Accueil Culture Lucia, ou l’amour fou comme dérangement mental

Lucia, ou l’amour fou comme dérangement mental

« Lucia di Lammermoor » de Donizetti, à l’Opéra Bastille jusqu’au 28 février


Lucia, ou l’amour fou comme dérangement mental
Brenda Rae dans "Lucia di Lammermoor", opéra en trois actes de Gaetano Donizetti, Paris, 2023 © Emilie Brouchon / Opéra national de Paris

Voilà bien longtemps qu’on ne fait plus ça sur la scène lyrique: un décor qui n’incruste aucune image de cinéma, aucune image de synthèse, aucune captation vidéo, aucun écran !


Tel est pourtant le cas de cette régie signée Andrei Serban, 80 ans, grande figure du théâtre roumain installé aux États-Unis dès les années 70. Millésimée 1995, celle-ci reprend du service pour une nouvelle reprise de Lucia de Lamermoor à l’Opéra-Bastille.

Un opéra adapté d’un roman de Walter Scott

Adaptation, comme l’on sait, du roman The Bride of Lamermoor publié en 1819 par Walter Scott, sur un livret concocté par Salvatore Cammarano en 1835 pour un Donizetti qui dès 1838 choisira de délaisser Naples pour Paris, le célèbre « dramma dragico » italien se voit ici transposé, très loin des brumes écossaises qui en étaient la toile de fond originelle, dans une architecture renvoyant au panoptique carcéral tel qu’imaginé, à la fin du XVIIIème siècle, par Jeremy et Samuel Bentham, et si bien appliqué en France par Hippolyte Le Bas pour la prison parisienne de la Petite Roquette : structure architecturale close, géométriquement oppressante, elle illustre ici, non sans intelligence plastique, entre asile et prison, la dimension psychotique de Lucia, incurablement amoureuse de son Edgardo di Ravenswood, au point d’occire le mari que son frère Enrico veut despotiquement lui imposer, et de sombrer dans la démence avant de passer elle-même l’arme à gauche, après quoi l’amant éperdu se trucidera d’un bon coup de poignard dans l’abdomen… Voilà qui n’est pas gai, et le décor circulaire couleur de ciment de William Dudley, avec ses chœurs d’hommes en redingote noire et haut-de-forme, ses femmes en tablier accroupies sur la dalle qu’elles aspergent, avec ses cordages, ses passerelles de fer mobiles, ses équipements de gymnase datés « siècle industriel », nous ramène à l’époque même du compositeur romantique. L’avantage de cette scénographie qui pourrait passer aujourd’hui pour convenue, c’est qu’au bout de presque 30 ans, elle tient tout de même encore la route.

​Emilie Brouchon / Opéra national de Paris

Lucia di Lammermoor, un « must »

On ne peut pas en dire autant de Lucia, hélas, magnifiquement chantée en 2016 par Pretty Yende, rôle très difficile il est vrai car exigeant une agilité sans pareille pour nouer les coloratures virtuoses des arias aux notes suraigües de la fameuse scène de folie du 3ème acte, en passant par le morceau de bravoure du sublime sextuor par quoi s’achève le 2ème acte… À présent sous les traits de la soprano allemande Brenda Rae (qu’on retrouvera dès le 11 mars prochain à l’Opéra-Bastille, en alternance avec Lisette Oropesa, en Ophélie dans Hamlet, le  chef d’œuvre d’Ambroise Thomas), Lucia paraît manquer singulièrement de rondeur, de délié et d’aisance dans les volutes d’une partition qui appellerait un timbre moins criard, plus chaud, et pour tout dire plus intensément dramatique. C’est dommage, car sous la baguette d’Aziz Shokhakimov, chef d’origine ouzbèque qui fait son entrée à l’Opéra de Paris, les chœurs sonnent dans une splendeur d’airain. Et tout autant le baryton italien Mattia Olivieri dans le rôle d’Enrico, que les deux ténors, le Mexicain Javier Camarena (Edgardo) comme le Français Thomas Bettinger (Arturo), mais surtout la basse polonaise Adam Palka (Raimondo) portent chacun leur signature vocale au plus haut de ce qui reste, quoiqu’il en soit, un « must » absolu du bel canto.

Lucia di Lammermoor. Opéra en trois actes (1835) de Gaetano Donizetti. Avec Brenda Rae (Lucia), Quinn kelsey (Enrico Ashton), Javier Camarena (Edgardo di Ravenswood)… Direction Aziz Shokhakimov, Mise en scène Andrei Serban. Orchestre et chœurs de l’Opéra national de Paris.

Opéra Bastille les 21, 23, 28 février, 4, 7, 10 mars à 19h30 ; 26 février à 14h30.




Article précédent La mécanique du mensonge
Article suivant Le maire blanc, homosexuel et zoulouphone qui fait trembler la classe politique sud-africaine

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération