griffes de la Gestapo. Libéré sous la condition de filer au front, l’adolescent sera tué presque aussitôt, dans les marbres de Carrare, par des partisans transalpins. Après la guerre, comme Jünger ne consent point à se soumettre au questionnaire de « dénazification », lui qui a pourtant été étroitement lié aux conjurés de l’attentat contre Hitler du 20 juillet 1944 et qui n’a échappé à la dénonciation que par un pur miracle, sera encore accusé d’avoir favorisé le régime : le voilà interdit de publication pendant quatre ans.

L’équivoque perdure. Certes, à l’extrême soir de sa vie, Jünger a bel et bien déposé les armes : promu fétiche de l’idylle franco-allemande sous la bannière – ô ironie ! – de la social-démocratie, reçu et visité par sommités et chefs d’État (entre autres le couple Kohl-Mitterrand), néo-rural avant l’heure jardinant son ermitage de Wilflingen, en pays souabe où, à partir de 1951, il est simple locataire de la maison du Grand Forestier qui fait face au château des Stauffenberg. Le vieux et fringant voyageur marié en secondes noces en 1962 à une érudite archiviste prénommée Liselotte (qu’il surnomme affectueusement « le Taurillon » dans sa prose) se porte désormais, avec ou sans elle, aux quatre coins du globe (cf. les épais volumes de Soixante-dix s’efface).

D’Ernst Jünger on ne lit pas – ou pas assez – son œuvre de maturité : en particulier l’extraordinaire diptyque d’anticipation Héliopolis et Eumeswil, deux grands romans qu’il serait bienvenu de réévaluer. La figure du rebelle (cf. le Traité du rebelle) le cède à celle de l’« arnaque » (au masculin, s’il vous plaît) – qui est, en quelque sorte, à l’anarchiste ce que le monarque est au monarchiste : l’arnaque règne avant tout sur lui-même, en observateur aguerri, circonspect et distancié du monde tel qu’il va. Jamais plus Jünger ne se mêlera de politique. Fasciné par les marchés et les cimetières, ouvert, dans la tradition baudelairienne, aux expériences sous psychotropes ( LSD, mescaline, haschich… cf. Approches, drogues et ivresses), ce contemplateur itinérant, écologiste avant la lettre dont les claires intuitions annoncent l’anthropocène, plus adepte de « chasses subtiles » aux papillons qu’amateur de musées, ce mélodiste de la langue (au passage, singulièrement peu mélomane pour un Germain), s’alarme, le grand âge venu, du naufrage des séculaires civilisations archaïques, du bétonnage envahissant, de l’obscénité du tourisme de masse, de l’enlaidissement de la planète, et enfin de voir les combats entre nations progressivement remplacés par des formes larvées de guerre civile. En somme, c’est bien l’ère du Travailleur qui est advenue.

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« Je me suis toujours abstenu d’implorer Dieu : il m’en a su infiniment gré », plaisantait-il. Il s’éteint, quoi qu’on en ait dit, moins catholique convaincu que plus sensiblement tenté par un polythéisme immémorial. Même si mourir à 102 ans mérite bien une messe.


À lire : Julien Hervier, Ernst Jünger : dans les tempêtes du siècle, Fayard, Paris, 1994.

Et tout Jünger, bien sûr.

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150 journalistes de gauche veulent “invisibiliser” Eric Zemmour

La tribune des journalistes publiée sur un blog de Mediapart est en réalité un texte parodique et ubuesque d’une intelligence folle.


À la tautologie démesurée par laquelle s’exprime la société actuelle, il faut répondre par des tautologies parodiques ; […] à son comique involontaire par un comique lucide.

Philippe Muray

Certains se sont émus, dans un sens ou dans l’autre, d’une tribune parue sur le Club de Mediapart le 23 octobre. Intitulée “Journalistes, nous ne serons pas complices de la haine”, cette tribune appelle tous les journalistes à combattre ou à invisibiliser les « personnes prônant des idées fascistes, racistes, xénophobes, sexistes, etc. » Parcourue rapidement, elle a tous les aspects d’un besogneux papier militant dont Mediapart, Le Monde ou Libération se font généralement les porte-parole. Pourtant, après l’avoir lue attentivement, je crois pouvoir affirmer que cette tribune est un… canular, un texte parodique et ubuesque écrit non pas par des journalistes « respectueux-ses des valeurs démocratiques » mais par quelques joyeux lurons, amateurs de Jarry et experts en contrefaçon journalistique et progressiste. Je l’affirme et je le prouve :

Cette tribune est écrite en écriture dite inclusive. Cette dernière étant maintenant monnaie courante dans les milieux universitaires et certains médias de gauche, le lecteur pense d’abord que son utilisation dans cette tribune va donc de soi. Pourtant, lisant avec attention, il se demande pour quelles raisons il ne peut s’empêcher de sourire. Perspicace, il comprend soudain qu’il est confronté à un papier outrancier, un pastiche imitant le style “inclusif” et le poussant jusqu’aux extrêmes limites de la lourdeur cocasse par le simple fait de sa redondance. Exemple : « […] nous, journalistes socialement engagé-es pour la défense de ces droits fondamentaux, nous désolidarisons des grand-es patron-nes de médias, directeurs et directrices de rédaction, animateurs et animatrices, chroniqueur-ses, confrères et consœurs, etc. » Je dois dire que j’ai moi-même beaucoup ri en lisant cette phrase ubuesque, ce qui était évidemment le but recherché par les auteurs. Le même but a été atteint lorsque j’ai lu quelques lignes plus loin : « Nous, journalistes, choisissons de nous placer du côté des droits humains, des droits de toustes les humaines. » Cerise sur le gâteau, ce « droits de toustes les humain.e.s » semble tout droit sorti d’Ubu roi. Ventrebleu, de par ma chandelle verte, comme dirait le père Ubu, je supputais que l’écriture inclusive fût de la « merdre » pour analphabètes ; les auteurs de cette plaisanterie en apportent la très drôle et intelligente confirmation.

En toute subjectivité

Ces joyeux libellistes feignent de défendre des “personnes” dont la longue liste hétéroclite montre en vérité l’insincérité et la crétinerie de ceux qui les défendent si péniblement dans des tribunes qui n’ont, elles, rien de parodique : « Nous assumons notre subjectivité et nous plaçons donc du côté des personnes précaires, des personnes persécutées, opprimées et marginalisées, des personnes LGBTQI+, des travailleur-ses du sexe, des personnes racisées, des juif·ve·s et des musulman·e·s de France, des migrant·e·s, des personnes victimes de violences policières. » Sans doute les auteurs ont-ils hésité à allonger cet inventaire inclusif en y ajoutant pêle-mêle les handicapé.e.s, les végétarien.nes, les malentendant.e.s, les nain.e.s, et, pourquoi pas, le Père et la Mère Ubu et toute l’armée polonaise. Mais, de par ma chandelle verte, trop eût été trop. Les facétieux auteurs ont bien entendu volontairement restreint leur liste déjà gratinée afin que les moins perspicaces des lecteurs médiapartiens continuent de lire ce papier au premier degré. Ce qui n’a pas manqué d’être le cas, comme nous le verrons plus loin.

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Le style pompier et supposément antifasciste de cette tribune parodique est très réussi. Tout y est. Dès la première phrase les auteurs taquinent nos neurones et nous mettent sur la piste : « En ces temps de campagne présidentielle qui véhiculent toujours plus d’idées nauséabondes et contraires au respect des droits humains, etc. » Nous laissant à peine le temps de respirer entre deux secousses intercostales, ces trublions affirment que « la subjectivité, tout comme la liberté d’expression, ne peuvent en aucun cas servir de caisse de résonance aux pires moments de notre histoire pour en faire un revival infect. » Puis ils nous servent de magnifiques formules boursouflées écrites à la manière des journalistes les plus incultes : « Nous, journalistes, choisissons de nous placer du côté des droits humains » ; ou « Nous continuerons à porter nos valeurs » ; ou encore « Nous, journalistes, sommes très au clair sur nos combats. » Ces emphases congestives écrites dans un français de cour de récréation d’école du journalisme ont un effet comique indéniable. Manifestement, les rédacteurs et les lecteurs de Mediapart n’y ont vu que du feu. Il faut vraiment s’appeler Edwy Plenel ou Éric Fassin pour lire ce genre de prose au premier degré et sans se pisser dessus de rire. 

Un texte très fort

Le sommet de ce texte parodique est atteint dans l’avant-dernière phrase, une pure bouffonnerie mêlant écriture inclusive absurde et style badiouesque : « Nous, journalistes promoteurices des droits humains, combattrons ces idées rances et dangereuses. » Les lecteurs de Mediapart n’étant visiblement pas habitués au second degré (et/ou n’ayant pas lu Ubu Roi), certains se sont offusqués de lire que des journalistes pouvaient être « promoteurices » de quoi que ce soit ; tandis que d’autres, tout aussi imperméables à l’humour parodique, se sont offusqués de lire les commentaires de ces « défenseurs du français momifié ». C’est la force d’un texte parodique totalement réussi : personne ne l’ayant lu avec la distance ironique indispensable, chacun défend sérieusement son point de vue. 

Je ne sais pas qui sont les véritables auteurs de cette drôlerie. D’ailleurs certains des signataires de la tribune sont anonymes, ce qui ne manque pas de piquant. Mais qu’ils sachent qu’ils ont ensoleillé ma semaine.

La police prise pour cible à Alençon: une bonne nouvelle

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Les affrontements de la nuit du 26 octobre sont le signe que les forces de l’ordre n’entendent plus laisser le terrain aux dealers.


Comme le temps passe. Il y a trois ans déjà, en avril 2018, Causeur s’était penché sur la préfecture de l’Orne dans le cadre d’une enquête sur les quartiers sensibles. Celui qui se distinguait dans ce registre était Perseigne, précisément celui où des policiers ont essuyé des jets de projectiles et des tirs de mortiers dans la nuit du 26 au 27 octobre. « Perseigne, enclave à problème d’Alençon-la-Tranquille », avions-nous alors titré.

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La France découvre avec stupeur que cette petite ville connaît l’insécurité. Les Alençonnais font la part des choses. La délinquance se concentre dans un petit quadrilatère de tours construites dans les années 1980. Classé prioritaire par la politique de la ville, écrivions-nous alors, « Perseigne affiche 60% de ménages en dessous du seuil de pauvreté et 30% de familles étrangères. Le quartier est-il rattrapable ? En dix ans, l’Agence nationale de la rénovation urbaine et la ville lui ont consacré plus de 100 millions d’euros, sans interrompre la chute. 5800 habitants en 2005, 4500 en 2013 ! » Les bailleurs sociaux peinent à remplir leurs logements, même en délaissant, réalisme oblige, tout objectif de mixité sociale. Contactées en 2018, deux agences immobillières d’Alençon, Orpi et Century 21, avaient décliné poliment les propositions de mandat pour un T4 (fictif) dans une rue de Perseigne : trop compliqué. 

La star du quartier est Fabien Clain, la voix qui a revendiqué pour Daesh les attentats du 13 novembre 2015. Réunionnais d’origine, passé par Toulouse dans les années 2000, par la prison (2009-2012) puis par la Syrie, il a passé l’essentiel de sa vie à Perseigne, avec son frère Jean-Michel. Il y était revenu début 2015, locataire d’Orne Habitat… 

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Pendant longtemps, la presse et les élus locaux ont surenchéri dans la candeur et l’aveuglement dès qu’il était question de Perseigne. Des jeunes avaient ouvert les bouches d’incendie pendant les fortes chaleurs de juin 2017 : « la canicule a créé du lien social », commentait poliment le site Tendanceouest. « Tensions communautaires inexpliquées dans un quartier », euphémisait Le Monde du 25 août 2018, suite à la mort d’un homme, abattu de deux balles dans une bagarre entre bandes.  Le motif exact de l’affrontement était effectivement obscur, mais la toile de fond du règlement de comptes entre Français d’origine maghrébine et Afghans n’avait rien de mystérieux : trafic de drogue.  

Combien de Perseigne en France ?

Puis le vent a tourné, tardivement mais nettement. « Il faut que les gens se lèvent ! Je veux que la majorité silencieuse parle et dénonce ces malfrats. Rebellez-vous contre ceux qui tiennent le quartier ! », avait lancé dans Ouest-France François Coudert, procureur de la République d’Alençon, le 7 avril 2021. Le 21 mars, déjà, la police avait été prise à partie et des véhicules avaient été incendiés à Perseigne. « Les services de l’État poursuivront les actions renforcées qui ont été engagées pour assurer la tranquillité publique dans ce quartier et perturber les trafics de stupéfiants et les rodéos urbains », déclarait alors Françoise Tahéri, préfète de l’Orne. Des propos fermes contrastant avec des années de calinothérapie, à base de « repair café » et autres « jardins partagés» prétendant réenchanter Perseigne.

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Question qui se pose inévitablement, combien de Perseigne, non pas en France, mais dans le seul Grand Ouest ? Réponse, plusieurs. Le quartier de Bellevue, à Brest, devient très difficile à vivre. Kercado et Menimur, à Vannes, le sont depuis déjà un moment (grâce entre autres à des trafiquants albanais). Bressuire (19 000 habitants, Deux-Sèvres) a connu des affrontements ethniques à l’été 2020, entre des locaux et des Russes tchétchènes. Des meurtres, des coups de feu et des dealers dans une commune plus petite que Bressuire ? Regardez du côté de Hennebont (15 000 habitants, Morbihan), où le quartier de Kerihouais concentre les problèmes. Ce n’est pas la Seine-Saint-Denis, et c’est précisément pour cette raison que la dégringolade peut être très rapide. Quand trouver un logement ailleurs n’est pas trop difficile, les habitants à la recherche d’un minimum de calme s’en vont en quelques années. Repair café et jardin partagé ou pas.

Ne la laissez pas tomber, être une femme libérée c’est pas si facile!

Eric Zemmour a des mots très durs envers Marine Le Pen. Mais même si contrer ses ambitions est un vrai casse-tête, être à la gauche du trublion pourrait finalement être un atout pour la candidate de la droite nationale…


Décidément, Marine Le Pen est malchanceuse. Et l’on se demande pour elle si la dédiabolisation du RN n’est pas allée trop loin.

