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À l’Opéra-Bastille, un Lohengrin hanté par la guerre en Ukraine

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C’est le spectacle lyrique le plus attendu de cette rentrée. Avec la mise en scène très clivante de Kirill Serebrennikov


Tous les cinéphiles gardent en mémoire la fameuse séquence de l’apparition d’un Louis II de Bavière emmitouflé dans ses fourrures, sous les traits grimés de Helmut Berger, à bord d’une nacelle évoquant les cygnes de Lohengrin, et qui se meut silencieusement sur l’onde, dans une grotte artificielle, sous la lueur dorée des torchères. Pour le roi solitaire, l’orchestre joue le prélude de l’opéra.

Féérie wagnérienne revisitée

Avec Kirill Serebrennikov, nous voilà bien loin de Ludwig ou le crépuscule des dieux, ce chef d’œuvre  de Visconti (1973). Serebrennikov ? Les films Leto (2018), La Fièvre de Petrov (2021), La femme de Tchaïkovski (2022), sans compter Le Moine noir, adaptation d’une nouvelle de Tchekhov portée sur les planches au Palais des Papes, en Avignon, la même année…  Sous les auspices du fécond cinéaste et metteur en scène russe aujourd’hui exilé à Berlin, la féérie wagnérienne se trouve revisitée de part en part, au prisme de la guerre qui ravage l’Ukraine.

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Après Le Vaisseau fantôme et Tannhaüser, Lohengrin, composé entre 1848 et 1850, est le dernier opéra « romantique » du futur maître de Bayreuth. Inspiré du Parzifal de Wolfram von Eschenbach, de la chanson de geste et des Légendes allemandes écrites à l’orée du XIXème siècle par les frères Grimm, il donnera naissance au « Chevalier au cygne ». Accusée du meurtre de son frère, la princesse Elsa von Brabant sera sauvée par Lohengrin, l’envoyé du Graal qui lui est apparu en rêve, mais à condition de ne jamais lui demander ni son nom, ni son origine… Elsa va trahir son serment.

Débarrassé des oripeaux d’une tradition surannée, Serebrennikov s’affranchit à peu près totalement des indications du livret, pour livrer une interprétation résolument contemporaine de l’œuvre, à distance radicale de la lecture qui fait des personnages de Friedrich von Telramund et de sa femme Ortrud les « monstres » du drame, et de Lohengrin un guerrier sans tache : à l’enseigne du scénographe russo-ukrainien, le Chevalier au cygne n’est jamais ici que la projection fantasmatique d’une Elsa psychiquement perturbée ; Ortrud dirige la clinique psychiatrique où elle est incarcérée, tandis que son époux, psychiatre militaire, résiste à la tentation belliciste dont un Lohengrin en treillis de camouflage sera le héraut et l’instrument.

© Charles Duprat / Opéra national de Paris

Plateau funèbre de toute beauté

Accompagnant le célèbre prélude, un film en noir et blanc, projeté sur un vaste écran aux contours floutés, suit au ralenti les pas d’un archange – soldat que tente de retenir à soi un bras féminin, depuis le dense entrelac d’une futaie germanique, jusqu’au ponton d’un lac dans les eaux lustrales duquel, se dénudant, il se jette, nous dévoilant deux ailes d’ange tatouées sur ses omoplates. Tout au long du spectacle, le décor d’Olga Pavluk (laquelle avait déjà signé ceux de Parsifal et du Moine noir) se compartimentera en quadrilatères autours lesquels se greffent les vidéos du fidèle Alan Mandelshtan – visages d’éphèbes-soldats, jeunes athlètes au torse maculé de tatouages, cadrages serrés sur des mains de jeunes conscrits éplorés, aux ongles noirs…  Présences spectrales, éthérées, associées à des griffures abstraites qui envahissent les écrans…  Au deuxième acte, divisé en trois espaces – soldats en treillis au réfectoire, à gauche ; mutilés dans leur lit de douleur au centre ; morts, à droite, avec la perspective des casiers funéraires de la morgue, puis les âmes des trépassés qui se lèvent, corps de garçons nus, debout, s’échappant avec lenteur vers le fond de la scène : plateau funèbre de toute beauté. Au troisième acte, les dépouilles s’accumulent, déposées au sol du proscenium dans leur sac de toile noire, sur le long duo sublime Elsa/Lohengrin, chant d’adieu du héros, en vers décasyllabiques, apothéose de l’opéra : « Getrennt, geschieden sollen wir uns sehn:/ Dies muss die Strafe, dies Sühne sein ! » (« Il nous faudra être séparés, éloignés : telle doit être la punition, telle l’expiation »).

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Ovation délirante

Piotr Beczala, 56 ans, a déjà par trois fois occupé le rôle-titre de Lohengrin: à Bayreuth en 2018, suite à la défection de Roberto Alagna ; à Vienne en 2020 ; et à New- York encore. Autant dire qu’il y est à son affaire. Quoiqu’originellement plus belcantiste que wagnérien, le ténor polonais domine cette partition incroyablement exigeante avec une suavité, un phrasé, une richesse de timbre souverains. La soprano sud-africaine Johanni Van Oostrum incarne quant à elle une Elsa merveilleusement languide (en alternance avec Sinéad Campbell-Wallace), tandis que l’immense baryton Wolfgang Koch campe un Tetramund en acier trempé. Au soir de la première, pour le rôle du roi Henri, la basse coréenne Kwangchul Youn, souffrant, était remplacé, « au pied levé » comme on dit, à la perfection par un Tareq Nazmi hiératique. Enfin, la soprano suédoise Nina Stemme figure une Ordrud d’une remarquable intensité, probablement à l’égal de la mezzo-soprano russe Ekaterina Gubanova qui la relaiera à partir du 18 octobre. Si essentiels dans Lohengrin, les chœurs « maison » de l’Opéra de Paris, comme toujours sous la houlette de Ching-Lien Wu, résonnent magnifiquement, dans un accord quasi-parfait avec l’orchestre. Le public ne s’y est pas trompé, qui, se mettant debout comme un seul homme, a réservé, en ce samedi 23 septembre, une ovation délirante à cette distribution. Le parti pris très affirmé du téméraire Kirill Serebrennikov ne rencontre certes pas tous les suffrages – quoi de plus normal : au cinquième rappel, lorsque l’homme vêtu de noir et coiffé d’une casquette vient à son tour saluer la salle comble de l’Opéra-Bastille, quelques puissantes huées résonnent au milieu de la liesse et des applaudissements… Clivant, Serebrennikov ? La rançon du génie, sans doute.


Lohengrin. Opéra romantique en trois actes de Richard Wagner. Direction Alexander Soddy. Mise en scène Kirill Serebrennikov. Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris. Avec Kwangchul Youn (Heinrich der Vogler), Piotr Beczala (Lohengrin), Johanni van Ostrum/Sinead Campbell-Wallace (Elsa von Brabant), Wolfgang Koch (Friedrich von Teiramund), Nica Stemme/Ekaterina Gubanova (Ostrud), Shenyang (Der Heerufer des Königs)…

Opéra Bastille, les 27, 30 septembre, 11, 14, 18, 21, 24, 27 octobre à 19h.

Durée : environ 4h20.  

Ne pas laisser la question de l’inceste entre les mains des moralistes

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Dans le domaine si délicat de l’inceste, le wokisme et la doxa victimaire ne sont pas simplement une insulte à l’esprit et une déformation du réel. Cette idéologie entraîne une aggravation des problèmes qu’elle annonce pourtant vouloir résoudre.


L’actualité est ponctuée ces jours-ci par des affaires d’inceste. Jamais en reste de ce point de vue, certains médias, sous couvert d’informer sur ces dossiers, mènent eux-mêmes l’enquête et désignent les coupables. Par exemple, dans un reportage diffusé le 21 septembre, France Info conclut à la véracité du récit d’une victime présumée, qui déclare avoir été violée par son grand-père, tout en ajoutant discrètement, bien obligé, que le procureur avait pourtant demandé un non-lieu[1]. Le média fait de cette affaire un exemple où « la parole de la victime n’est pas entendue ». L’approche journalistique se fait morale, et place la morale au-dessus de la justice, quitte à condamner, là où la justice propose d’acquitter. On ne se prononcera pas ici sur une affaire en cours, mais le schéma illustre parfaitement bien la doxa de l’époque, où la morale, du moins ce qui en tient lieu, le moralisme, l’emporte sur tout, la politique, la justice, le droit, la Raison.

Cette approche du problème, bien réel, de l’inceste, a des conséquences désastreuses, car elle tend à nous priver des véritables moyens de lutter contre les violences sexuelles dont les enfants sont l’objet.

L’inceste, une question morale ?

L’inceste est une violence qui a plusieurs caractéristiques propres. D’abord c’est un phénomène très ancien, il a accompagné de tout temps toutes les sociétés humaines, même si sa régression est aujourd’hui différentielle selon les pays et les cultures. Ensuite, comme toutes les violences sexuelles, il a résisté au processus de « pacification des mœurs » décrit par le sociologue Norbert Elias. Là où l’homicide recule en masse dans la plupart des sociétés modernes, les violences sexuelles tendent à perdurer (en Inde par exemple, où le taux d’homicide a drastiquement diminué, les taux de viol restent très élevés). Enfin, et c’est là une caractéristique spécifique à l’inceste, il se produit à l’intérieur de l’espace privé de la famille, longtemps à l’abri de la Justice. Dans le droit romain, le « pater familias » est maître et juge de son enfant[2].

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Plus que tout autre crime, l’inceste a longtemps été pris dans une sorte de gangue morale. L’acte est d’abord interprété en termes moraux et religieux. C’est une « impudeur », une faute morale, qui concerne solidairement auteurs et victimes, en quelque sorte contaminés par le même mal, le Mal lui-même. C’est le Diable qui les a saisis conjointement. La sodomie, péché majeur, entraîne dans le même opprobre moral, violeur et violé(e), même lorsque la victime est un enfant. Un enfant violé est considéré comme déshonoré, impur, marqué à vie par une infamie. Dans la nouvelle Mademoiselle Fifi, Maupassant évoque la vie d’une « enfant souillée par un valet » à l’âge de 11 ans : « la petite fille grandit, marquée d’infamie, isolée, sans camarade, à peine embrassée par les grandes personnes qui auraient cru se tacher les lèvres en embrassant son front ».

Le grand progrès en matière de traitement de l’inceste, à partir du milieu du XIXème siècle, a été à la fois une meilleure pénalisation, la justice étant plus à même de qualifier objectivement les faits, et une reconnaissance progressive du traumatisme infligé à l’enfant violenté et du statut de criminel du parent auteur des faits. L’inceste est alors recadré, en dehors de toute morale, comme un « trouble à l’ordre public » et comme une souffrance infligée, méritant les soins appropriés.

La régression victimaire

La doxa moraliste actuelle, irriguée par le mouvement woke, et qui imprègne beaucoup de médias, constitue une régression, voire une inversion, de ce progrès majeur entamé dès la fin de l’Ancien Régime. L’auteur présumé des faits d’inceste est désormais diabolisé, associé à des marqueurs identitaires (le prédateur blanc et, dans le cas du grand-père violeur, âgé). Même lorsque la justice l’innocente, il est coupable, en quelque sorte par nature. La victime, elle, est priée de conserver ad vitam eternam son statut de victime, qui va être, lui aussi, un marqueur identitaire.

Là où la psychologie moderne, à la suite des tribunaux, avait concentré ses efforts sur la réduction la plus rapide possible des souffrances infligées par l’inceste, ou toute autre violence sexuelle, l’héroïsation identitaire de la victime la fige dans sa souffrance et transforme celle-ci, de façon assez perverse, en une sorte de rente symbolique, au prix, souvent, de la persistance d’un désastre intérieur.

Là où le tribunal permettait à l’auteur de violence sexuelle, grâce à la catharsis judiciaire, de payer pour sa faute et d’imaginer, peut-être, une prise de conscience salutaire, le voilà renvoyé à son statut, définitif lui aussi, de porteur du Mal, marqué à vie par l’infamie, contaminant tous ceux qui l’entourent. Pire, là où le tribunal acquitte, les médias iront chercher, à la sortie de la salle, les coupables que la morale désigne. Petite montée au point Godwin : lorsque les tribunaux, dans l’Allemagne des années trente, se refusait à condamner, la Gestapo était là, à la sortie de l’audience, pour châtier, enfin, les coupables… La morale nazie l’emportait sur la justice allemande (d’ailleurs rapidement mise au pas).

Dans le domaine de l’inceste comme dans bien d’autres, le wokisme, et la doxa victimaire, ne sont pas simplement une insulte à l’esprit et une déformation du réel. Cette idéologie entraîne une aggravation des problèmes qu’elle annonce pourtant vouloir résoudre. Dans le cas de l’inceste, c’est une catastrophe, particulièrement pour les enfants concernés.

Une brève histoire de la violence

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[1] https://www.francetvinfo.fr/societe/harcelement-sexuel/document-franceinfo-ca-s-est-passe-l-ete-de-mes-12-ans-la-lettre-ouverte-de-lilou-qui-accuse-son-grand-pere-de-viols-et-se-bat-pour-etre-entendue-par-la-justice_6073758.html

[2] Les pères dans l’histoire : un rôle en évolution, Josée St-Denis et Nérée St-Amand, Un article de la revue Reflets Volume 16, numéro 1, printemps 2010, p. 32–61 https://www.erudit.org/fr/revues/ref/2010-v16-n1-ref3890/044441ar/

La tentation de Chinon

Chinon se dresse au cœur de l’Indre-et-Loire, parmi les vignobles et les pâturages qui bordent la Vienne. Riche d’un patrimoine historique remarquablement restauré, la cité médiévale n’est pas seulement une ville-musée. Ses vignerons et son centre-ville ressuscité entretiennent un art de vivre qui séduisait déjà un certain Rabelais.


La tentation de l’exode ? Plus de 125 000 Parisiens y auraient déjà cédé en dix ans (selon l’Insee), entraînant dans leur fuite la fermeture de nombreuses classes d’écoles… Certes, depuis Attila (en 451) et les Vikings (en 845), Paris en a vu d’autres. Mais tout de même, voir ses proches s’en aller vivre à Bordeaux, comme aux débuts de l’Occupation (« depuis 1870, quand la France est en guerre, on va se réfugier à Bordeaux », écrivait Philippe Sollers), passez-moi l’expression : « Ça me la coupe ! » Aussi, si d’aventure et par malheur, nous devions à notre tour quitter la capitale, ce ne serait certainement pas pour la ville de Montaigne, mais pour celle de Rabelais : située à deux heures trente de la gare Montparnasse, Chinon est un joyau méconnu, autant que sa beauté, son calme et sa qualité devie. Une cité à taille humaine – 8 500 habitants – dépourvue d’embouteillages et de brûleurs de voiture. Surtout, alors que 60 % des communes françaises n’ont plus de commerces de proximité, elle fascine par sa vie intra-muros et constitue de ce point de vue un véritable exemple à suivre.

Chinon, tous les amoureux du vin la connaissent depuis longtemps et s’y rendent en pèlerinage en septembre, quand la lumière y est la plus belle – le peintre surréaliste Max Ernst et le compositeur Henri Dutilleux, tombés amoureux de ces rayons de soleil, avaient choisi d’y vivre.

Chinon, la charmante autosuffisance

Immortalisé par Rabelais (né en 1494 à La Devinière, métairie voisine de l’abbaye de Seuilly), le vignoble crayeux de Chinon séduit aujourd’hui par la fraîcheur et la finesse poivrée de ses vins rouges à base de cabernet franc. « Pour que le vin soit bon, il faut que les vignes voient la rivière », dit-on. C’est le cas ici, Chinon étant établie sur la rive droite de la Vienne, avant que celle-ci rejoigne la Loire. Autrefois, les tonneaux de vin étaient ainsi acheminés jusqu’à Paris par cours d’eau : c’est ce marché qui a permis au vignoble de se développer et d’atteindre l’excellence.

