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Guerre russo-ukrainienne: en attendant l’offensive

L’incertain printemps ukrainien


Après presque trois mois sans manœuvre majeure, relativement calmes en dehors de Bakhmout, à quelques semaines de la fin de l’hiver, les deux camps parachèvent la reconstitution de leurs forces. Petit à petit, les contours des opérations probables se précisent.

Après les offensives ukrainiennes réussies d’aout-novembre à Kharkiv et à Kherson, l’armée russe a commencé l’hiver dans une situation de vulnérabilité. La mobilisation lancée fin septembre a permis de stabiliser les lignes russes, de relever des effectifs du front et de constituer des réserves. Par conséquent, en termes d’effectifs, l’Ukraine ne bénéficie plus d’un avantage significatif. Sous le commandement du général Sergueï Sourovikine, les forces russes ont adopté une stratégie défensive, appuyée sur la reconstitution de leurs forces et le retranchement. Ces actions ont été accompagnées et couvertes par une campagne de frappes contre les infrastructures critiques de l’Ukraine, au moyen de missiles longue portée, et d’une offensive continue à Bakhmout – largement exécutée par les miliciens de Wagner, notamment avec les fameuses troupes issues du système carcéral russe.

Des effectifs russes pléthoriques

Depuis le lancement de la mobilisation, la Russie a probablement doublé ses effectifs déployés en Ukraine. Ses revers (l’abandon de la ville de Kherson en est le plus significatif) lui ont permis de considérablement réduire et simplifier le front défendu, ainsi que de libérer les hommes du matériel. Les Ukrainiens estiment les forces russes à 320 000 hommes, incluant les forces sous drapeaux de Louhansk et Donetsk, ainsi que les hommes de Wagner et de Khadirov. Le spécialiste américain, Michael Kofman, juge cette estimation exagérée et évalue de son côté les effectifs russes à quelques 250 000 hommes. Les Russes peuvent également compter sur 150 000 autres hommes mobilisés dans le pays, pas encore déployés en Ukraine, mais relativement disponibles. Si les Russes semblent avoir résolu pour le moment le problème des effectifs, la question du niveau de préparation et de la qualité de ces unités reste entière.

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Pour ce qui concerne leurs capacités à mener un combat défensif, il est difficile en ce moment d’évaluer les lignes et dispositifs défensifs russes, car ils n’ont pas encore été (véritablement ?) testés. Pas de doute en revanche sur la capacité russe à disposer d’effectifs adéquats ni à pouvoir fournir des stocks de matériel pour équiper les hommes. Mais la qualité des unités russes semble toujours être faible. Ce problème est d’autant plus handicapant quand il s’agit du potentiel offensif. Par conséquent, les unités mobilisées russes peuvent probablement mener une défense tenace, mais elles seront moins susceptibles d’exécuter des opérations offensives interarmes de grande envergure. Sur ce point, il est manifeste que les hommes mobilisés n’ont pas vraiment remplacé les soldats professionnels perdus depuis le 24 février 2022.

Les forces russes dépendent toujours de troupes aéroportées (VDV, Vozdushno-desantnye voyska) et de l’infanterie navale, leurs meilleures unités, en tant que réserve pour les contre-attaques ou forces d’assaut pour les offensives. Ces unités aussi semblent avoir perdu une partie de leur efficacité en raison des pertes qualitativement non remplacées.

Les Ukrainiens sur le point de lâcher Bakhmout ?

Sur le terrain, la situation autour de Bakhmout, après la chute de Soledar, est de plus en plus difficile pour les Ukrainiens, et il n’est pas exclu qu’ils finissent par se retirer de cette ville. Cependant, l’Ukraine dispose de solides lignes défensives (Sloviansk / Kramatorsk), tandis que la Russie ne semble pas avoir les moyens de maintenir un élan et d’exploiter ce succès possible.

Ayant perdu Izioum et Lyman en septembre, la Russie n’a plus la possibilité de développer depuis le nord une attaque de soutien dans le Donetsk. Gagner Bakhmout offre des opportunités pour la Russie, opportunités qu’elle n’est pas dès lors, en mesure d’exploiter.

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Si la ville de Bakhmout en elle-même est géographiquement importante, sa valeur est surtout symbolique et politique. Les deux camps ont énormément investi dans cette bataille, et renoncer sera difficile. En même temps, une bonne partie de la défense de Bakhmout semble reposer sur des unités de la Force de défense territoriale ukrainienne, de la Garde nationale et la Légion de volontaires étrangers, ce qui suggère que l’Ukraine tente d’épargner ses meilleures unités et de les préserver pour la suite. Cette observation permet aussi de mieux comprendre les succès de Wagner et les pertes des Ukrainiens. La meilleure illustration de l’état actuel des capacités offensives russes, ce sont leurs difficultés à percer vers Sloviansk et Kramatorsk. Huit mois après avoir pris Lyssytchansk, fin juin, et face à des unités ukrainiennes peu qualitatives, les Russes sont toujours à Bakhmout !

Globalement, il semble que la bataille pour Kreminna est plus importante que celle de Bakhmout. L’Ukraine a progressé dans ce secteur jusqu’à la contre-attaque du VDV de la 76e division d’assaut aérien de la Garde. La bataille continue et pour rappel, pour l’Ukraine, une percée de la ligne Svatove-Kreminna peut éventuellement mener au centre logistique russe de Starobilsk.  

Comme on peut le comprendre, le Donbass reste au cœur des opérations militaires russes. Il est donc probable que les offensives russes aient pour objectif la prise de ce territoire. On peut donc s’attendre à des efforts au nord (Koupiansk) et aussi vers le sud du front, autour de Vuhledar, un secteur où l’activité augmente. Mais là aussi, les meilleures unités russes, le VDV et l’infanterie de Marine, ont essayé sans succès de prendre Vuhledar.

Que va faire l’Ukraine ? D’un point de vue purement militaire, l’Ukraine pourrait attendre l’offensive, l’encaisser et, une fois le potentiel offensif russe épuisé, reprendre l’initiative. Mais à Kiev, l’État-major hésite beaucoup : jouer la montre et attendre l’adversaire semble à certains plus risqué encore que de lancer une offensive, même si tous les équipements occidentaux ne sont pas encore livrés et entrés en service opérationnel. 

Nos gouvernants devraient lire Flaubert

Mais savent-ils seulement lire?


En ce début d’année morose, alors que « le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle » sur la tête des Français sommés de plébisciter une réforme des retraites aussi inévitable que mal ficelée, j’avais opté pour le repli…

Abîmée dans la lecture de la Correspondance de Flaubert, souvent agréablement accompagnée d’un verre de purée septembrale, j’attendais la reverdie. Mutique je cultivais ma misanthropie.

Jusqu’à la lettre de Flaubert à Louise Colet, datée du 22 septembre 1853, tout allait bien pour moi comme pour mon chat. Mais, dans cette épître, l’Ermite de Croisset s’est mis à vitupérer son siècle avec la verve qu’on lui connaît et c’est alors le mien que j’ai reconnu : « 89 a démoli la royauté et la noblesse, 48 la bourgeoisie et 51 le peuple. Il n’y a plus rien, qu’une tourbe canaille et imbécile. – Nous sommes tous enfoncés au même niveau dans une médiocrité commune. L’égalité sociale a passé dans l’Esprit. On fait des livres pour tout le monde, comme on construit des chemins de fer et des chauffoirs publics. L’humanité a la rage de l’abaissement moral. »

Les propos d’Olivier Véran, étaient, je l’ai dit, émaillés de vocables à tonalité tout aussi familière que démagogique, les verbes et locution verbale suivants: «bosser», «virer», «faire capoter le truc» généreusement employés, les répétitions abondantes…

Le bougre d’homme a précisé, dans une autre missive à sa Louise : « Je pense souvent avec attendrissement aux êtres inconnus, à naître, étrangers, etc., qui s’émeuvent ou s’émouvront des mêmes choses que moi. » Il ne m’en fallait pas plus pour me tirer de ma… retraite et décrire l’ambiance française actuelle à notre homme prophétique.


Cher Flaubert,

Tu n’as pas connu le prix Nobel de littérature et ça tombe bien, tu ne l’aurais jamais eu ! Annie Ernaux et Virginie Despentes flanquées de toutes nos écrivaines de talent auraient ardemment pétitionné pour que soit définitivement évincé de la scène littéraire un goujat tel que toi, capable d’écrire à une femme les saletés dont tu abreuvais Louise. Ta Bovary, elle-même, aurait signé ladite pétition des pieds et des mains. Attends un peu qu’un « sensitivity reader» mette le nez dans tes lettres de macho réac : « Ne sens-tu pas que tout se dissout maintenant par le relâchement, par l’élément humide, par les larmes, par le bavardage, par le laitage. La littérature contemporaine est noyée dans les règles de femme. » Ça va caviarder sec, mon garçon ! A-t-on idée, aussi, de débiter pareilles sottises à une femme ? Apprends que les femmes sont désormais des hommes comme les autres.

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Mon cher Gustave. Tu ne mesures pas l’étendue de la panade dans laquelle nous nous trouvons. Notre époque est Hénaurme et elle déclencherait chez toi, tout en te dégoûtant par sa bêtise infinie, un rire homérique. Depuis que tu as tiré ta révérence, nous avons appris à courber l’échine et nous nous fustigeons sans cesse pour avoir contribué à tous les malheurs de ce monde.

Cher Maître, sache que tous les procureurs Pinard sont désormais de sortie. Il s’agit de faire taire les malheureux qui s’écartent de la doxa de Pangloss : « Les choses ne peuvent être autrement : car tout étant fait pour une fin, tout est nécessairement pour la meilleure fin. » Nous sommes sommés, donc, de répéter comme un mantra que tout va bien et de louer les décisions de nos dirigeants, démocratiquement élus, il faut bien en convenir. Tous ceux qui n’adhèrent pas au récit national sont estampillé fascistes et plus ou moins condamnés à une mort sociale. Quelqu’un que tu goûtes particulièrement dirait que nous vivons actuellement « une histoire dite par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien. »

Ce qui te désolerait le plus, je crois, c’est le déclin intellectuel général. Le comportement de la classe politique, élue par nos soins, en est, tu vas le voir, le plus parlant exemple. Laisse-moi plutôt t’affranchir, en cette énième semaine de « tous les dangers » qu’affronte la France, alors qu’on examine, à l’Assemblée nationale, une nouvelle réforme des retraites pour le moins impopulaire et qu’un projet de loi sur l’immigration a été présenté le premier février en Conseil des ministres. Voici l’occasion rêvée pour les distingués rhéteurs que sont nos députés de s’empoigner comme une bande de harengers. On sera très attentifs à leurs joutes élégantes et subtiles puisque notre Prudent de la République ne nous anesthésie plus avec les discours abscons dont il a le secret. On ne l’entend plus pérorer gravement. Aurait-il renoncé à enfiler des mots qui sonnent aussi creux que des molaires gâtées ?

Patience, il reviendra. Il laisse juste ses vassaux monter au front tandis que nos députés rivalisent d’arguments étiques exprimés dans un français indigent pour faire valoir des causes fumeuses. Il ne s’agit, pour nos élus, que de satisfaire leurs pulsions histrioniques. Ainsi, Sandrine Rousseau, après s’être préoccupée de la retraite de Mbappé, met en garde contre toute alliance avec le RN : « parti qui fricote avec le fascisme, qui est fascisant ! ». Elle poursuit : « Quand on vote RN, je dis qu’on a une complicité avec ça, oui. Et c’est un problème. Et ce n’est pas vrai que le vote n’implique pas de responsabilité. Aujourd’hui, les personnes qui votent pour le RN ont une responsabilité dans la montée de ce mouvement et dans la haine qu’il diffuse. Notamment auprès des personnes étrangères. » Quant à Marine Tondelier, fraîchement élue sectaire, pardon secrétaire nationale d’EE-LV, elle, estime que face à l’urgence climatique, la désobéissance civile, pourvu qu’elle soit non violente est un mode d’action nécessaire. Pour la réforme des retraites, elle n’hésite pas à affirmer : « On va faire la ZAD à l’Assemblée. »

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Gustave, tu expliquais aussi à Louise : « Les héros pervers de Balzac, ont, je crois, tourné la tête à bien des gens. La grêle génération qui s’agite maintenant à Paris, autour du pouvoir et de la renommée, a puisé dans ces lectures l’admiration bête d’une certaine immoralité bourgeoise, à quoi elle s’efforce d’atteindre. » Ah, si tu connaissais Olivier Véran ! Interrogé dimanche sur les réformes en cours par Sonia Mabrouk, Nicolas Barré et Mathieu Bock-Côté, justes dans leurs questions et policés dans leur propos, le porte-parole du gouvernement nous a régalé d’un discours sans âme et souvent sans queue ni tête, débité avec des mines de bonimenteur et un laisser-aller langagier déplacés. Il croyait sans doute, en jouant sur une connivence incongrue, s’attirer la sympathie d’un spectateur limité.

Sans sourciller, il nous a causé « tuyauterie » et « mécano budgétaire » pour rassurer quant au financement des retraites, et précisé que la loi immigration reposerait sur la curieuse alliance de « l’humanisme » et du « pragmatisme ». Les propos d’Olivier Véran, étaient, je l’ai dit, émaillés de vocables à tonalité tout aussi familière que démagogique, les verbes et locution verbale suivants : « bosser », « virer », « faire capoter le truc » généreusement employés, les répétitions abondantes.

Mais, ce qui t’aurait le plus étonné, c’est la limpidité des réponses qu’Olivier Véran apportait aux questions posées. Vois plutôt ! Quand Sonia Mabrouk lui a demandé, à propos du rapport des Français au travail : « Ça veut dire quoi, visibiliser un débat ? » (Qu’elle soit louée pour cette tentative de faire advenir la lumière.) Voici la réponse de notre palabreur : « Ça veut dire être capable de brasser, dans la société, l’ensemble des données, l’ensemble des attentes des Français liées au travail et d’être capable de se dire collectivement que oui le travail est précieux, que oui le travail, on le valorise. » Autant dire qu’on restera dans les ténèbres…

Cher Maitre, je vais clore ici ma missive. Je doute fort que tu souhaites plus de détails, toi qui écrivais en 1853 : « Mais quoi dire ? De quoi parler maintenant ? Cela ira en empirant. (…) J’aime mieux le néant que le mal et la poussière que la pourriture.

Et puis on se relèvera ! l’aurore reviendra ! Nous n’y serons plus ? Qu’importe ? »

Avec tout mon respect et mon admiration,

Éloge de la paresse ou du travail? Il faut choisir!

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Le mérite n’a plus la cote à l’Éducation nationale depuis longtemps. Cela a des répercussions désastreuses dans les entreprises.


On pourrait donc « aimer sa boîte » (69% des Français actifs, selon le sondage 2022 OpinionWay), donc aimer aller au travail… et ne pas aimer travailler ?

Certains accusent notre civilisation d’être fondée sur l’obsession des jeux et des réseaux sociaux, ce qui aurait contribué à détruire le goût du travail, ou le plaisir au travail, ce qui n’est pas exactement la même chose !

Voilà qui devrait nous interpeller sur l’esprit de compétition, car le jeu est avant tout une compétition.