Mardi, à la fin d’un rassemblement à Biarritz, on a pu entendre le presque candidat Eric Zemmour affirmer de nouveau devant les journalistes que la candidate du Rassemblement national était une femme de gauche : « tous ses réflexes sont de gauche, elle est en décalage avec son électorat ». Il a ensuite asséné : « elle parle comme Madame Schiappa, elle essaye de m’agripper sur ma prétendue misogynie », avant de conclure : « stupide réflexion, stupide analyse, stupide angle d’attaque, ses électeurs ne seront pas dupes ! » 

Les zemmouriens estiment carrément que Marine Le Pen est une enfant de Mai-68 (Pouah ! quelle horreur). En tout cas, c’est la première fois que la candidate se voit dépassée sur sa droite lors d’une campagne présidentielle. En ne présentant pas la candidature la plus radicale ou la plus anti-système, le risque de perdre le vote “défouloir” de certains électeurs français est grand. 

La stratégie de Marine Le Pen face au diviseur Zemmour

Alors qu’elle se rendait à la foire agricole de Poussay dans les Vosges, lors de l’entretien qu’elle a accordé à la chaîne YouTube « Livre Noir » dans sa voiture, Marine Le Pen s’est indigné façon France Inter de la misogynie d’Eric Zemmour. « Il a une forme de mépris envers les femmes » avance-t-elle, avant de rappeler qu’il n’avait pas hésité à soutenir Dominique Strauss-Kahn et Tarik Ramadan dans leurs affaires d’agressions sexuelles présumées respectives… La femme n’est, pour Zemmour, qu’un « attribut », un « butin », estime Marine Le Pen. 

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Ensuite, elle a évoqué le désintérêt du journaliste pour les classes populaires. « Il défend une vision fantasmée, historique, de la France, mais j’ai le sentiment qu’il ne défend pas les Français. » À plusieurs reprises au cours de l’entretien, la candidate a insisté sur son propre dévouement envers les plus modestes : « si je ne défends pas les chômeurs et les ouvriers, qui les défendra ? La gauche a totalement abandonné les classes populaires ». En somme, pour Marine Le Pen, « il n’y a pas de cohésion nationale sans cohésion sociale ».

Troisième angle d’attaque, la candidate met en avant la longévité de son combat politique, et en particulier sur la question de l’immigration. Dans sa voiture, Le Pen a rappelé que pendant qu’Eric Zemmour était confortablement installé dans son fauteuil d’éditorialiste du Figaro, elle défendait un candidat – son père – et des thèses qui n’étaient alors pas franchement à la mode… « J’ai affiné mon projet en le confrontant aux Français depuis dix ans » rappelle-t-elle. Un long chemin de croix qui lui aurait permis de construire un programme adapté aux défis de notre temps : « le référendum que je propose [1], on ne peut pas aller plus loin pour régler les problèmes liés à l’immigration, ça ne sert à rien d’y ajouter des divisions », analyse-t-elle. 

Car, pour Marine Le Pen, l’enjeu est de rassembler tous les Français, alors que Zemmour « divise » et ne ferait que réseauter à la droite de la droite et tenir des propos « qui ne font pas un président de la République ». Expérimentée, la candidate du RN comprend que « les gens sont excédés » et donc conçoit qu’ils se reconnaissent dans un « propos violent ». Mais elle l’assure de son côté : « nous avons abandonné le clash, le buzz, les déclarations tonitruantes qui créent une forme d’ivresse de la radicalité ». Et elle s’en félicite.

La fin du « front républicain » contre Le Pen ? 

Immanquablement, le camp du Bien a donc déplacé son curseur du facho depuis la rentrée : c’est Eric Zemmour qui suscite désormais les plus grandes indignations dans la classe politique ou dans les studios de la radio publique. Il parachève de fait toute la longue entreprise de dédiabolisation de Marine Le Pen. Ce n’est plus elle qui représente une prétendue « menace pour la République ». Ce n’est plus vers elle que se dirige le fameux « front républicain ».

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Aussi, si l’essayiste n’accédait pas au second tour, comme le prédisent les sondages actuels, Marine Le Pen bénéficierait d’un avantage nouveau et de taille face à Emmanuel Macron. Protégée durant de longs mois par le soldat Zemmour, elle pourrait aborder le second tour sans porter la casquette infamante de l’”extrême droite”, dont le système politico-médiatique l’affuble depuis toujours. Et Emmanuel Macron ne pourrait peut-être plus effectuer un pèlerinage sournois au mémorial de la Shoah ou à Oradour-sur-Glane durant l’entre deux tours sans être complètement ridicule. La candidate du Rassemblement national semble en être consciente : « Je pense que je suis la plus à même de gagner face à Emmanuel Macron, précisément parce que je tente d’éviter l’ensemble des provocations que je trouve inutiles et qui sont autant de mobilisations de nos adversaires politiques, dans le cadre d’un second tour. » Ah ! Qu’il est doux d’être défascisé !


[1] Marine Le Pen souhaiterait inscrire dans la Constitution la « maîtrise » de l’immigration, la « priorité nationale » et la supériorité du droit français sur le droit international, via un référendum.

À France Inter, ils ne pensent qu’à lui

A force de décortiquer les propos d’Eric Zemmour pour tenter d’y déceler les racines du « fascisme », journalistes et chroniqueurs d’Inter prouvent qu’ils sont obsédés… et incultes.


On n’ose penser qu’ils tentent de capitaliser sur la popularité de Zemmour. Mais pas un jour ne se passe sans que plusieurs des intervenants de la radio fassent savoir leur aversion pour le presque-candidat.

Distorsions érudites et corrélations abusives

Il faut écouter Thomas Legrand qui, s’employant à « décortiquer » « les armes rhétoriques classiques de la pensée préfasciste » chez Zemmour, a déniché deux concepts compliqués. D’abord, « les distorsions érudites ». Il reproche à Éric Zemmour de citer un texte tiré de Choses vues dans lequel Victor Hugo, s’opposant au général Bugeaud, plaide en faveur de la colonisation de l’Algérie. Or, dit Thomas Legrand, « Choses vues, c’est le journal de l’écrivain sur des décennies qui retrace l’itinéraire d’un jeune monarchiste nationaliste devenu républicain social, universaliste ». Zemmour se rendrait coupable d’une supercherie intellectuelle en déniant à Victor Hugo le droit de changer d’avis, d’évoluer vers une pensée plus conforme à notre idéal des droits de l’homme. Fort bien ; sauf qu’en l’occurrence, la « distorsion érudite », c’est Thomas Legrand qui la commet. De fait, le même Hugo qui, à 38 ans, louait la colonisation de l’Algérie, prononcera à l’âge de 77 ans, le fameux Discours sur l’Afrique où il affirme : « L’Afrique n’a pas d’histoire. […] Peuplée, c’est la barbarie ; déserte, c’est la sauvagerie. […] Au dix-neuvième siècle, le Blanc a fait du Noir un homme ; au vingtième siècle, l’Europe fera de l’Afrique un monde. » Éric Zemmour n’a pas déformé la pensée de Victor Hugo ; il en a cité l’un des traits les plus constants : cette croyance en la mission civilisatrice de l’homme blanc que l’on retrouve aussi, chacun le sait, dans les discours d’un grand républicain comme Jules Ferry.

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Très loin de l’humour et à côté de la plaque

Thomas Legrand enchaîne avec un autre aspect du « raisonné [?] zemmourien » : les « corrélations abusives », illustrées par ses propos sur l’équipe de France de football qui serait « devenue noire depuis que le système de jeu est passé de la finesse stratégique à la puissance athlétique », résume le chroniqueur d’Inter. Mais Éric Zemmour ne fait là que déplorer les choix des centres de formation, que regrettait déjà, il y a dix ans, Laurent Blanc, sélectionneur des Bleus (« En France, on a l’impression qu’on forme le même prototype de joueurs, grands, costauds, puissants : les Blacks. »). Ce qui explique la coloration ethnique de l’équipe de France, c’est plutôt, dit Thomas Legrand, la ghettoïsation des quartiers populaires où l’on pratique ce sport ; Zemmour ne dit pas autre chose, lequel fait souvent remarquer que les petits Blancs renoncent à la pratique du football comme ils fuient ces quartiers, chassés par le communautarisme.

On se demandera quoi tirer des sketchs de Daniel Morin se lançant dans une parodie du générique de Zorro en remplaçant les paroles officielles par « Zemmour, Zemmour, bâillonné par le CSA, Zemmour, Achtung !, un jour il reviendra », et de Charline Vanhoenacker imaginant un libraire qui tenterait d’assurer dans son magasin une cohabitation pacifique entre les lecteurs de Zemmour et ceux de Taubira. Mais l’épisode où l’on éprouve le plus de gêne pour ladite Charline est sans doute cette vidéo d’elle gribouillant une affiche de soutien à Zemmour. Rien de scandaleux : tous les hommes politiques ont eu, un jour ou l’autre, leur moustache hitlérienne au feutre et des jeux de mots idiots avec leurs initiales (en l’occurrence : « zob »…). Mais la pauvre inconsciente si gauche-comme-il-faut se retrouve accusée de « dérapage antisémite », selon un procédé étrenné avec les anti-passe : si tu dessines une moustache d’Hitler, c’est toi le nazi. On ne va pas pleurer sur son sort, ou seulement de rire.

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Finalement, France Inter nous fournit l’occasion unique de nous réjouir du grand remplacement, ce moment où la substitution de population rendra inévitable un alignement du casting de cette radio du service public sur les modèles ethniques de ses nouveaux auditeurs et où, par conséquent, Waly Dia, comique d’origine sénégalaise officiant sur cette antenne, dix fois plus drôle que Guillaume Meurice, Charline Vanhoenacker et Daniel Morin réunis, les évincera tous les trois, définitivement.  

La France n'a pas dit son dernier mot

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Jennifer Wenisch: face à l’islamisme barbare, l’esprit munichois

Ayant laissé mourir de soif une fillette yazidie réduite en esclavage en Irak, la djihadiste et milicienne de Daech Jennifer Wenisch a été condamnée à seulement dix ans de prison lundi, par un tribunal de Munich.


Jennifer Wenisch. Allemande. 30 ans. A rejoint l’État Islamique en 2014, porté les armes à son service, intégré sa « police des mœurs » pour en faire respecter les prescriptions à coups de fouet. Avec son mari, lui aussi membre de l’EI, elle a acheté une Yazidie et sa fille comme esclaves. Parce que la fillette de cinq ans, malade, aurait uriné sur son matelas, elle a laissé son mari l’attacher pour la suspendre à la fenêtre en plein soleil, 50°, et la faire lentement mourir de chaleur et de soif sous les yeux de sa mère.

Capturée et jugée en Allemagne, Jennifer Wenisch risquait la perpétuité. Mais ce qui tient lieu de « justice » outre-Rhin a préféré la condamner à dix ans de prison seulement. Immonde décadence d’un Occident que son fétichisme pour un « humanisme » perverti conduit à perdre toute humanité.

Jennifer Wenisch n’est pas un monstre, dira-t-on, mais notre semblable. Oui, et c’est précisément pour cette raison qu’elle doit répondre de ses actes par une sanction à la hauteur de ses crimes, parce que la monstruosité de ce qu’elle a fait n’est pas la conséquence inévitable d’une nature monstrueuse, mais le résultat de ses choix, libres et responsables.

Pas la loi du talion

Vous voulez donc la loi du talion ! s’insurgera-t-on encore. Non : la loi du talion consisterait à attacher cette femme en plein soleil jusqu’à ce qu’elle meure de soif. Que les beaux esprits ne voient pas qu’il y a d’autres alternatives que le choix caricatural entre ce talion radical et le laxisme de juges pervertis est une preuve supplémentaire de notre effondrement collectif, intellectuel et moral.

« Notre », car dans le départ de jihadistes vers l’EI, tous les pays européens sont tragiquement solidaires. « Notre », car si l’affaire se déroule en Allemagne, la situation française n’est pas très différente : pour s’en convaincre, il n’y a qu’à écouter ceux qui s’indignent presque plus des propos de Patrick Jardin que des actes des criminels responsables de la mort de sa fille au Bataclan. Comme ils se pavanent, drapés dans leur supériorité morale autoproclamée ! Les principes qu’ils affichent ne servent que de masques à leur écœurante lâcheté.

Le pas-de-vague est un avilissement généralisé

Lâcheté morale, car seul compte à leurs yeux de ne pas se salir les mains, qu’importent les victimes, qu’importe l’humanité, qu’importe cette jeune femme massacrée au Bataclan, qu’importe cette enfant affreusement torturée et assassinée. Lâcheté physique, car c’est aussi la lâcheté de ceux qui passent devant les agressions sans réagir, la lâcheté de cette foule qui n’a rien fait pendant que tant de femmes étaient agressées la nuit du Nouvel An à Cologne. Lâcheté sociale, « pas de vague », lâcheté de ceux qui préfèrent se taire et laisser Samuel Paty être tué plutôt que courir le risque de se faire traiter de « fachos » ou autres anathèmes du même ordre.

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Entre les « vous n’aurez pas ma haine » sans cesse psalmodiés, et le soi-disant « Etat de droit » auquel des magistrats offrent, comme autant de sacrifices humains, les victimes des criminels qu’ils laissent libres d’agir (trahissant l’esprit des lois pour en mettre la lettre au service de leur idéologie militante), l’Occident ne cesse de s’avilir. Il s’avilit au point de vouloir se persuader que dix ans de prison seraient une « juste peine » pour s’être mis au service de l’horreur absolue, et pour avoir torturé et tué lentement une enfant de cinq ans sous les yeux de sa mère. Que Jennifer Wenisch soit co-auteur de la mort de cette fillette ou « seulement » complice ne change rien. Ce n’est là qu’argutie sans intérêt au regard de la gravité du crime.

N’oublions pas nos racines : si Athéna empêche toujours ses protégés de s’abandonner aveuglément à la fureur, elle promet aussi à Ulysse qu’elle combattra à ses côtés et que le sol de son palais « sera souillé du sang et de la cervelle de ses ennemis » (Odyssée, chant XIII, vers 386 – 396). Sommes-nous donc les héritiers du héros, prêt à affronter trois cents guerriers pourvu que la fille de Zeus soit auprès de lui, ou de cette valetaille qui cherchait à s’attirer les bonnes grâces des prétendants en les encourageant à dévorer Ithaque ?

Les Yazidis et leurs bourreaux islamistes

Jennifer Wenisch n’est pas juste une criminelle, ni même un ennemi vaincu et désormais inoffensif. Comme Salah Abdeslam, elle est l’un des soldats d’un ennemi déterminé et conquérant, bien résolu à nous soumettre et nous détruire. Comme le devrait celui d’Abdeslam, son jugement aurait dû servir à prouver à cet ennemi notre capacité à faire preuve de la brutalité nécessaire pour briser sa volonté de nous attaquer. Il n’en a rien été, et le tribunal de Munich a montré son esprit…. munichois. Là-bas comme ici, « vous n’aurez pas ma haine » est l’antithèse du « nous combattrons (….) nous ne nous rendrons jamais » de Churchill.

Mais face à l’abomination des crimes de cette femme, ces considérations stratégiques ne sont pas l’essentiel. Ce qui compte, c’est l’incroyable mépris dont l’Allemagne, avec ce jugement, fait preuve envers cette fillette morte, envers sa mère qui a assisté impuissante à son agonie, envers tous les Yazidis réduits en esclavage, violés, massacrés par l’État Islamique, et envers toutes les victimes de l’EI quelles qu’elles soient. Ce qui compte, c’est la détresse de tous ces gens à qui l’Occident a promis qu’il les protégerait, mais qu’il trahit pour préférer s’enorgueillir de n’être pas trop dur envers leurs bourreaux. Accepter sans réagir la décision indigne de ce tribunal, c’est renoncer à toute véritable éthique. C’est piétiner ce qui fonde la grandeur de l’humanité, pour cajoler ce qui nourrit son horreur. C’est cracher sur tout ce qui a pu faire la noblesse de notre civilisation depuis trois millénaires. Si nous voulons encore avoir le droit de nous dire civilisés, nous devons aujourd’hui crier notre colère, et proclamer notre soif d’une vraie Justice.

EDF: le grand gâchis de la bureaucratie néolibérale

L’histoire et l’architecture de l’entreprise EDF ne permettait pas, jusqu’à il y a une vingtaine d’années, de parler d’un marché de l’électricité. Bruxelles va au début des années 2000 imposer de façon irrationnelle un marché de l’électricité complètement artificiel. La France toute entière commence et n’a pas fini d’en payer le prix…


Jusqu’en 1996, l’approvisionnement de la France en électricité se déroulait selon la règle générale du monopole : peu d’interconnexions avec les réseaux étrangers, producteur monopoleur, transporteur unique et distributeur tout aussi unique. Aucun marché, avec simple mission de service public et système de prix administrés. La tarification pouvait s’opérer au coût marginal : le prix de vente est égal au coût de production de l’unité productrice la plus coûteuse, mise en service pour alimenter la demande [1]. Le même monopoleur optimisait l’emploi des diverses unités productives par une variabilité des prix en fonction des variations des demandes horaires. Réalité directement lisible, gestion simple et absence relative de bureaucratie.

Tout va changer avec la volonté bruxelloise d’inventer un véritable marché de l’électricité : réseaux démonopolisés et interconnectés, démantèlement des monopoles, séparation des grandes fonctions (production, transport, distribution, fourniture) concurrence entre producteurs privés et publics. Seule l’infrastructure de réseau restera sous le contrôle d’un gestionnaire unique (RTE pour la France). Dans le monde économique classique, il n’est plus besoin d’être producteur pour devenir marchand. Au cours des années 2000 nous avons vu apparaître de très nombreuses « entreprises » qui ne seront que des grossistes achetant sur les bourses de marché de gros pour revendre de l’électricité à des utilisateurs finaux. Ces « entreprises » sont aujourd’hui au nombre d’une petite trentaine en France [2]. Trois bourses européennes vont naître pour fluidifier le marché et le rendre efficient : « Epex Spot », « Nordpool » et « OMEL ». Les Etats devant s’éloigner du marché (idéologiquement et réellement), ils n’interviennent plus que par le biais « d’Autorités Administratives Indépendantes ». Ainsi, en 2000, sera créée en France la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) dont la fonction sera, avec l’aide de ses quelque 250 collaborateurs, de bien vérifier que les prix qui se forment sur les bourses, obéissent strictement aux principes généraux de tous les marchés et en particulier la bonne transparence des échanges.

La France présentait toutefois des caractéristiques particulières, avec un poids et une compétitivité du nucléaire très avantageuse qui, sauf à fermer ou à vendre des centrales nucléaires empêchait le marché de l’électricité de s’ouvrir à de nombreux acteurs. C’est ainsi que, contre toute logique économique sérieuse, il fut décidé d’obliger EDF à vendre à des prix très inférieurs au coût de l’électricité nucléaire à de simples marchands voulant s’installer sur le nouveau marché. C’est ce qu’on appelle l’ARENH (Accès Règlementé à l’Electricité Nucléaire Historique). Ainsi les marchands d’électricité peuvent théoriquement accéder à 25% du total de l’énergie électrique d’origine nucléaire produit par EDF et venir concurrencer cette même EDF en vendant à des particuliers à des prix inférieurs. Comme si un producteur/distributeur était administrativement obligé de vendre à très bon marché ce qu’il produit à un acheteur décidé à le tuer. Parce qu’il était très difficile voire impossible de démanteler le producteur nucléaire, l’Etat français, obéissant à la règle bruxelloise de libéralisation du marché de l’électricité, se devait d’organiser le pillage de l’entreprise qu’il possédait.

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Ce marché européen de l’électricité -avec ses bourses d’échange- fonctionne évidemment selon la règle du coût marginal et le prix européen s’établit donc selon le coût de production de l’unité marginale, celle qui doit être activée pour répondre à la demande alors qu’elle est moins compétitive que toutes les autres qui fonctionnent à pleine puissance. Sur le marché n’interviennent pas que des marchands soucieux d’obtenir de « l’électricité réelle ». Au nom de la fluidité et de la liquidité, de très nombreux autres acteurs interviennent et négocient au comptant ou à terme des contrats simplement financiers. De telle sorte que, sur les marchés de l’électricité comme sur les autres marchés de la spéculation, on rencontre des acteurs qui n’ont rien à voir avec avec la marchandise réelle, ici de l’électricité. Et parce que les contrats financiers comportent des risques qu’il faut couvrir, on verra de nombreux produits financiers incorporant le sous-jacent électricité. Ces acteurs spéculent beaucoup actuellement sur ce que l’on croit être les producteurs de l’électricité marginale à savoir le gaz et le charbon. Il en résulte une hausse des prix de l’électricité en France qui n’a rien à voir avec les coûts moyens réels.

Image d’illustration © GILE MICHEL/SIPA Numéro de reportage: 00896908_000005.

L’invention d’un marché de l’électricité par les autorités bruxelloises et son acceptation par l’Etat français entraîne trois conséquences extraordinairement négatives pour la France. Les deux premières sont connues : un prix de marché qui ne correspond pas à des coûts de production beaucoup plus faibles que partout ailleurs et un transfert administratif de valeur depuis les centrales nucléaires vers des « fournisseurs » simples accapareurs et consommateurs de la rente nucléaire.

La troisième est plus méconnue et sans doute plus difficile à évaluer. Il s’agit de l’énorme bureaucratie engendrée pour faire « tenir debout » le marché inventé : contrôle du respect de l’ARENH par une multitude de fonctionnaires ; organismes de contrôle et de régulation tels que la Commission de Régulation de l’Energie (CRE), le Groupe de Régulateurs Européens de l’électricité et du gaz (ERGEG), le Conseil des Régulateurs Européens de l’Energie (CEER) etc. A cette bureaucratie, il faut ajouter celle qui conçoit et surveille de loin le marché, par exemple la bureaucratie bruxelloise qui a inventé les directives comme celle relative à la réglementation concernant la transparence du marché ou celle surveillant la bonne séparation – y compris comptable – à l’intérieur d’EDF du gestionnaire du réseau de transport (RTE) ou le gestionnaire du réseau de distribution (ENEDIS). Bien évidemment, il ne faut pas oublier dans le catalogue la bureaucratie financière qui concerne les bourses, leurs acteurs, mais aussi les juristes, les économistes, voire les modélisateurs. Et cette bureaucratie financière se doit d’avoir l’œil sur la bureaucratie financière rattachée à la spéculation sur le prix du carbone. Il ne faut pas oublier en effet que le prix de l’électricité devient aussi en quelque sorte le produit d’une double spéculation : les spéculateurs sur les bourses doivent avoir l’œil sur le marché à terme du carbone qui intervient sur les coûts des producteurs, coûts sur lesquels la spéculation s’enracine. Et parce que les producteurs d’électricité sont très soumis aux « quotas carbone », leur participation à l’énorme bureaucratie financière du marché du carbone – une bourse appelée « European Energy Exchange » avec marchés spot, à terme et options, et quotas reconnus officiellement instruments fianciers par la directive MIFID2 – consomme énormément de moyens [3].

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Au total, non seulement le prix de l’électricité en France ne reflète plus l’extraordinaire compétitivité de l’entreprise historique, c’est-à-dire EDF, mais sa transformation artificielle en prix de marché entraine deux conséquences gravissimes pour le pays.

La première est la consommation du talent de milliers de personnes de très haut niveau sur le plan professionnel, personnes dont l’activité est complètement inutile voire nuisible. Un exemple : les auteurs de la très sérieuse étude sur « la sensibilité du prix de l’électricité aux publications d’informations relatives aux indisponibilités des moyens de production en France ». Comme quoi de grands talents dans le domaine de l’économétrie peuvent être affectés à des « bullshits jobs » dont la seule production est celle de rester les gardiens probablement inconscients d’un temple idéologique.

La seconde est la consommation d’une énorme quantité d’épargne ou de création monétaire, celle « brûlée » dans les bourses directes (les bourses du marché de l’électricité) ou indirectes (les marchés du carbone). Des moyens financiers qui pourraient être affectés de façon plus efficiente.

Ne serait-il pas grand temps de voir la France se réapproprier les outils d’une production qui avaient contribué à bâtir sa grandeur dans les années 70/80 ?


[1] Pour les économistes le cout marginal est le cout de la dernière unité produite. Pour ravitailler le pays en électricité on active d’abord les centrales les plus efficientes et si la demande d’électricité augmente on active la ou les centrales les moins efficientes. La bonne gestion revient alors à faire payer le pris de l’électricité au cout de production de ces centrales moins efficaces. Traditionnellement le prix administré était proche du cout marginal.

[2] Un exemple de ces prétendues entreprises est le distributeur Leclerc – grande distribution – dont on apprend aujourd’hui qu’il ne peut poursuivre une vente d’électricité dont il ne maitrise en aucune façon la production.

[3] La bourse est ainsi un lieu d’échange direct mais aussi un lieu de formation de « paris » sur les fluctuations de prix que les acteurs anticipent, c’est le cas de ce qu’on appelle le marché à terme ou le marché d’options. Comme quoi la lutte contre le réchauffement climatique est aussi une occasion de spéculer…

“Le Dit du Mistral”, une histoire de transmission

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Olivier Mak-Bouchard est le lauréat du Prix Cogedim Club 2021, pour son roman Le Dit du Mistral (Le Tripode). Une histoire provençale qui rappelle opportunément tout ce que nous ont légué les générations précédentes…


En choisissant comme titre Le Dit du Mistral, Olivier Mak-Bouchard donne immédiatement le ton. Si l’on s’en tient à la définition du « dit de », il s’agit d’un poème narratif à la première personne, un genre qui a fait florès au Moyen Âge (Rutebeuf, Guillaume de Machaut…)

Pour les amoureux de contes et légendes

Soyons clairs, avant de se lancer dans cette épopée provençale de plus de 300 pages, tout imprégnée du lyrisme de Giono et de Bosco, retrouver son âme d’enfant s’impose. À cet égard, le prologue vaut avertissement, sinon mode d’emploi : « Si le lecteur veut comprendre comment toute cette histoire a pu arriver, il ne doit pas avoir peur de remonter le temps. S’il se limitait au réel qui baigne chacune de ses journées, il risquerait de ne pas saisir le fin mot de tout ce qui va suivre, ou pire encore, de ne pas y croire du tout. » Ce récit pourra laisser perplexes, voire rebuter les esprits cartésiens ou au contraire totalement séduire les amoureux de contes et surtout de nature. Pour que la magie opère, la règle consiste à se laisser prendre par la main et imaginer, qui sait, la voix, d’une grand-mère racontant les légendes de Provence, au coin du feu. D’ailleurs, ce premier roman édité par Le Tripode est à lui seul une belle histoire : sans doute son auteur n’aurait-il jamais pris la plume pour rendre hommage à sa terre natale d’Apt et du Luberon, si lui-même n’avait été bercé par les histoires que lui racontait son aïeule… Car c’est bien de transmission dont il s’agit. 

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Singulier autant que poétique, ce récit met en scène un drôle de chat, surnommé le Hussard – clin d’œil au maître de la Provence Jean Giono -, un jeune couple, Paul et Blanche – et leurs voisins retraités, M. et Mme Sécaillat. Contre toute attente, une amitié va se tisser entre ces deux hommes de générations différentes, à la suite d’une nuit d’orage et d’un secret qu’ils vont percer : un mur de pierres va les mettre aux prises avec une incroyable découverte. En creusant les entrailles de la terre, ils vont remonter le temps, se relier à d’autres générations et à des mystères… Les éléments se déchaînent autour du fameux Mistral. Cela bruisse de toutes parts. Le feu s’invite. Des images fortes s’imposent. Le fantastique prend le dessus avec Canis lupus et Cabro d’or. Réalité, fiction. On s’y perd. Qu’importe. Habile conteur, Olivier Mak-Bouchard mène la danse en ayant le soin de ne pas oublier, en ouverture de chaque chapitre, de glisser subrepticement, comme un hommage, un peu de Bosco, Daudet, Mistral… avec des extraits choisis, des proverbes et même quelques phrases en provençal. 

Un roman récompensé par la propriétaire du Château des Oliviers

Publié à la rentrée de septembre 2020, ce premier roman qui a retenu l’attention des libraires et des lecteurs, a été tiré à 30 000 exemplaires. Bonne nouvelle, il sortira en poche en juin 2022. Mettant à l’honneur la transmission entre les générations, et donc la mémoire qu’on peut aussi perdre – comme l’incarne le personnage de Mme Sécaillat dans ses égarements -, c’est une belle reconnaissance que cet ouvrage ait été couronné par le Prix du Livre Cogedim Club 2021, qui récompense des romans ou récits sur le thème de la famille et de la transmission. Les 300 résidents des clubs de lecture Cogedim Club qui l’avaient mis en lice parmi les trois finalistes, et le jury présidé par Brigitte Fossey ne s’y sont pas trompés. À signaler aussi la couverture magnifiquement illustrée par l’artiste Philéas Dog. La griffe d’une belle maison édition.

Pourquoi Macron ne sera pas réélu

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Une tribune libre de Roland Hureaux


Je pense qu’Emmanuel Macron ne sera pas réélu. Ce pronostic n’est pas, je le sais, celui d’une certaine France bourgeoise. Mais elle a tort. 

