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Geoffroy de Lagasnerie jette le «trouple» sur le modèle relationnel patriarcal

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Selon l’auteur de 3: Une aspiration au dehors (Flammarion), il faut en finir avec la famille qui «favorise le développement de structures mentales autoritaires, voire fascistes» et permet l’insupportable «matinalisme».


Qui n’a pas, à quinze ans, claqué rageusement les portes de la demeure familiale ? Ou, Les nourritures terrestres de Gide à la main, vociféré sur ses parents : « Familles, je vous hais ! » ? C’est à pleins poumons aussi, qu’il nous est arrivé d’entonner quelques paroles salvatrices de la chanson de Renaud:

On choisit ses copains mais rarement sa famille
Y’a un gonze mine de rien qu’a marié ma frangine
Il est devenu mon beauf un beauf à la Cabu
Imbécile et facho mais heureusement cocu
Quand l’soleil brillera que pour les cons
Il aura les oreilles qui chauffent
Mon Beauf

Las ! Bas du front et mous du bulbe, endoctrinés malgré nous, nous avons fini par adhérer à une existence codifiée par les schémas patriarcaux séculaires. Pour bon nombre d’entre nous, nous nous sommes appariés comme de vulgaires chaussettes. Pis, parfois, nous avons fondé des familles.

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Maintenant, corsetés dans des vies étriquées que nous n’arrivons pas à déboutonner, c’est Le Bagad de Lann-Bihoué que nous chantons, avec Souchon : 

Tu la voyais pas comme ça ta vie
Tapioca, potage et salsifis
On va tous pareil, moyen, moyen (…)
Mais qui t’a rangé à plat dans ce tiroir
Comme un espadon dans une baignoire ?
T’es moche en week-end, les mioches qui traînent (…)

Bonne nouvelle : il n’est pas trop tard pour secouer le joug d’un conditionnement social oppressif. Quitter les sentiers battus et réinventer notre rapport à l’autre, c’est possible, grâce au philosophe et soutien de Jean-Luc Mélenchon, Geoffroy de Lagasnerie. Il nous l’explique dans l’essai intitulé 3. Une aspiration au dehors qui paraît cette semaine et s’adresse « aux dissidents de la famille. »

Une œuvre de salut public

Reçu sur France Inter, lundi matin, par Léa Salamé, le penseur nous a vendu une conception enthousiasmante, novatrice et généreuse des relations humaines, en parfaite adéquation avec notre joyeuse époque. Ce mode d’emploi pour une vie sociale réussie repose sur l’observation du « trouple » qu’il forme depuis 10 ans avec ses acolytes : Didier Eribon, le sociologue et Édouard Louis l’écrivain, épigone d’Annie Ernaux. « Trois amis, trois hommes, trois âmes, qui ne peuvent s’imaginer vivre l’un sans l’autre », comme l’a déclamé Léa Salamé, avec les accents de Montaigne évoquant La Boétie. 

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Il s’agit dans cet ouvrage de raconter et surtout de théoriser cette amitié, modèle philosophique digne d’être partagé. Notre jeune éclairé fait ici, nous l’allons voir, œuvre de salut public : il veut aider tous les ringards fourvoyés à mieux vivre. Pour notre sage, en effet, la famille est associée « à la déperdition, à la tristesse et à l’ennui ». Elle est, précise-t-il, citant Pierre Bourdieu : « le lieu d’une sorte d’égoïsme collectif ». Elle « favoriserait même le développement de structures mentales autoritaires, voire fascistes ». On comprend mieux le projet de voler au secours de toutes ces âmes qui, non contentes d’être damnées, constituent un réel danger pour la société. Du récit d’une vie qui s’organise autour de l’amitié, on s’achemine, dans cet essai, vers « une réflexion critique sur les normes sociales et culturelles. » ; c’est diablement habile.

Le cercle de ses amis

C’est la trinité qui conjure la fadeur et la monotonie de l’existence : « Vivre, c’est vivre à trois, c’est être ému à trois, c’est assister à un concert ou à un évènement à trois. » « Nous fêtons nos anniversaires à trois, Noël à trois, la nouvelle année à trois, nous voyageons à trois », explique notre oracle, avec le débit d’une mitraillette. Et puis, les amis de nos amis devenant, c’est bien connu, nos amis, on élargit son monde.

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Le modèle proposé par le « trouple » n’a pas comme ciment la seule sexualité. Du reste, Léa Salamé souligne bien que les trois amis ne vivent pas sous le même toit. Soyons clair: penser faire la révolution sociale grâce la révolution sexuelle est, pour notre penseur, un projet dépassé. Il s’agit maintenant d’inventer des « formes relationnelles beaucoup plus subversives. » L’amitié, ajoute notre théoricien, favorise « une vie qui n’a pas de centre », « la démultiplication des liens », donc. Elle ouvre à tous les possibles labiles qu’affectionne notre époque, là où la cellule familiale sclérose. 

Notre exalté va plus loin, étendant sa réflexion à la politique qu’il s’agit de rendre plus ouverte. « La politique devrait avoir pour projet de se donner le plus d’amitiés possibles », nous dit ce sectateur de LFI, parti dont on connaît la légendaire ouverture à autrui… Il faudrait, selon notre génie, en finir avec le Ministère des Familles et créer un Ministère de l’Amitié. « Des allocations amicales plutôt que des allocations familiales. », tel est son slogan.

À bas le matinalisme !

Il s’agit aussi de se révolter contre ceux qui ont imposé, avec leurs chiards, « le matinalisme », forme d’oppression s’il en est, à laquelle Geoffroy de Lagasnerie impute, de fait, une grande partie de l’échec scolaire. « Les gens qui ont des familles se donnent le droit d’exercer un cannibalisme moral sur ceux qui n’ont pas d’enfants. », sous prétexte qu’il faut respecter le rythme de vie des niards, explique celui qui souffre de se lever tôt. Si vous avez fait la fête toute la nuit, qu’on vous foute la paix, que diable ! Qu’on ne vous impose pas des contraintes matinales dictatoriales ! 

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Notre philosophe espère ainsi poser des jalons pour une conception de l’existence plus adaptée à l’évolution de notre société, épaulant ainsi les visées des Insoumis et des écologistes, thuriféraires du « droit à la paresse » et d’une vie qui fasse sens. C’est pourquoi, n’oubliant pas le contexte social, il a déclaré, à la fin de l’interview, mettre tout son espoir en LFI. Il s’est aussi dit « très ému et très touché par la stratégie des Insoumis à l’Assemblée nationale qui a fait dérailler le projet macroniste de la réforme des retraites. » Pour conclure, il a affirmé faire sien, pour les jours prochains, un slogan des précédentes manifs : « Macron, si tu nous mets 64, on te remet 68. »

Sous l’entrée : « Égoïsme », dans le Dictionnaire des idées reçues de Flaubert, on peut lire : « Égoïsme : Se plaindre de celui des autres et ne pas s’apercevoir du sien » …

3. Une aspiration au dehors: Éloge de l'amitié

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Fitgirls VS Creeps: quand la salle de sport devient le temple de la mauvaise foi

Phénomène des «gym creeps». L’influenceuse américaine Jessica Fernandez est victime d’un violent retour de bâton sur les réseaux sociaux, après avoir accusé un homme d’avoir croisé son regard pendant sa séance de sport.


Depuis 2021, de nombreuses femmes postent des vidéos où elles dénoncent les « gym creeps », des hommes qui, dans les gymnases, reluquent les jolies femmes bien sculptées pendant qu’elles font leurs exercices. Certes, il doit y avoir des cas d’hommes indiscrets et importuns dans les salles de sport. Mais les internautes ont commenté le fait que dans beaucoup de ces vidéos les femmes se mettent en scène dans des tenues extrêmement moulantes et font des mouvements suggestifs des hanches et du buste, comme si elles voulaient attirer l’attention et récolter des likes. Elles ont l’air de dire : regardez, je suis belle car j’ai des creeps (des « sales mecs ») qui me zieutent, et je suis moralement supérieure car je les dénonce. En janvier, une jeune influenceuse américaine, Jessica Fernandez, a posté une vidéo qui a engrangé des millions de vues.

@breakingtrendsnews

Twitch influencer Jessica Fernandez films man staring at her ‘like a piece of meat’ at the gym. Anything for likes , sad.

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Elle se filme à la gym en train de parler à sa caméra pendant qu’elle fait ses exercices. Derrière elle, on voit un homme qui, de temps en temps, jette un regard vague dans sa direction et qui vient proposer de l’aider à ranger les poids. Elle refuse poliment et il s’en va. Pendant ce temps, elle fait un commentaire à son insu le dénonçant comme un pervers. Face à l’avalanche de critiques sur le Net, elle a présenté ses excuses, ce qui est tout à son honneur. Mais le 13 février, un footballeur aveugle anglais poste une vidéo virale où il raconte une expérience bien différente. Dans le gymnase il se voit – ou s’entend – accuser par une femme de la reluquer. Quand il explique qu’il est non-voyant, elle appelle le personnel qui l’expulse de la salle. Une expérience similaire est arrivée à un surfeur aveugle américain, Pete Gustin, en 2021. Quand il révèle qu’il est aveugle, son accusatrice répond : « Je m’en fous, arrêtez de me zieuter ! » Un média satirique a publié une fausse histoire où une femme accuse un aveugle de la lorgner – par le biais de son chien guide. Selon l’échelle de valeurs actuelle, les trans sont supérieurs aux femmes, mais les féministes supérieures aux non-voyants.

Au Maghreb, le «vivre-ensemble» entre Noirs et Arabes n’existe pas

Les premiers y sont victimes d’insultes ou de brimades, à côté desquelles le récent et virulent discours du président tunisien Kaïs Saïed passe pour du menu fretin.


Les propos du président tunisien Kaïs Saïed du 21 février concernant les migrants, qu’il accuse d’arriver en « hordes » et de « modifier la composition démographique » de son pays, ont été fortement critiqués ces derniers jours, même par l’un de ses prédécesseurs, Moncef Marzouki, qui l’accuse de vouloir séparer le pays de son environnement africain.

C’est nous les Africains…

Si les violences se multiplient contre les Africains noirs depuis ce discours, il convient de souligner que le discours est la cause circonstancielle et non fondamentale de ces agressions. En effet, la Tunisie, comme les autres pays du Maghreb, et plus largement les pays arabo-musulmans, est habitée par un racisme très présent envers les personnes de couleur, dénoncé par des ONG mais souvent peu médiatisé hors d’Afrique.

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Bien que les propos de Saïed aient été qualifiés de racistes, il est difficile de sérieusement qualifier comme telle la critique d’une immigration clandestine ou celle des actes répréhensibles commis par des étrangers. Et, à ce titre, la Tunisie est fondée à dénoncer ce qui attenterait à sa souveraineté et sa sécurité, même si cette immigration est davantage une migration, car la petite perle du Maghreb n’est souvent qu’une étape vers l’Europe. En revanche, ces propos se situent dans un environnement de racisme envers les Noirs, notamment dénoncé par plusieurs articles du magazine Jeune Afrique, qui n’ont pas suscité de grand intérêt.

Si les relations entre Maghrébins et Africains généralement d’origine subsaharienne peuvent être appréhendées avec amusement, comme le fait l’humoriste Redouane Behache, marié à une Congolaise, dans son sketch « Nous les Algériens, on est plusieurs dans un même corps », un certain « Abdel en vrai » dénonce sur AJ+ le racisme anti-Noirs des Nord-Africains, une situation ironique si l’on considère le racisme non moins important au Qatar d’où provient la chaîne qui diffuse un message progressiste en Occident.

Rosa Parks au Maghreb: pour l’instant, peu de relais…

En 2018, la Tunisie a été le premier pays arabe à promulguer une loi pénalisant la discrimination raciale, mais elle n’a pas modifié pour l’instant de façon importante le sort des Noirs, qu’ils soient immigrés ou Tunisiens depuis des années, notamment à cause d’une absence de sensibilisation à ce changement sur le terrain. Deux cas emblématiques ont été remarqués: en 2020, la justice a autorisé un Tunisien noir à retirer de son nom le mot « Atig » qui signifie « affranchi » (en référence à ses ancêtres esclaves) ; l’autre victoire avait été remportée l’année précédente par une enseignante victime d’insultes racistes de la mère d’une élève. L’ONG Minority Rights Group International, qui mentionne l’affaire[1], rappelle qu’un rapport avait dénoncé l’existence de bus séparés pour Blancs et Noirs à Gosba, une commune de la délégation de Sidi Maklouf. La situation avait été critiquée dans une lettre ouverte aux députés en février 2015 par Maha Abdelhamid, à la tête du Collectif égalité Tunisie. Dans sa lettre[2], la doctorante dénonçait même l’hypocrisie des Tunisiens arabes qui méprisent les groupes de danse de mariages, une profession réservée aux Noirs, tout en les recherchant pour leurs noces.

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Dans un article de 2016 intitulé « Racisme en Tunisie : On nous donne l’impression d’être des sous-hommes », Jeune Afrique a donné la parole à des étudiants noirs après l’agression de Congolais dans la capitale[3]. L’un d’eux, Camerounais, raconte subir des injures publiques faisant allusion au singe, le refus de chauffeurs de taxis de le prendre ou encore le fait que des Arabes se pincent le nez en sa présence. Une autre étudiante, Tunisienne elle, raconte que son institutrice l’avait installée au fond de la classe en expliquant que c’était à cause de sa couleur ou qu’un de ses enseignants au lycée l’appelait publiquement « oussifa » (esclave). De plus, dans la région de Gosba, les élèves noirs abandonnent tôt leurs études, faute de moyens, souligne Abdelhamid dans sa lettre aux députés.

Exception libyenne

Ce racisme, qu’on évoque en Tunisie à l’occasion des propos tenus par son président le 21 février, traverse en réalité toute l’Afrique du Nord. En 2014, elle était dénoncée par Jeune Afrique dans l’article Racisme au Maghreb : les Noirs sont-ils des citoyens comme les autres ? [4] Rappelant les crachats et les insultes publiques dont sont victimes les Noirs (« singe », « nègre », « esclave »), l’article constatait que ces derniers n’osaient pas protester et ne dénoncaient souvent le racisme que lorsqu’ils étaient entre eux. L’auteur racontait que des Arabes avaient tagué les murs d’un quartier noir en Égypte pour signifier qu’ils étaient « les maîtres des lieux », ce qui avait conduit à des combats faisant 26 morts dans la ville d’Assouan.

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Si l’article soulignait l’exception libyenne concernant la présence de Noirs dans les hautes sphères politiques et économiques, il faut rappeler que c’était surtout-là une volonté de Kadhafi. Après sa chute, les descendants d’esclaves de la ville de Tawergha ont dû fuir devant ceux de la ville arabe de Misrata. Les anciens mercenaires noirs du dictateur avaient violé des femmes arabes et tué des civils, mais la haine préexistait au siège de Misrata. En 2000, des Noirs invités par Kadhafi à s’installer dans le pays pour y travailler avaient été massacrés. L’armée avait regroupé des Noirs dans un camp pour les protéger, mais la foule l’avait incendié et les militaires avaient dû créer un autre camp où évacuer les victimes. Les immigrés avaient fini par fuir le pays ou se faire expulser.


[1] https://minorityrights.org/minorities/black-tunisians-fr/

[2] https://www.espacemanager.com/racisme-lettre-ouverte-dune-militante-aux-deputes-sur-un-cas-grave-dapartheid-en-tunisie.html

[3] https://www.jeuneafrique.com/387963/societe/racisme-tunisie-on-donne-limpression-detre-hommes/

[4] https://www.jeuneafrique.com/133758/societe/racisme-au-maghreb-les-noirs-sont-ils-des-citoyens-comme-les-autres/

Incantations

Quand une société a abandonné tous ses anciens rituels, elle en invente de nouveaux qu’on ne peut même pas dire « républicains » puisqu’ils renaissent sur les décombres des institutions que n’a pas su protéger la République: l’école, en tout premier lieu, qui vient d’être à nouveau le théâtre d’un fait divers sanglant.


On recourt alors, pour endiguer colères et peurs, à un rituel qu’on ressort, inchangé, dès qu’un meurtre particulièrement odieux justifie qu’on s’en remette à cet exorcisme collectif censé apaiser les esprits, appelés à trouver dans ce drame l’occasion de faire preuve de résilience alors qu’on  arrache jour après jour au peuple français un consentement forcé à accepter l’inacceptable, à désirer l’indésirable. Mais on a la tragédie qu’on peut, et celle-ci se déroule généralement en cinq actes, comme dans le théâtre classique.

Acte I : La stupeur. C’est à chaque fois la même litanie devant les caméras : comment est-ce possible ? C’est effroyable ! On ne s’y attendait pas… comment aurait-on pu imaginer… un garçon si gentil, etc. On découvre, ou feint de découvrir, combien les êtres humains peuvent être complexes et pervers et que le Mal, qu’une société civilisée se vantait d’avoir repoussé hors de la cité, est toujours bel et bien là, en embuscade. Mais qu’à cela ne tienne puisqu’on va faire front, tous ensemble qui plus est, comme si c’était là l’arme fatale contre un ennemi que des siècles de culture ne sont pas parvenus à éradiquer, mais avec lequel on pensait avoir au moins conclu un pacte de non-agression. La stupeur engendrant parfois la stupidité, l’envie vous prend alors de relire saint Augustin, Dostoïevski et quelques autres auteurs de même envergure qui ont vu, décrit, analysé ce que nous ne voulons plus voir, et qui ne fait que s’aggraver du fait de notre cécité.

Acte II : La contagion émotionnelle. L’émotion est sincère, à n’en pas douter, et il y aura toujours, dans tous les pays du monde, de « braves gens » bouleversés par les horreurs auxquelles ils ont assisté, désarmés et impuissants. Le problème n’est donc pas là mais dans l’orchestration des émotions individuelles, collectées par les médias et fondues en un chœur qui, à l’inverse de celui des tragédies antiques, n’est pas la voix du peuple jugeant sévèrement les héros égarés par leur démesure, ou se montrant compatissant à l’égard des êtres humains accablés par les dieux ou le destin. Le chœur antique est la voix d’une humanité souffrante mais en quête de justice, alors que la foule apitoyée semble participer à un grand lessivage collectif qui disperse la crasse au lieu d’en rechercher pour de bon les causes, tout en acceptant l’idée que vivre est en soi un risque qu’aucune mesure de prévention ne saurait écarter. Comment expliquer que l’on puisse à la fois brandir le « principe de précaution » pour des délits virtuels, et laisser s’installer une barbarie bien réelle ?

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Acte III : Mise en place d’une cellule d’aide psychologique. C’est là le premier pas d’une stratégie de reprise en main après la sidération initiale. Toutes les personnes impliquées dans le drame en tant que témoins plus ou moins proches de la victime, ou habitant sur les lieux où s’est déroulé le drame, sont invitées à venir parler de ce qu’elles ressentent et qui, demeuré enfoui, risquerait d’empoisonner leur vie. Rien à redire à cela, sinon qu’on attend sans doute trop, à titre personnel, de cette phase du rituel purificateur qui devrait également agir en amont : à quand une cellule psychologique permanente pour venir en aide aux enseignants en détresse avant qu’ils démissionnent ou se suicident ? Une sollicitude ponctuelle, si bienvenue soit-elle, risque de surcroît d’étouffer dans l’œuf toute velléité de révolte organisée contre ceux des politiques qui, investis de pouvoirs régaliens, ont failli à leur tâche mais vont profiter de l’émotion collective pour détourner l’orage qui plane sur leurs têtes, comme le montre l’acte suivant.

Acte IV : Rien de politique dans tout ça ! La professeure assassinée baigne encore dans son sang qu’on le sait déjà, on en est même sûr : « Ce n’est pas politique ! » Traduit de la novlangue ça veut dire: n’allez surtout pas chercher des coupables, ou même des tant soit peu responsables. Pas du fait divers lui-même bien sûr – celui-là ou un autre –  mais au moins des conditions de tous ordres qui l’ont rendu possible : climat délétère dans la France entière, banalisation de la violence, zones d’insécurité en extension constante, et enfin port d’armes à l’école comme si c’était aussi normal que d’emporter avec soi livres et cahiers. Il paraît qu’on ne peut pas résoudre le problème en installant des détecteurs de métaux, et que ce serait liberticide… Qu’importe d’ailleurs puisque ce ne sont pas les porteurs d’arme qu’il faut d’abord empêcher de nuire, mais tous ceux qui vont chercher à « récupérer » le potentiel émotionnel de l’événement en faveur de leurs idées nauséabondes. Ce qui semble cette fois-ci difficile vu le profil de l’assassin, et le lieu plutôt sécurisé où il a commis son crime ! Mais enfin la rhétorique est si bien rôdée qu’elle peut encore faire de l’effet. Quelques jours après le drame il n’y aura déjà plus rien à voir et à dire, du moins jusqu’au prochain séisme émotionnel qui sera lui aussi sans lendemain.

Acte V : Une marche blanche. Aussi blanche que l’arme qui causa la blessure mortelle ! Mais chacun sait qu’il y a blanc et blanc, bien sûr. Une marche en général silencieuse par respect pour la victime et sa famille, mais aussi pour faire savoir qu’on ne veut « plus jamais ça ! ». Quoi qu’il en soit de ce vœu pieux, la marche blanche est le point culminant d’un « blanchiment » des cœurs et des esprits ; ce défilé ritualisé finissant par paraître aussi grandiose, dans sa simplicité angélique, que l’Enchantement du Vendredi Saint dans le Parsifal de Wagner, ou le chœur des pèlerins dans Tannhäuser. C’est en tout cas une phase ultime de l’exorcisme collectif qu’il ne faut à aucun prix manquer car on s’y nettoie l’âme mieux que jadis à confesse ; d’autant qu’on y participe afin de « rendre hommage » à la victime dont la mort prend dès lors une dimension héroïque qui en masque le côté effroyable ou sordide. Que ne s’est-on mobilisés plus tôt afin de permettre à tous les enseignants qui subissent au quotidien les agressions de leurs élèves, et désespèrent d’être entendus par leur hiérarchie, d’exercer leur métier sans risquer leur vie !

Est-ce donc vraiment là l’unique représentation, codifiée et théâtralisée, que la société française est capable de se donner d’elle-même, de ses chagrins et de ses espérances quant à la possibilité de vivre encore en commun ?

Christine Angot au jury des Goncourt: enfin à sa place!

Notre chroniqueur, qui à notre grande stupéfaction ne paraît pas choqué par la nomination de Christine Angot au jury du Goncourt, profite de l’événement pour dresser un tableau quelque peu ironique de la production littéraire contemporaine.


Sur quel critère irréductible appréciez-vous — ou non — une œuvre littéraire ? Sur sa capacité à vous amuser, distraire, divertir — certes. Sur son ambition de créer une belle forme, peut-être. Mais essentiellement sur son décalage par rapport à ce que Roland Barthes appelait avec justesse « le degré zéro de l’écriture », ce plancher de l’expression, ce niveau abyssal à partir duquel tout écart fait style. Disons, pour simplifier, la langue des recettes de cuisine et des bulletins météo. Un texte parfaitement insipide — parce que le degré zéro littéraire correspond à ce péché mortel culinaire, le fade.

Vous avez reconnu là une description assez précise de 90% de la littérature contemporaine. Pensez que le Prix Nobel a été décerné à la championne hors catégorie du degré zéro, Annie Ernaux. Depuis que Serge Doubrovsky, en 1977, a inventé avec Fils ce qu’il a appelé l’autofiction, nos littérateurs s’en gavent jusqu’à l’écœurement — celui du lecteur, bien sûr.

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Christine Angot a enfourché très tôt ce mauvais cheval. Son premier roman publié, Vu du ciel, parlait de viol, mais sous une forme quelque peu allégorique. Interview, en 1995, revenait sur le sujet — si bien que Gallimard refusa cette fois de l’éditer, et que l’auteur (personne ne me fera écrire « l’autrice ») s’en alla chez Fayard. En 1999, décidant enfin d’appeler un chat par son nom, elle publie L’Inceste, et n’a eu de cesse depuis de revenir sur le sujet des viols répétés qu’elle dut subir, raconte-t-elle, de la part de son père, revenu à la maison 14 ans après sa naissance (à elle) et son départ (à lui), juste au moment où elle devenait un obscur objet du désir.

Depuis, elle a réitéré, encore et encore. L’exemple de Marguerite Duras, autre candidate à la platitude érigée en exemple, est là pour l’absoudre : L’Amant, prix Goncourt 1984, était une reprise de Barrage contre le Pacifique (1950), qui racontait déjà les amours d’une adolescente et d’un riche Asiatique — sujet repris dans L’Amant de la Chine du Nord, en 1991.

Loin de moi l’idée de me moquer de ces dames. Un viol est une affaire grave. Est-ce suffisant pour que tout témoignage à ce sujet puisse s’appeler « roman » ? Eric Naulleau et Pierre Jourde, dans Le Jourde & Naulleau (2004), recension de tous les imposteurs de la littérature contemporaine (allez-y voir, l’ouvrage couvre bon nombre de Goncourts et de Goncourables) disent de ce roman autofictif que « toutes les lignes de force de l’œuvre en gestation sont ici déjà repérables : agitation, déni du réel, livres qui tiendraient aisément sur quelques centimètres carrés promis aux bennes de recyclage ».

Ils n’avaient pas tort. Les écrits suivants d’Angot sont des resucées (si je puis dire) de L’Inceste. Avec des incursions dans les frasques de sa vie privée — voir Le marché des amants où elle raconte sa résistance au dur désir de sodomie de Doc Gynéco, dont elle partagea brièvement la vie. Beau sujet, ma foi…

Je dois à la vérité qu’il m’est arrivé de trouver à Christine Angot, chroniqueuse dans divers médias, de vraies qualités et même du punch. Il faut l’avoir vu expliquer non sans impatience à Sandrine Rousseau, qui draguait sur les terres du non-consentement sexuel avec Parler : Violences sexuelles : pour en finir avec la loi du silence (on mesure là encore le degré zéro d’un tel titre) en visant explicitement Julien Bayou, détesté puisqu’il visait la présidence d’EELV qu’elle convoitait, à quel point son désir de créer des instances au sein des partis destinées à écouter la parole des femmes était inconvenante, et à côté de la plaque. Christine Angot est parfois une polémiste efficace, et je salue son opposition à la GPA, qui fit hurler dans le camp des progressistes aveugles et des lecteurs de Libé.

Bien sûr, ses romans rasent si bien les mottes (si je puis ainsi m’exprimer) qu’ils dépassent l’insipide pour entrer de plain-pied dans l’illisible. Que ce caractère absolument plat ait été un critère pour lui valoir sa très récente nomination au jury du Prix Goncourt ne doit pas nous étonner. Christine Angot s’y sentira comme chez elle, elle aura pour voisin de table chez Drouant Eric-Emmanuel Schmitt ou Camille Laurens, entre autres gloires de cet establishment littéraire qui séjourne dans le degré zéro, mais creuse encore.

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Petit rappel littéraro-historique. Edmond de Goncourt, qui fonda le prix, n’a survécu, littérairement, que par son Journal, monument de jalousie, médisance, de fiel et d’antisémitisme. Cet aristocrate « artiste » ne supporta jamais d’être éclipsé par Flaubert, Zola, Maupassant et j’en passe. Il rassembla donc dès 1902 un quarteron d’auteurs du second rayon, dont difficilement Huysmans.

Les autres élus sont des littérateurs pour concierges. Les présidents successifs du Prix, à part Colette (de 1949 à 1954), ont été soigneusement choisis parmi les seconds couteaux de la littérature française de leurs époques respectives. Et à quelques exceptions près (Proust en 1919, Malraux en 1933, Beauvoir en 1954, Michel Tournier en 1970), ils sont soigneusement passés à côté de ce qui s’écrivait de plus intéressant, et n’ont accordé leurs faveurs qu’à des œuvres vouées à une obscurité certaine. Comme disait à peu près le Cyrano de Rostand: « John-Antoine Nau, Léon Frappié, Alphonse de Châteaubriand, Jean Cau, tous ces noms dont pas un ne mourra, que c’est beau ! »

Les Goncourt, ce sont quand même ces gens qui en 1932 préférèrent Guy Mazeline (qui ça ?) à Louis-Ferdinand Céline, en couronnant Les Loups plutôt que le Voyage au bout de la nuit.

Alors, Christine Angot parmi eux… C’est entendu, elle ne sait pas du tout écrire. Mais je crois qu’elle sait lire. Elle est capable même de trouver du génie à de vrais intellectuels. Il faut la voir (à partir de la 18ème minute) petite fille éberluée, face à Finkielkraut qui pourtant ne l’avait jamais épargnée — et qui sur ce coup n’en est pas revenu. Qui sait si elle ne saurait pas reconnaître un vrai écrivain, s’il se trouve que notre modernité déliquescente est capable d’en produire un ? Je me dispenserai donc de me moquer de sa cooptation chez Goncourt. J’éviterai d’écrire sur ce qu’elle écrit, parce que mettre du style, aussi pauvre que soit le mien, sur un écheveau de platitudes est une performance dont je me dispense, avec l’âge. Mais je saluerai éventuellement son vote, si par extraordinaire le Goncourt parvenait à couronner un vrai livre — ce dont je doute parfois. Amis littérateurs, faites-lui votre cour: Angot est désormais un zéro qui multiplie puis qu’elle est jurée au Goncourt.

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Pierre Legendre (1930-2023) nous lègue un trésor intellectuel

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Il était l’anthropologue trismégiste du pouvoir et de l’Occident


Né à Villedieu-les-Poêles dans la Manche il y a 92 ans, Pierre Legendre vient de s’éteindre à Paris, le 2 mars. Agrégé de droit public, psychanalyste, directeur d’études à l’École pratique des hautes études, Professeur à l’université Paris Panthéon-Sorbonne, grand couturier du droit, il a glosé vingt siècles d’Histoire institutionnelle occidentale. Selon la formule consacrée, à l’image du pontife romain, il avait tous les droits dans l’archive de sa poitrine. « Omnia juria habet in scrinio pectoris sui ».

Malicieux, curieux et respectueux de la sagesse d’Amadou Hampâté Bâ, de la ritualité japonaise, de l’herméneutique rabbinique, il voyait Ce que l’Occident ne voit pas de l’Occident. A l’ombre des quarante piliers de Sainte-Sophie, il méditait sur l’héritage orthodoxe, le Corpus Juris Civilis de l’empereur Justinien, La Flagellation du Christ de Piero della Francesca, citait Ovide, Rimbaud, admirait Kantorowicz, Borges, Magritte, faisait son miel du Décret de Gratien (droit canon), des Sentences du théologien Pierre Lombard, des 900 Conclusions de Jean Pic de la Mirandole, de l’Œdipus Ægyptiacus d’Athanase Kircher.

Il aimait les poètes («unacknowledged legislators of the world» disait Shelley), les bibliothèques, la calligraphie, tous les savoirs du monde. C’était un érudit qui avait le Moyen âge, la scolastique, le droit et les manuscrits, dans la peau.

Il détestait le pouvoir, les décorations, les médias, le barnum germanopratin, la bêtise.

Il n’a jamais frayé avec les militants, rebelles d’Etat assoiffés d’indignation, d’honneurs et reconnaissances, sociologues fonctionnalistes, scientistes, philodoxes, naïfs qui appréhendent le pouvoir comme une malédiction ou comme une gouvernance, jivaros de la pensée qui réduisent le juridique à une fonction de pilotage technique, doublée aujourd’hui de la broderie ad infinitum d’une tapisserie de Bayeux de droits putatifs… au bonheur, à l’enfant, à la paresse, la bêtise…

Il a fait sienne une maxime du Pape Boniface VIII, « Il vaut mieux s’exposer à causer du scandale que d’abandonner la vérité ».

Il nous laisse une Somme d’anthropologie dogmatique : 40 ouvrages exigeants, écrits, profonds, aux titres souvent insolites. Citons : L’amour du censeur (1974) ; Paroles poétiques échappées du texte (1982) ; Le Désir politique de Dieu. Étude sur les montages de l’État et du droit (1988) ; Le Crime du caporal Lortie. Traité sur le Père (1989) ; L’Autre Bible de l’Occident : le monument romano-canonique (2009) ; Le Visage de la main (2019) ; L’Inexploré, Conférence à l’École nationale des chartes (2020). L’un de ses derniers opus, L’Avant dernier des jours (Fragments de quasi-mémoires), publié en 2021, éclaire magistralement, par un clair-obscur mélancolique, la lumière indirecte d’un Caravage ou d’un La Tour, l’œuvre et la pensée d’une vie… ultime fugue, speculum, miroir de la salvation d’une âme juridique.

Il a un style énergique, jouant sur les condensations, effets dramatiques, des épigrammes énigmatiques, une gravité, le sens des contrastes, l’illusion baroque parfois. L’éthos et le pathos legendriens sont puissants et le propos amplifié par une esthétique de l’ellipse et une dynamique du sublime, à la fois concept opératoire et résultat, processus et effet. Les images par l’hypotypose permettent de dessiner en creux les mythes, les structures et le noyau anthropologique qui institue la vie (« Vitam instituere »).

Il exorcise les Fantômes de l’État en France, pose les questions maudites, se confronte aux énigmes : Pourquoi des lois ? Que signifie la Trinité ? Quelle est l’essence du pouvoir ?

Il a mis sur la table des vérités incompréhensibles et irrecevables pour la doxa basse de plafond: les collages qui font un État, l’immémorial, la fonction, l’essence religieuse du management. « Il faut du théâtre, des rites des cérémonies d’écriture pour faire exister un État, lui donner forme, en faire une fiction animée (…) On n’a jamais vu, on ne verra jamais, une société vivre et se gouverner sans scénario fondateur, sans narrations totémiques, sans musiques, sans chorégraphies. On n’a jamais vu, on ne verra jamais une société vivre et se gouverner sans préceptes et sans interdits ». Il définissait le travail du juriste comme « l’art d’inventer les paroles rassurantes, d’indiquer l’objet d’amour où la politique place le prestige, et de manipuler les menaces primordiales ». Le pouvoir ou l’art de manier l’iconologie, les devises, la vexillologie, l’emblème, « technique de proclamation d’une vérité radicale, vérité de toutes les vérités ». Il faut écrire dans la tête, disait Fénelon.

Il a redécouvert la prégnance d’un continent englouti, le droit romain, le Corpus Juris Civilis, a compris que cette « forteresse de mots », « épiphanie textuelle » sur-glosée, a été captée par la papauté lors de la Réforme Grégorienne (XIe siècle), devenant une ratio scripta, le socle historique, dogmatique de l’État occidental.

Il a pensé, un demi-siècle avant tout le monde, la reféodalisation du monde. Il a dénoncé les ravages de la désinstitutionalisation, du « self-service normatif » libéral-libertaire, des verbigérations délirantes du wokisme qui triomphe après le naufrage des humanités, de l’hosiótês et de la paideia, la foire aux fantasmes transhumanistes, les « conceptions bouchères » de la filiation, la techno-science-économie qui broie l’humain, le symbolique, les institutions ; tous ces fléaux qui abolissent jusqu’au principe de Raison. « Il ne suffit pas de produire la chair humaine pour que l’humanité vive, il faut à l’homme une raison de vivre ».

Nous lui devons trois films documentaires magistraux, contrapontiques, réalisés en étroite complicité avec le réalisateur Gérald Caillat et le producteur Pierre-Olivier Bardet: La Fabrique de l’homme occidental (1996) ; Miroir d’une nation, L’École Nationale d’Administration (1999) ; Dominium Mundi, L’empire du management (2007). Les montages savants, plans séquences, interviews, voix off, se succèdent et s’enchâssent dans une subtile hodologie.

Le site https://arsdogmatica.com/ met magistralement en scène son œuvre.

Les éditions Ars Dogmatica préparent la réédition du Trésor historique de l’Etat en France (Inventorier la cargaison du navire): un traitéd’histoire du droit d’une brûlante actualité en ces temps de sauve qui peut institutionnel.

Janus associé au passage du temps, aux portes, aux commencements, Hermès, messager de l’Olympe, gardien des routes et des carrefours, pour paraphraser Barrès, Pierre Legendre était aussi, et restera, notre jeune homme.

Son œuvre est un bloc d’abîme, une ligne d’horizon, un trésor intellectuel.

École: exigence zéro, bienveillance infinie

L’école est chaque jour un peu plus une machine à décerveler et à formater. Alors que les jeunes cerveaux sont pris en tenaille entre wokisme et islamisme, des parents, des professeurs et des élèves se rebiffent. Le combat contre le « Grand Endoctrinement » lancé par Eric Zemmour est loin d’être gagné. Mais savoir que certains ont décidé de le livrer est une excellente nouvelle.


La plupart des parents se soucient de ce que mangent leurs enfants. Alors qu’une innocente pizza est susceptible d’abriter une bactérie mortelle, on peut le comprendre même si l’obsession du bio et du « manger sain » prive nos bambins du plaisir coupable d’un bon McDo. En revanche, il est incompréhensible, voire criminel, que les mêmes parents se fichent des nourritures immatérielles, insipides ou hautement toxiques, enfournées à jet continu dans le cerveau de leur progéniture. On dirait que ce qu’un enfant a dans son assiette est bien plus essentiel que ce qu’il a dans la tête, comme si la nouvelle devise de l’époque était « un esprit vide dans un corps sain ». L’ennui, c’est que le contenu des jeunes cervelles affecte durablement l’existence quand celui des assiettes disparaît rapidement.

Pourtant, le succès des « Parents vigilants » révèle que nombre de parents sont très conscients des saccages idéologiques perpétrés à l’école et qu’ils n’entendent pas les subir sans réagir.

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C’est dans son discours de clôture des universités d’été de Reconquête, début septembre 2022, qu’Éric Zemmour a sonné la charge contre le « Grand Endoctrinement ». Sans doute la bande de Reconquête espérait-elle faire un bon coup politique en s’emparant d’un sujet qui concerne tout le monde. Le résultat, au-delà de ses attentes, a révélé un scandale qui devrait être l’obsession de tous, gouvernants et gouvernés. Ce qui se joue, ou plutôt ce qui se détruit dans l’indifférence générale, c’est la vie de chaque jeune, mais aussi notre avenir comme communauté politique. Que restera-t-il de la France, de sa culture, de sa littérature, quand toutes les générations vivantes seront passées par la machine à décerveler et à formater qu’est devenue l’École de la République ?

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En à peine six mois, « Parents vigilants » a constitué un réseau de plus de 40 000 personnes, et les témoignages affluent par milliers de tout le territoire, postés par des parents mais aussi des élèves et des enseignants qui ne sont pas tous des sympathisants ou des électeurs du Z. Ainsi, beaucoup de gens qui se croyaient isolés, et finissaient parfois par se demander si le problème ne venait pas de leur incapacité à apprécier toutes les beautés de la post-modernité inclusive et écologique, ont découvert qu’ils n’étaient pas seuls, donc peut-être moins désarmés qu’ils ne le pensaient. Premier fait d’armes, ce sont des « Parents vigilants » qui ont levé le lièvre de la professeure de philosophie du Nord qui projetait d’emmener ses élèves d’hypokhâgne visiter un camp de migrants à Calais en leur recommandant d’apporter des vêtements et de la nourriture. Sarah Knafo et Damien Rieu, qui s’emploient à structurer ce mouvement naissant, ne sont pas peu fiers de ce premier succès : « Nous avons réussi à faire annuler la visite », se réjouit la jeune femme, première conseillère (et compagne) de Zemmour. 

On trouvera dans les pages suivantes une sélection de ces témoignages souvent hilarants, autant que terrifiants. Comme le résume très bien un parent d’élève de première, « l’anglais est woke, le français féministe, l’économie marxiste, la géographie écologiste et l’histoire déconstructiviste ». Allez en paix.

Une partie concerne les tares déjà anciennes de notre système scolaire, l’effondrement du niveau et le gauchisme. On ne s’étendra pas sur le niveau : « le déclin continu de l’intelligence critique et du sens de la langue auquel ont conduit les réformes scolaires » a été fort bien analysé il y a déjà vingt-cinq ans par Jean-Claude Michéa dans L’Enseignement de l’ignorance (« Climats », Flammarion, 1999). Alain Finkielkraut, Jean-Claude Milner, Jean-Paul Brighelli et bien d’autres n’ont cessé de sonner l’alarme. En vain. Aujourd’hui, plus personne ne s’étonne que des grands gaillards, d’une habileté prodigieuse avec leurs écrans, soient incapables d’écrire une phrase, voire un mot, sans faire d’énormes fautes. Le fait qu’ils passent en classe supérieure – la loi permet désormais aux parents de s’opposer à un redoublement – jusqu’à obtenir un bac qui ne vaut plus rien ne suscite guère de protestation, comme si nous avions intégré que l’École, c’est l’exigence zéro.

L’autre dérive bien connue est le sinistrisme du corps enseignant et, largement, de l’institution. Certes, un professeur, comme tout citoyen, a le droit d’être de gauche. L’ennui, c’est que beaucoup considèrent leurs préférences politiques non pas comme des opinions, mais comme des vérités. « L’école est le cœur du pouvoir culturel des Insoumis, souligne Sarah Knafo. C’est pour cela que nos actions les mettent en rage. » Les cours d’histoire sont fréquemment des meetings anti-droite, anti-réac, anti-Zemmour, etc. Sans surprise, l’immigration est exclusivement présentée comme une chance pour notre pays, les élèves étant invités, pour leurs dissertations, à se mettre dans la peau d’un migrant ou à parler de leurs parents venus d’ailleurs (ceux qui ont la malchance d’appartenir au peuple old school n’ont qu’à se taire ou inventer). Au cas où certains auraient encore mal compris, des associations comme la Cimade ou SOS Méditerranée ont table ouverte dans les établissements.

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Logiquement, l’École accueille et promeut toutes les lubies du nouveau progressisme. Les jeunes cerveaux sont donc pris en tenaille entre islamisme et wokisme. Toutes les expressions de l’islam bénéficient d’une tolérance de principe, parfois au mépris de la loi de 2004. Et le meilleur accueil est réservé à la propagande LGBT, surtout T d’ailleurs. Dès leur plus jeune âge, les enfants sont incités à s’imaginer d’un autre sexe que celui de leur naissance. En résumé, la jeunesse de France doit apprendre que le mâle blanc hétérosexuel et catholique est un résidu de l’Histoire, prié de se déconstruire ou à disparaître.

Le plus désolant, c’est que l’enseignement privé sous contrat n’est pas en reste. L’école catho d’aujourd’hui, plus pape François que Charlotte d’Ornellas, ne cherche plus à contrôler les esprits à coups d’Évangiles ou de versets bibliques, comme feignent de le croire les prétendus libres-penseurs. Comme la laïque, elle s’adonne au relativisme de la bienveillance – tout se vaut, tout est respectable. Ce qui conduit beaucoup de familles à se ruer sur le hors-contrat.

En phase de structuration, les Parents vigilants pourraient présenter des candidats aux élections des représentants de parents d’élèves et concurrencer le quasi-monopole de la funeste FCPE. D’ailleurs, il paraît que leur activisme commence à inquiéter sérieusement Rue de Grenelle. Le combat est loin d’être gagné, mais certains ont décidé de le livrer. C’est la meilleure nouvelle de ce début d’année.

Les médias une addition, pas une addiction!

Notre contributeur Philippe Bilger, magistrat et président de l’Institut de la Parole, raconte son rapport aux médias et à ses acteurs.


Raphaël Enthoven a cette chance d’échapper toujours à la sottise. Qu’on soit en désaccord ou non avec lui, sa pensée stimule et la contradiction qu’on lui oppose donne du prix à sa propre réflexion. Ainsi, quand il déclare que « travailler dans les médias, c’est gagner sa vie en faisant un métier de drogués », il me semble qu’il se trompe et qu’en tout cas cette affirmation est largement à nuancer, qu’on « travaille dans les médias » ou qu’on soit chroniqueur régulier dans ceux-ci.

Raphaël Enthoven. Image: Capture Paris Première

Cette appréciation de Raphaël Enthoven m’a d’autant plus intéressé qu’elle me permet de faire état d’une évolution qui m’a métamorphosé au fil des ans. En substance je suis passé, notamment sur les plans professionnels – justice et médias – d’une solitude désirée et toujours défendue, avec un zeste de narcissisme, à la certitude qu’on ne pouvait jamais être exceptionnel, voire seulement bon, tout seul.

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Cette prise de conscience qui pour certains relèvera de la banalité, m’a incité, partout où j’avais à m’exprimer, à tenter d’offrir le meilleur de mon esprit, de mes convictions et de ma liberté mais en étant persuadé de l’inéluctable limite de ma volonté d’exister si autour d’elle n’étaient pas réunies des excellences, des forces, pour un concert enrichissant, ce que j’avais la prétention de croire valable à soi seul.

Le message et le messager

Dans les médias, je ne me suis jamais senti le moins du monde « drogué » parce qu’il s’agissait d’abord d’une modalité d’expression qui m’était offerte, une parmi d’autres, et qui n’avait de sens que si elle privilégiait ma pulsion de vérité au détriment du personnage se contentant de se pavaner par l’exhibition de soi. Surtout, de plus en plus, m’est apparu le fait que l’addiction menaçante et parfois trop réelle était forcément battue en brèche par le constat de l’addition, que rien de décisif ne pouvait surgir dans une émission de radio ou sur un plateau de télévision sans cette bienfaisante coagulation qui ajoutait à un singulier même assuré de soi un pluriel provoquant, contredisant ou approuvant, d’autres chroniqueurs vous faisant don de ce trop rare privilège d’être plus passionné par leur écoute que par sa propre parole.

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Aussi invoquer l’addiction dans une participation fréquente à l’univers médiatique confond la nature du message avec ceux qui le communiquent. Ces derniers, quand ils ont l’honneur et l’opportunité de disposer de cet outil exemplaire de communication, seraient mal avisés de n’user de celui-ci que pour se faire valoir eux-mêmes. J’ai, au fil de mon expérience, pu constater que les plus grands des interviewers – je pense par exemple au Michel Field d’il y a quelques années – n’étaient obsédés que par le rapport étroit qu’ils cherchaient à entretenir entre l’envie de satisfaire leur curiosité avec des interrogations pertinentes et la parfaite formulation de celles-ci. Rien en tout cas qui se rapporte, de près ou de loin, avec une drogue qui leur aurait interdit de s’effacer au détriment d’autrui.

On n’est jamais au meilleur tout seul. J’ose soutenir qu’il y a des vertus, des talents, des dons, des réussites, de belles attitudes qui n’ont de chance de se concrétiser que si miraculeusement, pour leur permettre l’incarnation, le hasard ou la volonté sont parvenus à créer un environnement magique, des complicités de qualité, des affinités rares.

Une fusion entre le pluriel et le singulier

Par exemple on ne peut jamais être fidèle tout seul en amour : encore faut-il que l’autre vous en donne envie, ne vous en dissuade pas. Il ne peut pas y avoir, dans les cours d’assises, des accusateurs publics remarqués si, dans ces enceintes uniques de passion et de tragédies, il n’y a pas en même temps des présidents doués et des avocats de qualité. Cette fusion n’est pas seulement une condition nécessaire à l’excellence des débats mais aussi ce sans quoi aucune supériorité individuelle ne pourra se manifester, le pluriel aidant le singulier à porter à son comble des dispositions que l’autarcie personnelle ne suffirait pas à mettre à jour.

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Cette évidence dont mon existence m’a démontré le caractère valide, d’une part n’est pas un amoindrissement de soi, pas davantage que le poncif vantant le travail en équipe. J’aime au contraire que cette addiction détournée dans le bon sens impose l’addition de tout ce qui vous entoure, pour se réaliser encore mieux. On a besoin du talent des autres, où que ce soit, mais pour soi. C’est à cause de cet inéluctable enseignement que le contentement de soi, pour toutes les sortes d’expressions publiques possibles et imaginables, est une absurdité, une vanité déplacée.

Cette leçon qui contraint à avoir besoin des autres, dans l’espace intellectuel et médiatique, parce qu’on bénéficie alors d’une addition, n’est pas contradictoire avec le sentiment qu’on peut parfois éprouver de temps en temps dans la vie sociale: on désirerait telle ou telle soustraction. 

BlocusChallenge: la justice peut-elle mettre Louis Boyard en prison?

À travers son «BlocusChallenge», Louis Boyard (LFI) incite les étudiants à bloquer amphis et lycées contre la réforme des retraites. Dans la foulée, la présidente LR de la Région Île-de-France, Valérie Pécresse, annonce qu’elle dépose une plainte contre lui. Mais à l’heure de la sanctification de la parole des jeunes et de la tiktokisation de la vie politique, le jeune député du Val-de-Marne risque-t-il vraiment quelque chose ?


« Postez vos plus belles photos de blocus des lycées, d’universités. »  Ce dimanche, Louis Boyard, désormais habitué des esclandres, invitait les étudiants à bloquer leurs établissements scolaires en soutien à la grève du 7 mars. Plus absurde encore, il a promis aux bloqueurs une visite de l’Assemblée nationale, par tirage au sort. Montage vidéo ultra dynamique et hashtags à gogo: la stratégie de « bordélisation » du débat politique de l’extrême gauche se veut désormais ludique. Elle suit en tout cas à la lettre tous les codes des réseaux sociaux plébiscités par la jeunesse.


Le droit de manifester doit respecter le droit d’étudier

Rapidement, les réactions ont fusé. « LAssemblée nest pas un prix de concours. La politique nest pas un challenge TikTok » s’est indignée la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet (« Renaissance »). De son côté, le lendemain de l’appel au blocus, Valérie Pécresse (LR) annonce dans un communiqué porter plainte contre Louis Boyard pour « incitation au délit d’entrave » et « incitation à la violence ».

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Effectivement, en empêchant les professeurs d’enseigner, le blocus est d’abord reconnu comme un délit d’entrave à la liberté du travail. « Le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement scolaire sans y être habilité (…) ou y avoir été autorisé (…), dans le but de troubler la tranquillité ou le bon ordre de l’établissement, est puni d’un an d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende », selon l’article 431-22 du Code pénal. Mais, également, d’après l’article R644-2, tout simplement une entrave à la libre circulation. En incitant à commettre de tels délits, le benjamin de la Nupes serait de son côté passible d’une peine de cinq ans de prison et 45 000 euros d’amende, voire même 150 000 en s’adressant à des mineurs [1]! Pourtant, Louis Boyard, âgé de seulement 22 ans, dort sur ses deux oreilles. Comme dans la majorité des mouvements sociaux, on sait bien que les interpellations sont rares. Et les peines réellement appliquées, encore davantage. Sous couvert de cet intouchable militantisme étudiant, encouragé par le laxisme institutionnel, le chouchou de l’extrême gauche a donc de fortes chances de passer entre les mailles du filet. Tant pis pour ceux qui souhaitaient étudier !

Militantisme 2.0

Quant à Yaël Braun-Pivet, si elle ne se gêne pas pour critiquer cette « tiktokisation » de la politique, elle fait preuve d’une mauvaise foi incontestable. Malheureusement pour elle, dans sa famille politique, personne n’a oublié les frasques de Marlène Schiappa, laquelle invitait des influenceuses pour qu’elles l’aident à « sensibiliser » la société contre les violences sexistes et sexuelles, ou celles de Jean-Baptiste Djebbari, lequel ne se gênait pas non plus pour utiliser toutes les fonctionnalités de l’application chinoise depuis son ministère des Transports. Dans la même veine, on peut aussi renvoyer notre présidente de l’Assemblée nationale aux fameuses « FAQ » YouTube d’Emmanuel Macron sur l’écologie… En fait, seuls les LR ou le RN rechignent à se lancer dans ce style de communication régressif.

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Notre ravissement général devant la jeune Greta Thunberg lorsqu’elle tançait les adultes responsables du changement climatique, ou les pirouettes à l’Élysée de MacFly et Carlito avec le président Macron, étaient des signaux forts, et annonciateurs ; les signes de la fin d’un certain respect des institutions.

L’extrême gauche, consciente de ce nouveau pouvoir de la jeunesse, ne se gêne donc pas pour donner à présent naissance à des députés-influenceurs, qu’elle envoie en première ligne pour militer contre la réforme des retraites, quand bien même ils sont mal placés pour parler du monde du travail. Blocages universitaires et manifs font partie intégrante de la vie étudiante, le dossier de mars de Causeur l’illustre bien.

Mais ironiquement, alors que l’abstention atteint 76% aux dernières législatives chez les 18-24 ans (le public cible de Tiktok, a priori), il faudrait peut-être commencer par aller voter avant de vouloir cramer sa fac!

[1] https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-vrai-du-faux/le-vrai-du-faux-bloquer-un-lycee-et-inciter-a-faire-un-blocage-sont-ils-des-delits-comme-le-sous-entend-valerie-pecresse_5670188.html

« Tout n’a pas été négatif dans la colonisation » Entretien avec Denis Sassou-Nguesso

Doyen des présidents africains, et dernier chef d’État issu de la génération de la décolonisation, le président de la République du Congo porte aujourd’hui un regard lucide et apaisé sur le passé.


À peine remis de la chute de l’URSS, le système international subit aujourd’hui de dangereuses secousses. Des continents géopolitiques – la Fédération russe, la Chine, les États-Unis – se frottent à la recherche de leur place, libérant des forces d’une violence croissante. Aux confins des « points chauds » de cette tectonique des plaques, les entités politiques essaient de s’adapter pour éviter d’être emportées par des lames de fond que personne ne maîtrise. La République du Congo (Brazzaville) ne fait pas exception. C’est un petit pays – neuf fois plus petit et vingt fois moins peuplé que son voisin, la République démocratique du Congo (Kinshasa). Son histoire ressemble à celle de nombreux pays africains : une trajectoire qui commence par la colonisation française, l’indépendance, les espoirs, les déboires, le long apprentissage du pouvoir, mais aussi la guerre froide, la fin du monde bipolaire, la montée de la Chine, le lent effacement de la France. Son président Denis Sassou-Nguesso est le doyen du continent africain. Né en 1943, il joue un rôle de plus en plus important dans le Congo indépendant, d’abord comme militaire puis comme politique : il devient Président en 1979. Il perd les élections de 1992 et après un exil et une guerre civile revient au pouvoir en 1997. Dernier survivant de la génération de la décolonisation, il a côtoyé les géants de la décolonisation. De HouphouëtBoigny à Mandela, il les a tous connus. Il connaît également l’ancienne métropole, la France dont il a porté l’uniforme à 19 ans. Nous nous sommes rencontrés à Brazzaville mi-janvier. Cela a été l’occasion d’exercer un droit d’inventaire sur la vie du président et de faire le point sur le passé du pays qu’il dirige et sur sa vision du continent.


Causeur. Monsieur le Président, face à votre palais, de l’autre côté du fleuve, on peut voir une ville qui s’appelait Léopoldville et qu’on appelle aujourd’hui Kinshasa. Pourtant, votre capitale se nomme toujours Brazzaville. Pourquoi avoir gardé ce nom qui évoque la colonisation ? 

Denis Sassou-Nguesso. Avant de répondre à cette question, je vais vous raconter une anecdote. En 1980, j’ai rencontré Ahmed Sékou Touré, président de la République de Guinée et Mathieu Kérékou, président du Bénin, ici à l’aéroport de Brazzaville. Au cours de ce rendez-vous, Sékou Touré m’a demandé d’organiser un meeting et, avant de nous y rendre, il m’a dit : « Je vais annoncer au meeting que Brazzaville change de nom pour devenir Ngouabiville, en hommage au président congolais Marien Ngouabi assassiné en 1977. » J’ai refusé.

Ici, au Congo, nous ne continuons pas à vivre l’époque coloniale. Monsieur Savorgnan de Brazza a libéré les esclaves à Libreville ! Il a agi comme un explorateur, comme un humaniste et non pas comme un colonialiste ! Quand il était en poste ici, il s’est opposé à l’indigénat. Plus tard, c’est lui encore qui a rédigé un rapport accablant les administrateurs coloniaux et leurs excès. Nous l’avons conservé au mémorial érigé en son honneur. Nous pensons même que c’est suite à ce rapport que Brazza a été empoisonné. Nous continuons de voir en lui un humaniste et Brazzaville continue de porter son nom.

Partout dans le monde, on déboulonne les statues et on rebaptise les voies, les écoles et autres institutions publiques… Vous êtes une exception mondiale.

Brazza est un peu l’exception, car nous avons rebaptisé des noms de gares. Par exemple, celles qui portaient les noms du capitaine Marchand et du général Baratier. Je le répète, nous ne vivons pas sous l’ombre de la colonisation.

Je fais un saut dans le temps. Les années 1940-1950. À quel moment avez-vous compris que la situation au Congo devait changer ?

J’avais 17 ans, et j’ai décidé d’entrer dans la lutte pour la libération.

Pourquoi ?

Je me souviens que, quand nous avions 14 ou 15 ans, il nous arrivait, le dimanche, en nous promenant le long des chemins de fer, de regarder des trains et nous comptions les wagons qui transportaient les grumes. Parfois, dans une seule journée, il y avait trois trains et chacun tirait une cinquantaine de wagons de bois. Aucun Africain n’avait les moyens de couper ce bois à une telle échelle. Ce pillage de nos forêts, de nos ressources nous révoltait.

Mon village natal était un chef-lieu de canton. Mon père et ses aînés en ont été les chefs. Dès l’âge de 10 ans, j’ai vu comment l’administration coloniale se comportait, notamment avec mes parents. J’ai remarqué tous les habitants des villages du canton qui venaient se faire recenser. J’ai vu aussi la lutte contre les maladies, les équipes d’infirmiers qui passaient ou s’installaient dans le village. J’ai observé tout ça, couché dans le sable. Mon engagement dans la lutte de libération germait lentement.

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Pourquoi votre génération et non pas celle de vos parents ? 

Les pauvres, eux n’ont pas pu se défendre ! Nous, en revanche, la colonisation nous a appris à lire et à écrire aussi. Elle nous a dotés des outils nécessaires. Tout n’a pas été négatif !

Comment avez-vous décidé de votre vocation militaire ? Pourquoi pas l’église, l’enseignement ou devenir ingénieur ou médecin ?

Ce n’est pas moi qui l’ai décidé, je ne savais même pas ce qu’était l’armée. Je voulais seulement étudier. Je n’avais pas encore de choix. J’étais un peu moyen partout, mais j’étais certainement plus doué pour les mathématiques et les sciences. Mes notes sont par ailleurs conservées à l’académie de Nantes, en France. C’est mon professeur, un Français, qui m’a orienté à mon insu. C’est sans doute le destin.

Plus tard, cette volonté de prendre votre destin en main s’est exprimée de plus en plus par une idéologie teintée de marxisme. Pourquoi ?

Tout d’abord, du fait des relations que nous avions ici avec une association de lutte pour l’indépendance. Par ailleurs, ceux qui étudiaient en France avaient plutôt des contacts avec la gauche française, socialiste et communiste. Ils militaient déjà pour le Parti communiste français. Ce sont eux qui nous ont influencés. Mais au fond, nous ne sommes jamais devenus des communistes. Les partis qui luttaient pour la libération étaient de gauche et ils nous soutenaient, comme le faisaient également les pays de l’Europe de l’Est. L’OTAN en revanche soutenait Salazar [le dictateur du Portugal, puissance coloniale qui dominait l’Angola, voisine du Congo. ndlr].

Ni Mandela ni Fidel Castro n’étaient communistes au départ. Les Algériens n’étaient pas des communistes non plus. C’était une lutte pour la libération des peuples, et on prenait nos alliés en fonction de leur engagement. Ils nous soutenaient ou pas. L’OTAN soutenait Salazar pour que l’Angola continue d’être une province portugaise.

Houphouët-Boigny, avant d’être considéré comme un partenaire de la droite en France, siégeait avec les communistes et les socialistes au palais Bourbon. Il était à gauche. Il luttait pour l’indépendance de la Côte d’Ivoire.

La libération du Congo, comme la décolonisation dans son ensemble, a été liée au contexte de la guerre froide. Vous avez perdu le pouvoir en 1992, après treize ans d’exercice : était-ce dû à la chute de l’URSS et au bouleversement géopolitique qui s’en est suivi ?

Pas seulement, mais c’était un moment historique. La chute du mur de Berlin, le changement intervenu en URSS, la disparition du pacte de Varsovie, c’était quand même un nouveau rapport de forces.

Est-ce que vous avez senti le vent tourner ?

Oui ! Non seulement nous l’avons senti, mais notre parti a convoqué une session de son comité central pour dire que les choses étaient en mouvement et pour soutenir une évolution vers le multipartisme.

Quelle est votre vision de ce qui s’est passé ensuite ? Pourquoi l’instabilité politique et la violence se sont-elles installées ?

Si vous observez bien, vous constaterez que l’instabilité politique ne s’est produite que dans les anciennes colonies françaises ; ni dans les anciennes colonies anglaises, ni même portugaises. Et pas non plus au Nigeria ou au Kenya.

Comment l’expliquez-vous ?

Avec son discours de La Baule, le président de la République française nous invite, nous les chefs d’États africains, à lancer un processus de démocratisation. Le Bénin a été le premier à payer le prix de cette démarche menée à la hussarde. Puis toutes les anciennes colonies françaises sont passées par le moule des conférences dites « nationales et souveraines » avec des schémas presque préétablis. Cela n’a pas donné de bons résultats et d’ailleurs, trente ans plus tard, il ne reste rien de tout cela.

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Qu’avez-vous pensé en entendant ce discours ?

Il y a eu une réponse au discours de Mitterrand, celle d’Hassan II. La presse française l’a censuré. Le roi du Maroc avait parfaitement exprimé nos appréhensions quand il expliquait que la transformation de nos sociétés et de leurs cadres traditionnels devait s’inscrire dans un temps long. Malheureusement, le discours du roi a eu beaucoup moins de retentissement que celui du président.

Et les mots ont été vite suivis par des actes : passage rapide au multipartisme, conflits, instabilité politique…   

Et comment ! J’ai vécu durement cette transition. J’ai convoqué la conférence nationale dans l’espoir d’obtenir que les Congolais s’ouvrent vers un avenir démocratique et mettent en place de nouvelles règles. Cette conférence a été un échec, mais j’assumais tout ce qui y avait été dit. Ce moment-là a été difficile. Le pays a ensuite connu une sombre décennie.

Depuis que vous êtes revenu au pouvoir, en 1997, quelles sont vos relations avec la France ?

Normales. Après la guerre civile, le président était Jacques Chirac, un ami, un frère. Le président Sarkozy est venu en visite officielle ici. Seul Hollande n’est pas venu.

Comment avez-vous reçu le discours de Nicolas Sarkozy sur l’Afrique et l’homme africain qui n’était pas « entré dans l’Histoire » ? En France, cela a fait beaucoup de bruit.

Lui semble se défendre en disant que ce n’est pas lui qui l’a écrit, qu’il n’a pas fait attention à certaines choses. Bref… c’était scandaleux. Je crois qu’il le regrette. Et s’il y a du regret, ça suffit.

  1. Le « discours de La Baule », écrit par Erik Orsenna, a été prononcé par François Mitterand le 20 juin 1990 lors de la 16e conférence des chefs d’État d’Afrique, à laquelle participaient 37 pays africains. Elle s’est déroulée à La Baule-Escoublac.

Geoffroy de Lagasnerie jette le «trouple» sur le modèle relationnel patriarcal

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Selon l’auteur de 3: Une aspiration au dehors (Flammarion), il faut en finir avec la famille qui «favorise le développement de structures mentales autoritaires, voire fascistes» et permet l’insupportable «matinalisme».


Qui n’a pas, à quinze ans, claqué rageusement les portes de la demeure familiale ? Ou, Les nourritures terrestres de Gide à la main, vociféré sur ses parents : « Familles, je vous hais ! » ? C’est à pleins poumons aussi, qu’il nous est arrivé d’entonner quelques paroles salvatrices de la chanson de Renaud:

On choisit ses copains mais rarement sa famille
Y’a un gonze mine de rien qu’a marié ma frangine
Il est devenu mon beauf un beauf à la Cabu
Imbécile et facho mais heureusement cocu
Quand l’soleil brillera que pour les cons
Il aura les oreilles qui chauffent
Mon Beauf

Las ! Bas du front et mous du bulbe, endoctrinés malgré nous, nous avons fini par adhérer à une existence codifiée par les schémas patriarcaux séculaires. Pour bon nombre d’entre nous, nous nous sommes appariés comme de vulgaires chaussettes. Pis, parfois, nous avons fondé des familles.

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Maintenant, corsetés dans des vies étriquées que nous n’arrivons pas à déboutonner, c’est Le Bagad de Lann-Bihoué que nous chantons, avec Souchon : 

Tu la voyais pas comme ça ta vie
Tapioca, potage et salsifis
On va tous pareil, moyen, moyen (…)
Mais qui t’a rangé à plat dans ce tiroir
Comme un espadon dans une baignoire ?
T’es moche en week-end, les mioches qui traînent (…)

Bonne nouvelle : il n’est pas trop tard pour secouer le joug d’un conditionnement social oppressif. Quitter les sentiers battus et réinventer notre rapport à l’autre, c’est possible, grâce au philosophe et soutien de Jean-Luc Mélenchon, Geoffroy de Lagasnerie. Il nous l’explique dans l’essai intitulé 3. Une aspiration au dehors qui paraît cette semaine et s’adresse « aux dissidents de la famille. »

Une œuvre de salut public

Reçu sur France Inter, lundi matin, par Léa Salamé, le penseur nous a vendu une conception enthousiasmante, novatrice et généreuse des relations humaines, en parfaite adéquation avec notre joyeuse époque. Ce mode d’emploi pour une vie sociale réussie repose sur l’observation du « trouple » qu’il forme depuis 10 ans avec ses acolytes : Didier Eribon, le sociologue et Édouard Louis l’écrivain, épigone d’Annie Ernaux. « Trois amis, trois hommes, trois âmes, qui ne peuvent s’imaginer vivre l’un sans l’autre », comme l’a déclamé Léa Salamé, avec les accents de Montaigne évoquant La Boétie. 

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Il s’agit dans cet ouvrage de raconter et surtout de théoriser cette amitié, modèle philosophique digne d’être partagé. Notre jeune éclairé fait ici, nous l’allons voir, œuvre de salut public : il veut aider tous les ringards fourvoyés à mieux vivre. Pour notre sage, en effet, la famille est associée « à la déperdition, à la tristesse et à l’ennui ». Elle est, précise-t-il, citant Pierre Bourdieu : « le lieu d’une sorte d’égoïsme collectif ». Elle « favoriserait même le développement de structures mentales autoritaires, voire fascistes ». On comprend mieux le projet de voler au secours de toutes ces âmes qui, non contentes d’être damnées, constituent un réel danger pour la société. Du récit d’une vie qui s’organise autour de l’amitié, on s’achemine, dans cet essai, vers « une réflexion critique sur les normes sociales et culturelles. » ; c’est diablement habile.

Le cercle de ses amis

C’est la trinité qui conjure la fadeur et la monotonie de l’existence : « Vivre, c’est vivre à trois, c’est être ému à trois, c’est assister à un concert ou à un évènement à trois. » « Nous fêtons nos anniversaires à trois, Noël à trois, la nouvelle année à trois, nous voyageons à trois », explique notre oracle, avec le débit d’une mitraillette. Et puis, les amis de nos amis devenant, c’est bien connu, nos amis, on élargit son monde.

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Le modèle proposé par le « trouple » n’a pas comme ciment la seule sexualité. Du reste, Léa Salamé souligne bien que les trois amis ne vivent pas sous le même toit. Soyons clair: penser faire la révolution sociale grâce la révolution sexuelle est, pour notre penseur, un projet dépassé. Il s’agit maintenant d’inventer des « formes relationnelles beaucoup plus subversives. » L’amitié, ajoute notre théoricien, favorise « une vie qui n’a pas de centre », « la démultiplication des liens », donc. Elle ouvre à tous les possibles labiles qu’affectionne notre époque, là où la cellule familiale sclérose. 

Notre exalté va plus loin, étendant sa réflexion à la politique qu’il s’agit de rendre plus ouverte. « La politique devrait avoir pour projet de se donner le plus d’amitiés possibles », nous dit ce sectateur de LFI, parti dont on connaît la légendaire ouverture à autrui… Il faudrait, selon notre génie, en finir avec le Ministère des Familles et créer un Ministère de l’Amitié. « Des allocations amicales plutôt que des allocations familiales. », tel est son slogan.

À bas le matinalisme !

Il s’agit aussi de se révolter contre ceux qui ont imposé, avec leurs chiards, « le matinalisme », forme d’oppression s’il en est, à laquelle Geoffroy de Lagasnerie impute, de fait, une grande partie de l’échec scolaire. « Les gens qui ont des familles se donnent le droit d’exercer un cannibalisme moral sur ceux qui n’ont pas d’enfants. », sous prétexte qu’il faut respecter le rythme de vie des niards, explique celui qui souffre de se lever tôt. Si vous avez fait la fête toute la nuit, qu’on vous foute la paix, que diable ! Qu’on ne vous impose pas des contraintes matinales dictatoriales ! 

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Notre philosophe espère ainsi poser des jalons pour une conception de l’existence plus adaptée à l’évolution de notre société, épaulant ainsi les visées des Insoumis et des écologistes, thuriféraires du « droit à la paresse » et d’une vie qui fasse sens. C’est pourquoi, n’oubliant pas le contexte social, il a déclaré, à la fin de l’interview, mettre tout son espoir en LFI. Il s’est aussi dit « très ému et très touché par la stratégie des Insoumis à l’Assemblée nationale qui a fait dérailler le projet macroniste de la réforme des retraites. » Pour conclure, il a affirmé faire sien, pour les jours prochains, un slogan des précédentes manifs : « Macron, si tu nous mets 64, on te remet 68. »

Sous l’entrée : « Égoïsme », dans le Dictionnaire des idées reçues de Flaubert, on peut lire : « Égoïsme : Se plaindre de celui des autres et ne pas s’apercevoir du sien » …

3. Une aspiration au dehors: Éloge de l'amitié

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Fitgirls VS Creeps: quand la salle de sport devient le temple de la mauvaise foi

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© D.R.

Phénomène des «gym creeps». L’influenceuse américaine Jessica Fernandez est victime d’un violent retour de bâton sur les réseaux sociaux, après avoir accusé un homme d’avoir croisé son regard pendant sa séance de sport.


Depuis 2021, de nombreuses femmes postent des vidéos où elles dénoncent les « gym creeps », des hommes qui, dans les gymnases, reluquent les jolies femmes bien sculptées pendant qu’elles font leurs exercices. Certes, il doit y avoir des cas d’hommes indiscrets et importuns dans les salles de sport. Mais les internautes ont commenté le fait que dans beaucoup de ces vidéos les femmes se mettent en scène dans des tenues extrêmement moulantes et font des mouvements suggestifs des hanches et du buste, comme si elles voulaient attirer l’attention et récolter des likes. Elles ont l’air de dire : regardez, je suis belle car j’ai des creeps (des « sales mecs ») qui me zieutent, et je suis moralement supérieure car je les dénonce. En janvier, une jeune influenceuse américaine, Jessica Fernandez, a posté une vidéo qui a engrangé des millions de vues.

@breakingtrendsnews

Twitch influencer Jessica Fernandez films man staring at her ‘like a piece of meat’ at the gym. Anything for likes , sad.

♬ original sound – Breaking Trends News

Elle se filme à la gym en train de parler à sa caméra pendant qu’elle fait ses exercices. Derrière elle, on voit un homme qui, de temps en temps, jette un regard vague dans sa direction et qui vient proposer de l’aider à ranger les poids. Elle refuse poliment et il s’en va. Pendant ce temps, elle fait un commentaire à son insu le dénonçant comme un pervers. Face à l’avalanche de critiques sur le Net, elle a présenté ses excuses, ce qui est tout à son honneur. Mais le 13 février, un footballeur aveugle anglais poste une vidéo virale où il raconte une expérience bien différente. Dans le gymnase il se voit – ou s’entend – accuser par une femme de la reluquer. Quand il explique qu’il est non-voyant, elle appelle le personnel qui l’expulse de la salle. Une expérience similaire est arrivée à un surfeur aveugle américain, Pete Gustin, en 2021. Quand il révèle qu’il est aveugle, son accusatrice répond : « Je m’en fous, arrêtez de me zieuter ! » Un média satirique a publié une fausse histoire où une femme accuse un aveugle de la lorgner – par le biais de son chien guide. Selon l’échelle de valeurs actuelle, les trans sont supérieurs aux femmes, mais les féministes supérieures aux non-voyants.

Au Maghreb, le «vivre-ensemble» entre Noirs et Arabes n’existe pas

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Migrants à Tunis, Tunisie, 9 mars 2023 © Mohamed Hammi/SIPA

Les premiers y sont victimes d’insultes ou de brimades, à côté desquelles le récent et virulent discours du président tunisien Kaïs Saïed passe pour du menu fretin.


Les propos du président tunisien Kaïs Saïed du 21 février concernant les migrants, qu’il accuse d’arriver en « hordes » et de « modifier la composition démographique » de son pays, ont été fortement critiqués ces derniers jours, même par l’un de ses prédécesseurs, Moncef Marzouki, qui l’accuse de vouloir séparer le pays de son environnement africain.

C’est nous les Africains…

Si les violences se multiplient contre les Africains noirs depuis ce discours, il convient de souligner que le discours est la cause circonstancielle et non fondamentale de ces agressions. En effet, la Tunisie, comme les autres pays du Maghreb, et plus largement les pays arabo-musulmans, est habitée par un racisme très présent envers les personnes de couleur, dénoncé par des ONG mais souvent peu médiatisé hors d’Afrique.

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Bien que les propos de Saïed aient été qualifiés de racistes, il est difficile de sérieusement qualifier comme telle la critique d’une immigration clandestine ou celle des actes répréhensibles commis par des étrangers. Et, à ce titre, la Tunisie est fondée à dénoncer ce qui attenterait à sa souveraineté et sa sécurité, même si cette immigration est davantage une migration, car la petite perle du Maghreb n’est souvent qu’une étape vers l’Europe. En revanche, ces propos se situent dans un environnement de racisme envers les Noirs, notamment dénoncé par plusieurs articles du magazine Jeune Afrique, qui n’ont pas suscité de grand intérêt.

Si les relations entre Maghrébins et Africains généralement d’origine subsaharienne peuvent être appréhendées avec amusement, comme le fait l’humoriste Redouane Behache, marié à une Congolaise, dans son sketch « Nous les Algériens, on est plusieurs dans un même corps », un certain « Abdel en vrai » dénonce sur AJ+ le racisme anti-Noirs des Nord-Africains, une situation ironique si l’on considère le racisme non moins important au Qatar d’où provient la chaîne qui diffuse un message progressiste en Occident.

Rosa Parks au Maghreb: pour l’instant, peu de relais…

En 2018, la Tunisie a été le premier pays arabe à promulguer une loi pénalisant la discrimination raciale, mais elle n’a pas modifié pour l’instant de façon importante le sort des Noirs, qu’ils soient immigrés ou Tunisiens depuis des années, notamment à cause d’une absence de sensibilisation à ce changement sur le terrain. Deux cas emblématiques ont été remarqués: en 2020, la justice a autorisé un Tunisien noir à retirer de son nom le mot « Atig » qui signifie « affranchi » (en référence à ses ancêtres esclaves) ; l’autre victoire avait été remportée l’année précédente par une enseignante victime d’insultes racistes de la mère d’une élève. L’ONG Minority Rights Group International, qui mentionne l’affaire[1], rappelle qu’un rapport avait dénoncé l’existence de bus séparés pour Blancs et Noirs à Gosba, une commune de la délégation de Sidi Maklouf. La situation avait été critiquée dans une lettre ouverte aux députés en février 2015 par Maha Abdelhamid, à la tête du Collectif égalité Tunisie. Dans sa lettre[2], la doctorante dénonçait même l’hypocrisie des Tunisiens arabes qui méprisent les groupes de danse de mariages, une profession réservée aux Noirs, tout en les recherchant pour leurs noces.

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Dans un article de 2016 intitulé « Racisme en Tunisie : On nous donne l’impression d’être des sous-hommes », Jeune Afrique a donné la parole à des étudiants noirs après l’agression de Congolais dans la capitale[3]. L’un d’eux, Camerounais, raconte subir des injures publiques faisant allusion au singe, le refus de chauffeurs de taxis de le prendre ou encore le fait que des Arabes se pincent le nez en sa présence. Une autre étudiante, Tunisienne elle, raconte que son institutrice l’avait installée au fond de la classe en expliquant que c’était à cause de sa couleur ou qu’un de ses enseignants au lycée l’appelait publiquement « oussifa » (esclave). De plus, dans la région de Gosba, les élèves noirs abandonnent tôt leurs études, faute de moyens, souligne Abdelhamid dans sa lettre aux députés.

Exception libyenne

Ce racisme, qu’on évoque en Tunisie à l’occasion des propos tenus par son président le 21 février, traverse en réalité toute l’Afrique du Nord. En 2014, elle était dénoncée par Jeune Afrique dans l’article Racisme au Maghreb : les Noirs sont-ils des citoyens comme les autres ? [4] Rappelant les crachats et les insultes publiques dont sont victimes les Noirs (« singe », « nègre », « esclave »), l’article constatait que ces derniers n’osaient pas protester et ne dénoncaient souvent le racisme que lorsqu’ils étaient entre eux. L’auteur racontait que des Arabes avaient tagué les murs d’un quartier noir en Égypte pour signifier qu’ils étaient « les maîtres des lieux », ce qui avait conduit à des combats faisant 26 morts dans la ville d’Assouan.

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Si l’article soulignait l’exception libyenne concernant la présence de Noirs dans les hautes sphères politiques et économiques, il faut rappeler que c’était surtout-là une volonté de Kadhafi. Après sa chute, les descendants d’esclaves de la ville de Tawergha ont dû fuir devant ceux de la ville arabe de Misrata. Les anciens mercenaires noirs du dictateur avaient violé des femmes arabes et tué des civils, mais la haine préexistait au siège de Misrata. En 2000, des Noirs invités par Kadhafi à s’installer dans le pays pour y travailler avaient été massacrés. L’armée avait regroupé des Noirs dans un camp pour les protéger, mais la foule l’avait incendié et les militaires avaient dû créer un autre camp où évacuer les victimes. Les immigrés avaient fini par fuir le pays ou se faire expulser.


[1] https://minorityrights.org/minorities/black-tunisians-fr/

[2] https://www.espacemanager.com/racisme-lettre-ouverte-dune-militante-aux-deputes-sur-un-cas-grave-dapartheid-en-tunisie.html

[3] https://www.jeuneafrique.com/387963/societe/racisme-tunisie-on-donne-limpression-detre-hommes/

[4] https://www.jeuneafrique.com/133758/societe/racisme-au-maghreb-les-noirs-sont-ils-des-citoyens-comme-les-autres/

Incantations

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Devant le collège-lycée Saint-Thomas-d'Aquin, où une professeur a été poignardée par un de ses élèves, à Saint Jean de Luz, 23 février 2023 © Coudert/Sportsvision/SIPA

Quand une société a abandonné tous ses anciens rituels, elle en invente de nouveaux qu’on ne peut même pas dire « républicains » puisqu’ils renaissent sur les décombres des institutions que n’a pas su protéger la République: l’école, en tout premier lieu, qui vient d’être à nouveau le théâtre d’un fait divers sanglant.


On recourt alors, pour endiguer colères et peurs, à un rituel qu’on ressort, inchangé, dès qu’un meurtre particulièrement odieux justifie qu’on s’en remette à cet exorcisme collectif censé apaiser les esprits, appelés à trouver dans ce drame l’occasion de faire preuve de résilience alors qu’on  arrache jour après jour au peuple français un consentement forcé à accepter l’inacceptable, à désirer l’indésirable. Mais on a la tragédie qu’on peut, et celle-ci se déroule généralement en cinq actes, comme dans le théâtre classique.

