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Un navet est beaucoup plus qu’un navet

Dominique Labarrière nous propose aujourd’hui un peu de médecine préventive


De ce que nous mettons au bout de notre fourchette dépend, en grande part, notre santé. Pardon de rappeler une vérité si bien connue. Dans le catalogue des prescriptions de la médecine préventive, il est clair qu’une alimentation équilibrée et saine devrait tenir le premier rang. D’ailleurs, on nous en serine les bienfaits à l’envi : s’appliquer à consommer cinq fruits et légumes par jour (hors versions distillées, cela s’entend) vaudrait non seulement un élixir de longue vie mais assurerait de surcroît un prolongement de la vitalité juvénile absolument prodigieux. Big Pharma en crèverait. La perte serait considérable, du moins à la corbeille.

Ce que nous mettons dans nos assiettes participe aussi – sans doute le perd-on trop facilement de vue – de notre plaisir, notre plaisir d’individus de chair et de sang, et donc de notre art de vivre. Chacun admettra qu’il n’y pas de moments heureux dans nos existences bien françaises sans qu’on se sente tenu de s’offrir quelques fastes de table.

Bref ! J’oserais aller jusqu’à déclarer que le navet fait effectivement partie intégrante de notre « patrimoine commun ». Un peu après le château de Versailles et le chapeau de l’empereur, certes, mais pas si loin que cela. Ce n’est pas rien. On s’en persuadera sans peine. Ce dont les peuples se sustentent, ce qu’ils ont agrément à se mettre en bouche participe évidemment et très profondément des mille et cent éléments, importants ou dérisoires, qui fondent leur culture. À cet égard, le navet est donc bien plus qu’un navet. Il ne devrait pas demeurer plus longtemps, comme la chaussette ou le caleçon molletonné popeckien, un produit de plus à entasser sur les rayons des supermarchés, une chose vulgaire, banale. Pour inanimée qu’elle soit, cette chose aurait, me dis-je, poussant toujours plus loin l’innocent délire que je m’autorise ici, une âme. (Pour ma défense, ce poète fameux qui finalement ne dit pas autre chose : « Objets inanimés qui s’attachent à notre âme et patati et patata… ». On connaît.)  

Pour toutes ces raisons, le navet mérite respect et considération. On pourrait par exemple le citer de temps en temps à l’ordre de la nation reconnaissante. Je galèje encore, bien sûr. J’en suis bien conscient. Mais il me semble que s’autoriser en ce moment une once de rigolade ne peut pas être mauvais pour notre santé, mentale en l’occurrence.

Enfin, pour tout dire, je verrais d’un assez bon œil que notre navet ainsi que tous autres légumes et plus généralement toutes productions paysannes de chez nous, bénéficient d’un traitement privilégié, plus ou moins calqué sur le modèle de notre exception culturelle française dont le mérite, en soi remarquable, aura été de sauver du naufrage la création cinématographique hexagonale. Rien de moins. Navets compris, au demeurant.

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«Il y a une guerre des civilisations qui se dessine»

Dans son dernier livre, À la septième fois, les murailles tombèrent (éditions du Rocher, 2023), l’ancien conseiller spécial du président Sarkozy dresse un état des lieux peu réjouissant. Occident va-t’en-guerre, wokisme, réformes sociales, rien ne trouve grâce aux yeux d’Henri Guaino, moins encore la nouvelle génération de trentenaires qui arrive aux commandes.


Causeur. Votre livre, A la septième fois, les murailles tombèrent n’est pas bien optimiste…

Henri Guaino. Je ne sais pas ce que c’est que l’optimisme. C’est un concept qui m’est totalement étranger. Ça veut dire quoi ?

Est-ce qu’il n’y a pas besoin dans l’histoire aussi de moments d’illusions?

Les moments d’illusions… en général, ils ne sont pas les meilleurs. Ils préparent les grandes désillusions. L’espérance oui, l’optimisme, non. L’espérance, c’est une volonté. C’est Bernanos qui l’a le mieux dit. L’optimisme, c’est une facilité. L’espérance, c’est une vertu. C’est absurde, l’optimisme, ça vous empêche d’être lucide. 

A la fin de l’été dernier, Nicolas Sarkozy s’est vu taxer par Libération et quelques autres d’avoir calqué son discours sur celui de la Russie. Vous-même reprenez l’idée que la Russie a été poussée à la guerre à force de voir l’OTAN se rapprocher de ses frontières…

Sur la Russie, j’ai été le premier à prendre des positions qui m’ont valu les applaudissements des uns et les injures des autres. Je suis d’accord avec ce que Sarkozy a dit, mais je l’ai dit avant. Je pense que cette guerre n’aurait pas dû avoir lieu. Ce n’est pas seulement la hantise obsessionnelle des Russes d’être enfermés ; tout le monde savait qu’en poussant l’OTAN jusqu’aux frontières russes, on allait créer un drame. Ce n’est pas moi qui le dis, tous les géopoliticiens américains l’ont dit pendant des décennies, quel que soit leur sentiment à l’égard de la Russie. Je n’invente rien. L’actuel directeur de la CIA, William J. Burns, qui était ambassadeur à Washington en 2008, l’a écrit dans une note à Condoleezza Rice qui a été rendue publique depuis, pour expliquer que si on faisait entrer l’Ukraine et la Géorgie, on allait avoir des problèmes. C’est une vérité que de dire que la responsabilité de cette guerre est partagée.

Est-ce acceptable, selon vous, de laisser demain le Donbass et la Crimée à la Russie?

Est-ce que c’était acceptable de laisser l’Alsace et la Moselle à l’Allemagne en 1871 ? Avant de se demander ce qui est acceptable ou non, il faut se demander ce qui est inexorable, ce qui est de l’ordre de la fatalité. Si l’on trouve que ce n’est pas acceptable, alors il faut y aller. Pourquoi fait-on trainer cette guerre ? Pourquoi fait-on la guerre par procuration ? Pourquoi laissons-nous tuer des dizaines, des centaines de milliers d’Ukrainiens ? Si c’est inacceptable pour nous, alors allons-y. Vous savez, la guerre, vous la faites ou vous ne la faites pas. Si vous la faites, vous la faites totalement. Et, dans ce conflit on sait une chose, c’est qu’on ne peut pas la faire totalement. On ne peut pas la faire totalement, parce qu’il y a 6000 ogives nucléaires dans le camp d’en face. Il faut donc trouver les solutions les moins dramatiques, les moins tragiques, les moins destructrices. C’est ça, la politique. La politique, c’est du bricolage. Parfois, on n’est pas très satisfait. Je n’ai pas lu Le Monde se dresser contre l’Azerbaïdjan dans le Haut-Karabagh. Il faut dire que l’Azerbaïdjan avait le droit international pour lui. Les pauvres Arméniens n’avaient pour eux que le droit des peuples à vivre là où ils vivent depuis 3000 ans. Acceptable, inacceptable… Si c’est inacceptable, on tire les conséquences et vous allez à la guerre. Il y a un type sur les réseaux sociaux qui m’a dit il y a quelques jours : « S’il faut 15 millions de morts, tant pis, au moins on sera débarrassé de Poutine ». Ah bon ? 15 millions de morts !? Il y en aura beaucoup plus que ça si l’on se lance pleinement dans cette guerre. L’écroulement de la Russie, ça serait une bonne chose ? La déstabilisation de toute l’Eurasie ? Qui a envie de ça, à part les Polonais, qui sont obnubilés par leur histoire – ce que je peux comprendre. Mais moi, je ne suis pas Polonais. Moi, je ne me sens pas menacé par les chars russes à Paris, ça rend ma notion de l’acceptabilité un peu différente.

Et quelle est votre analyse de ce qui se passe au Proche-Orient?

Ce conflit est une vraie tragédie car personne n’a tort et personne n’a raison. Les uns vont vous dire : « ça fait des siècles qu’on est là », et les autres, « il y a des millénaires, on était déjà là ». Est-ce qu’on a fait quoi que ce soit pour trouver une solution ? Est-ce qu’on a fait quoi que ce soit de décisif pour arrêter ce massacre ? Non. Vous me direz, ce n’est pas si simple, parce que chacune des deux parties pense que ce conflit est vital. Pour ce qui nous concerne, l’Ukraine plus le Proche-Orient, ça fait beaucoup pour creuser le fossé entre l’Occident et le reste du monde.

Est-on arrivé au choc des civilisations que l’on craignait depuis trente ans?

Oui. Il y a une guerre des civilisations qui se dessine. On a intérêt à tout faire pour que ça n’aille pas jusqu’au bout de cette logique… sinon, on va au désastre. Les guerres de civilisations ou de religions, ça se résout par l’extermination de l’adversaire. Ou par un sursaut de lucidité et d’intelligence, mais quand on a déjà beaucoup tué. La guerre de Trente ans, elle dure trente ans quand même, et elle tue au moins un tiers de la population de l’Europe centrale. (Long silence) L’Occident est malade ; non seulement il est malade mais il veut imposer son modèle au reste du monde. Le reste du monde n’en veut plus !

La phrase leitmotiv de votre livre semble être « l’histoire ne se répète pas mais que nous la répétons »…

Je ne dis pas que « l’histoire ne se répète pas mais que nous la répétons ». Non. Nous nous répétons, parce que nous sommes des hommes, les hommes ont une nature, la nature humaine, et elle n’a pas changé. Les circonstances changent, les moyens changent… mais l’homme, lui, vous croyez qu’il change ? Quand la politique oublie la nature humaine, le désastre est assuré.

Quand on voit Georgia Meloni, qui se voit imposer des privatisations par Bruxelles et qui accepte de nouveaux immigrés, peut-on craindre que ses équivalents français à droite en arriveraient à de tels renoncements s’ils accédaient au pouvoir ?

Oui, peut-être. Madame Meloni est arrivée au pouvoir sans savoir exactement ce qu’elle allait faire. Elle savait ce qu’elle voulait faire mais elle ne savait pas ce qu’elle allait faire, ni ce qu’elle pouvait faire. Qui plus est, l’Italie est dépendante financièrement de l’Europe, ce qui n’est pas le cas de la France. Ces expériences donnent la même chose, c’est-à-dire pas grand-chose. C’est quoi être de droite, c’est être pour la réforme des retraites ?