Je me fonde sur plusieurs raisons, mais d’abord une : depuis de Gaulle, aucun président de la Ve République en pleine possession de ses pouvoirs constitutionnels n’a été réélu. Le général de Gaulle, lui seul, a été réélu en 1965, et encore ce fut bien laborieux. En ballotage inattendu au soir du premier tour (44,6% “seulement”), il pensa à démissionner, puis l’emporta un second tour avec 55,2% des suffrages seulement contre François Mitterrand.  

Georges Pompidou mourut avant d’avoir fini son premier mandat, donc nous ne le compterons pas. Contrairement à ses successeurs, il était encore populaire au bout de cinq ans. Avec 6% de croissance par an, ce n’est pas tout à fait étonnant. 

À l’automne 1980, tout le monde disait que Valéry Giscard d’Estaing serait réélu facilement. Il ne l’a pas été. 

François Mitterrand n’a pu être réélu en 1988 que parce que, depuis deux ans, en raison de la cohabitation avec une chambre opposée à lui, il n’exerçait plus le vrai pouvoir. Ce dernier était passé au Premier ministre, Jacques Chirac, qui gouverna avec une grande énergie, mais qui fut battu. Certes, Mitterrand sut profiter avec une extrême habileté de la situation, mais nul doute qu’il aurait été balayé si l’opposition n’avait pas gagné les élections législatives de 1986 et s’il était resté un président de plein exercice.

La cohabitation avait aussi du bon pour nos anciens présidents de la Ve

Même situation de cohabitation de 1997 à 2002. Personne ne doute que Jacques Chirac, enfin élu président en 1995, aurait été battu à plate couture en 2002 si ne lui était tombé du ciel cette chance insigne de la présence de Jean-Marie Le Pen juste derrière lui au premier tour, d’un rien devant Lionel Jospin. Un adversaire bien facile à battre au second tour. Chirac est élu avec plus de 80% des voix. Mais il n’en profita guère, refusant toute réforme qui aurait heurté la gauche – au motif qu’il en avait reçu les suffrages. 

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Nicolas Sarkozy pensait aussi pouvoir faire un second mandat. Donné battu 60/40 deux mois avant l’élection, il remonta une bonne partie de la pente, grâce à une campagne exceptionnellement dynamique, mais dut néanmoins laisser la place à Hollande. François Hollande ne put même pas se présenter pour un second mandat, tant sa popularité s’était dégradée. 

Des Gaulois pas réfractaires à tout changement…

Qui peut croire que Macron fera mieux que ses prédécesseurs ? 

Les raisons de leur rapide usure sont à notre sens de trois sortes :

D’abord le tempérament français volontiers frondeur. Il n’a pas changé. 

Et deux autres raisons qui sont aujourd’hui plus valables que jamais. La crise économique, permanente depuis 1974, s’est aggravée au cours des derniers mois à cause du Covid. Le coût de l’énergie explose : combien de Français n’arriveront pas à se chauffer correctement cet hiver ? Et il y a une troisième raison, trop souvent méconnue : la passivité de la plupart de ces présidents et de leurs gouvernements face aux propositions d’une technocratie qui, au fil des temps, n’a cessé de s’éloigner à la fois des aspirations des Français et du bon sens, cela en tous domaines : école, administration locale, agriculture, santé, justice, politique européenne… Même De Gaulle lui fit sans doute trop confiance en certaines matières en son temps, comme pour l’éducation nationale ou l’agriculture. Seul Pompidou, en raison de ses origines rurales, de sa perception du terrain et peut-être de sa finesse toute littéraire sut lui résister. Est-ce la raison du mystérieux maintien de sa popularité ? 

Macron n’est jamais, en cinq ans, sur aucun sujet, d’aucune manière, allé contre les idées de la technocratie française, qui sont les mêmes que celles de la technocratie européenne, moins par subordination que par identité de culture. Une culture qui n’est évidemment pas celles des gilets jaunes et du peuple français en général. Sera-t-il seulement candidat ? Ce n’est même pas absolument sûr. 

Les réflexions de Claude Habib sur la question trans

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Claude Habib. © Hannah Assouline

Tous les hommes ne sont pas des femmes qui s’ignorent. Et inversement. En France, un certain bon sens populaire fait encore barrage à l’idéologie tendant à ériger l’indétermination sexuelle au rang de norme naturelle. Le débat révèle cependant l’hyper-individualisme des sociétés occidentales.


Le livre documenté et argumenté de Claude Habib lance un débat urgent qui en France, jusqu’à présent, n’a guère eu lieu. Des personnalités, comme Irène Théry ou Roselyne Bachelot, encouragent l’activisme médical en faveur d’une « transition » qui éloigne ceux qu’il prend en mains du sexe de leur naissance et les rapproche du sexe opposé, mais cela n’émeut guère l’opinion. Claude Habib explique pourquoi le débat ne prend pas. Pour la grande majorité de la population, la dualité sexuelle répartissant les traits physiques et les capacités reproductives est une évidence de tous les jours qui n’a pas besoin d’être rappelée. En revanche, pour la petite minorité des candidats à la transition et pour leurs soutiens, cette évidence scelle un enfermement dans une condition douloureuse à laquelle ils ont hâte d’échapper. Si la minorité mobilisée peut concéder à la majorité le droit de rester indifférente, c’est à la condition qu’elle reste silencieuse.

Toute réserve se heurte immédiatement à la protestation de ceux pour qui il est vital d’échapper à une fatalité douloureuse. Ils peuvent s’appuyer sur le « victimisme » qui domine des sociétés incapables de se projeter dans l’avenir mais s’estimant requises de réduire toutes les souffrances et de répondre à tous les besoins ressentis par les individus, s’engageant ainsi dans une voie négative en même temps qu’utopique, puisqu’il n’y a pas de limite à l’éradication du mal et du manque.

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Le féminisme critique les images désavantageuses que l’on donne des femmes et certaines lectures d’une division sexuelle qu’il admet néanmoins alors que le transitionisme met en cause le soubassement organique de la division entre hommes et femmes. On dénonçait les idées, le salut est maintenant de leur côté. La protestation contre la réclusion dans l’origine est résolument idéaliste, elle procède d’un sentiment personnel irrépressible, celui d’appartenir à un « genre » qui ne correspond pas au sexe de naissance.

Claude Habib, Ecrivaine française; professeur de Lettres à l’université Paris III ; spécialiste de littérature du XVIIIème siècle.

Le « comment ça marche ? » plutôt que le « pourquoi ? »

Tout contribue à entraver le débat sur la légitimité de la demande de transition : le petit nombre des personnes concernées, la radicalité de la demande, l’orientation victimaire de l’opinion sur un fond d’indifférence. Pourtant, d’une certaine manière, le débat a lieu quand même, mais il porte plus sur les modalités que sur le principe : usage des « hormones croisées » (masculines pour les femmes de naissance, féminines pour ceux qui sont nés hommes), interventions chirurgicales pour effacer certains organes et remplacer ceux qui manquent. Débat aussi sur le besoin et la valeur du consentement de l’intéressé, à tel ou tel âge, sur la nécessité de soumettre ce consentement au contrôle d’une autorité judiciaire. Débat enfin sur la participation de ceux qui sont devenus femmes aux compétitions sportives féminines et sur leur accès aux espaces réservés aux femmes… Ces discussions sont rendues plus complexes par le fait que la transition n’est jamais achevée, que le sexe d’origine ne se laisse jamais oublier, que la prise d’«hormones croisées » reste nécessaire pour maintenir l’apparence recherchée. Et si les interventions chirurgicales sont décisives, elles ne sont pas nécessairement satisfaisantes, surtout pour l’invention d’organes de substitution. Ainsi, il y a des cas où l’on tente de revenir sur l’« assignation » précédemment choisie.

Les aléas du parcours de transition apparaissent en particulier à propos du changement d’état civil. Pour délivrer la carte d’identité officialisant le changement, la loi française exige que l’apparence de la personne et la façon dont elle est reconnue dans son entourage correspondent à sa demande. Cette disposition est contestée par la CEDH : selon elle, la demande faite par une personne suffit à justifier qu’on change son état civil. Le législateur français veut pour sa part qu’avant d’accomplir cette formalité, on s’assure que le demandeur a accompli sur lui-même assez de changements pour que son engagement dans la transition soit un fait irréversible.

L’individualisme démocratique mis en cause

Claude Habib insiste sur les facteurs qui vont actuellement dans le sens d’une reconsidération de la question : flottements sur l’inscription légale, tendance, y compris dans les pays les plus libéraux, à retarder l’âge où les interventions sont permises, quitte à employer d’abord des retardateurs de maturité sexuelle, augmentation rapide des demandes, surtout chez les filles. Tout cela semble indiquer que l’horizon dans lequel les modifications sexuelles sont envisagées est en train de changer. On les voyait naguère comme devant réparer des accidents, des « erreurs de la nature ». Le « dysphorisme » concernait surtout les jeunes garçons, il appelait une réponse univoque et définitive. Désormais des théoriciennes en vogue désignent un horizon très différent, évoquant une indétermination de la sexualité, symbolisée par le spectre de l’arc-en-ciel. « La complexité des vies genrées n’est pas encore fixée », affirme Judith Butler (citée p. 131), ce qui correspond à la difficulté des adolescents à trouver leur place dans des sociétés euro-américaines plus incertaines que jamais. Dans ces conditions, l’aspect décisionnel de la « transition » deviendrait de plus en plus important, avec la possibilité d’allers et retours.

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La « Trans Pride March » dans le centre -ville de Toronto, 21 juin 2019. (Photo by Anatoliy Cherkasov / SOPA Images/Sipa USA)/26712588/Anatoliy Cherkasov/1906221816

Claude Habib n’avalise pas cette vision euphorique (au sens premier du mot) de la mobilité sexuelle. Si elle considère comme inévitable et devant être reconnue une certaine fascination précoce pour le sexe opposé, en particulier celle de certains garçons pour la représentation féminine de la beauté et de la douceur, elle voit par contre l’explosion actuelle de la demande de transition comme un effet de ce qu’elle appelle la « nouvelle inculture sexuelle contemporaine » (p. 141) qui trouble en premier lieu les filles. La demande de celles-ci de se rapprocher de la masculinité exprime leur désarroi d’être prises entre un principe d’égalité sans cesse ressassé et une crainte de la violence masculine sans cesse évoquée, d’où leur tentation d’aller voir ailleurs, du côté où est la sécurité. On peut insérer cette remarque sur une féminité en perte de repères dans une analyse de l’individualisme démocratique. La liberté et l’égalité ne suffisent pas à fonder une société, comme le montre l’incapacité des démocraties contemporaines à dessiner un rôle pour le féminin.

Un problème idéologique

Claude Habib va au-delà de l’analyse et de la dénonciation, elle donne sa vision de ce que peut être le rôle des femmes dans la distribution des comportements sexuels. Leur rôle est celui d’évaluatrices et d’éducatrices du désir plutôt informe des hommes. Pour cela elles doivent savoir, nous dit l’auteur, « plaire, se refuser, se donner », ne pas renoncer à juger, mais se risquer dans un jeu où elles peuvent perdre.

Usant à la fois de rigueur et de sensibilité, l’auteur de ce livre admet ainsi que dès le début de leur vie, certains puissent être attirés par ce qu’incarne le sexe opposé, la beauté et la douceur, ou bien la force et la détermination, et qu’une dissonance peut être ressentie entre le sexe naturel et le genre rêvé, d’où la possibilité de la « transition ». En revanche, le développement actuel de la demande de transition renvoyant à la crise des démocraties, elle approuve la tendance à contrôler et à freiner les entreprises de transition, notamment en élevant l’âge où elles sont autorisées. Dans la même ligne, il serait logique d’interdire la transition à ceux qui ont des enfants. Une telle décision irait contre la tendance à laisser la génération suivante gérer les effets des libertés que s’accorde la génération actuelle.

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Surtout, l’auteur, et c’est la substance même de son livre, refuse que soit laissée hors débat la question des identités sexuelles, soit qu’on estime celles-ci naturellement et définitivement fixées, soit qu’on s’en remette à la fantaisie de chacun.

Claude Habib ne récuse pas a priori les changements de sexe, mais sa réflexion invalide l’idéologie qui les accompagne actuellement, qui les orchestre peut-on dire. Pour cette idéologie, le phénomène et son développement seraient l’accomplissement de l’individualisme qui est au cœur de notre société. Après voir délié l’individu de ses appartenances culturelles, nationales, religieuses, il le déracinerait de son identité biologique héritée, lui permettant de dire enfin : je suis qui je veux être. La conclusion de Claude Habib dément ce triomphalisme, elle montre que, pour beaucoup de celles qui entreprennent une transition, il ne s’agit pas de rejoindre le rêve contemporain d’autodéfinition mais, en passant de l’autre côté, d’échapper à la situation qui leur est faite dans la société des individus, qui se trouve ainsi de fait, quoi qu’il en semble, désavouée.

La question trans

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Claude Habib, La Question Trans, « Le Débat », Gallimard, 2021.

Ernst Jünger, orages d’encre

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Ernst Jünger, juin 1993 © Leonardo Cendamo/Leemage

Les documentaires sur Ernst Jünger que diffuse actuellement Arte révèlent à quel point persistent à son sujet les malentendus plus ou moins intéressés. Oui, il a été pétri de chevalerie teutonne. Non, il n’a pas été un intellectuel du nazisme, il a même participé au complot contre Hitler en juillet 1944. Saisir la complexité de ce grand écrivain demande un petit effort.


Pas d’heure pour les braves ! À l’usage des insomniaques et autres nyctalopes, dans la nuit du 5 octobre Arte diffusait, coup sur coup, signés tous deux du même réalisateur, Falko Korth, des documentaires où l’immense écrivain Ernst Jünger (1895-1998) tenait une place de choix. Le premier, à l’approche de minuit, est un inédit qui a pour titre : Le Pen, Jünger et la Nouvelle Droite. Curieuse façon d’instrumentaliser post mortem la haute figure de Jünger, pour la réduire à un pur jalon idéologique. Lui succédait le second opus, millésimé 2019 – une rediffusion, donc, centrée sur L’Écrivain Ernst Jünger – c’est le titre. Orné toutefois d’un sous-titre passablement emphatique : « dans les tréfonds de l’Histoire ». Vivent les raccourcis. On peut utilement revoir le film sur arte.tv jusqu’au 3 novembre. Mais puisque – élections obligent – l’Europe vit à l’heure allemande, c’est surtout l’occasion, pour Causeur, de célébrer les mânes d’un très grand monsieur bien malmené par la postérité.