Acte I : La stupeur. C’est à chaque fois la même litanie devant les caméras : comment est-ce possible ? C’est effroyable ! On ne s’y attendait pas… comment aurait-on pu imaginer… un garçon si gentil, etc. On découvre, ou feint de découvrir, combien les êtres humains peuvent être complexes et pervers et que le Mal, qu’une société civilisée se vantait d’avoir repoussé hors de la cité, est toujours bel et bien là, en embuscade. Mais qu’à cela ne tienne puisqu’on va faire front, tous ensemble qui plus est, comme si c’était là l’arme fatale contre un ennemi que des siècles de culture ne sont pas parvenus à éradiquer, mais avec lequel on pensait avoir au moins conclu un pacte de non-agression. La stupeur engendrant parfois la stupidité, l’envie vous prend alors de relire saint Augustin, Dostoïevski et quelques autres auteurs de même envergure qui ont vu, décrit, analysé ce que nous ne voulons plus voir, et qui ne fait que s’aggraver du fait de notre cécité.

Acte II : La contagion émotionnelle. L’émotion est sincère, à n’en pas douter, et il y aura toujours, dans tous les pays du monde, de « braves gens » bouleversés par les horreurs auxquelles ils ont assisté, désarmés et impuissants. Le problème n’est donc pas là mais dans l’orchestration des émotions individuelles, collectées par les médias et fondues en un chœur qui, à l’inverse de celui des tragédies antiques, n’est pas la voix du peuple jugeant sévèrement les héros égarés par leur démesure, ou se montrant compatissant à l’égard des êtres humains accablés par les dieux ou le destin. Le chœur antique est la voix d’une humanité souffrante mais en quête de justice, alors que la foule apitoyée semble participer à un grand lessivage collectif qui disperse la crasse au lieu d’en rechercher pour de bon les causes, tout en acceptant l’idée que vivre est en soi un risque qu’aucune mesure de prévention ne saurait écarter. Comment expliquer que l’on puisse à la fois brandir le « principe de précaution » pour des délits virtuels, et laisser s’installer une barbarie bien réelle ?

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Acte III : Mise en place d’une cellule d’aide psychologique. C’est là le premier pas d’une stratégie de reprise en main après la sidération initiale. Toutes les personnes impliquées dans le drame en tant que témoins plus ou moins proches de la victime, ou habitant sur les lieux où s’est déroulé le drame, sont invitées à venir parler de ce qu’elles ressentent et qui, demeuré enfoui, risquerait d’empoisonner leur vie. Rien à redire à cela, sinon qu’on attend sans doute trop, à titre personnel, de cette phase du rituel purificateur qui devrait également agir en amont : à quand une cellule psychologique permanente pour venir en aide aux enseignants en détresse avant qu’ils démissionnent ou se suicident ? Une sollicitude ponctuelle, si bienvenue soit-elle, risque de surcroît d’étouffer dans l’œuf toute velléité de révolte organisée contre ceux des politiques qui, investis de pouvoirs régaliens, ont failli à leur tâche mais vont profiter de l’émotion collective pour détourner l’orage qui plane sur leurs têtes, comme le montre l’acte suivant.

Acte IV : Rien de politique dans tout ça ! La professeure assassinée baigne encore dans son sang qu’on le sait déjà, on en est même sûr : « Ce n’est pas politique ! » Traduit de la novlangue ça veut dire: n’allez surtout pas chercher des coupables, ou même des tant soit peu responsables. Pas du fait divers lui-même bien sûr – celui-là ou un autre –  mais au moins des conditions de tous ordres qui l’ont rendu possible : climat délétère dans la France entière, banalisation de la violence, zones d’insécurité en extension constante, et enfin port d’armes à l’école comme si c’était aussi normal que d’emporter avec soi livres et cahiers. Il paraît qu’on ne peut pas résoudre le problème en installant des détecteurs de métaux, et que ce serait liberticide… Qu’importe d’ailleurs puisque ce ne sont pas les porteurs d’arme qu’il faut d’abord empêcher de nuire, mais tous ceux qui vont chercher à « récupérer » le potentiel émotionnel de l’événement en faveur de leurs idées nauséabondes. Ce qui semble cette fois-ci difficile vu le profil de l’assassin, et le lieu plutôt sécurisé où il a commis son crime ! Mais enfin la rhétorique est si bien rôdée qu’elle peut encore faire de l’effet. Quelques jours après le drame il n’y aura déjà plus rien à voir et à dire, du moins jusqu’au prochain séisme émotionnel qui sera lui aussi sans lendemain.

Acte V : Une marche blanche. Aussi blanche que l’arme qui causa la blessure mortelle ! Mais chacun sait qu’il y a blanc et blanc, bien sûr. Une marche en général silencieuse par respect pour la victime et sa famille, mais aussi pour faire savoir qu’on ne veut « plus jamais ça ! ». Quoi qu’il en soit de ce vœu pieux, la marche blanche est le point culminant d’un « blanchiment » des cœurs et des esprits ; ce défilé ritualisé finissant par paraître aussi grandiose, dans sa simplicité angélique, que l’Enchantement du Vendredi Saint dans le Parsifal de Wagner, ou le chœur des pèlerins dans Tannhäuser. C’est en tout cas une phase ultime de l’exorcisme collectif qu’il ne faut à aucun prix manquer car on s’y nettoie l’âme mieux que jadis à confesse ; d’autant qu’on y participe afin de « rendre hommage » à la victime dont la mort prend dès lors une dimension héroïque qui en masque le côté effroyable ou sordide. Que ne s’est-on mobilisés plus tôt afin de permettre à tous les enseignants qui subissent au quotidien les agressions de leurs élèves, et désespèrent d’être entendus par leur hiérarchie, d’exercer leur métier sans risquer leur vie !

Est-ce donc vraiment là l’unique représentation, codifiée et théâtralisée, que la société française est capable de se donner d’elle-même, de ses chagrins et de ses espérances quant à la possibilité de vivre encore en commun ?

Christine Angot au jury des Goncourt: enfin à sa place!

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L'écrivain Christine Angot au Théâtre de Chaillot, mars 2022, Paris © SADAKA EDMOND/SIPA

Notre chroniqueur, qui à notre grande stupéfaction ne paraît pas choqué par la nomination de Christine Angot au jury du Goncourt, profite de l’événement pour dresser un tableau quelque peu ironique de la production littéraire contemporaine.


Sur quel critère irréductible appréciez-vous — ou non — une œuvre littéraire ? Sur sa capacité à vous amuser, distraire, divertir — certes. Sur son ambition de créer une belle forme, peut-être. Mais essentiellement sur son décalage par rapport à ce que Roland Barthes appelait avec justesse « le degré zéro de l’écriture », ce plancher de l’expression, ce niveau abyssal à partir duquel tout écart fait style. Disons, pour simplifier, la langue des recettes de cuisine et des bulletins météo. Un texte parfaitement insipide — parce que le degré zéro littéraire correspond à ce péché mortel culinaire, le fade.

Vous avez reconnu là une description assez précise de 90% de la littérature contemporaine. Pensez que le Prix Nobel a été décerné à la championne hors catégorie du degré zéro, Annie Ernaux. Depuis que Serge Doubrovsky, en 1977, a inventé avec Fils ce qu’il a appelé l’autofiction, nos littérateurs s’en gavent jusqu’à l’écœurement — celui du lecteur, bien sûr.

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Christine Angot a enfourché très tôt ce mauvais cheval. Son premier roman publié, Vu du ciel, parlait de viol, mais sous une forme quelque peu allégorique. Interview, en 1995, revenait sur le sujet — si bien que Gallimard refusa cette fois de l’éditer, et que l’auteur (personne ne me fera écrire « l’autrice ») s’en alla chez Fayard. En 1999, décidant enfin d’appeler un chat par son nom, elle publie L’Inceste, et n’a eu de cesse depuis de revenir sur le sujet des viols répétés qu’elle dut subir, raconte-t-elle, de la part de son père, revenu à la maison 14 ans après sa naissance (à elle) et son départ (à lui), juste au moment où elle devenait un obscur objet du désir.

Depuis, elle a réitéré, encore et encore. L’exemple de Marguerite Duras, autre candidate à la platitude érigée en exemple, est là pour l’absoudre : L’Amant, prix Goncourt 1984, était une reprise de Barrage contre le Pacifique (1950), qui racontait déjà les amours d’une adolescente et d’un riche Asiatique — sujet repris dans L’Amant de la Chine du Nord, en 1991.

Loin de moi l’idée de me moquer de ces dames. Un viol est une affaire grave. Est-ce suffisant pour que tout témoignage à ce sujet puisse s’appeler « roman » ? Eric Naulleau et Pierre Jourde, dans Le Jourde & Naulleau (2004), recension de tous les imposteurs de la littérature contemporaine (allez-y voir, l’ouvrage couvre bon nombre de Goncourts et de Goncourables) disent de ce roman autofictif que « toutes les lignes de force de l’œuvre en gestation sont ici déjà repérables : agitation, déni du réel, livres qui tiendraient aisément sur quelques centimètres carrés promis aux bennes de recyclage ».

Ils n’avaient pas tort. Les écrits suivants d’Angot sont des resucées (si je puis dire) de L’Inceste. Avec des incursions dans les frasques de sa vie privée — voir Le marché des amants où elle raconte sa résistance au dur désir de sodomie de Doc Gynéco, dont elle partagea brièvement la vie. Beau sujet, ma foi…

Je dois à la vérité qu’il m’est arrivé de trouver à Christine Angot, chroniqueuse dans divers médias, de vraies qualités et même du punch. Il faut l’avoir vu expliquer non sans impatience à Sandrine Rousseau, qui draguait sur les terres du non-consentement sexuel avec Parler : Violences sexuelles : pour en finir avec la loi du silence (on mesure là encore le degré zéro d’un tel titre) en visant explicitement Julien Bayou, détesté puisqu’il visait la présidence d’EELV qu’elle convoitait, à quel point son désir de créer des instances au sein des partis destinées à écouter la parole des femmes était inconvenante, et à côté de la plaque. Christine Angot est parfois une polémiste efficace, et je salue son opposition à la GPA, qui fit hurler dans le camp des progressistes aveugles et des lecteurs de Libé.

Bien sûr, ses romans rasent si bien les mottes (si je puis ainsi m’exprimer) qu’ils dépassent l’insipide pour entrer de plain-pied dans l’illisible. Que ce caractère absolument plat ait été un critère pour lui valoir sa très récente nomination au jury du Prix Goncourt ne doit pas nous étonner. Christine Angot s’y sentira comme chez elle, elle aura pour voisin de table chez Drouant Eric-Emmanuel Schmitt ou Camille Laurens, entre autres gloires de cet establishment littéraire qui séjourne dans le degré zéro, mais creuse encore.

A lire aussi, Didier Desrimais: Sandrine Rousseau a perdu. Pour l’instant

Petit rappel littéraro-historique. Edmond de Goncourt, qui fonda le prix, n’a survécu, littérairement, que par son Journal, monument de jalousie, médisance, de fiel et d’antisémitisme. Cet aristocrate « artiste » ne supporta jamais d’être éclipsé par Flaubert, Zola, Maupassant et j’en passe. Il rassembla donc dès 1902 un quarteron d’auteurs du second rayon, dont difficilement Huysmans.

Les autres élus sont des littérateurs pour concierges. Les présidents successifs du Prix, à part Colette (de 1949 à 1954), ont été soigneusement choisis parmi les seconds couteaux de la littérature française de leurs époques respectives. Et à quelques exceptions près (Proust en 1919, Malraux en 1933, Beauvoir en 1954, Michel Tournier en 1970), ils sont soigneusement passés à côté de ce qui s’écrivait de plus intéressant, et n’ont accordé leurs faveurs qu’à des œuvres vouées à une obscurité certaine. Comme disait à peu près le Cyrano de Rostand: « John-Antoine Nau, Léon Frappié, Alphonse de Châteaubriand, Jean Cau, tous ces noms dont pas un ne mourra, que c’est beau ! »

Les Goncourt, ce sont quand même ces gens qui en 1932 préférèrent Guy Mazeline (qui ça ?) à Louis-Ferdinand Céline, en couronnant Les Loups plutôt que le Voyage au bout de la nuit.

Alors, Christine Angot parmi eux… C’est entendu, elle ne sait pas du tout écrire. Mais je crois qu’elle sait lire. Elle est capable même de trouver du génie à de vrais intellectuels. Il faut la voir (à partir de la 18ème minute) petite fille éberluée, face à Finkielkraut qui pourtant ne l’avait jamais épargnée — et qui sur ce coup n’en est pas revenu. Qui sait si elle ne saurait pas reconnaître un vrai écrivain, s’il se trouve que notre modernité déliquescente est capable d’en produire un ? Je me dispenserai donc de me moquer de sa cooptation chez Goncourt. J’éviterai d’écrire sur ce qu’elle écrit, parce que mettre du style, aussi pauvre que soit le mien, sur un écheveau de platitudes est une performance dont je me dispense, avec l’âge. Mais je saluerai éventuellement son vote, si par extraordinaire le Goncourt parvenait à couronner un vrai livre — ce dont je doute parfois. Amis littérateurs, faites-lui votre cour: Angot est désormais un zéro qui multiplie puis qu’elle est jurée au Goncourt.

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Pierre Legendre (1930-2023) nous lègue un trésor intellectuel

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L'historien français Pierre Legendre (1930-2023) © Photo: Hannah Assouline.

Il était l’anthropologue trismégiste du pouvoir et de l’Occident


Né à Villedieu-les-Poêles dans la Manche il y a 92 ans, Pierre Legendre vient de s’éteindre à Paris, le 2 mars. Agrégé de droit public, psychanalyste, directeur d’études à l’École pratique des hautes études, Professeur à l’université Paris Panthéon-Sorbonne, grand couturier du droit, il a glosé vingt siècles d’Histoire institutionnelle occidentale. Selon la formule consacrée, à l’image du pontife romain, il avait tous les droits dans l’archive de sa poitrine. « Omnia juria habet in scrinio pectoris sui ».

Malicieux, curieux et respectueux de la sagesse d’Amadou Hampâté Bâ, de la ritualité japonaise, de l’herméneutique rabbinique, il voyait Ce que l’Occident ne voit pas de l’Occident. A l’ombre des quarante piliers de Sainte-Sophie, il méditait sur l’héritage orthodoxe, le Corpus Juris Civilis de l’empereur Justinien, La Flagellation du Christ de Piero della Francesca, citait Ovide, Rimbaud, admirait Kantorowicz, Borges, Magritte, faisait son miel du Décret de Gratien (droit canon), des Sentences du théologien Pierre Lombard, des 900 Conclusions de Jean Pic de la Mirandole, de l’Œdipus Ægyptiacus d’Athanase Kircher.

Il aimait les poètes («unacknowledged legislators of the world» disait Shelley), les bibliothèques, la calligraphie, tous les savoirs du monde. C’était un érudit qui avait le Moyen âge, la scolastique, le droit et les manuscrits, dans la peau.

Il détestait le pouvoir, les décorations, les médias, le barnum germanopratin, la bêtise.

Il n’a jamais frayé avec les militants, rebelles d’Etat assoiffés d’indignation, d’honneurs et reconnaissances, sociologues fonctionnalistes, scientistes, philodoxes, naïfs qui appréhendent le pouvoir comme une malédiction ou comme une gouvernance, jivaros de la pensée qui réduisent le juridique à une fonction de pilotage technique, doublée aujourd’hui de la broderie ad infinitum d’une tapisserie de Bayeux de droits putatifs… au bonheur, à l’enfant, à la paresse, la bêtise…

Il a fait sienne une maxime du Pape Boniface VIII, « Il vaut mieux s’exposer à causer du scandale que d’abandonner la vérité ».

