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Éducation: «Je propose d’essayer la liberté, juste pour voir»

Au rayon des livres de profs bougons, La Grande Garderie (Albin Michel), le nouvel essai de Lisa Kamen-Hirsig détonne par ses prises de position libérales. Elle déplore des programmes empreints de sociologisme, d’écologisme et de féminisme. Elle observe que, plus l’école est égalitariste, plus elle est inégalitaire.


Malgré une fausse légende, les enseignants affolés par la baisse du niveau ne sont pas si rares en France. Anciens chevènementistes pour la plupart, associant l’autorité du maître à celle de l’État, ils rêvent le plus souvent d’un ministre à l’ancienne, qui aurait enfin de la poigne. Lisa Kamen-Hirsig, elle, prône au contraire une sortie de crise par le bas. Dans La Grande Garderie (Albin Michel) elle plaide pour la déculpabilisation de l’école privée et la décentralisation de l’Éducation nationale. Rencontre avec une militante de ce que l’on appelait il y a encore quarante ans l’« école libre ».

La Grande Garderie

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Causeur. Les rayons des librairies abritent un nouveau genre en soi : les livres sur l’effondrement de l’Éducation nationale. En quoi le vôtre se distingue-t-il ?

Lisa Kamen-Hirsig. Peu de ces ouvrages sont écrits par des professeurs d’école primaire. Il y a l’excellent Journal d’une institutrice clandestine de Rachel Boutonnet, mais il a déjà vingt-cinq ans. Par ailleurs, j’ai écrit cet essai pour défendre la liberté scolaire, ce que ne font pas la plupart de mes collègues très attachés à leur statut. En quoi, contrairement à ce que prétend Emmanuel Macron, l’école relèverait-elle du domaine régalien ? Pourquoi l’État exerce-t-il un monopole sur l’éducation des petits Français ? Par des anecdotes et des exemples tirés de ma pratique, j’essaie de montrer que la liberté est la meilleure solution à la crise que traverse notre système scolaire.

Vous montrez une école républicaine imprégnée de sociologisme, repentante sur tout sauf peut-être sur les crimes de la Révolution. Peut-on vraiment lui en vouloir d’être mal à l’aise avec les turpitudes historiques qui ont en fin de compte rendu possible son existence ?

Je n’en veux à personne : je déplore qu’on informe à moitié et que, ce faisant, on oublie des événements, des courants de pensée, des idéologies qui portaient en germe les déviances gauchistes d’aujourd’hui, en particulier cette idée qu’on ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs, si j’ose dire, ou plus classiquement qu’il n’est pas bien grave de détruire ou de tuer si c’est dans le but d’instaurer le « bien commun ». Les révolutionnaires prétendent toujours faire le bien des gens même contre leur gré. Il faut le dire aux enfants. La révolution porte en elle la violence, la haine et l’outrance, même lorsqu’elle part d’une révolte légitime et d’une bonne intention.

Vous évoquez plusieurs lubies asphyxiantes dans les programmes et les instructions officielles : le féminisme, l’écologisme, la religion numérique. Il est vrai qu’en fréquentant l’institut de formation des maîtres, il y a déjà bien longtemps, j’en étais venu à me demander si les formateurs n’étaient pas directement rétribués par Apple et Microsoft pour faire la promotion du tout-numérique auprès des futurs profs. Cependant, le numérique dans les classes n’est-il pas un moyen de donner accès aux milieux défavorisés à l’informatique ?

Les milieux dits modestes revendiquent à juste titre le droit de recevoir une éducation de qualité. Les « compétences numériques » qu’on leur inculque aujourd’hui seront très vite périmées alors que la culture classique, par essence, est beaucoup plus pérenne. La Ville de Cannes a mis en place des cours de grec et latin en périscolaire, pour les tout-petits et les écoliers du primaire : ces cours ont un succès fou, et surtout dans les milieux populaires. Ce que l’école ne donne pas, les parents des milieux aisés et ceux qui ont le temps le donnent à la maison et c’est ainsi que les inégalités s’amplifient. Le temps scolaire est limité : chaque minute d’informatique n’est pas une minute consacrée à étudier sa langue ou les mathématiques. Par ailleurs, c’est mentir aux enfants que de leur laisser croire que tout est sur internet : ils pensent ensuite que la mémorisation n’est pas nécessaire, alors qu’on sait qu’elle structure et développe les capacités cérébrales. La France a cédé à la fièvre numérique dans les années 2010. Elle a suivi la mode. Aujourd’hui, de nombreux pays retirent ces équipements des écoles et on sait qu’ils n’ont jamais été utilisés dans les établissements de la Silicon Valley où leurs inventeurs scolarisent leur progéniture. Ouvrons les yeux : le numérique est loin d’être un remède miracle. À la rigueur, s’il y a une compétence numérique à enseigner, c’est le codage, mais ce n’est pas cela que prévoient les programmes…

Vous évoquez des classes qui se griment une année entière aux couleurs de l’univers d’Harry Potter. On peut en effet se demander s’il n’est pas possible de puiser dans d’autres sources, plus classiques, de la littérature française et européenne, et si, au bout d’un an, les élèves ne peuvent pas se lasser de ces histoires de potion magique à la bave de crapaud. N’est-ce pas dû aussi au rétrécissement des références des nouvelles générations d’enseignants ?

Si bien sûr: la rééducation nationale est déjà ancienne, elle date des années 1960-1970. Le recrutement des profs s’est démocratisé en même temps que la massification de l’éducation. On donne le concours à des adultes qui parfois maîtrisent très approximativement les savoirs qu’ils sont supposés enseigner, d’autant que les formations sont essentiellement consacrées à la pédagogie et non à la maîtrise des disciplines et de leurs didactiques propres. Dans un article paru sur le site de L’Étudiant en 2022, Arnaud Dubois, co-responsable du parcours de préparation au concours de professeur des écoles à l’université de Rouen confiait : « Nous n’avons pas choisi les élèves avec les meilleures notes, car ils auront une place ailleurs. » C’est donc un parti pris : vos enfants ne méritent pas les meilleurs. Une fois de plus, tout le système est orienté vers la correction de supposées injustices : les élèves moyens ont le droit d’enseigner euxaussi, il ne faut pas les discriminer. Tant pis si les résultats sont catastrophiques.

L’école privée catholique Saint-Vincent-de-Paul, à Nice, 11 septembre 2023 : le port de l’uniforme est imposé aux élèves de la maternelle à la primaire. Photo: SYSPEO/SIPA

Vous dépeignez un système beaucoup moins inquiet d’inculquer des connaissances que de lutter contre les inégalités et de pousser les têtes blondes à s’engager pour une cause. L’école de la République, qui a lutté un bon siècle contre les bondieuseries, est-elle désormais tout acquise aux bourdieuseries ?

Oui, elle est la proie d’une sorte de bigoterie républicaine : l’égalitarisme, l’écologisme, le féminisme, le culte de la laïcité y règnent sans partage. Mais cela ne date pas de Bourdieu, la IIIe République rêvait déjà de fabriquer des petits républicains, donc de gommer les différences, les particularismes, d’uniformiser la pensée. Ferdinand Buisson, fameux pédagogue du xixe siècle, dont la double ambition était de retirer à l’Église tout rôle dans l’école tout en instaurant une religion de l’humanité, un catéchisme républicain, est encore la référence de nos hommes politiques : Emmanuel Macron le cite régulièrement.

Chez Frédéric Taddeï, le 3 septembre, sur CNews, Jean-Paul Brighelli (qui sévit également dans nos colonnes) a déclaré : « Si l’école est si inégalitaire, c’est parce qu’on l’a voulue ainsi. C’est le protocole de Lisbonne, en 1999-2000, ils ont voulu qu’il y ait 10 % d’élèves qui remplacent les cadres actuels et qui sont en général d’ailleurs les enfants des cadres actuels (on est dans la reproduction bourdieusienne au carré) ; et 90 % d’élèves auxquels on donnera le minimum nécessaire pour commander des pizzas sur Uber Eats. » Partageriez-vous ce point de vue angoissant ?

Qui est ce « ils » ? Des ministres à la solde du grand capital ? Au contraire, l’école française n’a rien de libéral : elle fait l’apologie du métier de fonctionnaire, de la centralisation et se méfie de l’entreprise – combien de professeurs connaissent vraiment le monde de l’entreprise ? L’enseignement de l’économie est très orienté : il suffit de feuilleter quelques manuels pour voir à quel point on rabâche les mêmes vieilles antiennes : le capitalisme et le risque sont diabolisés, la vie y est présentée comme une lutte sans merci entre dominants prêts à tout pour maintenir leur position et dominés évincés du jeu dès la naissance, la mondialisation serait nocive par nature. Dans les années 2000, plusieurs rapports parlementaires ont relevé cette lecture marxiste de l’économie, mais rien n’a vraiment changé.

Nous vivons dans une société de consommation et nous devrions nous en féliciter : les biens sont disponibles en grand nombre, nous ne mourons plus de faim et Jean-Paul Brighelli vend ses livres comme des petits pains. Cette idée que les libéraux complotent pour rendre les élèves idiots et en faire des consommateurs disciplinés relève de la paranoïa : le libéralisme prône la liberté, la responsabilité des individus et non leur asservissement à quelque force ou idéologie que ce soit. Jean-Paul Brighelli est jacobin et pense que l’État doit reprendre en main l’école pour revoir les programmes et les recentrer sur les fondamentaux. Mais l’État ne cesse de clamer qu’il va le faire ! Emmanuel Macron a même déclaré que l’éducation relevait du domaine présidentiel(et qu’on allait voir c’qu’on allait voir !) Pour l’instant, c’est un échec. Je propose d’essayer la liberté, juste pour voir. Et celle-ci ne peut être effective que si l’on rend le choix financier aux parents de scolariser leurs enfants où ils le souhaitent, dans le public ou dans le privé.

À ce sujet, vous citez ce directeur d’école, en Picardie, qui a récupéré un vieux château en ruineet des élèves en perdition, pour créer un établissement hors contrat et en dehors de la matrice officielle. Quand on parle d’école hors contrat, on pense secte. Comment s’assurer que cette solution n’est pas un coup de pouce fait à tous les fondamentalistes ?

Il existe des moyens de contrôler ces écoles et leur respect de la sécurité et de l’ordre publics : nous avons des cohortes d’inspecteurs qui perdent parfois leur temps à vérifier que les enseignants utilisent bien leur tableau numérique interactif : ils pourraient tout à fait contrôler l’absence de discours tendancieux – je pense évidemment à l’islamisme radical – en même temps que le respect des objectifs à atteindre. Le lycée Averroès, grand lycée musulman du nord de la France, a été épinglé pour sa gestion par la Cour des comptes, ainsi que pour prosélytisme. Pourtant c’est un lycée sous contrat avec l’État. Il n’accepte de scolariser que des musulmans. Xavier Bertrand a voulu lui retirer les subventions de la région, mais il a été condamné par la justice à les verser malgré tout. Que l’État balaie devant sa porte.

Vous écrivez (à propos de l’écologie) : « Impossible d’y échapper sauf si par bonheur le ministère est confié à quelqu’un de compétent. » On se demande si ces lignes ont été écrites avant ou après juillet dernier. Gabriel Attal ne vous a-t-il pas agréablement surpris ? On revient de loin, vous ne trouvez pas ?

Je ne peux présager de rien. Gabriel Attal a fait l’unanimité en interdisant l’abaya et en évoquant l’uniforme. Je ne l’ai pas encore entendu s’exprimer sur la « verdisation » des savoirs, selon l’expression d’Élisabeth Borne, qui souhaite instaurer un brevet d’écologie en fin de troisième. Ira-t-il contre sa Première ministre ? Osera-t-il revenir sur le lyssenkisme qui a saisi l’école depuis une vingtaine d’années ? Je le souhaite évidemment, mais je ne vois aucun signe en ce sens pour le moment.

Des artistes trop occupés?

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Décrié pour son silence assourdissant depuis les atrocités commises par le Hamas, le monde du spectacle n’a jamais brillé par son courage et sa lucidité.


Ils sont pourtant si prompts à s’indigner d’habitude. Hormis quelques personnalités, juives pour l’essentiel, les artistes en tout genre ne sont pas sortis du bois depuis que l’horreur absolue a frappé Israël, le 7 octobre dernier. Il est vrai que pétitionner à tire-larigot pour combattre « l’extrême droite » et « les violences policières » ou chasser en meute contre Roman Polanski sur la scène des César tout en célébrant l’irréprochable Ladj Ly exige autrement plus d’audace. Ce n’est pas nouveau.

Au début des années 1940 déjà, la plupart de nos grandes vedettes du music-hall et du cinéma (mais aussi beaucoup de nos écrivains, de nos peintres, etc.) ne se distinguent pas vraiment par leur courage et leur lucidité.

Si Jean Gabin, Joséphine Baker et une poignée d’autres sauvent l’honneur, nombreux, très nombreux sont ceux qui se compromettent, à des degrés divers, avec l’occupant nazi.

Tout sourire (chevalin), le grand Fernandel serre à Berlin la poigne de Joseph Goebbels, le ministre de la Propagande du Reich. À sa décharge, nous sommes en juillet 1939 et la guerre n’a pas encore commencé. Mais bon, quand même. Sous l’Occupation, Don Camillo déjeune au cercle allemand et roucoule sur les ondes de Radio-Paris, la radio qui ment et qui est allemande. Stipendié par la Continental-Films, la société de production financée par les Nazis, il tourne d’innombrables navets. Une manière comme une autre de saboter la propagande allemande.

Tino Rossi lui aussi pousse la chansonnette sur Radio-Paris et se fait grassement payer par Alfred Greven, le patron de la Continental, pour tourner dans ses films. Le « roi des chanteurs de charme » honore de sa présence de nombreux galas parisiens, dont celui organisé au théâtre de l’Empire en faveur de la Légion des volontaires français contre le bolchevisme (LVF), qui combat sous l’uniforme de la Wehrmacht sur le front russe. Le bellâtre aime aussi qu’on lui fasse Tchi tchi ou Catari, Catari1 au One-Two-Two, le plus illustre bordel de la capitale, où il se rend régulièrement. Souvent accompagné d’un ami de la Gestapo…

Maurice Chevalier mobilise à sa façon nos troupes durant la « Drôle de guerre » en chantonnant Ça fait d’excellents Français, qui badine sur une armée française composée de souffreteux2 pas vraiment pressés d’en découdre3. Paris outragé, Paris brisé, Paris martyrisé et Paris occupé, le Gavroche de Ménilmontant anime des émissions sur Radio-Paris, tient le haut de l’affiche au Casino de Paris devant un parterre d’officiers allemands et inaugure à Monaco Radio Monte-Carlo, « au service de l’Europe nouvelle ». Ce n’est pas du goût de Pierre Dac, qui l’intègre dans sa liste de « mauvais français » sur Radio-Londres, ni de Joséphine Baker. La célèbre danseuse, qui a rallié le général de Gaulle en Afrique du Nord, accuse en mai 1944 Maurice Chevalier de « dissimuler derrière son fameux sourire un collaborationniste nazi ». Au même moment, un tribunal spécial se réunit à Alger et le condamne à mort par contumace.

Son ancien amour, Mistinguett, continue quant à elle d’agiter ses fameuses gambettes de sexagénaire au Casino de Paris. Tous les soirs, elle emprunte l’entrée des artistes surmontée d’un panneau indiquant : « Interdit aux chiens et aux Juifs ». L’Occupation est joyeuse pour la meneuse de revue, qui n’a pas besoin de faire la queue pour obtenir un morceau de beurre. On la voit régulièrement chez Maxim’s ou chez Carrère, le dîner-spectacle le plus select de Paris, où l’on entend rire grassement les officiers de la Wehrmacht. Elle participe parfois aux folles soirées du One-Two-Two, où elle croise Tino (Rossi) et Momo (Chevalier), mais aussi les sinistres Bonny et Lafont et la pas très fine fleur de la Gestapo locale. Le champagne y coule à flot à l’heure du rationnement. Elle est l’une des vedettes du gala de L’Union des artistes, organisé au Lido en juillet 1942 et présidé par Sacha Guitry. On n’est pas là pour y entonner le chant des partisans.

Sacha Guitry, lui, ne fait pas de politique. Ce n’est pas son truc. Ses pièces de théâtre rencontrent un grand succès à Paris, mais aussi à Vichy, où il fait jouer trois représentations de Vive l’Empereur devant les membres du gouvernement et Philippe Pétain en personne, qui monte sur scène féliciter les artistes. Le vainqueur de Verdun reçoit en audience privée le cinéaste-acteur-dramaturge qui, de son côté, reçoit régulièrement les officiers allemands dans sa loge, ou même à son domicile. Sur son bureau, une photo dédicacée de Benito Mussolini figure en bonne place, entre le portrait de son père Lucien et celui de Claude Monet. « Monsieur Môa » a même l’honneur de rencontrer personnellement un autre maréchal, Hermann Göring. « Il m’a fait chercher chez moi par des officiers SS qui m’ont sommé de les suivre. Ce n’était pas une invitation, c’était un ordre ! », se défendra-t-il à la Libération.