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Le malentendu

De fait, sur Jünger, à dessein ou faute de prendre la peine de le lire en entier, le malentendu n’en finit pas d’être exploité. L’homme s’éteint paisiblement à près de 103 ans – un âge qui autorise à avoir eu plusieurs vies. Or ses contempteurs – à l’instar, parfois, de ses fervents admirateurs eux-mêmes – s’emploient à le tirer par la manche : ils trient, lui arrangent un portrait opportunément adapté à leurs vues. Ce, sans jamais restituer ce titan des lettres germaniques, non seulement à sa fantastique longévité, mais aussi à sa complexité. Quel rapport, en effet, entre ce fils de bon bourgeois (son père, chimiste, avait fait fortune dans la pharmacie) qui, mauvais élève mais lecteur boulimique, s’engage à 16 ans dans la Légion étrangère, avant de se ruer en tête brûlée dans la Grande Guerre, et le patriarche entomologiste et transhumant, collectionneur de sabliers et de coléoptères ? Entre le néo-nationaliste de l’entre-deux-guerres et l’officier mondain, francophone et francophile qui, sous l’Occupation, passe, en uniforme, du Raphaël où il a son logement de fonction à son bureau du Majestic, non sans vouer au Führer et à son régime un mépris et une haine inextinguibles ?

Lorsqu’en 1982, le prix Goethe vient couronner son œuvre, verts et socialistes d’outre-Rhin se drapent dans le même manteau de l’indignation. Aujourd’hui encore, beaucoup s’acharnent à ne voir en lui que le fourrier intellectuel du nazisme. Il serait temps d’appréhender Ernst Jünger de façon moins sommaire. Et de reconnaître, au-delà du hiératisme cristallin de son écriture, sa vraie grandeur dans la tragédie du xxe siècle.

Reprenons. L’adolescent Jünger est un chien fou qui déteste l’école. Élève turbulent et médiocre, mais déjà lecteur boulimique autant que sportif, il s’inscrit avec son frère cadet Friedrich-Georg dans les Wandervogel, version germanique d’un scoutisme épicurien. C’est en jouant de ses relations que son géniteur parviendra à faire rapatrier depuis Oran et Sidi Bel Abbès son rejeton légionnaire, et à ramener l’adolescent fugueur au bercail – Jünger racontera cette aventure dans Jeux africains. Survient l’ordre de mobilisation générale. Ernst, bac en poche mais ravi d’esquiver les études, se porte illico volontaire. Versé au 73e régiment de fusiliers, le fantassin de 19 ans se cultive, dixit son attentif biographe Julien Hervé, « avec la ferveur brouillonne des autodidactes », entre plaisirs bachiques et pilonnages de tranchées. Quatre ans de Feux et Sang – pour reprendre l’un de ses titres. Très loin de caractériser une posture idéologique, le combat est alors pour lui une « expérience intérieure » fondatrice, qu’il transcrit dans ses carnets, où sa vocation d’écrivain est en germe (cf. Le Boqueteau 125). Quatorze fois blessé au cours de la Grande Guerre, bien moins nationaliste alors que lansquenet pétri de morale chevaleresque et plein d’appétit belliqueux, le sous-officier Jünger reçoit, à 23 ans, l’ordre « Pour le mérite », soit la plus haute, ancienne (et rare) distinction prussienne. Avec la publication d’Orages d’acier (livre qu’il ne cessera de remanier au fil d’éditions successives), Jünger, déjà auréolé de gloire militaire, se fait un nom.

Prenant ses distances avec le concept de « profils aryens », il a compris de bonne heure la nature criminelle du régime nazi

Dans le ressentiment des anciens combattants allemands à l’endroit d’un traité de Versailles qui rassasie l’humiliation de la défaite, on méconnaît souvent un trait capital : tandis qu’à la Victoire un tiers du territoire français est anéanti, l’Allemagne, elle, reste physiquement intacte. Des morts par millions, pour en arriver là ? L’amertume est lourde. Elle exacerbe le nationalisme véhément du Jünger des années 1920. Il quitte d’ailleurs l’armée dès 1923, pour entreprendre des études de philosophie et de zoologie à Leipzig. Il se fiance avec Greta von Jeinsen – fiançailles qui dureront quatre ans ; il est vrai que la jeune fille en avait 16. Ainsi divorcé des armes, mais marié à 27 ans (avec celle qu’il nomme « Perpetua », dans ses livres), le héros de 14-18 voyage (Naples, Marseille) et entame une carrière de journaliste engagé : « il faut fonder intellectuellement les quatre piliers du nationalisme moderne : l’idée nationale, l’idée sociale, l’idée guerrière et l’idée dictatoriale », écrit ainsi en 1926 le prestigieux collaborateur des revues Arminius, Der Vormarsch, etc. Au tribun Hitler, il envoie son livre Feu et Sang. Il se lie avec le jeune Ernst von Salomon (le futur auteur du célèbre Questionnaire), mais fréquente aussi bien le marxiste Ernst Niekisch. Lequel dira de son ami : « Il fait partie de ces rares hommes incapables de bassesse. Celui qui pénètre dans la sphère où il vit entre en contact avec une dure et froide sincérité, une sobre et sévère objectivité, et surtout un modèle d’intégrité humaine. »

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A l’écart du régime nazi

Cela n’empêche pas l’éternel quiproquo : quoi qu’en pensent ceux à qui il ne viendrait jamais à l’esprit de reprocher rétrospectivement à Sartre et à Beauvoir d’avoir été de fervents staliniens ou de s’être amourachés du satrape Fidel Castro, Jünger n’aura jamais cessé, dans ces années de formation intellectuelle, de marcher droit. Prenant ses distances avec le concept de « profils aryens », il a compris de bonne heure la nature criminelle du régime nazi. Dès la prise de pouvoir du Führer, il fait profil bas, quitte Berlin, voyage – Baléares, Dalmatie, Norvège, Brésil, Canaries, Rhodes et même Paris –, se réfugie bientôt dans des patelins discrets : Goslar, puis Kirchhorst, non loin de Hanovre. Il refuse l’offre de Goebbels d’entrer au Reichstag comme député national-socialiste, se défausse de l’invitation d’Hitler à parader à ses côtés dans les martiales cérémonies de Nuremberg, vient systématiquement en aide à ses amis juifs persécutés… Très tôt, ses relations avec le Parti s’enveniment. Au point que la police met son appartement sous surveillance, jusqu’à le perquisitionner : en cause, ses « mauvaises fréquentations » littéraires.

Dès 1933, il est contraint de jeter du lest : quantité de feuillets compromettants partent en fumée. Deux traits majeurs du nazisme le hérissent : son légalisme faux-derche, son antisémitisme doctrinaire. Le Travailleur (Der Arbeiter), son grand-œuvre des années 1930 au façonnage duquel Jünger s’attelle cinq années durant, passe encore aux yeux de ses détracteurs pour une apologie du national-socialisme. Cet essai permettra d’instruire durablement, à ses dépens, les plus invraisemblables contresens. Dans le documentaire d’Arte évoqué plus haut, la critique littéraire Iris Radisch ne s’en prive pas, faisant de Jünger un antisémite sans autre forme de procès. Et ignorant bien sûr qu’à la même époque, à distance du rationalisme nihiliste dont cet essai magistral n’est jamais que le froid déchiffrement, s’ébauche déjà chez l’écrivain la féconde veine écologique dont il ressourcera son vieil âge.  

Certes, compter Heidegger (les deux célébrités ne se rencontreront qu’après-guerre) au nombre de ses admirateurs précoces, voilà qui, pour notre si bien-pensante postérité, n’arrange pas le cas Jünger. Prudence étant mère de sûreté, Jünger refusera à bon escient jusqu’en 1994 que Le Travailleur soit traduit en français ! Cet essai, d’une plume souveraine et glacée, expression d’une mutation où le Type remplace l’individu sous l’assignation de la civilisation technicienne, ne préfigurait pourtant aucun programme politique. Fait significatif, à sa sortie la presse d’extrême droite reproche à l’ouvrage de n’intégrer nulle part la donnée raciale. Serait-ce donc un livre… « bolchevique » ? Une dame critique énonce charitablement que l’auteur se rapproche « dangereusement de la zone où l’on mérite une balle dans la tête » (sic). Nous ne sommes encore qu’en 1931 ! En 1939, le roman Sur les falaises de marbre déploiera la fresque allégorique du Léviathan nazi. La face honnie d’Hitler y apparaît sous les traits immondes de « Kniebolo », et ses sbires se voient désignés sous le nom de « lémures ».

Ernst Jünger à Marrakech (Maroc), février 1977. ©Francois Lagarde/Opale/Leemage

Quand, promu capitaine, Jünger participe à la campagne de France, il ne songe plus qu’à épargner civils et monuments (à Laon, en particulier). L’armistice conclu, le voilà appelé à l’état-major parisien. Au spectacle de l’étoile jaune et des exactions de la SS, il est « pris de dégoût à la vue des uniformes, des épaulettes, des décorations, des armes, choses dont j’ai tant aimé l’éclat ». « Nous tenons, écrit-il encore, nos réunions dans le ventre du Léviathan et cherchons de plus à garder notre attention et notre cœur disponibles pour ceux qui sont faibles et sans protection. »

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Lui a-t-on assez reproché d’avoir été un mondain gourmet vêtu en vert-de-gris, passant (hors quelques semaines sur le front russe, dans le Caucase, en 1942) du salon de Florence Gould à l’atelier de Picasso, de chez Maxim’s au restaurant du Ritz, des emplettes bibliophiles aux conciliabules avec Jouhandeau, Cocteau, Guitry, Morand, Léautaud, Green ou Giraudoux ; et même – impardonnable ! – avec Céline, qu’il appelle Merline dans son Journal, et dont les diatribes le terrifient. Dans le plus grand secret, dès 1941, au risque de sa vie, Jünger rédige La Paix, texte qui en appelle à une Europe sans État-nation. Il a, Dieu merci, un coffre-fort où mettre ses manuscrits à l’abri des fouineurs. En 1944, il arrachera Ernstel, son fils de 17 ans, incarcéré pour propos défaitistes, aux griffes de la Gestapo. Libéré sous la condition de filer au front, l’adolescent sera tué presque aussitôt, dans les marbres de Carrare, par des partisans transalpins. Après la guerre, comme Jünger ne consent point à se soumettre au questionnaire de « dénazification », lui qui a pourtant été étroitement lié aux conjurés de l’attentat contre Hitler du 20 juillet 1944 et qui n’a échappé à la dénonciation que par un pur miracle, sera encore accusé d’avoir favorisé le régime : le voilà interdit de publication pendant quatre ans.

L’équivoque perdure. Certes, à l’extrême soir de sa vie, Jünger a bel et bien déposé les armes : promu fétiche de l’idylle franco-allemande sous la bannière – ô ironie ! – de la social-démocratie, reçu et visité par sommités et chefs d’État (entre autres le couple Kohl-Mitterrand), néo-rural avant l’heure jardinant son ermitage de Wilflingen, en pays souabe où, à partir de 1951, il est simple locataire de la maison du Grand Forestier qui fait face au château des Stauffenberg. Le vieux et fringant voyageur marié en secondes noces en 1962 à une érudite archiviste prénommée Liselotte (qu’il surnomme affectueusement « le Taurillon » dans sa prose) se porte désormais, avec ou sans elle, aux quatre coins du globe (cf. les épais volumes de Soixante-dix s’efface).

D’Ernst Jünger on ne lit pas – ou pas assez – son œuvre de maturité : en particulier l’extraordinaire diptyque d’anticipation Héliopolis et Eumeswil, deux grands romans qu’il serait bienvenu de réévaluer. La figure du rebelle (cf. le Traité du rebelle) le cède à celle de l’« arnaque » (au masculin, s’il vous plaît) – qui est, en quelque sorte, à l’anarchiste ce que le monarque est au monarchiste : l’arnaque règne avant tout sur lui-même, en observateur aguerri, circonspect et distancié du monde tel qu’il va. Jamais plus Jünger ne se mêlera de politique. Fasciné par les marchés et les cimetières, ouvert, dans la tradition baudelairienne, aux expériences sous psychotropes ( LSD, mescaline, haschich… cf. Approches, drogues et ivresses), ce contemplateur itinérant, écologiste avant la lettre dont les claires intuitions annoncent l’anthropocène, plus adepte de « chasses subtiles » aux papillons qu’amateur de musées, ce mélodiste de la langue (au passage, singulièrement peu mélomane pour un Germain), s’alarme, le grand âge venu, du naufrage des séculaires civilisations archaïques, du bétonnage envahissant, de l’obscénité du tourisme de masse, de l’enlaidissement de la planète, et enfin de voir les combats entre nations progressivement remplacés par des formes larvées de guerre civile. En somme, c’est bien l’ère du Travailleur qui est advenue.

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« Je me suis toujours abstenu d’implorer Dieu : il m’en a su infiniment gré », plaisantait-il. Il s’éteint, quoi qu’on en ait dit, moins catholique convaincu que plus sensiblement tenté par un polythéisme immémorial. Même si mourir à 102 ans mérite bien une messe.


À lire : Julien Hervier, Ernst Jünger : dans les tempêtes du siècle, Fayard, Paris, 1994.

Et tout Jünger, bien sûr.

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150 journalistes de gauche veulent “invisibiliser” Eric Zemmour

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La tribune des journalistes publiée sur un blog de Mediapart est en réalité un texte parodique et ubuesque d’une intelligence folle.


À la tautologie démesurée par laquelle s’exprime la société actuelle, il faut répondre par des tautologies parodiques ; […] à son comique involontaire par un comique lucide.

Philippe Muray

Certains se sont émus, dans un sens ou dans l’autre, d’une tribune parue sur le Club de Mediapart le 23 octobre. Intitulée “Journalistes, nous ne serons pas complices de la haine”, cette tribune appelle tous les journalistes à combattre ou à invisibiliser les « personnes prônant des idées fascistes, racistes, xénophobes, sexistes, etc. » Parcourue rapidement, elle a tous les aspects d’un besogneux papier militant dont Mediapart, Le Monde ou Libération se font généralement les porte-parole. Pourtant, après l’avoir lue attentivement, je crois pouvoir affirmer que cette tribune est un… canular, un texte parodique et ubuesque écrit non pas par des journalistes « respectueux-ses des valeurs démocratiques » mais par quelques joyeux lurons, amateurs de Jarry et experts en contrefaçon journalistique et progressiste. Je l’affirme et je le prouve :

Cette tribune est écrite en écriture dite inclusive. Cette dernière étant maintenant monnaie courante dans les milieux universitaires et certains médias de gauche, le lecteur pense d’abord que son utilisation dans cette tribune va donc de soi. Pourtant, lisant avec attention, il se demande pour quelles raisons il ne peut s’empêcher de sourire. Perspicace, il comprend soudain qu’il est confronté à un papier outrancier, un pastiche imitant le style “inclusif” et le poussant jusqu’aux extrêmes limites de la lourdeur cocasse par le simple fait de sa redondance. Exemple : « […] nous, journalistes socialement engagé-es pour la défense de ces droits fondamentaux, nous désolidarisons des grand-es patron-nes de médias, directeurs et directrices de rédaction, animateurs et animatrices, chroniqueur-ses, confrères et consœurs, etc. » Je dois dire que j’ai moi-même beaucoup ri en lisant cette phrase ubuesque, ce qui était évidemment le but recherché par les auteurs. Le même but a été atteint lorsque j’ai lu quelques lignes plus loin : « Nous, journalistes, choisissons de nous placer du côté des droits humains, des droits de toustes les humaines. » Cerise sur le gâteau, ce « droits de toustes les humain.e.s » semble tout droit sorti d’Ubu roi. Ventrebleu, de par ma chandelle verte, comme dirait le père Ubu, je supputais que l’écriture inclusive fût de la « merdre » pour analphabètes ; les auteurs de cette plaisanterie en apportent la très drôle et intelligente confirmation.