Le meilleur connaisseur de la ville se nomme François de Izarra, il est responsable des archives municipales. En allant l’interviewer, nous nous attendions à trouver un rat de bibliothèque : nous sommes tombés sur un champion de canoé-kayak, musclé et bronzé comme Russell Crowe dans Gladiator« L’historien Fernand Braudel avait observé ce phénomène singulier, nous dit-il.En France, après la Révolution, toutes les petites villes de province ont cessé d’avoir une histoire. C’est un fait : après avoir été occupée une dizaine de jours par les Vendéens en 1793, l’histoire de Chinon s’arrête à la Révolution… Depuis, c’est une petite cité qui coule ses jours sans bruit, comme dans Madame Bovary… L’histoire glisse sur elle, sans passions. »

En fait, Chinon semble avoir toujours vécu en autarcie, avec ses vignes, ses plaines grasses et fertiles, ses élevages de vaches, de cochons et de volailles, ses fabriques de porcelaine et de prêt-à-porter. Et si c’était cela, aujourd’hui, le secret de son charme ?

Vernissage de l’exposition de l’artiste Richard Ballard, devant l’hôtel de ville. ©Fabienne Boueroux

« Ce n’est qu’au xixe siècle, poursuit notre historien, que l’on a commencé à redécouvrir le patrimoine ancien de Chinon à travers toute une série de personnages célèbres ayant séjourné dans la ville : Henri II Plantagenêt, comte d’Anjou, devenu roi d’Angleterre en 1154 ; le futur Charles VII, à qui Jeanne d’Arc était venue rendre visite, ici-même, en 1429, pour lui promettre le sacre ; Rabelais, enfin, l’enfant du pays, que plus personne ne lit aujourd’hui mais que tous les Chinonais citent et adorent comme leur père spirituel. » Archétype de l’esprit français, Rabelais réussit ce miracle unique dans notre littérature d’être un marqueur d’identité tout en étant fort peu lu…

Dans un chapitre visionnaire de ses Testaments trahis (« Le jour où Panurge ne fera plus rire »), Milan Kundera fournit peut-être l’explication de cette énigme en affirmant que Rabelais fut, avec Cervantes, l’inventeur de cette chose totalement nouvelle et précieuse pour son époque : l’humour, qui est bien plus que le rire, la moquerie et la satire (à quoi l’on réduit souvent Rabelais) et qui rend ambigu tout ce qu’il touche, raison pour laquelle l’humour suscite tant d’aversion chez les Cagots.

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Sous l’Ancien Régime, Rabelais sentait le fagot et au xixe siècle il passait pour pornographique aux yeux de la bourgeoisie. En 1848, nous apprend Izarra, Flaubert visite Chinon sur les traces de son écrivain préféré : « J’ai vu des ânes qui paissent dans les rues et les merdes de Gargantua qui s’écrasent sous vos pieds. Partout à Chinon je cherche le souvenir de Rabelais et je ne trouve rien. »

En effet, la ville ne s’est véritablement identifiée à son grand homme que dans la seconde moitié du xxe siècle. « Jusqu’en 1989, Chinon était encore une ville médiévale sombre et délabrée où vivaient encore des troglodytes considérés comme “cas sociaux”… Dans les années 1990, elle a été un laboratoire pour les petites villes de France sur le thème : comment ressusciter un patrimoine historique ? Sous l’impulsion de son maire, Yves Dauge, qui était conseiller de Mitterrand et responsable de ses grands travaux, des sommes pharaoniques ont été investies pour restaurer la vieille ville médiévale. On en a profité pour interdire l’affichage publicitaire. Le résultat a été magnifique, mais on a transformé Chinon en ville-musée. »

Depuis 2014 et l’arrivée de Jean-Luc Dupont (réélu maire en 2020), Chinon joue à nouveau un rôle de laboratoire, sauf qu’il ne s’agit plus seulement de restaurer les maisons à colombages, mais de remettre de la vie dans le centre-ville. Pour ce que nous avons pu en voir, le résultat est plus que probant. Fils de menuisier, petit-fils de facteur et ancien rugbyman, Dupont est un homme énergique qui connaît chacun des 220 vignerons de Chinon et qui, contrairement à la plupart de ses collègues politiques, ne cache pas son amour pour le bon vin. De plus, il ne parle pas la langue de bois. Exemple : Que dites-vous aux bobos parisiens qui se plaignent des coqs qui chantent et des cloches qui sonnent ? Il répond : « Je leur dis de rentrer chez eux ! Nous accueillons tout le monde,mais nous restons ce que nous sommes : des gens de la campagne ! »

100 cafés dans les années 60

De fait, ces dernières années, Chinon est devenue une cité cosmopolite vers laquelle des dizaines de nationalités différentes sont venues prendre racines, à l’image de la Québécoise Émilie Riopel qui vient d’ouvrir son bistrot La Cabane à Vin : « Il y a ici tout ce qu’il n’y a pas au Québec : des vestiges du Moyen Âge et la liberté de vendre du bon vin, car je vous rappelle que, là-bas, d’où je viens, c’est l’État qui détient le monopole des alcools.Les vins sont importés et vendus par des fonctionnaires… »

La rue Voltaire. ©Fabienne Boueroux

L’action « Cœur de ville » brillamment menée par un ancien Parisien tombé sous le charme de Chinon, Fabien Morin, a porté ses fruits : 41 nouveaux commerces ont ouvert depuis 2021, 36 artisans d’art (dont une école de tissage unique en France), le plus beau marché de Touraine (120 commerces l’été), un cinéma d’art et d’essai, une boîte de nuit, des boulangers, des pâtissiers, des restaurants, un boucher, des librairies, un brasseur de bière anglais, un chapelier et quantités d’autres boutiques qui sont parvenues à recréer un véritable lien social.

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« La situation de Chinon reste toutefois fragile, tempère François de Izarra. On sait attirer les visiteurs, mais on ne sait pas toujours les garder ! Il faudrait de nouvelles idées. »

Ancienne antiquaire flamande originaire de Belgique, Martine Budé fait partie de ces nouveaux habitants tombés amoureux de la région, il y a vingt ans, et qui portent sur elle un regard impartial. Devenue vigneronne sur le domaine de La Niverdière, Martine produit en bio l’un des plus jolis vins de Chinon, dans le style soyeux de ceux que faisait autrefois le grand Charles Joguet : « Le développement du tourisme fluvial sur la Vienne est une piste, car il y a de plus en plus d’adeptes du canoë-kayak qui descendent la rivière depuis Tours et Chinon dispose de quais, depuis 1820. Mais il faudrait surtout, à mon avis, retrouver la grande tradition du maraîchage et de l’élevage familial tel qu’il était pratiqué autrefois. »

Dans les années 1960, avant l’implantation d’Intermarché et de Leclerc qui l’ont vidée de sa substance, Chinon comptait 100 cafés et des entreprises de prêt-à-porter…Dans les villages alentour, les paysans (qu’on n’appelait pas « agriculteurs ») s’occupaient de la nature et de leurs bêtes sans être persécutés par l’administration et sans dépendre des subventions versées par l’Europe. Comme partout en France, il y avait là des fermes grouillantes de femmes et d’enfants où l’on ne se suicidait pas… Rabelais, plus que quiconque, aimait cette terre et son peuple : c’est peut-être aussi pour ça qu’on ne le lit plus.

Simon Armstrong et Dominique Terray, fondateurs de la brasserie Bras(se)fort. © Fabienne Boueroux

Nos bonnes adresses

Pour boire

Les vins de Martine Budé, domaine de La Niverdière, 95, rue du Véron, 37420 Beaumont-en-Véron, www.laniverdiere.com.

Exceptionnel : les caves du domaine Plouzeau, nichées dans les immensescaves de laforteresse creusées au xiie siècle. Lieu magnifique. Vins issus de vieilles vignes préphylloxériques. 94, rue haute Saint Maurice, www.plouzeau.com.

Les bières anglaises, dans le centre historiquede Chinon, fabriquées sur placepar Simon Armstrong, un ancien tailleur de pierre. Bras(se)fort, 21, rue Voltaire 37500 Chinon, www.brassefort.fr.

Pour manger

Les Jardiniers, restaurant niché dans une ancienne gareen pleine campagne, à cinq kilomètres de Chinon, avec un jardin potager entouré d’une truffière. 1, La Gare, 37500 Ligré, www.restaurantlesjardiniers.fr.

Marion Messina, c’est mieux que Houellebecq!

Dans son nouveau roman, Marion Messina décrit le futur proche d’une France à bout de souffle, où les personnages galèrent à trouver quelque échappatoire. Dans un monde normal, Marion Messina deviendrait un grand écrivain. Mais même dans ce monde « anormal », nous savons qu’elle le deviendra, estime notre chroniqueuse.


Initials MM. Dans la famille romans de la rentrée littéraire à lire absolument, je demande La peau sur la table, de Marion Messina. Cette jeune romancière a déjà été remarquée en 2017 avec un premier roman : Faux départ (Le Dilettante), l’histoire d’une étudiante provinciale qui montait à la capitale, ce qui ne lui apportait que des désillusions.

Pour son deuxième roman (celui où l’on attend vraiment les jeunes auteurs au tournant), elle a admirablement transformé l’essai. On n’avait pas lu de roman contemporain avec autant de souffle, de force, de présence dans le style depuis longtemps. Il s’agit d’une sorte de dystopie, mêlée à un pamphlet, sous fond de naturalisme, le tout admirablement maîtrisé !

Brigitte Macron meets Big Brother

J’avais la forte intuition que ce roman me plairait, mais à sa lecture, j’ai reçu un uppercut à l’estomac. L’action se déroule dans un futur très proche ; une femme est à la tête du pays, elle a remplacé la Marseillaise par l’Hymne à la Joie et la population n’est plus qu’un QR code géant. Notre bon vieux pays a été catapulté dans une dystopie qui tiendrait à la fois de Dickens et d’Orwell, où seuls s’en sortent ceux qui ont signé un pacte faustien avec ce libéralisme aux relents dictatoriaux que nous propose Madame la présidente. Heureusement, si vous n’êtes pas branché roman d’anticipation, l’auteur croque aussi toute une galerie de personnages attachants qui font comme ils peuvent dans ce marasme, à l’image de cette institutrice exténuée mais pleine de vie, ou de ce docteur en littérature devenu boucher en Ardèche. Ils sont comme une respiration, et symbolisent la décence commune orwellienne.

A lire aussi, Thomas Morales: Quand on arrive en ville!

Le roman s’ouvre sur une scène christique, qui vous hantera un moment après sa lecture. Un jeune homme, un martyr, s’immole par le feu, tout en récitant le Pater Noster : « il garde les paupières rabattues, penche son torse sur la droite, se saisit d’un bidon et en déverse le contenu sur le dôme de sa tête. Voilà son baptême. Comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés – Pardonne moi Seigneur, car je ne pardonne pas. » Non, il ne pardonne pas aux salopards qui l’ont violé, presque jusqu’à la mort, des bourgeois en fin de course, en fin de race, à l’image des aristocrates roués et pervers d’avant 1789. Cet acte définitif, filmé en direct et diffusé dans le monde entier, mettra la France à feu et à sang. En commettant ce geste sacrificiel, le jeune homme est immédiatement sanctifié et devient une allégorie macabre de notre pays, qui, comme lui, ne veut plus se faire baiser par des puissants qui ont vendu leur âme au Diable. Cet incipit est un petit tour de force. Il décrit l’innommable avec presque une certaine grâce, et en cela, Messina rejoint Bernanos, un de ses maîtres, qu’elle cite d’ailleurs en exergue : « Nous n’assistons pas à la fin d’une grande civilisation humaine, mais au début d’une civilisation inhumaine. » Je ne sais si Marion Messina a la foi comme Bernanos, mais elle semble porter en elle une soif infinie de justice. Presque rageuse. Et, comme l’auteur de Sous le soleil de Satan, elle semble avoir une conscience aiguë du Bien et du Mal. Lorsque je lui fais remarquer qu’elle ne mentionne jamais le wokisme, elle me répond ceci : « Lorsqu’il se passe des choses aussi graves que dans mon livre, le wokisme disparaît. » Et effectivement, on sait déjà qu’aujourd’hui, lorsqu’une mère de famille n’a plus que vingt euros pour finir le mois, le wokisme est bien évidemment la dernière de ses préoccupations.

Éraflons un peu la vache sacrée

L’auteur confie également ne pas se soucier des étiquettes. Forcément, lorsqu’on veut écrire une petite chronique littéraire, on cherche toujours des comparaisons… Celle avec Michel Houellebecq sauterait aux yeux des plus distraits.

A lire ensuite, Jonathan Siksou: Mon père ce héros

Mais à la réflexion, Messina c’est selon moi mieux que Houellebecq. Comme lui, elle s’attache à disséquer notre époque, elle se penche sur son cadavre en putréfaction comme le ferait un médecin légiste. Mais, avec beaucoup plus de finesse. Et on ne ressent aucun mépris dans les détails vestimentaires ou physiques qu’elle nous donne, par exemple lorsqu’elle décrit les tatouages mal faits de ceux que l’on appelle les cassos, « parfois l’image d’un chien tant aimé »… On sent qu’elle fait corps avec ces damnés de la terre, qu’elle les aime, qu’elle voudrait presque les consoler, leur redonner un peu d’enfance. Alors que Houellebecq préfère garder ses personnages à distance, avec froideur. En 2018, dans une interview accordée au media en ligne Le Comptoir, Marion Messina dit être influencée par la littérature anglo-saxonne, par Faulkner, mais aussi par Toni Morrison : « Elle m’a beaucoup influencée dans sa façon d’invoquer un sentiment d’infériorité à travers de petites choses. » C’est cette délicatesse, mêlée à ce souffle naturaliste, qui rend ce roman si singulier et si précieux.

Toute une finesse d’orfèvre qui rend plus supportable le bruit et la fureur dans lesquels baigne Ma peau sur la table.

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Contre le monde

Le nouveau et singulier roman de Nicolas Chemla permet au lecteur de découvrir le journal intime d’un Américain installé à Paris, rue de Paradis, dans une capitale française en proie à la canicule, au chaos et à l’insurrection…


La vie n’est guère réjouissante en cette période. La morosité est en nette inflation. Il faut s’en échapper. La littérature s’y emploie, parfois. C’est le cas avec le roman L’Abîme, de Nicolas Chemla. C’est cru, noir, envoûtant, fantastique. Ça fissure la réalité et nous plongeons dans une sorte d’univers parallèle, un contre monde où les messes noires, les couloirs sombres, les cadavres en décomposition, les individus inquiétants et le chat Mouche nous permettent d’oublier la société du Spectacle qui nous conduit tout droit au bord du gouffre, bien réel celui-là.

Les humains n’étaient pas faits pour l’humanité

Un Américain vit dans un curieux immeuble parisien, à l’insolite façade. D’entrée de jeu, l’auteur nous indique que l’Américain en question finira mal. Mais avant, la folie le gagne, elle nous contamine et nous entraîne avec lui. Le rythme est rapide, l’atmosphère oppressante. On étouffe, car c’est un temps de canicule. La violence se fait entendre dans la rue, l’insurrection guette. Les Parisiens sont en colère, la frontière entre la civilisation et la barbarie est de plus en plus poreuse. Dans l’immeuble, il y a un vieillard étrange et maniéré. Il cache, entre ses mains, un secret. Mouche, le chat, sorti de nulle part, n’est pas seulement à la recherche de croquettes. Tout cela est volcanique, le feu couve, les fumerolles annoncent les fleuves de lave.

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Nicolas Chemla maîtrise son sujet. Son roman s’inscrit dans la lignée de ceux de Lovecraft, Huysmans, Mary Shelley, ou, plus près de nous, Bret Easton Ellis. Dans les dernières pages de ce magistral dérèglement occulte, le libraire, ami de l’Américain, qui met la clé sous la porte – fait hautement symbolique – admet : « Vous savez, à la fin des Mots et des choses, de Foucault : ce visage de l’homme, dessiné sur le sable, que les vagues effaceront, comme tout le reste. Ça y est, on y est. Les humains n’étaient pas faits pour l’humanité… »

Conseil d’écrivain

Une chose est certaine : Nicolas Chemla n’a pas pratiqué l’autocensure, comme il n’a pas eu recours à cette imposture qu’on nomme les sensitivity readers. C’est pour ça que son roman est si singulier. Et il donne un conseil pertinent : « Je crois que l’on devrait relire les livres que l’on a lus adolescent. Non qu’avec l’âge on devienne nécessairement plus intelligent, sûrement pas, mais il me paraît que l’on acquiert, avec l’expérience, un regard différent, plus riche, mieux à même de percevoir toutes les dimensions d’une œuvre – on la reçoit avec toute la richesse de nos propres histoires, aventures, découvertes et déceptions. »

Nicolas Chemla, L’Abîme, Le Cherche Midi.