La compétition passée de mode

Quand on joue, il y a des gagnants et des perdants, une excitation liée à la victoire possible, à la stratégie à mettre en œuvre, un effort physique, sportif ou intellectuel et une mobilisation des connaissances. Et si nous apprécions aussi tous ces sports de compétition qui déclenchent chez les spectateurs des poussées d’adrénaline recherchées, l’Education nationale a pris simultanément un chemin totalement opposé, s’appliquant à réduire, voire à détruire la compétition à l’école.

Au nom d’un pseudo désir égalitaire, on a renoncé à comparer les élèves.  

Notre chroniqueuse Sophie de Menthon, présidente du mouvement patronal ETHIC. Photo : DR

Comparer c’est discriminer. Ainsi a-t-on supprimé peu à peu les notes, les remplaçant par des lettres dans de nombreux établissements scolaires, adoucissant les appréciations afin de ne pas « stigmatiser » (ah ! le grand mot !) les mauvais élèves, apprenant au passage aux bons élèves qu’ils n’avaient finalement pas plus de valeur que les moins bons. On a supprimé le qualificatif de « paresseux ». Finis les livrets scolaires ou l’élève était qualifié comme tel. Il n’y a plus d’enfants paresseux : ils ne sont « pas motivés », c’est tout, ou insuffisamment impliqués. Les parents, alors rassurés, ont vite conclu que c’était le professeur qui n’était pas motivant et forcément responsable des mauvais résultats de leur progéniture talentueuse.

Cancre ou haut potentiel intellectuel brimé?

D’ailleurs, dans le même ordre d’idées, un cancre absolu est souvent classé comme surdoué, ce qui explique son inattention et son manque d’intérêt car il est au-dessus du niveau de ce qu’on lui apprend. Cela permet de se vanter d’avoir un cancre ! Quant aux classements, n’en parlons plus, le classement est forcément partial – injuste même. On préfère douter du correcteur, ou reprocher les sujets pas assez étudiés en classe avec le professeur avant les examens. Nous sommes tombés, tranquillement, avec persévérance, dans la culture de l’excuse. Peu à peu, on en est venu à victimiser les élèves qui n’ont pas des résultats satisfaisants. Tout est bon : l’inégalité des chances, le milieu social, les difficultés de couple des parents, l’astreinte du travail personnel… Les devoirs à la maison sont désormais très mal vus, quand on ne les a pas carrément supprimés, l’effort personnel étant trop important. En plus, tarte à la crème culpabilisante, il parait qu’on manque de moyens dans les familles « non privilégiées » pour aider les enfants. D’où la gratuité d’une palanquée d’aides sociales, au passage. Il ne faut surtout pas culpabiliser les parents qui n’ont pas le niveau ou qui ne prennent pas le temps pour aider leurs enfants.

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En un mot : nous assistons à la déconstruction de tout un système qui avait fait le succès de la promotion républicaine. Fini le temps où l’enfant méritant passait de l’école communale de son village au lycée de la ville, parce qu’il avait fait montre de ses capacités. Et je reste encore stupéfaite de l’exemple de Diane, rentrant de l’école, et nous racontant qu’il y avait eu quatre équipes pour effectuer un devoir sur table dans la classe, récompense à la clé, et que son équipe avait gagné ! Heureux, nous lui avons demandé qu’elle fût cette récompense et si son équipe se l’était partagée ? Sa réponse nous a laissés sans voix : « Non ! Ce sont les derniers qui ont eu la récompense, nous on avait déjà la chance d’avoir été les meilleurs… » a-t-elle expliqué, trouvant cela assez normal. C’est probablement ce qu’on appelle la motivation dans l’Education nationale, et certains de penser que c’est finalement très sympathique : la médaille d’or au dernier, il fallait y penser !

Ce phénomène s’accompagne aussi de l’effacement de l’individu au profit du collectif. Le problème, c’est que la responsabilité individuelle disparaît peu à peu.

L’individualisme combattu, le nivellement vers le bas encouragé

On privilégie de plus en plus en classe les « groupes de travail », même si on sait qu’il y en a deux ou trois qui font tout le boulot. A la fin, c’est la même note pour tous. Même chose pour les examens, les professeurs relèvent les notes de tous ou de certains au nom de l’homogénéité des résultats.

Or, tout se joue à l’école et l’incidence de ce nivellement n’est certainement pas sans conséquence sur l’attitude face au travail des Français, et si l’on extrapole, comment s’étonner ensuite du nouvel état d’esprit que je décrivais en introduction? De l’école, on passe avec plus ou moins de transitions au monde de l’entreprise, en un mot au travail. Or, la compétition et sa récompense sont aussi le sel du travail, la satisfaction du dépassement de soi, l’excitation de bien bosser, de réussir!

Peu à peu, le nivellement par le bas est devenu un axe fondamental de justice sociale dans notre pays. Dans l’entreprise aussi, et il est impossible de donner un salaire supérieur à ceux qui ont été plus performants mais qui occupent le même poste, je n’ose dire : à ceux « qui le méritent » ! L’inégalité de traitement peut mener le patron aux prudhommes ! Même la prime doit aller à tout le monde, si l’on exclue bien sûr l’intéressement par contrat.

Certes, ce n’est qu’un paramètre de ce désintérêt du travail et, heureusement, il reste des challenges commerciaux, en particulier dans la vente. Mais c’est tout un état d’esprit qui a basculé, au nom des bons sentiments. On comprend en tout cas que les jeux électroniques – où la compétition maximale est la règle – soient infiniment plus excitants pour nos enfants que l’étude. Parents responsables, école méritocratique : notre relation au travail commence sinon au berceau du moins en classe. Trop d’indulgence et de bienveillance peuvent être les mamelles d’une certaine décadence.

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Ma vie à l’Assemblée

Que se passe-t-il dans les couloirs du Palais-Bourbon et dans l’Hémicycle lorsque les caméras ne sont plus là ? Grandeurs et petitesses de nos députés…


Rentrée parlementaire

Retour à l’Assemblée après trois semaines passées chez moi, à Béziers et dans les villages de ma circonscription. Une bouffée d’oxygène. Loin de débats souvent stériles, de postures presque toujours insupportables. Cela m’a fait du bien. Je reviens bien décidée à profiter de mon indépendance pour tenter de faire entendre une petite musique différente. Ce ne sera pas facile à la veille d’un débat sur les retraites où faire preuve de simple bon sens vous vaut d’être dénoncé par les bancs les plus à droite et les plus à gauche. Il va falloir tenir le choc. Heureusement, dans les couloirs qui mènent à mon bureau, rue Aristide-Briand, en face de l’Assemblée, les huissiers sont comme toujours prévenants, souriants. Je crois qu’ils aiment bien la petite musique dont je parlais plus haut…

Niche parlementaire du RN: la proposition de loi visant à rendre obligatoire un uniforme scolaire n’a pas été retenue D.R

Attachés parlementaires

On parle peu d’eux. Dommage, parce qu’ils sont tout simplement indispensables, incontournables. Je veux parler, bien sûr, des attachés parlementaires. J’en ai trois. Deux à Paris et un à Béziers. Pendant les vacances parlementaires, nous avons continué à travailler. Pour répondre aux courriers, pour préparer les rendez-vous… la vie ne s’arrête pas avec la fin des sessions. Dans mon bureau de la capitale – comme on dit en province –, nous sommes entassés les uns sur les autres. À ceux qui nous imaginent dans des locaux spacieux, je propose de venir jeter un œil. La République fait attention à son argent et elle a raison. Je ne me plains pas. J’informe, c’est tout. Non inscrite, je ne bénéficie pas des moyens d’un groupe politique. Et, notamment, de ces attachés de groupe justement qui vous mâchent le travail. À nous quatre, nous devons plancher sur tous les projets et propositions de loi. Je dépose des centaines d’amendements par an. Pour préciser, contredire quand il le faut, améliorer même si le texte est porté par un adversaire politique. Souvent, je me sens seule. Mes attachés sont alors un cocon où l’on se tient chaud. Alors que mes voisins de couloir me parlent peu, ça fait du bien…

Niche parlementaire

Le 12 janvier, c’était la niche parlementaire du Rassemblement national. Une niche, c’est une journée durant laquelle un groupe politique décide des propositions de loi qu’il veut faire examiner par l’Assemblée. C’est un moment important, car chaque groupe bénéficie d’une journée… par an. Ce qui est peu. Il faut donc bien choisir les textes qui seront présentés sous peine de se gâcher des occasions… Et des occasions ratées, le RN en a eu un certain nombre durant cette journée. D’abord parce qu’il a choisi certaines propositions de loi qui avaient déjà été déposées par d’autres groupes avant lui. Estimant que, puisqu’il s’agissait de textes consensuels, ils avaient davantage de chances d’être adoptés. Hélas, trois fois hélas, c’était sans compter les réflexes politiciens : avant qu’une proposition de loi portée par le RN soit votée par le reste des députés, les poules auront des dents… Même avec l’appui de la première dame de France, c’est peine perdue. Eh oui, même la proposition de loi visant à rendre obligatoire un uniforme scolaire a fait long feu. Pourtant, hasard ou non, cette mesure avait bénéficié du soutien (involontaire ?) de Brigitte Macron la veille de son examen à l’Assemblée et 59 % des Français y sont favorables. Mais la vieille politique a la vie dure, à l’Assemblée comme ailleurs, et tous les prétextes sont bons pour privilégier les petits intérêts de boutique des partis politiques à ceux des Français. Désespérant…

Adrien Quatennens

Ça y est, il est revenu. Sans bruit. Pour le moment, on ne le voit que dans sa commission (puisque la présence y est obligatoire…). Il en a d’ailleurs changé, probablement du fait de la modification de son statut : je vous l’expliquais le mois dernier, l’ex-député de la France insoumise fait désormais partie des non-inscrits. Sa présence a été annoncée par le président de la commission des Affaires étrangères : « Nous avons le plaisir d’accueillir un nouveau membre, Adrien Quatennens. » Il n’en fallait pas plus pour sonner le tocsin et plusieurs caméras étaient présentes pour l’accueillir à la sortie du bâtiment. Pour la discrétion, c’était raté. Personne ne l’a pourtant encore revu dans l’Hémicycle et surtout pas lors de l’examen de la proposition de loi créant une aide universelle d’urgence pour… les victimes de violences conjugales. On sentait d’ailleurs un léger malaise sur les bancs de la Nupes en début de discussion. Un texte pourtant consensuel, mais qui m’a donné l’occasion de rappeler que les violences conjugales ne concernent pas seulement les femmes, mais aussi les enfants, souvent victimes « collatérales » de ces conflits familiaux, et… les hommes. Un sujet tabou, ces derniers hésitant le plus souvent à porter plainte, par honte sûrement. Avec pour conséquence directe une grosse difficulté à identifier l’ampleur du phénomène. Les hommes victimes de violences sont en effet malheureusement fréquemment poussés au suicide et ne rentrent plus dans le décompte « classique » des victimes de conflits familiaux. Nos féministes de service sont restées étrangement silencieuses sur le sujet…

Réforme des retraites

Pas encore à l’examen au moment où j’écris ces lignes – et même pas encore présentée en Conseil des ministres –, la réforme des retraites fait déjà réagir sur les bancs de l’Assemblée. D’ailleurs, je viens d’apprendre que le groupe MoDem se propose de déposer un amendement pour revenir sur les 35 heures. De quoi, tel un réflexe pavlovien, faire immédiatement bondir les députés de la Nupes, vous vous en doutez. Et probablement pas les dissuader de déposer 1 000 amendements par député, comme ils en ont déjà émis l’intention (la menace ?) ! Eh oui, les mêmes qui se plaignaient de l’obstruction de certains députés qui avaient osé déposer au total… 473 amendements lors de la proposition de loi visant à interdire les corridas ! N’est pas cohérent qui veut. Mais bon, assez ricané, la suite au prochain épisode…

Sainte Brigitte, priez pour eux!

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En 2023, l’Irlande met en place un jour férié dédié à une femme. Une grande première dans le pays. «Le symbole supplémentaire d’un pays en profonde mutation», se réjouit le quotidien français Libération.


Heureux Irlandais, qui bénéficient depuis cette année d’un nouveau jour férié, le 1er lundi de février, en hommage à Sainte Brigitte (Brigid) de Kildare (une fête également connue sous le nom de « Imbolc« ). Soudain regain de foi catholique ? Que nenni: le gouvernement a considéré que le calendrier officiel n’était pas assez paritaire et inclusif. Sur son site internet, on peut y lire que cette journée sera l’occasion de « célébrer la contribution remarquable des femmes irlandaises à travers le monde » et de « réfléchir au rôle vital que les femmes irlandaises ont joué dans la construction de notre nation ». Icône des milieux féministes au pays du trèfle, Sainte Brigitte pourra donc désormais officiellement veiller au bon grain de la parité. Certains, plus pragmatiques, se disent qu’un jour férié est toujours bon à prendre. Leurs prières ont été entendues !

De la révolution à la Terreur racialiste

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« On connaît le dogme du pseudo-antiracisme contemporain, que j’appellerai le dogme inexistentialiste : “Le racisme anti-Blancs n’existe pas.” On est tenté d’ajouter : sauf chez la plupart de ceux qui affirment cet énoncé dogmatique. »

Pierre-André Taguieff, L »’imposture décoloniale« 

Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, défenseur wokiste de toutes les « minorités », vient de nommer Amira Elghawaby au poste de « porte-parole, conseillère, experte et représentante dans les efforts du gouvernement fédéral pour lutter contre l’islamophobie, le racisme systémique, la discrimination raciale et l’intolérance religieuse ». Mme Elghawaby porte le hijab et est réputée être une militante de l’islam rigoriste. Elle est, comme son employeur, une combattante acharnée contre les lois protégeant la langue et la laïcité au Québec. Elle dit être fière de sa nouvelle mission, en particulier la lutte contre la discrimination raciale et l’islamophobie.

La mission de Mme Elghawaby ne prévoit apparemment pas de lutter contre le racisme anti-Blancs ou anti-Asiatiques. Sans doute pense-t-elle que ces racismes-là ne sont qu’une vue de l’esprit. Pourtant…

Ségrégation à Ottawa aujourd’hui…

Le 17 février prochain, au beau milieu du Mois de l’histoire des Noirs (sic), le Centre national des Arts d’Ottawa organisera au Babs Asper Théâtre un spectacle exclusivement réservé aux… Noirs. Les Blancs et les Asiatiques sont invités… à passer leur chemin. Le théâtre prévoit une autre soirée de ce type le 5 mai et explique dans un communiqué de presse que « ces soirées offriront un espace dédié aux amateurs de théâtre noirs pour assister à un spectacle reflétant le kaléidoscope vivant qu’est l’expérience noire » – si j’osais, je dirais que le terme de « kaléidoscope » me paraît assez inapproprié pour un événement destiné à mettre uniquement en valeur des nuances de noir. Si des individus « non noirs » décident toutefois de braver l’interdiction, il est prévu que des membres de la direction ou de la production discuteront avec ces derniers pour « désamorcer la situation ». Bien entendu, ces émissaires seront eux-mêmes « non noirs » – ainsi, si la discussion tourne au vinaigre, personne ne pourra être traité de raciste.