Arletty prend du bon temps depuis mars 1941 avec Hans Jürgen Soehring, un jeune officier de la Lutwaffe membre du parti national-socialiste que lui a présenté la fille de Pierre Laval. Après tout, si son cœur est français, son cul n’est-il pas international ? Par l’entremise de son Hans, la vedette des Visiteurs du Soir sert (elle aussi) la main d’Hermann Göring, de passage dans la capitale, et fréquente les salons de l’ambassade allemande. Elle se pavane aux bras de son amant dans les meilleurs restaurants de Paris, sur les champs de course ou à l’opéra. À ses copines actrices Mireille Balin et Michèle Alfa, qui partagent leur couche avec un officier de la Wehrmacht, notre gueule d’atmosphère glisse en souriant : « On devrait former un syndicat ! »

« Mais comment aurais-je mon opium ? », s’inquiète Jean Cocteau lorsque la France et l’Angleterre déclarent la guerre à l’Allemagne en septembre 1939. L’auteur des Enfants terribles a du mal à résister à l’emprise de cet opiacé. Il a du mal à résister tout court. Le drapeau nazi flottant en haut de la Tour Eiffel, il griffonne de nombreux articles pour la presse collaborationniste, à commencer par le si bien nommé La Gerbe. « L’honneur de la France sera peut-être, un jour, d’avoir refusé de se battre », gribouille-t-il dans son Journal en mai 1942. Et lorsque la censure allemande s’intéresse d’un peu trop près à son Renaud et Armide, qu’il vient de boucler pour la Comédie-Française, il écrit aussitôt à Pétain : « C’est à vous, Monsieur le maréchal, que je m’adresse parce que je vous vénère et vous aime. » La pièce est jouée. Cocteau publie des poèmes dans la langue de Goethe, fréquente régulièrement l’ambassade d’Allemagne à Paris et se lie d’amitié avec la femme de l’ambassadeur Otto Abetz ; il dîne chez Maxim’s avec Albert Speer, l’architecte et ministre de l’Armement d’Hitler ; il se fait photographier aux côtés de Zarah Leander, la star suédoise du cinéma nazi en tournée à Paris… Il ouvre les portes de son appartement à Arno Breker. Le sculpteur officiel du Troisième Reich et ami personnel du Führer expose à Paris ses « kolossales » statues d’athlètes aryens. L’écrivain et réalisateur se sent obligé de publier dans le journal Comoedia un dithyrambique « Salut à Breker ». Un soir, Jean Marais retrouve son amant dévasté : celui-ci vient d’être traité de collabo par Radio-Londres…

Charles Trenet compose en 1942 La Marche des jeunes, un hymne pétainiste qui figure sur la face B d’un autre célèbre chant de l’époque : Maréchal nous voilà. L’artiste chevrote sur Radio-Paris et à l’ambassade d’Allemagne, participe à des galas devant les galonnés de l’armée allemande et s’offre une tournée d’un mois et demi au cœur du Troisième Reich, histoire notamment de remonter le moral des prisonniers de guerre français et des travailleurs du STO. À cette occasion, il rencontre même Hitler en personne à Berlin. « Seulement deux minutes », plaidera le « Fou chantant » après la guerre.

Édith Piaf occupe le troisième étage d’une luxueuse maison close (L’Étoile de Kléber) située à deux pas du siège de la Gestapo, rue Lauriston. Elle y sympathise avec l’amant d’une de ses amies, Henri Lafont, chef de la Gestapo française. Elle chante à l’ambassade d’Allemagne et fait même entendre sa voix à Berlin, où elle prend la pose devant la porte de Brandebourg en août 1943. La Môme prévoit de rencontrer Goebbels qui l’admire, mais le ministre de la Propagande du Reich est convoqué à une réunion de crise par le Führer et doit annuler au dernier moment leur rendez-vous. En février 1944, elle repart en tournée au cœur de l’Allemagne nazie pour « promouvoir la chanson française ». Elle ne regrettera rien. Non, rien de rien.

Marcel Pagnol refuse de travailler avec Alfred Greven et la Continental mais accepte de devenir  commissaire au Comité d’organisation de l’industrie cinématographie (COIC), un organisme de censure du régime de Vichy. Ledit Comité interdit aux Juifs de travailler au théâtre, au cinéma ou dans des spectacles quelconques. À la demande du Secrétariat général à l’Information et à la Propagande, l’auteur du Schpountz produit fin 1941 le documentaire Français, vous avez la mémoire courte !, qui fait l’éloge du maréchal Pétain et fustige le communisme. En août 1942, ses petites compromissions lui valent de figurer avec (entre autres) Pierre Laval, Jacques Doriot et Marcel Déat dans une liste noire établie par la Résistance et publiée dans le magazine américain Life, laquelle énumère les Français qui méritent soit d’être « jugés après la libération de la France » soit d’être « abattus ».

Les Frères Lumière l’éteignent définitivement pendant les années sombres. Après s’être rangés officiellement derrière Pétain et Laval, Auguste et Louis intègrent le comité d’honneur de la LVF et sont décorés de la Francisque. Le second va même jusqu’à prêter son nom à la Milice du Var, où il réside. Filmé par la propagande allemande, Albert Préjean prend en mars 1942 le train de la honte pour Berlin en compagnie des actrices Suzy Delair, Junie Astor, Danielle Darrieux et Viviane Romance. Les vedettes du cinéma français sont choyées en Allemagne pendant douze jours, la visite se concluant par une réception dans les appartements privés des Goebbels. Martine Carole, qui n’est pas encore Caroline Chérie, montre sa bobine dans un court-métrage diffusé lors de l’exposition antisémite du Palais-Berlitz. Pierre Fresnay joue, sans sa Francisque, dans cinq films de la Continental. Il préside le très maréchaliste syndicat des acteurs et exerce des fonctions au sein du Comité d’organisation de l’industrie cinématographique. Gaby Morlay fait pleurnicher la France entière avec son rôle de gouvernante miséreuse dans Le Voile Bleu, l’un des plus grands succès du cinéma sous l’Occupation. Hors plateau, elle devient la maîtresse de Max Bonnafous, le nouveau secrétaire d’État à l’Agriculture et au Ravitaillement de Vichy, qui vient de rentrer de Constantine où en tant que préfet il a appliqué avec zèle toutes les mesures antisémites.

Après s’être affichée tout sourire aux côtés de Fernandel avec Goebbels, Elvire Popesco s’affiche dans des productions allemandes jusqu’en 1942 et apprécie elle aussi l’intimité confortable des salons de l’ambassade d’Allemagne à Paris. L’immense Michel Simon fait profiter l’Italie fasciste de son talent d’acteur en y tournant plusieurs films entre 1939 et 1942, avant de jouer dans Au Bonheur des dames, le film d’André Cayatte produit par la Continental. En 1944, il monte sur les planches pour une pièce (Le Portier du paradis) d’un auteur pro-nazi au nom prédestiné, Eugène Gerber. Raymond Souplex, le futur commissaire Bourrel des Cinq Dernières minutes, tonne sur Radio-Paris et pose à Berlin en août 1943 devant la porte de Brandebourg en compagnie d’Édith Piaf, Albert Préjean et Viviane Romance. Cécile Sorel, de la Comédie française, écrit en allemand à la Kommandantur pour se faire attribuer un appartement quai d’Orsay, dont le propriétaire juif a fui la capitale. Charles Vanel travaille lui aussi beaucoup sous l’Occupation et est l’un des acteurs favoris de Pétain, qui l’honore d’une Francisque. Dix ans après la guerre, il incarnera un ancien chef de la Résistance dans La Main au Collet, d’Alfred Hitchcock. Sans doute l’un de ses meilleurs rôles de composition.

Henry-Georges Clouzot tourne L’Assassin habite au 21 et Le Corbeau pour la Continental de son ami allemand Alfred Greven. « Dans le national-socialisme, il y a quelque chose qui me touche, je ne dis pas le contraire… dans le côté social », confesse au passage le cinéaste4. Maurice Tourneur, qui porte également très bien son nom, est le réalisateur le plus prolifique (cinq long-métrages) de la société de production de la Propagandastaffel. Il sort sur grand écran Volpone, le fourbe Vénitien ayant pour l’occasion les traits d’un Juif. Henri Decoin collabore à trois reprises avec la Continental et réalise en 1942 Les Inconnus dans la maison, l’un des personnages du film accusé de meurtre, joué par Marcel Mouloudji, s’appelant Ephraïm… Un an plus tôt, Abel Gance tient à organiser l’avant-première de Vénus Aveugle à Vichy en présence de madame la maréchale. Pour l’occasion, le futur César d’honneur (en 1981) intègre au générique une petite dédicace : « C’est à la France de demain que je voudrais dédier ce film, mais puisqu’elle est incarnée en vous, Monsieur le Maréchal, permettez que très humblement je vous le dédie. » Neuf minutes plus tard, le film montre un mendiant aveugle qui reprend tous les stéréotypes du Juif à l’époque.

Marcel Carné met dans la boîte Les Visiteurs du soir et Les Enfants du paradis, qui est financé en partie par des capitaux de l’Italie fasciste. Le célèbre réalisateur profite de ces temps troubles pour s’épancher dans la presse collaborationniste et s’indigne de rencontrer sur la Côte d’Azur « des vieux messieurs en  »er » et en  »itch », qui hier vivaient honteusement de toi, et qui, aujourd’hui, parlent d’aller te relancer jusqu’en Amérique et voudraient bien qu’on les y suivit »5. Il n’est pas le seul à se lâcher dans les journaux vichystes ou pro-nazis. Marcel Lherbier, l’un des maîtres du muet, pointe du doigt un cinéma français décadent, victime selon lui des Américains et des Juifs. Le jeune Michel Audiard tartine sur les « youtres », les « faisans juifs » et la « conjuration des synagogues »6, tandis que Jean Renoir dégoise sur tous ces producteurs « en “ich”  ou en “zy” » et contre « le précédent gouvernement qui préférait laisser le financement (des films) à des producteurs en majorité étrangers et israélites »7. Après avoir proposé en vain ses services à Vichy et à la Continental, il s’embarque pour Hollywood. Le réalisateur de La Grande Illusion prétendra par la suite avoir fui la France pour ne pas cautionner l’Occupation allemande. « Renoir, comme metteur en scène : un génie. Comme homme : une pute », résumera à sa manière Jean Gabin.

La liste est loin d’être exhaustive. Beaucoup d’artistes seront inquiétés à la Libération. Après s’être terré chez des amis en Dordogne pendant plusieurs semaines, Maurice Chevalier est à deux doigts d’être zigouillé par des maquisards (les journaux annoncent même par erreur son exécution), tandis que Tino Rossi, Pierre Fresnay et Sacha Guitry croupissent plusieurs semaines en prison. Bref, ne soyons pas trop exigeants envers nos saltimbanques. Ceux d’hier, comme ceux d’aujourd’hui.


1/ Le titre de deux des plus gros succès de Tino Rossi.

2/ « Le colonel avait de l’albumine / le commandant souffrait du gros colon / le capitaine avait bien mauvaise mine / et le lieutenant avait des ganglions. / Le juteux avait des coliques néphrétiques / le sergent avait le pylore atrophié / le caporal un coryza chronique / et l’deuxième class’ des corps au pieds… »

3/ « Les v’là tous d’accord / quel que soit leur sort / ils désirent tous désormais / qu’on nous foute une bonne fois la paix ! »

4/ Cité par Pierre Darmon dans Le monde du cinéma sous l’Occupation.

5/ Dans Aujourd’hui, le 30 septembre 1940

6/ Notamment dans la revue L’Appel de l’antisémite Robert Courtine, ainsi que dans L’Union française, un journal d’extrême droite (la vraie) qui promeut « une nouvelle France dans la nouvelle Europe ».

7/ Dans Le Renouveau de Vichy du 21 septembre 1940.

Islamisme: «tous responsables», vraiment?

Après l’attentat terrible d’Arras, c’est la petite musique du moment. Face à la montée du communautarisme et de l’islamisme, nous Français aurions tous collectivement été faibles. Et les lanceurs d’alerte traités de fachos ou d’ «islamophobes» pendant des années, alors? Ceux qui ont trahi la France doivent rendre des comptes, estime Ivan Rioufol.


Devant les désastres accumulés, les « élites » se débinent. « Tous, collectivement, nous avons été faibles », a déclaré Gérard Larcher, le président du Sénat, mercredi 11 octobre sur Europe 1 en commentant les manifestations pro-Hamas en France. Ce lundi, sur RTL, François Hollande a évoqué semblablement une « responsabilité collective » après l’égorgement par un ancien élève fiché S, vendredi dans un lycée d’Arras (Pas-de-Calais), du professeur de français Dominique Bernard, spécialiste de René Char et de Julien Gracq.

Les lanceurs d’alerte ne sont pas à mettre dans le même panier !

Cet énième assassinat islamiste, qui répondait au « jour de djihad » lancé par le Hamas palestinien, s’ajoute notamment à la décapitation il y a trois ans jour pour jour du professeur Samuel Paty, abandonné à son sort par un système éducatif pusillanime et par ses propres collègues.

La France melliflue est plus vulnérable encore que la démocratie israélienne, qui se bat actuellement pour sa survie contre le fanatisme mahométan qui veut sa disparition de la carte.

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Reste que ceux qui ont saccagé la nation française depuis trente ans ne peuvent se dissimuler derrière une faute qui serait partagée par tous. Ceci est faux. Nombreux ont été les lanceurs d’alerte, auxquels je me flatte d’appartenir, qui ont annoncé ce qui allait advenir. Rien n’est moins surprenant que la survenue d’un islam enragé qui sème la terreur dans les démocraties affaiblies. Les traîtres[1] sont ceux qui, jusqu’au sommet de l’État, ont conduit la France, ouverte à ses ennemis, à ne plus maitriser ni appliquer ses lois tant elle doute d’elle-même et se méprise. Ses fossoyeurs sont des Français qui portent des prénoms français.

La nature a horreur du vide

Les Français français ne se reconnaissent pas dans la couardise de leurs représentants couleur muraille. La colère populaire, qui envahit toute la société selon la dernière étude des Fractures françaises (Le Monde, 10 octobre) vient rappeler que le sentiment national est encore très largement partagé. Trois quarts des sondés disent, surtout chez les moins de 35 ans, s’inspirer de plus en plus des « valeurs du passé » et pensent que « c’était mieux avant ». 

À lire aussi, Elisabeth Lévy: Arras: le combat des Lumières

Le « progressisme » s’effondre pour n’avoir rien compris des aspirations existentielles des gens ordinaires et pour avoir fermé les yeux sur le nouveau totalitarisme djihadiste et antijuif. Ce qu’il reste de gauche réaliste vient parfois rejoindre les lucides sur l’évaluation du déclin national.

Cependant, ses penseurs mondains se croient obligés, pour se démarquer des parias qu’ils copient, de dénoncer chez eux une « extrême droite » fantomatique. Cette attitude idiote, reliquat d’un conformisme de salon, empêche un front uni contre un ennemi commun. Comme le rappelle ce lundi dans Le Figaro Iannis Roder, professeur d’histoire, « les islamistes veulent nous détruire et avancer un autre modèle ». Face à ce danger, l’heure n’est plus aux postures modérées : elles portent en elles d’autres capitulations et traîtrises. Les citoyens doivent demander des comptes à ceux qui les ont trahis et qui se défilent.


[1] De l’auteur : Les Traîtres, Editions Pierre Guillaume de Roux (2020). Relire ici notre recension.

Les Traîtres

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À Bruxelles, le djihadisme s’en prend à la Suède

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Lundi soir, deux ressortissants suédois ont été tués à Bruxelles dans une attaque à l’arme à feu.


L’attentat islamiste a été perpétré peu avant le match de football entre la Belgique et la Suède qui avait lieu au stade Roi-Baudouin. Les 35 000 spectateurs présents pour la rencontre et les joueurs n’ont été informés des événements qu’à la mi-temps, et ont dû attendre ensuite de longues minutes dans le stade alors que le match avait été suspendu. Le terroriste, un Tunisien, a succombé à ses blessures après son arrestation mardi, après avoir été identifié dans un café de Schaerbeek. Les autorités belges indiquent qu’il était soupçonné de faits de trafic d’êtres humains, et qu’il aurait tenté de rejoindre des zones de conflit djihadistes en 2016.

Tragique de répétition

Le djihadisme est-il de retour en Europe ? La question est ici mal formulée. Le djihadisme n’avait pas disparu, il s’était assoupi légèrement. Il vit caché dans les interstices de notre société, exploitant les moindres de nos failles, prospérant sur nos renoncements et nos systèmes démocratiques qu’il utilise contre nous. Nos faiblesses collectives sont sa force, en France comme en Belgique. Il est à craindre d’ailleurs que nous connaissions une nouvelle séquence de troubles majeurs, comme celle que nous avions vécue en 2015. Les conflits sahéliens et israélo-palestiniens ayant réanimé ce démoniaque fantôme que nous avons trop oublié.

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Hier à Bruxelles, un Tunisien clandestin nommé Abdesalem Lassoued a donc tué deux supporters suédois après avoir fait allégeance à l’État islamique. Armé d’une kalachnikov, il a échappé à la police une nuit durant à bord de son scooter qui le faisait ressembler à l’un de ces livreurs Uber qu’on croise désormais constamment dans les paysages urbains.

Il a été abattu au petit jour alors qu’il prenait tranquillement son dernier café avant de rejoindre les 72 démons qui l’attendent en enfer. Le ministre belge de la Justice, Vincent Van Quickenborne, a déclaré que le djidhadiste était connu des services de renseignement belges :

« L’individu a également été signalé une fois dans une mosquée de Bruxelles en juin 2022. Plus tôt cette année, il aurait menacé un occupant d’un centre d’asile sur les réseaux sociaux. Cette personne l’a dénoncé en ajoutant que l’intéressé avait été condamné pour terrorisme en Tunisie. Bien sûr, cette condamnation avait décidé la police judiciaire d’Anvers de convoquer une réunion de l’agence antiterroriste. (…) »

Humour belge

Connu aussi pour des faits de trafic d’êtres humains, de séjour illégal et d’atteinte à la sûreté de l’Etat, l’homme avait introduit une procédure d’asile finalement rejetée en 2020. « Il n’y avait aucune indication concrète de radicalisation », a osé le ministre de la Justice. Il a même ajouté, toute honte bue, qu’ « en juillet 2016, des informations non confirmées ont été transmises par un service de police étranger selon lesquelles l’homme avait un profil radicalisé et voulait partir vers une zone de conflit pour le jihad »… Que dire face à de tels manquements ? L’Europe est une véritable passoire, incapable d’expulser ou d’emprisonner, parce que ses lois libérales sont inadaptées à la guerre qui nous est faite sur notre sol. Dans les pays musulmans, singulièrement les monarchies, ces individus disparaissent purement et simplement sans même qu’on ait eu le temps d’apprendre leur existence ! Nous nous devons d’agir avec une extrême fermeté. Les excuses et explications donnent désormais la nausée, révélant que nos dirigeants ne savent pas nous protéger contre cette terrible menace. Bruxelles n’est plus une ville belge. Pour s’en convaincre, il suffit de visionner les vidéos montrant le terroriste agir, toutes filmées par des vidéastes amateurs ne parlant ni flamand ni français.