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La Grande Bellezza dans le texte

Les éditions Séguier publient le scénario du film primé aux Oscars écrit avec Umberto Contarello précédé d’un avant-propos inédit de Paolo Sorrentino.


Jean Le Gall, le patron de Séguier, est un esthète doublé d’un redoutable commerçant. Il connaît nos faiblesses et toutes les ficelles du métier pour alpaguer le lecteur fragile, indolent, incapable de résister à la vue de Jep Gambardella, en pantalon blanc et veste d’alpaga couleur safran sur une couverture, maître à penser de tous les désabusés nés au siècle dernier.


Cardinal de Retz à la sauce romaine

En publiant le scénario de « La Grande Bellezza » en intégralité, il nous offre les mémoires du Cardinal de Retz à la sauce romaine, un bréviaire à l’usage des perdants magnifiques, quelque part entre le détachement souverain et la distance persifleuse, entre la lente fuite du temps et les illusions perdues. 2013, déjà dix ans que nous avons fait la rencontre sur grand écran de ce chroniqueur mondain, amateur de minestrone en proie au doute existentiel, esseulé au milieu de la fête permanente, moraliste en richelieu bicolore, l’extrême bout de sa cigarette coincé entre ses dents, carnassier dans ses répliques et, malgré tous ses efforts pour rester insensible à la marche du monde, demeurant cet émotif nostalgique, cet adolescent saisi par la beauté dévoilée d’un corps de femme. Ce qui nous a d’abord plu dans l’attitude de Jep, c’est tout ce qu’il rejette en bloc par éthique et par dandysme expiatoire. C’est-à-dire son humanité, sa bonté, son souci de l’autre, son christianisme refoulé, autant de mots qu’il s’interdirait d’écrire dans ses articles par peur de tomber dans une forme de mièvrerie anesthésiante. Jep n’est pas amer, revanchard ou explicatif, il connaît trop bien la versatilité des sentiments pour s’autoriser à juger les autres. Jep n’est pas un pédagogue. Il n’a aucune leçon à donner.

Maximes et picotements de l’âme

Si nous aimons son aplomb devant les suppôts d’une modernité absconse, sa vigueur jouissive à dessouder les fausses valeurs et les artistes maudits, cette vie confortable allongée dans un hamac à contempler l’écoulement des journées et sa volonté farouche de s’extraire des choses du quotidien, nous aimons encore plus l’errance d’un homme d’âge mur dans la ville. Une promenade sur les bords du Tibre, à la confluence des regrets et des souvenirs, ce qu’on appelle les picotements de l’âme.

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Quand l’heure des comptes vient à sonner. « La Grande Bellezza » est une sorte de bazar littéraire, chacun y trouve ce qu’il était venu y chercher. Paolo Sorrentino a fait de Jep un personnage malléable, plastique qui se moule à notre esprit du moment. Certains y ont vu un noceur extatique, un cynique en rédemption, un raté étincelant, un amuseur écorché, un croyant qui s’ignore, un écrivain en panne : ses costumes en laine froide se plient à toutes les contorsions. Le film eut quelques détracteurs, on critiqua sa vulgarité clinquante, une sorte de Dolce Vita fin de siècle un peu veule et vaine, une juxtaposition de scènes qui s’annulent entre elles et un propos noyé sous les platines d’un DJ peroxydé. Dans son avant-propos, Paolo Sorrentino préfère insister sur l’autre inspiration de son film. « A Rome, tout se termine vite, sans trêve, dans une sorte d’immense décharge dont ne connaît même pas l’adresse. On ne retient rien. Rien n’est définitif. Tout le monde vient à Rome pour parler, mais il n’y a personne pour écouter » écrit-il.

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Pour lui, cette ville est le réceptacle des ambitions forcément déçues et cependant, son attraction malsaine continuera longtemps d’aimanter les Hommes. Avant de s’intéresser au cas de Jep, il faut parler un instant de Dadina, la directrice de la revue qui l’emploie, naine extralucide déclarant : « Personne n’est adapté à rien, Jep. C’est la reine des inadaptées qui te le dit ». Et Romano malheureux en amour, attiré par des créatures incapables d’aimer, pudique et tendre, peut-être son seul véritable ami qui gagne en profondeur et se sauve, à la fin du film : « Qu’est-ce que vous avez contre la nostalgie ? C’est l’unique loisir qui reste à ceux qui se méfient de l’avenir ». Alors pourquoi, aimons-nous tant ce film ? Pour l’apparition d’une girafe, le tube de Raffaella Carrà réenregistré par Bob Sinclar, l’odeur des sacristies, la nuit romaine, le fleuve brouillon, le visage d’une sainte exténué, mais surtout pour les maximes exponentielles de Jep. On est jaloux, nous aurions voulu les inventer : « Je ne voulais pas simplement participer aux fêtes. Je voulais avoir le pouvoir de les gâcher » ; « Nous sommes tous au bord du désespoir et nous n’avons qu’un remède : être ensemble et se moquer un peu de nous-mêmes » ; ces bonheurs de dialoguiste, nous pouvons enfin les lire. Car Jep a réussi à mettre des mots sur notre inconstance :

J’étais destiné à la sensibilité
J’étais destiné à devenir écrivain
J’étais destiné à devenir Jep Gambardella

La Grande Bellezza de Paolo Sorrentino – Séguier

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Serge Raffy, l’âge de déraison

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L’ancien rédacteur en chef de l’Obs reprend son destin où il l’avait laissé. Avec Bivouacs, Serge Raffy fait son entrée dans la chanson française, sur fond électro, avec un album remarquable.


Sympa. C’est le mot qui vous vient à l’esprit en présence de Serge Raffy. Super sympa, quand on le connaît un peu. La simplicité de ce jeune homme qui a pris de l’âge honore un des plus beaux CV de la presse française. Une quinzaine de livres brillants : romans, essais, biographies, dont celle, incontournable et mondialement connue, de Fidel Castro. Un style élégant, incisif, précis, teinté d’humour, un sens rare de la formule, des portraits tirés au cordeau ; des centaines d’articles couvrant un demi-siècle d’un regard ouvert porté sur le monde et l’évolution de nos sociétés, avec un tropisme certain pour le politique. Voilà pour le passé. Le rédacteur en chef de l’Obs vient de raccrocher après une longue carrière commencée à la Dépêche du Midi, poursuivie à Libé, puis à l’Obs, avec une parenthèse de quelques années au service du féminin, comme rédacteur en chef du magazine Elle.

Kidnappé par le destin

L’homme porte aujourd’hui un sourire amusé sur le pigiste kidnappé par le destin dans sa vingt-cinquième année : journaliste à RMC, il vient d’enregistrer un 45 tours au mythique Studio Condorcet à Toulouse. La pochette de Y a un mystère est dessinée par Enki Bilal.


Le mystère restera entier puisque le mécène du disque, un banquier, disparaît bientôt en Afrique. Serge ne songe nullement à quitter sa ville, son groupe et ses copains. Mais Jean Daniel, qui veut pour Le Nouvel Observateur des écrivains-journalistes, lui fait des appels du pied. Franz-Olivier Giesbert, l’ami fraternel, finit par le convaincre. Le Toulousain de cœur consent à quitter ses rêves pour les rejoindre. Raffy grand reporter va courir le monde, l’Amérique latine en particulier, et mettre la musique entre parenthèses.

Plutôt une mise en sourdine. Les voyages de l’homme de plume sont autant d’occasions de se constituer un trésor de guerre. À la manière d’un photographe, le reporter saisit des instants de vie, des impressions de voyage. Des notes qui ont vocation à devenir des histoires qu’il mettra plus tard en musique. Folk dans un premier temps. Avec une inflexion latino dans les années 2000 où ce fan des Beatles et d’Otis Redding se produit dans des petites salles, avec une formation acoustique, le MOW (Music Of World) : une choriste argentine, un guitariste arménien et un percussionniste cubain.

Plus électro que branché

L’idée de l’album se dessine. Et se précise quand il rencontre Hugo Stradella, un jeune batteur, multi-instrumentiste. Le fossé des générations les sépare, leurs goûts communs les rapprochent. La fusion opère. Quatre ans de travail avec le réalisateur à rechercher dans chaque son une harmonie avec le texte, l’adéquation parfaite du son et du sens. Un climat. 14 titres et autant de destinations. La voix, caressante, souvent murmurée, se pose sur des nappes musicales élégantes. L’habillage, sur mesure, est essentiellement électro. « J’ai voulu rendre aux mots ce qu’ils m’avaient donné » résume cet amoureux de la langue française, fan absolu du regretté Nougaro.

Une partie de lui-même qui ne s’était pas exprimée

Bivouac est un long voyage à l’envers. Le chanteur revient sur les pas du grand reporter. L’album ouvre sur Hôtel Métropole où sa voix fusionne avec celle d’Art Mengo sur les rives du fleuve Mékong. Lydia Hudon Ferland l’accompagne sur Je ne regarde pas en arrière – qui fait étrangement penser à Etienne Daho, comme sa nouvelle version de Laurie Bloom et « ces nuits suspendues à ton cou ». Sur Laissez passer, la voix est celle de Malena Marquez. Raffy effectue le reste du voyage en solitaire, faisant escale à Paris où l’envoutant Eiffel Lovers évoque « la dame de fer en sentinelle ». Puis Berlin avec Alexanderplatz où « il reste des traces » des « fantômes qui surveillaient leur vie ». L’éditorialiste politique file ensuite vers Les Sirènes d’Essaouira, puis Gibraltar où, allongé, il regarde « passer les pélicans sur la Canopée ». Sur les hauteurs de Beverly Hills Geronimo blues, inspiré par Michael Connelly, se souvient de Dolores Quesada ; Gabo song raconte l’enfance de Gabriel Garcia Marquez. La chanson d’un regret. Serge n’aura pas eu le temps d’honorer le rendez-vous pris avec le grand écrivain, parti entre-temps rejoindre les étoiles.

La passion de la scène

Voici bouclé un tour du monde, un tour d’horizons, histoire de mettre un passé en règle. Celui d’un homme conscient que sa deuxième vie commencerait le jour où il déciderait d’en avoir une autre. La photo de couverture de l’album – une gueule – est celle d’un type qui assume de n’être plus un jeune homme. Comme Yves Simon, nourri de ses lectures et de ses voyages, Serge Raffy fait chanson à part. Il impose d’emblée son style. Une poésie. Des rengaines qui vous restent en mémoire. Entêtantes. Désormais chroniqueur au Point, le nouveau Raffy se produit sur scène et prépare son prochain album, Aimes, qui sera consacré aux femmes. Autant dire qu’il est loin, très loin, d’avoir dit son dernier mot.

Bivouacs. À écouter sur toutes les plates-formes.

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Macron: «Allo, SOS Amitié?»

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Les écoutes téléphoniques (quasiment) véridiques de « Causeur ». Le billet satirique de Denis Hatchondo


-”Oui, Emmanuel je t’ai reconnu.”

-”Vous êtes bien la seule!”

-”Allons, ça ne va pas mieux? Toujours pas trouvé un ami? Tu as mis le paquet là, entre Charles et le Pape tu pouvais pas faire beaucoup mieux!”

-”Ça s’est passé moyen. Un Roi, un Pape, y a une brouette d’interdits, même si je lui ai un peu gratouillé le dos, à numéro 3.”

-”Pourtant quand tu as reçu MBS à l’Elysée, tu lui avais remis en place une cervicale en deux temps trois mouvements!”

-”Ouais, mais lui ce n’est pas pareil, il se pointe au Château en abaya avec un torchon de pizzaiolo sur la tête. Du coup je me suis mangé le protocole.”

Versailles, 20 septembre 2023 © Jacques Witt/SIPA

-”Alors, comment il est Charles?”

-”Un alambic ! Il boit comme un hooligan, il m’a montré une feuille de salade et m’a pris le chou pendant des plombes sur le respect que je devais à la nature, m’a dit que j’étais un cancre en matière d’écologie, que sur le glyphosate j’étais en dessous de tout et glou glou glou… c’est pas un roi ! C’est Sandrine Rousseau avec les oreilles de Bayrou et la descente de Larcher. Et avec la lubricité de Le Maire! Il n’a pas arrêté de chauffer Brigitte ce con !”

-”Ha bon, et alors?”

-”Tu parles, Bridget avait Hugh Grant à sa droite, alors elle ne l’a pas calculé. Et puis ce n’est pas avec ses laitues à l’eau claire qu’il pouvait l’emballer, elle qui n’a jamais été foutue de me faire une vinaigrette.”

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-”Et Camilla, comment elle est?”

-”Je suis contre l’abaya, ok. Mais là j’avais envie de signer sur la nappe un décret pour rendre obligatoire la burka. Oh putain l’épouvantail ! Je comprends que le Charly se passe de pesticides au jardin ! Franchement ce type il a un problème. Avoir Diana à la maison et se casser pour planter des poireaux avec sa mère!”

-”Ha non, pas toi…”

-”Heu ça va, parlons d’autre chose !”

-”Et le Pape, tu l’as convaincu de signer à l’OM, y a plus que lui pour sauver ce club!”

-”Là, faut un Tony Montana pour s’en sortir. Le Pape, c’est le pape, je ne pouvais pas faire l’osthéo. Pourtant il est tout tordu, je l’aurais bien manipulé le Garrincha. Il est venu à Marseille pour me traiter de fanatique de l’indifférence! Comme s’il avait Mélenchon dans l’oreillette!”.

“Pourquoi Garrincha?”

-”Garrincha c’était l’ailier du Brésil qui avait une jambe plus courte que l’autre, il pouvait pas marcher, mais avec le ballon dans les pieds il volait !”

-”Bizarre sa phrase, je ne vais pas en France je vais à Marseille!”

-”Il me la sort en Corse je suis mort. Un jour de plus à Marseille et il faisait la messe sur du rap en dansant le mia !”

-”Et Brigitte, elle est allée à confesse?”

-”Tu parles, Brie dès qu’on descend sur Marseille, elle n’a que l’atelier Gas Bijoux en tête. En plus il est au Roucas Blanc juste sous la Bonne Mère. Elle en a profité un max, même qu’elle a ramené une jolie plume d’Indien à son Gaby chéri.”

-”Qui c’est ce Gaby?”

-”Gabriel Attal. Il n’y en a plus que pour lui. Gaby par-ci, Gaby par-là… je ne le supporte plus ce merdeux. Il me doit tout, il ne me calcule plus et ma femme en est raide dingue !”

-”T’inquiète, ce n’est pas lui qui va te la faucher ta Bridget! C’est quoi qu’on entend? Vous êtes en boite de nuit?

-”Non, je craque, elle passe à fond Gabrielle de Johnny, elle danse et hurle, mourir d’amour enchainé ! Je passe pour qui ? Je vais m’en occuper de l’emplumé !”

-”Et Gérald, c’est ton ami le Gégé ?”

-”L’arme fatale! Lui il me fait peur, je sais que dans les places de deal il fait rire, mais moi il me terrorise avec sa CRS 8!”

-”Bon je te laisse, c’est quoi qu’on entend maintenant ?”

-”Elle a mis Gaby de Baschung! Je vais mettre Mourir d’aimer d’Aznavour à fond, la chanson sur Gabrielle Russier, il n’y a que ça pour la calmer, la prof! A demain.”

Mélenchon, Chikirou et… Jacques Doriot

Il y a vraiment une sacrée ambiance au sein de la Nupes dominée par Jean-Luc Mélenchon ! Cette semaine, la députée de Paris Sophia Chikirou, très proche du vieux leader présent trois fois à l’élection présidentielle, a comparé Fabien Roussel à Jacques Doriot, un collaborationniste. Le communiste a l’outrecuidance de ne pas aller manifester contre la police ce samedi. Céline Pina analyse.