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Des Canadiens ont protesté, parlé d’« apartheid culturel » et de racisme, mais Mme Elghawaby n’a pour le moment rien trouvé à redire à ces événements appliquant une ségrégation raciale. Radio-Canada, radio publique aussi peu pluraliste et encore plus wokiste que notre Radio-France, la soutient en silence ; les journalistes sont restés totalement indifférents à cet événement. Il faut dire qu’ils ont d’autres chats à fouetter en ce moment – et nous allons voir que tout se tient, wokistement parlant. La direction de Radio-Canada demande en effet expressément à ses journalistes et animateurs de ne plus utiliser de « mots offensants ». Si, par malheur, l’un d’eux vient à utiliser, même à des fins pédagogiques, le « mot en n » (nigger, en novlangue non-offensante), des excuses en direct sont attendues. Dans un document paru sur le site de la radio en novembre 2022, il est précisé que si un invité tient un « propos offensant », le journaliste doit, là encore, présenter des excuses à l’auditoire et faire en sorte que l’invité ne répète pas ces propos. Ces « propos offensants » pouvant concerner« la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial ou un handicap physique ou mental », l’invité a bougrement intérêt à faire attention à ce qu’il dit, d’autant plus qu’il est prévu de carrément supprimer tout mot ou passage supposément offensant « si l’entrevue est rediffusée ou rendue disponible sur demande sur les plateformes de CBC/Radio-Canada. ». La réalité rattrape la fiction de 1984 : « À la fin, nous rendrons littéralement impossible le crime par la pensée car il n’y aura plus de mots pour l’exprimer. […] Chaque année, de moins en moins de mots, et le champ de la conscience de plus en plus restreint. […] La Révolution sera complète quand le langage sera parfait », assène un fonctionnaire du Ministère de la Vérité. Les fonctionnaires wokistes disent exactement la même chose.

… Demain, à Paris ?

Mais revenons à notre théâtre « racialiste ». Ne nous moquons pas outre-mesure de la ségrégation raciale qui s’y applique. À la vitesse à laquelle se répand le poison wokiste en France, je ne serais pas surpris d’apprendre prochainement que tel ou tel lieu y est interdit aux Blancs. Ah ! on me dit dans l’oreillette que cela est déjà arrivé : à l’université Paris VIII (ateliers « Paroles non blanches »), dans un « camp d’été décolonial » réservé aux personnes non-blanches à Reims, lors de formations « en non mixité raciale » pour lutter contre les discriminations à l’initiative du syndicat Sud Éducation 93, lors de réunions « non mixtes racisées » organisées par l’Unef, etc. Tous ces faits, en plus des actes de violence sur des personnes en raison de leur couleur de peau blanche dans certains quartiers ou des messages anti-Blancs sur les réseaux sociaux ou dans les textes de rappeurs, relèvent du racisme anti-Blancs.

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Pourtant, au dire de notre ministre de l’Éducation nationale, il n’existe pas. Lors d’une conférence à Sciences Po en 2019, Pap Ndiaye expliquait que « cette thématique très étrange du racisme anti-Blancs […] vient de l’extrême droite » et que cette notion est « ridicule » puisqu’elle émane du « peuple dominant ». Ce discours strictement « racialiste » (c’est-à-dire fondamentalement raciste) condamne les Blancs à la damnation éternelle et excuse par avance les actes anti-Blancs qui ne peuvent pas être racistes puisque seuls les Blancs, en tant que « dominants », sont racistes. C’est du Robin DiAngelo [1] ou du Rokhaya Diallo dans le texte.

L’essayiste québécois Mathieu Bock-Côté © Damien Grenon / Photo12 via AFP

Comme Mathieu Bock-Côté l’a remarquablement soutenu dans son essai [2], la Révolution racialiste est en marche : après avoir imposé son vocabulaire (« racisé », racisme « systémique », « privilège blanc », « suprématie » blanche, etc.), rendu possible de nouvelles ségrégations raciales, envahi les médias et tous les lieux du savoir, des arts, de la publicité et du divertissement, elle poursuit son travail de sape en espérant voir s’amplifier une nouvelle et efficace lutte des races remplaçant l’ancienne et fatiguée lutte des classes. Cette révolution, comme toutes les révolutions, veut changer notre monde de fond en comble. Comme le dit sans ambages Rokhaya Diallo, les Français doivent accepter le fait que la France « n’est plus un pays chrétien et blanc » [3]. Ce à quoi les prépare l’écrivain Léonora Miano : « N’ayez pas peur d’être minoritaire culturellement. N’ayez pas peur de quelque chose qui va se passer. Parce que ça va se passer. Ça s’appelle une mutation. L’Europe va muter. […] Ils [les Subsahariens NDLA] vont venir, et ils vont venir avec leur bagage identitaire. […] C’est ça qui va se passer, et c’est déjà en train de se passer. N’ayez pas peur [4]. » Mme Miano prophétise le remplacement de la population européenne par une autre, africaine. En somme un grand remplacement. Mais chut !.. il paraît que cette « thématique », comme celle du racisme anti-Blancs, vient de l’extrême droite et est ridicule…

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(1) Cette sociologue américaine a développé un business fructueux (livres, conférences, etc.) autour d’un concept simple et efficace qui a fait son chemin depuis : les Blancs et les sociétés occidentales sont, quoi qu’ils fassent, intrinsèquement et systémiquement racistes. Son livre, Fragilité blanche, est très apprécié dans certains milieux universitaires français, en particulier à Sciences Po, Nanterre ou Paris VIII.

(2) Mathieu Bock-Côté, La Révolution racialiste, Les presses de la cité.

(3) Entretien donné à Aljazeera le 13 mai 2017.

(4) Dans l’émission Ce soir ou jamais du 8 novembre 2013.

Frédéric Dabi: «Les Français se voient tous en futurs retraités»

Le directeur général de l’IFOP estime que les Français veulent travailler mais que le travail n’occupe plus une place centrale dans leur vie. Cependant, il existe encore une forme de sacralisation de la valeur travail, aussi voient-ils d’un mauvais œil les inactifs vivant du RSA.


Causeur. La retraite semble être l’un des rares sujets susceptibles de faire descendre beaucoup de Français dans la rue. Sommes-nous devenus des feignasses ?

Frédéric Dabi. Non, cela ne signifie pas ça. Si la question de la retraite et de l’équilibre du système occupe depuis si longtemps l’espace politico-médiatique, c’est que, depuis plusieurs années, on a connu plusieurs réformes et que chacune a été présentée comme la « der des ders », celle après laquelle on pourrait être tranquilles. Or, à chaque fois, le sujet ressurgit. Au niveau intime et individuel, je suis comme vous frappé par le fait que cette question préoccupe tout le monde : les générations intermédiaires, mais aussi les jeunes. Cela s’explique par l’allongement de l’espérance de vie. Sous Giscard, quand on avait la retraite à 65 ans, l’espérance de vie était d’à peine 72 ans chez les femmes et de 68 ans chez les hommes. Autrement dit, on mourait assez vite après la vie active. Aujourd’hui, la retraite est rêvée comme un eldorado, une nouvelle vie et, pour beaucoup de gens, la fin des problèmes. Or, ça ne se passe pas comme cela. Dans la vraie vie, en particulier pour la génération 50-64 ans qui vote le plus pour le RN, la retraite ne s’annonce pas comme la belle vie, mais comme la continuation des problèmes en pire.

N’empêche, on a le sentiment que les gens veulent de moins en moins travailler…

Vous vous trompez. Ce qui est clair, c’est que le travail a perdu sa centralité. Avant, avec l’espoir d’ascension sociale, le travail était déterminant dans l’inscription dans la société. Aujourd’hui, il coexiste avec d’autres aspirations, notamment les loisirs. En 1990, sous la gauche, pour 92 % des Français, le travail était « important » dans leur vie et pour 60 %, « très important ». Aujourd’hui, on a encore 86 % des sondés qui le jugent « important », mais seulement 24 % le qualifient de « très important ». Les gens ne veulent plus se sacrifier pour le travail. Cependant, comme le montre le sondage que nous avons réalisé pour Marianne [1], les jeunes sont plus Fabien Roussel que Sandrine Rousseau, plus « gauche du travail » que « gauche des allocs ».

Cette nouvelle conception du travail serait légitime si les gens acceptaient l’idée qu’en travaillant moins, ils gagneront moins. Mais ils ne visent pas la sobriété heureuse, ils ont les mêmes exigences sur leur niveau de vie. Certes, les salaires ne sont pas satisfaisants, mais il y a quand même un rapport contestable à l’assistanat et à l’État. Si vous refusez de travailler une ou deux années de plus, cela veut dire que quelqu’un, en l’occurrence un jeunes actif, devra plus trimer pour vous.

Ce que vous dites n’est pas contradictoire avec mes propos précédents. Nous sommes en France, je me souviens de La Dynamique de l’Occident de Norbert Elias, qui raconte la formation de l’État central et explique pourquoi, chez nous, l’État est si puissant et que nous attendons tant de lui.  Cette exception française vis-à-vis du politique, donc des pouvoirs publics, explique qu’on accepte l’omnipotence de l’État pour peu qu’il obtienne des résultats et change la vie des gens. On l’a vu pendant le Covid, une large majorité a accepté que l’État s’immisce dans sa sphère privée et même intime.

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En somme, nous sommes devenus un peuple d’assistés ?

Là, je serais plus nuancé. Certes, nous croyons en l’État et attendons beaucoup de lui ; dans mes enquêtes, dans le match privé/public, l’État l’emporte quasiment tout le temps malgré ses carences objectives, pour ne pas dire plus. Cependant, il y a un fait très nouveau: le chômage qui était depuis des décennies en tête des préoccupations des Français, occupe désormais la dixième place. C’est du jamais-vu. Pourquoi ? Il y a la petite musique des emplois non pourvus, mais aussi l’assistanat. Le fait que certains soient payés à ne rien faire n’est plus accepté. Depuis vingt ans, nous soumettons une phrase aux Français : « les chômeurs pourraient trouver du travail s’ils le voulaient vraiment. » Eh bien, on est maintenant à trois quarts de oui ; même chez les jeunes et même à gauche, ce oui est majoritaire. En dépit des idées reçues, les jeunes adhèrent à la valeur travail. Dans mon livre – La Fracture –, je montre que l’affirmation « pour réussir personnellement, je dois réussir professionnellement » n’a jamais été aussi consensuelle. Les deux réussites sont imbriquées. Or, l’assistanat casse cette intrication. En somme, la politique du guichet et les 3 000 milliards de dettes qui en résultent ne nous dérangent guère, mais assistés n’est pas le bon terme.

D’où ce paradoxe que je qualifierais de libéralisme d’État ou d’individualisme collectiviste.

En effet, pendant longtemps, libéralisme était un mot « Voldemort », notamment chez les jeunes. Alain Madelin se dit libéral, il fait 3 % à la présidentielle, Delanoé se dit libéral sur le plan de la culture et des mœurs, il perd le congrès du PS. Aujourd’hui, avec « entreprise », « libéralisme » est un des mots préférés des jeunes. En même temps, on va vers plus d’individualisation. C’est moi en tant qu’individu qui attend quelque chose de l’État. Ce qui me fait douter d’un mouvement social type 1995 : les Français ne croient plus vraiment que l’action collective puisse faire plier un gouvernement et faire changer les choses. La dernière fois qu’une mobilisation initiée par les syndicats a fait reculer le gouvernement, c’était en 2006 avec les manifestations contre le contrat première embauche. À l’inverse, en 2010, il y avait beaucoup de monde dans la rue contre la réforme Fillon. Et elle est passée.

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On explique souvent l’appétence pour la retraite par le manque de sens du travail, et c’est aussi vrai pour certains cadres qui n’ont aucun pouvoir de décision. Reste que le travail, c’est le passage à l’âge adulte, à l’autonomie. Or, l’idée qu’il y a une dignité dans le seul fait de subvenir à ses besoins est en perte de vitesse.

Oui, la demande de sens et d’intérêt monte. Il faut que le travail soit désirable. Rappelez-vous le tailleur de pierres de Péguy : il ne dit pas « je taille des cailloux » mais « je bâtis des cathédrales ». Mais il y a autre chose : le travail doit être « instagramable » – terme détestable, mais qui illustre très bien notre société –, il faut pouvoir le raconter aux autres.

Cependant, la question du sens du travail reste reléguée derrière celle de sa récompense. L’injustice insupportable n’est pas d’être au chômage, mais d’avoir un emploi qui paie mal. Dans un contexte où le couple maudit inflation/pouvoir d’achat écrase tout, quand on interroge les jeunes, les salariés sur leurs motivations, la rémunération reste à un niveau extrêmement élevé. Ce qui a changé, je le répète, c’est la recherche d’un équilibre entre sphère professionnelle et sphère privée. L’étanchéité entre les deux a complètement explosé chez les jeunes salariés qui affirment majoritairement que leurs collègues sont avant tout leurs amis.

Il y a aussi une autre dimension : Jérôme Fourquet a observé qu’une des grandes différences entre les électeurs de Le Pen et ceux de Macron tenait à l’autonomie. L’électeur de Le Pen a un petit chef sur le dos. Pour beaucoup de gens, la retraite signifie justement ne plus avoir le petit chef sur le dos.

C’est un vrai sujet. Si tant de salariés français sont si friands de télétravail, c’est parce qu’il permet la mise à distance du petit chef.

Le même mot, travail, désigne au moins deux mondes : le salariat et tout le reste (indépendants, intérimaires, free-lances, etc.). Le salariat perd-il sa suprématie ?

Le CDI reste prépondérant dans l’univers des actifs. Toutefois, il y a une progression qualitative et quantitative du CDD, notamment chez les jeunes qui ne le voient plus comme une source de précarité, mais de liberté. De plus, ils ne sacralisent plus le CDI car ils comprennent qu’il n’est plus une garantie. Et puis, il y a tous les contrats dont vous parlez. À la fin des années Sarkozy, dans un contexte de chômage massif, une enquête Ipsos, montrant que le premier souhait des jeunes était d’être fonctionnaires, avait fait un bruit énorme. Aujourd’hui, c’est complètement fini. Ils préfèrent multiplier les expériences, passer d’un statut à un autre.

Les indépendants ont plus le sentiment que les salariés qu’ils travaillent pour eux – même si c’est très largement faux.

Quand on travaille sur les mots préférés des Français, jusqu’à 35 ans, c’est le mot égalité qui l’emporte nettement, mais chez les actifs de 35 ans et plus, c’est le mot liberté. Cependant, avec le Covid beaucoup pensent que l’entreprise les a protégés. Finalement, cette crise sanitaire a rasséréné une grande partie du salariat.

les retraités votent plus que la moyenne et peuvent faire basculer une élection. À l’exception de Mitterrand et Hollande, tous nos présidents étaient majoritaires chez les retraités

Sauf que ce n’est pas l’entreprise qui les a protégés, mais le contribuable.

En effet, c’est le « quoi qu’il en coûte ». Du coup, cette période a aussi aggravé les inégalités de protection et de statut entre les différents types de métiers et de secteurs.

Revenons à l’assistanat. Il y a toute une France qui, sans demander beaucoup, s’est habituée à vivre du RSA et de petits boulots au noir.

