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La mémoire du colonialisme allemand en Afrique : encore une statue qui tombe

Le fondateur de la capitale de la Namibie déboulonné.


La mémoire du colonialisme allemand en Afrique : encore une statue qui tombe
Curt von François-Denkmal in Windhoek Pemba.mpimaji 20/12/2016 Creative commons Wikipedia https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Curt_von_François-Denkmal_in_Windhoek_01.jpg

Cartographe de l’armée impériale allemande, Curt von François est indissociable de l’histoire coloniale namibienne. Fondateur des villes de Windhoek et de Swakopmund, depuis un demi-siècle, sa statue trônait au centre de la capitale de l’ancien Sud-ouest africain. En novembre, le gouvernement namibien a décidé de déboulonner le Prussien de son socle en dépit des protestations de ses descendants.


Ruprecht von François est en colère. Le 23 novembre 2022, la statue de son arrière-grand-père a été promptement déboulonnée du socle sur lequel elle reposait depuis un demi-siècle. La décision a été prise par le Conseil municipal de Windhoek, la capitale de la Namibie, après qu’une association a fait pression afin qu’elle soit retirée de l’espace public, estimant que Curt von François était une « représentation offensante » au regard de ses exactions commises alors qu’il était à la tête de la colonie prussienne du Sud-ouest africain. Ce cartographe de métier a fait toute sa carrière dans l’armée du Kaiser Guillaume II. Cité dans les annales de la guerre de 1870, le Congo belge lui doit une carte détaillée de ses frontières. Mandaté par Berlin pour débarquer sur les côtes de l’Afrique australe, déjà bien occupée par les Britanniques, c’est en juin 1889 que Curt von François pose le pied à Walvis Bay avec 21 soldats. C’est là qu’il retrouve le Haut-commissaire allemand, Heinrich Göring, père d’Hermann, futur dignitaire nazi, représentant le Second Reich. Von François va rapidement entamer la conquête de ce nouveau territoire et poser les premières pierres de Windhoek, même si c’est surtout à son frère Hugo que l’on doit l’élévation de cette ville. Viendra plus tard Swakopmund, aujourd’hui encore une ville importante de Namibie.

Mais ce que reprochent surtout les détracteurs de ce héros de l’histoire coloniale allemande, c’est sa conquête du Namaland. Le royaume est alors dirigé par Hendrik Witbooi. Le monarque refuse systématiquement toutes les propositions de protectorat que Curt von François lui propose. En 1889, agacé par tant d’entêtement, le Prussien se lance à l’assaut de son kraal (village) et ses troupes massacrent plus de 70 femmes et enfants. Hendrik Witbooi s’échappe et continuera la lutte jusqu’en 1905, date à laquelle il sera blessé à mort. La résistance acharnée du chef Nama aura coûté son poste de gouverneur à Curt von François, limogé en 1894. Il prend sa retraite un an plus tard et meurt en 1931 à Berlin. En Namibie, il a laissé derrière lui une descendance, née d’une relation avec la princesse Nama, Amélie Gereses, qui se bat toujours pour réhabiliter le fondateur de la Namibie. « L’accuser d’avoir massacré les Namas (Damaras) est un vrai mensonge. Quand il a débarqué dans le pays, il était accompagné de soldats qui étaient majoritairement des Damaras » affirme Ruprecht von François. « Il était même en conflit ouvert avec le général Lothar von Trotha, commandant en chef des troupes coloniales et futur gouverneur qui est surtout connu pour avoir mis en place la répression des Héréros ». Un autre massacre aujourd’hui reconnu comme génocide par l’ONU et qui a contraint l’Allemagne à s’excuser et à indemniser les descendants des victimes. Du bout des lèvres et des doigts.

« Mon arrière-grand-père était l’homme le plus doux. C’est pour cette raison qu’il a été limogé, accusé d’être trop indulgent avec les indigènes par von Trotha. Il ne pouvait pas faire ce qu’on lui avait ordonné, c’est-à-dire tuer les locaux. Von Trotta est celui qui a fait tuer des gens et ces massacres ont fait souffrir mon arrière-grand-père », a-t-il affirmé à la chaîne d’information sud-africaine News24. Ruprecht von François ne comprend pas la décision du maire de Windhoek. « Il a beaucoup fait pour ce pays. La plupart des infrastructures et des routes du pays sont de son fait. […] Il a rendu ce pays digne d’être visité, car il n’y avait rien d’autre que de la sécheresse auparavant », renchérit cet ancien vice-président de la Chambre des Métiers de Namibie.

De son côté, l’ancien maire de Windhoek, Job Amupanda, a déclaré « retirer la statue était la meilleure décision à prendre » et démenti que Curt Von François soit le vrai fondateur de la ville. « Un vrai mensonge. Peut-être d’un point de vue occidental mais pas africain. Il y avait déjà une tribu présente ici bien avant son arrivée », affirme celui qui a œuvré ardemment pour son retrait et qui s’inscrit dans le « processus de décolonisation » entamé par la Namibie depuis qu’elle a pris son indépendance au prix d’une longue guerre entre Afrikaners sud-africains (qui occupaient le territoire depuis 1916) et rebelles du futur président Sam Nujoma.

Depuis 1990, la Namibie a débaptisé un certain nombre de rues ou boulevards portant des noms à la gloire des héros de la colonisation allemande. Le retrait le plus emblématique de ce processus reste le déboulonnage du Reiterdenkmal, le monument équestre de Windhoek, qui représentait depuis un siècle un cavalier allemand de la Schutztruppe en grand uniforme avec sacoche et fusil. Le déboulonnage continue. 




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Journaliste , conférencier et historien.

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