À la Nupes ce n’est pas encore la révolution permanente, mais c’est déjà la baston incessante ! Avec LFI, le partenariat se vit plus sur le mode de la prédation que sur celui de l’épanouissement mutuel. Ce sont d’ailleurs les leaders du PC et du PS qui en parlent le mieux. Ils sont la preuve que le harcèlement ne s’arrête pas à l’école mais peut se prolonger dans le cadre professionnel. C’est ainsi que Fabien Roussel est devenu la victime préférée de Jean-Luc Mélenchon, bien avant Olivier Faure qui concourrait également pour le titre.

Fabien Roussel traité de collabo

Les escarmouches ont commencé à la fête de l’Humanité avec un stand de tee-shirts où étaient inscrits : « Tout le monde déteste Fabien Roussel ». La photo, partagée par Sophia Chikirou sur X (ex-Twitter) a ainsi été likée par un certain Jean-Luc Mélenchon. Toujours à la fête de l’Huma des militants Insoumis ont scandé « Fabien Roussel n’est pas notre camarade »… L’atmosphère était déjà électrique, elle tourne maintenant à la foudre : Sophia Chikirou a en effet franchi la ligne rouge en comparant Fabien Roussel à Jacques Doriot sur son compte Facebook, mercredi 20 septembre. Une publication relayée par Mélenchon qui a provoqué un tollé au PC.

Fabien Roussel (PCF) à une soirée d’hommage à Charlie Hebdo, le 5 janvier 2022 à Paris © ISA HARSIN/SIPA

Et pour cause, Jacques Doriot est l’archétype du collaborateur. C’est un communiste à l’origine, mais, séduit par le nazisme, il combattit sous l’uniforme nazi et mourut en Allemagne en 1944. L’homme fut exclu par le Parti communiste dès 1936 pour avoir pris position justement pour l’entente avec l’Allemagne nazie (à cette époque, l’Internationale communiste était viscéralement antifasciste et rien n’annonçait la conclusion, trois ans plus tard, du pacte germano-soviétique). Utiliser cette comparaison, c’est donc traiter Fabien Roussel implicitement de collaborateur et d’allié du nazisme. C’est induire également l’idée que, du communisme au nazisme, le glissement d’un homme est facile. C’est bête, gratuit et tout simplement aussi injurieux qu’inacceptable.

Pourquoi tant de haine ?

Alors pourquoi tant de haine de la part de LFI envers Fabien Roussel ? Les explications sont diverses, mais brillent toutes par leur irrationalité. Certes, l’usage de la violence fait partie de la politique. Dans sa forme civilisée et démocratique, cette violence est à la fois ostracisée et ritualisée, mais elle est toujours sous-jacente. Cependant, la violence est censée être utile, elle doit servir un objectif concret. La violence gratuite est l’apanage des totalitarismes et des tyrans.Et là, il y a quelque chose de gratuit dans la violence verbale des leaders de LFI. Quel est l’intérêt d’alimenter la haine et le ressentiment envers Fabien Roussel alors que celui-ci n’est pas une menace pour l’éructant Mélenchon, le Fouquier-Tinville des sous-préfectures ? Et si c’était parce que le leader communiste est la Némésis de Mélenchon ? Son contraire et son antagoniste. Le rappel permanent que le leader de LFI n’est qu’un arriviste sans grandeur, capable de tout sacrifier à sa quête de toute puissance, à commencer par l’honnêteté intellectuelle et le sens de l’intérêt général. Par clientélisme, l’homme qui fut autrefois un ardent défenseur de la laïcité et de l’émancipation prône aujourd’hui « la liberté de porter le voile » et diffuse les éléments de langage des Frères musulmans. Ces islamistes qui furent, eux, de vrais alliés d’Hitler.

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Fabien Roussel, mauvaise conscience de la gauche

Fabien Roussel est devenu le scrupule de la gauche qui glisse vers le totalitarisme. Le scrupule, pour les Romains, était ce petit caillou pointu qui se glisse dans les chaussures et blesse le pied jusqu’à ralentir la marche. Or il se trouve que Fabien Roussel est très clair sur les combats qu’il porte et ceux qu’il refuse de mener.Ainsi, interrogé sur son refus de participer à la marche du 23 septembre contre les violences policières, il a osé dire ce que ressentent les classes populaires et que les exaltés de LFI ne veulent pas entendre : « Je n’ai pas envie de manifester en entendant autour de moi ce slogan « tout le monde déteste la police », ce n’est pas vrai et je ne partage pas ce slogan-là. » Comme 85% de la population au passage. Il est aussi très conscient que les classes populaires rejettent les émeutiers qui ont mis la France en feu début juillet et n’éprouvent aucun lien de solidarité avec les pillards et les émeutiers. 

La reductio ad hitlerum, l’ultime argument de ceux qui n’en ont pas

Pour LFI, une telle déclaration du patron du PCF vaut excommunication immédiate. La punition est automatique et rituelle : reductio ad hitlerum. Mais si Fabien Roussel est l’équivalent de Doriot, que va bien pouvoir inventer LFI le jour où le parti tombera sur de vrais fascistes ? Quel qualificatif va-t-il pouvoir trouver ? Comment peut-on inviter Médine en niant son tweet antisémite et ses alliances avec les islamistes et dans le même temps faire un procès aussi injuste et sinistre à Fabien Roussel ?Le pire reste encore les arguments qui nourrissent la mise en accusation du dirigeant communiste. Comme Fabien Roussel est fidèle au peuple du labeur, à cette vieille gauche qui voulait améliorer la condition humaine en assumant la lutte des classes, qu’il préfère le social au racial et qu’il s’intéresse aux gilets jaunes, il est accusé de vouloir « récupérer l’électorat Zemmour/ Le Péniste ». Selon Sophia Chikirou et les sectataires LFI qui pullulent sur les réseaux, il aurait adopté le discours de la droite fasciste pour y arriver.

Un PC condamné à prêcher l’union

Comme on peut s’en douter, le PC comme Fabien Roussel n’ont pas apprécié le dérapage de LFI et de son leader. Mais ils n’ont guère les moyens de faire autre chose que de montrer les crocs sans trop s’éloigner de la niche commune. Il y a des postes à sauver, un parti à financer et il arrive parfois qu’en politique on n’ait pas les moyens de l’honneur. Ainsi dans un communiqué cinglant, le PC a rappelé son histoire et le lourd tribut versé à la résistance. Il condamne des propos d’une « extrême gravité », « véritable appel à la haine et à la violence contre Fabien Roussel ». Fabien Roussel, touché par la violence et la bassesse des attaques, dit que « le débat politique ne doit pas être rabaissé à ce niveau-là, c’est dangereux. » Il a raison : Jean-Luc Mélenchon lui a accroché une cible dans le dos. Mais s’il dit cela, c’est pour prôner l’apaisement et l’union tout de suite après… Certes, il est digne et élégant de mettre l’intérêt collectif au-dessus de son ego. Un Mélenchon, lui, en est manifestement incapable. Mais quand cela conduit à servir les desseins du dirigeant de LFI, dont le déséquilibre et la violence sont de plus en plus visibles, on peut se demander si c’est le bon choix.

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Un renouvellement de génération à l’avantage de LFI

Autre point notable, Mélenchon distingue l’homme de l’œuvre, le dirigeant, de son parti. D’où les attaques ad personam. Pourquoi ? Parce qu’il pense que le renouvellement des générations est en train de transformer le PCF en LFI bis et que celui-ci finira par tomber dans son escarcelle. Mélenchon fait le pari que le PC, exigeant sur la qualité de ses représentants et dont la formation politique et syndicale était reconnue, est mort. Beaucoup de jeunes militants qui arrivent se moquent de la lutte des classes, ne comprennent pas grand-chose aux questions sociales, économiques, encore moins aux questions d’égalité, de laïcité et de libertés publiques. Ils se disent antiracistes mais font de la couleur de la peau, la base de l’identité humaine. Ils se disent féministes, mais militent pour imposer dans l’espace public un signe sexiste, le voile. Ils veulent rétablir le blasphème et rendre toute critique de l’islam impossible et pour cela se font les relais de la propagande des islamistes. Ils n’ont déjà plus de référence républicaine et à peine une conscience démocratique. 

L’union avec LFI, le bal des dupes

Aujourd’hui, LFI incarne moins l’aspiration à la justice sociale, qu’une forme de nostalgie de la Terreur. Elle parle de révolution, mais c’est pour rêver d’épuration. Elle dit 1789, elle pense 1793. À ce titre, tendre la main à des sectaires radicalisés au nom de l’union de la gauche, comme essayer d’amadouer un autocrate au nom de l’intérêt supérieur du pays, est voué à l’échec. Le plus radical gagne toujours car il se moque des dégâts qu’il fera en chemin. Une gauche républicaine ne peut donc pas survivre à un tel compagnonnage, sauf à trahir toutes ses valeurs, pour au final servir l’ambition personnel d’un condottiere. Et c’est bien ce à quoi nous assistons. Avec le type de personnage qu’est Mélenchon et le choix de stratégie de la violence fait par LFI, l’option de la modération ne peut que finir en acceptation du cocufiage. Fabien Roussel va devoir blinder son estomac car Jean-Luc Mélenchon et ses séides n’ont pas fini de lui servir des couleuvres.

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Quand on arrive en ville!

Précisons-le tout de suite : si nous disons du bien du nouveau livre de Jonathan Siksou, ce n’est pas parce qu’il travaille à Causeur. C’est parce qu’il le mérite ! Avec un humour ravageur, il alterne chroniques, anecdotes vécues et références littéraires pour dresser le foudroyant bilan d’une débandade généralisée : celle de la vie citadine. Un essai percutant.


Quel terrain de jeu pour un homme de plume talentueux que cette ville grouillante, indistincte, indéfinie, dégoulinante de loisirs somptuaires et débordante d’impostures ; toujours là, jamais remplacée, indétrônable objet de convoitises et de lâchetés collectives. Un jour, tous les hommes y passeront et certains d’entre eux y vivront même des décennies. Les pauvres emmurés. Les rescapés, ceux qui ont fui, en parlent avec des sanglots longs dans la gorge. Lieu de sociabilités extrêmes et d’ultramodernes solitudes, cette ville immortelle a résisté au Covid.

Antre noir

Après la pandémie, les plus fins analystes de notre vie politique pressentaient une grande vague migratoire, le repeuplement des campagnes et la ruralité enfin triomphante. La revanche de Cloche merle sur cette capitale floue. Après avoir été séquestré durant des mois, soumis aux diktats de l’autorisation préalable de déplacement, le Parisien aspirait à son carré de verdure et à son barbecue brûlant, signes d’une nouvelle réussite sociale et de son exfiltration climatique. On lisait parfois dans les magazines que certains chanceux avaient échappé à la tenaille urbaine (merci le télétravail) et à la tyrannie des travaux en capilotade. Des exceptions, comme les poissons volants dans la tirade du Président. Et puis, la ville, malgré son pardessus râpé et ses vitrines tapageuses, a continué de faire la course en tête et d’attirer toujours plus de victimes consentantes dans son antre noir. Difficile de s’en extraire, quand son attraction et sa répulsion jouent un jeu trouble et dangereux. Qui l’emportera, à la fin ? Dieu seul le sait.

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Pour expliquer ces phénomènes contradictoires, un peu dingues et sacrément savoureux, il fallait une plume alerte. L’œil vif d’un observateur qui n’est pas rance ou perclus de préjugés médiatiques. Un journaliste – un essayiste, c’est plus chic – qui, folle audace, regarde ses contemporains dans le métro, dans les jardins publics, dans les ascenseurs, à la table de ses amis, avec une tendresse ironique et un esprit farceur. Un flâneur d’un genre particulier, car ce jeune intellectuel est scotché au macadam. Le trottoir lui colle aux basques. Le pavé gris sera son destin d’écrivain. Il n’a pas l’outrecuidance de vous raconter la transhumance ou la traite matinale. Le pittoresque ardéchois et l’archétypal berrichon ne sont pas dans son champ de vision. Si Jules Renard a si bien croqué les paysans, notamment dans son Journal, Jonathan Siksou est un piéton 3.0 de Paris, turbulent, fin, délicieusement vipérin et surtout taquin ; la plus grande qualité d’un chroniqueur est de ne jamais se départir de son humour ravageur. C’est son bien le plus précieux.

Évolution des mœurs

Prix Transfuge du meilleur essai 2021, avec Capitale, paru au Cerf, Siksou récidive avec Vivre en ville, dans la même maison. Il s’amuse et nous amuse à déterminer comment cette « construction étrange », zone de fantasme et d’aigreur qu’est la ville, offre un visage tantôt comique, tantôt despotique. D’autres, avant lui, ont battu le pavé, on pense à Carco, Fargue, Hardellet, Boudard, Clébert ou, plus récemment, au sieur Paucard, dernier archiviste de Paname. L’intérêt de cet essai écrit dans un français pur, ce qui ne gâche rien, réside dans son caractère hybride, transgenre pourrait-on même avancer. Sur un ton enjoué, réac-choc et très documenté, Siksou change perpétuellement de registre et de braquet, il alterne la chronique, l’anecdote vécue, la référence littéraire, la statistique non assommante et le foudroyant bilan comptable d’une forme de débandade généralisée. Il prévient, dès son avant-propos, que la ville porte en elle le sceau de tous ses dérèglements :« Vivre en ville est de plus en plus invivable mais de plus en plus de monde souhaite y vivre, et ce, partout dans le monde. […] Quand ceux qui y sont veulent en sortir, d’autres, à l’extérieur, rêvent d’y entrer : c’est l’insatisfaction générale, le mécontentent permanent. »

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Sous la plume de Siksou, tout y passe, nos habitudes, nos évitements, nos aveuglements, nos faillites, la fin des bouquinistes et le touriste-roi, la mendicité organisée et l’affaissement vestimentaire visible dans les rues, les dîners mondains à l’obsolescence programmée et le « café d’en face » devenu notre résidence secondaire, comme si la ville condensait tous nos maux et nos dérives. Siksou ne nous épargne aucune de nos turpitudes citadines. Dans ce grand trou de l’invisibilité que sont les couloirs du métropolitain ou les boulevards, les passants qui y déambulent sont qualifiés de « saouls ou groggy, somnambules », décrivant « de curieuses ellipses sur les trottoirs ». Siksou fait le constat que plus personne ne lève les yeux de ces satanés smartphones, notre asservissement numérique. Fantomatique, l’homme de la rue marche sans but ni entrain, dans un nuage virtuel. La ville lui permet et promeut ce dédoublement de la personnalité et la fin de tout idéal. Siksou appuie là où ça fait mal, où le fameux « vivre ensemble » est le plus étique, le plus burlesque ou le plus mensonger. Cette radioscopie est salutaire, elle pourrait virer au ball-trap, mais Siksou n’est pas un Torquemada des assemblées, il ne se présentera pas aux prochaines municipales. Il n’oublie jamais les qualités d’un bon livre que sont le plaisir de lecture et une belle érudition en partage, tout le contraire des pédagogues revanchards. Là où son essai est le plus littérairement percutant, c’est dans l’invention de quelques formules assassines, philippiques gracieuses. Nous applaudissons lorsqu’il écrit : « L’évolution des mœurs a introduit une coutume jamais vue jusque-là dans nos parcs : l’exhibitionnisme hygiéniste. » Le règne du short court et du débardeur en sueur a déferlé sur les quais. « Jogging, séances de relaxation asiatique, boxe, haltérophilie…Tout cela devant le regard de promeneurs qui n’ont rien demandé – et surtout pas ça », persifle-t-il, avec une inflexibilité goguenarde. Un livre à offrir à tous les édiles qui voudraient sauver leur ville d’une uniformisation asphyxiante.

À lire

Jonathan Siksou, Vivre en ville, Le Cerf, 2023.

Jonathan Siksou, Capitale, Lexio, 2023.

Capitale

Price: 9,50 €

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À l’Opéra-Bastille, un Lohengrin hanté par la guerre en Ukraine

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© Charles Duprat / Opéra national de Paris

C’est le spectacle lyrique le plus attendu de cette rentrée. Avec la mise en scène très clivante de Kirill Serebrennikov


Tous les cinéphiles gardent en mémoire la fameuse séquence de l’apparition d’un Louis II de Bavière emmitouflé dans ses fourrures, sous les traits grimés de Helmut Berger, à bord d’une nacelle évoquant les cygnes de Lohengrin, et qui se meut silencieusement sur l’onde, dans une grotte artificielle, sous la lueur dorée des torchères. Pour le roi solitaire, l’orchestre joue le prélude de l’opéra.