L’UMP en a fait un paquet, quand elle était au pouvoir !

Et alors ? Vous avez fait une chose une fois, il faut le refaire indéfiniment ? Un jour, vous relevez les taux d’intérêt très haut, et après il faut garder les taux d’intérêt toujours très haut ? Un jour, vous faites une réforme, et après, il faut en faire une deuxième, une troisième, une quatrième de la même nature ? Mais enfin, c’est un argument débile, pardon. Comme l’autre [Agnès Evren, vice-présidente de LR] qui disait : « C’est l’ADN de la droite ». « Je suis de droite, je fais une réforme des retraites ». Pas un de tous ces abrutis n’avait ouvert le rapport du conseil d’orientation des retraites, pas un n’avait essayé de comprendre ce que disaient les chiffres. Quand on a demandé à Monsieur Dussopt de donner ses chiffres, il a répondu : « je n’ai pas de comptes à rendre sur mes chiffres ». On va accepter encore longtemps de faire des politiques comptables, on va continuer longtemps d’accepter la supériorité de la loi européenne sur la loi française, on va continuer à faire des lois sur l’immigration de 95 articles ? Tout le monde a voté, tout le monde a approuvé en sachant qu’une partie était inconstitutionnelle [entretien réalisé avant la censure partielle de la loi immigration par le Conseil constitutionnel, ndlr], et que l’autre partie était contraire aux jurisprudences européennes. Dans ce domaine et dans l’état actuel des choses, c’est le juge qui décide et pas le législateur. C’est faire de la politique, ça ? Dans trois ans, les gens diront : « Ils nous ont menti une fois de plus ». Et puis quand ils auront essayé, les uns Meloni, les autres le Rassemblement national, il se passera quoi ? Faites le compte, en deux cents ans, combien de vraies crises politiques se sont résolues par les urnes ?

Peut-être en 1958 ?

Et non. Mauvais exemple. 58, c’est le 13 mai (le putsch d’Alger NDLR). S’il n’y a pas de 13 mai, pas de retour du Général !

Avez-vous un exemple ?

Il n’y en a pas. Pour finir la Révolution, il a fallu le 18-Brumaire. Pour sortir de la crise de la Seconde République, il a fallu Louis-Napoléon Bonaparte et le 2 décembre. Pour sortir de la crise de la IIIème République, il a fallu la défaite de 40. Pour sortir de celle de la IVème République, il a fallu le 13 mai. Cherchez… A chaque fois, on a eu plutôt de la chance, on a eu quelqu’un pour prendre le pouvoir. On n’est pas tombé sur Hitler, on n’est pas tombé sur Mussolini, on n’est pas tombé sur Joseph Staline. Bon, d’accord, on a eu Pétain. Et encore… Face à lui, il y avait la France libre. On n’aura pas toujours de la chance. Et toutes les catastrophes n’ont pas été provoquées par la gauche. Ce que l’on appelle la droite a eu sa part de responsabilité. Elle a d’ailleurs si peu gouverné, la droite. Elle a résolu le problème de la Commune en pactisant avec les Allemands.

Pour les Européennes, allez-vous vous lancer ?

Les Européennes, ça ne va pas être intéressant non plus. D’ailleurs, à quoi cela sert l’Union Européenne ? Les élections européennes ne vont pas changer la majorité au Parlement. Bon, si LR fait 5%, ça va devenir compliqué quand même… Si le Rassemblement national fait plus de 30%, ça viendra conforter une tendance lourde. Et s’il fait beaucoup moins, ça ne préjugera pas de son résultat à la présidentielle, mais ça sera un mauvais indicateur. Celui qui gagne les Européennes, il part à Bruxelles, il disparait. Personne n’osera rien dire d’intelligent sur l’Europe pendant la campagne. C’est une élection pour rien dont l’histoire est écrite à l’avance. Ça va être la foire d’empoigne pour les jeunes espoirs. Il y aura Marion, il y aura Bardella, il y aura Attal… Je ne sais pas ce qu’ils vont nous trouver comme jeunesse à promouvoir. Je pense qu’on devrait ramener la majorité pour se présenter à l’âge de 16 ans, voire 14 !

Vous voudriez qu’on ait des gamins au pouvoir ?

Pourquoi pas. On peut descendre la moyenne d’âge encore !

Pendant la Révolution, le personnel politique, ce n’était que des jeunes, Saint-Just et les autres.

Il y a des périodes qui font émerger de très jeunes gens, mais ils émergent dans l’épreuve et des circonstances exceptionnelles. Tous n’ont pas été un cadeau pour leur nation, mais les grandes épreuves, c’est l’occasion de montrer sa valeur.

Trouvez-vous qu’on n’a pas assez d’épreuves et qu’il nous en faudrait d’autres pour révéler de vrais talents politiques ?

Dans les épreuves, il y a des talents et des caractères qui se révèlent et qui se forgent. Là, ils n’arrivent pas au sommet après avoir fait le siège de Toulon, la campagne d’Italie, la campagne d’Egypte. Ce n’est pas comparable.

Personne n’a grâce à vos yeux parmi cette nouvelle génération ?

Non. Personne n’a grâce à mes yeux. Je n’ai pas d’a priori pour grand-chose, et certainement pas pour la grâce. Alors… ils se révéleront peut-être ! La dernière fois qu’on nous a fait le coup du jeunisme, c’était en 2017. Le jeunisme devait accoucher du nouveau monde. On a plutôt le plus ancien dans ce qu’il avait de pire. Villiers disait ça il y a quelques jours sur CNews : « Le jeunisme est une maladie de société vieillissante ». A la fin des années 80, vous vous souvenez, il y avait les rénovateurs.

Ils sont tous morts désormais.

Pas tous. Ils sont très vieux…

C’est toujours pareil. On ne choisit pas un responsable politique parce que c’est une femme, ou parce qu’il est homosexuel, ou parce qu’il est noir, ou parce qu’il est jeune…

Ça n’a pas beaucoup été fait, depuis 20 ans ?

Et si, ça a beaucoup été fait. Et après on s’étonne, d’en être arrivés là.

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Gaby-le-Magnifique à l’école du pouvoir

Lors de son discours de politique générale à l’Assemblée nationale, d’une durée d’une heure vingt, mardi 30 janvier, le Premier ministre a appelé à une « exception agricole française ». Il place désormais l’agriculture au sommet des priorités gouvernementales, donnant le sentiment de délaisser l’école. Comme il a utilisé les termes « déverrouiller », « désmicardiser » ou « débureaucratiser », Jean-Luc Mélenchon a entendu le discours « le plus réactionnaire depuis plus d’un siècle ».


Annoncée à grand fracas médiatique, la déclaration de politique générale du nouveau Premier ministre, Gabriel Attal, s’est diluée dans le convenu du macronisme, en noyant l’identité de son orateur. Le prometteur mais éphémère Ministre de l’Education nationale a laissé ses engageants oripeaux d’il n’y a pas si longtemps dans les vestiaires de la rue de Grenelle, qu’il a étonnamment quittés sans trop de nostalgie.

Pour l’occasion, le servile public avait sorti les grandes orgues. France Télévisions, jugeant sans doute l’impact des chaines infos et l’écho de son satellite radiophonique insuffisant, avait bousculé son antenne pour retransmettre l’évènement. La bonne Ernotte est donc de rigueur pour cette complaisance espérée porteuse avec le ci-devant ministre de l’Education et son rendez-vous avec la nation, au cœur d’une actualité lourde et d’une jacquerie-soubresaut de vie, qui voit le paysan non plus cultiver la terre mais la rejoindre. Avec la complicité mortifère des termites de Bruxelles, désignées – c’est certain ! par les dieux, mais c’est une autre histoire.

Le jeune et impénitent marcheur de la première heure, qui avait fait ses armes au sein du très décati parti à la rose, avait ce jour-là de vrais accents conservateurs, propres à séduire la frange conservatrice du pays. Certes, le jeune Premier ministre a usé de ses atouts premiers : regard noir-de-jais profond, éloquence bouillante, sincérité revendiquée et index pointé, mais il vient sans doute de perdre la première manche dans l’étayage de son nouveau statut. Le brouhaha du Palais-Bourbon qui prévalait lors de son allocution, plus potache que vindicatif – sans doute par égard à sa courte apparition dans son rôle de professeur en chef – n’a rien de définitivement révélateur cependant. La vérité est ailleurs. L’astre brillant au firmament des sondages et autres enquêtes d’opinion prend désormais des allures d’étoile filante. La fameuse théorie, qui s’avère de plus en plus fumeuse et funeste, du « en même temps » risque de le consumer bien vite… Le fils spirituel du grand frère qui siège à l’Elysée va se faire doucement phagocyter par son insigne parent. Au pays des Huns, seul le pas très engageant Attila survit – sans prospérer – et les jeunes pousses herbeuses qui s’aventurent à croître sous sa fausse bénédiction sont promises à l’étiolement, au sein d’un désert où la défaite est plus cuisante encore.

Gaby-le-Magnifique a du mouron à se faire…

PISA et dépendances

Si le niveau des petits Français est en baisse, c’est parce que celui de leurs profs dévisse aussi. Leur formation est le nœud du problème que doit résoudre le ministre de l’Éducation nationale. Jean-Paul Brighelli lui souhaite bonne chance, et soumet quelques pistes de réflexion.


Cette lettre ouverte à Gabriel Attal, publiée dans notre magazine le 3 janvier, a été rédigée avant sa nomination à Matignon NDLR.

Monsieur le ministre,

Choc PISA, dites-vous… Mais le plus choquant est que la nouvelle déroute de l’école française n’a choqué personne. Même les médias ne sont pas parvenus à faire monter la sauce, tant tout le monde, depuis trente ans que la débandade s’est accentuée – au lendemain de la loi Jospin – est résigné à voir le niveau glisser vers les abysses.

Certes, une statistique réalisée en 2022, après un an et demi d’interruption des cours, est légèrement faussée. Mais elle l’est tout autant pour les tigres du Sud-Est asiatique –et pour l’Estonie, meilleur élève de l’Europe.