Oui, on n’en parle pas assez. D’ailleurs, l’une des propositions les plus populaires du candidat Macron, c’était de conditionner le versement du RSA à quelques heures de travail. Cela crée un nouveau clivage entre la droite et la gauche, mais aussi au sein de la gauche. De manière générale, les Français portent un regard très sévère sur les allocataires du RSA. Borne n’avait aucun intérêt à reculer sur la baisse plus rapide des allocations-chômage dans le temps, qui suscitait un consensus très net dans l’opinion publique. Il reste une forme de sacralisation de la valeur travail, même si elle n’est plus centrale. D’ailleurs, soyons honnêtes, beaucoup  de gens éligibles au RSA ne se font pas connaître. Il y a sans doute un problème d’accès mais aussi une question de fierté.

Et quid du revenu universel, cher à Benoît Hamon ?

On a testé cette idée en 2017, une petite majorité y était favorable. Toutefois, il y avait de gros doutes sur sa faisabilité et sur le risque de dévaloriser le travail. En revanche, l’impôt universel est massivement soutenu par les Français. Entre 2010 et 2022, la proportion de foyers payant l’impôt sur le revenu est passée de 55 % à 45 %. Pour être citoyen grec, il fallait être Grec et payer l’impôt. C’est un vrai problème qui participe de celui de l’assistanat.

Résultat, les classes moyennes pensent que la France qui bosse entretient celle qui ne bosse pas.

Cette perception est partagée par une nette majorité de Français, y compris à gauche.

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Le RN a-t-il politiquement raison d’en rajouter sur le thème de la loi « sadique et cruelle » ?

Le RN observe que son électorat est composé de catégories populaires qui seront plus affectées par cette réforme que Frédéric Dabi ou Élisabeth Lévy qui seront enchantés de travailler jusqu’à 65 ou 67 ans, voire plus. Or, il est vrai que cet électorat a déjà été le plus touché par la réforme Fillon. Pour les cadres supérieurs qui ne partaient jamais à 60 ans, cette réforme était une blague ! En mai 2021, nous avons demandé aux Français quelle était la réforme de la décennie Mitterrand qui les avait le plus marqués : la retraite arrivait nettement en tête. Dix ans plus tôt, c’était l’abolition de la peine de mort.

Vous l’avez noté, la retraite aggrave les inégalités de la vie active. Reste qu’en moyenne, le revenu des actifs est à peu près égal au revenu des inactifs. Cela pose un problème de solidarité intergénérationnelle. D’un côté, il y a des jeunes ménages qui triment, n’arrivent pas à se loger, limitent leur nombre d’enfants et de l’autre, des retraités qui font des croisières.

C’est très juste, mais vous oubliez la dimension de clientèle électorale. En 2017, Macron a vaguement essayé de « mettre les retraités à contribution » avec la CSG et le projet de désindexer les pensions de l’inflation qui était pourtant très faible : rappelez-vous le tollé ! Et la protestation n’est pas venue des seuls retraités, mais de l’ensemble des Français qui se voient tous en futurs retraités. N’oubliez pas que les retraités votent plus que la moyenne et peuvent faire basculer une élection. À l’exception de Mitterrand et Hollande, tous nos présidents étaient majoritaires chez les retraités.

Finalement, sommes-nous une nation réfractaire au travail ?

Je ne pense pas, c’est seulement une question de curseur, de place, de finalité du travail et de récit autour du travail. Mais il est injuste de dire que les Français ne veulent plus travailler.


[1] « Les jeunes et la valeur travail », 9 décembre 2022, ifop.com.

Prison: le plan A

A comme abolition, bien sûr.


Nous y sommes. En tout cas, il semble bien que nous nous y dirigions insensiblement.  On aurait tort de se contenter de diagnostics de laxisme ou de dysfonctionnements judiciaires lorsqu’on constate que tel criminel n’effectue que trois ou quatre années d’incarcération sur les douze ou quinze que prévoyait sa condamnation.

En profondeur, il s’agit de bien autre chose. Tout un lobby, encore vaguement souterrain, est à la manœuvre, nourri, animé par un courant idéologique déjà ancien mais revigoré par l’actuelle vague de wokisme. Selon les tenants de ces doctrines, on le sait, le vrai coupable n’est pas le condamné mais la très vilaine société qui l’a amené là, derrière les barreaux. Horrible corps social fauteur d’inégalités féroces, d’oppression obsessionnelle du fort sur le faible, du riche sur l’impécunieux, du patron sur le travailleur. Et désormais, wokisme oblige, du mâle blanc sur tout ce qui bouge ou peu s’en faut.

Cette conception-là perdure, savamment entretenue et distillée dans certains milieux dits intellectuels, mais aussi dans une frange non négligeable de la magistrature. Ce qu’il faut décrypter, par exemple, dans la suppression des peines planchers par Mme Taubira en son temps, c’est en réalité l’amorce, encore discrète, de  la mise en œuvre de ce fantasme : l’abolition de la peine tout court. Et donc, à terme, l’abolition de la prison. Vétusté, insalubrité, promiscuité inhumaine, bouillon de culture de la récidive, violence terrifiante, tout est mis en exergue – si ce n’est  hypocritement et cyniquement entretenu ? – pour que nous soyons amenés un jour ou l’autre à cesser de voir dans l’incarcération une possible réponse. Il faut que nous en arrivions à avoir honte de recourir à cette forme de châtiment. Non seulement, que nous ayons honte, mais aussi que nous nous sentions  « coupables » de tolérer encore de telles pratiques.

Autrement dit, l’enjeu, pour ces âmes bienveillantes et vertueuses, est de réussir avec la prison ce qui a été si bien réussi avec le bagne. Obtenir le rejet consensuel de ce qui était devenu, de facto, inacceptable pour les populations à un moment donné de leur histoire. Si tel n’est pas le but recherché, comment expliquer alors la si piètre volonté politique de doter le pays d’un parc pénitentiaire, humainement décent, bien évidemment, mais en réelle cohérence avec le degré de délinquance que nous avons atteint ces derniers temps ? Et qui, probablement, ne fera que croître et embellir dans les années qui viennent ?

Barbarie au village

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Traces, un film de Tiago Guedes, en salles demain


Le cinéma portugais actuel emprunte bien souvent des chemins non balisés. Ce qui aiguise la curiosité. Telles ces Traces sur lesquelles nous entraîne le cinéaste Tiago Guedes, dans un film étrange, écrit en collaboration avec Tiago Rodrigues, l’ancien directeur du Théâtre national D. Maria de Lisbonne, aujourd’hui à la tête du festival d’Avignon.


La scène du drame est un village du nord du Portugal. Traces s’ouvre sur un long prologue, dans un format d’écran réduit : au jour de la traditionnelle « fête du vent », bacchanale semi-païenne, les jeunes mâles costumés de plumes et cagoulés de toile de jute débondent leurs hormones dans une parade virile, porteuse de possibles exactions.

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Un adolescent, Laureano, y est molesté, sur le pavé, par ses congénères en transe. Générique. Le format de l’écran s’élargit : 25 ans ont passé. Laureano, devenu le « dingo » du village suite à ce tabassage, vit dans une masure avec sa meute de chiens. L’omerta sur cet épisode perdure, tandis qu’un champ d’éoliennes hors d’échelle a poussé dans ce paysage sans grâce, au sommet d’une de ces collines boisées qui ceinturent le bled, que la friche d’un lotissement à l’abandon est venu enlaidir, et qui s’est même doté d’un abattoir industriel… Désormais adultes, les natifs du lieu ont eux-mêmes essaimé de petits ruraux désœuvrés, adolescents aux airs de petites frappes de banlieues, qui s’amusent à lapider Laureano… La ruralité telle qu’en elle-même, en ce début du XXIème siècle.

Comme jadis, pourtant, le village se prépare à la « fête du vent » : bal, feu d’artifice… Le récit s’installe, sans la moindre musique, dans une lenteur concertée faite de longs plans fixes composés avec grand soin. Puis, le récit s’étoffe d’une sourde inquiétude, qui trouvera son climax dans la mort du jeune Pedro, apparemment dévoré par les chiens…

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On se gardera de déflorer les péripéties de ce singulier thriller de cambrousse dont les comparses, unis dans un rapport scabreux à la vérité, ourdissent une loi du silence dont le pauvre Laureano sera, une fois encore, l’otage sacrificiel…

Traces. Film de Tiago Guedes. Durée : 2h07. En salles le 8 février 2023.

Ballon chinois: une bagatelle pour une guerre froide

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Face aux Chinois, Biden ne se dégonfle pas. Retour sur le psychodrame du week-end autour de l’OVNI chinois…


Après tout, cette folle histoire autour du ballon chinois est une histoire de guerre froide avant tout. Cette pale caricature de l’affaire U-2 est une anecdote typique d’un climat de tensions entre deux puissances (souvenez-vous de cet avion espion américain, volant à peu près à la même altitude que le ballon chinois de ce week-end, et abattu par les Soviétiques en 1960).
Les technologies impliquées ne sont pas très avancées, et, puisque l’engin concerné n’est pas piloté, il n’y a eu ni mort ni prisonnier.
Pourtant, l’incident est spectaculaire, au sens propre comme au figuré. De l’annonce du survol de l’État du Montana et de ses bases stratégiques, jusqu’à son interception par un F-22 au large des côtes de l’État de Caroline du Sud, la planète a pu suivre la trajectoire stratosphérique du dirigeable au-dessus du continent américain. L’objet volant et l’objet médiatique ont occupé les télévisions et les opinions publiques mondiales.

Gros comme trois autocars

Avant de parler des dimensions politique et géopolitique de l’incident, que dire du fond de cette affaire ? Il y a une semaine, les autorités américaines ont repéré ce dirigeable gros comme trois autocars : il aurait pénétré dans l’espace aérien américain au niveau des îles Aléoutiennes (à l’ouest de l’Alaska). Le dirigeable, identifié comme chinois (et reconnu comme tel par la Chine), est alors qualifié par les autorités américaines de moyen de renseignement militaire. Il porte une charge utile composée d’un ensemble d’équipements de mesures et/ou de surveillance. Les Chinois font alors savoir qu’il s’agit d’un engin civil dont l’objectif est de recueillir des informations météorologiques. Après la destruction du ballon, les Chinois ont exprimé leurs vives protestations, et ont limogé le patron du service national de météorologie. Leur message est donc: les Américains font tout un plat de la maladresse d’un fonctionnaire ! Pour le moment, on n’en sait pas beaucoup plus, si ce n’est qu’il est avéré que les Chinois n’ont pas informé les Américains en amont du passage de leur ballon – ce qu’on aurait attendu d’eux dans le cas d’un engin météorologique hors de contrôle.

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Si les Chinois mentent, qu’espéraient-ils d’un tel survol ? Il est peu probable que les informations recueillies – s’il s’agit bien d’un moyen de renseignement militaire – soient de qualité nettement meilleure que celles glanées par les satellites. Or, la Chine possède une solide constellation de satellites d’espionnage : les Yaogan. Mais tout comme pour le fameux ballon qui a agité les esprits ce week-end, les Chinois prétendent que leurs moyens satellitaires d’observation de la Terre servent exclusivement à l’évaluation des récoltes, à la prévention de catastrophes naturelles, à la planification urbaine ou la recherche scientifique… Cependant, compte tenu de leur orbite, des instruments qu’ils portent et du rythme des lancements, il s’agit bel et bien de satellites à usages militaires. Les satellites survolant la Terre à une altitude de 160 km couvrent systématiquement et régulièrement les régions qui ont un intérêt stratégique pour Pékin. Il n’est pas sûr que le ballon ait pu glaner des informations plus sensibles qu’eux. Il est cependant vrai que les ballons peuvent s’attarder au-dessus de sites présentant un intérêt particulier. Mais, à 20 kilomètres d’altitude, ils ne sont pas non plus complètement stationnaires, et restent soumis aux vents d’altitude.

Les Etats-Unis ont exploité au mieux une erreur des Chinois

Selon les Américains, les Chinois ont envoyé en mission 20 à 30 ballons similaires au cours de la dernière décennie, dont cinq ont déjà fini leur tour du monde. Deux autres ballons sont d’ailleurs en mission, aujourd’hui même, dont un qui a survolé tout récemment le nord de l’Amérique latine. Voilà qui est intéressant. Cette dernière information est probablement la plus importante dans cette affaire. Contrairement à ce qui était insinué par la couverture médiatique, ce n’est donc pas du tout la première fois qu’un tel incident a lieu. Voilà des questions pertinentes : pourquoi un tel drame, cette fois-ci ? Et, s’il s’agit vraiment de ballons espions, quel est l’intérêt à survoler la Colombie ?

Théâtre à Washington et guéguerre froide

Nous n’avons pas échappé à un sketch comique entre Républicains et Démocrates.
Des élus républicains ont par pur opportunisme critiqué le président Biden quant à sa faiblesse vis-à-vis de la Chine. L’un d’eux a même appelé à sa démission. Le sénateur de la Floride, Marco Rubio, a tweeté que « si Biden ne veut même pas abattre un ballon, il ne fera rien si la Chine prend des territoires à l’Inde ou au Japon ou envahi Taïwan ». Le Pentagone a répliqué à toutes ces critiques, en indiquant qu’au moins trois ballons avaient survolé les États-Unis pendant la mandature Trump. Et qu’aucun n’avait alors été abattu !

Bref, plus on sait, moins on comprend. Pour le porte-parole du département d’État américain, la « violation claire de la souveraineté américaine » par la Chine rendait « inappropriée » la visite en Chine du secrétaire d’Etat Antony Blinken prévue cette semaine. Le déplacement de Blinken aurait pu annoncer qu’une page était tournée dans les dissensions sino-américaines. Au lieu de cela, les récents événements n’ont fait que souligner l’importance de ces tensions.

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Quelles conclusions peut-on tirer de cette affaire ? Tout d’abord, qu’elle n’est pas si grave: les Chinois ne sont pas beaucoup plus renseignés sur les États-Unis qu’il y a 15 jours. En revanche, dans ce petit jeu sans fin de guerre froide, les Etats-Unis ont exploité au mieux une erreur des Chinois. Dès que le ballon est entré dans l’espace aérien américain, Washington a eu la main et a pu décider comment jouer. Gérer l’affaire discrètement, ou en faire un psychodrame ? C’est l’option 2 qui a été choisie: exploiter au maximum la bourde chinoise, et mettre Xi Jinping dans l’embarras alors que le début du troisième mandat du président chinois est déjà semé d’embuches.

Quiconque connait un peu la façon dont fonctionne la Chine sait qu’il est en réalité probable que Xi et les autres dirigeants chinois ignoraient presque tout de ces dirigeables. Quel intérêt à créer des tensions, et pourquoi le faire ainsi ? Comme tous les leaders du monde, Xi ne contrôle pas tout et n’est pas omniscient. Même si, contrairement à la majorité des autres dirigeants de la planète, il essaie de faire croire qu’il sait et maîtrise absolument tout. Surpris, les Chinois ont dû réagir vite, une autre chose qu’ils n’aiment pas faire. Les Américains ont donc bien joué la partie:ils ont marqué un point dans un très long match, dont le score final se mesurera en milliers de points.

Guerre russo-ukrainienne: en attendant l’offensive

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Kiev, 7 février 2023 © Daniel Cole/AP/SIPA

L’incertain printemps ukrainien


Après presque trois mois sans manœuvre majeure, relativement calmes en dehors de Bakhmout, à quelques semaines de la fin de l’hiver, les deux camps parachèvent la reconstitution de leurs forces. Petit à petit, les contours des opérations probables se précisent.