Féérie wagnérienne revisitée

Avec Kirill Serebrennikov, nous voilà bien loin de Ludwig ou le crépuscule des dieux, ce chef d’œuvre  de Visconti (1973). Serebrennikov ? Les films Leto (2018), La Fièvre de Petrov (2021), La femme de Tchaïkovski (2022), sans compter Le Moine noir, adaptation d’une nouvelle de Tchekhov portée sur les planches au Palais des Papes, en Avignon, la même année…  Sous les auspices du fécond cinéaste et metteur en scène russe aujourd’hui exilé à Berlin, la féérie wagnérienne se trouve revisitée de part en part, au prisme de la guerre qui ravage l’Ukraine.

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Après Le Vaisseau fantôme et Tannhaüser, Lohengrin, composé entre 1848 et 1850, est le dernier opéra « romantique » du futur maître de Bayreuth. Inspiré du Parzifal de Wolfram von Eschenbach, de la chanson de geste et des Légendes allemandes écrites à l’orée du XIXème siècle par les frères Grimm, il donnera naissance au « Chevalier au cygne ». Accusée du meurtre de son frère, la princesse Elsa von Brabant sera sauvée par Lohengrin, l’envoyé du Graal qui lui est apparu en rêve, mais à condition de ne jamais lui demander ni son nom, ni son origine… Elsa va trahir son serment.

Débarrassé des oripeaux d’une tradition surannée, Serebrennikov s’affranchit à peu près totalement des indications du livret, pour livrer une interprétation résolument contemporaine de l’œuvre, à distance radicale de la lecture qui fait des personnages de Friedrich von Telramund et de sa femme Ortrud les « monstres » du drame, et de Lohengrin un guerrier sans tache : à l’enseigne du scénographe russo-ukrainien, le Chevalier au cygne n’est jamais ici que la projection fantasmatique d’une Elsa psychiquement perturbée ; Ortrud dirige la clinique psychiatrique où elle est incarcérée, tandis que son époux, psychiatre militaire, résiste à la tentation belliciste dont un Lohengrin en treillis de camouflage sera le héraut et l’instrument.

© Charles Duprat / Opéra national de Paris

Plateau funèbre de toute beauté

Accompagnant le célèbre prélude, un film en noir et blanc, projeté sur un vaste écran aux contours floutés, suit au ralenti les pas d’un archange – soldat que tente de retenir à soi un bras féminin, depuis le dense entrelac d’une futaie germanique, jusqu’au ponton d’un lac dans les eaux lustrales duquel, se dénudant, il se jette, nous dévoilant deux ailes d’ange tatouées sur ses omoplates. Tout au long du spectacle, le décor d’Olga Pavluk (laquelle avait déjà signé ceux de Parsifal et du Moine noir) se compartimentera en quadrilatères autours lesquels se greffent les vidéos du fidèle Alan Mandelshtan – visages d’éphèbes-soldats, jeunes athlètes au torse maculé de tatouages, cadrages serrés sur des mains de jeunes conscrits éplorés, aux ongles noirs…  Présences spectrales, éthérées, associées à des griffures abstraites qui envahissent les écrans…  Au deuxième acte, divisé en trois espaces – soldats en treillis au réfectoire, à gauche ; mutilés dans leur lit de douleur au centre ; morts, à droite, avec la perspective des casiers funéraires de la morgue, puis les âmes des trépassés qui se lèvent, corps de garçons nus, debout, s’échappant avec lenteur vers le fond de la scène : plateau funèbre de toute beauté. Au troisième acte, les dépouilles s’accumulent, déposées au sol du proscenium dans leur sac de toile noire, sur le long duo sublime Elsa/Lohengrin, chant d’adieu du héros, en vers décasyllabiques, apothéose de l’opéra : « Getrennt, geschieden sollen wir uns sehn:/ Dies muss die Strafe, dies Sühne sein ! » (« Il nous faudra être séparés, éloignés : telle doit être la punition, telle l’expiation »).

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Ovation délirante

Piotr Beczala, 56 ans, a déjà par trois fois occupé le rôle-titre de Lohengrin: à Bayreuth en 2018, suite à la défection de Roberto Alagna ; à Vienne en 2020 ; et à New- York encore. Autant dire qu’il y est à son affaire. Quoiqu’originellement plus belcantiste que wagnérien, le ténor polonais domine cette partition incroyablement exigeante avec une suavité, un phrasé, une richesse de timbre souverains. La soprano sud-africaine Johanni Van Oostrum incarne quant à elle une Elsa merveilleusement languide (en alternance avec Sinéad Campbell-Wallace), tandis que l’immense baryton Wolfgang Koch campe un Tetramund en acier trempé. Au soir de la première, pour le rôle du roi Henri, la basse coréenne Kwangchul Youn, souffrant, était remplacé, « au pied levé » comme on dit, à la perfection par un Tareq Nazmi hiératique. Enfin, la soprano suédoise Nina Stemme figure une Ordrud d’une remarquable intensité, probablement à l’égal de la mezzo-soprano russe Ekaterina Gubanova qui la relaiera à partir du 18 octobre. Si essentiels dans Lohengrin, les chœurs « maison » de l’Opéra de Paris, comme toujours sous la houlette de Ching-Lien Wu, résonnent magnifiquement, dans un accord quasi-parfait avec l’orchestre. Le public ne s’y est pas trompé, qui, se mettant debout comme un seul homme, a réservé, en ce samedi 23 septembre, une ovation délirante à cette distribution. Le parti pris très affirmé du téméraire Kirill Serebrennikov ne rencontre certes pas tous les suffrages – quoi de plus normal : au cinquième rappel, lorsque l’homme vêtu de noir et coiffé d’une casquette vient à son tour saluer la salle comble de l’Opéra-Bastille, quelques puissantes huées résonnent au milieu de la liesse et des applaudissements… Clivant, Serebrennikov ? La rançon du génie, sans doute.


Lohengrin. Opéra romantique en trois actes de Richard Wagner. Direction Alexander Soddy. Mise en scène Kirill Serebrennikov. Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris. Avec Kwangchul Youn (Heinrich der Vogler), Piotr Beczala (Lohengrin), Johanni van Ostrum/Sinead Campbell-Wallace (Elsa von Brabant), Wolfgang Koch (Friedrich von Teiramund), Nica Stemme/Ekaterina Gubanova (Ostrud), Shenyang (Der Heerufer des Königs)…

Opéra Bastille, les 27, 30 septembre, 11, 14, 18, 21, 24, 27 octobre à 19h.

Durée : environ 4h20.  

Ne pas laisser la question de l’inceste entre les mains des moralistes

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M6 diffuse ce dimanche à 23h00 "Un silence si bruyant", documentaire d'Emmanuelle Béart (photo) et Anastasia Mikova proposant quatre témoignages de personnes ayant été frappées par l'inceste. Image : capture M6.

Dans le domaine si délicat de l’inceste, le wokisme et la doxa victimaire ne sont pas simplement une insulte à l’esprit et une déformation du réel. Cette idéologie entraîne une aggravation des problèmes qu’elle annonce pourtant vouloir résoudre.


L’actualité est ponctuée ces jours-ci par des affaires d’inceste. Jamais en reste de ce point de vue, certains médias, sous couvert d’informer sur ces dossiers, mènent eux-mêmes l’enquête et désignent les coupables. Par exemple, dans un reportage diffusé le 21 septembre, France Info conclut à la véracité du récit d’une victime présumée, qui déclare avoir été violée par son grand-père, tout en ajoutant discrètement, bien obligé, que le procureur avait pourtant demandé un non-lieu[1]. Le média fait de cette affaire un exemple où « la parole de la victime n’est pas entendue ». L’approche journalistique se fait morale, et place la morale au-dessus de la justice, quitte à condamner, là où la justice propose d’acquitter. On ne se prononcera pas ici sur une affaire en cours, mais le schéma illustre parfaitement bien la doxa de l’époque, où la morale, du moins ce qui en tient lieu, le moralisme, l’emporte sur tout, la politique, la justice, le droit, la Raison.

Cette approche du problème, bien réel, de l’inceste, a des conséquences désastreuses, car elle tend à nous priver des véritables moyens de lutter contre les violences sexuelles dont les enfants sont l’objet.

L’inceste, une question morale ?

L’inceste est une violence qui a plusieurs caractéristiques propres. D’abord c’est un phénomène très ancien, il a accompagné de tout temps toutes les sociétés humaines, même si sa régression est aujourd’hui différentielle selon les pays et les cultures. Ensuite, comme toutes les violences sexuelles, il a résisté au processus de « pacification des mœurs » décrit par le sociologue Norbert Elias. Là où l’homicide recule en masse dans la plupart des sociétés modernes, les violences sexuelles tendent à perdurer (en Inde par exemple, où le taux d’homicide a drastiquement diminué, les taux de viol restent très élevés). Enfin, et c’est là une caractéristique spécifique à l’inceste, il se produit à l’intérieur de l’espace privé de la famille, longtemps à l’abri de la Justice. Dans le droit romain, le « pater familias » est maître et juge de son enfant[2].

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Plus que tout autre crime, l’inceste a longtemps été pris dans une sorte de gangue morale. L’acte est d’abord interprété en termes moraux et religieux. C’est une « impudeur », une faute morale, qui concerne solidairement auteurs et victimes, en quelque sorte contaminés par le même mal, le Mal lui-même. C’est le Diable qui les a saisis conjointement. La sodomie, péché majeur, entraîne dans le même opprobre moral, violeur et violé(e), même lorsque la victime est un enfant. Un enfant violé est considéré comme déshonoré, impur, marqué à vie par une infamie. Dans la nouvelle Mademoiselle Fifi, Maupassant évoque la vie d’une « enfant souillée par un valet » à l’âge de 11 ans : « la petite fille grandit, marquée d’infamie, isolée, sans camarade, à peine embrassée par les grandes personnes qui auraient cru se tacher les lèvres en embrassant son front ».

Le grand progrès en matière de traitement de l’inceste, à partir du milieu du XIXème siècle, a été à la fois une meilleure pénalisation, la justice étant plus à même de qualifier objectivement les faits, et une reconnaissance progressive du traumatisme infligé à l’enfant violenté et du statut de criminel du parent auteur des faits. L’inceste est alors recadré, en dehors de toute morale, comme un « trouble à l’ordre public » et comme une souffrance infligée, méritant les soins appropriés.

La régression victimaire

La doxa moraliste actuelle, irriguée par le mouvement woke, et qui imprègne beaucoup de médias, constitue une régression, voire une inversion, de ce progrès majeur entamé dès la fin de l’Ancien Régime. L’auteur présumé des faits d’inceste est désormais diabolisé, associé à des marqueurs identitaires (le prédateur blanc et, dans le cas du grand-père violeur, âgé). Même lorsque la justice l’innocente, il est coupable, en quelque sorte par nature. La victime, elle, est priée de conserver ad vitam eternam son statut de victime, qui va être, lui aussi, un marqueur identitaire.

Là où la psychologie moderne, à la suite des tribunaux, avait concentré ses efforts sur la réduction la plus rapide possible des souffrances infligées par l’inceste, ou toute autre violence sexuelle, l’héroïsation identitaire de la victime la fige dans sa souffrance et transforme celle-ci, de façon assez perverse, en une sorte de rente symbolique, au prix, souvent, de la persistance d’un désastre intérieur.

Là où le tribunal permettait à l’auteur de violence sexuelle, grâce à la catharsis judiciaire, de payer pour sa faute et d’imaginer, peut-être, une prise de conscience salutaire, le voilà renvoyé à son statut, définitif lui aussi, de porteur du Mal, marqué à vie par l’infamie, contaminant tous ceux qui l’entourent. Pire, là où le tribunal acquitte, les médias iront chercher, à la sortie de la salle, les coupables que la morale désigne. Petite montée au point Godwin : lorsque les tribunaux, dans l’Allemagne des années trente, se refusait à condamner, la Gestapo était là, à la sortie de l’audience, pour châtier, enfin, les coupables… La morale nazie l’emportait sur la justice allemande (d’ailleurs rapidement mise au pas).

Dans le domaine de l’inceste comme dans bien d’autres, le wokisme, et la doxa victimaire, ne sont pas simplement une insulte à l’esprit et une déformation du réel. Cette idéologie entraîne une aggravation des problèmes qu’elle annonce pourtant vouloir résoudre. Dans le cas de l’inceste, c’est une catastrophe, particulièrement pour les enfants concernés.

Une brève histoire de la violence

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[1] https://www.francetvinfo.fr/societe/harcelement-sexuel/document-franceinfo-ca-s-est-passe-l-ete-de-mes-12-ans-la-lettre-ouverte-de-lilou-qui-accuse-son-grand-pere-de-viols-et-se-bat-pour-etre-entendue-par-la-justice_6073758.html

[2] Les pères dans l’histoire : un rôle en évolution, Josée St-Denis et Nérée St-Amand, Un article de la revue Reflets Volume 16, numéro 1, printemps 2010, p. 32–61 https://www.erudit.org/fr/revues/ref/2010-v16-n1-ref3890/044441ar/

La tentation de Chinon

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La forteresse royale de Chinon. ©Fabienne Boueroux

Chinon se dresse au cœur de l’Indre-et-Loire, parmi les vignobles et les pâturages qui bordent la Vienne. Riche d’un patrimoine historique remarquablement restauré, la cité médiévale n’est pas seulement une ville-musée. Ses vignerons et son centre-ville ressuscité entretiennent un art de vivre qui séduisait déjà un certain Rabelais.


La tentation de l’exode ? Plus de 125 000 Parisiens y auraient déjà cédé en dix ans (selon l’Insee), entraînant dans leur fuite la fermeture de nombreuses classes d’écoles… Certes, depuis Attila (en 451) et les Vikings (en 845), Paris en a vu d’autres. Mais tout de même, voir ses proches s’en aller vivre à Bordeaux, comme aux débuts de l’Occupation (« depuis 1870, quand la France est en guerre, on va se réfugier à Bordeaux », écrivait Philippe Sollers), passez-moi l’expression : « Ça me la coupe ! » Aussi, si d’aventure et par malheur, nous devions à notre tour quitter la capitale, ce ne serait certainement pas pour la ville de Montaigne, mais pour celle de Rabelais : située à deux heures trente de la gare Montparnasse, Chinon est un joyau méconnu, autant que sa beauté, son calme et sa qualité devie. Une cité à taille humaine – 8 500 habitants – dépourvue d’embouteillages et de brûleurs de voiture. Surtout, alors que 60 % des communes françaises n’ont plus de commerces de proximité, elle fascine par sa vie intra-muros et constitue de ce point de vue un véritable exemple à suivre.

Chinon, tous les amoureux du vin la connaissent depuis longtemps et s’y rendent en pèlerinage en septembre, quand la lumière y est la plus belle – le peintre surréaliste Max Ernst et le compositeur Henri Dutilleux, tombés amoureux de ces rayons de soleil, avaient choisi d’y vivre.

Chinon, la charmante autosuffisance

Immortalisé par Rabelais (né en 1494 à La Devinière, métairie voisine de l’abbaye de Seuilly), le vignoble crayeux de Chinon séduit aujourd’hui par la fraîcheur et la finesse poivrée de ses vins rouges à base de cabernet franc. « Pour que le vin soit bon, il faut que les vignes voient la rivière », dit-on. C’est le cas ici, Chinon étant établie sur la rive droite de la Vienne, avant que celle-ci rejoigne la Loire. Autrefois, les tonneaux de vin étaient ainsi acheminés jusqu’à Paris par cours d’eau : c’est ce marché qui a permis au vignoble de se développer et d’atteindre l’excellence.