Nos voisins d’outre-Rhin ont moins bien digéré que nous la nouvelle de leur effondrement. Déjà en 2000, la première évaluation PISA avait occasionné outre-Rhin un choc salutaire : les Allemands, qui se croyaient encore à l’heureux temps de l’école bismarckienne, décidèrent de réagir avec un vrai succès. Cette fois, c’est l’afflux soudain de réfugiés syriens, invités par Angela Merkel à venir violer des Allemandes lors de la Saint-Sylvestre 2016, qui a fait chuter la moyenne.

Le règne des pédagogistes se termine-t-il?

Nous avons nous-mêmes vécu un épisode équivalent après la double décision ingénieuse du couple gauchiste Giscard/Haby, qui en 1976 ont opté à la fois pour le collège unique et pour le regroupement familial. J’étais déjà enseignant, nous avons vu arriver des gosses pas plus méchants que d’autres mais franchement illettrés, insérés dans les classes sur le seul critère de leur âge. Forcément, les enseignants soumis à la « massification » – un mot atroce qui ne réjouit que les pédagogues professionnels – ont baissé le niveau de leurs exigences, afin de ne pas perdre tout à fait ce tiers de classe qui ne comprenait rien, quitte à sacrifier ceux qui savaient déjà tout. Quand on pense que ce sont les enfants de ces immigrés-là qui sévissent aujourd’hui dans les banlieues, on s’étonne moins.

L’une de vos premières décisions – j’en parlais déjà dans mon dernier livre, L’École à deux vitesses – est donc d’en finir avec ce collège unique, ce qui enflamme la combativité des fossoyeurs en exercice du système scolaire. Philippe Meirieu appelle ainsi ses troupes – qui en trente ans ont infiltré le ministère et les universités– à « résister » : en se prenant pour de Gaulle, il vous attribue un rôle peu reluisant. Peut-être faudrait-il indiquer à ces archontes de la malfaisance que leur règne se termine.

En effet, monsieur le ministre, si vous ne prenez pas des mesures complémentaires immédiates, leur dictature se pérennisera – et se renforcera. La formation des maîtres, dites-vous à raison, est à revoir complètement. Afin de provoquer un déclic dans la mémoire des boomers dont les petits-enfants sont massacrés consciencieusement par ces mêmes pédagogues et leurs séides, vous avez parlé de reconstituer les écoles normales sur un cycle de trois ans post-bac.

Il faudra effectivement recruter intensément si l’on veut que la fiction des classes de niveau devienne une réalité tangible. En répartissant les élèves selon leurs aptitudes, et surtout – c’est essentiel – en fixant un nombre d’élèves dans ces divers groupes inversement proportionnel aux difficultés, éventuellement en donnant aux établissements assez de latitude pour augmenter selon les besoins les emplois du temps des matières en tension, vous allez créer un besoin d’enseignants de qualité qui, pour le moment, ne peut être satisfait. Les jurys peinent à donner les concours à des candidats d’une médiocrité insigne, vu qu’ils arrivent souvent de psycho-socio-nigologie, filières où l’on n’enseigne aucune des matières qu’ils sont censés enseigner.

Et comme ils ont bénéficié, en deux ans de master MEEF, d’une formation visant à apprendre à n’apprendre rien (un constat fait dès 1999 par Jean-Claude Michéa dans L’Enseignement de l’ignorance), ils se retrouvent admirablement inaptes à transmettre quoi que ce soit.

C’est le nœud du problème. Les redoublements, le brevet, les notes aux examens, tout cela n’est que broutilles et écran de fumée. Allez jusqu’au bout et supprimez le bac, relique vieillotte d’un système que l’on ne ressuscitera pas. Ce sera près d’un milliard d’euros économisés chaque année.

Ne pas faire confiance à ceux qui ont détruit le système

Puis-je faire une suggestion pour améliorer le recrutement et la formation des maîtres ? Cessez de la confier aux universités, et proposez-la aux lycées à CPGE. Henri-IV a déjà une classe expérimentale, post-bac, qui en trois ans propose de former des professeurs des écoles compétents. Nul besoin d’universitaires experts en recherches pointues pour enseigner à des néo-étudiants auxquels il suffit, au fond, de transmettre tout ce que l’on a soigneusement évité de leur apprendre dans les quinze années précédentes — de l’orthographe à la date de la bataille de Marignan en passant par l’étude des fractions ou des nombres à décimales. Deux questions dont de récents sondages en sixième ont prouvé qu’elles n’avaient pas été abordées au primaire.

Si vous abandonnez la formation des maîtres aux universités, vous allez renforcer le pouvoir de la clique mérieutique qui se frotte déjà les mains à l’idée de contourner vos préconisations – comme elle l’a fait jadis lorsque Gilles de Robien a voulu institutionnaliser l’apprentissage de la lecture-écriture en alpha-syllabique.

Plutôt qu’à des universitaires auteurs de thèses sur l’inutilité de l’orthographe ou du bon français qui s’acharneront à défaire votre projet avant qu’il soit éclos, confiez donc la formation des maîtres aux enseignants de lycée et de classes préparatoires – par exemple ceux qu’une saine gestion des prépas en surnombre à Paris, actuellement en projet, laisserait le bec dans l’eau. Quitte à charger du chapeautage de cette formation une personne digne de confiance – après tout, l’actuel recteur de Paris a réussi à imposer la méthode Lego dans la capitale, conformément aux préconisations de Stanislas Dehaene, et à insuffler de la mixité scolaire dans les lycées de la capitale sans pour autant descendre le niveau.

Vous ne pouvez pas faire confiance à ceux qui ont détruit le système, et qui frappent aujourd’hui à votre porte pour se voir confier des fonctions qui leur permettront de torpiller vos intentions. Seuls de vrais enseignants, maîtres de leur discipline, peuvent assurer  l’apprentissage de ces mêmes disciplines. Et ils sauront en même temps initier les étudiants aux subtilités de la vraie pédagogie – celle qui ne laisse personne en route et permet à chacun d’aller au plus haut de ses capacités.

Cela dit, bravo pour votre réactivité dans l’affaire du collège d’Issou. Les élèves sanctionnés doivent être déplacés plus loin – loin de leurs familles toxiques, de leurs « grands frères » et de leur ghetto.

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Identité nipponne

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Et si, juste après sa mort, vous découvriez que votre mari n’est pas du tout celui qu’il prétendait être ?


C’est entre autres à Lotz, en Pologne, que le réalisateur japonais Kei Ishikawa né en 1977 a été formé au cinéma. Extraterritorialité qui n’est sans doute pas étrangère au climat étrangement glacé de ce quatrième long métrage, adaptation d’un roman de Keiichiro Hirano qui a remporté en 2018 le prix Yomiuri – l’équivalent du Goncourt, au Japon. Sous les auspices de Art House, c’est son premier film distribué en France.

Un jeune homme timide, dessinateur naïf à ses heures, rencontre une jeune veuve dans la papeterie où elle travaille. Mère d’un petit garçon, Rie (c’est son prénom) en tombe amoureuse, et se marie bientôt avec lui. Daisuko Tamiguchi est bûcheron, ou plus exactement apprenti sylviculteur. Là-dessus, le pauvre gars meurt accidentellement, écrasé sous le tronc de l’arbre qu’il venait d’abattre maladroitement. Survient son frère aîné, mais sur la photo qui orne l’autel funèbre, celui-ci ne reconnaît pas Daisuko : manifestement, son identité a été usurpée. Séduisant avocat, Akira Kido (joué par l’excellent et photogénique acteur Satoshi Tsumabuki), un de ces nombreux Coréens nés au Japon qu’on appelle les « Zainichi », est engagé par la veuve pour découvrir quel homme pouvait bien se dissimuler derrière la figure du disparu.

A lire aussi: Les bourreaux côté jardin

Prologue d’une intrigue labyrinthique, faite d’ellipses, de détours, de flashback et de rebondissements, qui exigent du spectateur une attention soutenue. Sous le masque du thriller – assassinats, identités travesties, successives et compliquées…-, traversant les années au fil des remariages et autres soubresauts familiaux, A man dissèque non sans âpreté la société nipponne contemporaine : état des lieux qui arpente ses marges criminelles, ses préjugés de castes, ses non-dits… Avec, en arrière-plan, le tableau de la ville du XXIᵉ siècle, métropole arachnéenne, tentaculaire, en chantier permanent.

À l’enseigne de Magritte, dont la célèbre et énigmatique toile surréaliste Reproduction interdite (1937), encadre l’exposition et le dénouement du film, A man questionne le vertige de l’identité, dans une singulière sobriété formelle, conjuguée à une déroutante virtuosité scénaristique. Au risque que le spectateur, piégé dans l’entrelacs des faux-semblants, se perde un peu en chemin.

A man © film Partners

A Man. Film de Kei Ishikawa. Japon, couleur, 2022. Durée : 2h01. En salles le 31 janvier 2024

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Droite: Bellamy, tête de liste et tête de turc

Face à Marion Maréchal et Jordan Bardella, la talentueuse tête de liste LR aux élections européennes va vite devoir sortir les griffes et briller dans les polémiques politiciennes pour espérer se faire une place.


Qui n’est pas de droite aujourd’hui ? Ce titre ne se veut pas provocateur. Il exprime mon impression derrière la multitude des antagonismes souvent dérisoires qui encombrent la vie politique et font le miel de l’espace médiatique. À bien observer, si nous n’avons hélas pas encore une droite du courage, en revanche le courage de se dire de droite n’en est plus un. Tant cette identité qui mêle libéralisme et pensée conservatrice est devenue celle qui semble le plus correspondre au réel et à la politique qu’il devrait imposer pour une France redressée dans tous ses états. Cette conviction n’est pas contradictoire avec l’abus ridicule, vide de sens, de l’appellation « extrême droite », qui prétend placer sous un pavillon unique une diversité intellectuelle et partisane impressionnante. Elle n’est destinée qu’à favoriser la paresse des analyses et le conformisme des dénonciations. Je l’affirme d’autant plus volontiers que je ne me sens pas totalement partie prenante de cette droite qui sur les plans politique et médiatique, me fatigue trop souvent par sa prévisibilité et son manque d’audace. Plus apte à pourfendre, quelquefois brillamment, la gauche qu’à se constituer comme espace autonome et vraiment mobilisateur.

