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EDF: le grand gâchis de la bureaucratie néolibérale

A quand le rétablissement d'une souveraineté énergétique ?


EDF: le grand gâchis de la bureaucratie néolibérale
La Tour EDF (PB6) dans le quartier de la Défense, dans l'ouest parisien © MARIO FOURMU/SIPA Numéro de reportage : 00917792_000002

L’histoire et l’architecture de l’entreprise EDF ne permettait pas, jusqu’à il y a une vingtaine d’années, de parler d’un marché de l’électricité. Bruxelles va au début des années 2000 imposer de façon irrationnelle un marché de l’électricité complètement artificiel. La France toute entière commence et n’a pas fini d’en payer le prix…


Jusqu’en 1996, l’approvisionnement de la France en électricité se déroulait selon la règle générale du monopole : peu d’interconnexions avec les réseaux étrangers, producteur monopoleur, transporteur unique et distributeur tout aussi unique. Aucun marché, avec simple mission de service public et système de prix administrés. La tarification pouvait s’opérer au coût marginal : le prix de vente est égal au coût de production de l’unité productrice la plus coûteuse, mise en service pour alimenter la demande [1]. Le même monopoleur optimisait l’emploi des diverses unités productives par une variabilité des prix en fonction des variations des demandes horaires. Réalité directement lisible, gestion simple et absence relative de bureaucratie.

Tout va changer avec la volonté bruxelloise d’inventer un véritable marché de l’électricité : réseaux démonopolisés et interconnectés, démantèlement des monopoles, séparation des grandes fonctions (production, transport, distribution, fourniture) concurrence entre producteurs privés et publics. Seule l’infrastructure de réseau restera sous le contrôle d’un gestionnaire unique (RTE pour la France). Dans le monde économique classique, il n’est plus besoin d’être producteur pour devenir marchand. Au cours des années 2000 nous avons vu apparaître de très nombreuses « entreprises » qui ne seront que des grossistes achetant sur les bourses de marché de gros pour revendre de l’électricité à des utilisateurs finaux. Ces « entreprises » sont aujourd’hui au nombre d’une petite trentaine en France [2]. Trois bourses européennes vont naître pour fluidifier le marché et le rendre efficient : « Epex Spot », « Nordpool » et « OMEL ». Les Etats devant s’éloigner du marché (idéologiquement et réellement), ils n’interviennent plus que par le biais « d’Autorités Administratives Indépendantes ». Ainsi, en 2000, sera créée en France la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) dont la fonction sera, avec l’aide de ses quelque 250 collaborateurs, de bien vérifier que les prix qui se forment sur les bourses, obéissent strictement aux principes généraux de tous les marchés et en particulier la bonne transparence des échanges.

La France présentait toutefois des caractéristiques particulières, avec un poids et une compétitivité du nucléaire très avantageuse qui, sauf à fermer ou à vendre des centrales nucléaires empêchait le marché de l’électricité de s’ouvrir à de nombreux acteurs. C’est ainsi que, contre toute logique économique sérieuse, il fut décidé d’obliger EDF à vendre à des prix très inférieurs au coût de l’électricité nucléaire à de simples marchands voulant s’installer sur le nouveau marché. C’est ce qu’on appelle l’ARENH (Accès Règlementé à l’Electricité Nucléaire Historique). Ainsi les marchands d’électricité peuvent théoriquement accéder à 25% du total de l’énergie électrique d’origine nucléaire produit par EDF et venir concurrencer cette même EDF en vendant à des particuliers à des prix inférieurs. Comme si un producteur/distributeur était administrativement obligé de vendre à très bon marché ce qu’il produit à un acheteur décidé à le tuer. Parce qu’il était très difficile voire impossible de démanteler le producteur nucléaire, l’Etat français, obéissant à la règle bruxelloise de libéralisation du marché de l’électricité, se devait d’organiser le pillage de l’entreprise qu’il possédait.

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Ce marché européen de l’électricité -avec ses bourses d’échange- fonctionne évidemment selon la règle du coût marginal et le prix européen s’établit donc selon le coût de production de l’unité marginale, celle qui doit être activée pour répondre à la demande alors qu’elle est moins compétitive que toutes les autres qui fonctionnent à pleine puissance. Sur le marché n’interviennent pas que des marchands soucieux d’obtenir de « l’électricité réelle ». Au nom de la fluidité et de la liquidité, de très nombreux autres acteurs interviennent et négocient au comptant ou à terme des contrats simplement financiers. De telle sorte que, sur les marchés de l’électricité comme sur les autres marchés de la spéculation, on rencontre des acteurs qui n’ont rien à voir avec avec la marchandise réelle, ici de l’électricité. Et parce que les contrats financiers comportent des risques qu’il faut couvrir, on verra de nombreux produits financiers incorporant le sous-jacent électricité. Ces acteurs spéculent beaucoup actuellement sur ce que l’on croit être les producteurs de l’électricité marginale à savoir le gaz et le charbon. Il en résulte une hausse des prix de l’électricité en France qui n’a rien à voir avec les coûts moyens réels.