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L’imam Iquioussen l’a une fois admis : « Le véritable islam est en Europe ». Il voulait signifier par-là que nos régimes autorisent les Frères musulmans à faire absolument ce qu’ils veulent et à installer de véritables bastions islamistes sur nos territoires. Si nous n’agissons pas aujourd’hui, le Liban des années 1970 sera non pas notre futur lointain, mais notre présent dans très peu de temps.

Le Hamas espionne mieux que le Shin Bet

Plus qu’une déroute des services israéliens, l’opération terroriste du 7 octobre est un succès des services secrets du Hamas. L’analyse d’Harold Hyman.


Le désastre infligé par le « Déluge Al-Aqsa » est présenté depuis le début comme une défaillance des services secrets israéliens, alors que l’on pourrait postuler qu’il s’agit d’une victoire des services du Hamas. Certes le Mossad, le Shin Bet et l’armée ont clairement manqué le signal du déclenchement de l’opération-massacre, mais le Hamas a trouvé quasiment toutes les failles dans les défenses israéliennes, ce qui est prodigieux.

Comment les services secrets du Hamas ont-ils pu être d’une si grande efficacité?  

Les travaux de Netanel Flamer

Il y a des milliers de livres et d’études sur les services israéliens, le mythique Mossad en tête, mais sur les services secrets du Hamas, il n’y pas de monographies accessibles, en français ou en anglais. Quelques allusions çà et là sur le succès des services du Hamas remontent à la surface depuis le 7 octobre, sans plus.

Cependant le travail d’un chercheur israélien nous éclaire. Dans un article du International Journal of Intelligence and Counter-Intelligence, l’auteur, le jeune universitaire Netanel Flamer, rattaché au Begin-Sadat Center for Strategic Studies, se penche sur la mise en place d’une stratégie de contre-espionnage hamasienne.

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D’abord, l’organisation du Hamas a une branche dite militaire, appelée Al Majd, fondée en 1987 par le célèbre religieux sunnite en chaise roulante, Cheikh Yassine, pour traquer les infiltrés parmi ses rangs. La méthode était rodée car le Shin Beth utilisait la méthode classique de l’infiltration, souvent en arrêtant des espions du Hamas et en les transformant en agents doubles. Le génie d’Al Majd a été d’utiliser ses propres agents retournés par les Israéliens afin de les réutiliser contre les Israéliens eux-mêmes, et à l’insu de ces derniers. Généralement la difficulté d’utiliser des agents double réside dans le doute permanent sur leur loyauté ultime. Les services du Hamas n’ont pas semblé avoir ce problème, et leurs centaines d’agents doubles, noyés parmi bien d’autres agents réellement retournés par Israël, ont permis de comprendre le fonctionnement et les priorités mêmes des services israéliens. Le Hamas a joui d’un deuxième avantage lorsqu’il prit le pouvoir à Gaza : il hérita de l’infrastructure du Fatah appelée Internal Security Force, abandonnée lors du repli du Fatah en 2007. Dans ces conditions, il est étonnant de voir combien les services israéliens se fiaient à leurs indicateurs pour pister les chefs du Hamas. Telle est la thèse de Flamer.

Agents doubles et double-jeu diplomatique

En dehors du dossier de l’espionnage, le Hamas a utilisé la ruse diplomatique à un degré très élevé pour désarmer Israël. Les négociations entre Israël et le Hamas début 2023 pour rouvrir partiellement les frontières de l’enclave avaient donné une impression de dialogue possible. La nourriture et les médicaments pouvaient de nouveau passer. Aussi était-on en train de négocier le transfert de fonds qatariens à la bande de Gaza, et 20 000 Gazaouis travaillaient en Israël. Le Hamas a donné l’impression d’être sensible aux bienfaits de la gouvernance normale. Psychologiquement, côté sécuritaire israélien, c’est ce que l’on avait pu croire. Les préoccupations majeures étaient plutôt la force du Hezbollah, l’arrivée d’éléments de la brigade Al-Quds en Syrie, et la radicalisation et l’atomisation des groupes de miliciens terroristes de la Cisjordanie. Le Fatah sur le terrain devenait une nébuleuse sans lien hiérarchique avec Mahmoud Abbas.

Tout cela a été compris par le Hamas, qui n’est certes pas au pouvoir en Cisjordanie mais qui n’y manque pas de relais ni de sympathisants. Ainsi l’on peut conclure que le Hamas a saisi ce qui se rapportait au pouvoir israélien dans l’optique de Déluge d’Al Aqsa. Résultat sur le plan sécuritaire : un certain délaissement de la frontière.

La nation israélienne fait bloc, malgré les divergences politiques

Le Hamas n’aura cependant pas appréhendé avec justesse le climat politique en Israël, et c’est sa faille. Sur sa page du Begin-Sadat Center for Strategic Studies, Netanel Flamer le relève : le fait que des réservistes israéliens aient annoncé leur intention de ne pas se présenter à leurs postes en cas de révision de la constitution informelle israélienne, concernant l’asservissement des juges à la suprématie gouvernementale, a donné l’impression que l’armée se débandait. Ainsi affaiblie, l’armée protègerait moins bien ses citoyens, selon le Hamas. Ironie du sort : l’opération « Déluge d’Al Aqsa » est devenue l’occasion de ressouder les Israéliens.

Certes les services secrets israéliens, et la nébuleuse sécuritaire du système israélien, vont trouver les raisons de leur faille. Peut-être aussi que les Israéliens en particulier, et les Occidentaux en général comprendront ce que le Hamas espère véritablement accomplir, c’est-à-dire le chaos généralisé et sanglant. Car s’il gère Gaza, le Hamas provoque aussi la destruction d’une grande partie de ce territoire sous sa houlette, ce qui n’entre dans aucune logique occidentale. L’affrontement final sera purement militaire, Israël ne pourra être défait, et les Gazaouis perdront toute possibilité de vie normale. Mais l’armée israélienne n’a pas compris le fonctionnement de son ennemi, désormais principal, le Hamas, qui s’accommode bien de la destruction. Lorsqu’elle le comprendra, ce qui restera du Hamas aura-t-il eu le temps de se restructurer ? Sans doute que non. Les civils auront énormément souffert de cette guerre. En 1973, quasiment aucun civil n’a été tué et une paix partielle en est sortie – issue impossible cette fois-ci.

Hamas: Barbarie, mode d’emploi

Le vendredi 13 porte chance / Barbarie, mode d’emploi / Réponse disproportionnellement humaine / Petit rappel historique pour les étourdis et les Je-ne-veux-pas-savoir…


Le vendredi 13 porte chance

La preuve : en 2023, six jours après l’agression du Hamas contre les civils israéliens, le conseil municipal de Nantes a attribué une subvention de 2 000€ à l’Association France Palestine Solidarité 44 (AFPS44). Le lendemain, le Bureau national de la susdite avait publié un communiqué : « Il est d’abord important de qualifier cette opération pour ce qu’elle est : une opération militaire du faible contre le fort, en rappelant que l’armée israélienne est l’une des plus fortes et des mieux équipées du monde. Nous déplorons que des civils aient été tués des deux côtés, et mettons en garde contre l’utilisation du terme de « terroriste » qui a été utilisé de tous temps contre les mouvements de résistance.[1]»

C’est bien connu, la résistance française tuait des enfants en suivant le mode d’emploi fourni par son chef et distribué à chaque commando… Malgré les mises en garde de deux élus, une LR, Laurence Garnier et un membre du groupe Démocrates et Progressistes, Erwan Huchet, la subvention a bien été votée. « Soit c’est du cynisme, soit de la naïveté[2]», a regretté avec diplomatie Mme Garnier, avant de quitter le conseil municipal avec son groupe et celui de son collègue.

Barbarie, mode d’emploi

Des documents saisis sur le corps de plusieurs terroristes après l’attaque du Hamas ont révélé que les membres de la branche militaire de l’organisation ont reçu des instructions claires pour massacrer les civils. Dans le document, défini comme « top secret », on peut voir que les instructions sont précises et détaillées : comment infiltrer les villages, en se concentrant particulièrement sur les zones où les civils se rassemblent, et plus particulièrement sur les endroits fréquentés par les enfants, précisant qu’il est impératif de « cibler des écoles primaires et un centre de jeunesse, afin de « tuer autant de personnes que possible », de prendre des otages et de les transférer rapidement dans la bande de Gaza. Une page portant la mention « Top Secret » décrit un plan d’attaque, indiquant que « l’unité de combat 1 » est chargée de « contenir la nouvelle école Da’at », tandis que « l’unité de combat 2 » doit « collecter des otages », « fouiller le centre de jeunesse Bnei Akiva » et « fouiller l’ancienne école Da’at ».[3] »

Les responsables israéliens ont déclaré que l’ensemble des documents montre que le Hamas a systématiquement recueilli des renseignements sur chaque kibboutz bordant la bande de Gaza et qu’il a élaboré des plans d’attaque spécifiques pour chacun, en ciblant intentionnellement les femmes et les enfants : dans le cabinet dentaire, le supermarché, le réfectoire… 

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« Le niveau de spécificité des informations et de la planification laisserait bouche bée n’importe quel membre des services de renseignement » a admis un responsable israélien. Le plan de coordination des attaques prouve que non seulement le Hamas ment quand il prétend n’avoir pas tué d’enfants, mais qu’il a choisi de commencer par eux. « « J’ai vu des bébés assassinés. J’ai vu des enfants assassinés. J’ai vu des mères et des enfants assassinés ensemble », a déclaré Yossi Landau, commandant de ZAKA, une organisation israélienne de secouristes.[4] »

Réponse disproportionnellement humaine

Israël a répondu qu’il ne ferait pas de quartiers. Il s’est aussitôt contredit en mettant en place une stratégie qui protègerait les civils : il a demandé au Hamas et à l’ONU d’organiser les transferts d’un million de civils du nord vers le sud de Gaza. Il a aussi lancé un appel sur les réseaux sociaux arabes et par des canaux gazaouis : flyers, radio, téléphone… Les deux organisations ont évidemment refusé.

Prospectus envoyés par les airs par l’armée israélienne au nord de Gaza. On peut notamment y lire, en arabe, « Pour votre sécurité, vous devez quitter vos maisons immédiatement et rejoindre des abris. L’Armée de défense d’Israël ne veut pas vous blesser, vous ou les membres de votre famille. Quiconque restant proche des terroristes du Hamas ou des cibles terroristes met sa vie en danger ».

L’ONU, qui est constituée de plus de dictatures islamistes que de démocraties, ne veut surtout pas apparaître comme obéissant à l’ennemi sioniste. Les dictatures en question connaissent la barbarie de l’intérieur. Elles ne veulent donc pas être responsables de l’échec de cette protection des civils ni des victimes que l’assaut israélien produira.

Le Hamas est plus franc : il a besoin de ses boucliers humains et il espère de belles photos d’enfants morts pour sa propagande. C’est pourquoi il a interdit aux civils de partir et les en a empêchés tant qu’il a pu.

Quand les Israéliens ont parachuté des milliers de tracts sur Gaza, malgré l’opposition du Hamas, des milliers de civils ont réussi à échapper à leurs garde-chiourmes et ont pris le chemin du sud. Pendant ce temps, les terroristes du Hamas se cachaient dans et sous les immeubles résidentiels, a expliqué le porte-parole de l’armée israélienne, le contre-amiral Daniel Hagari, aux médias[5].

Petit rappel historique pour les étourdis et les Je-ne-veux-pas-savoir

En 2005, les Israéliens ont quitté la Bande de Gaza sans contrepartie. Les 8000 civils et les soldats qui les protégeaient ont été évacués. N’en déplaise aux associations pro-palestiniennes, de Nantes ou d’ailleurs, ces soldats n’étaient pas là pour faire la nique aux « colonisés », mais pour protéger la vie des Juifs, qui ne tenait qu’à cette protection. Pour mémoire, à cette époque, comme aujourd’hui, 20% de la population israélienne est constituée d’Arabes, qui n’ont besoin d’aucune protection contre leurs voisins.

A lire aussi, Jean-Baptiste Roques : Femmes et enfants suppliciés par le Hamas: un humanitaire confirme

Au départ des Juifs, la Bande est passée sous le contrôle de l’Autorité palestinienne, dirigée par Mahmoud Abbas, élu six mois plus tôt. Il est à la moitié de sa dix-neuvième année de son mandat de cinq ans. Les Juifs avaient laissé toutes leurs habitations, leurs infrastructures agricoles et leur matériel industriel et commercial qui auraient pu permettre à Gaza de devenir un Singapour arabe. Tout ce matériel et ces infrastructures ont été détruits dans les heures qui ont suivi le départ des Israéliens.

En mars 2006, le Hamas a commis un attentat à Tel Aviv : sa façon de montrer qu’il « résistait » avant tout à toute initiative de paix. Deux mois plus tard, ses « combattants » ont pénétré à l’intérieur des lignes israéliennes pour tuer plusieurs soldats et kidnapper Gilad Shalit, un appelé franco-israélien, qui a été libéré après cinq ans au secret, en échange de plus de 1000 détenus palestiniens, dont beaucoup avaient du sang juif sur les mains.

En juin 2007, le Hamas a fait un coup d’État contre son frère de l’Autorité palestinienne : les opposants ont été tués, les résistants défenestrés[6]. De nombreux civils palestiniens ont fui vers Israël pour demander de l’aide. Le blocus israélien de Gaza date de cet épisode, celui du côté égyptien également, après des attentats perpétrés contre des soldats égyptiens.[7]

Si la population gazaouie est restée misérable, malgré les milliards de dollars déversés par l’Union européenne, les États-Unis, le Qatar et l’Iran, il n’en va pas de même de ses dirigeants[8] et de ses arsenaux[9]. Le Hamas est le troisième plus riche mouvement terroriste après le Hezbollah et les Talibans, avec un chiffre d’affaires de 700 millions de dollars annuel[10]. Il a de quoi réjouir encore les banlieues françaises et les campus américains pendant quelques semaines…


[1] www.lejdd.fr/politique/nantes-la-ville-subventionne-une-association-favorable-au-hamas-138939

[2] www.lefigaro.fr/nantes/nantes-apres-le-vote-d-une-subvention-pour-l-association-france-palestine-solidarite-des-elus-quittent-le-conseil-municipal-20231013

[3] www.nbcnews.com/news/investigations/top-secret-hamas-documents-show-terrorists-intentionally-targeted-elem-rcna120310

[4] Ibid.

[5] https://worldisraelnews.com/hamas-urges-gaza-residents-to-ignore-idf-evacuation-calls/

[6] www.theguardian.com/world/2007/jun/15/israel4

[7] www.britannica.com/place/Gaza-Strip/Blockade

[8] www.algemeiner.com/2014/07/28/gazas-millionaires-and-billionaires-how-hamass-leaders-got-rich-quick/

[9] www.lemonde.fr/international/article/2023/10/10/l-effort-ininterrompu-du-hamas-a-gaza-pour-developper-son-arsenal-militaire_6193501_3210.html

[10] www.forbes.com/sites/forbesinternational/2018/01/24/the-richest-terror-organizations-in-the-world/?sh=6315786f7fd1

Arras: le combat des Lumières

S’ils gagnent là-bas, ils finiront par vaincre ici. Le regard libre d’Elisabeth Lévy


Des soldats israéliens chantent la Marseillaise à tue-tête en hommage à Dominique Bernard, mort en héros à Arras. Aucune image ne résume mieux que cette vidéo, postée par Pierre Sautarel, l’évidence qui, peu à peu s’impose à nous. Le meurtre d’Arras et les crimes du Hamas sont deux fronts d’une même guerre qui en compte de nombreux autres.

Je ne sais pas si Mohamed Mogouchkov a entendu l’appel, lancé par le chef du Hamas, à faire de ce triste vendredi un jour de colère, mais il est, comme tous les terroristes qui ont frappé en France depuis 2012, un combattant du jihad dont les mots d’ordre sont propagés par des influenceurs numériques d’un bout à l’autre de la planète. Il ne s’agit pas de lutter pour les droits des musulmans ici ou des Palestiniens là-bas, il s’agit de détruire l’ennemi et l’ennemi, c’est le kouffar, le mécréant, où qu’il se trouve. Qu’il soit juif, c’est juste la cerise sur ce gâteau sanglant.

Mogouchkov était passé sur les bancs de l’école de la République…

On l’a abondamment répété, l’objectif des islamistes et de leur « branche armée » djihadiste comme on dit chez les Insoumis, est d’affaiblir, de diviser et, à long terme – car ils ont le temps pour eux –, d’islamiser des sociétés honnies parce qu’elles sont ouvertes. Ce qu’ils haïssent chez les Israéliens, comme chez nous, ce n’est pas seulement le signifiant juif, c’est l’héritage des Lumières, le règne de la Raison. Voilà pourquoi ils s’en prennent à l’Ecole, symbole du prix que nous attachons à cet héritage, même si l’exemple de Mogouchkov est assez décourageant. Arrivé en France à trois ans, il a bénéficié de l’Ecole de la République et de tous les bienfaits de l’Etat-providence. C’est réussi.

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La conclusion que nous devons en tirer, c’est que nous sommes en guerre et que nous devons nous défendre, là-bas, comme ici. En effet, qu’on ne s’y trompe pas : s’ils gagnent là-bas, ils finiront par vaincre ici.

C’était prévisible, dès les prémices de la riposte israélienne contre le Hamas, l’opinion des foules sentimentales occidentales a commencé à tourner. Les images de guerre d’aujourd’hui effacent les images de pogroms d’hier. Peu importent les distinctions, la gauche est déjà en boucle, toute contente d’avoir retrouvé ses vieux réflexes consistant à désigner Israël comme le méchant. Dans les chancelleries, on appelle à la retenue. Tsahal doit riposter, certes, mais sans faire de destructions ni causer de pertes civiles.

Malheureusement, c’est impossible. Contrairement au Hamas, dont c’est le but, Israël ne cherche pas à tuer des civils, mais il le fera inévitablement, y compris parmi ses propres otages. Pour la bonne raison que la destruction de l’infrastructure du Hamas est un enjeu existentiel. Demander à Israël de retenir ses coups, c’est lui demander de se suicider par humanité.

Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin et le président Macron, Arras, 13 octobre 2023 © LUDOVIC MARIN-POOL/SIPA

La France déclare de nouveau Vigipirate au niveau urgence attentat

Ici, nous avons encore la chance de lutter avec l’arsenal du droit et de la politique. Mais le premier nécessite une révision de la cave au plafond et la seconde exige de renouer avec le courage et plus encore, avec la lucidité. Les Français ne supportent plus de couver des assassins avec leurs impôts. Il y a un quasi-consensus pour expulser les étrangers dangereux – qui se mêle à la rage d’apprendre que ce n’est toujours pas le cas.  Mais il y a aussi urgence à soumettre notre politique migratoire au principe de précaution. L’objectif du gouvernement doit être de ne plus accueillir quiconque ne manifestant pas clairement une capacité et une volonté d’assimilation. Il est probable que la CEDH toussera et que le Conseil d’État s’enrhumera. Et il est certain que les associations pleurnicheront et accuseront. Oui, une fermeté indiscriminée pénalisera certainement des braves gens. C’est injuste. Comme est terriblement injuste le fait que trois filles devront grandir sans leur père. On ne gagnera pas le combat des Lumières avec des fleurs, des bougies et des bons sentiments.


Elisabeth Lévy sur Arras : « les Français ne tolèreront plus de couver des assassins avec leurs impôts »

Retrouvez notre directrice de la rédaction du lundi au jeudi dans la matinale de Sud Radio.

De Magnanville à Israël

En France, la terreur djihadiste a déjà pourchassé des policiers jusque dans leur domicile. La semaine précédant l’attaque terroriste du Hamas contre les Israéliens, Mohamed Lamine Aberouz était condamné à la perpétuité par la justice. Comme la radicalisation islamiste est souvent affaire de famille, son frère, Charaf-Din, vient d’être placé en garde à vue pour des suspicions de menace de mort contre l’avocat Thibault de Montbrial.


Comment, alors que chaque jour nous en apprenons un peu plus sur les horreurs auxquelles le Hamas s’est livré, ne pas associer ce qui s’est passé le 13 juin 2016 à Magnanville, que nous rappelle le procès qui vient de s’achever, et ce qui s’est passé ce samedi 7 octobre 2023 en Israël ?

Le 13 juin 2016, le terroriste jihadiste Larossi Abballa s’est introduit chez Jean-Baptiste Salvaing et Jessica Schneider, dans leur domicile, et les a assassinés sous les yeux de leur enfant de 3 ans. Il les a ciblés parce que Jean-Baptiste Salvaing était policier, et que Jessica Schneider travaillait elle aussi dans un commissariat, comme adjointe administrative. Un drame et un choc, et pour les forces de l’ordre un terrible sentiment de vulnérabilité, l’intolérable : une menace sur les familles, les conjoints, les enfants.

Dans une lettre, Larossi Abballa (abattu par le RAID lors de l’intervention pour délivrer l’enfant que le terroriste avait pris en otage) affirme que l’islam triomphera en France, menace, et déclare : « on vous attendra devant vos demeures et on égorgera vos enfants. » Larossi Abballa avait fait allégeance à l’Etat islamique. Il fréquentait des réseaux jihadistes. Le jour de l’attentat, a-t-il agi seul ?

Marigot djihatiste

Mercredi dernier, le 11 octobre, la cour d’assises spéciale a rendu son verdict, et condamné Mohamed Lamine Aberouz à perpétuité, l’ayant jugé coupable de complicité d’assassinats terroristes et d’association de malfaiteurs terroriste. « La cour est arrivée à la conclusion que Mohamed Lamine Aberouz était totalement acquis à l’idéologie de l’État islamique. Et on a bien du mal à trouver la moindre condamnation de sa part de ce groupe » a déclaré le président du tribunal. Le frère de Mohamed Lamine Aberouz, Charaf-din Aberouz, a été interpellé depuis suite aux menaces de mort qu’il a proférées à l’encontre de maître Thibault de Montbrial, l’avocat de la famille de Jessica Schneider. Ce n’est pas la première fois que maître de Montbrial est ainsi ciblé – il est obligé de vivre sous protection policière depuis des années – et cela n’a jamais entamé son engagement contre l’islamisme, et plus largement pour que l’Etat adopte enfin une politique pragmatique capable d’assurer la sécurité des Français. Reste que ces menaces sont prises très au sérieux : Charaf-din Aberouz a déjà été condamné pour avoir voulu rejoindre un camp d’entraînement d’Al-Qaïda au Pakistan, et l’enquête a montré que son frère et lui baignaient dans les milieux jihadistes.

Le 7 octobre 2023, Israël a été frappé par le Hamas lors d’un raid d’une sauvagerie effarante. Une surenchère dans la barbarie, délibérément voulue, froidement planifiée. Les témoignages des survivants, les vidéos diffusées par les terroristes, les constatations faites sur place par les équipes de secours, sont terrifiantes. Ce qui s’est passé ne relève pas d’un acte de guerre entre deux Etats, deux organisations ou deux peuples pour le contrôle d’un territoire. Ce qui s’est passé est au-delà du crime, au-delà de la soif de sang, au-delà du sadisme. Il n’y a pas de mots pour le qualifier. « On vous attendra devant vos demeures et on égorgera vos enfants » promettait Larossi Abballa. C’est ce qu’a fait le Hamas, ce mouvement qui proclame que « le jihad est son chemin » – ça, et pire encore. En Israël, un père a été heureux d’apprendre que sa fille de huit ans était morte, plutôt qu’en vie entre les mains du Hamas. J’aurais réagi comme lui.

Hamas ou Etat islamique, c’est le même islamisme qui anime le ou les assassins de Jean-Baptiste Salvaing et Jessica Schneider, et ceux qui en Israël ont massacré des jeunes gens qui faisaient la fête – comme au Bataclan – qui sont entrés dans les maisons pour tuer et prendre en otage – comme à Magnanville – qui ont violé, torturé, décapité jusqu’à des enfants. C’est aux mêmes cris de « Allah akbar » que l’horreur s’est déchaînée. Comme à Arras, aussi, ce vendredi 13 octobre.

Et ce sont les mêmes courants politiques, les mêmes, qui relativisent les abominations commises par le Hamas, et qui attisent la haine contre les forces de l’ordre. Qui manifestent pour dire que « la police tue » et qui manifestent contre Israël. LFI. Le NPA. Les décoloniaux. L’islamo-gauchisme qui gangrène nos universités. En France comme ailleurs : plusieurs « chapitres » de Black Lives Matter aux États-Unis ont très officiellement apporté leur soutien au Hamas. Le 9 octobre, le poste de police municipale de Rillieux-la-Pape a été attaqué aux coctails molotov, et le lendemain on a trouvé des tags menaçant nommément certains policiers tout en indiquant « Palestine ». Mais nous le savions. En France, et depuis longtemps, c’est dans les mêmes écoles qu’un enfant ne peut pas dire que ses parents sont policiers, ou gendarmes, ou militaires, et qu’un enfant ne peut pas dire qu’il est Juif. C’est dans les mêmes rues qu’un policier hors service ne peut pas marcher en uniforme, et qu’un Juif ne peut pas marcher avec la kippa. C’est dans les mêmes quartiers qu’on rêve de « casser du flic » et qu’on trouve des tags à la gloire de Mohammed Merah, et des drapeaux palestiniens accrochés aux fenêtres pour célébrer les abjections du Hamas. En France. Le fruit de 40 ans de progressisme, de « vivre-ensemble », de « diversité qui est une chance », de « religion de paix et de tolérance » et d’appels à « l’unité » – mais l’unité avec ceux qui refusent de soutenir Israël contre le Hamas serait un déshonneur, de ces déshonneurs que les collabos et les lâches préfèrent à la guerre, mais qui n’évitent jamais la guerre.

Un petit manuel contre le prêt-à-penser médiatique

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Après avoir mis les wokes au piquet (Le Serment sur la moustache), Samuel Piquet, du journal Marianne, s’attaque à notre misère lexicale. Interdit de rire !


Samuel Piquet écrit dans Marianne et contribue depuis plusieurs années à la gorafisation du monde. On n’insistera pas trop sur la quarantaine de chroniques qu’il a publiées chez Causeur, pour ne pas alourdir son cas. Dans son Dictionnaire des mots haïssables (le Cherche Midi), il décrypte pour nous le ridicule vocable de notre temps. Moins lapidaire que le Flaubert du Dictionnaire des idées reçues, moins furibard que l’Exégèse des lieux communs de Léon Bloy, moins maniéré que le Dictionnaire des délicatesses du français contemporain de Renaud Camus, l’auteur se penche sur les tics de langage journalistiques, les mantras de la presse féminine, le prêt-à-penser de la communication politique et le jargon managérial ; autant de choses qui feront que les mots, bien avant un siècle, empuantiront.  

En bref : une étymologie soignée

Addictif, empouvoirement, agilité… Autant de mots qui se sont répandus dans nos conversations, sans qu’on s’en aperçoive, sans qu’on l’ait vraiment voulu. Si vous ignorez à quoi renvoie une ou deux des entrées du dictionnaire, vous habitez probablement dans la diagonale du vide, loin des start-up et des conf call, à proximité d’un rond-point et d’un Brico Dépôt. Tantôt, c’est de la faute de Léa Salamé et de ses shows télévisés, tantôt, de Boris Cyrulnik et de son insupportable résilience. Ils n’étaient pas si laids pourtant, au tout départ. Ils ont parfois de prestigieuses origines latines, ou provençales, comme cocooning, du provençal « coucoun », « coque d’un œuf », passé par le français, puis l’anglais, puis revenu chez nous par l’intermédiaire de la presse féminine ou du marketing. Personne n’est à l’abri de tomber dans le panneau : même le très classique Jean-Pierre Chevènement menaçait, fin 2011, de se présenter à la présidentielle suivante pour « faire bouger les lignes ». En bon prof de français, Samuel Piquet propose la plupart du temps une étymologie soignée qui permet de comprendre l’itinéraire de l’expression avant que n’arrive la catastrophe. Bien sûr, on pourrait hausser les épaules, éviter certains mots, ne pas s’intéresser à eux. Mais le vieil Hugo des Misérables nous revient à l’esprit : « Maintenant, depuis quand l’horreur exclut-elle l’étude? depuis quand la maladie chasse-t-elle le médecin? Se figure-t-on un naturaliste qui refuserait d’étudier la vipère, la chauve-souris, le scorpion, la scolopendre, la tarentule, et qui les rejetterait dans leurs ténèbres en disant: Oh! que c’est laid! Le penseur qui se détournerait de l’argot ressemblerait à un chirurgien qui se détournerait d’un ulcère ou d’une verrue. Ce serait un philologue hésitant à examiner un fait de la langue, un philosophe hésitant à scruter un fait de l’humanité. Car, il faut bien le dire à ceux qui l’ignorent, l’argot est tout ensemble un phénomène littéraire et un résultat social. Qu’est-ce que l’argot proprement dit? L’argot est la langue de la misère. »

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Langue de la misère ? De la misère lexicale. Car, comme les mauvaises herbes, chacun de ces mots en tue cinq ou dix dans son proche voisinage. On peut lire le dictionnaire de Samuel Piquet comme une succession de prétextes pour faire un bon mot sur notre époque. Ou pour la joie de voir des chanteurs contemporains se faire mettre quelques tacles. Attention quand même, car si le livre est réédité dans vingt ans, peut-être qu’un enseignant-chercheur sera nécessaire pour préciser en notes de bas de page qui pouvaient bien être Vianney et Pierre de Maere… Après tout, les époques précédentes avaient déjà leur dose de ridicule et René Etiemble, dans Parlez-vous franglais ? (1964), se moquait déjà des jeunes snobs qui se répondaient « Ready ? – Go ! » en jouant au tennis. La volonté de distinction sociale en utilisant des expressions incompréhensibles aux oreilles de sa propre grand-mère est toujours là, et le passe sanitaire, pas assez crédible car trop français, a perdu son premier « e » au plus fort en cours de route. Il n’y a que les évêques de Vatican II pour ne pas avoir compris que la messe avait perdu toute sa magie hermétique en se passant du latin.

Et, du coup, comment on fait ?

Quand on lit bien le dictionnaire, on s’aperçoit toutefois qu’il y a un fil conducteur au-delà de la succession alphabétique d’entrées. Une morale accompagne l’émergence de ces mots. Il n’y a qu’à voir le destin du mot « problématique » : « le nom commun nous ramène quelques années en arrière à l’exercice de la dissertation et sa problématique, préalable au débat dialectique ». Peu à peu, il est devenu un adjectif qui englobe toutes les choses qui posent problème, de la présence de Johnny Depp dans Jeanne du Barry au titre Les dix petits Nègres. L’apparition de ce nouveau sens va de pair avec un désir d’annuler, d’effacer. Le symptomatique « inapproprié », qui a son entrée aussi, nous envoie dans l’ambiance engageante d’une république calviniste de stricte observance.

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C’est aussi une chronologie que propose l’auteur : il montre comment ces mots entrent dans l’entreprise puis s’immiscent dans le jargon politique (c’est le cas de « coconstruire » ou de « proactif »), peut-être par l’entremise de personnalités qui ont beaucoup apporté à la sérénité de la vie politique comme Agnès Pannier-Runacher ou Virginie Calmels. C’est enfin le reflet d’une économie qui ne produit plus de biens réels et qui surexploite un imaginaire de l’action, du concret pour justifier sa propre existence. Jadis, on portait des planches de bois ; aujourd’hui, on porte « des projets, des propositions de loi, une vision de la liberté, des valeurs » ! Parfois, certains mots ont été rongés jusqu’à l’os par le jargon managérial, au point que leur usage devient suspect voire odieux : c’est le triste sort du mot « bienveillance », qui partait au départ d’un bon sentiment, et qui a fini par devenir son propre antonyme, à tel point que certains formateurs en communication s’interdisent désormais de l’employer.

Alors bien sûr, l’auteur aurait pu aussi s’intéresser à l’insupportable checker. Quand un collaborateur se vante pour la vingtième fois dans la semaine d’avoir checké ses mails, au détriment de « consulter » ou de « lire », il ne fait jamais autre chose que notre vieux pépé qui, à 11 heures 50, délaissait les choux et carottes du jardin et atteignait sa boîte aux lettres, pantoufles vissées aux pieds. Il y a aussi touchy (sensible, délicat). Dans un monde de l’entreprise qui met en avant le courage, l’audace, il faut voir la tête circonspecte d’Aurélie quand elle annonce qu’elle va faire un truc touchy. « Si je rappelle la cliente aujourd’hui, c’est touchy ». Finalement, ces mots sans sens accompagnent des activités, des métiers, des postures sans sens ; une époque qui manque de souffle et qui est obligée d’en faire des tonnes sur ces contenus inspirants et décalés. C’est peut-être Alcide dessine qui résumait le mieux cette ambiance dans une de ses vignettes :

Rugby: à un point du rêve…

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Le XV de France s’est incliné hier face à l’Afrique du Sud, et la France est éliminée du mondial organisé sur son sol. La fête est finie… Mais le pays n’avait déjà plus la tête à ça, ayant des problèmes plus graves à régler.


29 à 28. Il n’est pas possible de laisser de côté la défaite de l’équipe de France face à l’Afrique du Sud. Pour un malheureux, un terrible petit point. Je n’ai pas envie, avec l’irresponsabilité que vous donne le droit d’être un amateur, un sportif en chambre, de cibler les raisons du fiasco de la veille, dans la tranquillité si déçue du lendemain. D’abord, se garder de toute volte, de tout changement d’humeur et d’admiration. Il serait malséant de cracher sur ce qu’on a adoré et qui demeure louable. Cette belle équipe de France et ce magnifique monde du rugby demeureront dans notre cœur. Il existe un futur pour eux. Et pour tous les passionnés que nous sommes. Certes, on peut se faire mal en évoquant le jeu légèrement en dessous, malgré l’exceptionnel Antoine Dupont, de quelques-uns des talents emblématiques de cette équipe : Damian Penaud, Matthieu Jalibert, Thomas Ramos notamment. On a le droit de s’étonner de ces trois essais en première mi-temps sur des balles hautes tactiques de l’adversaire, mal gérées par la France sans doute à cause d’un stress qui a réduit l’habileté habituelle de nos receveurs. Il est évident que les Boks ont remarquablement préparé ce match dans les moindres détails. Sans avoir jamais sous-estimé la France et en imposant à celle-ci un redoutable défi physique.

Les trois essais que notre équipe a réussi à marquer en riposte immédiate, également en première mi-temps, ont montré à quel point nous n’étions pas débordés, dépassés mais à la hauteur : l’Afrique du Sud n’avait jamais encaissé trois essais en si peu de temps. Comment aussi ne pas songer à cette déprimante ironie du sport, à cette imprévisibilité exaspérante lors des matchs qui sont perdus d’un rien, de justesse, j’allais écrire : de justice ? Quand Ramos s’apprête à transformer un essai, le trois-quarts sud-africain Cheslin Kolbe s’avance pour contrer son tir, il en a le droit mais sans doute est-il parti trop tôt, ce qui aurait dû le faire sanctionner. Quand une pénalité de l’irréprochable buteur qu’est Ramos touche la barre, trois points de gâchés, cinq si on ajoute l’épisode précédent, le score en aurait été évidemment modifié, et la victoire de la France assurée.

Le capitaine de l’équipe de France Antoine Dupont a délicatement mis en cause l’arbitrage et on peut d’autant plus faire fond sur sa critique qu’il a toujours été exemplaire sur le terrain et n’a jamais adopté le registre de la revendication permanente. Toujours est-il que, le 16 octobre, la fête est finie. Parce que nous étions à un point du rêve et que le destin ne nous a pas choisis. Qu’importe, l’avenir est ouvert.

Éducation: «Je propose d’essayer la liberté, juste pour voir»

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Lisa Kamen-Hersig © Hannah Assouline

Au rayon des livres de profs bougons, La Grande Garderie (Albin Michel), le nouvel essai de Lisa Kamen-Hirsig détonne par ses prises de position libérales. Elle déplore des programmes empreints de sociologisme, d’écologisme et de féminisme. Elle observe que, plus l’école est égalitariste, plus elle est inégalitaire.


Malgré une fausse légende, les enseignants affolés par la baisse du niveau ne sont pas si rares en France. Anciens chevènementistes pour la plupart, associant l’autorité du maître à celle de l’État, ils rêvent le plus souvent d’un ministre à l’ancienne, qui aurait enfin de la poigne. Lisa Kamen-Hirsig, elle, prône au contraire une sortie de crise par le bas. Dans La Grande Garderie (Albin Michel) elle plaide pour la déculpabilisation de l’école privée et la décentralisation de l’Éducation nationale. Rencontre avec une militante de ce que l’on appelait il y a encore quarante ans l’« école libre ».