RN, LR, Reconquête: la guérilla permanente

Si je n’avais pas le sens du ridicule, je continuerais à me qualifier d’anarchiste de droite, tant cette dénomination, conciliant ma vision du monde et de la société avec mon désir d’intelligente subversion, me semble de loin la plus appropriée à l’état d’esprit d’un certain nombre de concitoyens. Ils ont pour dénominateur commun de croire au pouvoir de la politique et à la politique qui serait mise en œuvre par un pouvoir courageux, efficace et exemplaire.

A lire, du même auteur : Pourquoi Nicolas Sarkozy m’a-t-il déçu?

Rien ne me paraît plus absurde que cette guérilla permanente qui oppose Les Républicains, le Rassemblement National et Reconquête!. On sait que l’union des droites demeurera une aspiration inconcevable pratiquement, tant que les positions extrêmes d’Eric Zemmour seront un défi au caractère opératoire que doit avoir tout programme, que la présence de Marine Le Pen (malgré le formidable déblayage éthique et historique qu’elle a réalisé) interdira un rapprochement qu’elle ne souhaite pas et que la droite classique continuera à camper dans un refus peureux, persuadée par la gauche que ce que François Mitterrand a accompli avec le parti communiste, elle n’a pas, elle, au moins à le tenter. On voit un parfait exemple de cette aberration avec la campagne des élections européennes où le seul souci de Jordan Bardella est d’inciter François-Xavier Bellamy à changer de cap ; en laissant croire que les Républicains n’ont qu’un petit pas à faire pour rejoindre le RN, ce qui est faire bon marché du talent, de l’intelligence, de la constance et du bilan de celui qui a été désigné enfin comme tête de liste des LR. On constate que les qualités intrinsèques de Marion Maréchal et sa lucidité se sont dégradées depuis qu’elle est à Reconquête! et que malgré les rapports de force et de rivalité qui auraient surgi avec son maintien au RN, elle aurait mieux fait de ne pas le quitter et de le faire progresser de l’intérieur. Quand elle s’aventure à dénier à Bruno Le Maire, à Gérald Darmanin, à Marine Le Pen et à Jordan Bardella d’être des personnalités de droite pour ne créditer de ce label que Reconquête!, elle exagère. Elle se trompe également quand elle déclare que « François-Xavier Bellamy devrait logiquement être avec nous » (Le Figaro). De quel préjugé tire-t-elle cette accusation selon laquelle, après les élections européennes, LR rejoindrait le macronisme ? Elle n’en sait rien et leur prête une attitude équivoque que pour l’instant rien ne confirme…

Les Républicains loin de mourir ?

Je perçois que cette attitude bizarrement commune de deux adversaires à l’encontre de LR, n’a pour finalité que d’essayer de réduire encore davantage l’espace de ce parti, comme s’il était voué à l’étouffement entre ces deux forces dont l’une pour l’instant est largement en tête et l’autre en difficulté. Il reviendra à François-Xavier Bellamy de sortir ses griffes et d’accepter ce que les débats politiques, pour être efficaces et convaincants, imposent de vulgarité et de polémiques. Cette impossibilité aujourd’hui, à l’exception d’accords sur le terrain vite disqualifiés par la hiérarchie de LR, de songer à une union des droites, n’empêche pas cette famille politique largement entendue, avec son centre et ses extrémités, d’être prépondérante dans notre démocratie.

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Il est fini le temps où, qualifiée de la « droite la plus bête du monde », elle faisait tout pour justifier cet opprobre. Les Républicains ont beau être moqués qu’ils réussissent ou échouent, ils n’en restent pas moins l’incarnation, contre des adversaires inégalement importants qui aspirent à les absorber, d’une philosophie politique qui devrait se faire une gloire de savoir concilier humanisme et rigueur, cohérence et pragmatisme. Dans la forme j’ai apprécié la révolte d’une certaine droite face au grotesque ostracisme qu’on souhaitait faire subir à Sylvain Tesson, choisi pour parrainer le printemps des poètes. Tout ne passe plus, elle se rebiffe. Sur le fond et pour l’organisation, hommes, femmes et idées, j’ai parfois l’impression d’une France qui attend d’être représentée par un grand et vrai parti de droite. Orpheline mais emplie d’espérance.

Taxi driver à Aden

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Le Yémen n’a pas d’industrie cinématographique. Mais, avec Amr Gamal, il a un grand cinéaste. Les lueurs d’Aden, son film, suit l’itinéraire d’un couple qui ne peut pas se permettre d’avoir un quatrième enfant, alors que la guerre civile fait rage.


La religion ménage toujours des arrangements avec ses propres préceptes. Faut-il croire le prophète, qui assure qu’avant 120 jours le fœtus n’a pas d’âme ? Ou bien est-ce 40 jours ? À quel stade de la grossesse le tabou de l’avortement est-il levé par le Très-Haut ?

Un ménage aux abois

Ahmed, un employé d’Aden TV, la télévision d’Etat, (bien réelle, la chaîne est aujourd’hui fermée) dont le salaire n’est pas tombé depuis trois mois, a dû se résoudre, pour arriver à nourrir sa famille, à s’improviser chauffeur de taxi. Isra’a, sa femme, se sait enceinte de son quatrième enfant. Pour se convaincre de son bon droit à avorter, elle n’en finit pas de visionner sur son smartphone le prêche en ligne qui lui suggère qu’elle ne commet aucun péché, et la rassure sur son sort dans l’au-delà.

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Au marché, tout est cher : la famille se restreint même sur la nourriture. Le petit ménage aux abois vient de se voir contraint de déménager dans un taudis sordide, faute de pouvoir payer le loyer de l’appartement décent qu’il occupait jusqu’alors.  On tâche encore de sauver l’essentiel : scolariser les enfants dans le privé, pas dans le public ; commander chez le tailleur un uniforme pour le petit dernier. Garder, si possible, la tête haute.

© Paname distribution.

Nous sommes en 2019, à Aden, la grande ville portuaire d’un Yémen miné par la guerre civile. Les barrages militaires scandent la chaussée, une soldatesque arrogante circule en camions, sans égards pour les civils. Les coupures de courant se multiplient, l’eau est rationnée : tout semble partir à vau-l’eau. Il faut pouvoir compter sur sa famille, sur ses proches, sur ses soutiens : un sentiment de déclassement hante la classe moyenne. Tout se monnaye – la corruption est le lot commun.

L’avorteuse au niqab noir

Pas à pas, Les lueurs d’Aden suit l’itinéraire de ce couple en crise, au cœur d’une cité désormais régentée par la religion mahométane. La décision d’avorter se heurte, non seulement aux lois en vigueur, mais surtout aux interdits (à géométrie variable) de l’Islam. Muna, l’amie médecin qui aurait toutes les compétences requises pour prendre en charge cette IVG n’est jamais vêtue autrement qu’en niqab, en noir de la tête au pied dès qu’un homme se présente à sa vue, fût-il l’époux d’Isra’a, sa proche amie.  Va-t-elle, émue par le sort de la jeune gravide, agir contre ses principes ? N’aura-t-elle pas ensuite des remords ?

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The Burdened – titre original du film, soit : « les porteurs du fardeau » en Français – n’est pas seulement la chronique d’une débâcle intime sous pression sociétale, économique, confessionnelle. A travers ce drame familial, le réalisateur Amr Gamal brosse d’une main très sûre la peinture d’une ville, dans une remarquable économie de moyens, adossée à un scénario construit au millimètre, dialogues inclus. Ancien protectorat anglais comme l’on sait, Aden conserve encore, malgré les cicatrices de l’époque « socialiste » puis des soubresauts de cet interminable conflit attisé par l’Iran (opposant aujourd’hui, pour faire bref, les Houthis, au nord, et le sud sécessionniste, sur fond de rivalités entre Riyad et Abou Dhabi) des vestiges de son éclectisme architectural et paysager, avec ses monuments et ses parcs, mais surtout cette tapisserie urbaine dont ce passionnant long métrage se fait l’illustrateur et l’anthropologue attentif. Jusque dans l’attention portée aux figurants, à leur circulation dans le réseau des rues, à leurs tenues – on sent que visuellement, rien n’est laissé au hasard : la moindre séquence est parfaitement composée.   

Le Yémen n’a pas d’industrie cinématographique. À tout le moins peut-il à bon droit s’enorgueillir d’avoir un authentique cinéaste !  Né en 1983, Amr Gamal, dont l’une des productions théâtrales s’est exportée à Berlin – une première européenne pour la scène yéménite – est déjà l’auteur d’un long métrage, Ten Days before the Wedding, nomination du Yémen aux Oscars 2018. Les lueurs d’Aden sera donc son premier film distribué en France. Par son écriture au cordeau, précise autant qu’épurée, Les lueurs d’Aden rappelle l’esthétique du meilleur cinéma iranien d’aujourd’hui – on pense à Mani Haghrighi (Les Ombres persanes), Asghar Farhadi (Un Héros), ou encore, bien sûr, Jafar Panahi (3 visites, Taxi Téhéran)… Une lueur d’espoir sur le Yémen ? A l’heure même où le présent article est envoyé, les rebelles Houthis, instrumentalisés par l’Iran sur fond de chantage contre Israël, multiplient les accrochages avec la marine américaine en mer Rouge…     


Les lueurs d’Aden (The Burdened). Film de Amr Gamal. Yeman/Soudan/ Arabie saoudite, couleur, 2023. Durée : 1h31. En salles le 31 janvier 2024.

Décadence du ventre


Après qu’elles ont aspergé de soupe au potiron la Joconde, devenue ces temps-ci le souffre-douleur de la sottise écolomaniaque, nos deux hardies militantes ont entonné leur prêche et lancé cette question existentielle, certainement mûrement pensée : « Qu’est-ce qu’il y a de plus important ? L’art ou le droit à une alimentation saine et durable ? »

Musée du Louvre, 28 janvier 2024 © David CANTINIAUX / AFPTV / AFP

Cela revient en réalité à mettre sur le même plan l’élévation par l’art et le fonctionnement du transit, l’édification de l’esprit et la satisfaction de la panse. Voilà bien un rapprochement dont on pouvait penser que nous avions atteint un niveau suffisant de civilisation pour que sa trivialité et son ineptie nous soient épargnées. Mais non. Rien d’ailleurs, semble-t-il, ne nous sera épargné sur cette longue pente qui nous entraîne inexorablement vers la fosse commune des civilisations disparues.