Le meilleur connaisseur de la ville se nomme François de Izarra, il est responsable des archives municipales. En allant l’interviewer, nous nous attendions à trouver un rat de bibliothèque : nous sommes tombés sur un champion de canoé-kayak, musclé et bronzé comme Russell Crowe dans Gladiator« L’historien Fernand Braudel avait observé ce phénomène singulier, nous dit-il.En France, après la Révolution, toutes les petites villes de province ont cessé d’avoir une histoire. C’est un fait : après avoir été occupée une dizaine de jours par les Vendéens en 1793, l’histoire de Chinon s’arrête à la Révolution… Depuis, c’est une petite cité qui coule ses jours sans bruit, comme dans Madame Bovary… L’histoire glisse sur elle, sans passions. »

En fait, Chinon semble avoir toujours vécu en autarcie, avec ses vignes, ses plaines grasses et fertiles, ses élevages de vaches, de cochons et de volailles, ses fabriques de porcelaine et de prêt-à-porter. Et si c’était cela, aujourd’hui, le secret de son charme ?

Vernissage de l’exposition de l’artiste Richard Ballard, devant l’hôtel de ville. ©Fabienne Boueroux

« Ce n’est qu’au xixe siècle, poursuit notre historien, que l’on a commencé à redécouvrir le patrimoine ancien de Chinon à travers toute une série de personnages célèbres ayant séjourné dans la ville : Henri II Plantagenêt, comte d’Anjou, devenu roi d’Angleterre en 1154 ; le futur Charles VII, à qui Jeanne d’Arc était venue rendre visite, ici-même, en 1429, pour lui promettre le sacre ; Rabelais, enfin, l’enfant du pays, que plus personne ne lit aujourd’hui mais que tous les Chinonais citent et adorent comme leur père spirituel. » Archétype de l’esprit français, Rabelais réussit ce miracle unique dans notre littérature d’être un marqueur d’identité tout en étant fort peu lu…

Dans un chapitre visionnaire de ses Testaments trahis (« Le jour où Panurge ne fera plus rire »), Milan Kundera fournit peut-être l’explication de cette énigme en affirmant que Rabelais fut, avec Cervantes, l’inventeur de cette chose totalement nouvelle et précieuse pour son époque : l’humour, qui est bien plus que le rire, la moquerie et la satire (à quoi l’on réduit souvent Rabelais) et qui rend ambigu tout ce qu’il touche, raison pour laquelle l’humour suscite tant d’aversion chez les Cagots.

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Sous l’Ancien Régime, Rabelais sentait le fagot et au xixe siècle il passait pour pornographique aux yeux de la bourgeoisie. En 1848, nous apprend Izarra, Flaubert visite Chinon sur les traces de son écrivain préféré : « J’ai vu des ânes qui paissent dans les rues et les merdes de Gargantua qui s’écrasent sous vos pieds. Partout à Chinon je cherche le souvenir de Rabelais et je ne trouve rien. »

En effet, la ville ne s’est véritablement identifiée à son grand homme que dans la seconde moitié du xxe siècle. « Jusqu’en 1989, Chinon était encore une ville médiévale sombre et délabrée où vivaient encore des troglodytes considérés comme “cas sociaux”… Dans les années 1990, elle a été un laboratoire pour les petites villes de France sur le thème : comment ressusciter un patrimoine historique ? Sous l’impulsion de son maire, Yves Dauge, qui était conseiller de Mitterrand et responsable de ses grands travaux, des sommes pharaoniques ont été investies pour restaurer la vieille ville médiévale. On en a profité pour interdire l’affichage publicitaire. Le résultat a été magnifique, mais on a transformé Chinon en ville-musée. »

Depuis 2014 et l’arrivée de Jean-Luc Dupont (réélu maire en 2020), Chinon joue à nouveau un rôle de laboratoire, sauf qu’il ne s’agit plus seulement de restaurer les maisons à colombages, mais de remettre de la vie dans le centre-ville. Pour ce que nous avons pu en voir, le résultat est plus que probant. Fils de menuisier, petit-fils de facteur et ancien rugbyman, Dupont est un homme énergique qui connaît chacun des 220 vignerons de Chinon et qui, contrairement à la plupart de ses collègues politiques, ne cache pas son amour pour le bon vin. De plus, il ne parle pas la langue de bois. Exemple : Que dites-vous aux bobos parisiens qui se plaignent des coqs qui chantent et des cloches qui sonnent ? Il répond : « Je leur dis de rentrer chez eux ! Nous accueillons tout le monde,mais nous restons ce que nous sommes : des gens de la campagne ! »

100 cafés dans les années 60

De fait, ces dernières années, Chinon est devenue une cité cosmopolite vers laquelle des dizaines de nationalités différentes sont venues prendre racines, à l’image de la Québécoise Émilie Riopel qui vient d’ouvrir son bistrot La Cabane à Vin : « Il y a ici tout ce qu’il n’y a pas au Québec : des vestiges du Moyen Âge et la liberté de vendre du bon vin, car je vous rappelle que, là-bas, d’où je viens, c’est l’État qui détient le monopole des alcools.Les vins sont importés et vendus par des fonctionnaires… »

La rue Voltaire. ©Fabienne Boueroux

L’action « Cœur de ville » brillamment menée par un ancien Parisien tombé sous le charme de Chinon, Fabien Morin, a porté ses fruits : 41 nouveaux commerces ont ouvert depuis 2021, 36 artisans d’art (dont une école de tissage unique en France), le plus beau marché de Touraine (120 commerces l’été), un cinéma d’art et d’essai, une boîte de nuit, des boulangers, des pâtissiers, des restaurants, un boucher, des librairies, un brasseur de bière anglais, un chapelier et quantités d’autres boutiques qui sont parvenues à recréer un véritable lien social.

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« La situation de Chinon reste toutefois fragile, tempère François de Izarra. On sait attirer les visiteurs, mais on ne sait pas toujours les garder ! Il faudrait de nouvelles idées. »

Ancienne antiquaire flamande originaire de Belgique, Martine Budé fait partie de ces nouveaux habitants tombés amoureux de la région, il y a vingt ans, et qui portent sur elle un regard impartial. Devenue vigneronne sur le domaine de La Niverdière, Martine produit en bio l’un des plus jolis vins de Chinon, dans le style soyeux de ceux que faisait autrefois le grand Charles Joguet : « Le développement du tourisme fluvial sur la Vienne est une piste, car il y a de plus en plus d’adeptes du canoë-kayak qui descendent la rivière depuis Tours et Chinon dispose de quais, depuis 1820. Mais il faudrait surtout, à mon avis, retrouver la grande tradition du maraîchage et de l’élevage familial tel qu’il était pratiqué autrefois. »

Dans les années 1960, avant l’implantation d’Intermarché et de Leclerc qui l’ont vidée de sa substance, Chinon comptait 100 cafés et des entreprises de prêt-à-porter…Dans les villages alentour, les paysans (qu’on n’appelait pas « agriculteurs ») s’occupaient de la nature et de leurs bêtes sans être persécutés par l’administration et sans dépendre des subventions versées par l’Europe. Comme partout en France, il y avait là des fermes grouillantes de femmes et d’enfants où l’on ne se suicidait pas… Rabelais, plus que quiconque, aimait cette terre et son peuple : c’est peut-être aussi pour ça qu’on ne le lit plus.

Simon Armstrong et Dominique Terray, fondateurs de la brasserie Bras(se)fort. © Fabienne Boueroux

Nos bonnes adresses

Pour boire

Les vins de Martine Budé, domaine de La Niverdière, 95, rue du Véron, 37420 Beaumont-en-Véron, www.laniverdiere.com.

Exceptionnel : les caves du domaine Plouzeau, nichées dans les immensescaves de laforteresse creusées au xiie siècle. Lieu magnifique. Vins issus de vieilles vignes préphylloxériques. 94, rue haute Saint Maurice, www.plouzeau.com.

Les bières anglaises, dans le centre historiquede Chinon, fabriquées sur placepar Simon Armstrong, un ancien tailleur de pierre. Bras(se)fort, 21, rue Voltaire 37500 Chinon, www.brassefort.fr.

Pour manger

Les Jardiniers, restaurant niché dans une ancienne gareen pleine campagne, à cinq kilomètres de Chinon, avec un jardin potager entouré d’une truffière. 1, La Gare, 37500 Ligré, www.restaurantlesjardiniers.fr.

Marion Messina, c’est mieux que Houellebecq!

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Marion Messina / Philip Provily/Opale/Leemage

Dans son nouveau roman, Marion Messina décrit le futur proche d’une France à bout de souffle, où les personnages galèrent à trouver quelque échappatoire. Dans un monde normal, Marion Messina deviendrait un grand écrivain. Mais même dans ce monde « anormal », nous savons qu’elle le deviendra, estime notre chroniqueuse.


Initials MM. Dans la famille romans de la rentrée littéraire à lire absolument, je demande La peau sur la table, de Marion Messina. Cette jeune romancière a déjà été remarquée en 2017 avec un premier roman : Faux départ (Le Dilettante), l’histoire d’une étudiante provinciale qui montait à la capitale, ce qui ne lui apportait que des désillusions.

Pour son deuxième roman (celui où l’on attend vraiment les jeunes auteurs au tournant), elle a admirablement transformé l’essai. On n’avait pas lu de roman contemporain avec autant de souffle, de force, de présence dans le style depuis longtemps. Il s’agit d’une sorte de dystopie, mêlée à un pamphlet, sous fond de naturalisme, le tout admirablement maîtrisé !

Brigitte Macron meets Big Brother

J’avais la forte intuition que ce roman me plairait, mais à sa lecture, j’ai reçu un uppercut à l’estomac. L’action se déroule dans un futur très proche ; une femme est à la tête du pays, elle a remplacé la Marseillaise par l’Hymne à la Joie et la population n’est plus qu’un QR code géant. Notre bon vieux pays a été catapulté dans une dystopie qui tiendrait à la fois de Dickens et d’Orwell, où seuls s’en sortent ceux qui ont signé un pacte faustien avec ce libéralisme aux relents dictatoriaux que nous propose Madame la présidente. Heureusement, si vous n’êtes pas branché roman d’anticipation, l’auteur croque aussi toute une galerie de personnages attachants qui font comme ils peuvent dans ce marasme, à l’image de cette institutrice exténuée mais pleine de vie, ou de ce docteur en littérature devenu boucher en Ardèche. Ils sont comme une respiration, et symbolisent la décence commune orwellienne.

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Le roman s’ouvre sur une scène christique, qui vous hantera un moment après sa lecture. Un jeune homme, un martyr, s’immole par le feu, tout en récitant le Pater Noster : « il garde les paupières rabattues, penche son torse sur la droite, se saisit d’un bidon et en déverse le contenu sur le dôme de sa tête. Voilà son baptême. Comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés – Pardonne moi Seigneur, car je ne pardonne pas. » Non, il ne pardonne pas aux salopards qui l’ont violé, presque jusqu’à la mort, des bourgeois en fin de course, en fin de race, à l’image des aristocrates roués et pervers d’avant 1789. Cet acte définitif, filmé en direct et diffusé dans le monde entier, mettra la France à feu et à sang. En commettant ce geste sacrificiel, le jeune homme est immédiatement sanctifié et devient une allégorie macabre de notre pays, qui, comme lui, ne veut plus se faire baiser par des puissants qui ont vendu leur âme au Diable. Cet incipit est un petit tour de force. Il décrit l’innommable avec presque une certaine grâce, et en cela, Messina rejoint Bernanos, un de ses maîtres, qu’elle cite d’ailleurs en exergue : « Nous n’assistons pas à la fin d’une grande civilisation humaine, mais au début d’une civilisation inhumaine. » Je ne sais si Marion Messina a la foi comme Bernanos, mais elle semble porter en elle une soif infinie de justice. Presque rageuse. Et, comme l’auteur de Sous le soleil de Satan, elle semble avoir une conscience aiguë du Bien et du Mal. Lorsque je lui fais remarquer qu’elle ne mentionne jamais le wokisme, elle me répond ceci : « Lorsqu’il se passe des choses aussi graves que dans mon livre, le wokisme disparaît. » Et effectivement, on sait déjà qu’aujourd’hui, lorsqu’une mère de famille n’a plus que vingt euros pour finir le mois, le wokisme est bien évidemment la dernière de ses préoccupations.

Éraflons un peu la vache sacrée

L’auteur confie également ne pas se soucier des étiquettes. Forcément, lorsqu’on veut écrire une petite chronique littéraire, on cherche toujours des comparaisons… Celle avec Michel Houellebecq sauterait aux yeux des plus distraits.

A lire ensuite, Jonathan Siksou: Mon père ce héros

Mais à la réflexion, Messina c’est selon moi mieux que Houellebecq. Comme lui, elle s’attache à disséquer notre époque, elle se penche sur son cadavre en putréfaction comme le ferait un médecin légiste. Mais, avec beaucoup plus de finesse. Et on ne ressent aucun mépris dans les détails vestimentaires ou physiques qu’elle nous donne, par exemple lorsqu’elle décrit les tatouages mal faits de ceux que l’on appelle les cassos, « parfois l’image d’un chien tant aimé »… On sent qu’elle fait corps avec ces damnés de la terre, qu’elle les aime, qu’elle voudrait presque les consoler, leur redonner un peu d’enfance. Alors que Houellebecq préfère garder ses personnages à distance, avec froideur. En 2018, dans une interview accordée au media en ligne Le Comptoir, Marion Messina dit être influencée par la littérature anglo-saxonne, par Faulkner, mais aussi par Toni Morrison : « Elle m’a beaucoup influencée dans sa façon d’invoquer un sentiment d’infériorité à travers de petites choses. » C’est cette délicatesse, mêlée à ce souffle naturaliste, qui rend ce roman si singulier et si précieux.

Toute une finesse d’orfèvre qui rend plus supportable le bruit et la fureur dans lesquels baigne Ma peau sur la table.

La peau sur la table

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Contre le monde

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Le romancier Nicolas Chemla © Cherche Midi

Le nouveau et singulier roman de Nicolas Chemla permet au lecteur de découvrir le journal intime d’un Américain installé à Paris, rue de Paradis, dans une capitale française en proie à la canicule, au chaos et à l’insurrection…


La vie n’est guère réjouissante en cette période. La morosité est en nette inflation. Il faut s’en échapper. La littérature s’y emploie, parfois. C’est le cas avec le roman L’Abîme, de Nicolas Chemla. C’est cru, noir, envoûtant, fantastique. Ça fissure la réalité et nous plongeons dans une sorte d’univers parallèle, un contre monde où les messes noires, les couloirs sombres, les cadavres en décomposition, les individus inquiétants et le chat Mouche nous permettent d’oublier la société du Spectacle qui nous conduit tout droit au bord du gouffre, bien réel celui-là.

Les humains n’étaient pas faits pour l’humanité

Un Américain vit dans un curieux immeuble parisien, à l’insolite façade. D’entrée de jeu, l’auteur nous indique que l’Américain en question finira mal. Mais avant, la folie le gagne, elle nous contamine et nous entraîne avec lui. Le rythme est rapide, l’atmosphère oppressante. On étouffe, car c’est un temps de canicule. La violence se fait entendre dans la rue, l’insurrection guette. Les Parisiens sont en colère, la frontière entre la civilisation et la barbarie est de plus en plus poreuse. Dans l’immeuble, il y a un vieillard étrange et maniéré. Il cache, entre ses mains, un secret. Mouche, le chat, sorti de nulle part, n’est pas seulement à la recherche de croquettes. Tout cela est volcanique, le feu couve, les fumerolles annoncent les fleuves de lave.

A lire aussi, du même auteur: Le fleuve Moix

Nicolas Chemla maîtrise son sujet. Son roman s’inscrit dans la lignée de ceux de Lovecraft, Huysmans, Mary Shelley, ou, plus près de nous, Bret Easton Ellis. Dans les dernières pages de ce magistral dérèglement occulte, le libraire, ami de l’Américain, qui met la clé sous la porte – fait hautement symbolique – admet : « Vous savez, à la fin des Mots et des choses, de Foucault : ce visage de l’homme, dessiné sur le sable, que les vagues effaceront, comme tout le reste. Ça y est, on y est. Les humains n’étaient pas faits pour l’humanité… »

Conseil d’écrivain

Une chose est certaine : Nicolas Chemla n’a pas pratiqué l’autocensure, comme il n’a pas eu recours à cette imposture qu’on nomme les sensitivity readers. C’est pour ça que son roman est si singulier. Et il donne un conseil pertinent : « Je crois que l’on devrait relire les livres que l’on a lus adolescent. Non qu’avec l’âge on devienne nécessairement plus intelligent, sûrement pas, mais il me paraît que l’on acquiert, avec l’expérience, un regard différent, plus riche, mieux à même de percevoir toutes les dimensions d’une œuvre – on la reçoit avec toute la richesse de nos propres histoires, aventures, découvertes et déceptions. »

Nicolas Chemla, L’Abîme, Le Cherche Midi.