Après les offensives ukrainiennes réussies d’aout-novembre à Kharkiv et à Kherson, l’armée russe a commencé l’hiver dans une situation de vulnérabilité. La mobilisation lancée fin septembre a permis de stabiliser les lignes russes, de relever des effectifs du front et de constituer des réserves. Par conséquent, en termes d’effectifs, l’Ukraine ne bénéficie plus d’un avantage significatif. Sous le commandement du général Sergueï Sourovikine, les forces russes ont adopté une stratégie défensive, appuyée sur la reconstitution de leurs forces et le retranchement. Ces actions ont été accompagnées et couvertes par une campagne de frappes contre les infrastructures critiques de l’Ukraine, au moyen de missiles longue portée, et d’une offensive continue à Bakhmout – largement exécutée par les miliciens de Wagner, notamment avec les fameuses troupes issues du système carcéral russe.

Des effectifs russes pléthoriques

Depuis le lancement de la mobilisation, la Russie a probablement doublé ses effectifs déployés en Ukraine. Ses revers (l’abandon de la ville de Kherson en est le plus significatif) lui ont permis de considérablement réduire et simplifier le front défendu, ainsi que de libérer les hommes du matériel. Les Ukrainiens estiment les forces russes à 320 000 hommes, incluant les forces sous drapeaux de Louhansk et Donetsk, ainsi que les hommes de Wagner et de Khadirov. Le spécialiste américain, Michael Kofman, juge cette estimation exagérée et évalue de son côté les effectifs russes à quelques 250 000 hommes. Les Russes peuvent également compter sur 150 000 autres hommes mobilisés dans le pays, pas encore déployés en Ukraine, mais relativement disponibles. Si les Russes semblent avoir résolu pour le moment le problème des effectifs, la question du niveau de préparation et de la qualité de ces unités reste entière.

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Pour ce qui concerne leurs capacités à mener un combat défensif, il est difficile en ce moment d’évaluer les lignes et dispositifs défensifs russes, car ils n’ont pas encore été (véritablement ?) testés. Pas de doute en revanche sur la capacité russe à disposer d’effectifs adéquats ni à pouvoir fournir des stocks de matériel pour équiper les hommes. Mais la qualité des unités russes semble toujours être faible. Ce problème est d’autant plus handicapant quand il s’agit du potentiel offensif. Par conséquent, les unités mobilisées russes peuvent probablement mener une défense tenace, mais elles seront moins susceptibles d’exécuter des opérations offensives interarmes de grande envergure. Sur ce point, il est manifeste que les hommes mobilisés n’ont pas vraiment remplacé les soldats professionnels perdus depuis le 24 février 2022.

Les forces russes dépendent toujours de troupes aéroportées (VDV, Vozdushno-desantnye voyska) et de l’infanterie navale, leurs meilleures unités, en tant que réserve pour les contre-attaques ou forces d’assaut pour les offensives. Ces unités aussi semblent avoir perdu une partie de leur efficacité en raison des pertes qualitativement non remplacées.

Les Ukrainiens sur le point de lâcher Bakhmout ?

Sur le terrain, la situation autour de Bakhmout, après la chute de Soledar, est de plus en plus difficile pour les Ukrainiens, et il n’est pas exclu qu’ils finissent par se retirer de cette ville. Cependant, l’Ukraine dispose de solides lignes défensives (Sloviansk / Kramatorsk), tandis que la Russie ne semble pas avoir les moyens de maintenir un élan et d’exploiter ce succès possible.

Ayant perdu Izioum et Lyman en septembre, la Russie n’a plus la possibilité de développer depuis le nord une attaque de soutien dans le Donetsk. Gagner Bakhmout offre des opportunités pour la Russie, opportunités qu’elle n’est pas dès lors, en mesure d’exploiter.

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Si la ville de Bakhmout en elle-même est géographiquement importante, sa valeur est surtout symbolique et politique. Les deux camps ont énormément investi dans cette bataille, et renoncer sera difficile. En même temps, une bonne partie de la défense de Bakhmout semble reposer sur des unités de la Force de défense territoriale ukrainienne, de la Garde nationale et la Légion de volontaires étrangers, ce qui suggère que l’Ukraine tente d’épargner ses meilleures unités et de les préserver pour la suite. Cette observation permet aussi de mieux comprendre les succès de Wagner et les pertes des Ukrainiens. La meilleure illustration de l’état actuel des capacités offensives russes, ce sont leurs difficultés à percer vers Sloviansk et Kramatorsk. Huit mois après avoir pris Lyssytchansk, fin juin, et face à des unités ukrainiennes peu qualitatives, les Russes sont toujours à Bakhmout !

Globalement, il semble que la bataille pour Kreminna est plus importante que celle de Bakhmout. L’Ukraine a progressé dans ce secteur jusqu’à la contre-attaque du VDV de la 76e division d’assaut aérien de la Garde. La bataille continue et pour rappel, pour l’Ukraine, une percée de la ligne Svatove-Kreminna peut éventuellement mener au centre logistique russe de Starobilsk.  

Comme on peut le comprendre, le Donbass reste au cœur des opérations militaires russes. Il est donc probable que les offensives russes aient pour objectif la prise de ce territoire. On peut donc s’attendre à des efforts au nord (Koupiansk) et aussi vers le sud du front, autour de Vuhledar, un secteur où l’activité augmente. Mais là aussi, les meilleures unités russes, le VDV et l’infanterie de Marine, ont essayé sans succès de prendre Vuhledar.

Que va faire l’Ukraine ? D’un point de vue purement militaire, l’Ukraine pourrait attendre l’offensive, l’encaisser et, une fois le potentiel offensif russe épuisé, reprendre l’initiative. Mais à Kiev, l’État-major hésite beaucoup : jouer la montre et attendre l’adversaire semble à certains plus risqué encore que de lancer une offensive, même si tous les équipements occidentaux ne sont pas encore livrés et entrés en service opérationnel. 

Nos gouvernants devraient lire Flaubert

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Olivier Véran, ministre délégué chargé du Renouveau démocratique, porte-parole du gouvernement, Paris, 30 janvier 2023 © JEANNE ACCORSINI/SIPA

Mais savent-ils seulement lire?


En ce début d’année morose, alors que « le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle » sur la tête des Français sommés de plébisciter une réforme des retraites aussi inévitable que mal ficelée, j’avais opté pour le repli…

Abîmée dans la lecture de la Correspondance de Flaubert, souvent agréablement accompagnée d’un verre de purée septembrale, j’attendais la reverdie. Mutique je cultivais ma misanthropie.

Jusqu’à la lettre de Flaubert à Louise Colet, datée du 22 septembre 1853, tout allait bien pour moi comme pour mon chat. Mais, dans cette épître, l’Ermite de Croisset s’est mis à vitupérer son siècle avec la verve qu’on lui connaît et c’est alors le mien que j’ai reconnu : « 89 a démoli la royauté et la noblesse, 48 la bourgeoisie et 51 le peuple. Il n’y a plus rien, qu’une tourbe canaille et imbécile. – Nous sommes tous enfoncés au même niveau dans une médiocrité commune. L’égalité sociale a passé dans l’Esprit. On fait des livres pour tout le monde, comme on construit des chemins de fer et des chauffoirs publics. L’humanité a la rage de l’abaissement moral. »

Les propos d’Olivier Véran, étaient, je l’ai dit, émaillés de vocables à tonalité tout aussi familière que démagogique, les verbes et locution verbale suivants: «bosser», «virer», «faire capoter le truc» généreusement employés, les répétitions abondantes…

Le bougre d’homme a précisé, dans une autre missive à sa Louise : « Je pense souvent avec attendrissement aux êtres inconnus, à naître, étrangers, etc., qui s’émeuvent ou s’émouvront des mêmes choses que moi. » Il ne m’en fallait pas plus pour me tirer de ma… retraite et décrire l’ambiance française actuelle à notre homme prophétique.


Cher Flaubert,

Tu n’as pas connu le prix Nobel de littérature et ça tombe bien, tu ne l’aurais jamais eu ! Annie Ernaux et Virginie Despentes flanquées de toutes nos écrivaines de talent auraient ardemment pétitionné pour que soit définitivement évincé de la scène littéraire un goujat tel que toi, capable d’écrire à une femme les saletés dont tu abreuvais Louise. Ta Bovary, elle-même, aurait signé ladite pétition des pieds et des mains. Attends un peu qu’un « sensitivity reader» mette le nez dans tes lettres de macho réac : « Ne sens-tu pas que tout se dissout maintenant par le relâchement, par l’élément humide, par les larmes, par le bavardage, par le laitage. La littérature contemporaine est noyée dans les règles de femme. » Ça va caviarder sec, mon garçon ! A-t-on idée, aussi, de débiter pareilles sottises à une femme ? Apprends que les femmes sont désormais des hommes comme les autres.

A lire aussi: «Sensitivity readers»: bienvenue dans le meilleur des mondes littéraires

Mon cher Gustave. Tu ne mesures pas l’étendue de la panade dans laquelle nous nous trouvons. Notre époque est Hénaurme et elle déclencherait chez toi, tout en te dégoûtant par sa bêtise infinie, un rire homérique. Depuis que tu as tiré ta révérence, nous avons appris à courber l’échine et nous nous fustigeons sans cesse pour avoir contribué à tous les malheurs de ce monde.

Cher Maître, sache que tous les procureurs Pinard sont désormais de sortie. Il s’agit de faire taire les malheureux qui s’écartent de la doxa de Pangloss : « Les choses ne peuvent être autrement : car tout étant fait pour une fin, tout est nécessairement pour la meilleure fin. » Nous sommes sommés, donc, de répéter comme un mantra que tout va bien et de louer les décisions de nos dirigeants, démocratiquement élus, il faut bien en convenir. Tous ceux qui n’adhèrent pas au récit national sont estampillé fascistes et plus ou moins condamnés à une mort sociale. Quelqu’un que tu goûtes particulièrement dirait que nous vivons actuellement « une histoire dite par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien. »

Ce qui te désolerait le plus, je crois, c’est le déclin intellectuel général. Le comportement de la classe politique, élue par nos soins, en est, tu vas le voir, le plus parlant exemple. Laisse-moi plutôt t’affranchir, en cette énième semaine de « tous les dangers » qu’affronte la France, alors qu’on examine, à l’Assemblée nationale, une nouvelle réforme des retraites pour le moins impopulaire et qu’un projet de loi sur l’immigration a été présenté le premier février en Conseil des ministres. Voici l’occasion rêvée pour les distingués rhéteurs que sont nos députés de s’empoigner comme une bande de harengers. On sera très attentifs à leurs joutes élégantes et subtiles puisque notre Prudent de la République ne nous anesthésie plus avec les discours abscons dont il a le secret. On ne l’entend plus pérorer gravement. Aurait-il renoncé à enfiler des mots qui sonnent aussi creux que des molaires gâtées ?

Patience, il reviendra. Il laisse juste ses vassaux monter au front tandis que nos députés rivalisent d’arguments étiques exprimés dans un français indigent pour faire valoir des causes fumeuses. Il ne s’agit, pour nos élus, que de satisfaire leurs pulsions histrioniques. Ainsi, Sandrine Rousseau, après s’être préoccupée de la retraite de Mbappé, met en garde contre toute alliance avec le RN : « parti qui fricote avec le fascisme, qui est fascisant ! ». Elle poursuit : « Quand on vote RN, je dis qu’on a une complicité avec ça, oui. Et c’est un problème. Et ce n’est pas vrai que le vote n’implique pas de responsabilité. Aujourd’hui, les personnes qui votent pour le RN ont une responsabilité dans la montée de ce mouvement et dans la haine qu’il diffuse. Notamment auprès des personnes étrangères. » Quant à Marine Tondelier, fraîchement élue sectaire, pardon secrétaire nationale d’EE-LV, elle, estime que face à l’urgence climatique, la désobéissance civile, pourvu qu’elle soit non violente est un mode d’action nécessaire. Pour la réforme des retraites, elle n’hésite pas à affirmer : « On va faire la ZAD à l’Assemblée. »

A lire aussi, Emmanuelle Ménard: Ma vie à l’Assemblée

Gustave, tu expliquais aussi à Louise : « Les héros pervers de Balzac, ont, je crois, tourné la tête à bien des gens. La grêle génération qui s’agite maintenant à Paris, autour du pouvoir et de la renommée, a puisé dans ces lectures l’admiration bête d’une certaine immoralité bourgeoise, à quoi elle s’efforce d’atteindre. » Ah, si tu connaissais Olivier Véran ! Interrogé dimanche sur les réformes en cours par Sonia Mabrouk, Nicolas Barré et Mathieu Bock-Côté, justes dans leurs questions et policés dans leur propos, le porte-parole du gouvernement nous a régalé d’un discours sans âme et souvent sans queue ni tête, débité avec des mines de bonimenteur et un laisser-aller langagier déplacés. Il croyait sans doute, en jouant sur une connivence incongrue, s’attirer la sympathie d’un spectateur limité.

Sans sourciller, il nous a causé « tuyauterie » et « mécano budgétaire » pour rassurer quant au financement des retraites, et précisé que la loi immigration reposerait sur la curieuse alliance de « l’humanisme » et du « pragmatisme ». Les propos d’Olivier Véran, étaient, je l’ai dit, émaillés de vocables à tonalité tout aussi familière que démagogique, les verbes et locution verbale suivants : « bosser », « virer », « faire capoter le truc » généreusement employés, les répétitions abondantes.

Mais, ce qui t’aurait le plus étonné, c’est la limpidité des réponses qu’Olivier Véran apportait aux questions posées. Vois plutôt ! Quand Sonia Mabrouk lui a demandé, à propos du rapport des Français au travail : « Ça veut dire quoi, visibiliser un débat ? » (Qu’elle soit louée pour cette tentative de faire advenir la lumière.) Voici la réponse de notre palabreur : « Ça veut dire être capable de brasser, dans la société, l’ensemble des données, l’ensemble des attentes des Français liées au travail et d’être capable de se dire collectivement que oui le travail est précieux, que oui le travail, on le valorise. » Autant dire qu’on restera dans les ténèbres…

Cher Maitre, je vais clore ici ma missive. Je doute fort que tu souhaites plus de détails, toi qui écrivais en 1853 : « Mais quoi dire ? De quoi parler maintenant ? Cela ira en empirant. (…) J’aime mieux le néant que le mal et la poussière que la pourriture.

Et puis on se relèvera ! l’aurore reviendra ! Nous n’y serons plus ? Qu’importe ? »

Avec tout mon respect et mon admiration,

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Éloge de la paresse ou du travail? Il faut choisir!

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Le mérite n’a plus la cote à l’Éducation nationale depuis longtemps. Cela a des répercussions désastreuses dans les entreprises.


On pourrait donc « aimer sa boîte » (69% des Français actifs, selon le sondage 2022 OpinionWay), donc aimer aller au travail… et ne pas aimer travailler ?

Certains accusent notre civilisation d’être fondée sur l’obsession des jeux et des réseaux sociaux, ce qui aurait contribué à détruire le goût du travail, ou le plaisir au travail, ce qui n’est pas exactement la même chose !

Voilà qui devrait nous interpeller sur l’esprit de compétition, car le jeu est avant tout une compétition.