En toute subjectivité

Ces joyeux libellistes feignent de défendre des “personnes” dont la longue liste hétéroclite montre en vérité l’insincérité et la crétinerie de ceux qui les défendent si péniblement dans des tribunes qui n’ont, elles, rien de parodique : « Nous assumons notre subjectivité et nous plaçons donc du côté des personnes précaires, des personnes persécutées, opprimées et marginalisées, des personnes LGBTQI+, des travailleur-ses du sexe, des personnes racisées, des juif·ve·s et des musulman·e·s de France, des migrant·e·s, des personnes victimes de violences policières. » Sans doute les auteurs ont-ils hésité à allonger cet inventaire inclusif en y ajoutant pêle-mêle les handicapé.e.s, les végétarien.nes, les malentendant.e.s, les nain.e.s, et, pourquoi pas, le Père et la Mère Ubu et toute l’armée polonaise. Mais, de par ma chandelle verte, trop eût été trop. Les facétieux auteurs ont bien entendu volontairement restreint leur liste déjà gratinée afin que les moins perspicaces des lecteurs médiapartiens continuent de lire ce papier au premier degré. Ce qui n’a pas manqué d’être le cas, comme nous le verrons plus loin.

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Le style pompier et supposément antifasciste de cette tribune parodique est très réussi. Tout y est. Dès la première phrase les auteurs taquinent nos neurones et nous mettent sur la piste : « En ces temps de campagne présidentielle qui véhiculent toujours plus d’idées nauséabondes et contraires au respect des droits humains, etc. » Nous laissant à peine le temps de respirer entre deux secousses intercostales, ces trublions affirment que « la subjectivité, tout comme la liberté d’expression, ne peuvent en aucun cas servir de caisse de résonance aux pires moments de notre histoire pour en faire un revival infect. » Puis ils nous servent de magnifiques formules boursouflées écrites à la manière des journalistes les plus incultes : « Nous, journalistes, choisissons de nous placer du côté des droits humains » ; ou « Nous continuerons à porter nos valeurs » ; ou encore « Nous, journalistes, sommes très au clair sur nos combats. » Ces emphases congestives écrites dans un français de cour de récréation d’école du journalisme ont un effet comique indéniable. Manifestement, les rédacteurs et les lecteurs de Mediapart n’y ont vu que du feu. Il faut vraiment s’appeler Edwy Plenel ou Éric Fassin pour lire ce genre de prose au premier degré et sans se pisser dessus de rire. 

Un texte très fort

Le sommet de ce texte parodique est atteint dans l’avant-dernière phrase, une pure bouffonnerie mêlant écriture inclusive absurde et style badiouesque : « Nous, journalistes promoteurices des droits humains, combattrons ces idées rances et dangereuses. » Les lecteurs de Mediapart n’étant visiblement pas habitués au second degré (et/ou n’ayant pas lu Ubu Roi), certains se sont offusqués de lire que des journalistes pouvaient être « promoteurices » de quoi que ce soit ; tandis que d’autres, tout aussi imperméables à l’humour parodique, se sont offusqués de lire les commentaires de ces « défenseurs du français momifié ». C’est la force d’un texte parodique totalement réussi : personne ne l’ayant lu avec la distance ironique indispensable, chacun défend sérieusement son point de vue. 

Je ne sais pas qui sont les véritables auteurs de cette drôlerie. D’ailleurs certains des signataires de la tribune sont anonymes, ce qui ne manque pas de piquant. Mais qu’ils sachent qu’ils ont ensoleillé ma semaine.

La police prise pour cible à Alençon: une bonne nouvelle

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Opération de police dans le quartier de Perseigne, Alençon, août 2018 © SICCOLI PATRICK/SIPA Numéro de reportage : 00870378_000002

Les affrontements de la nuit du 26 octobre sont le signe que les forces de l’ordre n’entendent plus laisser le terrain aux dealers.


Comme le temps passe. Il y a trois ans déjà, en avril 2018, Causeur s’était penché sur la préfecture de l’Orne dans le cadre d’une enquête sur les quartiers sensibles. Celui qui se distinguait dans ce registre était Perseigne, précisément celui où des policiers ont essuyé des jets de projectiles et des tirs de mortiers dans la nuit du 26 au 27 octobre. « Perseigne, enclave à problème d’Alençon-la-Tranquille », avions-nous alors titré.

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La France découvre avec stupeur que cette petite ville connaît l’insécurité. Les Alençonnais font la part des choses. La délinquance se concentre dans un petit quadrilatère de tours construites dans les années 1980. Classé prioritaire par la politique de la ville, écrivions-nous alors, « Perseigne affiche 60% de ménages en dessous du seuil de pauvreté et 30% de familles étrangères. Le quartier est-il rattrapable ? En dix ans, l’Agence nationale de la rénovation urbaine et la ville lui ont consacré plus de 100 millions d’euros, sans interrompre la chute. 5800 habitants en 2005, 4500 en 2013 ! » Les bailleurs sociaux peinent à remplir leurs logements, même en délaissant, réalisme oblige, tout objectif de mixité sociale. Contactées en 2018, deux agences immobillières d’Alençon, Orpi et Century 21, avaient décliné poliment les propositions de mandat pour un T4 (fictif) dans une rue de Perseigne : trop compliqué. 

La star du quartier est Fabien Clain, la voix qui a revendiqué pour Daesh les attentats du 13 novembre 2015. Réunionnais d’origine, passé par Toulouse dans les années 2000, par la prison (2009-2012) puis par la Syrie, il a passé l’essentiel de sa vie à Perseigne, avec son frère Jean-Michel. Il y était revenu début 2015, locataire d’Orne Habitat… 

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Pendant longtemps, la presse et les élus locaux ont surenchéri dans la candeur et l’aveuglement dès qu’il était question de Perseigne. Des jeunes avaient ouvert les bouches d’incendie pendant les fortes chaleurs de juin 2017 : « la canicule a créé du lien social », commentait poliment le site Tendanceouest. « Tensions communautaires inexpliquées dans un quartier », euphémisait Le Monde du 25 août 2018, suite à la mort d’un homme, abattu de deux balles dans une bagarre entre bandes.  Le motif exact de l’affrontement était effectivement obscur, mais la toile de fond du règlement de comptes entre Français d’origine maghrébine et Afghans n’avait rien de mystérieux : trafic de drogue.  

Combien de Perseigne en France ?

Puis le vent a tourné, tardivement mais nettement. « Il faut que les gens se lèvent ! Je veux que la majorité silencieuse parle et dénonce ces malfrats. Rebellez-vous contre ceux qui tiennent le quartier ! », avait lancé dans Ouest-France François Coudert, procureur de la République d’Alençon, le 7 avril 2021. Le 21 mars, déjà, la police avait été prise à partie et des véhicules avaient été incendiés à Perseigne. « Les services de l’État poursuivront les actions renforcées qui ont été engagées pour assurer la tranquillité publique dans ce quartier et perturber les trafics de stupéfiants et les rodéos urbains », déclarait alors Françoise Tahéri, préfète de l’Orne. Des propos fermes contrastant avec des années de calinothérapie, à base de « repair café » et autres « jardins partagés» prétendant réenchanter Perseigne.

A lire aussi: Immigration et démographie urbaine: les cartes à peine croyables de France Stratégie

Question qui se pose inévitablement, combien de Perseigne, non pas en France, mais dans le seul Grand Ouest ? Réponse, plusieurs. Le quartier de Bellevue, à Brest, devient très difficile à vivre. Kercado et Menimur, à Vannes, le sont depuis déjà un moment (grâce entre autres à des trafiquants albanais). Bressuire (19 000 habitants, Deux-Sèvres) a connu des affrontements ethniques à l’été 2020, entre des locaux et des Russes tchétchènes. Des meurtres, des coups de feu et des dealers dans une commune plus petite que Bressuire ? Regardez du côté de Hennebont (15 000 habitants, Morbihan), où le quartier de Kerihouais concentre les problèmes. Ce n’est pas la Seine-Saint-Denis, et c’est précisément pour cette raison que la dégringolade peut être très rapide. Quand trouver un logement ailleurs n’est pas trop difficile, les habitants à la recherche d’un minimum de calme s’en vont en quelques années. Repair café et jardin partagé ou pas.

Ne la laissez pas tomber, être une femme libérée c’est pas si facile!

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Marine Le Pen en déplacement à Budapest, 25 octobre 2021 © Alain ROBERT/SIPA Numéro de reportage : 01045700_000038

Eric Zemmour a des mots très durs envers Marine Le Pen. Mais même si contrer ses ambitions est un vrai casse-tête, être à la gauche du trublion pourrait finalement être un atout pour la candidate de la droite nationale…


Décidément, Marine Le Pen est malchanceuse. Et l’on se demande pour elle si la dédiabolisation du RN n’est pas allée trop loin.

Mardi, à la fin d’un rassemblement à Biarritz, on a pu entendre le presque candidat Eric Zemmour affirmer de nouveau devant les journalistes que la candidate du Rassemblement national était une femme de gauche : « tous ses réflexes sont de gauche, elle est en décalage avec son électorat ». Il a ensuite asséné : « elle parle comme Madame Schiappa, elle essaye de m’agripper sur ma prétendue misogynie », avant de conclure : « stupide réflexion, stupide analyse, stupide angle d’attaque, ses électeurs ne seront pas dupes ! » 

Les zemmouriens estiment carrément que Marine Le Pen est une enfant de Mai-68 (Pouah ! quelle horreur). En tout cas, c’est la première fois que la candidate se voit dépassée sur sa droite lors d’une campagne présidentielle. En ne présentant pas la candidature la plus radicale ou la plus anti-système, le risque de perdre le vote “défouloir” de certains électeurs français est grand. 

La stratégie de Marine Le Pen face au diviseur Zemmour

Alors qu’elle se rendait à la foire agricole de Poussay dans les Vosges, lors de l’entretien qu’elle a accordé à la chaîne YouTube « Livre Noir » dans sa voiture, Marine Le Pen s’est indigné façon France Inter de la misogynie d’Eric Zemmour. « Il a une forme de mépris envers les femmes » avance-t-elle, avant de rappeler qu’il n’avait pas hésité à soutenir Dominique Strauss-Kahn et Tarik Ramadan dans leurs affaires d’agressions sexuelles présumées respectives… La femme n’est, pour Zemmour, qu’un « attribut », un « butin », estime Marine Le Pen. 

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Ensuite, elle a évoqué le désintérêt du journaliste pour les classes populaires. « Il défend une vision fantasmée, historique, de la France, mais j’ai le sentiment qu’il ne défend pas les Français. » À plusieurs reprises au cours de l’entretien, la candidate a insisté sur son propre dévouement envers les plus modestes : « si je ne défends pas les chômeurs et les ouvriers, qui les défendra ? La gauche a totalement abandonné les classes populaires ». En somme, pour Marine Le Pen, « il n’y a pas de cohésion nationale sans cohésion sociale ».

Troisième angle d’attaque, la candidate met en avant la longévité de son combat politique, et en particulier sur la question de l’immigration. Dans sa voiture, Le Pen a rappelé que pendant qu’Eric Zemmour était confortablement installé dans son fauteuil d’éditorialiste du Figaro, elle défendait un candidat – son père – et des thèses qui n’étaient alors pas franchement à la mode… « J’ai affiné mon projet en le confrontant aux Français depuis dix ans » rappelle-t-elle. Un long chemin de croix qui lui aurait permis de construire un programme adapté aux défis de notre temps : « le référendum que je propose [1], on ne peut pas aller plus loin pour régler les problèmes liés à l’immigration, ça ne sert à rien d’y ajouter des divisions », analyse-t-elle. 

Car, pour Marine Le Pen, l’enjeu est de rassembler tous les Français, alors que Zemmour « divise » et ne ferait que réseauter à la droite de la droite et tenir des propos « qui ne font pas un président de la République ». Expérimentée, la candidate du RN comprend que « les gens sont excédés » et donc conçoit qu’ils se reconnaissent dans un « propos violent ». Mais elle l’assure de son côté : « nous avons abandonné le clash, le buzz, les déclarations tonitruantes qui créent une forme d’ivresse de la radicalité ». Et elle s’en félicite.

La fin du « front républicain » contre Le Pen ? 

Immanquablement, le camp du Bien a donc déplacé son curseur du facho depuis la rentrée : c’est Eric Zemmour qui suscite désormais les plus grandes indignations dans la classe politique ou dans les studios de la radio publique. Il parachève de fait toute la longue entreprise de dédiabolisation de Marine Le Pen. Ce n’est plus elle qui représente une prétendue « menace pour la République ». Ce n’est plus vers elle que se dirige le fameux « front républicain ».

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Aussi, si l’essayiste n’accédait pas au second tour, comme le prédisent les sondages actuels, Marine Le Pen bénéficierait d’un avantage nouveau et de taille face à Emmanuel Macron. Protégée durant de longs mois par le soldat Zemmour, elle pourrait aborder le second tour sans porter la casquette infamante de l’”extrême droite”, dont le système politico-médiatique l’affuble depuis toujours. Et Emmanuel Macron ne pourrait peut-être plus effectuer un pèlerinage sournois au mémorial de la Shoah ou à Oradour-sur-Glane durant l’entre deux tours sans être complètement ridicule. La candidate du Rassemblement national semble en être consciente : « Je pense que je suis la plus à même de gagner face à Emmanuel Macron, précisément parce que je tente d’éviter l’ensemble des provocations que je trouve inutiles et qui sont autant de mobilisations de nos adversaires politiques, dans le cadre d’un second tour. » Ah ! Qu’il est doux d’être défascisé !