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La Grande Bellezza dans le texte

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Toni Servillo dans "La grande bellezza" de Paolo Sorrentino (2012) © Gianni Fiorito/AP/SIPA

Les éditions Séguier publient le scénario du film primé aux Oscars écrit avec Umberto Contarello précédé d’un avant-propos inédit de Paolo Sorrentino.


Jean Le Gall, le patron de Séguier, est un esthète doublé d’un redoutable commerçant. Il connaît nos faiblesses et toutes les ficelles du métier pour alpaguer le lecteur fragile, indolent, incapable de résister à la vue de Jep Gambardella, en pantalon blanc et veste d’alpaga couleur safran sur une couverture, maître à penser de tous les désabusés nés au siècle dernier.


Cardinal de Retz à la sauce romaine

En publiant le scénario de « La Grande Bellezza » en intégralité, il nous offre les mémoires du Cardinal de Retz à la sauce romaine, un bréviaire à l’usage des perdants magnifiques, quelque part entre le détachement souverain et la distance persifleuse, entre la lente fuite du temps et les illusions perdues. 2013, déjà dix ans que nous avons fait la rencontre sur grand écran de ce chroniqueur mondain, amateur de minestrone en proie au doute existentiel, esseulé au milieu de la fête permanente, moraliste en richelieu bicolore, l’extrême bout de sa cigarette coincé entre ses dents, carnassier dans ses répliques et, malgré tous ses efforts pour rester insensible à la marche du monde, demeurant cet émotif nostalgique, cet adolescent saisi par la beauté dévoilée d’un corps de femme. Ce qui nous a d’abord plu dans l’attitude de Jep, c’est tout ce qu’il rejette en bloc par éthique et par dandysme expiatoire. C’est-à-dire son humanité, sa bonté, son souci de l’autre, son christianisme refoulé, autant de mots qu’il s’interdirait d’écrire dans ses articles par peur de tomber dans une forme de mièvrerie anesthésiante. Jep n’est pas amer, revanchard ou explicatif, il connaît trop bien la versatilité des sentiments pour s’autoriser à juger les autres. Jep n’est pas un pédagogue. Il n’a aucune leçon à donner.

Maximes et picotements de l’âme

Si nous aimons son aplomb devant les suppôts d’une modernité absconse, sa vigueur jouissive à dessouder les fausses valeurs et les artistes maudits, cette vie confortable allongée dans un hamac à contempler l’écoulement des journées et sa volonté farouche de s’extraire des choses du quotidien, nous aimons encore plus l’errance d’un homme d’âge mur dans la ville. Une promenade sur les bords du Tibre, à la confluence des regrets et des souvenirs, ce qu’on appelle les picotements de l’âme.

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Quand l’heure des comptes vient à sonner. « La Grande Bellezza » est une sorte de bazar littéraire, chacun y trouve ce qu’il était venu y chercher. Paolo Sorrentino a fait de Jep un personnage malléable, plastique qui se moule à notre esprit du moment. Certains y ont vu un noceur extatique, un cynique en rédemption, un raté étincelant, un amuseur écorché, un croyant qui s’ignore, un écrivain en panne : ses costumes en laine froide se plient à toutes les contorsions. Le film eut quelques détracteurs, on critiqua sa vulgarité clinquante, une sorte de Dolce Vita fin de siècle un peu veule et vaine, une juxtaposition de scènes qui s’annulent entre elles et un propos noyé sous les platines d’un DJ peroxydé. Dans son avant-propos, Paolo Sorrentino préfère insister sur l’autre inspiration de son film. « A Rome, tout se termine vite, sans trêve, dans une sorte d’immense décharge dont ne connaît même pas l’adresse. On ne retient rien. Rien n’est définitif. Tout le monde vient à Rome pour parler, mais il n’y a personne pour écouter » écrit-il.

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Pour lui, cette ville est le réceptacle des ambitions forcément déçues et cependant, son attraction malsaine continuera longtemps d’aimanter les Hommes. Avant de s’intéresser au cas de Jep, il faut parler un instant de Dadina, la directrice de la revue qui l’emploie, naine extralucide déclarant : « Personne n’est adapté à rien, Jep. C’est la reine des inadaptées qui te le dit ». Et Romano malheureux en amour, attiré par des créatures incapables d’aimer, pudique et tendre, peut-être son seul véritable ami qui gagne en profondeur et se sauve, à la fin du film : « Qu’est-ce que vous avez contre la nostalgie ? C’est l’unique loisir qui reste à ceux qui se méfient de l’avenir ». Alors pourquoi, aimons-nous tant ce film ? Pour l’apparition d’une girafe, le tube de Raffaella Carrà réenregistré par Bob Sinclar, l’odeur des sacristies, la nuit romaine, le fleuve brouillon, le visage d’une sainte exténué, mais surtout pour les maximes exponentielles de Jep. On est jaloux, nous aurions voulu les inventer : « Je ne voulais pas simplement participer aux fêtes. Je voulais avoir le pouvoir de les gâcher » ; « Nous sommes tous au bord du désespoir et nous n’avons qu’un remède : être ensemble et se moquer un peu de nous-mêmes » ; ces bonheurs de dialoguiste, nous pouvons enfin les lire. Car Jep a réussi à mettre des mots sur notre inconstance :

J’étais destiné à la sensibilité
J’étais destiné à devenir écrivain
J’étais destiné à devenir Jep Gambardella

La Grande Bellezza de Paolo Sorrentino – Séguier

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Serge Raffy, l’âge de déraison

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Serge Raffy, image d'archive © BALTEL/SIPA

L’ancien rédacteur en chef de l’Obs reprend son destin où il l’avait laissé. Avec Bivouacs, Serge Raffy fait son entrée dans la chanson française, sur fond électro, avec un album remarquable.


Sympa. C’est le mot qui vous vient à l’esprit en présence de Serge Raffy. Super sympa, quand on le connaît un peu. La simplicité de ce jeune homme qui a pris de l’âge honore un des plus beaux CV de la presse française. Une quinzaine de livres brillants : romans, essais, biographies, dont celle, incontournable et mondialement connue, de Fidel Castro. Un style élégant, incisif, précis, teinté d’humour, un sens rare de la formule, des portraits tirés au cordeau ; des centaines d’articles couvrant un demi-siècle d’un regard ouvert porté sur le monde et l’évolution de nos sociétés, avec un tropisme certain pour le politique. Voilà pour le passé. Le rédacteur en chef de l’Obs vient de raccrocher après une longue carrière commencée à la Dépêche du Midi, poursuivie à Libé, puis à l’Obs, avec une parenthèse de quelques années au service du féminin, comme rédacteur en chef du magazine Elle.

Kidnappé par le destin

L’homme porte aujourd’hui un sourire amusé sur le pigiste kidnappé par le destin dans sa vingt-cinquième année : journaliste à RMC, il vient d’enregistrer un 45 tours au mythique Studio Condorcet à Toulouse. La pochette de Y a un mystère est dessinée par Enki Bilal.


Le mystère restera entier puisque le mécène du disque, un banquier, disparaît bientôt en Afrique. Serge ne songe nullement à quitter sa ville, son groupe et ses copains. Mais Jean Daniel, qui veut pour Le Nouvel Observateur des écrivains-journalistes, lui fait des appels du pied. Franz-Olivier Giesbert, l’ami fraternel, finit par le convaincre. Le Toulousain de cœur consent à quitter ses rêves pour les rejoindre. Raffy grand reporter va courir le monde, l’Amérique latine en particulier, et mettre la musique entre parenthèses.

Plutôt une mise en sourdine. Les voyages de l’homme de plume sont autant d’occasions de se constituer un trésor de guerre. À la manière d’un photographe, le reporter saisit des instants de vie, des impressions de voyage. Des notes qui ont vocation à devenir des histoires qu’il mettra plus tard en musique. Folk dans un premier temps. Avec une inflexion latino dans les années 2000 où ce fan des Beatles et d’Otis Redding se produit dans des petites salles, avec une formation acoustique, le MOW (Music Of World) : une choriste argentine, un guitariste arménien et un percussionniste cubain.

Plus électro que branché

L’idée de l’album se dessine. Et se précise quand il rencontre Hugo Stradella, un jeune batteur, multi-instrumentiste. Le fossé des générations les sépare, leurs goûts communs les rapprochent. La fusion opère. Quatre ans de travail avec le réalisateur à rechercher dans chaque son une harmonie avec le texte, l’adéquation parfaite du son et du sens. Un climat. 14 titres et autant de destinations. La voix, caressante, souvent murmurée, se pose sur des nappes musicales élégantes. L’habillage, sur mesure, est essentiellement électro. « J’ai voulu rendre aux mots ce qu’ils m’avaient donné » résume cet amoureux de la langue française, fan absolu du regretté Nougaro.

Une partie de lui-même qui ne s’était pas exprimée

Bivouac est un long voyage à l’envers. Le chanteur revient sur les pas du grand reporter. L’album ouvre sur Hôtel Métropole où sa voix fusionne avec celle d’Art Mengo sur les rives du fleuve Mékong. Lydia Hudon Ferland l’accompagne sur Je ne regarde pas en arrière – qui fait étrangement penser à Etienne Daho, comme sa nouvelle version de Laurie Bloom et « ces nuits suspendues à ton cou ». Sur Laissez passer, la voix est celle de Malena Marquez. Raffy effectue le reste du voyage en solitaire, faisant escale à Paris où l’envoutant Eiffel Lovers évoque « la dame de fer en sentinelle ». Puis Berlin avec Alexanderplatz où « il reste des traces » des « fantômes qui surveillaient leur vie ». L’éditorialiste politique file ensuite vers Les Sirènes d’Essaouira, puis Gibraltar où, allongé, il regarde « passer les pélicans sur la Canopée ». Sur les hauteurs de Beverly Hills Geronimo blues, inspiré par Michael Connelly, se souvient de Dolores Quesada ; Gabo song raconte l’enfance de Gabriel Garcia Marquez. La chanson d’un regret. Serge n’aura pas eu le temps d’honorer le rendez-vous pris avec le grand écrivain, parti entre-temps rejoindre les étoiles.

La passion de la scène

Voici bouclé un tour du monde, un tour d’horizons, histoire de mettre un passé en règle. Celui d’un homme conscient que sa deuxième vie commencerait le jour où il déciderait d’en avoir une autre. La photo de couverture de l’album – une gueule – est celle d’un type qui assume de n’être plus un jeune homme. Comme Yves Simon, nourri de ses lectures et de ses voyages, Serge Raffy fait chanson à part. Il impose d’emblée son style. Une poésie. Des rengaines qui vous restent en mémoire. Entêtantes. Désormais chroniqueur au Point, le nouveau Raffy se produit sur scène et prépare son prochain album, Aimes, qui sera consacré aux femmes. Autant dire qu’il est loin, très loin, d’avoir dit son dernier mot.

Bivouacs. À écouter sur toutes les plates-formes.

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Macron: «Allo, SOS Amitié?»

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Le Pape François, le président Macron et son épouse Brigitte, Marseille, 23 septembre 2023 © PHILIPPE MAGONI/SIPA

Les écoutes téléphoniques (quasiment) véridiques de « Causeur ». Le billet satirique de Denis Hatchondo


-”Oui, Emmanuel je t’ai reconnu.”

-”Vous êtes bien la seule!”

-”Allons, ça ne va pas mieux? Toujours pas trouvé un ami? Tu as mis le paquet là, entre Charles et le Pape tu pouvais pas faire beaucoup mieux!”

-”Ça s’est passé moyen. Un Roi, un Pape, y a une brouette d’interdits, même si je lui ai un peu gratouillé le dos, à numéro 3.”

-”Pourtant quand tu as reçu MBS à l’Elysée, tu lui avais remis en place une cervicale en deux temps trois mouvements!”

-”Ouais, mais lui ce n’est pas pareil, il se pointe au Château en abaya avec un torchon de pizzaiolo sur la tête. Du coup je me suis mangé le protocole.”

Versailles, 20 septembre 2023 © Jacques Witt/SIPA

-”Alors, comment il est Charles?”

-”Un alambic ! Il boit comme un hooligan, il m’a montré une feuille de salade et m’a pris le chou pendant des plombes sur le respect que je devais à la nature, m’a dit que j’étais un cancre en matière d’écologie, que sur le glyphosate j’étais en dessous de tout et glou glou glou… c’est pas un roi ! C’est Sandrine Rousseau avec les oreilles de Bayrou et la descente de Larcher. Et avec la lubricité de Le Maire! Il n’a pas arrêté de chauffer Brigitte ce con !”

-”Ha bon, et alors?”

-”Tu parles, Bridget avait Hugh Grant à sa droite, alors elle ne l’a pas calculé. Et puis ce n’est pas avec ses laitues à l’eau claire qu’il pouvait l’emballer, elle qui n’a jamais été foutue de me faire une vinaigrette.”

A lire aussi, Céline Pina: Mélenchon, Chikirou et… Jacques Doriot

-”Et Camilla, comment elle est?”

-”Je suis contre l’abaya, ok. Mais là j’avais envie de signer sur la nappe un décret pour rendre obligatoire la burka. Oh putain l’épouvantail ! Je comprends que le Charly se passe de pesticides au jardin ! Franchement ce type il a un problème. Avoir Diana à la maison et se casser pour planter des poireaux avec sa mère!”

-”Ha non, pas toi…”

-”Heu ça va, parlons d’autre chose !”

-”Et le Pape, tu l’as convaincu de signer à l’OM, y a plus que lui pour sauver ce club!”

-”Là, faut un Tony Montana pour s’en sortir. Le Pape, c’est le pape, je ne pouvais pas faire l’osthéo. Pourtant il est tout tordu, je l’aurais bien manipulé le Garrincha. Il est venu à Marseille pour me traiter de fanatique de l’indifférence! Comme s’il avait Mélenchon dans l’oreillette!”.

“Pourquoi Garrincha?”

-”Garrincha c’était l’ailier du Brésil qui avait une jambe plus courte que l’autre, il pouvait pas marcher, mais avec le ballon dans les pieds il volait !”

-”Bizarre sa phrase, je ne vais pas en France je vais à Marseille!”

-”Il me la sort en Corse je suis mort. Un jour de plus à Marseille et il faisait la messe sur du rap en dansant le mia !”

-”Et Brigitte, elle est allée à confesse?”

-”Tu parles, Brie dès qu’on descend sur Marseille, elle n’a que l’atelier Gas Bijoux en tête. En plus il est au Roucas Blanc juste sous la Bonne Mère. Elle en a profité un max, même qu’elle a ramené une jolie plume d’Indien à son Gaby chéri.”

-”Qui c’est ce Gaby?”

-”Gabriel Attal. Il n’y en a plus que pour lui. Gaby par-ci, Gaby par-là… je ne le supporte plus ce merdeux. Il me doit tout, il ne me calcule plus et ma femme en est raide dingue !”

-”T’inquiète, ce n’est pas lui qui va te la faucher ta Bridget! C’est quoi qu’on entend? Vous êtes en boite de nuit?

-”Non, je craque, elle passe à fond Gabrielle de Johnny, elle danse et hurle, mourir d’amour enchainé ! Je passe pour qui ? Je vais m’en occuper de l’emplumé !”

-”Et Gérald, c’est ton ami le Gégé ?”

-”L’arme fatale! Lui il me fait peur, je sais que dans les places de deal il fait rire, mais moi il me terrorise avec sa CRS 8!”

-”Bon je te laisse, c’est quoi qu’on entend maintenant ?”

-”Elle a mis Gaby de Baschung! Je vais mettre Mourir d’aimer d’Aznavour à fond, la chanson sur Gabrielle Russier, il n’y a que ça pour la calmer, la prof! A demain.”