La compétition passée de mode

Quand on joue, il y a des gagnants et des perdants, une excitation liée à la victoire possible, à la stratégie à mettre en œuvre, un effort physique, sportif ou intellectuel et une mobilisation des connaissances. Et si nous apprécions aussi tous ces sports de compétition qui déclenchent chez les spectateurs des poussées d’adrénaline recherchées, l’Education nationale a pris simultanément un chemin totalement opposé, s’appliquant à réduire, voire à détruire la compétition à l’école.

Au nom d’un pseudo désir égalitaire, on a renoncé à comparer les élèves.  

Notre chroniqueuse Sophie de Menthon, présidente du mouvement patronal ETHIC. Photo : DR

Comparer c’est discriminer. Ainsi a-t-on supprimé peu à peu les notes, les remplaçant par des lettres dans de nombreux établissements scolaires, adoucissant les appréciations afin de ne pas « stigmatiser » (ah ! le grand mot !) les mauvais élèves, apprenant au passage aux bons élèves qu’ils n’avaient finalement pas plus de valeur que les moins bons. On a supprimé le qualificatif de « paresseux ». Finis les livrets scolaires ou l’élève était qualifié comme tel. Il n’y a plus d’enfants paresseux : ils ne sont « pas motivés », c’est tout, ou insuffisamment impliqués. Les parents, alors rassurés, ont vite conclu que c’était le professeur qui n’était pas motivant et forcément responsable des mauvais résultats de leur progéniture talentueuse.

Cancre ou haut potentiel intellectuel brimé?

D’ailleurs, dans le même ordre d’idées, un cancre absolu est souvent classé comme surdoué, ce qui explique son inattention et son manque d’intérêt car il est au-dessus du niveau de ce qu’on lui apprend. Cela permet de se vanter d’avoir un cancre ! Quant aux classements, n’en parlons plus, le classement est forcément partial – injuste même. On préfère douter du correcteur, ou reprocher les sujets pas assez étudiés en classe avec le professeur avant les examens. Nous sommes tombés, tranquillement, avec persévérance, dans la culture de l’excuse. Peu à peu, on en est venu à victimiser les élèves qui n’ont pas des résultats satisfaisants. Tout est bon : l’inégalité des chances, le milieu social, les difficultés de couple des parents, l’astreinte du travail personnel… Les devoirs à la maison sont désormais très mal vus, quand on ne les a pas carrément supprimés, l’effort personnel étant trop important. En plus, tarte à la crème culpabilisante, il parait qu’on manque de moyens dans les familles « non privilégiées » pour aider les enfants. D’où la gratuité d’une palanquée d’aides sociales, au passage. Il ne faut surtout pas culpabiliser les parents qui n’ont pas le niveau ou qui ne prennent pas le temps pour aider leurs enfants.

A lire aussi, du même auteur: J’aime les hommes…

En un mot : nous assistons à la déconstruction de tout un système qui avait fait le succès de la promotion républicaine. Fini le temps où l’enfant méritant passait de l’école communale de son village au lycée de la ville, parce qu’il avait fait montre de ses capacités. Et je reste encore stupéfaite de l’exemple de Diane, rentrant de l’école, et nous racontant qu’il y avait eu quatre équipes pour effectuer un devoir sur table dans la classe, récompense à la clé, et que son équipe avait gagné ! Heureux, nous lui avons demandé qu’elle fût cette récompense et si son équipe se l’était partagée ? Sa réponse nous a laissés sans voix : « Non ! Ce sont les derniers qui ont eu la récompense, nous on avait déjà la chance d’avoir été les meilleurs… » a-t-elle expliqué, trouvant cela assez normal. C’est probablement ce qu’on appelle la motivation dans l’Education nationale, et certains de penser que c’est finalement très sympathique : la médaille d’or au dernier, il fallait y penser !

Ce phénomène s’accompagne aussi de l’effacement de l’individu au profit du collectif. Le problème, c’est que la responsabilité individuelle disparaît peu à peu.

L’individualisme combattu, le nivellement vers le bas encouragé

On privilégie de plus en plus en classe les « groupes de travail », même si on sait qu’il y en a deux ou trois qui font tout le boulot. A la fin, c’est la même note pour tous. Même chose pour les examens, les professeurs relèvent les notes de tous ou de certains au nom de l’homogénéité des résultats.

Or, tout se joue à l’école et l’incidence de ce nivellement n’est certainement pas sans conséquence sur l’attitude face au travail des Français, et si l’on extrapole, comment s’étonner ensuite du nouvel état d’esprit que je décrivais en introduction? De l’école, on passe avec plus ou moins de transitions au monde de l’entreprise, en un mot au travail. Or, la compétition et sa récompense sont aussi le sel du travail, la satisfaction du dépassement de soi, l’excitation de bien bosser, de réussir!

Peu à peu, le nivellement par le bas est devenu un axe fondamental de justice sociale dans notre pays. Dans l’entreprise aussi, et il est impossible de donner un salaire supérieur à ceux qui ont été plus performants mais qui occupent le même poste, je n’ose dire : à ceux « qui le méritent » ! L’inégalité de traitement peut mener le patron aux prudhommes ! Même la prime doit aller à tout le monde, si l’on exclue bien sûr l’intéressement par contrat.

Certes, ce n’est qu’un paramètre de ce désintérêt du travail et, heureusement, il reste des challenges commerciaux, en particulier dans la vente. Mais c’est tout un état d’esprit qui a basculé, au nom des bons sentiments. On comprend en tout cas que les jeux électroniques – où la compétition maximale est la règle – soient infiniment plus excitants pour nos enfants que l’étude. Parents responsables, école méritocratique : notre relation au travail commence sinon au berceau du moins en classe. Trop d’indulgence et de bienveillance peuvent être les mamelles d’une certaine décadence.

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Ma vie à l’Assemblée

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Emmanuelle Ménard, députée de l'Hérault, dans l'hémicycle, février 2020 © NICOLAS MESSYASZ/SIPA

Que se passe-t-il dans les couloirs du Palais-Bourbon et dans l’Hémicycle lorsque les caméras ne sont plus là ? Grandeurs et petitesses de nos députés…


Rentrée parlementaire

Retour à l’Assemblée après trois semaines passées chez moi, à Béziers et dans les villages de ma circonscription. Une bouffée d’oxygène. Loin de débats souvent stériles, de postures presque toujours insupportables. Cela m’a fait du bien. Je reviens bien décidée à profiter de mon indépendance pour tenter de faire entendre une petite musique différente. Ce ne sera pas facile à la veille d’un débat sur les retraites où faire preuve de simple bon sens vous vaut d’être dénoncé par les bancs les plus à droite et les plus à gauche. Il va falloir tenir le choc. Heureusement, dans les couloirs qui mènent à mon bureau, rue Aristide-Briand, en face de l’Assemblée, les huissiers sont comme toujours prévenants, souriants. Je crois qu’ils aiment bien la petite musique dont je parlais plus haut…

Niche parlementaire du RN: la proposition de loi visant à rendre obligatoire un uniforme scolaire n’a pas été retenue D.R

Attachés parlementaires

On parle peu d’eux. Dommage, parce qu’ils sont tout simplement indispensables, incontournables. Je veux parler, bien sûr, des attachés parlementaires. J’en ai trois. Deux à Paris et un à Béziers. Pendant les vacances parlementaires, nous avons continué à travailler. Pour répondre aux courriers, pour préparer les rendez-vous… la vie ne s’arrête pas avec la fin des sessions. Dans mon bureau de la capitale – comme on dit en province –, nous sommes entassés les uns sur les autres. À ceux qui nous imaginent dans des locaux spacieux, je propose de venir jeter un œil. La République fait attention à son argent et elle a raison. Je ne me plains pas. J’informe, c’est tout. Non inscrite, je ne bénéficie pas des moyens d’un groupe politique. Et, notamment, de ces attachés de groupe justement qui vous mâchent le travail. À nous quatre, nous devons plancher sur tous les projets et propositions de loi. Je dépose des centaines d’amendements par an. Pour préciser, contredire quand il le faut, améliorer même si le texte est porté par un adversaire politique. Souvent, je me sens seule. Mes attachés sont alors un cocon où l’on se tient chaud. Alors que mes voisins de couloir me parlent peu, ça fait du bien…

Niche parlementaire

Le 12 janvier, c’était la niche parlementaire du Rassemblement national. Une niche, c’est une journée durant laquelle un groupe politique décide des propositions de loi qu’il veut faire examiner par l’Assemblée. C’est un moment important, car chaque groupe bénéficie d’une journée… par an. Ce qui est peu. Il faut donc bien choisir les textes qui seront présentés sous peine de se gâcher des occasions… Et des occasions ratées, le RN en a eu un certain nombre durant cette journée. D’abord parce qu’il a choisi certaines propositions de loi qui avaient déjà été déposées par d’autres groupes avant lui. Estimant que, puisqu’il s’agissait de textes consensuels, ils avaient davantage de chances d’être adoptés. Hélas, trois fois hélas, c’était sans compter les réflexes politiciens : avant qu’une proposition de loi portée par le RN soit votée par le reste des députés, les poules auront des dents… Même avec l’appui de la première dame de France, c’est peine perdue. Eh oui, même la proposition de loi visant à rendre obligatoire un uniforme scolaire a fait long feu. Pourtant, hasard ou non, cette mesure avait bénéficié du soutien (involontaire ?) de Brigitte Macron la veille de son examen à l’Assemblée et 59 % des Français y sont favorables. Mais la vieille politique a la vie dure, à l’Assemblée comme ailleurs, et tous les prétextes sont bons pour privilégier les petits intérêts de boutique des partis politiques à ceux des Français. Désespérant…

Adrien Quatennens

Ça y est, il est revenu. Sans bruit. Pour le moment, on ne le voit que dans sa commission (puisque la présence y est obligatoire…). Il en a d’ailleurs changé, probablement du fait de la modification de son statut : je vous l’expliquais le mois dernier, l’ex-député de la France insoumise fait désormais partie des non-inscrits. Sa présence a été annoncée par le président de la commission des Affaires étrangères : « Nous avons le plaisir d’accueillir un nouveau membre, Adrien Quatennens. » Il n’en fallait pas plus pour sonner le tocsin et plusieurs caméras étaient présentes pour l’accueillir à la sortie du bâtiment. Pour la discrétion, c’était raté. Personne ne l’a pourtant encore revu dans l’Hémicycle et surtout pas lors de l’examen de la proposition de loi créant une aide universelle d’urgence pour… les victimes de violences conjugales. On sentait d’ailleurs un léger malaise sur les bancs de la Nupes en début de discussion. Un texte pourtant consensuel, mais qui m’a donné l’occasion de rappeler que les violences conjugales ne concernent pas seulement les femmes, mais aussi les enfants, souvent victimes « collatérales » de ces conflits familiaux, et… les hommes. Un sujet tabou, ces derniers hésitant le plus souvent à porter plainte, par honte sûrement. Avec pour conséquence directe une grosse difficulté à identifier l’ampleur du phénomène. Les hommes victimes de violences sont en effet malheureusement fréquemment poussés au suicide et ne rentrent plus dans le décompte « classique » des victimes de conflits familiaux. Nos féministes de service sont restées étrangement silencieuses sur le sujet…

Réforme des retraites

Pas encore à l’examen au moment où j’écris ces lignes – et même pas encore présentée en Conseil des ministres –, la réforme des retraites fait déjà réagir sur les bancs de l’Assemblée. D’ailleurs, je viens d’apprendre que le groupe MoDem se propose de déposer un amendement pour revenir sur les 35 heures. De quoi, tel un réflexe pavlovien, faire immédiatement bondir les députés de la Nupes, vous vous en doutez. Et probablement pas les dissuader de déposer 1 000 amendements par député, comme ils en ont déjà émis l’intention (la menace ?) ! Eh oui, les mêmes qui se plaignaient de l’obstruction de certains députés qui avaient osé déposer au total… 473 amendements lors de la proposition de loi visant à interdire les corridas ! N’est pas cohérent qui veut. Mais bon, assez ricané, la suite au prochain épisode…

Sainte Brigitte, priez pour eux!

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En 2023, l’Irlande met en place un jour férié dédié à une femme. Une grande première dans le pays. «Le symbole supplémentaire d’un pays en profonde mutation», se réjouit le quotidien français Libération.


Heureux Irlandais, qui bénéficient depuis cette année d’un nouveau jour férié, le 1er lundi de février, en hommage à Sainte Brigitte (Brigid) de Kildare (une fête également connue sous le nom de « Imbolc« ). Soudain regain de foi catholique ? Que nenni: le gouvernement a considéré que le calendrier officiel n’était pas assez paritaire et inclusif. Sur son site internet, on peut y lire que cette journée sera l’occasion de « célébrer la contribution remarquable des femmes irlandaises à travers le monde » et de « réfléchir au rôle vital que les femmes irlandaises ont joué dans la construction de notre nation ». Icône des milieux féministes au pays du trèfle, Sainte Brigitte pourra donc désormais officiellement veiller au bon grain de la parité. Certains, plus pragmatiques, se disent qu’un jour férié est toujours bon à prendre. Leurs prières ont été entendues !

De la révolution à la Terreur racialiste

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Amira Elghawaby est la représentante spéciale du Canada chargée de la lutte contre l' "islamophobie". Capture CBC

« On connaît le dogme du pseudo-antiracisme contemporain, que j’appellerai le dogme inexistentialiste : “Le racisme anti-Blancs n’existe pas.” On est tenté d’ajouter : sauf chez la plupart de ceux qui affirment cet énoncé dogmatique. »

Pierre-André Taguieff, L »’imposture décoloniale« 

Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, défenseur wokiste de toutes les « minorités », vient de nommer Amira Elghawaby au poste de « porte-parole, conseillère, experte et représentante dans les efforts du gouvernement fédéral pour lutter contre l’islamophobie, le racisme systémique, la discrimination raciale et l’intolérance religieuse ». Mme Elghawaby porte le hijab et est réputée être une militante de l’islam rigoriste. Elle est, comme son employeur, une combattante acharnée contre les lois protégeant la langue et la laïcité au Québec. Elle dit être fière de sa nouvelle mission, en particulier la lutte contre la discrimination raciale et l’islamophobie.

La mission de Mme Elghawaby ne prévoit apparemment pas de lutter contre le racisme anti-Blancs ou anti-Asiatiques. Sans doute pense-t-elle que ces racismes-là ne sont qu’une vue de l’esprit. Pourtant…

Ségrégation à Ottawa aujourd’hui…

Le 17 février prochain, au beau milieu du Mois de l’histoire des Noirs (sic), le Centre national des Arts d’Ottawa organisera au Babs Asper Théâtre un spectacle exclusivement réservé aux… Noirs. Les Blancs et les Asiatiques sont invités… à passer leur chemin. Le théâtre prévoit une autre soirée de ce type le 5 mai et explique dans un communiqué de presse que « ces soirées offriront un espace dédié aux amateurs de théâtre noirs pour assister à un spectacle reflétant le kaléidoscope vivant qu’est l’expérience noire » – si j’osais, je dirais que le terme de « kaléidoscope » me paraît assez inapproprié pour un événement destiné à mettre uniquement en valeur des nuances de noir. Si des individus « non noirs » décident toutefois de braver l’interdiction, il est prévu que des membres de la direction ou de la production discuteront avec ces derniers pour « désamorcer la situation ». Bien entendu, ces émissaires seront eux-mêmes « non noirs » – ainsi, si la discussion tourne au vinaigre, personne ne pourra être traité de raciste.