[1] Marine Le Pen souhaiterait inscrire dans la Constitution la « maîtrise » de l’immigration, la « priorité nationale » et la supériorité du droit français sur le droit international, via un référendum.

À France Inter, ils ne pensent qu’à lui

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Eric Zemmour à Toulon pour la promotion de son nouveau livre, le 17 septembre 2021 © Daniel Cole/AP/SIPA

A force de décortiquer les propos d’Eric Zemmour pour tenter d’y déceler les racines du « fascisme », journalistes et chroniqueurs d’Inter prouvent qu’ils sont obsédés… et incultes.


On n’ose penser qu’ils tentent de capitaliser sur la popularité de Zemmour. Mais pas un jour ne se passe sans que plusieurs des intervenants de la radio fassent savoir leur aversion pour le presque-candidat.

Distorsions érudites et corrélations abusives

Il faut écouter Thomas Legrand qui, s’employant à « décortiquer » « les armes rhétoriques classiques de la pensée préfasciste » chez Zemmour, a déniché deux concepts compliqués. D’abord, « les distorsions érudites ». Il reproche à Éric Zemmour de citer un texte tiré de Choses vues dans lequel Victor Hugo, s’opposant au général Bugeaud, plaide en faveur de la colonisation de l’Algérie. Or, dit Thomas Legrand, « Choses vues, c’est le journal de l’écrivain sur des décennies qui retrace l’itinéraire d’un jeune monarchiste nationaliste devenu républicain social, universaliste ». Zemmour se rendrait coupable d’une supercherie intellectuelle en déniant à Victor Hugo le droit de changer d’avis, d’évoluer vers une pensée plus conforme à notre idéal des droits de l’homme. Fort bien ; sauf qu’en l’occurrence, la « distorsion érudite », c’est Thomas Legrand qui la commet. De fait, le même Hugo qui, à 38 ans, louait la colonisation de l’Algérie, prononcera à l’âge de 77 ans, le fameux Discours sur l’Afrique où il affirme : « L’Afrique n’a pas d’histoire. […] Peuplée, c’est la barbarie ; déserte, c’est la sauvagerie. […] Au dix-neuvième siècle, le Blanc a fait du Noir un homme ; au vingtième siècle, l’Europe fera de l’Afrique un monde. » Éric Zemmour n’a pas déformé la pensée de Victor Hugo ; il en a cité l’un des traits les plus constants : cette croyance en la mission civilisatrice de l’homme blanc que l’on retrouve aussi, chacun le sait, dans les discours d’un grand républicain comme Jules Ferry.

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Très loin de l’humour et à côté de la plaque

Thomas Legrand enchaîne avec un autre aspect du « raisonné [?] zemmourien » : les « corrélations abusives », illustrées par ses propos sur l’équipe de France de football qui serait « devenue noire depuis que le système de jeu est passé de la finesse stratégique à la puissance athlétique », résume le chroniqueur d’Inter. Mais Éric Zemmour ne fait là que déplorer les choix des centres de formation, que regrettait déjà, il y a dix ans, Laurent Blanc, sélectionneur des Bleus (« En France, on a l’impression qu’on forme le même prototype de joueurs, grands, costauds, puissants : les Blacks. »). Ce qui explique la coloration ethnique de l’équipe de France, c’est plutôt, dit Thomas Legrand, la ghettoïsation des quartiers populaires où l’on pratique ce sport ; Zemmour ne dit pas autre chose, lequel fait souvent remarquer que les petits Blancs renoncent à la pratique du football comme ils fuient ces quartiers, chassés par le communautarisme.

On se demandera quoi tirer des sketchs de Daniel Morin se lançant dans une parodie du générique de Zorro en remplaçant les paroles officielles par « Zemmour, Zemmour, bâillonné par le CSA, Zemmour, Achtung !, un jour il reviendra », et de Charline Vanhoenacker imaginant un libraire qui tenterait d’assurer dans son magasin une cohabitation pacifique entre les lecteurs de Zemmour et ceux de Taubira. Mais l’épisode où l’on éprouve le plus de gêne pour ladite Charline est sans doute cette vidéo d’elle gribouillant une affiche de soutien à Zemmour. Rien de scandaleux : tous les hommes politiques ont eu, un jour ou l’autre, leur moustache hitlérienne au feutre et des jeux de mots idiots avec leurs initiales (en l’occurrence : « zob »…). Mais la pauvre inconsciente si gauche-comme-il-faut se retrouve accusée de « dérapage antisémite », selon un procédé étrenné avec les anti-passe : si tu dessines une moustache d’Hitler, c’est toi le nazi. On ne va pas pleurer sur son sort, ou seulement de rire.

A lire aussi : France Inter a un incroyable talent

Finalement, France Inter nous fournit l’occasion unique de nous réjouir du grand remplacement, ce moment où la substitution de population rendra inévitable un alignement du casting de cette radio du service public sur les modèles ethniques de ses nouveaux auditeurs et où, par conséquent, Waly Dia, comique d’origine sénégalaise officiant sur cette antenne, dix fois plus drôle que Guillaume Meurice, Charline Vanhoenacker et Daniel Morin réunis, les évincera tous les trois, définitivement.  

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Jennifer Wenisch: face à l’islamisme barbare, l’esprit munichois

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Ayant laissé mourir de soif une fillette yazidie réduite en esclavage en Irak, la djihadiste et milicienne de Daech Jennifer Wenisch a été condamnée à seulement dix ans de prison lundi, par un tribunal de Munich.


Jennifer Wenisch. Allemande. 30 ans. A rejoint l’État Islamique en 2014, porté les armes à son service, intégré sa « police des mœurs » pour en faire respecter les prescriptions à coups de fouet. Avec son mari, lui aussi membre de l’EI, elle a acheté une Yazidie et sa fille comme esclaves. Parce que la fillette de cinq ans, malade, aurait uriné sur son matelas, elle a laissé son mari l’attacher pour la suspendre à la fenêtre en plein soleil, 50°, et la faire lentement mourir de chaleur et de soif sous les yeux de sa mère.

Capturée et jugée en Allemagne, Jennifer Wenisch risquait la perpétuité. Mais ce qui tient lieu de « justice » outre-Rhin a préféré la condamner à dix ans de prison seulement. Immonde décadence d’un Occident que son fétichisme pour un « humanisme » perverti conduit à perdre toute humanité.

Jennifer Wenisch n’est pas un monstre, dira-t-on, mais notre semblable. Oui, et c’est précisément pour cette raison qu’elle doit répondre de ses actes par une sanction à la hauteur de ses crimes, parce que la monstruosité de ce qu’elle a fait n’est pas la conséquence inévitable d’une nature monstrueuse, mais le résultat de ses choix, libres et responsables.

Pas la loi du talion

Vous voulez donc la loi du talion ! s’insurgera-t-on encore. Non : la loi du talion consisterait à attacher cette femme en plein soleil jusqu’à ce qu’elle meure de soif. Que les beaux esprits ne voient pas qu’il y a d’autres alternatives que le choix caricatural entre ce talion radical et le laxisme de juges pervertis est une preuve supplémentaire de notre effondrement collectif, intellectuel et moral.

« Notre », car dans le départ de jihadistes vers l’EI, tous les pays européens sont tragiquement solidaires. « Notre », car si l’affaire se déroule en Allemagne, la situation française n’est pas très différente : pour s’en convaincre, il n’y a qu’à écouter ceux qui s’indignent presque plus des propos de Patrick Jardin que des actes des criminels responsables de la mort de sa fille au Bataclan. Comme ils se pavanent, drapés dans leur supériorité morale autoproclamée ! Les principes qu’ils affichent ne servent que de masques à leur écœurante lâcheté.

Le pas-de-vague est un avilissement généralisé

Lâcheté morale, car seul compte à leurs yeux de ne pas se salir les mains, qu’importent les victimes, qu’importe l’humanité, qu’importe cette jeune femme massacrée au Bataclan, qu’importe cette enfant affreusement torturée et assassinée. Lâcheté physique, car c’est aussi la lâcheté de ceux qui passent devant les agressions sans réagir, la lâcheté de cette foule qui n’a rien fait pendant que tant de femmes étaient agressées la nuit du Nouvel An à Cologne. Lâcheté sociale, « pas de vague », lâcheté de ceux qui préfèrent se taire et laisser Samuel Paty être tué plutôt que courir le risque de se faire traiter de « fachos » ou autres anathèmes du même ordre.

A lire aussi, Gil Mihaely: Que deviennent les terroristes de Daech?

Entre les « vous n’aurez pas ma haine » sans cesse psalmodiés, et le soi-disant « Etat de droit » auquel des magistrats offrent, comme autant de sacrifices humains, les victimes des criminels qu’ils laissent libres d’agir (trahissant l’esprit des lois pour en mettre la lettre au service de leur idéologie militante), l’Occident ne cesse de s’avilir. Il s’avilit au point de vouloir se persuader que dix ans de prison seraient une « juste peine » pour s’être mis au service de l’horreur absolue, et pour avoir torturé et tué lentement une enfant de cinq ans sous les yeux de sa mère. Que Jennifer Wenisch soit co-auteur de la mort de cette fillette ou « seulement » complice ne change rien. Ce n’est là qu’argutie sans intérêt au regard de la gravité du crime.

N’oublions pas nos racines : si Athéna empêche toujours ses protégés de s’abandonner aveuglément à la fureur, elle promet aussi à Ulysse qu’elle combattra à ses côtés et que le sol de son palais « sera souillé du sang et de la cervelle de ses ennemis » (Odyssée, chant XIII, vers 386 – 396). Sommes-nous donc les héritiers du héros, prêt à affronter trois cents guerriers pourvu que la fille de Zeus soit auprès de lui, ou de cette valetaille qui cherchait à s’attirer les bonnes grâces des prétendants en les encourageant à dévorer Ithaque ?

Les Yazidis et leurs bourreaux islamistes

Jennifer Wenisch n’est pas juste une criminelle, ni même un ennemi vaincu et désormais inoffensif. Comme Salah Abdeslam, elle est l’un des soldats d’un ennemi déterminé et conquérant, bien résolu à nous soumettre et nous détruire. Comme le devrait celui d’Abdeslam, son jugement aurait dû servir à prouver à cet ennemi notre capacité à faire preuve de la brutalité nécessaire pour briser sa volonté de nous attaquer. Il n’en a rien été, et le tribunal de Munich a montré son esprit…. munichois. Là-bas comme ici, « vous n’aurez pas ma haine » est l’antithèse du « nous combattrons (….) nous ne nous rendrons jamais » de Churchill.

Mais face à l’abomination des crimes de cette femme, ces considérations stratégiques ne sont pas l’essentiel. Ce qui compte, c’est l’incroyable mépris dont l’Allemagne, avec ce jugement, fait preuve envers cette fillette morte, envers sa mère qui a assisté impuissante à son agonie, envers tous les Yazidis réduits en esclavage, violés, massacrés par l’État Islamique, et envers toutes les victimes de l’EI quelles qu’elles soient. Ce qui compte, c’est la détresse de tous ces gens à qui l’Occident a promis qu’il les protégerait, mais qu’il trahit pour préférer s’enorgueillir de n’être pas trop dur envers leurs bourreaux. Accepter sans réagir la décision indigne de ce tribunal, c’est renoncer à toute véritable éthique. C’est piétiner ce qui fonde la grandeur de l’humanité, pour cajoler ce qui nourrit son horreur. C’est cracher sur tout ce qui a pu faire la noblesse de notre civilisation depuis trois millénaires. Si nous voulons encore avoir le droit de nous dire civilisés, nous devons aujourd’hui crier notre colère, et proclamer notre soif d’une vraie Justice.

EDF: le grand gâchis de la bureaucratie néolibérale

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La Tour EDF (PB6) dans le quartier de la Défense, dans l'ouest parisien © MARIO FOURMU/SIPA Numéro de reportage : 00917792_000002

L’histoire et l’architecture de l’entreprise EDF ne permettait pas, jusqu’à il y a une vingtaine d’années, de parler d’un marché de l’électricité. Bruxelles va au début des années 2000 imposer de façon irrationnelle un marché de l’électricité complètement artificiel. La France toute entière commence et n’a pas fini d’en payer le prix…


Jusqu’en 1996, l’approvisionnement de la France en électricité se déroulait selon la règle générale du monopole : peu d’interconnexions avec les réseaux étrangers, producteur monopoleur, transporteur unique et distributeur tout aussi unique. Aucun marché, avec simple mission de service public et système de prix administrés. La tarification pouvait s’opérer au coût marginal : le prix de vente est égal au coût de production de l’unité productrice la plus coûteuse, mise en service pour alimenter la demande [1]. Le même monopoleur optimisait l’emploi des diverses unités productives par une variabilité des prix en fonction des variations des demandes horaires. Réalité directement lisible, gestion simple et absence relative de bureaucratie.

Tout va changer avec la volonté bruxelloise d’inventer un véritable marché de l’électricité : réseaux démonopolisés et interconnectés, démantèlement des monopoles, séparation des grandes fonctions (production, transport, distribution, fourniture) concurrence entre producteurs privés et publics. Seule l’infrastructure de réseau restera sous le contrôle d’un gestionnaire unique (RTE pour la France). Dans le monde économique classique, il n’est plus besoin d’être producteur pour devenir marchand. Au cours des années 2000 nous avons vu apparaître de très nombreuses « entreprises » qui ne seront que des grossistes achetant sur les bourses de marché de gros pour revendre de l’électricité à des utilisateurs finaux. Ces « entreprises » sont aujourd’hui au nombre d’une petite trentaine en France [2]. Trois bourses européennes vont naître pour fluidifier le marché et le rendre efficient : « Epex Spot », « Nordpool » et « OMEL ». Les Etats devant s’éloigner du marché (idéologiquement et réellement), ils n’interviennent plus que par le biais « d’Autorités Administratives Indépendantes ». Ainsi, en 2000, sera créée en France la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) dont la fonction sera, avec l’aide de ses quelque 250 collaborateurs, de bien vérifier que les prix qui se forment sur les bourses, obéissent strictement aux principes généraux de tous les marchés et en particulier la bonne transparence des échanges.