Il nous laisse une Somme d’anthropologie dogmatique : 40 ouvrages exigeants, écrits, profonds, aux titres souvent insolites. Citons : L’amour du censeur (1974) ; Paroles poétiques échappées du texte (1982) ; Le Désir politique de Dieu. Étude sur les montages de l’État et du droit (1988) ; Le Crime du caporal Lortie. Traité sur le Père (1989) ; L’Autre Bible de l’Occident : le monument romano-canonique (2009) ; Le Visage de la main (2019) ; L’Inexploré, Conférence à l’École nationale des chartes (2020). L’un de ses derniers opus, L’Avant dernier des jours (Fragments de quasi-mémoires), publié en 2021, éclaire magistralement, par un clair-obscur mélancolique, la lumière indirecte d’un Caravage ou d’un La Tour, l’œuvre et la pensée d’une vie… ultime fugue, speculum, miroir de la salvation d’une âme juridique.

Il a un style énergique, jouant sur les condensations, effets dramatiques, des épigrammes énigmatiques, une gravité, le sens des contrastes, l’illusion baroque parfois. L’éthos et le pathos legendriens sont puissants et le propos amplifié par une esthétique de l’ellipse et une dynamique du sublime, à la fois concept opératoire et résultat, processus et effet. Les images par l’hypotypose permettent de dessiner en creux les mythes, les structures et le noyau anthropologique qui institue la vie (« Vitam instituere »).

Il exorcise les Fantômes de l’État en France, pose les questions maudites, se confronte aux énigmes : Pourquoi des lois ? Que signifie la Trinité ? Quelle est l’essence du pouvoir ?

Il a mis sur la table des vérités incompréhensibles et irrecevables pour la doxa basse de plafond: les collages qui font un État, l’immémorial, la fonction, l’essence religieuse du management. « Il faut du théâtre, des rites des cérémonies d’écriture pour faire exister un État, lui donner forme, en faire une fiction animée (…) On n’a jamais vu, on ne verra jamais, une société vivre et se gouverner sans scénario fondateur, sans narrations totémiques, sans musiques, sans chorégraphies. On n’a jamais vu, on ne verra jamais une société vivre et se gouverner sans préceptes et sans interdits ». Il définissait le travail du juriste comme « l’art d’inventer les paroles rassurantes, d’indiquer l’objet d’amour où la politique place le prestige, et de manipuler les menaces primordiales ». Le pouvoir ou l’art de manier l’iconologie, les devises, la vexillologie, l’emblème, « technique de proclamation d’une vérité radicale, vérité de toutes les vérités ». Il faut écrire dans la tête, disait Fénelon.

Il a redécouvert la prégnance d’un continent englouti, le droit romain, le Corpus Juris Civilis, a compris que cette « forteresse de mots », « épiphanie textuelle » sur-glosée, a été captée par la papauté lors de la Réforme Grégorienne (XIe siècle), devenant une ratio scripta, le socle historique, dogmatique de l’État occidental.

Il a pensé, un demi-siècle avant tout le monde, la reféodalisation du monde. Il a dénoncé les ravages de la désinstitutionalisation, du « self-service normatif » libéral-libertaire, des verbigérations délirantes du wokisme qui triomphe après le naufrage des humanités, de l’hosiótês et de la paideia, la foire aux fantasmes transhumanistes, les « conceptions bouchères » de la filiation, la techno-science-économie qui broie l’humain, le symbolique, les institutions ; tous ces fléaux qui abolissent jusqu’au principe de Raison. « Il ne suffit pas de produire la chair humaine pour que l’humanité vive, il faut à l’homme une raison de vivre ».

Nous lui devons trois films documentaires magistraux, contrapontiques, réalisés en étroite complicité avec le réalisateur Gérald Caillat et le producteur Pierre-Olivier Bardet: La Fabrique de l’homme occidental (1996) ; Miroir d’une nation, L’École Nationale d’Administration (1999) ; Dominium Mundi, L’empire du management (2007). Les montages savants, plans séquences, interviews, voix off, se succèdent et s’enchâssent dans une subtile hodologie.

Le site https://arsdogmatica.com/ met magistralement en scène son œuvre.

Les éditions Ars Dogmatica préparent la réédition du Trésor historique de l’Etat en France (Inventorier la cargaison du navire): un traitéd’histoire du droit d’une brûlante actualité en ces temps de sauve qui peut institutionnel.

Janus associé au passage du temps, aux portes, aux commencements, Hermès, messager de l’Olympe, gardien des routes et des carrefours, pour paraphraser Barrès, Pierre Legendre était aussi, et restera, notre jeune homme.

Son œuvre est un bloc d’abîme, une ligne d’horizon, un trésor intellectuel.

École: exigence zéro, bienveillance infinie

Rentrée des classes dans une école primaire bordelaise © Ugo Amez/SIPA

L’école est chaque jour un peu plus une machine à décerveler et à formater. Alors que les jeunes cerveaux sont pris en tenaille entre wokisme et islamisme, des parents, des professeurs et des élèves se rebiffent. Le combat contre le « Grand Endoctrinement » lancé par Eric Zemmour est loin d’être gagné. Mais savoir que certains ont décidé de le livrer est une excellente nouvelle.


La plupart des parents se soucient de ce que mangent leurs enfants. Alors qu’une innocente pizza est susceptible d’abriter une bactérie mortelle, on peut le comprendre même si l’obsession du bio et du « manger sain » prive nos bambins du plaisir coupable d’un bon McDo. En revanche, il est incompréhensible, voire criminel, que les mêmes parents se fichent des nourritures immatérielles, insipides ou hautement toxiques, enfournées à jet continu dans le cerveau de leur progéniture. On dirait que ce qu’un enfant a dans son assiette est bien plus essentiel que ce qu’il a dans la tête, comme si la nouvelle devise de l’époque était « un esprit vide dans un corps sain ». L’ennui, c’est que le contenu des jeunes cervelles affecte durablement l’existence quand celui des assiettes disparaît rapidement.

Pourtant, le succès des « Parents vigilants » révèle que nombre de parents sont très conscients des saccages idéologiques perpétrés à l’école et qu’ils n’entendent pas les subir sans réagir.

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C’est dans son discours de clôture des universités d’été de Reconquête, début septembre 2022, qu’Éric Zemmour a sonné la charge contre le « Grand Endoctrinement ». Sans doute la bande de Reconquête espérait-elle faire un bon coup politique en s’emparant d’un sujet qui concerne tout le monde. Le résultat, au-delà de ses attentes, a révélé un scandale qui devrait être l’obsession de tous, gouvernants et gouvernés. Ce qui se joue, ou plutôt ce qui se détruit dans l’indifférence générale, c’est la vie de chaque jeune, mais aussi notre avenir comme communauté politique. Que restera-t-il de la France, de sa culture, de sa littérature, quand toutes les générations vivantes seront passées par la machine à décerveler et à formater qu’est devenue l’École de la République ?

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En à peine six mois, « Parents vigilants » a constitué un réseau de plus de 40 000 personnes, et les témoignages affluent par milliers de tout le territoire, postés par des parents mais aussi des élèves et des enseignants qui ne sont pas tous des sympathisants ou des électeurs du Z. Ainsi, beaucoup de gens qui se croyaient isolés, et finissaient parfois par se demander si le problème ne venait pas de leur incapacité à apprécier toutes les beautés de la post-modernité inclusive et écologique, ont découvert qu’ils n’étaient pas seuls, donc peut-être moins désarmés qu’ils ne le pensaient. Premier fait d’armes, ce sont des « Parents vigilants » qui ont levé le lièvre de la professeure de philosophie du Nord qui projetait d’emmener ses élèves d’hypokhâgne visiter un camp de migrants à Calais en leur recommandant d’apporter des vêtements et de la nourriture. Sarah Knafo et Damien Rieu, qui s’emploient à structurer ce mouvement naissant, ne sont pas peu fiers de ce premier succès : « Nous avons réussi à faire annuler la visite », se réjouit la jeune femme, première conseillère (et compagne) de Zemmour. 

On trouvera dans les pages suivantes une sélection de ces témoignages souvent hilarants, autant que terrifiants. Comme le résume très bien un parent d’élève de première, « l’anglais est woke, le français féministe, l’économie marxiste, la géographie écologiste et l’histoire déconstructiviste ». Allez en paix.

Une partie concerne les tares déjà anciennes de notre système scolaire, l’effondrement du niveau et le gauchisme. On ne s’étendra pas sur le niveau : « le déclin continu de l’intelligence critique et du sens de la langue auquel ont conduit les réformes scolaires » a été fort bien analysé il y a déjà vingt-cinq ans par Jean-Claude Michéa dans L’Enseignement de l’ignorance (« Climats », Flammarion, 1999). Alain Finkielkraut, Jean-Claude Milner, Jean-Paul Brighelli et bien d’autres n’ont cessé de sonner l’alarme. En vain. Aujourd’hui, plus personne ne s’étonne que des grands gaillards, d’une habileté prodigieuse avec leurs écrans, soient incapables d’écrire une phrase, voire un mot, sans faire d’énormes fautes. Le fait qu’ils passent en classe supérieure – la loi permet désormais aux parents de s’opposer à un redoublement – jusqu’à obtenir un bac qui ne vaut plus rien ne suscite guère de protestation, comme si nous avions intégré que l’École, c’est l’exigence zéro.

L’autre dérive bien connue est le sinistrisme du corps enseignant et, largement, de l’institution. Certes, un professeur, comme tout citoyen, a le droit d’être de gauche. L’ennui, c’est que beaucoup considèrent leurs préférences politiques non pas comme des opinions, mais comme des vérités. « L’école est le cœur du pouvoir culturel des Insoumis, souligne Sarah Knafo. C’est pour cela que nos actions les mettent en rage. » Les cours d’histoire sont fréquemment des meetings anti-droite, anti-réac, anti-Zemmour, etc. Sans surprise, l’immigration est exclusivement présentée comme une chance pour notre pays, les élèves étant invités, pour leurs dissertations, à se mettre dans la peau d’un migrant ou à parler de leurs parents venus d’ailleurs (ceux qui ont la malchance d’appartenir au peuple old school n’ont qu’à se taire ou inventer). Au cas où certains auraient encore mal compris, des associations comme la Cimade ou SOS Méditerranée ont table ouverte dans les établissements.

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Logiquement, l’École accueille et promeut toutes les lubies du nouveau progressisme. Les jeunes cerveaux sont donc pris en tenaille entre islamisme et wokisme. Toutes les expressions de l’islam bénéficient d’une tolérance de principe, parfois au mépris de la loi de 2004. Et le meilleur accueil est réservé à la propagande LGBT, surtout T d’ailleurs. Dès leur plus jeune âge, les enfants sont incités à s’imaginer d’un autre sexe que celui de leur naissance. En résumé, la jeunesse de France doit apprendre que le mâle blanc hétérosexuel et catholique est un résidu de l’Histoire, prié de se déconstruire ou à disparaître.

Le plus désolant, c’est que l’enseignement privé sous contrat n’est pas en reste. L’école catho d’aujourd’hui, plus pape François que Charlotte d’Ornellas, ne cherche plus à contrôler les esprits à coups d’Évangiles ou de versets bibliques, comme feignent de le croire les prétendus libres-penseurs. Comme la laïque, elle s’adonne au relativisme de la bienveillance – tout se vaut, tout est respectable. Ce qui conduit beaucoup de familles à se ruer sur le hors-contrat.

En phase de structuration, les Parents vigilants pourraient présenter des candidats aux élections des représentants de parents d’élèves et concurrencer le quasi-monopole de la funeste FCPE. D’ailleurs, il paraît que leur activisme commence à inquiéter sérieusement Rue de Grenelle. Le combat est loin d’être gagné, mais certains ont décidé de le livrer. C’est la meilleure nouvelle de ce début d’année.

Les médias une addition, pas une addiction!

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"Quelle époque !" , l'emission du samedi soir de France 2, avec Léa Salamé © Capture d'écran France 2

Notre contributeur Philippe Bilger, magistrat et président de l’Institut de la Parole, raconte son rapport aux médias et à ses acteurs.


Raphaël Enthoven a cette chance d’échapper toujours à la sottise. Qu’on soit en désaccord ou non avec lui, sa pensée stimule et la contradiction qu’on lui oppose donne du prix à sa propre réflexion. Ainsi, quand il déclare que « travailler dans les médias, c’est gagner sa vie en faisant un métier de drogués », il me semble qu’il se trompe et qu’en tout cas cette affirmation est largement à nuancer, qu’on « travaille dans les médias » ou qu’on soit chroniqueur régulier dans ceux-ci.

Raphaël Enthoven. Image: Capture Paris Première

Cette appréciation de Raphaël Enthoven m’a d’autant plus intéressé qu’elle me permet de faire état d’une évolution qui m’a métamorphosé au fil des ans. En substance je suis passé, notamment sur les plans professionnels – justice et médias – d’une solitude désirée et toujours défendue, avec un zeste de narcissisme, à la certitude qu’on ne pouvait jamais être exceptionnel, voire seulement bon, tout seul.

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Cette prise de conscience qui pour certains relèvera de la banalité, m’a incité, partout où j’avais à m’exprimer, à tenter d’offrir le meilleur de mon esprit, de mes convictions et de ma liberté mais en étant persuadé de l’inéluctable limite de ma volonté d’exister si autour d’elle n’étaient pas réunies des excellences, des forces, pour un concert enrichissant, ce que j’avais la prétention de croire valable à soi seul.

Le message et le messager

Dans les médias, je ne me suis jamais senti le moins du monde « drogué » parce qu’il s’agissait d’abord d’une modalité d’expression qui m’était offerte, une parmi d’autres, et qui n’avait de sens que si elle privilégiait ma pulsion de vérité au détriment du personnage se contentant de se pavaner par l’exhibition de soi. Surtout, de plus en plus, m’est apparu le fait que l’addiction menaçante et parfois trop réelle était forcément battue en brèche par le constat de l’addition, que rien de décisif ne pouvait surgir dans une émission de radio ou sur un plateau de télévision sans cette bienfaisante coagulation qui ajoutait à un singulier même assuré de soi un pluriel provoquant, contredisant ou approuvant, d’autres chroniqueurs vous faisant don de ce trop rare privilège d’être plus passionné par leur écoute que par sa propre parole.

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Aussi invoquer l’addiction dans une participation fréquente à l’univers médiatique confond la nature du message avec ceux qui le communiquent. Ces derniers, quand ils ont l’honneur et l’opportunité de disposer de cet outil exemplaire de communication, seraient mal avisés de n’user de celui-ci que pour se faire valoir eux-mêmes. J’ai, au fil de mon expérience, pu constater que les plus grands des interviewers – je pense par exemple au Michel Field d’il y a quelques années – n’étaient obsédés que par le rapport étroit qu’ils cherchaient à entretenir entre l’envie de satisfaire leur curiosité avec des interrogations pertinentes et la parfaite formulation de celles-ci. Rien en tout cas qui se rapporte, de près ou de loin, avec une drogue qui leur aurait interdit de s’effacer au détriment d’autrui.

On n’est jamais au meilleur tout seul. J’ose soutenir qu’il y a des vertus, des talents, des dons, des réussites, de belles attitudes qui n’ont de chance de se concrétiser que si miraculeusement, pour leur permettre l’incarnation, le hasard ou la volonté sont parvenus à créer un environnement magique, des complicités de qualité, des affinités rares.

Une fusion entre le pluriel et le singulier

Par exemple on ne peut jamais être fidèle tout seul en amour : encore faut-il que l’autre vous en donne envie, ne vous en dissuade pas. Il ne peut pas y avoir, dans les cours d’assises, des accusateurs publics remarqués si, dans ces enceintes uniques de passion et de tragédies, il n’y a pas en même temps des présidents doués et des avocats de qualité. Cette fusion n’est pas seulement une condition nécessaire à l’excellence des débats mais aussi ce sans quoi aucune supériorité individuelle ne pourra se manifester, le pluriel aidant le singulier à porter à son comble des dispositions que l’autarcie personnelle ne suffirait pas à mettre à jour.

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Cette évidence dont mon existence m’a démontré le caractère valide, d’une part n’est pas un amoindrissement de soi, pas davantage que le poncif vantant le travail en équipe. J’aime au contraire que cette addiction détournée dans le bon sens impose l’addition de tout ce qui vous entoure, pour se réaliser encore mieux. On a besoin du talent des autres, où que ce soit, mais pour soi. C’est à cause de cet inéluctable enseignement que le contentement de soi, pour toutes les sortes d’expressions publiques possibles et imaginables, est une absurdité, une vanité déplacée.