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Sur cette pente de la décadence, il y a bien sûr les causes de la présente révolte du monde de ce que la technocratie triomphante range sous le vocable d’agriculture et que, pour ma part, je persiste à appeler paysannerie. Tout simplement parce que ce mot-là fait clairement référence au « pays ». D’ailleurs, au Moyen Âge le mot paysan signifiait d’abord « homme d’un pays ». Furetière, dans son dictionnaire, publié en 1690, deux ans après sa mort, livre cette autre définition du mot. « Pays est aussi un salut de gueux, un nom dont ils s’appellent l’un l’autre quand ils sont du même pays. » On appréciera comme il convient le recours au terme de « gueux ». Ce brave Furetière avait sans doute l’excuse des préjugés de son temps, ce qui n’est évidemment pas le cas des technocrates de Bruxelles et de leurs affidés des ministère parisiens, qui, toute condescendance bue, ne voient probablement dans le monde paysan d’aujourd’hui qu’un conglomérat disparate de gueux. Des gens de peu, des gens d’un autre âge, frappés d’obsolescence comme le terme lui-même.

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Les premiers assauts délétères contre ce monde-là sont peut-être à chercher du côté du remembrement. Ce que par commodité de langage nous appellerons le système s’emparait du pays justement, le modifiait en profondeur, se l’appropriait. On arrachait les haies, arasait les mottes, comblait les fossés, les trous d’eau, on éradiquait les boqueteaux. Il fallait fabriquer de grands espaces, pour de la grande rentabilité, pour de la grande efficacité d’exploitation, de la grande mécanisation. C’était le premier pas de la non moins grande dépossession. Le paysan, le gardien du Temple Nature, soumis à la loi du marché. Puis allaient s’imposer les combinazione ploutacratiques du libre échange, et leur cortège d’absurdités dont, aujourd’hui, sous nos yeux ces mêmes gardiens du Temple Nature crèvent.

On n’a pas assez vu le coup venir. Mais – en exagérant à peine, en fait si peu…- on pourrait dire que le remembrement n’était que la répétition en petit format de ce que serait Schengen. Plus de haies, plus de frontières, de vastes espaces pour un marché sans entraves ni limites et le profit décuplé qui va avec. La logique idéologique est à l’identique dans les deux cas, faire place nette devant la gloutonnerie impérialiste et apatride du système. Le remembrement ou comment mettre Schengen au milieu du village. Einstein assurait que si l’abeille venait à disparaître, l’humanité elle-même disparaîtrait. Cela vaut aussi, et plus encore, c’est l’évidence même, pour le paysan. L’abeille humaine à bonnet jaune.

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Le Parti socialiste belge invente la « gauche cocaïne »

Les Belges ont eux aussi leur colline du crack! Dans le cabinet du ministère de l’Éducation de la Fédération Wallonie-Bruxelles ont été saisis pas moins de 50 paquets de cocaïne…


Nous connaissions la gauche caviar. La Belgique, jamais en reste lorsqu’il s’agit d’innover en matière politique, vient d’inventer la « gauche cocaïne ». Les socialistes y ont viré coco : rien à voir avec un tournant communiste, encore moins d’un « Bad Godesberg » à l’envers, mais plutôt d’un bad trip : cinquante pacsons de cocaïne ont été découverts dans le cabinet de la ministre socialiste de l’Enseignement Caroline Désir. Sur les terres wallonnes, le Parti socialiste règne en caïd depuis de longues décennies, pour le pire, jamais pour le meilleur : il suffit, pour s’en convaincre, de se pencher sur la situation économique abyssale de ce coin, autrefois parmi les plus prospères de la planète ou sur l’état des libertés publiques dans une région où tout homme de droite est forcément d’extrême droite et donc potentiellement interdit de parole ou de meeting en raison du sacro-saint cordon sanitaire.

TrainPSotting

Quand tout pouvoir vous appartient, vous êtes libre de toutes les dérives, sans réellement être inquiété ou rejeté dans l’opposition. La liste des scandales impliquant le PS, dirigé par Paul Magnette (que l’on voit fréquemment morigéner sur les plateaux français) est d’ailleurs longue comme le bras : de l’affaire Agusta-Dassault dans les années 90 au récent Qatar Gate, affaire de corruption au Parlement européen, le parti a été maintes fois éclaboussé.

A lire aussi: Branle-bas de combat chez les européistes, élections en vue

Le PS est un monde de « copains et de coquins » et désormais aussi de cocaïne. Jugez plutôt : le baron présumé dans cette affaire est lui-même le fils de Fadila Laanan, autre personnalité du parti, ancienne ministre qui se fit davantage connaître pour ses bourdes et ses buzz enfantins que par ses talents, notamment en matière de culture dont elle avait la charge. Les mauvaises langues diront d’ailleurs que le Pablo Escobar du plat pays ne fut pas engagé sur ses qualités propres, mais parce qu’il possédait la carte du bon parti. Au PS, avant de faire razzia sur la chnouf, il y avait longtemps qu’on l’avait fait sur les postes.

Ce « TrainPSotting », dans lequel des figures socialistes ont remplacé Ewan McGregor dans le rôle principal, est évidemment dramatique au sein d’un pays miné par la drogue, avec pour porte d’entrée le port d’Anvers où les mafias font régner la terreur. Que cette affaire ait lieu au sein du ministère de l’Enseignement, chargé de la formation de la jeunesse, est encore plus dramatique ; que la ministre à la tête du cabinet où la découverte a eu lieu n’ait pas encore démissionné, en dit long sur la toute-puissance du PS ; que le monde politico-médiatique ait étouffé l’affaire pendant des semaines ne dit rien qui vaille sur la démocratie en Wallonie.

L’appel du grand large

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Affaire Sylvain Tesson. Mais au fait ça veut dire quoi, être «réactionnaire» aujourd’hui ?


Ce monde devient irrespirable. Et qu’on ne nous dise pas qu’il s’agit là d’un « sentiment », ou qu’il en a toujours été ainsi ! Face au déferlement des « affaires », qui n’en sont à vrai dire que pour leurs commanditaires, on rêve d’un nouveau Karl Kraus qui mettrait les pieds dans la fourmilière, d’un ironiste au cœur généreux et au verbe aussi incisif que celui de son aîné viennois constatant que « chaque époque a l’épidémie qu’elle mérite[1] ». La nôtre s’enchante de son inculture, et joue à se faire peur au lieu de voir les vrais dangers qui la menacent. Mais le wokisme ne date pas d’hier, et Jean Baudrillard avait déjà tout dit, avec une lucidité sans fard, dans ce brulot qu’est La conjuration des imbéciles (1997), et que Libération ne publierait probablement plus : « La vraie question devient alors : ne peut-on plus l’«ouvrir » de quelque façon, proférer quoi que ce soit d’insolite, d’insolent, d’hétérodoxe ou de paradoxal sans être automatiquement d’extrême-droite (ce qui est, il faut bien le dire, un hommage à l’extrême-droite)[2]». Quoi que ce soit de poétique, faudrait-il ajouter, d’aventureux, de tendre et sarcastique comme le sont les écrits de Sylvain Tesson, « réactionnaire » comme chacun devrait désormais le savoir, icône de l’extrême-droite littéraire et sans doute bien pire encore.

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Sylvain Tesson n’a pas besoin d’être défendu car il n’est pas coupable

Aussi sociable que solitaire, et en cela proche du « vagabond romantique » (Wanderer) et de l’Anarque de Jünger, ce fin prosateur et intrépide marcheur est parfaitement capable d’affronter seul la meute, ou de prendre la tangente sans se préoccuper de savoir s’il sera poursuivi pour délit de fuite. Le grand vent de liberté qui l’a propulsé sur les routes ne le laissera pas croupir dans le marécage médiatique. Gageons même qu’il est déjà ailleurs, dans l’univers qui est le sien et qui lui vaut tant de lecteurs. Mais lui témoigner admiration et solidarité c’est aussi défendre le droit imprescriptible de choisir librement, comme il l’a toujours fait, la vie qu’on entend mener. Amoureux comme Segalen de la diversité du monde – ou au moins de ce qu’il en reste -, Tesson a bien davantage à nous apprendre de la vie que le néo-conformisme moral contemporain voulant qu’on ne voie plus le réel qu’à travers le filtre de l’idéologie ; et condamnant ainsi notre triste époque à n’avoir plus aucune idée du « destin des mots », comme Kraus le déplorait au siècle dernier. Mais au fait ça veut dire quoi, être « réactionnaire » aujourd’hui ?

Ennemi du Progrès

Être un sale type et un danger pour la société, on l’aura compris. Mais encore ? Le mot est à lui seul un oxymore puisque le « réactionnaire » fait de sa réaction – signe qu’il est en vie ! – un système dans lequel il s’enferme, devenant ainsi un fanatique de l’immobilisme, un chantre du passéisme puisque, non content de s’immobiliser, le réactionnaire rêve de restaurer ce qui n’est plus et de renverser l’ordre nouveau qui l’a supplanté. En quoi n’est-il pas alors lui aussi un « révolutionnaire » ? Héritée de la Révolution française et de la Réaction monarchiste qu’elle a suscitée, l’opposition radicale entre réactionnaire et révolutionnaire est en effet corrigée par la sémantique ordinaire voulant que l’un et l’autre se retournent en arrière (lat. revolvere) : l’un avec nostalgie, l’autre avec la volonté d’éradiquer ce qui l’empêche d’avancer vers un avenir toujours plus radieux. Est-ce donc un crime de considérer qu’on aurait pu conserver ce qu’il y avait de bon dans l’ancien monde ?

