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Mélenchon, Chikirou et… Jacques Doriot

La guerre des gauches: LFI ou l’extension du domaine de la prédation


Mélenchon, Chikirou et… Jacques Doriot
Elle a l'air toute mignonne, ici... © JEROME MARS/JDD/SIPA

Il y a vraiment une sacrée ambiance au sein de la Nupes dominée par Jean-Luc Mélenchon ! Cette semaine, la députée de Paris Sophia Chikirou, très proche du vieux leader présent trois fois à l’élection présidentielle, a comparé Fabien Roussel à Jacques Doriot, un collaborationniste. Le communiste a l’outrecuidance de ne pas aller manifester contre la police ce samedi. Céline Pina analyse.


À la Nupes ce n’est pas encore la révolution permanente, mais c’est déjà la baston incessante ! Avec LFI, le partenariat se vit plus sur le mode de la prédation que sur celui de l’épanouissement mutuel. Ce sont d’ailleurs les leaders du PC et du PS qui en parlent le mieux. Ils sont la preuve que le harcèlement ne s’arrête pas à l’école mais peut se prolonger dans le cadre professionnel. C’est ainsi que Fabien Roussel est devenu la victime préférée de Jean-Luc Mélenchon, bien avant Olivier Faure qui concourrait également pour le titre.

Fabien Roussel traité de collabo

Les escarmouches ont commencé à la fête de l’Humanité avec un stand de tee-shirts où étaient inscrits : « Tout le monde déteste Fabien Roussel ». La photo, partagée par Sophia Chikirou sur X (ex-Twitter) a ainsi été likée par un certain Jean-Luc Mélenchon. Toujours à la fête de l’Huma des militants Insoumis ont scandé « Fabien Roussel n’est pas notre camarade »… L’atmosphère était déjà électrique, elle tourne maintenant à la foudre : Sophia Chikirou a en effet franchi la ligne rouge en comparant Fabien Roussel à Jacques Doriot sur son compte Facebook, mercredi 20 septembre. Une publication relayée par Mélenchon qui a provoqué un tollé au PC.

Fabien Roussel (PCF) à une soirée d’hommage à Charlie Hebdo, le 5 janvier 2022 à Paris © ISA HARSIN/SIPA

Et pour cause, Jacques Doriot est l’archétype du collaborateur. C’est un communiste à l’origine, mais, séduit par le nazisme, il combattit sous l’uniforme nazi et mourut en Allemagne en 1944. L’homme fut exclu par le Parti communiste dès 1936 pour avoir pris position justement pour l’entente avec l’Allemagne nazie (à cette époque, l’Internationale communiste était viscéralement antifasciste et rien n’annonçait la conclusion, trois ans plus tard, du pacte germano-soviétique). Utiliser cette comparaison, c’est donc traiter Fabien Roussel implicitement de collaborateur et d’allié du nazisme. C’est induire également l’idée que, du communisme au nazisme, le glissement d’un homme est facile. C’est bête, gratuit et tout simplement aussi injurieux qu’inacceptable.

Pourquoi tant de haine ?

Alors pourquoi tant de haine de la part de LFI envers Fabien Roussel ? Les explications sont diverses, mais brillent toutes par leur irrationalité. Certes, l’usage de la violence fait partie de la politique. Dans sa forme civilisée et démocratique, cette violence est à la fois ostracisée et ritualisée, mais elle est toujours sous-jacente. Cependant, la violence est censée être utile, elle doit servir un objectif concret. La violence gratuite est l’apanage des totalitarismes et des tyrans.Et là, il y a quelque chose de gratuit dans la violence verbale des leaders de LFI. Quel est l’intérêt d’alimenter la haine et le ressentiment envers Fabien Roussel alors que celui-ci n’est pas une menace pour l’éructant Mélenchon, le Fouquier-Tinville des sous-préfectures ? Et si c’était parce que le leader communiste est la Némésis de Mélenchon ? Son contraire et son antagoniste. Le rappel permanent que le leader de LFI n’est qu’un arriviste sans grandeur, capable de tout sacrifier à sa quête de toute puissance, à commencer par l’honnêteté intellectuelle et le sens de l’intérêt général. Par clientélisme, l’homme qui fut autrefois un ardent défenseur de la laïcité et de l’émancipation prône aujourd’hui « la liberté de porter le voile » et diffuse les éléments de langage des Frères musulmans. Ces islamistes qui furent, eux, de vrais alliés d’Hitler.

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Fabien Roussel, mauvaise conscience de la gauche

Fabien Roussel est devenu le scrupule de la gauche qui glisse vers le totalitarisme. Le scrupule, pour les Romains, était ce petit caillou pointu qui se glisse dans les chaussures et blesse le pied jusqu’à ralentir la marche. Or il se trouve que Fabien Roussel est très clair sur les combats qu’il porte et ceux qu’il refuse de mener.Ainsi, interrogé sur son refus de participer à la marche du 23 septembre contre les violences policières, il a osé dire ce que ressentent les classes populaires et que les exaltés de LFI ne veulent pas entendre : « Je n’ai pas envie de manifester en entendant autour de moi ce slogan « tout le monde déteste la police », ce n’est pas vrai et je ne partage pas ce slogan-là. » Comme 85% de la population au passage. Il est aussi très conscient que les classes populaires rejettent les émeutiers qui ont mis la France en feu début juillet et n’éprouvent aucun lien de solidarité avec les pillards et les émeutiers. 