Cette leçon qui contraint à avoir besoin des autres, dans l’espace intellectuel et médiatique, parce qu’on bénéficie alors d’une addition, n’est pas contradictoire avec le sentiment qu’on peut parfois éprouver de temps en temps dans la vie sociale: on désirerait telle ou telle soustraction. 

BlocusChallenge: la justice peut-elle mettre Louis Boyard en prison?

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Le député d'extrême gauche Louis Boyard, manifestation parisienne contre la réforme des retraites, 7 mars 2023 © Chang Martin/SIPA

À travers son «BlocusChallenge», Louis Boyard (LFI) incite les étudiants à bloquer amphis et lycées contre la réforme des retraites. Dans la foulée, la présidente LR de la Région Île-de-France, Valérie Pécresse, annonce qu’elle dépose une plainte contre lui. Mais à l’heure de la sanctification de la parole des jeunes et de la tiktokisation de la vie politique, le jeune député du Val-de-Marne risque-t-il vraiment quelque chose ?


« Postez vos plus belles photos de blocus des lycées, d’universités. »  Ce dimanche, Louis Boyard, désormais habitué des esclandres, invitait les étudiants à bloquer leurs établissements scolaires en soutien à la grève du 7 mars. Plus absurde encore, il a promis aux bloqueurs une visite de l’Assemblée nationale, par tirage au sort. Montage vidéo ultra dynamique et hashtags à gogo: la stratégie de « bordélisation » du débat politique de l’extrême gauche se veut désormais ludique. Elle suit en tout cas à la lettre tous les codes des réseaux sociaux plébiscités par la jeunesse.


Le droit de manifester doit respecter le droit d’étudier

Rapidement, les réactions ont fusé. « LAssemblée nest pas un prix de concours. La politique nest pas un challenge TikTok » s’est indignée la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet (« Renaissance »). De son côté, le lendemain de l’appel au blocus, Valérie Pécresse (LR) annonce dans un communiqué porter plainte contre Louis Boyard pour « incitation au délit d’entrave » et « incitation à la violence ».

A lire aussi: Affaire des doigts d’honneur: même les braillards de LFI peuvent désormais fustiger la mauvaise conduite de la majorité!

Effectivement, en empêchant les professeurs d’enseigner, le blocus est d’abord reconnu comme un délit d’entrave à la liberté du travail. « Le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement scolaire sans y être habilité (…) ou y avoir été autorisé (…), dans le but de troubler la tranquillité ou le bon ordre de l’établissement, est puni d’un an d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende », selon l’article 431-22 du Code pénal. Mais, également, d’après l’article R644-2, tout simplement une entrave à la libre circulation. En incitant à commettre de tels délits, le benjamin de la Nupes serait de son côté passible d’une peine de cinq ans de prison et 45 000 euros d’amende, voire même 150 000 en s’adressant à des mineurs [1]! Pourtant, Louis Boyard, âgé de seulement 22 ans, dort sur ses deux oreilles. Comme dans la majorité des mouvements sociaux, on sait bien que les interpellations sont rares. Et les peines réellement appliquées, encore davantage. Sous couvert de cet intouchable militantisme étudiant, encouragé par le laxisme institutionnel, le chouchou de l’extrême gauche a donc de fortes chances de passer entre les mailles du filet. Tant pis pour ceux qui souhaitaient étudier !

Militantisme 2.0

Quant à Yaël Braun-Pivet, si elle ne se gêne pas pour critiquer cette « tiktokisation » de la politique, elle fait preuve d’une mauvaise foi incontestable. Malheureusement pour elle, dans sa famille politique, personne n’a oublié les frasques de Marlène Schiappa, laquelle invitait des influenceuses pour qu’elles l’aident à « sensibiliser » la société contre les violences sexistes et sexuelles, ou celles de Jean-Baptiste Djebbari, lequel ne se gênait pas non plus pour utiliser toutes les fonctionnalités de l’application chinoise depuis son ministère des Transports. Dans la même veine, on peut aussi renvoyer notre présidente de l’Assemblée nationale aux fameuses « FAQ » YouTube d’Emmanuel Macron sur l’écologie… En fait, seuls les LR ou le RN rechignent à se lancer dans ce style de communication régressif.

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Notre ravissement général devant la jeune Greta Thunberg lorsqu’elle tançait les adultes responsables du changement climatique, ou les pirouettes à l’Élysée de MacFly et Carlito avec le président Macron, étaient des signaux forts, et annonciateurs ; les signes de la fin d’un certain respect des institutions.

L’extrême gauche, consciente de ce nouveau pouvoir de la jeunesse, ne se gêne donc pas pour donner à présent naissance à des députés-influenceurs, qu’elle envoie en première ligne pour militer contre la réforme des retraites, quand bien même ils sont mal placés pour parler du monde du travail. Blocages universitaires et manifs font partie intégrante de la vie étudiante, le dossier de mars de Causeur l’illustre bien.

Mais ironiquement, alors que l’abstention atteint 76% aux dernières législatives chez les 18-24 ans (le public cible de Tiktok, a priori), il faudrait peut-être commencer par aller voter avant de vouloir cramer sa fac!

[1] https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-vrai-du-faux/le-vrai-du-faux-bloquer-un-lycee-et-inciter-a-faire-un-blocage-sont-ils-des-delits-comme-le-sous-entend-valerie-pecresse_5670188.html

« Tout n’a pas été négatif dans la colonisation » Entretien avec Denis Sassou-Nguesso

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Denis Sassou-Nguesso © Isa Harsin/SIPA

Doyen des présidents africains, et dernier chef d’État issu de la génération de la décolonisation, le président de la République du Congo porte aujourd’hui un regard lucide et apaisé sur le passé.


À peine remis de la chute de l’URSS, le système international subit aujourd’hui de dangereuses secousses. Des continents géopolitiques – la Fédération russe, la Chine, les États-Unis – se frottent à la recherche de leur place, libérant des forces d’une violence croissante. Aux confins des « points chauds » de cette tectonique des plaques, les entités politiques essaient de s’adapter pour éviter d’être emportées par des lames de fond que personne ne maîtrise. La République du Congo (Brazzaville) ne fait pas exception. C’est un petit pays – neuf fois plus petit et vingt fois moins peuplé que son voisin, la République démocratique du Congo (Kinshasa). Son histoire ressemble à celle de nombreux pays africains : une trajectoire qui commence par la colonisation française, l’indépendance, les espoirs, les déboires, le long apprentissage du pouvoir, mais aussi la guerre froide, la fin du monde bipolaire, la montée de la Chine, le lent effacement de la France. Son président Denis Sassou-Nguesso est le doyen du continent africain. Né en 1943, il joue un rôle de plus en plus important dans le Congo indépendant, d’abord comme militaire puis comme politique : il devient Président en 1979. Il perd les élections de 1992 et après un exil et une guerre civile revient au pouvoir en 1997. Dernier survivant de la génération de la décolonisation, il a côtoyé les géants de la décolonisation. De HouphouëtBoigny à Mandela, il les a tous connus. Il connaît également l’ancienne métropole, la France dont il a porté l’uniforme à 19 ans. Nous nous sommes rencontrés à Brazzaville mi-janvier. Cela a été l’occasion d’exercer un droit d’inventaire sur la vie du président et de faire le point sur le passé du pays qu’il dirige et sur sa vision du continent.


Causeur. Monsieur le Président, face à votre palais, de l’autre côté du fleuve, on peut voir une ville qui s’appelait Léopoldville et qu’on appelle aujourd’hui Kinshasa. Pourtant, votre capitale se nomme toujours Brazzaville. Pourquoi avoir gardé ce nom qui évoque la colonisation ? 

Denis Sassou-Nguesso. Avant de répondre à cette question, je vais vous raconter une anecdote. En 1980, j’ai rencontré Ahmed Sékou Touré, président de la République de Guinée et Mathieu Kérékou, président du Bénin, ici à l’aéroport de Brazzaville. Au cours de ce rendez-vous, Sékou Touré m’a demandé d’organiser un meeting et, avant de nous y rendre, il m’a dit : « Je vais annoncer au meeting que Brazzaville change de nom pour devenir Ngouabiville, en hommage au président congolais Marien Ngouabi assassiné en 1977. » J’ai refusé.

Ici, au Congo, nous ne continuons pas à vivre l’époque coloniale. Monsieur Savorgnan de Brazza a libéré les esclaves à Libreville ! Il a agi comme un explorateur, comme un humaniste et non pas comme un colonialiste ! Quand il était en poste ici, il s’est opposé à l’indigénat. Plus tard, c’est lui encore qui a rédigé un rapport accablant les administrateurs coloniaux et leurs excès. Nous l’avons conservé au mémorial érigé en son honneur. Nous pensons même que c’est suite à ce rapport que Brazza a été empoisonné. Nous continuons de voir en lui un humaniste et Brazzaville continue de porter son nom.

Partout dans le monde, on déboulonne les statues et on rebaptise les voies, les écoles et autres institutions publiques… Vous êtes une exception mondiale.

Brazza est un peu l’exception, car nous avons rebaptisé des noms de gares. Par exemple, celles qui portaient les noms du capitaine Marchand et du général Baratier. Je le répète, nous ne vivons pas sous l’ombre de la colonisation.

Je fais un saut dans le temps. Les années 1940-1950. À quel moment avez-vous compris que la situation au Congo devait changer ?

J’avais 17 ans, et j’ai décidé d’entrer dans la lutte pour la libération.

Pourquoi ?

Je me souviens que, quand nous avions 14 ou 15 ans, il nous arrivait, le dimanche, en nous promenant le long des chemins de fer, de regarder des trains et nous comptions les wagons qui transportaient les grumes. Parfois, dans une seule journée, il y avait trois trains et chacun tirait une cinquantaine de wagons de bois. Aucun Africain n’avait les moyens de couper ce bois à une telle échelle. Ce pillage de nos forêts, de nos ressources nous révoltait.

Mon village natal était un chef-lieu de canton. Mon père et ses aînés en ont été les chefs. Dès l’âge de 10 ans, j’ai vu comment l’administration coloniale se comportait, notamment avec mes parents. J’ai remarqué tous les habitants des villages du canton qui venaient se faire recenser. J’ai vu aussi la lutte contre les maladies, les équipes d’infirmiers qui passaient ou s’installaient dans le village. J’ai observé tout ça, couché dans le sable. Mon engagement dans la lutte de libération germait lentement.

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Pourquoi votre génération et non pas celle de vos parents ? 

Les pauvres, eux n’ont pas pu se défendre ! Nous, en revanche, la colonisation nous a appris à lire et à écrire aussi. Elle nous a dotés des outils nécessaires. Tout n’a pas été négatif !

Comment avez-vous décidé de votre vocation militaire ? Pourquoi pas l’église, l’enseignement ou devenir ingénieur ou médecin ?

Ce n’est pas moi qui l’ai décidé, je ne savais même pas ce qu’était l’armée. Je voulais seulement étudier. Je n’avais pas encore de choix. J’étais un peu moyen partout, mais j’étais certainement plus doué pour les mathématiques et les sciences. Mes notes sont par ailleurs conservées à l’académie de Nantes, en France. C’est mon professeur, un Français, qui m’a orienté à mon insu. C’est sans doute le destin.

Plus tard, cette volonté de prendre votre destin en main s’est exprimée de plus en plus par une idéologie teintée de marxisme. Pourquoi ?

Tout d’abord, du fait des relations que nous avions ici avec une association de lutte pour l’indépendance. Par ailleurs, ceux qui étudiaient en France avaient plutôt des contacts avec la gauche française, socialiste et communiste. Ils militaient déjà pour le Parti communiste français. Ce sont eux qui nous ont influencés. Mais au fond, nous ne sommes jamais devenus des communistes. Les partis qui luttaient pour la libération étaient de gauche et ils nous soutenaient, comme le faisaient également les pays de l’Europe de l’Est. L’OTAN en revanche soutenait Salazar [le dictateur du Portugal, puissance coloniale qui dominait l’Angola, voisine du Congo. ndlr].

Ni Mandela ni Fidel Castro n’étaient communistes au départ. Les Algériens n’étaient pas des communistes non plus. C’était une lutte pour la libération des peuples, et on prenait nos alliés en fonction de leur engagement. Ils nous soutenaient ou pas. L’OTAN soutenait Salazar pour que l’Angola continue d’être une province portugaise.

Houphouët-Boigny, avant d’être considéré comme un partenaire de la droite en France, siégeait avec les communistes et les socialistes au palais Bourbon. Il était à gauche. Il luttait pour l’indépendance de la Côte d’Ivoire.

La libération du Congo, comme la décolonisation dans son ensemble, a été liée au contexte de la guerre froide. Vous avez perdu le pouvoir en 1992, après treize ans d’exercice : était-ce dû à la chute de l’URSS et au bouleversement géopolitique qui s’en est suivi ?

Pas seulement, mais c’était un moment historique. La chute du mur de Berlin, le changement intervenu en URSS, la disparition du pacte de Varsovie, c’était quand même un nouveau rapport de forces.

Est-ce que vous avez senti le vent tourner ?

Oui ! Non seulement nous l’avons senti, mais notre parti a convoqué une session de son comité central pour dire que les choses étaient en mouvement et pour soutenir une évolution vers le multipartisme.

Quelle est votre vision de ce qui s’est passé ensuite ? Pourquoi l’instabilité politique et la violence se sont-elles installées ?

Si vous observez bien, vous constaterez que l’instabilité politique ne s’est produite que dans les anciennes colonies françaises ; ni dans les anciennes colonies anglaises, ni même portugaises. Et pas non plus au Nigeria ou au Kenya.

Comment l’expliquez-vous ?

Avec son discours de La Baule, le président de la République française nous invite, nous les chefs d’États africains, à lancer un processus de démocratisation. Le Bénin a été le premier à payer le prix de cette démarche menée à la hussarde. Puis toutes les anciennes colonies françaises sont passées par le moule des conférences dites « nationales et souveraines » avec des schémas presque préétablis. Cela n’a pas donné de bons résultats et d’ailleurs, trente ans plus tard, il ne reste rien de tout cela.

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Qu’avez-vous pensé en entendant ce discours ?

Il y a eu une réponse au discours de Mitterrand, celle d’Hassan II. La presse française l’a censuré. Le roi du Maroc avait parfaitement exprimé nos appréhensions quand il expliquait que la transformation de nos sociétés et de leurs cadres traditionnels devait s’inscrire dans un temps long. Malheureusement, le discours du roi a eu beaucoup moins de retentissement que celui du président.

Et les mots ont été vite suivis par des actes : passage rapide au multipartisme, conflits, instabilité politique…   

Et comment ! J’ai vécu durement cette transition. J’ai convoqué la conférence nationale dans l’espoir d’obtenir que les Congolais s’ouvrent vers un avenir démocratique et mettent en place de nouvelles règles. Cette conférence a été un échec, mais j’assumais tout ce qui y avait été dit. Ce moment-là a été difficile. Le pays a ensuite connu une sombre décennie.

Depuis que vous êtes revenu au pouvoir, en 1997, quelles sont vos relations avec la France ?

Normales. Après la guerre civile, le président était Jacques Chirac, un ami, un frère. Le président Sarkozy est venu en visite officielle ici. Seul Hollande n’est pas venu.

Comment avez-vous reçu le discours de Nicolas Sarkozy sur l’Afrique et l’homme africain qui n’était pas « entré dans l’Histoire » ? En France, cela a fait beaucoup de bruit.

Lui semble se défendre en disant que ce n’est pas lui qui l’a écrit, qu’il n’a pas fait attention à certaines choses. Bref… c’était scandaleux. Je crois qu’il le regrette. Et s’il y a du regret, ça suffit.

  1. Le « discours de La Baule », écrit par Erik Orsenna, a été prononcé par François Mitterand le 20 juin 1990 lors de la 16e conférence des chefs d’État d’Afrique, à laquelle participaient 37 pays africains. Elle s’est déroulée à La Baule-Escoublac.