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Certains rappellent, pour défendre Tesson, que Baudelaire fut lui aussi un « réactionnaire » et que cela ne l’a pas empêché d’être un grand poète qui eut néanmoins le mauvais goût de préférer Joseph de Maistre à Voltaire. D’autres affirmeront qu’un grand poète est d’autant plus dangereux qu’il a de tels goûts. Car un réactionnaire est davantage qu’un conservateur ; c’est un ennemi du Progrès et donc du genre humain. Encore faut-il être capable de distinguer ce qui, dans la conservation, relève d’une stagnation mortifère ou contribue à la préservation de ce sans quoi le genre en question cesserait d’être humain ! Tout homme de culture est à cet égard à la fois révolutionnaire et conservateur, comme n’ont pas manqué de le rappeler les plus grands d’entre eux. Un penseur plutôt « de gauche » comme Günther Anders ne disait pas autre chose : « Je suis un « conservateur » en matière d’ontologie, car ce qui importe aujourd’hui, pour la première fois, c’est de conserver le monde absolument comme il est[3]» Au péril nucléaire s’ajoute en effet depuis quelques décennies un péril culturel, spirituel : peut-on encore dire sans être cloué au pilori que la modernité a produit beaucoup de non-sens et de laideur ? Dire qu’on n’a aucune affinité avec une culture comme celle de l’islam qui exclut les femmes de la vie sociale ? Dire comme le fait Tesson qu’énoncer en poète ce qu’on voit est plus important que pratiquer la dénonciation sans accepter la contradiction.

Demander des comptes à la modernité

Réactionnaires et conservateurs, supposés ou assumés, ont en tout cas en commun d’oser critiquer la sacro-sainte modernité ; les plus radicaux pour la jeter au panier, les autres pour lui demander des comptes quant aux résultats civilisateurs dont elle se glorifie : « La modernité repose sur le principe de la rivalité mimétique » note quant à lui Tesson[4] qui lui préfère de loin les grands espaces, le silence fertile de la vie d’ermite, et la patience du guetteur espérant que son immobilité lui permettra d’entrevoir la panthère des neiges. S’il y a mille et une manières d’être antimoderne, celle de Tesson préserve indéniablement le monde plus qu’elle ne le menace.

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[1] Karl Kraus, Les derniers jours de l’humanité, trad. J.-L. Besson et H. Christophe, Paris, Editions Agone, 2015. p. 133.

[2] Tribune publiée dans Libération le 7 mai 1997, puis dans De l’exorcisme en politique ou la conjuration des imbéciles, Paris, Sens et Tonka, 2000.

[3] Et si je suis désespéré que voulez-vous que j’y fasse ? trad. Ch. David, Paris, Allia, 2010, p. 76.

[4] Eloge de l’énergie vagabonde, Paris, Editions des Equateurs/Pocket, 2007, p. 197.

Un navet est beaucoup plus qu’un navet

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Image d'illustration Unsplash.

Dominique Labarrière nous propose aujourd’hui un peu de médecine préventive


De ce que nous mettons au bout de notre fourchette dépend, en grande part, notre santé. Pardon de rappeler une vérité si bien connue. Dans le catalogue des prescriptions de la médecine préventive, il est clair qu’une alimentation équilibrée et saine devrait tenir le premier rang. D’ailleurs, on nous en serine les bienfaits à l’envi : s’appliquer à consommer cinq fruits et légumes par jour (hors versions distillées, cela s’entend) vaudrait non seulement un élixir de longue vie mais assurerait de surcroît un prolongement de la vitalité juvénile absolument prodigieux. Big Pharma en crèverait. La perte serait considérable, du moins à la corbeille.

Ce que nous mettons dans nos assiettes participe aussi – sans doute le perd-on trop facilement de vue – de notre plaisir, notre plaisir d’individus de chair et de sang, et donc de notre art de vivre. Chacun admettra qu’il n’y pas de moments heureux dans nos existences bien françaises sans qu’on se sente tenu de s’offrir quelques fastes de table.

Bref ! J’oserais aller jusqu’à déclarer que le navet fait effectivement partie intégrante de notre « patrimoine commun ». Un peu après le château de Versailles et le chapeau de l’empereur, certes, mais pas si loin que cela. Ce n’est pas rien. On s’en persuadera sans peine. Ce dont les peuples se sustentent, ce qu’ils ont agrément à se mettre en bouche participe évidemment et très profondément des mille et cent éléments, importants ou dérisoires, qui fondent leur culture. À cet égard, le navet est donc bien plus qu’un navet. Il ne devrait pas demeurer plus longtemps, comme la chaussette ou le caleçon molletonné popeckien, un produit de plus à entasser sur les rayons des supermarchés, une chose vulgaire, banale. Pour inanimée qu’elle soit, cette chose aurait, me dis-je, poussant toujours plus loin l’innocent délire que je m’autorise ici, une âme. (Pour ma défense, ce poète fameux qui finalement ne dit pas autre chose : « Objets inanimés qui s’attachent à notre âme et patati et patata… ». On connaît.)  

Pour toutes ces raisons, le navet mérite respect et considération. On pourrait par exemple le citer de temps en temps à l’ordre de la nation reconnaissante. Je galèje encore, bien sûr. J’en suis bien conscient. Mais il me semble que s’autoriser en ce moment une once de rigolade ne peut pas être mauvais pour notre santé, mentale en l’occurrence.

Enfin, pour tout dire, je verrais d’un assez bon œil que notre navet ainsi que tous autres légumes et plus généralement toutes productions paysannes de chez nous, bénéficient d’un traitement privilégié, plus ou moins calqué sur le modèle de notre exception culturelle française dont le mérite, en soi remarquable, aura été de sauver du naufrage la création cinématographique hexagonale. Rien de moins. Navets compris, au demeurant.

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«Il y a une guerre des civilisations qui se dessine»

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Henri Guaino © BALTEL/SIPA

Dans son dernier livre, À la septième fois, les murailles tombèrent (éditions du Rocher, 2023), l’ancien conseiller spécial du président Sarkozy dresse un état des lieux peu réjouissant. Occident va-t’en-guerre, wokisme, réformes sociales, rien ne trouve grâce aux yeux d’Henri Guaino, moins encore la nouvelle génération de trentenaires qui arrive aux commandes.


Causeur. Votre livre, A la septième fois, les murailles tombèrent n’est pas bien optimiste…

Henri Guaino. Je ne sais pas ce que c’est que l’optimisme. C’est un concept qui m’est totalement étranger. Ça veut dire quoi ?

Est-ce qu’il n’y a pas besoin dans l’histoire aussi de moments d’illusions?

Les moments d’illusions… en général, ils ne sont pas les meilleurs. Ils préparent les grandes désillusions. L’espérance oui, l’optimisme, non. L’espérance, c’est une volonté. C’est Bernanos qui l’a le mieux dit. L’optimisme, c’est une facilité. L’espérance, c’est une vertu. C’est absurde, l’optimisme, ça vous empêche d’être lucide. 

A la fin de l’été dernier, Nicolas Sarkozy s’est vu taxer par Libération et quelques autres d’avoir calqué son discours sur celui de la Russie. Vous-même reprenez l’idée que la Russie a été poussée à la guerre à force de voir l’OTAN se rapprocher de ses frontières…

Sur la Russie, j’ai été le premier à prendre des positions qui m’ont valu les applaudissements des uns et les injures des autres. Je suis d’accord avec ce que Sarkozy a dit, mais je l’ai dit avant. Je pense que cette guerre n’aurait pas dû avoir lieu. Ce n’est pas seulement la hantise obsessionnelle des Russes d’être enfermés ; tout le monde savait qu’en poussant l’OTAN jusqu’aux frontières russes, on allait créer un drame. Ce n’est pas moi qui le dis, tous les géopoliticiens américains l’ont dit pendant des décennies, quel que soit leur sentiment à l’égard de la Russie. Je n’invente rien. L’actuel directeur de la CIA, William J. Burns, qui était ambassadeur à Washington en 2008, l’a écrit dans une note à Condoleezza Rice qui a été rendue publique depuis, pour expliquer que si on faisait entrer l’Ukraine et la Géorgie, on allait avoir des problèmes. C’est une vérité que de dire que la responsabilité de cette guerre est partagée.

Est-ce acceptable, selon vous, de laisser demain le Donbass et la Crimée à la Russie?

Est-ce que c’était acceptable de laisser l’Alsace et la Moselle à l’Allemagne en 1871 ? Avant de se demander ce qui est acceptable ou non, il faut se demander ce qui est inexorable, ce qui est de l’ordre de la fatalité. Si l’on trouve que ce n’est pas acceptable, alors il faut y aller. Pourquoi fait-on trainer cette guerre ? Pourquoi fait-on la guerre par procuration ? Pourquoi laissons-nous tuer des dizaines, des centaines de milliers d’Ukrainiens ? Si c’est inacceptable pour nous, alors allons-y. Vous savez, la guerre, vous la faites ou vous ne la faites pas. Si vous la faites, vous la faites totalement. Et, dans ce conflit on sait une chose, c’est qu’on ne peut pas la faire totalement. On ne peut pas la faire totalement, parce qu’il y a 6000 ogives nucléaires dans le camp d’en face. Il faut donc trouver les solutions les moins dramatiques, les moins tragiques, les moins destructrices. C’est ça, la politique. La politique, c’est du bricolage. Parfois, on n’est pas très satisfait. Je n’ai pas lu Le Monde se dresser contre l’Azerbaïdjan dans le Haut-Karabagh. Il faut dire que l’Azerbaïdjan avait le droit international pour lui. Les pauvres Arméniens n’avaient pour eux que le droit des peuples à vivre là où ils vivent depuis 3000 ans. Acceptable, inacceptable… Si c’est inacceptable, on tire les conséquences et vous allez à la guerre. Il y a un type sur les réseaux sociaux qui m’a dit il y a quelques jours : « S’il faut 15 millions de morts, tant pis, au moins on sera débarrassé de Poutine ». Ah bon ? 15 millions de morts !? Il y en aura beaucoup plus que ça si l’on se lance pleinement dans cette guerre. L’écroulement de la Russie, ça serait une bonne chose ? La déstabilisation de toute l’Eurasie ? Qui a envie de ça, à part les Polonais, qui sont obnubilés par leur histoire – ce que je peux comprendre. Mais moi, je ne suis pas Polonais. Moi, je ne me sens pas menacé par les chars russes à Paris, ça rend ma notion de l’acceptabilité un peu différente.