La reductio ad hitlerum, l’ultime argument de ceux qui n’en ont pas

Pour LFI, une telle déclaration du patron du PCF vaut excommunication immédiate. La punition est automatique et rituelle : reductio ad hitlerum. Mais si Fabien Roussel est l’équivalent de Doriot, que va bien pouvoir inventer LFI le jour où le parti tombera sur de vrais fascistes ? Quel qualificatif va-t-il pouvoir trouver ? Comment peut-on inviter Médine en niant son tweet antisémite et ses alliances avec les islamistes et dans le même temps faire un procès aussi injuste et sinistre à Fabien Roussel ?Le pire reste encore les arguments qui nourrissent la mise en accusation du dirigeant communiste. Comme Fabien Roussel est fidèle au peuple du labeur, à cette vieille gauche qui voulait améliorer la condition humaine en assumant la lutte des classes, qu’il préfère le social au racial et qu’il s’intéresse aux gilets jaunes, il est accusé de vouloir « récupérer l’électorat Zemmour/ Le Péniste ». Selon Sophia Chikirou et les sectataires LFI qui pullulent sur les réseaux, il aurait adopté le discours de la droite fasciste pour y arriver.

Un PC condamné à prêcher l’union

Comme on peut s’en douter, le PC comme Fabien Roussel n’ont pas apprécié le dérapage de LFI et de son leader. Mais ils n’ont guère les moyens de faire autre chose que de montrer les crocs sans trop s’éloigner de la niche commune. Il y a des postes à sauver, un parti à financer et il arrive parfois qu’en politique on n’ait pas les moyens de l’honneur. Ainsi dans un communiqué cinglant, le PC a rappelé son histoire et le lourd tribut versé à la résistance. Il condamne des propos d’une « extrême gravité », « véritable appel à la haine et à la violence contre Fabien Roussel ». Fabien Roussel, touché par la violence et la bassesse des attaques, dit que « le débat politique ne doit pas être rabaissé à ce niveau-là, c’est dangereux. » Il a raison : Jean-Luc Mélenchon lui a accroché une cible dans le dos. Mais s’il dit cela, c’est pour prôner l’apaisement et l’union tout de suite après… Certes, il est digne et élégant de mettre l’intérêt collectif au-dessus de son ego. Un Mélenchon, lui, en est manifestement incapable. Mais quand cela conduit à servir les desseins du dirigeant de LFI, dont le déséquilibre et la violence sont de plus en plus visibles, on peut se demander si c’est le bon choix.

A lire aussi, du même auteur: Dérouler le tapis rouge à Médine, une stratégie de perdants

Un renouvellement de génération à l’avantage de LFI

Autre point notable, Mélenchon distingue l’homme de l’œuvre, le dirigeant, de son parti. D’où les attaques ad personam. Pourquoi ? Parce qu’il pense que le renouvellement des générations est en train de transformer le PCF en LFI bis et que celui-ci finira par tomber dans son escarcelle. Mélenchon fait le pari que le PC, exigeant sur la qualité de ses représentants et dont la formation politique et syndicale était reconnue, est mort. Beaucoup de jeunes militants qui arrivent se moquent de la lutte des classes, ne comprennent pas grand-chose aux questions sociales, économiques, encore moins aux questions d’égalité, de laïcité et de libertés publiques. Ils se disent antiracistes mais font de la couleur de la peau, la base de l’identité humaine. Ils se disent féministes, mais militent pour imposer dans l’espace public un signe sexiste, le voile. Ils veulent rétablir le blasphème et rendre toute critique de l’islam impossible et pour cela se font les relais de la propagande des islamistes. Ils n’ont déjà plus de référence républicaine et à peine une conscience démocratique. 

L’union avec LFI, le bal des dupes

Aujourd’hui, LFI incarne moins l’aspiration à la justice sociale, qu’une forme de nostalgie de la Terreur. Elle parle de révolution, mais c’est pour rêver d’épuration. Elle dit 1789, elle pense 1793. À ce titre, tendre la main à des sectaires radicalisés au nom de l’union de la gauche, comme essayer d’amadouer un autocrate au nom de l’intérêt supérieur du pays, est voué à l’échec. Le plus radical gagne toujours car il se moque des dégâts qu’il fera en chemin. Une gauche républicaine ne peut donc pas survivre à un tel compagnonnage, sauf à trahir toutes ses valeurs, pour au final servir l’ambition personnel d’un condottiere. Et c’est bien ce à quoi nous assistons. Avec le type de personnage qu’est Mélenchon et le choix de stratégie de la violence fait par LFI, l’option de la modération ne peut que finir en acceptation du cocufiage. Fabien Roussel va devoir blinder son estomac car Jean-Luc Mélenchon et ses séides n’ont pas fini de lui servir des couleuvres.

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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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