Mélenchon, Chikirou et… Jacques Doriot

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Elle a l'air toute mignonne, ici... © JEROME MARS/JDD/SIPA

Il y a vraiment une sacrée ambiance au sein de la Nupes dominée par Jean-Luc Mélenchon ! Cette semaine, la députée de Paris Sophia Chikirou, très proche du vieux leader présent trois fois à l’élection présidentielle, a comparé Fabien Roussel à Jacques Doriot, un collaborationniste. Le communiste a l’outrecuidance de ne pas aller manifester contre la police ce samedi. Céline Pina analyse.


À la Nupes ce n’est pas encore la révolution permanente, mais c’est déjà la baston incessante ! Avec LFI, le partenariat se vit plus sur le mode de la prédation que sur celui de l’épanouissement mutuel. Ce sont d’ailleurs les leaders du PC et du PS qui en parlent le mieux. Ils sont la preuve que le harcèlement ne s’arrête pas à l’école mais peut se prolonger dans le cadre professionnel. C’est ainsi que Fabien Roussel est devenu la victime préférée de Jean-Luc Mélenchon, bien avant Olivier Faure qui concourrait également pour le titre.

Fabien Roussel traité de collabo

Les escarmouches ont commencé à la fête de l’Humanité avec un stand de tee-shirts où étaient inscrits : « Tout le monde déteste Fabien Roussel ». La photo, partagée par Sophia Chikirou sur X (ex-Twitter) a ainsi été likée par un certain Jean-Luc Mélenchon. Toujours à la fête de l’Huma des militants Insoumis ont scandé « Fabien Roussel n’est pas notre camarade »… L’atmosphère était déjà électrique, elle tourne maintenant à la foudre : Sophia Chikirou a en effet franchi la ligne rouge en comparant Fabien Roussel à Jacques Doriot sur son compte Facebook, mercredi 20 septembre. Une publication relayée par Mélenchon qui a provoqué un tollé au PC.

Fabien Roussel (PCF) à une soirée d’hommage à Charlie Hebdo, le 5 janvier 2022 à Paris © ISA HARSIN/SIPA

Et pour cause, Jacques Doriot est l’archétype du collaborateur. C’est un communiste à l’origine, mais, séduit par le nazisme, il combattit sous l’uniforme nazi et mourut en Allemagne en 1944. L’homme fut exclu par le Parti communiste dès 1936 pour avoir pris position justement pour l’entente avec l’Allemagne nazie (à cette époque, l’Internationale communiste était viscéralement antifasciste et rien n’annonçait la conclusion, trois ans plus tard, du pacte germano-soviétique). Utiliser cette comparaison, c’est donc traiter Fabien Roussel implicitement de collaborateur et d’allié du nazisme. C’est induire également l’idée que, du communisme au nazisme, le glissement d’un homme est facile. C’est bête, gratuit et tout simplement aussi injurieux qu’inacceptable.

Pourquoi tant de haine ?

Alors pourquoi tant de haine de la part de LFI envers Fabien Roussel ? Les explications sont diverses, mais brillent toutes par leur irrationalité. Certes, l’usage de la violence fait partie de la politique. Dans sa forme civilisée et démocratique, cette violence est à la fois ostracisée et ritualisée, mais elle est toujours sous-jacente. Cependant, la violence est censée être utile, elle doit servir un objectif concret. La violence gratuite est l’apanage des totalitarismes et des tyrans.Et là, il y a quelque chose de gratuit dans la violence verbale des leaders de LFI. Quel est l’intérêt d’alimenter la haine et le ressentiment envers Fabien Roussel alors que celui-ci n’est pas une menace pour l’éructant Mélenchon, le Fouquier-Tinville des sous-préfectures ? Et si c’était parce que le leader communiste est la Némésis de Mélenchon ? Son contraire et son antagoniste. Le rappel permanent que le leader de LFI n’est qu’un arriviste sans grandeur, capable de tout sacrifier à sa quête de toute puissance, à commencer par l’honnêteté intellectuelle et le sens de l’intérêt général. Par clientélisme, l’homme qui fut autrefois un ardent défenseur de la laïcité et de l’émancipation prône aujourd’hui « la liberté de porter le voile » et diffuse les éléments de langage des Frères musulmans. Ces islamistes qui furent, eux, de vrais alliés d’Hitler.

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Fabien Roussel, mauvaise conscience de la gauche

Fabien Roussel est devenu le scrupule de la gauche qui glisse vers le totalitarisme. Le scrupule, pour les Romains, était ce petit caillou pointu qui se glisse dans les chaussures et blesse le pied jusqu’à ralentir la marche. Or il se trouve que Fabien Roussel est très clair sur les combats qu’il porte et ceux qu’il refuse de mener.Ainsi, interrogé sur son refus de participer à la marche du 23 septembre contre les violences policières, il a osé dire ce que ressentent les classes populaires et que les exaltés de LFI ne veulent pas entendre : « Je n’ai pas envie de manifester en entendant autour de moi ce slogan « tout le monde déteste la police », ce n’est pas vrai et je ne partage pas ce slogan-là. » Comme 85% de la population au passage. Il est aussi très conscient que les classes populaires rejettent les émeutiers qui ont mis la France en feu début juillet et n’éprouvent aucun lien de solidarité avec les pillards et les émeutiers. 

La reductio ad hitlerum, l’ultime argument de ceux qui n’en ont pas

Pour LFI, une telle déclaration du patron du PCF vaut excommunication immédiate. La punition est automatique et rituelle : reductio ad hitlerum. Mais si Fabien Roussel est l’équivalent de Doriot, que va bien pouvoir inventer LFI le jour où le parti tombera sur de vrais fascistes ? Quel qualificatif va-t-il pouvoir trouver ? Comment peut-on inviter Médine en niant son tweet antisémite et ses alliances avec les islamistes et dans le même temps faire un procès aussi injuste et sinistre à Fabien Roussel ?Le pire reste encore les arguments qui nourrissent la mise en accusation du dirigeant communiste. Comme Fabien Roussel est fidèle au peuple du labeur, à cette vieille gauche qui voulait améliorer la condition humaine en assumant la lutte des classes, qu’il préfère le social au racial et qu’il s’intéresse aux gilets jaunes, il est accusé de vouloir « récupérer l’électorat Zemmour/ Le Péniste ». Selon Sophia Chikirou et les sectataires LFI qui pullulent sur les réseaux, il aurait adopté le discours de la droite fasciste pour y arriver.

Un PC condamné à prêcher l’union

Comme on peut s’en douter, le PC comme Fabien Roussel n’ont pas apprécié le dérapage de LFI et de son leader. Mais ils n’ont guère les moyens de faire autre chose que de montrer les crocs sans trop s’éloigner de la niche commune. Il y a des postes à sauver, un parti à financer et il arrive parfois qu’en politique on n’ait pas les moyens de l’honneur. Ainsi dans un communiqué cinglant, le PC a rappelé son histoire et le lourd tribut versé à la résistance. Il condamne des propos d’une « extrême gravité », « véritable appel à la haine et à la violence contre Fabien Roussel ». Fabien Roussel, touché par la violence et la bassesse des attaques, dit que « le débat politique ne doit pas être rabaissé à ce niveau-là, c’est dangereux. » Il a raison : Jean-Luc Mélenchon lui a accroché une cible dans le dos. Mais s’il dit cela, c’est pour prôner l’apaisement et l’union tout de suite après… Certes, il est digne et élégant de mettre l’intérêt collectif au-dessus de son ego. Un Mélenchon, lui, en est manifestement incapable. Mais quand cela conduit à servir les desseins du dirigeant de LFI, dont le déséquilibre et la violence sont de plus en plus visibles, on peut se demander si c’est le bon choix.

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Un renouvellement de génération à l’avantage de LFI

Autre point notable, Mélenchon distingue l’homme de l’œuvre, le dirigeant, de son parti. D’où les attaques ad personam. Pourquoi ? Parce qu’il pense que le renouvellement des générations est en train de transformer le PCF en LFI bis et que celui-ci finira par tomber dans son escarcelle. Mélenchon fait le pari que le PC, exigeant sur la qualité de ses représentants et dont la formation politique et syndicale était reconnue, est mort. Beaucoup de jeunes militants qui arrivent se moquent de la lutte des classes, ne comprennent pas grand-chose aux questions sociales, économiques, encore moins aux questions d’égalité, de laïcité et de libertés publiques. Ils se disent antiracistes mais font de la couleur de la peau, la base de l’identité humaine. Ils se disent féministes, mais militent pour imposer dans l’espace public un signe sexiste, le voile. Ils veulent rétablir le blasphème et rendre toute critique de l’islam impossible et pour cela se font les relais de la propagande des islamistes. Ils n’ont déjà plus de référence républicaine et à peine une conscience démocratique. 

L’union avec LFI, le bal des dupes

Aujourd’hui, LFI incarne moins l’aspiration à la justice sociale, qu’une forme de nostalgie de la Terreur. Elle parle de révolution, mais c’est pour rêver d’épuration. Elle dit 1789, elle pense 1793. À ce titre, tendre la main à des sectaires radicalisés au nom de l’union de la gauche, comme essayer d’amadouer un autocrate au nom de l’intérêt supérieur du pays, est voué à l’échec. Le plus radical gagne toujours car il se moque des dégâts qu’il fera en chemin. Une gauche républicaine ne peut donc pas survivre à un tel compagnonnage, sauf à trahir toutes ses valeurs, pour au final servir l’ambition personnel d’un condottiere. Et c’est bien ce à quoi nous assistons. Avec le type de personnage qu’est Mélenchon et le choix de stratégie de la violence fait par LFI, l’option de la modération ne peut que finir en acceptation du cocufiage. Fabien Roussel va devoir blinder son estomac car Jean-Luc Mélenchon et ses séides n’ont pas fini de lui servir des couleuvres.

Silence coupable

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Quand on arrive en ville!

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Jonathan Siksou. © Hannah Assouline

Précisons-le tout de suite : si nous disons du bien du nouveau livre de Jonathan Siksou, ce n’est pas parce qu’il travaille à Causeur. C’est parce qu’il le mérite ! Avec un humour ravageur, il alterne chroniques, anecdotes vécues et références littéraires pour dresser le foudroyant bilan d’une débandade généralisée : celle de la vie citadine. Un essai percutant.


Quel terrain de jeu pour un homme de plume talentueux que cette ville grouillante, indistincte, indéfinie, dégoulinante de loisirs somptuaires et débordante d’impostures ; toujours là, jamais remplacée, indétrônable objet de convoitises et de lâchetés collectives. Un jour, tous les hommes y passeront et certains d’entre eux y vivront même des décennies. Les pauvres emmurés. Les rescapés, ceux qui ont fui, en parlent avec des sanglots longs dans la gorge. Lieu de sociabilités extrêmes et d’ultramodernes solitudes, cette ville immortelle a résisté au Covid.

Antre noir

Après la pandémie, les plus fins analystes de notre vie politique pressentaient une grande vague migratoire, le repeuplement des campagnes et la ruralité enfin triomphante. La revanche de Cloche merle sur cette capitale floue. Après avoir été séquestré durant des mois, soumis aux diktats de l’autorisation préalable de déplacement, le Parisien aspirait à son carré de verdure et à son barbecue brûlant, signes d’une nouvelle réussite sociale et de son exfiltration climatique. On lisait parfois dans les magazines que certains chanceux avaient échappé à la tenaille urbaine (merci le télétravail) et à la tyrannie des travaux en capilotade. Des exceptions, comme les poissons volants dans la tirade du Président. Et puis, la ville, malgré son pardessus râpé et ses vitrines tapageuses, a continué de faire la course en tête et d’attirer toujours plus de victimes consentantes dans son antre noir. Difficile de s’en extraire, quand son attraction et sa répulsion jouent un jeu trouble et dangereux. Qui l’emportera, à la fin ? Dieu seul le sait.

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Pour expliquer ces phénomènes contradictoires, un peu dingues et sacrément savoureux, il fallait une plume alerte. L’œil vif d’un observateur qui n’est pas rance ou perclus de préjugés médiatiques. Un journaliste – un essayiste, c’est plus chic – qui, folle audace, regarde ses contemporains dans le métro, dans les jardins publics, dans les ascenseurs, à la table de ses amis, avec une tendresse ironique et un esprit farceur. Un flâneur d’un genre particulier, car ce jeune intellectuel est scotché au macadam. Le trottoir lui colle aux basques. Le pavé gris sera son destin d’écrivain. Il n’a pas l’outrecuidance de vous raconter la transhumance ou la traite matinale. Le pittoresque ardéchois et l’archétypal berrichon ne sont pas dans son champ de vision. Si Jules Renard a si bien croqué les paysans, notamment dans son Journal, Jonathan Siksou est un piéton 3.0 de Paris, turbulent, fin, délicieusement vipérin et surtout taquin ; la plus grande qualité d’un chroniqueur est de ne jamais se départir de son humour ravageur. C’est son bien le plus précieux.

Évolution des mœurs

Prix Transfuge du meilleur essai 2021, avec Capitale, paru au Cerf, Siksou récidive avec Vivre en ville, dans la même maison. Il s’amuse et nous amuse à déterminer comment cette « construction étrange », zone de fantasme et d’aigreur qu’est la ville, offre un visage tantôt comique, tantôt despotique. D’autres, avant lui, ont battu le pavé, on pense à Carco, Fargue, Hardellet, Boudard, Clébert ou, plus récemment, au sieur Paucard, dernier archiviste de Paname. L’intérêt de cet essai écrit dans un français pur, ce qui ne gâche rien, réside dans son caractère hybride, transgenre pourrait-on même avancer. Sur un ton enjoué, réac-choc et très documenté, Siksou change perpétuellement de registre et de braquet, il alterne la chronique, l’anecdote vécue, la référence littéraire, la statistique non assommante et le foudroyant bilan comptable d’une forme de débandade généralisée. Il prévient, dès son avant-propos, que la ville porte en elle le sceau de tous ses dérèglements :« Vivre en ville est de plus en plus invivable mais de plus en plus de monde souhaite y vivre, et ce, partout dans le monde. […] Quand ceux qui y sont veulent en sortir, d’autres, à l’extérieur, rêvent d’y entrer : c’est l’insatisfaction générale, le mécontentent permanent. »

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Sous la plume de Siksou, tout y passe, nos habitudes, nos évitements, nos aveuglements, nos faillites, la fin des bouquinistes et le touriste-roi, la mendicité organisée et l’affaissement vestimentaire visible dans les rues, les dîners mondains à l’obsolescence programmée et le « café d’en face » devenu notre résidence secondaire, comme si la ville condensait tous nos maux et nos dérives. Siksou ne nous épargne aucune de nos turpitudes citadines. Dans ce grand trou de l’invisibilité que sont les couloirs du métropolitain ou les boulevards, les passants qui y déambulent sont qualifiés de « saouls ou groggy, somnambules », décrivant « de curieuses ellipses sur les trottoirs ». Siksou fait le constat que plus personne ne lève les yeux de ces satanés smartphones, notre asservissement numérique. Fantomatique, l’homme de la rue marche sans but ni entrain, dans un nuage virtuel. La ville lui permet et promeut ce dédoublement de la personnalité et la fin de tout idéal. Siksou appuie là où ça fait mal, où le fameux « vivre ensemble » est le plus étique, le plus burlesque ou le plus mensonger. Cette radioscopie est salutaire, elle pourrait virer au ball-trap, mais Siksou n’est pas un Torquemada des assemblées, il ne se présentera pas aux prochaines municipales. Il n’oublie jamais les qualités d’un bon livre que sont le plaisir de lecture et une belle érudition en partage, tout le contraire des pédagogues revanchards. Là où son essai est le plus littérairement percutant, c’est dans l’invention de quelques formules assassines, philippiques gracieuses. Nous applaudissons lorsqu’il écrit : « L’évolution des mœurs a introduit une coutume jamais vue jusque-là dans nos parcs : l’exhibitionnisme hygiéniste. » Le règne du short court et du débardeur en sueur a déferlé sur les quais. « Jogging, séances de relaxation asiatique, boxe, haltérophilie…Tout cela devant le regard de promeneurs qui n’ont rien demandé – et surtout pas ça », persifle-t-il, avec une inflexibilité goguenarde. Un livre à offrir à tous les édiles qui voudraient sauver leur ville d’une uniformisation asphyxiante.

À lire

Jonathan Siksou, Vivre en ville, Le Cerf, 2023.

Jonathan Siksou, Capitale, Lexio, 2023.

Capitale

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