Image d’illustration © GILE MICHEL/SIPA Numéro de reportage: 00896908_000005.

L’invention d’un marché de l’électricité par les autorités bruxelloises et son acceptation par l’Etat français entraîne trois conséquences extraordinairement négatives pour la France. Les deux premières sont connues : un prix de marché qui ne correspond pas à des coûts de production beaucoup plus faibles que partout ailleurs et un transfert administratif de valeur depuis les centrales nucléaires vers des « fournisseurs » simples accapareurs et consommateurs de la rente nucléaire.

La troisième est plus méconnue et sans doute plus difficile à évaluer. Il s’agit de l’énorme bureaucratie engendrée pour faire « tenir debout » le marché inventé : contrôle du respect de l’ARENH par une multitude de fonctionnaires ; organismes de contrôle et de régulation tels que la Commission de Régulation de l’Energie (CRE), le Groupe de Régulateurs Européens de l’électricité et du gaz (ERGEG), le Conseil des Régulateurs Européens de l’Energie (CEER) etc. A cette bureaucratie, il faut ajouter celle qui conçoit et surveille de loin le marché, par exemple la bureaucratie bruxelloise qui a inventé les directives comme celle relative à la réglementation concernant la transparence du marché ou celle surveillant la bonne séparation – y compris comptable – à l’intérieur d’EDF du gestionnaire du réseau de transport (RTE) ou le gestionnaire du réseau de distribution (ENEDIS). Bien évidemment, il ne faut pas oublier dans le catalogue la bureaucratie financière qui concerne les bourses, leurs acteurs, mais aussi les juristes, les économistes, voire les modélisateurs. Et cette bureaucratie financière se doit d’avoir l’œil sur la bureaucratie financière rattachée à la spéculation sur le prix du carbone. Il ne faut pas oublier en effet que le prix de l’électricité devient aussi en quelque sorte le produit d’une double spéculation : les spéculateurs sur les bourses doivent avoir l’œil sur le marché à terme du carbone qui intervient sur les coûts des producteurs, coûts sur lesquels la spéculation s’enracine. Et parce que les producteurs d’électricité sont très soumis aux « quotas carbone », leur participation à l’énorme bureaucratie financière du marché du carbone – une bourse appelée « European Energy Exchange » avec marchés spot, à terme et options, et quotas reconnus officiellement instruments fianciers par la directive MIFID2 – consomme énormément de moyens [3].

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Au total, non seulement le prix de l’électricité en France ne reflète plus l’extraordinaire compétitivité de l’entreprise historique, c’est-à-dire EDF, mais sa transformation artificielle en prix de marché entraine deux conséquences gravissimes pour le pays.

La première est la consommation du talent de milliers de personnes de très haut niveau sur le plan professionnel, personnes dont l’activité est complètement inutile voire nuisible. Un exemple : les auteurs de la très sérieuse étude sur « la sensibilité du prix de l’électricité aux publications d’informations relatives aux indisponibilités des moyens de production en France ». Comme quoi de grands talents dans le domaine de l’économétrie peuvent être affectés à des « bullshits jobs » dont la seule production est celle de rester les gardiens probablement inconscients d’un temple idéologique.

La seconde est la consommation d’une énorme quantité d’épargne ou de création monétaire, celle « brûlée » dans les bourses directes (les bourses du marché de l’électricité) ou indirectes (les marchés du carbone). Des moyens financiers qui pourraient être affectés de façon plus efficiente.

Ne serait-il pas grand temps de voir la France se réapproprier les outils d’une production qui avaient contribué à bâtir sa grandeur dans les années 70/80 ?


[1] Pour les économistes le cout marginal est le cout de la dernière unité produite. Pour ravitailler le pays en électricité on active d’abord les centrales les plus efficientes et si la demande d’électricité augmente on active la ou les centrales les moins efficientes. La bonne gestion revient alors à faire payer le pris de l’électricité au cout de production de ces centrales moins efficaces. Traditionnellement le prix administré était proche du cout marginal.

[2] Un exemple de ces prétendues entreprises est le distributeur Leclerc – grande distribution – dont on apprend aujourd’hui qu’il ne peut poursuivre une vente d’électricité dont il ne maitrise en aucune façon la production.

[3] La bourse est ainsi un lieu d’échange direct mais aussi un lieu de formation de « paris » sur les fluctuations de prix que les acteurs anticipent, c’est le cas de ce qu’on appelle le marché à terme ou le marché d’options. Comme quoi la lutte contre le réchauffement climatique est aussi une occasion de spéculer…



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Universitaire et conseiller ayant succesivement travaillé sur le Développement, l'économie pétrolière, et l'économie publique, il travaille maintenant sur l'ensemble des questions liées à la crise.

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