Et quelle est votre analyse de ce qui se passe au Proche-Orient?

Ce conflit est une vraie tragédie car personne n’a tort et personne n’a raison. Les uns vont vous dire : « ça fait des siècles qu’on est là », et les autres, « il y a des millénaires, on était déjà là ». Est-ce qu’on a fait quoi que ce soit pour trouver une solution ? Est-ce qu’on a fait quoi que ce soit de décisif pour arrêter ce massacre ? Non. Vous me direz, ce n’est pas si simple, parce que chacune des deux parties pense que ce conflit est vital. Pour ce qui nous concerne, l’Ukraine plus le Proche-Orient, ça fait beaucoup pour creuser le fossé entre l’Occident et le reste du monde.

Est-on arrivé au choc des civilisations que l’on craignait depuis trente ans?

Oui. Il y a une guerre des civilisations qui se dessine. On a intérêt à tout faire pour que ça n’aille pas jusqu’au bout de cette logique… sinon, on va au désastre. Les guerres de civilisations ou de religions, ça se résout par l’extermination de l’adversaire. Ou par un sursaut de lucidité et d’intelligence, mais quand on a déjà beaucoup tué. La guerre de Trente ans, elle dure trente ans quand même, et elle tue au moins un tiers de la population de l’Europe centrale. (Long silence) L’Occident est malade ; non seulement il est malade mais il veut imposer son modèle au reste du monde. Le reste du monde n’en veut plus !

La phrase leitmotiv de votre livre semble être « l’histoire ne se répète pas mais que nous la répétons »…

Je ne dis pas que « l’histoire ne se répète pas mais que nous la répétons ». Non. Nous nous répétons, parce que nous sommes des hommes, les hommes ont une nature, la nature humaine, et elle n’a pas changé. Les circonstances changent, les moyens changent… mais l’homme, lui, vous croyez qu’il change ? Quand la politique oublie la nature humaine, le désastre est assuré.

Quand on voit Georgia Meloni, qui se voit imposer des privatisations par Bruxelles et qui accepte de nouveaux immigrés, peut-on craindre que ses équivalents français à droite en arriveraient à de tels renoncements s’ils accédaient au pouvoir ?

Oui, peut-être. Madame Meloni est arrivée au pouvoir sans savoir exactement ce qu’elle allait faire. Elle savait ce qu’elle voulait faire mais elle ne savait pas ce qu’elle allait faire, ni ce qu’elle pouvait faire. Qui plus est, l’Italie est dépendante financièrement de l’Europe, ce qui n’est pas le cas de la France. Ces expériences donnent la même chose, c’est-à-dire pas grand-chose. C’est quoi être de droite, c’est être pour la réforme des retraites ?

L’UMP en a fait un paquet, quand elle était au pouvoir !

Et alors ? Vous avez fait une chose une fois, il faut le refaire indéfiniment ? Un jour, vous relevez les taux d’intérêt très haut, et après il faut garder les taux d’intérêt toujours très haut ? Un jour, vous faites une réforme, et après, il faut en faire une deuxième, une troisième, une quatrième de la même nature ? Mais enfin, c’est un argument débile, pardon. Comme l’autre [Agnès Evren, vice-présidente de LR] qui disait : « C’est l’ADN de la droite ». « Je suis de droite, je fais une réforme des retraites ». Pas un de tous ces abrutis n’avait ouvert le rapport du conseil d’orientation des retraites, pas un n’avait essayé de comprendre ce que disaient les chiffres. Quand on a demandé à Monsieur Dussopt de donner ses chiffres, il a répondu : « je n’ai pas de comptes à rendre sur mes chiffres ». On va accepter encore longtemps de faire des politiques comptables, on va continuer longtemps d’accepter la supériorité de la loi européenne sur la loi française, on va continuer à faire des lois sur l’immigration de 95 articles ? Tout le monde a voté, tout le monde a approuvé en sachant qu’une partie était inconstitutionnelle [entretien réalisé avant la censure partielle de la loi immigration par le Conseil constitutionnel, ndlr], et que l’autre partie était contraire aux jurisprudences européennes. Dans ce domaine et dans l’état actuel des choses, c’est le juge qui décide et pas le législateur. C’est faire de la politique, ça ? Dans trois ans, les gens diront : « Ils nous ont menti une fois de plus ». Et puis quand ils auront essayé, les uns Meloni, les autres le Rassemblement national, il se passera quoi ? Faites le compte, en deux cents ans, combien de vraies crises politiques se sont résolues par les urnes ?

Peut-être en 1958 ?

Et non. Mauvais exemple. 58, c’est le 13 mai (le putsch d’Alger NDLR). S’il n’y a pas de 13 mai, pas de retour du Général !

Avez-vous un exemple ?

Il n’y en a pas. Pour finir la Révolution, il a fallu le 18-Brumaire. Pour sortir de la crise de la Seconde République, il a fallu Louis-Napoléon Bonaparte et le 2 décembre. Pour sortir de la crise de la IIIème République, il a fallu la défaite de 40. Pour sortir de celle de la IVème République, il a fallu le 13 mai. Cherchez… A chaque fois, on a eu plutôt de la chance, on a eu quelqu’un pour prendre le pouvoir. On n’est pas tombé sur Hitler, on n’est pas tombé sur Mussolini, on n’est pas tombé sur Joseph Staline. Bon, d’accord, on a eu Pétain. Et encore… Face à lui, il y avait la France libre. On n’aura pas toujours de la chance. Et toutes les catastrophes n’ont pas été provoquées par la gauche. Ce que l’on appelle la droite a eu sa part de responsabilité. Elle a d’ailleurs si peu gouverné, la droite. Elle a résolu le problème de la Commune en pactisant avec les Allemands.

Pour les Européennes, allez-vous vous lancer ?

Les Européennes, ça ne va pas être intéressant non plus. D’ailleurs, à quoi cela sert l’Union Européenne ? Les élections européennes ne vont pas changer la majorité au Parlement. Bon, si LR fait 5%, ça va devenir compliqué quand même… Si le Rassemblement national fait plus de 30%, ça viendra conforter une tendance lourde. Et s’il fait beaucoup moins, ça ne préjugera pas de son résultat à la présidentielle, mais ça sera un mauvais indicateur. Celui qui gagne les Européennes, il part à Bruxelles, il disparait. Personne n’osera rien dire d’intelligent sur l’Europe pendant la campagne. C’est une élection pour rien dont l’histoire est écrite à l’avance. Ça va être la foire d’empoigne pour les jeunes espoirs. Il y aura Marion, il y aura Bardella, il y aura Attal… Je ne sais pas ce qu’ils vont nous trouver comme jeunesse à promouvoir. Je pense qu’on devrait ramener la majorité pour se présenter à l’âge de 16 ans, voire 14 !

Vous voudriez qu’on ait des gamins au pouvoir ?

Pourquoi pas. On peut descendre la moyenne d’âge encore !

Pendant la Révolution, le personnel politique, ce n’était que des jeunes, Saint-Just et les autres.

Il y a des périodes qui font émerger de très jeunes gens, mais ils émergent dans l’épreuve et des circonstances exceptionnelles. Tous n’ont pas été un cadeau pour leur nation, mais les grandes épreuves, c’est l’occasion de montrer sa valeur.

Trouvez-vous qu’on n’a pas assez d’épreuves et qu’il nous en faudrait d’autres pour révéler de vrais talents politiques ?

Dans les épreuves, il y a des talents et des caractères qui se révèlent et qui se forgent. Là, ils n’arrivent pas au sommet après avoir fait le siège de Toulon, la campagne d’Italie, la campagne d’Egypte. Ce n’est pas comparable.

Personne n’a grâce à vos yeux parmi cette nouvelle génération ?

Non. Personne n’a grâce à mes yeux. Je n’ai pas d’a priori pour grand-chose, et certainement pas pour la grâce. Alors… ils se révéleront peut-être ! La dernière fois qu’on nous a fait le coup du jeunisme, c’était en 2017. Le jeunisme devait accoucher du nouveau monde. On a plutôt le plus ancien dans ce qu’il avait de pire. Villiers disait ça il y a quelques jours sur CNews : « Le jeunisme est une maladie de société vieillissante ». A la fin des années 80, vous vous souvenez, il y avait les rénovateurs.

Ils sont tous morts désormais.

Pas tous. Ils sont très vieux…

C’est toujours pareil. On ne choisit pas un responsable politique parce que c’est une femme, ou parce qu’il est homosexuel, ou parce qu’il est noir, ou parce qu’il est jeune…

Ça n’a pas beaucoup été fait, depuis 20 ans ?

Et si, ça a beaucoup été fait. Et après on s’étonne, d’en être arrivés là.

A la septième fois, les murailles tombèrent

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Gaby-le-Magnifique à l’école du pouvoir

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Le Premier ministre Gabriel Attal, hier, Paris © JEANNE ACCORSINI/SIPA

Lors de son discours de politique générale à l’Assemblée nationale, d’une durée d’une heure vingt, mardi 30 janvier, le Premier ministre a appelé à une « exception agricole française ». Il place désormais l’agriculture au sommet des priorités gouvernementales, donnant le sentiment de délaisser l’école. Comme il a utilisé les termes « déverrouiller », « désmicardiser » ou « débureaucratiser », Jean-Luc Mélenchon a entendu le discours « le plus réactionnaire depuis plus d’un siècle ».


Annoncée à grand fracas médiatique, la déclaration de politique générale du nouveau Premier ministre, Gabriel Attal, s’est diluée dans le convenu du macronisme, en noyant l’identité de son orateur. Le prometteur mais éphémère Ministre de l’Education nationale a laissé ses engageants oripeaux d’il n’y a pas si longtemps dans les vestiaires de la rue de Grenelle, qu’il a étonnamment quittés sans trop de nostalgie.

Pour l’occasion, le servile public avait sorti les grandes orgues. France Télévisions, jugeant sans doute l’impact des chaines infos et l’écho de son satellite radiophonique insuffisant, avait bousculé son antenne pour retransmettre l’évènement. La bonne Ernotte est donc de rigueur pour cette complaisance espérée porteuse avec le ci-devant ministre de l’Education et son rendez-vous avec la nation, au cœur d’une actualité lourde et d’une jacquerie-soubresaut de vie, qui voit le paysan non plus cultiver la terre mais la rejoindre. Avec la complicité mortifère des termites de Bruxelles, désignées – c’est certain ! par les dieux, mais c’est une autre histoire.