La Grande Garderie

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Causeur. Les rayons des librairies abritent un nouveau genre en soi : les livres sur l’effondrement de l’Éducation nationale. En quoi le vôtre se distingue-t-il ?

Lisa Kamen-Hirsig. Peu de ces ouvrages sont écrits par des professeurs d’école primaire. Il y a l’excellent Journal d’une institutrice clandestine de Rachel Boutonnet, mais il a déjà vingt-cinq ans. Par ailleurs, j’ai écrit cet essai pour défendre la liberté scolaire, ce que ne font pas la plupart de mes collègues très attachés à leur statut. En quoi, contrairement à ce que prétend Emmanuel Macron, l’école relèverait-elle du domaine régalien ? Pourquoi l’État exerce-t-il un monopole sur l’éducation des petits Français ? Par des anecdotes et des exemples tirés de ma pratique, j’essaie de montrer que la liberté est la meilleure solution à la crise que traverse notre système scolaire.

Vous montrez une école républicaine imprégnée de sociologisme, repentante sur tout sauf peut-être sur les crimes de la Révolution. Peut-on vraiment lui en vouloir d’être mal à l’aise avec les turpitudes historiques qui ont en fin de compte rendu possible son existence ?

Je n’en veux à personne : je déplore qu’on informe à moitié et que, ce faisant, on oublie des événements, des courants de pensée, des idéologies qui portaient en germe les déviances gauchistes d’aujourd’hui, en particulier cette idée qu’on ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs, si j’ose dire, ou plus classiquement qu’il n’est pas bien grave de détruire ou de tuer si c’est dans le but d’instaurer le « bien commun ». Les révolutionnaires prétendent toujours faire le bien des gens même contre leur gré. Il faut le dire aux enfants. La révolution porte en elle la violence, la haine et l’outrance, même lorsqu’elle part d’une révolte légitime et d’une bonne intention.

Vous évoquez plusieurs lubies asphyxiantes dans les programmes et les instructions officielles : le féminisme, l’écologisme, la religion numérique. Il est vrai qu’en fréquentant l’institut de formation des maîtres, il y a déjà bien longtemps, j’en étais venu à me demander si les formateurs n’étaient pas directement rétribués par Apple et Microsoft pour faire la promotion du tout-numérique auprès des futurs profs. Cependant, le numérique dans les classes n’est-il pas un moyen de donner accès aux milieux défavorisés à l’informatique ?

Les milieux dits modestes revendiquent à juste titre le droit de recevoir une éducation de qualité. Les « compétences numériques » qu’on leur inculque aujourd’hui seront très vite périmées alors que la culture classique, par essence, est beaucoup plus pérenne. La Ville de Cannes a mis en place des cours de grec et latin en périscolaire, pour les tout-petits et les écoliers du primaire : ces cours ont un succès fou, et surtout dans les milieux populaires. Ce que l’école ne donne pas, les parents des milieux aisés et ceux qui ont le temps le donnent à la maison et c’est ainsi que les inégalités s’amplifient. Le temps scolaire est limité : chaque minute d’informatique n’est pas une minute consacrée à étudier sa langue ou les mathématiques. Par ailleurs, c’est mentir aux enfants que de leur laisser croire que tout est sur internet : ils pensent ensuite que la mémorisation n’est pas nécessaire, alors qu’on sait qu’elle structure et développe les capacités cérébrales. La France a cédé à la fièvre numérique dans les années 2010. Elle a suivi la mode. Aujourd’hui, de nombreux pays retirent ces équipements des écoles et on sait qu’ils n’ont jamais été utilisés dans les établissements de la Silicon Valley où leurs inventeurs scolarisent leur progéniture. Ouvrons les yeux : le numérique est loin d’être un remède miracle. À la rigueur, s’il y a une compétence numérique à enseigner, c’est le codage, mais ce n’est pas cela que prévoient les programmes…

Vous évoquez des classes qui se griment une année entière aux couleurs de l’univers d’Harry Potter. On peut en effet se demander s’il n’est pas possible de puiser dans d’autres sources, plus classiques, de la littérature française et européenne, et si, au bout d’un an, les élèves ne peuvent pas se lasser de ces histoires de potion magique à la bave de crapaud. N’est-ce pas dû aussi au rétrécissement des références des nouvelles générations d’enseignants ?

Si bien sûr: la rééducation nationale est déjà ancienne, elle date des années 1960-1970. Le recrutement des profs s’est démocratisé en même temps que la massification de l’éducation. On donne le concours à des adultes qui parfois maîtrisent très approximativement les savoirs qu’ils sont supposés enseigner, d’autant que les formations sont essentiellement consacrées à la pédagogie et non à la maîtrise des disciplines et de leurs didactiques propres. Dans un article paru sur le site de L’Étudiant en 2022, Arnaud Dubois, co-responsable du parcours de préparation au concours de professeur des écoles à l’université de Rouen confiait : « Nous n’avons pas choisi les élèves avec les meilleures notes, car ils auront une place ailleurs. » C’est donc un parti pris : vos enfants ne méritent pas les meilleurs. Une fois de plus, tout le système est orienté vers la correction de supposées injustices : les élèves moyens ont le droit d’enseigner euxaussi, il ne faut pas les discriminer. Tant pis si les résultats sont catastrophiques.

L’école privée catholique Saint-Vincent-de-Paul, à Nice, 11 septembre 2023 : le port de l’uniforme est imposé aux élèves de la maternelle à la primaire. Photo: SYSPEO/SIPA

Vous dépeignez un système beaucoup moins inquiet d’inculquer des connaissances que de lutter contre les inégalités et de pousser les têtes blondes à s’engager pour une cause. L’école de la République, qui a lutté un bon siècle contre les bondieuseries, est-elle désormais tout acquise aux bourdieuseries ?

Oui, elle est la proie d’une sorte de bigoterie républicaine : l’égalitarisme, l’écologisme, le féminisme, le culte de la laïcité y règnent sans partage. Mais cela ne date pas de Bourdieu, la IIIe République rêvait déjà de fabriquer des petits républicains, donc de gommer les différences, les particularismes, d’uniformiser la pensée. Ferdinand Buisson, fameux pédagogue du xixe siècle, dont la double ambition était de retirer à l’Église tout rôle dans l’école tout en instaurant une religion de l’humanité, un catéchisme républicain, est encore la référence de nos hommes politiques : Emmanuel Macron le cite régulièrement.

Chez Frédéric Taddeï, le 3 septembre, sur CNews, Jean-Paul Brighelli (qui sévit également dans nos colonnes) a déclaré : « Si l’école est si inégalitaire, c’est parce qu’on l’a voulue ainsi. C’est le protocole de Lisbonne, en 1999-2000, ils ont voulu qu’il y ait 10 % d’élèves qui remplacent les cadres actuels et qui sont en général d’ailleurs les enfants des cadres actuels (on est dans la reproduction bourdieusienne au carré) ; et 90 % d’élèves auxquels on donnera le minimum nécessaire pour commander des pizzas sur Uber Eats. » Partageriez-vous ce point de vue angoissant ?

Qui est ce « ils » ? Des ministres à la solde du grand capital ? Au contraire, l’école française n’a rien de libéral : elle fait l’apologie du métier de fonctionnaire, de la centralisation et se méfie de l’entreprise – combien de professeurs connaissent vraiment le monde de l’entreprise ? L’enseignement de l’économie est très orienté : il suffit de feuilleter quelques manuels pour voir à quel point on rabâche les mêmes vieilles antiennes : le capitalisme et le risque sont diabolisés, la vie y est présentée comme une lutte sans merci entre dominants prêts à tout pour maintenir leur position et dominés évincés du jeu dès la naissance, la mondialisation serait nocive par nature. Dans les années 2000, plusieurs rapports parlementaires ont relevé cette lecture marxiste de l’économie, mais rien n’a vraiment changé.

Nous vivons dans une société de consommation et nous devrions nous en féliciter : les biens sont disponibles en grand nombre, nous ne mourons plus de faim et Jean-Paul Brighelli vend ses livres comme des petits pains. Cette idée que les libéraux complotent pour rendre les élèves idiots et en faire des consommateurs disciplinés relève de la paranoïa : le libéralisme prône la liberté, la responsabilité des individus et non leur asservissement à quelque force ou idéologie que ce soit. Jean-Paul Brighelli est jacobin et pense que l’État doit reprendre en main l’école pour revoir les programmes et les recentrer sur les fondamentaux. Mais l’État ne cesse de clamer qu’il va le faire ! Emmanuel Macron a même déclaré que l’éducation relevait du domaine présidentiel(et qu’on allait voir c’qu’on allait voir !) Pour l’instant, c’est un échec. Je propose d’essayer la liberté, juste pour voir. Et celle-ci ne peut être effective que si l’on rend le choix financier aux parents de scolariser leurs enfants où ils le souhaitent, dans le public ou dans le privé.

À ce sujet, vous citez ce directeur d’école, en Picardie, qui a récupéré un vieux château en ruineet des élèves en perdition, pour créer un établissement hors contrat et en dehors de la matrice officielle. Quand on parle d’école hors contrat, on pense secte. Comment s’assurer que cette solution n’est pas un coup de pouce fait à tous les fondamentalistes ?

Il existe des moyens de contrôler ces écoles et leur respect de la sécurité et de l’ordre publics : nous avons des cohortes d’inspecteurs qui perdent parfois leur temps à vérifier que les enseignants utilisent bien leur tableau numérique interactif : ils pourraient tout à fait contrôler l’absence de discours tendancieux – je pense évidemment à l’islamisme radical – en même temps que le respect des objectifs à atteindre. Le lycée Averroès, grand lycée musulman du nord de la France, a été épinglé pour sa gestion par la Cour des comptes, ainsi que pour prosélytisme. Pourtant c’est un lycée sous contrat avec l’État. Il n’accepte de scolariser que des musulmans. Xavier Bertrand a voulu lui retirer les subventions de la région, mais il a été condamné par la justice à les verser malgré tout. Que l’État balaie devant sa porte.

Vous écrivez (à propos de l’écologie) : « Impossible d’y échapper sauf si par bonheur le ministère est confié à quelqu’un de compétent. » On se demande si ces lignes ont été écrites avant ou après juillet dernier. Gabriel Attal ne vous a-t-il pas agréablement surpris ? On revient de loin, vous ne trouvez pas ?

Je ne peux présager de rien. Gabriel Attal a fait l’unanimité en interdisant l’abaya et en évoquant l’uniforme. Je ne l’ai pas encore entendu s’exprimer sur la « verdisation » des savoirs, selon l’expression d’Élisabeth Borne, qui souhaite instaurer un brevet d’écologie en fin de troisième. Ira-t-il contre sa Première ministre ? Osera-t-il revenir sur le lyssenkisme qui a saisi l’école depuis une vingtaine d’années ? Je le souhaite évidemment, mais je ne vois aucun signe en ce sens pour le moment.

Des artistes trop occupés?

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Des soldats allemands assistent à un spectacle en plein air à Paris sous l'Occupation, années 40 © LIDO/SIPA

Décrié pour son silence assourdissant depuis les atrocités commises par le Hamas, le monde du spectacle n’a jamais brillé par son courage et sa lucidité.


Ils sont pourtant si prompts à s’indigner d’habitude. Hormis quelques personnalités, juives pour l’essentiel, les artistes en tout genre ne sont pas sortis du bois depuis que l’horreur absolue a frappé Israël, le 7 octobre dernier. Il est vrai que pétitionner à tire-larigot pour combattre « l’extrême droite » et « les violences policières » ou chasser en meute contre Roman Polanski sur la scène des César tout en célébrant l’irréprochable Ladj Ly exige autrement plus d’audace. Ce n’est pas nouveau.

Au début des années 1940 déjà, la plupart de nos grandes vedettes du music-hall et du cinéma (mais aussi beaucoup de nos écrivains, de nos peintres, etc.) ne se distinguent pas vraiment par leur courage et leur lucidité.

Si Jean Gabin, Joséphine Baker et une poignée d’autres sauvent l’honneur, nombreux, très nombreux sont ceux qui se compromettent, à des degrés divers, avec l’occupant nazi.

Tout sourire (chevalin), le grand Fernandel serre à Berlin la poigne de Joseph Goebbels, le ministre de la Propagande du Reich. À sa décharge, nous sommes en juillet 1939 et la guerre n’a pas encore commencé. Mais bon, quand même. Sous l’Occupation, Don Camillo déjeune au cercle allemand et roucoule sur les ondes de Radio-Paris, la radio qui ment et qui est allemande. Stipendié par la Continental-Films, la société de production financée par les Nazis, il tourne d’innombrables navets. Une manière comme une autre de saboter la propagande allemande.

Tino Rossi lui aussi pousse la chansonnette sur Radio-Paris et se fait grassement payer par Alfred Greven, le patron de la Continental, pour tourner dans ses films. Le « roi des chanteurs de charme » honore de sa présence de nombreux galas parisiens, dont celui organisé au théâtre de l’Empire en faveur de la Légion des volontaires français contre le bolchevisme (LVF), qui combat sous l’uniforme de la Wehrmacht sur le front russe. Le bellâtre aime aussi qu’on lui fasse Tchi tchi ou Catari, Catari1 au One-Two-Two, le plus illustre bordel de la capitale, où il se rend régulièrement. Souvent accompagné d’un ami de la Gestapo…

Maurice Chevalier mobilise à sa façon nos troupes durant la « Drôle de guerre » en chantonnant Ça fait d’excellents Français, qui badine sur une armée française composée de souffreteux2 pas vraiment pressés d’en découdre3. Paris outragé, Paris brisé, Paris martyrisé et Paris occupé, le Gavroche de Ménilmontant anime des émissions sur Radio-Paris, tient le haut de l’affiche au Casino de Paris devant un parterre d’officiers allemands et inaugure à Monaco Radio Monte-Carlo, « au service de l’Europe nouvelle ». Ce n’est pas du goût de Pierre Dac, qui l’intègre dans sa liste de « mauvais français » sur Radio-Londres, ni de Joséphine Baker. La célèbre danseuse, qui a rallié le général de Gaulle en Afrique du Nord, accuse en mai 1944 Maurice Chevalier de « dissimuler derrière son fameux sourire un collaborationniste nazi ». Au même moment, un tribunal spécial se réunit à Alger et le condamne à mort par contumace.

Son ancien amour, Mistinguett, continue quant à elle d’agiter ses fameuses gambettes de sexagénaire au Casino de Paris. Tous les soirs, elle emprunte l’entrée des artistes surmontée d’un panneau indiquant : « Interdit aux chiens et aux Juifs ». L’Occupation est joyeuse pour la meneuse de revue, qui n’a pas besoin de faire la queue pour obtenir un morceau de beurre. On la voit régulièrement chez Maxim’s ou chez Carrère, le dîner-spectacle le plus select de Paris, où l’on entend rire grassement les officiers de la Wehrmacht. Elle participe parfois aux folles soirées du One-Two-Two, où elle croise Tino (Rossi) et Momo (Chevalier), mais aussi les sinistres Bonny et Lafont et la pas très fine fleur de la Gestapo locale. Le champagne y coule à flot à l’heure du rationnement. Elle est l’une des vedettes du gala de L’Union des artistes, organisé au Lido en juillet 1942 et présidé par Sacha Guitry. On n’est pas là pour y entonner le chant des partisans.

Sacha Guitry, lui, ne fait pas de politique. Ce n’est pas son truc. Ses pièces de théâtre rencontrent un grand succès à Paris, mais aussi à Vichy, où il fait jouer trois représentations de Vive l’Empereur devant les membres du gouvernement et Philippe Pétain en personne, qui monte sur scène féliciter les artistes. Le vainqueur de Verdun reçoit en audience privée le cinéaste-acteur-dramaturge qui, de son côté, reçoit régulièrement les officiers allemands dans sa loge, ou même à son domicile. Sur son bureau, une photo dédicacée de Benito Mussolini figure en bonne place, entre le portrait de son père Lucien et celui de Claude Monet. « Monsieur Môa » a même l’honneur de rencontrer personnellement un autre maréchal, Hermann Göring. « Il m’a fait chercher chez moi par des officiers SS qui m’ont sommé de les suivre. Ce n’était pas une invitation, c’était un ordre ! », se défendra-t-il à la Libération.

Arletty prend du bon temps depuis mars 1941 avec Hans Jürgen Soehring, un jeune officier de la Lutwaffe membre du parti national-socialiste que lui a présenté la fille de Pierre Laval. Après tout, si son cœur est français, son cul n’est-il pas international ? Par l’entremise de son Hans, la vedette des Visiteurs du Soir sert (elle aussi) la main d’Hermann Göring, de passage dans la capitale, et fréquente les salons de l’ambassade allemande. Elle se pavane aux bras de son amant dans les meilleurs restaurants de Paris, sur les champs de course ou à l’opéra. À ses copines actrices Mireille Balin et Michèle Alfa, qui partagent leur couche avec un officier de la Wehrmacht, notre gueule d’atmosphère glisse en souriant : « On devrait former un syndicat ! »

« Mais comment aurais-je mon opium ? », s’inquiète Jean Cocteau lorsque la France et l’Angleterre déclarent la guerre à l’Allemagne en septembre 1939. L’auteur des Enfants terribles a du mal à résister à l’emprise de cet opiacé. Il a du mal à résister tout court. Le drapeau nazi flottant en haut de la Tour Eiffel, il griffonne de nombreux articles pour la presse collaborationniste, à commencer par le si bien nommé La Gerbe. « L’honneur de la France sera peut-être, un jour, d’avoir refusé de se battre », gribouille-t-il dans son Journal en mai 1942. Et lorsque la censure allemande s’intéresse d’un peu trop près à son Renaud et Armide, qu’il vient de boucler pour la Comédie-Française, il écrit aussitôt à Pétain : « C’est à vous, Monsieur le maréchal, que je m’adresse parce que je vous vénère et vous aime. » La pièce est jouée. Cocteau publie des poèmes dans la langue de Goethe, fréquente régulièrement l’ambassade d’Allemagne à Paris et se lie d’amitié avec la femme de l’ambassadeur Otto Abetz ; il dîne chez Maxim’s avec Albert Speer, l’architecte et ministre de l’Armement d’Hitler ; il se fait photographier aux côtés de Zarah Leander, la star suédoise du cinéma nazi en tournée à Paris… Il ouvre les portes de son appartement à Arno Breker. Le sculpteur officiel du Troisième Reich et ami personnel du Führer expose à Paris ses « kolossales » statues d’athlètes aryens. L’écrivain et réalisateur se sent obligé de publier dans le journal Comoedia un dithyrambique « Salut à Breker ». Un soir, Jean Marais retrouve son amant dévasté : celui-ci vient d’être traité de collabo par Radio-Londres…

Charles Trenet compose en 1942 La Marche des jeunes, un hymne pétainiste qui figure sur la face B d’un autre célèbre chant de l’époque : Maréchal nous voilà. L’artiste chevrote sur Radio-Paris et à l’ambassade d’Allemagne, participe à des galas devant les galonnés de l’armée allemande et s’offre une tournée d’un mois et demi au cœur du Troisième Reich, histoire notamment de remonter le moral des prisonniers de guerre français et des travailleurs du STO. À cette occasion, il rencontre même Hitler en personne à Berlin. « Seulement deux minutes », plaidera le « Fou chantant » après la guerre.