La France présentait toutefois des caractéristiques particulières, avec un poids et une compétitivité du nucléaire très avantageuse qui, sauf à fermer ou à vendre des centrales nucléaires empêchait le marché de l’électricité de s’ouvrir à de nombreux acteurs. C’est ainsi que, contre toute logique économique sérieuse, il fut décidé d’obliger EDF à vendre à des prix très inférieurs au coût de l’électricité nucléaire à de simples marchands voulant s’installer sur le nouveau marché. C’est ce qu’on appelle l’ARENH (Accès Règlementé à l’Electricité Nucléaire Historique). Ainsi les marchands d’électricité peuvent théoriquement accéder à 25% du total de l’énergie électrique d’origine nucléaire produit par EDF et venir concurrencer cette même EDF en vendant à des particuliers à des prix inférieurs. Comme si un producteur/distributeur était administrativement obligé de vendre à très bon marché ce qu’il produit à un acheteur décidé à le tuer. Parce qu’il était très difficile voire impossible de démanteler le producteur nucléaire, l’Etat français, obéissant à la règle bruxelloise de libéralisation du marché de l’électricité, se devait d’organiser le pillage de l’entreprise qu’il possédait.

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Ce marché européen de l’électricité -avec ses bourses d’échange- fonctionne évidemment selon la règle du coût marginal et le prix européen s’établit donc selon le coût de production de l’unité marginale, celle qui doit être activée pour répondre à la demande alors qu’elle est moins compétitive que toutes les autres qui fonctionnent à pleine puissance. Sur le marché n’interviennent pas que des marchands soucieux d’obtenir de « l’électricité réelle ». Au nom de la fluidité et de la liquidité, de très nombreux autres acteurs interviennent et négocient au comptant ou à terme des contrats simplement financiers. De telle sorte que, sur les marchés de l’électricité comme sur les autres marchés de la spéculation, on rencontre des acteurs qui n’ont rien à voir avec avec la marchandise réelle, ici de l’électricité. Et parce que les contrats financiers comportent des risques qu’il faut couvrir, on verra de nombreux produits financiers incorporant le sous-jacent électricité. Ces acteurs spéculent beaucoup actuellement sur ce que l’on croit être les producteurs de l’électricité marginale à savoir le gaz et le charbon. Il en résulte une hausse des prix de l’électricité en France qui n’a rien à voir avec les coûts moyens réels.

Image d’illustration © GILE MICHEL/SIPA Numéro de reportage: 00896908_000005.

L’invention d’un marché de l’électricité par les autorités bruxelloises et son acceptation par l’Etat français entraîne trois conséquences extraordinairement négatives pour la France. Les deux premières sont connues : un prix de marché qui ne correspond pas à des coûts de production beaucoup plus faibles que partout ailleurs et un transfert administratif de valeur depuis les centrales nucléaires vers des « fournisseurs » simples accapareurs et consommateurs de la rente nucléaire.

La troisième est plus méconnue et sans doute plus difficile à évaluer. Il s’agit de l’énorme bureaucratie engendrée pour faire « tenir debout » le marché inventé : contrôle du respect de l’ARENH par une multitude de fonctionnaires ; organismes de contrôle et de régulation tels que la Commission de Régulation de l’Energie (CRE), le Groupe de Régulateurs Européens de l’électricité et du gaz (ERGEG), le Conseil des Régulateurs Européens de l’Energie (CEER) etc. A cette bureaucratie, il faut ajouter celle qui conçoit et surveille de loin le marché, par exemple la bureaucratie bruxelloise qui a inventé les directives comme celle relative à la réglementation concernant la transparence du marché ou celle surveillant la bonne séparation – y compris comptable – à l’intérieur d’EDF du gestionnaire du réseau de transport (RTE) ou le gestionnaire du réseau de distribution (ENEDIS). Bien évidemment, il ne faut pas oublier dans le catalogue la bureaucratie financière qui concerne les bourses, leurs acteurs, mais aussi les juristes, les économistes, voire les modélisateurs. Et cette bureaucratie financière se doit d’avoir l’œil sur la bureaucratie financière rattachée à la spéculation sur le prix du carbone. Il ne faut pas oublier en effet que le prix de l’électricité devient aussi en quelque sorte le produit d’une double spéculation : les spéculateurs sur les bourses doivent avoir l’œil sur le marché à terme du carbone qui intervient sur les coûts des producteurs, coûts sur lesquels la spéculation s’enracine. Et parce que les producteurs d’électricité sont très soumis aux « quotas carbone », leur participation à l’énorme bureaucratie financière du marché du carbone – une bourse appelée « European Energy Exchange » avec marchés spot, à terme et options, et quotas reconnus officiellement instruments fianciers par la directive MIFID2 – consomme énormément de moyens [3].

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Au total, non seulement le prix de l’électricité en France ne reflète plus l’extraordinaire compétitivité de l’entreprise historique, c’est-à-dire EDF, mais sa transformation artificielle en prix de marché entraine deux conséquences gravissimes pour le pays.

La première est la consommation du talent de milliers de personnes de très haut niveau sur le plan professionnel, personnes dont l’activité est complètement inutile voire nuisible. Un exemple : les auteurs de la très sérieuse étude sur « la sensibilité du prix de l’électricité aux publications d’informations relatives aux indisponibilités des moyens de production en France ». Comme quoi de grands talents dans le domaine de l’économétrie peuvent être affectés à des « bullshits jobs » dont la seule production est celle de rester les gardiens probablement inconscients d’un temple idéologique.

La seconde est la consommation d’une énorme quantité d’épargne ou de création monétaire, celle « brûlée » dans les bourses directes (les bourses du marché de l’électricité) ou indirectes (les marchés du carbone). Des moyens financiers qui pourraient être affectés de façon plus efficiente.

Ne serait-il pas grand temps de voir la France se réapproprier les outils d’une production qui avaient contribué à bâtir sa grandeur dans les années 70/80 ?


[1] Pour les économistes le cout marginal est le cout de la dernière unité produite. Pour ravitailler le pays en électricité on active d’abord les centrales les plus efficientes et si la demande d’électricité augmente on active la ou les centrales les moins efficientes. La bonne gestion revient alors à faire payer le pris de l’électricité au cout de production de ces centrales moins efficaces. Traditionnellement le prix administré était proche du cout marginal.

[2] Un exemple de ces prétendues entreprises est le distributeur Leclerc – grande distribution – dont on apprend aujourd’hui qu’il ne peut poursuivre une vente d’électricité dont il ne maitrise en aucune façon la production.

[3] La bourse est ainsi un lieu d’échange direct mais aussi un lieu de formation de « paris » sur les fluctuations de prix que les acteurs anticipent, c’est le cas de ce qu’on appelle le marché à terme ou le marché d’options. Comme quoi la lutte contre le réchauffement climatique est aussi une occasion de spéculer…

“Le Dit du Mistral”, une histoire de transmission

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L'écrivain Olivier Mak-Bouchard D.R.

Olivier Mak-Bouchard est le lauréat du Prix Cogedim Club 2021, pour son roman Le Dit du Mistral (Le Tripode). Une histoire provençale qui rappelle opportunément tout ce que nous ont légué les générations précédentes…


En choisissant comme titre Le Dit du Mistral, Olivier Mak-Bouchard donne immédiatement le ton. Si l’on s’en tient à la définition du « dit de », il s’agit d’un poème narratif à la première personne, un genre qui a fait florès au Moyen Âge (Rutebeuf, Guillaume de Machaut…)

Pour les amoureux de contes et légendes

Soyons clairs, avant de se lancer dans cette épopée provençale de plus de 300 pages, tout imprégnée du lyrisme de Giono et de Bosco, retrouver son âme d’enfant s’impose. À cet égard, le prologue vaut avertissement, sinon mode d’emploi : « Si le lecteur veut comprendre comment toute cette histoire a pu arriver, il ne doit pas avoir peur de remonter le temps. S’il se limitait au réel qui baigne chacune de ses journées, il risquerait de ne pas saisir le fin mot de tout ce qui va suivre, ou pire encore, de ne pas y croire du tout. » Ce récit pourra laisser perplexes, voire rebuter les esprits cartésiens ou au contraire totalement séduire les amoureux de contes et surtout de nature. Pour que la magie opère, la règle consiste à se laisser prendre par la main et imaginer, qui sait, la voix, d’une grand-mère racontant les légendes de Provence, au coin du feu. D’ailleurs, ce premier roman édité par Le Tripode est à lui seul une belle histoire : sans doute son auteur n’aurait-il jamais pris la plume pour rendre hommage à sa terre natale d’Apt et du Luberon, si lui-même n’avait été bercé par les histoires que lui racontait son aïeule… Car c’est bien de transmission dont il s’agit. 

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Singulier autant que poétique, ce récit met en scène un drôle de chat, surnommé le Hussard – clin d’œil au maître de la Provence Jean Giono -, un jeune couple, Paul et Blanche – et leurs voisins retraités, M. et Mme Sécaillat. Contre toute attente, une amitié va se tisser entre ces deux hommes de générations différentes, à la suite d’une nuit d’orage et d’un secret qu’ils vont percer : un mur de pierres va les mettre aux prises avec une incroyable découverte. En creusant les entrailles de la terre, ils vont remonter le temps, se relier à d’autres générations et à des mystères… Les éléments se déchaînent autour du fameux Mistral. Cela bruisse de toutes parts. Le feu s’invite. Des images fortes s’imposent. Le fantastique prend le dessus avec Canis lupus et Cabro d’or. Réalité, fiction. On s’y perd. Qu’importe. Habile conteur, Olivier Mak-Bouchard mène la danse en ayant le soin de ne pas oublier, en ouverture de chaque chapitre, de glisser subrepticement, comme un hommage, un peu de Bosco, Daudet, Mistral… avec des extraits choisis, des proverbes et même quelques phrases en provençal. 

Un roman récompensé par la propriétaire du Château des Oliviers

Publié à la rentrée de septembre 2020, ce premier roman qui a retenu l’attention des libraires et des lecteurs, a été tiré à 30 000 exemplaires. Bonne nouvelle, il sortira en poche en juin 2022. Mettant à l’honneur la transmission entre les générations, et donc la mémoire qu’on peut aussi perdre – comme l’incarne le personnage de Mme Sécaillat dans ses égarements -, c’est une belle reconnaissance que cet ouvrage ait été couronné par le Prix du Livre Cogedim Club 2021, qui récompense des romans ou récits sur le thème de la famille et de la transmission. Les 300 résidents des clubs de lecture Cogedim Club qui l’avaient mis en lice parmi les trois finalistes, et le jury présidé par Brigitte Fossey ne s’y sont pas trompés. À signaler aussi la couverture magnifiquement illustrée par l’artiste Philéas Dog. La griffe d’une belle maison édition.

Pourquoi Macron ne sera pas réélu

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Emmanuel Macron, 27 octobre 2021 © Michel Euler/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22619206_000007

Une tribune libre de Roland Hureaux


Je pense qu’Emmanuel Macron ne sera pas réélu. Ce pronostic n’est pas, je le sais, celui d’une certaine France bourgeoise. Mais elle a tort. 

Je me fonde sur plusieurs raisons, mais d’abord une : depuis de Gaulle, aucun président de la Ve République en pleine possession de ses pouvoirs constitutionnels n’a été réélu. Le général de Gaulle, lui seul, a été réélu en 1965, et encore ce fut bien laborieux. En ballotage inattendu au soir du premier tour (44,6% “seulement”), il pensa à démissionner, puis l’emporta un second tour avec 55,2% des suffrages seulement contre François Mitterrand.  

Georges Pompidou mourut avant d’avoir fini son premier mandat, donc nous ne le compterons pas. Contrairement à ses successeurs, il était encore populaire au bout de cinq ans. Avec 6% de croissance par an, ce n’est pas tout à fait étonnant. 

À l’automne 1980, tout le monde disait que Valéry Giscard d’Estaing serait réélu facilement. Il ne l’a pas été. 

François Mitterrand n’a pu être réélu en 1988 que parce que, depuis deux ans, en raison de la cohabitation avec une chambre opposée à lui, il n’exerçait plus le vrai pouvoir. Ce dernier était passé au Premier ministre, Jacques Chirac, qui gouverna avec une grande énergie, mais qui fut battu. Certes, Mitterrand sut profiter avec une extrême habileté de la situation, mais nul doute qu’il aurait été balayé si l’opposition n’avait pas gagné les élections législatives de 1986 et s’il était resté un président de plein exercice.

La cohabitation avait aussi du bon pour nos anciens présidents de la Ve

Même situation de cohabitation de 1997 à 2002. Personne ne doute que Jacques Chirac, enfin élu président en 1995, aurait été battu à plate couture en 2002 si ne lui était tombé du ciel cette chance insigne de la présence de Jean-Marie Le Pen juste derrière lui au premier tour, d’un rien devant Lionel Jospin. Un adversaire bien facile à battre au second tour. Chirac est élu avec plus de 80% des voix. Mais il n’en profita guère, refusant toute réforme qui aurait heurté la gauche – au motif qu’il en avait reçu les suffrages. 

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Nicolas Sarkozy pensait aussi pouvoir faire un second mandat. Donné battu 60/40 deux mois avant l’élection, il remonta une bonne partie de la pente, grâce à une campagne exceptionnellement dynamique, mais dut néanmoins laisser la place à Hollande. François Hollande ne put même pas se présenter pour un second mandat, tant sa popularité s’était dégradée. 

Des Gaulois pas réfractaires à tout changement…

Qui peut croire que Macron fera mieux que ses prédécesseurs ? 

Les raisons de leur rapide usure sont à notre sens de trois sortes :

D’abord le tempérament français volontiers frondeur. Il n’a pas changé. 

Et deux autres raisons qui sont aujourd’hui plus valables que jamais. La crise économique, permanente depuis 1974, s’est aggravée au cours des derniers mois à cause du Covid. Le coût de l’énergie explose : combien de Français n’arriveront pas à se chauffer correctement cet hiver ? Et il y a une troisième raison, trop souvent méconnue : la passivité de la plupart de ces présidents et de leurs gouvernements face aux propositions d’une technocratie qui, au fil des temps, n’a cessé de s’éloigner à la fois des aspirations des Français et du bon sens, cela en tous domaines : école, administration locale, agriculture, santé, justice, politique européenne… Même De Gaulle lui fit sans doute trop confiance en certaines matières en son temps, comme pour l’éducation nationale ou l’agriculture. Seul Pompidou, en raison de ses origines rurales, de sa perception du terrain et peut-être de sa finesse toute littéraire sut lui résister. Est-ce la raison du mystérieux maintien de sa popularité ? 

Macron n’est jamais, en cinq ans, sur aucun sujet, d’aucune manière, allé contre les idées de la technocratie française, qui sont les mêmes que celles de la technocratie européenne, moins par subordination que par identité de culture. Une culture qui n’est évidemment pas celles des gilets jaunes et du peuple français en général. Sera-t-il seulement candidat ? Ce n’est même pas absolument sûr.