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Des Canadiens ont protesté, parlé d’« apartheid culturel » et de racisme, mais Mme Elghawaby n’a pour le moment rien trouvé à redire à ces événements appliquant une ségrégation raciale. Radio-Canada, radio publique aussi peu pluraliste et encore plus wokiste que notre Radio-France, la soutient en silence ; les journalistes sont restés totalement indifférents à cet événement. Il faut dire qu’ils ont d’autres chats à fouetter en ce moment – et nous allons voir que tout se tient, wokistement parlant. La direction de Radio-Canada demande en effet expressément à ses journalistes et animateurs de ne plus utiliser de « mots offensants ». Si, par malheur, l’un d’eux vient à utiliser, même à des fins pédagogiques, le « mot en n » (nigger, en novlangue non-offensante), des excuses en direct sont attendues. Dans un document paru sur le site de la radio en novembre 2022, il est précisé que si un invité tient un « propos offensant », le journaliste doit, là encore, présenter des excuses à l’auditoire et faire en sorte que l’invité ne répète pas ces propos. Ces « propos offensants » pouvant concerner« la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial ou un handicap physique ou mental », l’invité a bougrement intérêt à faire attention à ce qu’il dit, d’autant plus qu’il est prévu de carrément supprimer tout mot ou passage supposément offensant « si l’entrevue est rediffusée ou rendue disponible sur demande sur les plateformes de CBC/Radio-Canada. ». La réalité rattrape la fiction de 1984 : « À la fin, nous rendrons littéralement impossible le crime par la pensée car il n’y aura plus de mots pour l’exprimer. […] Chaque année, de moins en moins de mots, et le champ de la conscience de plus en plus restreint. […] La Révolution sera complète quand le langage sera parfait », assène un fonctionnaire du Ministère de la Vérité. Les fonctionnaires wokistes disent exactement la même chose.

… Demain, à Paris ?

Mais revenons à notre théâtre « racialiste ». Ne nous moquons pas outre-mesure de la ségrégation raciale qui s’y applique. À la vitesse à laquelle se répand le poison wokiste en France, je ne serais pas surpris d’apprendre prochainement que tel ou tel lieu y est interdit aux Blancs. Ah ! on me dit dans l’oreillette que cela est déjà arrivé : à l’université Paris VIII (ateliers « Paroles non blanches »), dans un « camp d’été décolonial » réservé aux personnes non-blanches à Reims, lors de formations « en non mixité raciale » pour lutter contre les discriminations à l’initiative du syndicat Sud Éducation 93, lors de réunions « non mixtes racisées » organisées par l’Unef, etc. Tous ces faits, en plus des actes de violence sur des personnes en raison de leur couleur de peau blanche dans certains quartiers ou des messages anti-Blancs sur les réseaux sociaux ou dans les textes de rappeurs, relèvent du racisme anti-Blancs.

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Pourtant, au dire de notre ministre de l’Éducation nationale, il n’existe pas. Lors d’une conférence à Sciences Po en 2019, Pap Ndiaye expliquait que « cette thématique très étrange du racisme anti-Blancs […] vient de l’extrême droite » et que cette notion est « ridicule » puisqu’elle émane du « peuple dominant ». Ce discours strictement « racialiste » (c’est-à-dire fondamentalement raciste) condamne les Blancs à la damnation éternelle et excuse par avance les actes anti-Blancs qui ne peuvent pas être racistes puisque seuls les Blancs, en tant que « dominants », sont racistes. C’est du Robin DiAngelo [1] ou du Rokhaya Diallo dans le texte.

L’essayiste québécois Mathieu Bock-Côté © Damien Grenon / Photo12 via AFP

Comme Mathieu Bock-Côté l’a remarquablement soutenu dans son essai [2], la Révolution racialiste est en marche : après avoir imposé son vocabulaire (« racisé », racisme « systémique », « privilège blanc », « suprématie » blanche, etc.), rendu possible de nouvelles ségrégations raciales, envahi les médias et tous les lieux du savoir, des arts, de la publicité et du divertissement, elle poursuit son travail de sape en espérant voir s’amplifier une nouvelle et efficace lutte des races remplaçant l’ancienne et fatiguée lutte des classes. Cette révolution, comme toutes les révolutions, veut changer notre monde de fond en comble. Comme le dit sans ambages Rokhaya Diallo, les Français doivent accepter le fait que la France « n’est plus un pays chrétien et blanc » [3]. Ce à quoi les prépare l’écrivain Léonora Miano : « N’ayez pas peur d’être minoritaire culturellement. N’ayez pas peur de quelque chose qui va se passer. Parce que ça va se passer. Ça s’appelle une mutation. L’Europe va muter. […] Ils [les Subsahariens NDLA] vont venir, et ils vont venir avec leur bagage identitaire. […] C’est ça qui va se passer, et c’est déjà en train de se passer. N’ayez pas peur [4]. » Mme Miano prophétise le remplacement de la population européenne par une autre, africaine. En somme un grand remplacement. Mais chut !.. il paraît que cette « thématique », comme celle du racisme anti-Blancs, vient de l’extrême droite et est ridicule…

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(1) Cette sociologue américaine a développé un business fructueux (livres, conférences, etc.) autour d’un concept simple et efficace qui a fait son chemin depuis : les Blancs et les sociétés occidentales sont, quoi qu’ils fassent, intrinsèquement et systémiquement racistes. Son livre, Fragilité blanche, est très apprécié dans certains milieux universitaires français, en particulier à Sciences Po, Nanterre ou Paris VIII.

(2) Mathieu Bock-Côté, La Révolution racialiste, Les presses de la cité.

(3) Entretien donné à Aljazeera le 13 mai 2017.

(4) Dans l’émission Ce soir ou jamais du 8 novembre 2013.

Frédéric Dabi: «Les Français se voient tous en futurs retraités»

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Fédéric Dabi. ©Hannah Assouline

Le directeur général de l’IFOP estime que les Français veulent travailler mais que le travail n’occupe plus une place centrale dans leur vie. Cependant, il existe encore une forme de sacralisation de la valeur travail, aussi voient-ils d’un mauvais œil les inactifs vivant du RSA.


Causeur. La retraite semble être l’un des rares sujets susceptibles de faire descendre beaucoup de Français dans la rue. Sommes-nous devenus des feignasses ?

Frédéric Dabi. Non, cela ne signifie pas ça. Si la question de la retraite et de l’équilibre du système occupe depuis si longtemps l’espace politico-médiatique, c’est que, depuis plusieurs années, on a connu plusieurs réformes et que chacune a été présentée comme la « der des ders », celle après laquelle on pourrait être tranquilles. Or, à chaque fois, le sujet ressurgit. Au niveau intime et individuel, je suis comme vous frappé par le fait que cette question préoccupe tout le monde : les générations intermédiaires, mais aussi les jeunes. Cela s’explique par l’allongement de l’espérance de vie. Sous Giscard, quand on avait la retraite à 65 ans, l’espérance de vie était d’à peine 72 ans chez les femmes et de 68 ans chez les hommes. Autrement dit, on mourait assez vite après la vie active. Aujourd’hui, la retraite est rêvée comme un eldorado, une nouvelle vie et, pour beaucoup de gens, la fin des problèmes. Or, ça ne se passe pas comme cela. Dans la vraie vie, en particulier pour la génération 50-64 ans qui vote le plus pour le RN, la retraite ne s’annonce pas comme la belle vie, mais comme la continuation des problèmes en pire.

N’empêche, on a le sentiment que les gens veulent de moins en moins travailler…

Vous vous trompez. Ce qui est clair, c’est que le travail a perdu sa centralité. Avant, avec l’espoir d’ascension sociale, le travail était déterminant dans l’inscription dans la société. Aujourd’hui, il coexiste avec d’autres aspirations, notamment les loisirs. En 1990, sous la gauche, pour 92 % des Français, le travail était « important » dans leur vie et pour 60 %, « très important ». Aujourd’hui, on a encore 86 % des sondés qui le jugent « important », mais seulement 24 % le qualifient de « très important ». Les gens ne veulent plus se sacrifier pour le travail. Cependant, comme le montre le sondage que nous avons réalisé pour Marianne [1], les jeunes sont plus Fabien Roussel que Sandrine Rousseau, plus « gauche du travail » que « gauche des allocs ».

Cette nouvelle conception du travail serait légitime si les gens acceptaient l’idée qu’en travaillant moins, ils gagneront moins. Mais ils ne visent pas la sobriété heureuse, ils ont les mêmes exigences sur leur niveau de vie. Certes, les salaires ne sont pas satisfaisants, mais il y a quand même un rapport contestable à l’assistanat et à l’État. Si vous refusez de travailler une ou deux années de plus, cela veut dire que quelqu’un, en l’occurrence un jeunes actif, devra plus trimer pour vous.

Ce que vous dites n’est pas contradictoire avec mes propos précédents. Nous sommes en France, je me souviens de La Dynamique de l’Occident de Norbert Elias, qui raconte la formation de l’État central et explique pourquoi, chez nous, l’État est si puissant et que nous attendons tant de lui.  Cette exception française vis-à-vis du politique, donc des pouvoirs publics, explique qu’on accepte l’omnipotence de l’État pour peu qu’il obtienne des résultats et change la vie des gens. On l’a vu pendant le Covid, une large majorité a accepté que l’État s’immisce dans sa sphère privée et même intime.

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En somme, nous sommes devenus un peuple d’assistés ?

Là, je serais plus nuancé. Certes, nous croyons en l’État et attendons beaucoup de lui ; dans mes enquêtes, dans le match privé/public, l’État l’emporte quasiment tout le temps malgré ses carences objectives, pour ne pas dire plus. Cependant, il y a un fait très nouveau: le chômage qui était depuis des décennies en tête des préoccupations des Français, occupe désormais la dixième place. C’est du jamais-vu. Pourquoi ? Il y a la petite musique des emplois non pourvus, mais aussi l’assistanat. Le fait que certains soient payés à ne rien faire n’est plus accepté. Depuis vingt ans, nous soumettons une phrase aux Français : « les chômeurs pourraient trouver du travail s’ils le voulaient vraiment. » Eh bien, on est maintenant à trois quarts de oui ; même chez les jeunes et même à gauche, ce oui est majoritaire. En dépit des idées reçues, les jeunes adhèrent à la valeur travail. Dans mon livre – La Fracture –, je montre que l’affirmation « pour réussir personnellement, je dois réussir professionnellement » n’a jamais été aussi consensuelle. Les deux réussites sont imbriquées. Or, l’assistanat casse cette intrication. En somme, la politique du guichet et les 3 000 milliards de dettes qui en résultent ne nous dérangent guère, mais assistés n’est pas le bon terme.

D’où ce paradoxe que je qualifierais de libéralisme d’État ou d’individualisme collectiviste.

En effet, pendant longtemps, libéralisme était un mot « Voldemort », notamment chez les jeunes. Alain Madelin se dit libéral, il fait 3 % à la présidentielle, Delanoé se dit libéral sur le plan de la culture et des mœurs, il perd le congrès du PS. Aujourd’hui, avec « entreprise », « libéralisme » est un des mots préférés des jeunes. En même temps, on va vers plus d’individualisation. C’est moi en tant qu’individu qui attend quelque chose de l’État. Ce qui me fait douter d’un mouvement social type 1995 : les Français ne croient plus vraiment que l’action collective puisse faire plier un gouvernement et faire changer les choses. La dernière fois qu’une mobilisation initiée par les syndicats a fait reculer le gouvernement, c’était en 2006 avec les manifestations contre le contrat première embauche. À l’inverse, en 2010, il y avait beaucoup de monde dans la rue contre la réforme Fillon. Et elle est passée.

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On explique souvent l’appétence pour la retraite par le manque de sens du travail, et c’est aussi vrai pour certains cadres qui n’ont aucun pouvoir de décision. Reste que le travail, c’est le passage à l’âge adulte, à l’autonomie. Or, l’idée qu’il y a une dignité dans le seul fait de subvenir à ses besoins est en perte de vitesse.

Oui, la demande de sens et d’intérêt monte. Il faut que le travail soit désirable. Rappelez-vous le tailleur de pierres de Péguy : il ne dit pas « je taille des cailloux » mais « je bâtis des cathédrales ». Mais il y a autre chose : le travail doit être « instagramable » – terme détestable, mais qui illustre très bien notre société –, il faut pouvoir le raconter aux autres.

Cependant, la question du sens du travail reste reléguée derrière celle de sa récompense. L’injustice insupportable n’est pas d’être au chômage, mais d’avoir un emploi qui paie mal. Dans un contexte où le couple maudit inflation/pouvoir d’achat écrase tout, quand on interroge les jeunes, les salariés sur leurs motivations, la rémunération reste à un niveau extrêmement élevé. Ce qui a changé, je le répète, c’est la recherche d’un équilibre entre sphère professionnelle et sphère privée. L’étanchéité entre les deux a complètement explosé chez les jeunes salariés qui affirment majoritairement que leurs collègues sont avant tout leurs amis.

Il y a aussi une autre dimension : Jérôme Fourquet a observé qu’une des grandes différences entre les électeurs de Le Pen et ceux de Macron tenait à l’autonomie. L’électeur de Le Pen a un petit chef sur le dos. Pour beaucoup de gens, la retraite signifie justement ne plus avoir le petit chef sur le dos.

C’est un vrai sujet. Si tant de salariés français sont si friands de télétravail, c’est parce qu’il permet la mise à distance du petit chef.

Le même mot, travail, désigne au moins deux mondes : le salariat et tout le reste (indépendants, intérimaires, free-lances, etc.). Le salariat perd-il sa suprématie ?

Le CDI reste prépondérant dans l’univers des actifs. Toutefois, il y a une progression qualitative et quantitative du CDD, notamment chez les jeunes qui ne le voient plus comme une source de précarité, mais de liberté. De plus, ils ne sacralisent plus le CDI car ils comprennent qu’il n’est plus une garantie. Et puis, il y a tous les contrats dont vous parlez. À la fin des années Sarkozy, dans un contexte de chômage massif, une enquête Ipsos, montrant que le premier souhait des jeunes était d’être fonctionnaires, avait fait un bruit énorme. Aujourd’hui, c’est complètement fini. Ils préfèrent multiplier les expériences, passer d’un statut à un autre.

Les indépendants ont plus le sentiment que les salariés qu’ils travaillent pour eux – même si c’est très largement faux.

Quand on travaille sur les mots préférés des Français, jusqu’à 35 ans, c’est le mot égalité qui l’emporte nettement, mais chez les actifs de 35 ans et plus, c’est le mot liberté. Cependant, avec le Covid beaucoup pensent que l’entreprise les a protégés. Finalement, cette crise sanitaire a rasséréné une grande partie du salariat.

les retraités votent plus que la moyenne et peuvent faire basculer une élection. À l’exception de Mitterrand et Hollande, tous nos présidents étaient majoritaires chez les retraités

Sauf que ce n’est pas l’entreprise qui les a protégés, mais le contribuable.

En effet, c’est le « quoi qu’il en coûte ». Du coup, cette période a aussi aggravé les inégalités de protection et de statut entre les différents types de métiers et de secteurs.

Revenons à l’assistanat. Il y a toute une France qui, sans demander beaucoup, s’est habituée à vivre du RSA et de petits boulots au noir.