Édith Piaf occupe le troisième étage d’une luxueuse maison close (L’Étoile de Kléber) située à deux pas du siège de la Gestapo, rue Lauriston. Elle y sympathise avec l’amant d’une de ses amies, Henri Lafont, chef de la Gestapo française. Elle chante à l’ambassade d’Allemagne et fait même entendre sa voix à Berlin, où elle prend la pose devant la porte de Brandebourg en août 1943. La Môme prévoit de rencontrer Goebbels qui l’admire, mais le ministre de la Propagande du Reich est convoqué à une réunion de crise par le Führer et doit annuler au dernier moment leur rendez-vous. En février 1944, elle repart en tournée au cœur de l’Allemagne nazie pour « promouvoir la chanson française ». Elle ne regrettera rien. Non, rien de rien.

Marcel Pagnol refuse de travailler avec Alfred Greven et la Continental mais accepte de devenir  commissaire au Comité d’organisation de l’industrie cinématographie (COIC), un organisme de censure du régime de Vichy. Ledit Comité interdit aux Juifs de travailler au théâtre, au cinéma ou dans des spectacles quelconques. À la demande du Secrétariat général à l’Information et à la Propagande, l’auteur du Schpountz produit fin 1941 le documentaire Français, vous avez la mémoire courte !, qui fait l’éloge du maréchal Pétain et fustige le communisme. En août 1942, ses petites compromissions lui valent de figurer avec (entre autres) Pierre Laval, Jacques Doriot et Marcel Déat dans une liste noire établie par la Résistance et publiée dans le magazine américain Life, laquelle énumère les Français qui méritent soit d’être « jugés après la libération de la France » soit d’être « abattus ».

Les Frères Lumière l’éteignent définitivement pendant les années sombres. Après s’être rangés officiellement derrière Pétain et Laval, Auguste et Louis intègrent le comité d’honneur de la LVF et sont décorés de la Francisque. Le second va même jusqu’à prêter son nom à la Milice du Var, où il réside. Filmé par la propagande allemande, Albert Préjean prend en mars 1942 le train de la honte pour Berlin en compagnie des actrices Suzy Delair, Junie Astor, Danielle Darrieux et Viviane Romance. Les vedettes du cinéma français sont choyées en Allemagne pendant douze jours, la visite se concluant par une réception dans les appartements privés des Goebbels. Martine Carole, qui n’est pas encore Caroline Chérie, montre sa bobine dans un court-métrage diffusé lors de l’exposition antisémite du Palais-Berlitz. Pierre Fresnay joue, sans sa Francisque, dans cinq films de la Continental. Il préside le très maréchaliste syndicat des acteurs et exerce des fonctions au sein du Comité d’organisation de l’industrie cinématographique. Gaby Morlay fait pleurnicher la France entière avec son rôle de gouvernante miséreuse dans Le Voile Bleu, l’un des plus grands succès du cinéma sous l’Occupation. Hors plateau, elle devient la maîtresse de Max Bonnafous, le nouveau secrétaire d’État à l’Agriculture et au Ravitaillement de Vichy, qui vient de rentrer de Constantine où en tant que préfet il a appliqué avec zèle toutes les mesures antisémites.

Après s’être affichée tout sourire aux côtés de Fernandel avec Goebbels, Elvire Popesco s’affiche dans des productions allemandes jusqu’en 1942 et apprécie elle aussi l’intimité confortable des salons de l’ambassade d’Allemagne à Paris. L’immense Michel Simon fait profiter l’Italie fasciste de son talent d’acteur en y tournant plusieurs films entre 1939 et 1942, avant de jouer dans Au Bonheur des dames, le film d’André Cayatte produit par la Continental. En 1944, il monte sur les planches pour une pièce (Le Portier du paradis) d’un auteur pro-nazi au nom prédestiné, Eugène Gerber. Raymond Souplex, le futur commissaire Bourrel des Cinq Dernières minutes, tonne sur Radio-Paris et pose à Berlin en août 1943 devant la porte de Brandebourg en compagnie d’Édith Piaf, Albert Préjean et Viviane Romance. Cécile Sorel, de la Comédie française, écrit en allemand à la Kommandantur pour se faire attribuer un appartement quai d’Orsay, dont le propriétaire juif a fui la capitale. Charles Vanel travaille lui aussi beaucoup sous l’Occupation et est l’un des acteurs favoris de Pétain, qui l’honore d’une Francisque. Dix ans après la guerre, il incarnera un ancien chef de la Résistance dans La Main au Collet, d’Alfred Hitchcock. Sans doute l’un de ses meilleurs rôles de composition.

Henry-Georges Clouzot tourne L’Assassin habite au 21 et Le Corbeau pour la Continental de son ami allemand Alfred Greven. « Dans le national-socialisme, il y a quelque chose qui me touche, je ne dis pas le contraire… dans le côté social », confesse au passage le cinéaste4. Maurice Tourneur, qui porte également très bien son nom, est le réalisateur le plus prolifique (cinq long-métrages) de la société de production de la Propagandastaffel. Il sort sur grand écran Volpone, le fourbe Vénitien ayant pour l’occasion les traits d’un Juif. Henri Decoin collabore à trois reprises avec la Continental et réalise en 1942 Les Inconnus dans la maison, l’un des personnages du film accusé de meurtre, joué par Marcel Mouloudji, s’appelant Ephraïm… Un an plus tôt, Abel Gance tient à organiser l’avant-première de Vénus Aveugle à Vichy en présence de madame la maréchale. Pour l’occasion, le futur César d’honneur (en 1981) intègre au générique une petite dédicace : « C’est à la France de demain que je voudrais dédier ce film, mais puisqu’elle est incarnée en vous, Monsieur le Maréchal, permettez que très humblement je vous le dédie. » Neuf minutes plus tard, le film montre un mendiant aveugle qui reprend tous les stéréotypes du Juif à l’époque.

Marcel Carné met dans la boîte Les Visiteurs du soir et Les Enfants du paradis, qui est financé en partie par des capitaux de l’Italie fasciste. Le célèbre réalisateur profite de ces temps troubles pour s’épancher dans la presse collaborationniste et s’indigne de rencontrer sur la Côte d’Azur « des vieux messieurs en  »er » et en  »itch », qui hier vivaient honteusement de toi, et qui, aujourd’hui, parlent d’aller te relancer jusqu’en Amérique et voudraient bien qu’on les y suivit »5. Il n’est pas le seul à se lâcher dans les journaux vichystes ou pro-nazis. Marcel Lherbier, l’un des maîtres du muet, pointe du doigt un cinéma français décadent, victime selon lui des Américains et des Juifs. Le jeune Michel Audiard tartine sur les « youtres », les « faisans juifs » et la « conjuration des synagogues »6, tandis que Jean Renoir dégoise sur tous ces producteurs « en “ich”  ou en “zy” » et contre « le précédent gouvernement qui préférait laisser le financement (des films) à des producteurs en majorité étrangers et israélites »7. Après avoir proposé en vain ses services à Vichy et à la Continental, il s’embarque pour Hollywood. Le réalisateur de La Grande Illusion prétendra par la suite avoir fui la France pour ne pas cautionner l’Occupation allemande. « Renoir, comme metteur en scène : un génie. Comme homme : une pute », résumera à sa manière Jean Gabin.

La liste est loin d’être exhaustive. Beaucoup d’artistes seront inquiétés à la Libération. Après s’être terré chez des amis en Dordogne pendant plusieurs semaines, Maurice Chevalier est à deux doigts d’être zigouillé par des maquisards (les journaux annoncent même par erreur son exécution), tandis que Tino Rossi, Pierre Fresnay et Sacha Guitry croupissent plusieurs semaines en prison. Bref, ne soyons pas trop exigeants envers nos saltimbanques. Ceux d’hier, comme ceux d’aujourd’hui.


1/ Le titre de deux des plus gros succès de Tino Rossi.

2/ « Le colonel avait de l’albumine / le commandant souffrait du gros colon / le capitaine avait bien mauvaise mine / et le lieutenant avait des ganglions. / Le juteux avait des coliques néphrétiques / le sergent avait le pylore atrophié / le caporal un coryza chronique / et l’deuxième class’ des corps au pieds… »

3/ « Les v’là tous d’accord / quel que soit leur sort / ils désirent tous désormais / qu’on nous foute une bonne fois la paix ! »

4/ Cité par Pierre Darmon dans Le monde du cinéma sous l’Occupation.

5/ Dans Aujourd’hui, le 30 septembre 1940

6/ Notamment dans la revue L’Appel de l’antisémite Robert Courtine, ainsi que dans L’Union française, un journal d’extrême droite (la vraie) qui promeut « une nouvelle France dans la nouvelle Europe ».

7/ Dans Le Renouveau de Vichy du 21 septembre 1940.

Islamisme: «tous responsables», vraiment?

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Le président du Sénat Gérard Larcher sur Europe 1, 11 octobre 2023 D.R.

Après l’attentat terrible d’Arras, c’est la petite musique du moment. Face à la montée du communautarisme et de l’islamisme, nous Français aurions tous collectivement été faibles. Et les lanceurs d’alerte traités de fachos ou d’ «islamophobes» pendant des années, alors? Ceux qui ont trahi la France doivent rendre des comptes, estime Ivan Rioufol.


Devant les désastres accumulés, les « élites » se débinent. « Tous, collectivement, nous avons été faibles », a déclaré Gérard Larcher, le président du Sénat, mercredi 11 octobre sur Europe 1 en commentant les manifestations pro-Hamas en France. Ce lundi, sur RTL, François Hollande a évoqué semblablement une « responsabilité collective » après l’égorgement par un ancien élève fiché S, vendredi dans un lycée d’Arras (Pas-de-Calais), du professeur de français Dominique Bernard, spécialiste de René Char et de Julien Gracq.

Les lanceurs d’alerte ne sont pas à mettre dans le même panier !

Cet énième assassinat islamiste, qui répondait au « jour de djihad » lancé par le Hamas palestinien, s’ajoute notamment à la décapitation il y a trois ans jour pour jour du professeur Samuel Paty, abandonné à son sort par un système éducatif pusillanime et par ses propres collègues.

La France melliflue est plus vulnérable encore que la démocratie israélienne, qui se bat actuellement pour sa survie contre le fanatisme mahométan qui veut sa disparition de la carte.

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Reste que ceux qui ont saccagé la nation française depuis trente ans ne peuvent se dissimuler derrière une faute qui serait partagée par tous. Ceci est faux. Nombreux ont été les lanceurs d’alerte, auxquels je me flatte d’appartenir, qui ont annoncé ce qui allait advenir. Rien n’est moins surprenant que la survenue d’un islam enragé qui sème la terreur dans les démocraties affaiblies. Les traîtres[1] sont ceux qui, jusqu’au sommet de l’État, ont conduit la France, ouverte à ses ennemis, à ne plus maitriser ni appliquer ses lois tant elle doute d’elle-même et se méprise. Ses fossoyeurs sont des Français qui portent des prénoms français.

La nature a horreur du vide

Les Français français ne se reconnaissent pas dans la couardise de leurs représentants couleur muraille. La colère populaire, qui envahit toute la société selon la dernière étude des Fractures françaises (Le Monde, 10 octobre) vient rappeler que le sentiment national est encore très largement partagé. Trois quarts des sondés disent, surtout chez les moins de 35 ans, s’inspirer de plus en plus des « valeurs du passé » et pensent que « c’était mieux avant ». 

À lire aussi, Elisabeth Lévy: Arras: le combat des Lumières

Le « progressisme » s’effondre pour n’avoir rien compris des aspirations existentielles des gens ordinaires et pour avoir fermé les yeux sur le nouveau totalitarisme djihadiste et antijuif. Ce qu’il reste de gauche réaliste vient parfois rejoindre les lucides sur l’évaluation du déclin national.

Cependant, ses penseurs mondains se croient obligés, pour se démarquer des parias qu’ils copient, de dénoncer chez eux une « extrême droite » fantomatique. Cette attitude idiote, reliquat d’un conformisme de salon, empêche un front uni contre un ennemi commun. Comme le rappelle ce lundi dans Le Figaro Iannis Roder, professeur d’histoire, « les islamistes veulent nous détruire et avancer un autre modèle ». Face à ce danger, l’heure n’est plus aux postures modérées : elles portent en elles d’autres capitulations et traîtrises. Les citoyens doivent demander des comptes à ceux qui les ont trahis et qui se défilent.


[1] De l’auteur : Les Traîtres, Editions Pierre Guillaume de Roux (2020). Relire ici notre recension.

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À Bruxelles, le djihadisme s’en prend à la Suède

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Un supporter du match de football suspendu entre la Belgique et la Suède attend de pouvoir sortir du stade Roi Baudouin, Bruxelles, 16 octobre 2023 © Geert Vanden Wijngaert/AP/SIPA

Lundi soir, deux ressortissants suédois ont été tués à Bruxelles dans une attaque à l’arme à feu.


L’attentat islamiste a été perpétré peu avant le match de football entre la Belgique et la Suède qui avait lieu au stade Roi-Baudouin. Les 35 000 spectateurs présents pour la rencontre et les joueurs n’ont été informés des événements qu’à la mi-temps, et ont dû attendre ensuite de longues minutes dans le stade alors que le match avait été suspendu. Le terroriste, un Tunisien, a succombé à ses blessures après son arrestation mardi, après avoir été identifié dans un café de Schaerbeek. Les autorités belges indiquent qu’il était soupçonné de faits de trafic d’êtres humains, et qu’il aurait tenté de rejoindre des zones de conflit djihadistes en 2016.

Tragique de répétition

Le djihadisme est-il de retour en Europe ? La question est ici mal formulée. Le djihadisme n’avait pas disparu, il s’était assoupi légèrement. Il vit caché dans les interstices de notre société, exploitant les moindres de nos failles, prospérant sur nos renoncements et nos systèmes démocratiques qu’il utilise contre nous. Nos faiblesses collectives sont sa force, en France comme en Belgique. Il est à craindre d’ailleurs que nous connaissions une nouvelle séquence de troubles majeurs, comme celle que nous avions vécue en 2015. Les conflits sahéliens et israélo-palestiniens ayant réanimé ce démoniaque fantôme que nous avons trop oublié.

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Hier à Bruxelles, un Tunisien clandestin nommé Abdesalem Lassoued a donc tué deux supporters suédois après avoir fait allégeance à l’État islamique. Armé d’une kalachnikov, il a échappé à la police une nuit durant à bord de son scooter qui le faisait ressembler à l’un de ces livreurs Uber qu’on croise désormais constamment dans les paysages urbains.

Il a été abattu au petit jour alors qu’il prenait tranquillement son dernier café avant de rejoindre les 72 démons qui l’attendent en enfer. Le ministre belge de la Justice, Vincent Van Quickenborne, a déclaré que le djidhadiste était connu des services de renseignement belges :

« L’individu a également été signalé une fois dans une mosquée de Bruxelles en juin 2022. Plus tôt cette année, il aurait menacé un occupant d’un centre d’asile sur les réseaux sociaux. Cette personne l’a dénoncé en ajoutant que l’intéressé avait été condamné pour terrorisme en Tunisie. Bien sûr, cette condamnation avait décidé la police judiciaire d’Anvers de convoquer une réunion de l’agence antiterroriste. (…) »

Humour belge

Connu aussi pour des faits de trafic d’êtres humains, de séjour illégal et d’atteinte à la sûreté de l’Etat, l’homme avait introduit une procédure d’asile finalement rejetée en 2020. « Il n’y avait aucune indication concrète de radicalisation », a osé le ministre de la Justice. Il a même ajouté, toute honte bue, qu’ « en juillet 2016, des informations non confirmées ont été transmises par un service de police étranger selon lesquelles l’homme avait un profil radicalisé et voulait partir vers une zone de conflit pour le jihad »… Que dire face à de tels manquements ? L’Europe est une véritable passoire, incapable d’expulser ou d’emprisonner, parce que ses lois libérales sont inadaptées à la guerre qui nous est faite sur notre sol. Dans les pays musulmans, singulièrement les monarchies, ces individus disparaissent purement et simplement sans même qu’on ait eu le temps d’apprendre leur existence ! Nous nous devons d’agir avec une extrême fermeté. Les excuses et explications donnent désormais la nausée, révélant que nos dirigeants ne savent pas nous protéger contre cette terrible menace. Bruxelles n’est plus une ville belge. Pour s’en convaincre, il suffit de visionner les vidéos montrant le terroriste agir, toutes filmées par des vidéastes amateurs ne parlant ni flamand ni français.

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L’imam Iquioussen l’a une fois admis : « Le véritable islam est en Europe ». Il voulait signifier par-là que nos régimes autorisent les Frères musulmans à faire absolument ce qu’ils veulent et à installer de véritables bastions islamistes sur nos territoires. Si nous n’agissons pas aujourd’hui, le Liban des années 1970 sera non pas notre futur lointain, mais notre présent dans très peu de temps.

Le Hamas espionne mieux que le Shin Bet

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Forces de sécurité déployées à Ashkelon, Israel, 8 octobre 2023 © SOPA Images/SIPA

Plus qu’une déroute des services israéliens, l’opération terroriste du 7 octobre est un succès des services secrets du Hamas. L’analyse d’Harold Hyman.


Le désastre infligé par le « Déluge Al-Aqsa » est présenté depuis le début comme une défaillance des services secrets israéliens, alors que l’on pourrait postuler qu’il s’agit d’une victoire des services du Hamas. Certes le Mossad, le Shin Bet et l’armée ont clairement manqué le signal du déclenchement de l’opération-massacre, mais le Hamas a trouvé quasiment toutes les failles dans les défenses israéliennes, ce qui est prodigieux.

Comment les services secrets du Hamas ont-ils pu être d’une si grande efficacité?  

Les travaux de Netanel Flamer

Il y a des milliers de livres et d’études sur les services israéliens, le mythique Mossad en tête, mais sur les services secrets du Hamas, il n’y pas de monographies accessibles, en français ou en anglais. Quelques allusions çà et là sur le succès des services du Hamas remontent à la surface depuis le 7 octobre, sans plus.

Cependant le travail d’un chercheur israélien nous éclaire. Dans un article du International Journal of Intelligence and Counter-Intelligence, l’auteur, le jeune universitaire Netanel Flamer, rattaché au Begin-Sadat Center for Strategic Studies, se penche sur la mise en place d’une stratégie de contre-espionnage hamasienne.

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D’abord, l’organisation du Hamas a une branche dite militaire, appelée Al Majd, fondée en 1987 par le célèbre religieux sunnite en chaise roulante, Cheikh Yassine, pour traquer les infiltrés parmi ses rangs. La méthode était rodée car le Shin Beth utilisait la méthode classique de l’infiltration, souvent en arrêtant des espions du Hamas et en les transformant en agents doubles. Le génie d’Al Majd a été d’utiliser ses propres agents retournés par les Israéliens afin de les réutiliser contre les Israéliens eux-mêmes, et à l’insu de ces derniers. Généralement la difficulté d’utiliser des agents double réside dans le doute permanent sur leur loyauté ultime. Les services du Hamas n’ont pas semblé avoir ce problème, et leurs centaines d’agents doubles, noyés parmi bien d’autres agents réellement retournés par Israël, ont permis de comprendre le fonctionnement et les priorités mêmes des services israéliens. Le Hamas a joui d’un deuxième avantage lorsqu’il prit le pouvoir à Gaza : il hérita de l’infrastructure du Fatah appelée Internal Security Force, abandonnée lors du repli du Fatah en 2007. Dans ces conditions, il est étonnant de voir combien les services israéliens se fiaient à leurs indicateurs pour pister les chefs du Hamas. Telle est la thèse de Flamer.

Agents doubles et double-jeu diplomatique

En dehors du dossier de l’espionnage, le Hamas a utilisé la ruse diplomatique à un degré très élevé pour désarmer Israël. Les négociations entre Israël et le Hamas début 2023 pour rouvrir partiellement les frontières de l’enclave avaient donné une impression de dialogue possible. La nourriture et les médicaments pouvaient de nouveau passer. Aussi était-on en train de négocier le transfert de fonds qatariens à la bande de Gaza, et 20 000 Gazaouis travaillaient en Israël. Le Hamas a donné l’impression d’être sensible aux bienfaits de la gouvernance normale. Psychologiquement, côté sécuritaire israélien, c’est ce que l’on avait pu croire. Les préoccupations majeures étaient plutôt la force du Hezbollah, l’arrivée d’éléments de la brigade Al-Quds en Syrie, et la radicalisation et l’atomisation des groupes de miliciens terroristes de la Cisjordanie. Le Fatah sur le terrain devenait une nébuleuse sans lien hiérarchique avec Mahmoud Abbas.

Tout cela a été compris par le Hamas, qui n’est certes pas au pouvoir en Cisjordanie mais qui n’y manque pas de relais ni de sympathisants. Ainsi l’on peut conclure que le Hamas a saisi ce qui se rapportait au pouvoir israélien dans l’optique de Déluge d’Al Aqsa. Résultat sur le plan sécuritaire : un certain délaissement de la frontière.

La nation israélienne fait bloc, malgré les divergences politiques

Le Hamas n’aura cependant pas appréhendé avec justesse le climat politique en Israël, et c’est sa faille. Sur sa page du Begin-Sadat Center for Strategic Studies, Netanel Flamer le relève : le fait que des réservistes israéliens aient annoncé leur intention de ne pas se présenter à leurs postes en cas de révision de la constitution informelle israélienne, concernant l’asservissement des juges à la suprématie gouvernementale, a donné l’impression que l’armée se débandait. Ainsi affaiblie, l’armée protègerait moins bien ses citoyens, selon le Hamas. Ironie du sort : l’opération « Déluge d’Al Aqsa » est devenue l’occasion de ressouder les Israéliens.

Certes les services secrets israéliens, et la nébuleuse sécuritaire du système israélien, vont trouver les raisons de leur faille. Peut-être aussi que les Israéliens en particulier, et les Occidentaux en général comprendront ce que le Hamas espère véritablement accomplir, c’est-à-dire le chaos généralisé et sanglant. Car s’il gère Gaza, le Hamas provoque aussi la destruction d’une grande partie de ce territoire sous sa houlette, ce qui n’entre dans aucune logique occidentale. L’affrontement final sera purement militaire, Israël ne pourra être défait, et les Gazaouis perdront toute possibilité de vie normale. Mais l’armée israélienne n’a pas compris le fonctionnement de son ennemi, désormais principal, le Hamas, qui s’accommode bien de la destruction. Lorsqu’elle le comprendra, ce qui restera du Hamas aura-t-il eu le temps de se restructurer ? Sans doute que non. Les civils auront énormément souffert de cette guerre. En 1973, quasiment aucun civil n’a été tué et une paix partielle en est sortie – issue impossible cette fois-ci.

Hamas: Barbarie, mode d’emploi

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Rencontre entre le ministre des Affaires étrangères de l'Iran Hossein Amir Abdollahian et le responsable du Hamas Ismaël Haniyeh, Doha, Qatar, 14 octobre 2023 © AP/SIPA

Le vendredi 13 porte chance / Barbarie, mode d’emploi / Réponse disproportionnellement humaine / Petit rappel historique pour les étourdis et les Je-ne-veux-pas-savoir…


Le vendredi 13 porte chance

La preuve : en 2023, six jours après l’agression du Hamas contre les civils israéliens, le conseil municipal de Nantes a attribué une subvention de 2 000€ à l’Association France Palestine Solidarité 44 (AFPS44). Le lendemain, le Bureau national de la susdite avait publié un communiqué : « Il est d’abord important de qualifier cette opération pour ce qu’elle est : une opération militaire du faible contre le fort, en rappelant que l’armée israélienne est l’une des plus fortes et des mieux équipées du monde. Nous déplorons que des civils aient été tués des deux côtés, et mettons en garde contre l’utilisation du terme de « terroriste » qui a été utilisé de tous temps contre les mouvements de résistance.[1]»

C’est bien connu, la résistance française tuait des enfants en suivant le mode d’emploi fourni par son chef et distribué à chaque commando… Malgré les mises en garde de deux élus, une LR, Laurence Garnier et un membre du groupe Démocrates et Progressistes, Erwan Huchet, la subvention a bien été votée. « Soit c’est du cynisme, soit de la naïveté[2]», a regretté avec diplomatie Mme Garnier, avant de quitter le conseil municipal avec son groupe et celui de son collègue.

Barbarie, mode d’emploi

Des documents saisis sur le corps de plusieurs terroristes après l’attaque du Hamas ont révélé que les membres de la branche militaire de l’organisation ont reçu des instructions claires pour massacrer les civils. Dans le document, défini comme « top secret », on peut voir que les instructions sont précises et détaillées : comment infiltrer les villages, en se concentrant particulièrement sur les zones où les civils se rassemblent, et plus particulièrement sur les endroits fréquentés par les enfants, précisant qu’il est impératif de « cibler des écoles primaires et un centre de jeunesse, afin de « tuer autant de personnes que possible », de prendre des otages et de les transférer rapidement dans la bande de Gaza. Une page portant la mention « Top Secret » décrit un plan d’attaque, indiquant que « l’unité de combat 1 » est chargée de « contenir la nouvelle école Da’at », tandis que « l’unité de combat 2 » doit « collecter des otages », « fouiller le centre de jeunesse Bnei Akiva » et « fouiller l’ancienne école Da’at ».[3] »

Les responsables israéliens ont déclaré que l’ensemble des documents montre que le Hamas a systématiquement recueilli des renseignements sur chaque kibboutz bordant la bande de Gaza et qu’il a élaboré des plans d’attaque spécifiques pour chacun, en ciblant intentionnellement les femmes et les enfants : dans le cabinet dentaire, le supermarché, le réfectoire… 

A lire aussi, Elisabeth Lévy: Arras: le combat des Lumières

« Le niveau de spécificité des informations et de la planification laisserait bouche bée n’importe quel membre des services de renseignement » a admis un responsable israélien. Le plan de coordination des attaques prouve que non seulement le Hamas ment quand il prétend n’avoir pas tué d’enfants, mais qu’il a choisi de commencer par eux. « « J’ai vu des bébés assassinés. J’ai vu des enfants assassinés. J’ai vu des mères et des enfants assassinés ensemble », a déclaré Yossi Landau, commandant de ZAKA, une organisation israélienne de secouristes.[4] »

Réponse disproportionnellement humaine

Israël a répondu qu’il ne ferait pas de quartiers. Il s’est aussitôt contredit en mettant en place une stratégie qui protègerait les civils : il a demandé au Hamas et à l’ONU d’organiser les transferts d’un million de civils du nord vers le sud de Gaza. Il a aussi lancé un appel sur les réseaux sociaux arabes et par des canaux gazaouis : flyers, radio, téléphone… Les deux organisations ont évidemment refusé.

Prospectus envoyés par les airs par l’armée israélienne au nord de Gaza. On peut notamment y lire, en arabe, « Pour votre sécurité, vous devez quitter vos maisons immédiatement et rejoindre des abris. L’Armée de défense d’Israël ne veut pas vous blesser, vous ou les membres de votre famille. Quiconque restant proche des terroristes du Hamas ou des cibles terroristes met sa vie en danger ».

L’ONU, qui est constituée de plus de dictatures islamistes que de démocraties, ne veut surtout pas apparaître comme obéissant à l’ennemi sioniste. Les dictatures en question connaissent la barbarie de l’intérieur. Elles ne veulent donc pas être responsables de l’échec de cette protection des civils ni des victimes que l’assaut israélien produira.

Le Hamas est plus franc : il a besoin de ses boucliers humains et il espère de belles photos d’enfants morts pour sa propagande. C’est pourquoi il a interdit aux civils de partir et les en a empêchés tant qu’il a pu.

Quand les Israéliens ont parachuté des milliers de tracts sur Gaza, malgré l’opposition du Hamas, des milliers de civils ont réussi à échapper à leurs garde-chiourmes et ont pris le chemin du sud. Pendant ce temps, les terroristes du Hamas se cachaient dans et sous les immeubles résidentiels, a expliqué le porte-parole de l’armée israélienne, le contre-amiral Daniel Hagari, aux médias[5].

Petit rappel historique pour les étourdis et les Je-ne-veux-pas-savoir

En 2005, les Israéliens ont quitté la Bande de Gaza sans contrepartie. Les 8000 civils et les soldats qui les protégeaient ont été évacués. N’en déplaise aux associations pro-palestiniennes, de Nantes ou d’ailleurs, ces soldats n’étaient pas là pour faire la nique aux « colonisés », mais pour protéger la vie des Juifs, qui ne tenait qu’à cette protection. Pour mémoire, à cette époque, comme aujourd’hui, 20% de la population israélienne est constituée d’Arabes, qui n’ont besoin d’aucune protection contre leurs voisins.

A lire aussi, Jean-Baptiste Roques : Femmes et enfants suppliciés par le Hamas: un humanitaire confirme

Au départ des Juifs, la Bande est passée sous le contrôle de l’Autorité palestinienne, dirigée par Mahmoud Abbas, élu six mois plus tôt. Il est à la moitié de sa dix-neuvième année de son mandat de cinq ans. Les Juifs avaient laissé toutes leurs habitations, leurs infrastructures agricoles et leur matériel industriel et commercial qui auraient pu permettre à Gaza de devenir un Singapour arabe. Tout ce matériel et ces infrastructures ont été détruits dans les heures qui ont suivi le départ des Israéliens.

En mars 2006, le Hamas a commis un attentat à Tel Aviv : sa façon de montrer qu’il « résistait » avant tout à toute initiative de paix. Deux mois plus tard, ses « combattants » ont pénétré à l’intérieur des lignes israéliennes pour tuer plusieurs soldats et kidnapper Gilad Shalit, un appelé franco-israélien, qui a été libéré après cinq ans au secret, en échange de plus de 1000 détenus palestiniens, dont beaucoup avaient du sang juif sur les mains.

En juin 2007, le Hamas a fait un coup d’État contre son frère de l’Autorité palestinienne : les opposants ont été tués, les résistants défenestrés[6]. De nombreux civils palestiniens ont fui vers Israël pour demander de l’aide. Le blocus israélien de Gaza date de cet épisode, celui du côté égyptien également, après des attentats perpétrés contre des soldats égyptiens.[7]

Si la population gazaouie est restée misérable, malgré les milliards de dollars déversés par l’Union européenne, les États-Unis, le Qatar et l’Iran, il n’en va pas de même de ses dirigeants[8] et de ses arsenaux[9]. Le Hamas est le troisième plus riche mouvement terroriste après le Hezbollah et les Talibans, avec un chiffre d’affaires de 700 millions de dollars annuel[10]. Il a de quoi réjouir encore les banlieues françaises et les campus américains pendant quelques semaines…


[1] www.lejdd.fr/politique/nantes-la-ville-subventionne-une-association-favorable-au-hamas-138939

[2] www.lefigaro.fr/nantes/nantes-apres-le-vote-d-une-subvention-pour-l-association-france-palestine-solidarite-des-elus-quittent-le-conseil-municipal-20231013

[3] www.nbcnews.com/news/investigations/top-secret-hamas-documents-show-terrorists-intentionally-targeted-elem-rcna120310

[4] Ibid.

[5] https://worldisraelnews.com/hamas-urges-gaza-residents-to-ignore-idf-evacuation-calls/

[6] www.theguardian.com/world/2007/jun/15/israel4

[7] www.britannica.com/place/Gaza-Strip/Blockade

[8] www.algemeiner.com/2014/07/28/gazas-millionaires-and-billionaires-how-hamass-leaders-got-rich-quick/

[9] www.lemonde.fr/international/article/2023/10/10/l-effort-ininterrompu-du-hamas-a-gaza-pour-developper-son-arsenal-militaire_6193501_3210.html

[10] www.forbes.com/sites/forbesinternational/2018/01/24/the-richest-terror-organizations-in-the-world/?sh=6315786f7fd1

Arras: le combat des Lumières

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Des policiers devant le lycée d'Arras où le professeur Dominique Bernard a été tué par un terroriste, 14 octobre 2023 © Jeffrey Schaeffer/AP/SIPA

S’ils gagnent là-bas, ils finiront par vaincre ici. Le regard libre d’Elisabeth Lévy


Des soldats israéliens chantent la Marseillaise à tue-tête en hommage à Dominique Bernard, mort en héros à Arras. Aucune image ne résume mieux que cette vidéo, postée par Pierre Sautarel, l’évidence qui, peu à peu s’impose à nous. Le meurtre d’Arras et les crimes du Hamas sont deux fronts d’une même guerre qui en compte de nombreux autres.

Je ne sais pas si Mohamed Mogouchkov a entendu l’appel, lancé par le chef du Hamas, à faire de ce triste vendredi un jour de colère, mais il est, comme tous les terroristes qui ont frappé en France depuis 2012, un combattant du jihad dont les mots d’ordre sont propagés par des influenceurs numériques d’un bout à l’autre de la planète. Il ne s’agit pas de lutter pour les droits des musulmans ici ou des Palestiniens là-bas, il s’agit de détruire l’ennemi et l’ennemi, c’est le kouffar, le mécréant, où qu’il se trouve. Qu’il soit juif, c’est juste la cerise sur ce gâteau sanglant.

Mogouchkov était passé sur les bancs de l’école de la République…

On l’a abondamment répété, l’objectif des islamistes et de leur « branche armée » djihadiste comme on dit chez les Insoumis, est d’affaiblir, de diviser et, à long terme – car ils ont le temps pour eux –, d’islamiser des sociétés honnies parce qu’elles sont ouvertes. Ce qu’ils haïssent chez les Israéliens, comme chez nous, ce n’est pas seulement le signifiant juif, c’est l’héritage des Lumières, le règne de la Raison. Voilà pourquoi ils s’en prennent à l’Ecole, symbole du prix que nous attachons à cet héritage, même si l’exemple de Mogouchkov est assez décourageant. Arrivé en France à trois ans, il a bénéficié de l’Ecole de la République et de tous les bienfaits de l’Etat-providence. C’est réussi.

A lire aussi, Dominique Labarrière: Les profs une fois de plus en première ligne

La conclusion que nous devons en tirer, c’est que nous sommes en guerre et que nous devons nous défendre, là-bas, comme ici. En effet, qu’on ne s’y trompe pas : s’ils gagnent là-bas, ils finiront par vaincre ici.

C’était prévisible, dès les prémices de la riposte israélienne contre le Hamas, l’opinion des foules sentimentales occidentales a commencé à tourner. Les images de guerre d’aujourd’hui effacent les images de pogroms d’hier. Peu importent les distinctions, la gauche est déjà en boucle, toute contente d’avoir retrouvé ses vieux réflexes consistant à désigner Israël comme le méchant. Dans les chancelleries, on appelle à la retenue. Tsahal doit riposter, certes, mais sans faire de destructions ni causer de pertes civiles.

Malheureusement, c’est impossible. Contrairement au Hamas, dont c’est le but, Israël ne cherche pas à tuer des civils, mais il le fera inévitablement, y compris parmi ses propres otages. Pour la bonne raison que la destruction de l’infrastructure du Hamas est un enjeu existentiel. Demander à Israël de retenir ses coups, c’est lui demander de se suicider par humanité.

Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin et le président Macron, Arras, 13 octobre 2023 © LUDOVIC MARIN-POOL/SIPA

La France déclare de nouveau Vigipirate au niveau urgence attentat

Ici, nous avons encore la chance de lutter avec l’arsenal du droit et de la politique. Mais le premier nécessite une révision de la cave au plafond et la seconde exige de renouer avec le courage et plus encore, avec la lucidité. Les Français ne supportent plus de couver des assassins avec leurs impôts. Il y a un quasi-consensus pour expulser les étrangers dangereux – qui se mêle à la rage d’apprendre que ce n’est toujours pas le cas.  Mais il y a aussi urgence à soumettre notre politique migratoire au principe de précaution. L’objectif du gouvernement doit être de ne plus accueillir quiconque ne manifestant pas clairement une capacité et une volonté d’assimilation. Il est probable que la CEDH toussera et que le Conseil d’État s’enrhumera. Et il est certain que les associations pleurnicheront et accuseront. Oui, une fermeté indiscriminée pénalisera certainement des braves gens. C’est injuste. Comme est terriblement injuste le fait que trois filles devront grandir sans leur père. On ne gagnera pas le combat des Lumières avec des fleurs, des bougies et des bons sentiments.


Elisabeth Lévy sur Arras : « les Français ne tolèreront plus de couver des assassins avec leurs impôts »

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De Magnanville à Israël

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Francois Hollande, président de la République, accompagné de Bernard Cazeneuve, assiste à une minute de silence au ministère de l'Interieur à la mémoire des deux policiers tués deux jours plus tôt, Jean-Baptiste Salvaing et sa compagne Jessica Schneider, tués à leur domicile de Magnanville (Yvelines) par Larossi Abballa, 25 ans, qui a preté allégeance à Daech, 15/06/2016, Paris © ALLARD-POOL/SIPA

En France, la terreur djihadiste a déjà pourchassé des policiers jusque dans leur domicile. La semaine précédant l’attaque terroriste du Hamas contre les Israéliens, Mohamed Lamine Aberouz était condamné à la perpétuité par la justice. Comme la radicalisation islamiste est souvent affaire de famille, son frère, Charaf-Din, vient d’être placé en garde à vue pour des suspicions de menace de mort contre l’avocat Thibault de Montbrial.


Comment, alors que chaque jour nous en apprenons un peu plus sur les horreurs auxquelles le Hamas s’est livré, ne pas associer ce qui s’est passé le 13 juin 2016 à Magnanville, que nous rappelle le procès qui vient de s’achever, et ce qui s’est passé ce samedi 7 octobre 2023 en Israël ?

Le 13 juin 2016, le terroriste jihadiste Larossi Abballa s’est introduit chez Jean-Baptiste Salvaing et Jessica Schneider, dans leur domicile, et les a assassinés sous les yeux de leur enfant de 3 ans. Il les a ciblés parce que Jean-Baptiste Salvaing était policier, et que Jessica Schneider travaillait elle aussi dans un commissariat, comme adjointe administrative. Un drame et un choc, et pour les forces de l’ordre un terrible sentiment de vulnérabilité, l’intolérable : une menace sur les familles, les conjoints, les enfants.

Dans une lettre, Larossi Abballa (abattu par le RAID lors de l’intervention pour délivrer l’enfant que le terroriste avait pris en otage) affirme que l’islam triomphera en France, menace, et déclare : « on vous attendra devant vos demeures et on égorgera vos enfants. » Larossi Abballa avait fait allégeance à l’Etat islamique. Il fréquentait des réseaux jihadistes. Le jour de l’attentat, a-t-il agi seul ?

Marigot djihatiste

Mercredi dernier, le 11 octobre, la cour d’assises spéciale a rendu son verdict, et condamné Mohamed Lamine Aberouz à perpétuité, l’ayant jugé coupable de complicité d’assassinats terroristes et d’association de malfaiteurs terroriste. « La cour est arrivée à la conclusion que Mohamed Lamine Aberouz était totalement acquis à l’idéologie de l’État islamique. Et on a bien du mal à trouver la moindre condamnation de sa part de ce groupe » a déclaré le président du tribunal. Le frère de Mohamed Lamine Aberouz, Charaf-din Aberouz, a été interpellé depuis suite aux menaces de mort qu’il a proférées à l’encontre de maître Thibault de Montbrial, l’avocat de la famille de Jessica Schneider. Ce n’est pas la première fois que maître de Montbrial est ainsi ciblé – il est obligé de vivre sous protection policière depuis des années – et cela n’a jamais entamé son engagement contre l’islamisme, et plus largement pour que l’Etat adopte enfin une politique pragmatique capable d’assurer la sécurité des Français. Reste que ces menaces sont prises très au sérieux : Charaf-din Aberouz a déjà été condamné pour avoir voulu rejoindre un camp d’entraînement d’Al-Qaïda au Pakistan, et l’enquête a montré que son frère et lui baignaient dans les milieux jihadistes.

Le 7 octobre 2023, Israël a été frappé par le Hamas lors d’un raid d’une sauvagerie effarante. Une surenchère dans la barbarie, délibérément voulue, froidement planifiée. Les témoignages des survivants, les vidéos diffusées par les terroristes, les constatations faites sur place par les équipes de secours, sont terrifiantes. Ce qui s’est passé ne relève pas d’un acte de guerre entre deux Etats, deux organisations ou deux peuples pour le contrôle d’un territoire. Ce qui s’est passé est au-delà du crime, au-delà de la soif de sang, au-delà du sadisme. Il n’y a pas de mots pour le qualifier. « On vous attendra devant vos demeures et on égorgera vos enfants » promettait Larossi Abballa. C’est ce qu’a fait le Hamas, ce mouvement qui proclame que « le jihad est son chemin » – ça, et pire encore. En Israël, un père a été heureux d’apprendre que sa fille de huit ans était morte, plutôt qu’en vie entre les mains du Hamas. J’aurais réagi comme lui.

Hamas ou Etat islamique, c’est le même islamisme qui anime le ou les assassins de Jean-Baptiste Salvaing et Jessica Schneider, et ceux qui en Israël ont massacré des jeunes gens qui faisaient la fête – comme au Bataclan – qui sont entrés dans les maisons pour tuer et prendre en otage – comme à Magnanville – qui ont violé, torturé, décapité jusqu’à des enfants. C’est aux mêmes cris de « Allah akbar » que l’horreur s’est déchaînée. Comme à Arras, aussi, ce vendredi 13 octobre.

Et ce sont les mêmes courants politiques, les mêmes, qui relativisent les abominations commises par le Hamas, et qui attisent la haine contre les forces de l’ordre. Qui manifestent pour dire que « la police tue » et qui manifestent contre Israël. LFI. Le NPA. Les décoloniaux. L’islamo-gauchisme qui gangrène nos universités. En France comme ailleurs : plusieurs « chapitres » de Black Lives Matter aux États-Unis ont très officiellement apporté leur soutien au Hamas. Le 9 octobre, le poste de police municipale de Rillieux-la-Pape a été attaqué aux coctails molotov, et le lendemain on a trouvé des tags menaçant nommément certains policiers tout en indiquant « Palestine ». Mais nous le savions. En France, et depuis longtemps, c’est dans les mêmes écoles qu’un enfant ne peut pas dire que ses parents sont policiers, ou gendarmes, ou militaires, et qu’un enfant ne peut pas dire qu’il est Juif. C’est dans les mêmes rues qu’un policier hors service ne peut pas marcher en uniforme, et qu’un Juif ne peut pas marcher avec la kippa. C’est dans les mêmes quartiers qu’on rêve de « casser du flic » et qu’on trouve des tags à la gloire de Mohammed Merah, et des drapeaux palestiniens accrochés aux fenêtres pour célébrer les abjections du Hamas. En France. Le fruit de 40 ans de progressisme, de « vivre-ensemble », de « diversité qui est une chance », de « religion de paix et de tolérance » et d’appels à « l’unité » – mais l’unité avec ceux qui refusent de soutenir Israël contre le Hamas serait un déshonneur, de ces déshonneurs que les collabos et les lâches préfèrent à la guerre, mais qui n’évitent jamais la guerre.

Un petit manuel contre le prêt-à-penser médiatique

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L'essayiste Samuel Piquet © Hannah Assouline

Après avoir mis les wokes au piquet (Le Serment sur la moustache), Samuel Piquet, du journal Marianne, s’attaque à notre misère lexicale. Interdit de rire !


Samuel Piquet écrit dans Marianne et contribue depuis plusieurs années à la gorafisation du monde. On n’insistera pas trop sur la quarantaine de chroniques qu’il a publiées chez Causeur, pour ne pas alourdir son cas. Dans son Dictionnaire des mots haïssables (le Cherche Midi), il décrypte pour nous le ridicule vocable de notre temps. Moins lapidaire que le Flaubert du Dictionnaire des idées reçues, moins furibard que l’Exégèse des lieux communs de Léon Bloy, moins maniéré que le Dictionnaire des délicatesses du français contemporain de Renaud Camus, l’auteur se penche sur les tics de langage journalistiques, les mantras de la presse féminine, le prêt-à-penser de la communication politique et le jargon managérial ; autant de choses qui feront que les mots, bien avant un siècle, empuantiront.  

En bref : une étymologie soignée

Addictif, empouvoirement, agilité… Autant de mots qui se sont répandus dans nos conversations, sans qu’on s’en aperçoive, sans qu’on l’ait vraiment voulu. Si vous ignorez à quoi renvoie une ou deux des entrées du dictionnaire, vous habitez probablement dans la diagonale du vide, loin des start-up et des conf call, à proximité d’un rond-point et d’un Brico Dépôt. Tantôt, c’est de la faute de Léa Salamé et de ses shows télévisés, tantôt, de Boris Cyrulnik et de son insupportable résilience. Ils n’étaient pas si laids pourtant, au tout départ. Ils ont parfois de prestigieuses origines latines, ou provençales, comme cocooning, du provençal « coucoun », « coque d’un œuf », passé par le français, puis l’anglais, puis revenu chez nous par l’intermédiaire de la presse féminine ou du marketing. Personne n’est à l’abri de tomber dans le panneau : même le très classique Jean-Pierre Chevènement menaçait, fin 2011, de se présenter à la présidentielle suivante pour « faire bouger les lignes ». En bon prof de français, Samuel Piquet propose la plupart du temps une étymologie soignée qui permet de comprendre l’itinéraire de l’expression avant que n’arrive la catastrophe. Bien sûr, on pourrait hausser les épaules, éviter certains mots, ne pas s’intéresser à eux. Mais le vieil Hugo des Misérables nous revient à l’esprit : « Maintenant, depuis quand l’horreur exclut-elle l’étude? depuis quand la maladie chasse-t-elle le médecin? Se figure-t-on un naturaliste qui refuserait d’étudier la vipère, la chauve-souris, le scorpion, la scolopendre, la tarentule, et qui les rejetterait dans leurs ténèbres en disant: Oh! que c’est laid! Le penseur qui se détournerait de l’argot ressemblerait à un chirurgien qui se détournerait d’un ulcère ou d’une verrue. Ce serait un philologue hésitant à examiner un fait de la langue, un philosophe hésitant à scruter un fait de l’humanité. Car, il faut bien le dire à ceux qui l’ignorent, l’argot est tout ensemble un phénomène littéraire et un résultat social. Qu’est-ce que l’argot proprement dit? L’argot est la langue de la misère. »

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Langue de la misère ? De la misère lexicale. Car, comme les mauvaises herbes, chacun de ces mots en tue cinq ou dix dans son proche voisinage. On peut lire le dictionnaire de Samuel Piquet comme une succession de prétextes pour faire un bon mot sur notre époque. Ou pour la joie de voir des chanteurs contemporains se faire mettre quelques tacles. Attention quand même, car si le livre est réédité dans vingt ans, peut-être qu’un enseignant-chercheur sera nécessaire pour préciser en notes de bas de page qui pouvaient bien être Vianney et Pierre de Maere… Après tout, les époques précédentes avaient déjà leur dose de ridicule et René Etiemble, dans Parlez-vous franglais ? (1964), se moquait déjà des jeunes snobs qui se répondaient « Ready ? – Go ! » en jouant au tennis. La volonté de distinction sociale en utilisant des expressions incompréhensibles aux oreilles de sa propre grand-mère est toujours là, et le passe sanitaire, pas assez crédible car trop français, a perdu son premier « e » au plus fort en cours de route. Il n’y a que les évêques de Vatican II pour ne pas avoir compris que la messe avait perdu toute sa magie hermétique en se passant du latin.

Et, du coup, comment on fait ?

Quand on lit bien le dictionnaire, on s’aperçoit toutefois qu’il y a un fil conducteur au-delà de la succession alphabétique d’entrées. Une morale accompagne l’émergence de ces mots. Il n’y a qu’à voir le destin du mot « problématique » : « le nom commun nous ramène quelques années en arrière à l’exercice de la dissertation et sa problématique, préalable au débat dialectique ». Peu à peu, il est devenu un adjectif qui englobe toutes les choses qui posent problème, de la présence de Johnny Depp dans Jeanne du Barry au titre Les dix petits Nègres. L’apparition de ce nouveau sens va de pair avec un désir d’annuler, d’effacer. Le symptomatique « inapproprié », qui a son entrée aussi, nous envoie dans l’ambiance engageante d’une république calviniste de stricte observance.

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C’est aussi une chronologie que propose l’auteur : il montre comment ces mots entrent dans l’entreprise puis s’immiscent dans le jargon politique (c’est le cas de « coconstruire » ou de « proactif »), peut-être par l’entremise de personnalités qui ont beaucoup apporté à la sérénité de la vie politique comme Agnès Pannier-Runacher ou Virginie Calmels. C’est enfin le reflet d’une économie qui ne produit plus de biens réels et qui surexploite un imaginaire de l’action, du concret pour justifier sa propre existence. Jadis, on portait des planches de bois ; aujourd’hui, on porte « des projets, des propositions de loi, une vision de la liberté, des valeurs » ! Parfois, certains mots ont été rongés jusqu’à l’os par le jargon managérial, au point que leur usage devient suspect voire odieux : c’est le triste sort du mot « bienveillance », qui partait au départ d’un bon sentiment, et qui a fini par devenir son propre antonyme, à tel point que certains formateurs en communication s’interdisent désormais de l’employer.

Alors bien sûr, l’auteur aurait pu aussi s’intéresser à l’insupportable checker. Quand un collaborateur se vante pour la vingtième fois dans la semaine d’avoir checké ses mails, au détriment de « consulter » ou de « lire », il ne fait jamais autre chose que notre vieux pépé qui, à 11 heures 50, délaissait les choux et carottes du jardin et atteignait sa boîte aux lettres, pantoufles vissées aux pieds. Il y a aussi touchy (sensible, délicat). Dans un monde de l’entreprise qui met en avant le courage, l’audace, il faut voir la tête circonspecte d’Aurélie quand elle annonce qu’elle va faire un truc touchy. « Si je rappelle la cliente aujourd’hui, c’est touchy ». Finalement, ces mots sans sens accompagnent des activités, des métiers, des postures sans sens ; une époque qui manque de souffle et qui est obligée d’en faire des tonnes sur ces contenus inspirants et décalés. C’est peut-être Alcide dessine qui résumait le mieux cette ambiance dans une de ses vignettes :

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Rugby: à un point du rêve…

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Antoine Dupont, Stade de France, 15 octobre 2023 © John SPENCER/SIPA

Le XV de France s’est incliné hier face à l’Afrique du Sud, et la France est éliminée du mondial organisé sur son sol. La fête est finie… Mais le pays n’avait déjà plus la tête à ça, ayant des problèmes plus graves à régler.


29 à 28. Il n’est pas possible de laisser de côté la défaite de l’équipe de France face à l’Afrique du Sud. Pour un malheureux, un terrible petit point. Je n’ai pas envie, avec l’irresponsabilité que vous donne le droit d’être un amateur, un sportif en chambre, de cibler les raisons du fiasco de la veille, dans la tranquillité si déçue du lendemain. D’abord, se garder de toute volte, de tout changement d’humeur et d’admiration. Il serait malséant de cracher sur ce qu’on a adoré et qui demeure louable. Cette belle équipe de France et ce magnifique monde du rugby demeureront dans notre cœur. Il existe un futur pour eux. Et pour tous les passionnés que nous sommes. Certes, on peut se faire mal en évoquant le jeu légèrement en dessous, malgré l’exceptionnel Antoine Dupont, de quelques-uns des talents emblématiques de cette équipe : Damian Penaud, Matthieu Jalibert, Thomas Ramos notamment. On a le droit de s’étonner de ces trois essais en première mi-temps sur des balles hautes tactiques de l’adversaire, mal gérées par la France sans doute à cause d’un stress qui a réduit l’habileté habituelle de nos receveurs. Il est évident que les Boks ont remarquablement préparé ce match dans les moindres détails. Sans avoir jamais sous-estimé la France et en imposant à celle-ci un redoutable défi physique.

Les trois essais que notre équipe a réussi à marquer en riposte immédiate, également en première mi-temps, ont montré à quel point nous n’étions pas débordés, dépassés mais à la hauteur : l’Afrique du Sud n’avait jamais encaissé trois essais en si peu de temps. Comment aussi ne pas songer à cette déprimante ironie du sport, à cette imprévisibilité exaspérante lors des matchs qui sont perdus d’un rien, de justesse, j’allais écrire : de justice ? Quand Ramos s’apprête à transformer un essai, le trois-quarts sud-africain Cheslin Kolbe s’avance pour contrer son tir, il en a le droit mais sans doute est-il parti trop tôt, ce qui aurait dû le faire sanctionner. Quand une pénalité de l’irréprochable buteur qu’est Ramos touche la barre, trois points de gâchés, cinq si on ajoute l’épisode précédent, le score en aurait été évidemment modifié, et la victoire de la France assurée.

Le capitaine de l’équipe de France Antoine Dupont a délicatement mis en cause l’arbitrage et on peut d’autant plus faire fond sur sa critique qu’il a toujours été exemplaire sur le terrain et n’a jamais adopté le registre de la revendication permanente. Toujours est-il que, le 16 octobre, la fête est finie. Parce que nous étions à un point du rêve et que le destin ne nous a pas choisis. Qu’importe, l’avenir est ouvert.