Oui, on n’en parle pas assez. D’ailleurs, l’une des propositions les plus populaires du candidat Macron, c’était de conditionner le versement du RSA à quelques heures de travail. Cela crée un nouveau clivage entre la droite et la gauche, mais aussi au sein de la gauche. De manière générale, les Français portent un regard très sévère sur les allocataires du RSA. Borne n’avait aucun intérêt à reculer sur la baisse plus rapide des allocations-chômage dans le temps, qui suscitait un consensus très net dans l’opinion publique. Il reste une forme de sacralisation de la valeur travail, même si elle n’est plus centrale. D’ailleurs, soyons honnêtes, beaucoup  de gens éligibles au RSA ne se font pas connaître. Il y a sans doute un problème d’accès mais aussi une question de fierté.

Et quid du revenu universel, cher à Benoît Hamon ?

On a testé cette idée en 2017, une petite majorité y était favorable. Toutefois, il y avait de gros doutes sur sa faisabilité et sur le risque de dévaloriser le travail. En revanche, l’impôt universel est massivement soutenu par les Français. Entre 2010 et 2022, la proportion de foyers payant l’impôt sur le revenu est passée de 55 % à 45 %. Pour être citoyen grec, il fallait être Grec et payer l’impôt. C’est un vrai problème qui participe de celui de l’assistanat.

Résultat, les classes moyennes pensent que la France qui bosse entretient celle qui ne bosse pas.

Cette perception est partagée par une nette majorité de Français, y compris à gauche.

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Le RN a-t-il politiquement raison d’en rajouter sur le thème de la loi « sadique et cruelle » ?

Le RN observe que son électorat est composé de catégories populaires qui seront plus affectées par cette réforme que Frédéric Dabi ou Élisabeth Lévy qui seront enchantés de travailler jusqu’à 65 ou 67 ans, voire plus. Or, il est vrai que cet électorat a déjà été le plus touché par la réforme Fillon. Pour les cadres supérieurs qui ne partaient jamais à 60 ans, cette réforme était une blague ! En mai 2021, nous avons demandé aux Français quelle était la réforme de la décennie Mitterrand qui les avait le plus marqués : la retraite arrivait nettement en tête. Dix ans plus tôt, c’était l’abolition de la peine de mort.

Vous l’avez noté, la retraite aggrave les inégalités de la vie active. Reste qu’en moyenne, le revenu des actifs est à peu près égal au revenu des inactifs. Cela pose un problème de solidarité intergénérationnelle. D’un côté, il y a des jeunes ménages qui triment, n’arrivent pas à se loger, limitent leur nombre d’enfants et de l’autre, des retraités qui font des croisières.

C’est très juste, mais vous oubliez la dimension de clientèle électorale. En 2017, Macron a vaguement essayé de « mettre les retraités à contribution » avec la CSG et le projet de désindexer les pensions de l’inflation qui était pourtant très faible : rappelez-vous le tollé ! Et la protestation n’est pas venue des seuls retraités, mais de l’ensemble des Français qui se voient tous en futurs retraités. N’oubliez pas que les retraités votent plus que la moyenne et peuvent faire basculer une élection. À l’exception de Mitterrand et Hollande, tous nos présidents étaient majoritaires chez les retraités.

Finalement, sommes-nous une nation réfractaire au travail ?

Je ne pense pas, c’est seulement une question de curseur, de place, de finalité du travail et de récit autour du travail. Mais il est injuste de dire que les Français ne veulent plus travailler.


[1] « Les jeunes et la valeur travail », 9 décembre 2022, ifop.com.

Prison: le plan A

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Christiane Taubira, février 2017 © SIPA

A comme abolition, bien sûr.


Nous y sommes. En tout cas, il semble bien que nous nous y dirigions insensiblement.  On aurait tort de se contenter de diagnostics de laxisme ou de dysfonctionnements judiciaires lorsqu’on constate que tel criminel n’effectue que trois ou quatre années d’incarcération sur les douze ou quinze que prévoyait sa condamnation.

En profondeur, il s’agit de bien autre chose. Tout un lobby, encore vaguement souterrain, est à la manœuvre, nourri, animé par un courant idéologique déjà ancien mais revigoré par l’actuelle vague de wokisme. Selon les tenants de ces doctrines, on le sait, le vrai coupable n’est pas le condamné mais la très vilaine société qui l’a amené là, derrière les barreaux. Horrible corps social fauteur d’inégalités féroces, d’oppression obsessionnelle du fort sur le faible, du riche sur l’impécunieux, du patron sur le travailleur. Et désormais, wokisme oblige, du mâle blanc sur tout ce qui bouge ou peu s’en faut.

Cette conception-là perdure, savamment entretenue et distillée dans certains milieux dits intellectuels, mais aussi dans une frange non négligeable de la magistrature. Ce qu’il faut décrypter, par exemple, dans la suppression des peines planchers par Mme Taubira en son temps, c’est en réalité l’amorce, encore discrète, de  la mise en œuvre de ce fantasme : l’abolition de la peine tout court. Et donc, à terme, l’abolition de la prison. Vétusté, insalubrité, promiscuité inhumaine, bouillon de culture de la récidive, violence terrifiante, tout est mis en exergue – si ce n’est  hypocritement et cyniquement entretenu ? – pour que nous soyons amenés un jour ou l’autre à cesser de voir dans l’incarcération une possible réponse. Il faut que nous en arrivions à avoir honte de recourir à cette forme de châtiment. Non seulement, que nous ayons honte, mais aussi que nous nous sentions  « coupables » de tolérer encore de telles pratiques.

Autrement dit, l’enjeu, pour ces âmes bienveillantes et vertueuses, est de réussir avec la prison ce qui a été si bien réussi avec le bagne. Obtenir le rejet consensuel de ce qui était devenu, de facto, inacceptable pour les populations à un moment donné de leur histoire. Si tel n’est pas le but recherché, comment expliquer alors la si piètre volonté politique de doter le pays d’un parc pénitentiaire, humainement décent, bien évidemment, mais en réelle cohérence avec le degré de délinquance que nous avons atteint ces derniers temps ? Et qui, probablement, ne fera que croître et embellir dans les années qui viennent ?

Barbarie au village

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"Traces" (2023) de Tiago Guedes © Alfama Films

Traces, un film de Tiago Guedes, en salles demain


Le cinéma portugais actuel emprunte bien souvent des chemins non balisés. Ce qui aiguise la curiosité. Telles ces Traces sur lesquelles nous entraîne le cinéaste Tiago Guedes, dans un film étrange, écrit en collaboration avec Tiago Rodrigues, l’ancien directeur du Théâtre national D. Maria de Lisbonne, aujourd’hui à la tête du festival d’Avignon.


La scène du drame est un village du nord du Portugal. Traces s’ouvre sur un long prologue, dans un format d’écran réduit : au jour de la traditionnelle « fête du vent », bacchanale semi-païenne, les jeunes mâles costumés de plumes et cagoulés de toile de jute débondent leurs hormones dans une parade virile, porteuse de possibles exactions.

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Un adolescent, Laureano, y est molesté, sur le pavé, par ses congénères en transe. Générique. Le format de l’écran s’élargit : 25 ans ont passé. Laureano, devenu le « dingo » du village suite à ce tabassage, vit dans une masure avec sa meute de chiens. L’omerta sur cet épisode perdure, tandis qu’un champ d’éoliennes hors d’échelle a poussé dans ce paysage sans grâce, au sommet d’une de ces collines boisées qui ceinturent le bled, que la friche d’un lotissement à l’abandon est venu enlaidir, et qui s’est même doté d’un abattoir industriel… Désormais adultes, les natifs du lieu ont eux-mêmes essaimé de petits ruraux désœuvrés, adolescents aux airs de petites frappes de banlieues, qui s’amusent à lapider Laureano… La ruralité telle qu’en elle-même, en ce début du XXIème siècle.

Comme jadis, pourtant, le village se prépare à la « fête du vent » : bal, feu d’artifice… Le récit s’installe, sans la moindre musique, dans une lenteur concertée faite de longs plans fixes composés avec grand soin. Puis, le récit s’étoffe d’une sourde inquiétude, qui trouvera son climax dans la mort du jeune Pedro, apparemment dévoré par les chiens…

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On se gardera de déflorer les péripéties de ce singulier thriller de cambrousse dont les comparses, unis dans un rapport scabreux à la vérité, ourdissent une loi du silence dont le pauvre Laureano sera, une fois encore, l’otage sacrificiel…

Traces. Film de Tiago Guedes. Durée : 2h07. En salles le 8 février 2023.

Ballon chinois: une bagatelle pour une guerre froide

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© Chad Fish/AP/SIPA

Face aux Chinois, Biden ne se dégonfle pas. Retour sur le psychodrame du week-end autour de l’OVNI chinois…


Après tout, cette folle histoire autour du ballon chinois est une histoire de guerre froide avant tout. Cette pale caricature de l’affaire U-2 est une anecdote typique d’un climat de tensions entre deux puissances (souvenez-vous de cet avion espion américain, volant à peu près à la même altitude que le ballon chinois de ce week-end, et abattu par les Soviétiques en 1960).
Les technologies impliquées ne sont pas très avancées, et, puisque l’engin concerné n’est pas piloté, il n’y a eu ni mort ni prisonnier.
Pourtant, l’incident est spectaculaire, au sens propre comme au figuré. De l’annonce du survol de l’État du Montana et de ses bases stratégiques, jusqu’à son interception par un F-22 au large des côtes de l’État de Caroline du Sud, la planète a pu suivre la trajectoire stratosphérique du dirigeable au-dessus du continent américain. L’objet volant et l’objet médiatique ont occupé les télévisions et les opinions publiques mondiales.

Gros comme trois autocars

Avant de parler des dimensions politique et géopolitique de l’incident, que dire du fond de cette affaire ? Il y a une semaine, les autorités américaines ont repéré ce dirigeable gros comme trois autocars : il aurait pénétré dans l’espace aérien américain au niveau des îles Aléoutiennes (à l’ouest de l’Alaska). Le dirigeable, identifié comme chinois (et reconnu comme tel par la Chine), est alors qualifié par les autorités américaines de moyen de renseignement militaire. Il porte une charge utile composée d’un ensemble d’équipements de mesures et/ou de surveillance. Les Chinois font alors savoir qu’il s’agit d’un engin civil dont l’objectif est de recueillir des informations météorologiques. Après la destruction du ballon, les Chinois ont exprimé leurs vives protestations, et ont limogé le patron du service national de météorologie. Leur message est donc: les Américains font tout un plat de la maladresse d’un fonctionnaire ! Pour le moment, on n’en sait pas beaucoup plus, si ce n’est qu’il est avéré que les Chinois n’ont pas informé les Américains en amont du passage de leur ballon – ce qu’on aurait attendu d’eux dans le cas d’un engin météorologique hors de contrôle.

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Si les Chinois mentent, qu’espéraient-ils d’un tel survol ? Il est peu probable que les informations recueillies – s’il s’agit bien d’un moyen de renseignement militaire – soient de qualité nettement meilleure que celles glanées par les satellites. Or, la Chine possède une solide constellation de satellites d’espionnage : les Yaogan. Mais tout comme pour le fameux ballon qui a agité les esprits ce week-end, les Chinois prétendent que leurs moyens satellitaires d’observation de la Terre servent exclusivement à l’évaluation des récoltes, à la prévention de catastrophes naturelles, à la planification urbaine ou la recherche scientifique… Cependant, compte tenu de leur orbite, des instruments qu’ils portent et du rythme des lancements, il s’agit bel et bien de satellites à usages militaires. Les satellites survolant la Terre à une altitude de 160 km couvrent systématiquement et régulièrement les régions qui ont un intérêt stratégique pour Pékin. Il n’est pas sûr que le ballon ait pu glaner des informations plus sensibles qu’eux. Il est cependant vrai que les ballons peuvent s’attarder au-dessus de sites présentant un intérêt particulier. Mais, à 20 kilomètres d’altitude, ils ne sont pas non plus complètement stationnaires, et restent soumis aux vents d’altitude.

Les Etats-Unis ont exploité au mieux une erreur des Chinois

Selon les Américains, les Chinois ont envoyé en mission 20 à 30 ballons similaires au cours de la dernière décennie, dont cinq ont déjà fini leur tour du monde. Deux autres ballons sont d’ailleurs en mission, aujourd’hui même, dont un qui a survolé tout récemment le nord de l’Amérique latine. Voilà qui est intéressant. Cette dernière information est probablement la plus importante dans cette affaire. Contrairement à ce qui était insinué par la couverture médiatique, ce n’est donc pas du tout la première fois qu’un tel incident a lieu. Voilà des questions pertinentes : pourquoi un tel drame, cette fois-ci ? Et, s’il s’agit vraiment de ballons espions, quel est l’intérêt à survoler la Colombie ?

Théâtre à Washington et guéguerre froide

Nous n’avons pas échappé à un sketch comique entre Républicains et Démocrates.
Des élus républicains ont par pur opportunisme critiqué le président Biden quant à sa faiblesse vis-à-vis de la Chine. L’un d’eux a même appelé à sa démission. Le sénateur de la Floride, Marco Rubio, a tweeté que « si Biden ne veut même pas abattre un ballon, il ne fera rien si la Chine prend des territoires à l’Inde ou au Japon ou envahi Taïwan ». Le Pentagone a répliqué à toutes ces critiques, en indiquant qu’au moins trois ballons avaient survolé les États-Unis pendant la mandature Trump. Et qu’aucun n’avait alors été abattu !

Bref, plus on sait, moins on comprend. Pour le porte-parole du département d’État américain, la « violation claire de la souveraineté américaine » par la Chine rendait « inappropriée » la visite en Chine du secrétaire d’Etat Antony Blinken prévue cette semaine. Le déplacement de Blinken aurait pu annoncer qu’une page était tournée dans les dissensions sino-américaines. Au lieu de cela, les récents événements n’ont fait que souligner l’importance de ces tensions.

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Quelles conclusions peut-on tirer de cette affaire ? Tout d’abord, qu’elle n’est pas si grave: les Chinois ne sont pas beaucoup plus renseignés sur les États-Unis qu’il y a 15 jours. En revanche, dans ce petit jeu sans fin de guerre froide, les Etats-Unis ont exploité au mieux une erreur des Chinois. Dès que le ballon est entré dans l’espace aérien américain, Washington a eu la main et a pu décider comment jouer. Gérer l’affaire discrètement, ou en faire un psychodrame ? C’est l’option 2 qui a été choisie: exploiter au maximum la bourde chinoise, et mettre Xi Jinping dans l’embarras alors que le début du troisième mandat du président chinois est déjà semé d’embuches.

Quiconque connait un peu la façon dont fonctionne la Chine sait qu’il est en réalité probable que Xi et les autres dirigeants chinois ignoraient presque tout de ces dirigeables. Quel intérêt à créer des tensions, et pourquoi le faire ainsi ? Comme tous les leaders du monde, Xi ne contrôle pas tout et n’est pas omniscient. Même si, contrairement à la majorité des autres dirigeants de la planète, il essaie de faire croire qu’il sait et maîtrise absolument tout. Surpris, les Chinois ont dû réagir vite, une autre chose qu’ils n’aiment pas faire. Les Américains ont donc bien joué la partie:ils ont marqué un point dans un très long match, dont le score final se mesurera en milliers de points.