Le jeune et impénitent marcheur de la première heure, qui avait fait ses armes au sein du très décati parti à la rose, avait ce jour-là de vrais accents conservateurs, propres à séduire la frange conservatrice du pays. Certes, le jeune Premier ministre a usé de ses atouts premiers : regard noir-de-jais profond, éloquence bouillante, sincérité revendiquée et index pointé, mais il vient sans doute de perdre la première manche dans l’étayage de son nouveau statut. Le brouhaha du Palais-Bourbon qui prévalait lors de son allocution, plus potache que vindicatif – sans doute par égard à sa courte apparition dans son rôle de professeur en chef – n’a rien de définitivement révélateur cependant. La vérité est ailleurs. L’astre brillant au firmament des sondages et autres enquêtes d’opinion prend désormais des allures d’étoile filante. La fameuse théorie, qui s’avère de plus en plus fumeuse et funeste, du « en même temps » risque de le consumer bien vite… Le fils spirituel du grand frère qui siège à l’Elysée va se faire doucement phagocyter par son insigne parent. Au pays des Huns, seul le pas très engageant Attila survit – sans prospérer – et les jeunes pousses herbeuses qui s’aventurent à croître sous sa fausse bénédiction sont promises à l’étiolement, au sein d’un désert où la défaite est plus cuisante encore.

Gaby-le-Magnifique a du mouron à se faire…

PISA et dépendances

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Un jour comme un autre dans une école primaire de la commune d’Ambroise (Indre-et-Loire), pendant les années 1970 © Bridgemans Images

Si le niveau des petits Français est en baisse, c’est parce que celui de leurs profs dévisse aussi. Leur formation est le nœud du problème que doit résoudre le ministre de l’Éducation nationale. Jean-Paul Brighelli lui souhaite bonne chance, et soumet quelques pistes de réflexion.


Cette lettre ouverte à Gabriel Attal, publiée dans notre magazine le 3 janvier, a été rédigée avant sa nomination à Matignon NDLR.

Monsieur le ministre,

Choc PISA, dites-vous… Mais le plus choquant est que la nouvelle déroute de l’école française n’a choqué personne. Même les médias ne sont pas parvenus à faire monter la sauce, tant tout le monde, depuis trente ans que la débandade s’est accentuée – au lendemain de la loi Jospin – est résigné à voir le niveau glisser vers les abysses.

Certes, une statistique réalisée en 2022, après un an et demi d’interruption des cours, est légèrement faussée. Mais elle l’est tout autant pour les tigres du Sud-Est asiatique –et pour l’Estonie, meilleur élève de l’Europe.

Nos voisins d’outre-Rhin ont moins bien digéré que nous la nouvelle de leur effondrement. Déjà en 2000, la première évaluation PISA avait occasionné outre-Rhin un choc salutaire : les Allemands, qui se croyaient encore à l’heureux temps de l’école bismarckienne, décidèrent de réagir avec un vrai succès. Cette fois, c’est l’afflux soudain de réfugiés syriens, invités par Angela Merkel à venir violer des Allemandes lors de la Saint-Sylvestre 2016, qui a fait chuter la moyenne.

Le règne des pédagogistes se termine-t-il?

Nous avons nous-mêmes vécu un épisode équivalent après la double décision ingénieuse du couple gauchiste Giscard/Haby, qui en 1976 ont opté à la fois pour le collège unique et pour le regroupement familial. J’étais déjà enseignant, nous avons vu arriver des gosses pas plus méchants que d’autres mais franchement illettrés, insérés dans les classes sur le seul critère de leur âge. Forcément, les enseignants soumis à la « massification » – un mot atroce qui ne réjouit que les pédagogues professionnels – ont baissé le niveau de leurs exigences, afin de ne pas perdre tout à fait ce tiers de classe qui ne comprenait rien, quitte à sacrifier ceux qui savaient déjà tout. Quand on pense que ce sont les enfants de ces immigrés-là qui sévissent aujourd’hui dans les banlieues, on s’étonne moins.

L’une de vos premières décisions – j’en parlais déjà dans mon dernier livre, L’École à deux vitesses – est donc d’en finir avec ce collège unique, ce qui enflamme la combativité des fossoyeurs en exercice du système scolaire. Philippe Meirieu appelle ainsi ses troupes – qui en trente ans ont infiltré le ministère et les universités– à « résister » : en se prenant pour de Gaulle, il vous attribue un rôle peu reluisant. Peut-être faudrait-il indiquer à ces archontes de la malfaisance que leur règne se termine.

En effet, monsieur le ministre, si vous ne prenez pas des mesures complémentaires immédiates, leur dictature se pérennisera – et se renforcera. La formation des maîtres, dites-vous à raison, est à revoir complètement. Afin de provoquer un déclic dans la mémoire des boomers dont les petits-enfants sont massacrés consciencieusement par ces mêmes pédagogues et leurs séides, vous avez parlé de reconstituer les écoles normales sur un cycle de trois ans post-bac.

Il faudra effectivement recruter intensément si l’on veut que la fiction des classes de niveau devienne une réalité tangible. En répartissant les élèves selon leurs aptitudes, et surtout – c’est essentiel – en fixant un nombre d’élèves dans ces divers groupes inversement proportionnel aux difficultés, éventuellement en donnant aux établissements assez de latitude pour augmenter selon les besoins les emplois du temps des matières en tension, vous allez créer un besoin d’enseignants de qualité qui, pour le moment, ne peut être satisfait. Les jurys peinent à donner les concours à des candidats d’une médiocrité insigne, vu qu’ils arrivent souvent de psycho-socio-nigologie, filières où l’on n’enseigne aucune des matières qu’ils sont censés enseigner.

Et comme ils ont bénéficié, en deux ans de master MEEF, d’une formation visant à apprendre à n’apprendre rien (un constat fait dès 1999 par Jean-Claude Michéa dans L’Enseignement de l’ignorance), ils se retrouvent admirablement inaptes à transmettre quoi que ce soit.

C’est le nœud du problème. Les redoublements, le brevet, les notes aux examens, tout cela n’est que broutilles et écran de fumée. Allez jusqu’au bout et supprimez le bac, relique vieillotte d’un système que l’on ne ressuscitera pas. Ce sera près d’un milliard d’euros économisés chaque année.

Ne pas faire confiance à ceux qui ont détruit le système

Puis-je faire une suggestion pour améliorer le recrutement et la formation des maîtres ? Cessez de la confier aux universités, et proposez-la aux lycées à CPGE. Henri-IV a déjà une classe expérimentale, post-bac, qui en trois ans propose de former des professeurs des écoles compétents. Nul besoin d’universitaires experts en recherches pointues pour enseigner à des néo-étudiants auxquels il suffit, au fond, de transmettre tout ce que l’on a soigneusement évité de leur apprendre dans les quinze années précédentes — de l’orthographe à la date de la bataille de Marignan en passant par l’étude des fractions ou des nombres à décimales. Deux questions dont de récents sondages en sixième ont prouvé qu’elles n’avaient pas été abordées au primaire.

Si vous abandonnez la formation des maîtres aux universités, vous allez renforcer le pouvoir de la clique mérieutique qui se frotte déjà les mains à l’idée de contourner vos préconisations – comme elle l’a fait jadis lorsque Gilles de Robien a voulu institutionnaliser l’apprentissage de la lecture-écriture en alpha-syllabique.

Plutôt qu’à des universitaires auteurs de thèses sur l’inutilité de l’orthographe ou du bon français qui s’acharneront à défaire votre projet avant qu’il soit éclos, confiez donc la formation des maîtres aux enseignants de lycée et de classes préparatoires – par exemple ceux qu’une saine gestion des prépas en surnombre à Paris, actuellement en projet, laisserait le bec dans l’eau. Quitte à charger du chapeautage de cette formation une personne digne de confiance – après tout, l’actuel recteur de Paris a réussi à imposer la méthode Lego dans la capitale, conformément aux préconisations de Stanislas Dehaene, et à insuffler de la mixité scolaire dans les lycées de la capitale sans pour autant descendre le niveau.

Vous ne pouvez pas faire confiance à ceux qui ont détruit le système, et qui frappent aujourd’hui à votre porte pour se voir confier des fonctions qui leur permettront de torpiller vos intentions. Seuls de vrais enseignants, maîtres de leur discipline, peuvent assurer  l’apprentissage de ces mêmes disciplines. Et ils sauront en même temps initier les étudiants aux subtilités de la vraie pédagogie – celle qui ne laisse personne en route et permet à chacun d’aller au plus haut de ses capacités.

Cela dit, bravo pour votre réactivité dans l’affaire du collège d’Issou. Les élèves sanctionnés doivent être déplacés plus loin – loin de leurs familles toxiques, de leurs « grands frères » et de leur ghetto.

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Identité nipponne

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Copyright 2022 A Man Film Partners

Et si, juste après sa mort, vous découvriez que votre mari n’est pas du tout celui qu’il prétendait être ?


C’est entre autres à Lotz, en Pologne, que le réalisateur japonais Kei Ishikawa né en 1977 a été formé au cinéma. Extraterritorialité qui n’est sans doute pas étrangère au climat étrangement glacé de ce quatrième long métrage, adaptation d’un roman de Keiichiro Hirano qui a remporté en 2018 le prix Yomiuri – l’équivalent du Goncourt, au Japon. Sous les auspices de Art House, c’est son premier film distribué en France.

Un jeune homme timide, dessinateur naïf à ses heures, rencontre une jeune veuve dans la papeterie où elle travaille. Mère d’un petit garçon, Rie (c’est son prénom) en tombe amoureuse, et se marie bientôt avec lui. Daisuko Tamiguchi est bûcheron, ou plus exactement apprenti sylviculteur. Là-dessus, le pauvre gars meurt accidentellement, écrasé sous le tronc de l’arbre qu’il venait d’abattre maladroitement. Survient son frère aîné, mais sur la photo qui orne l’autel funèbre, celui-ci ne reconnaît pas Daisuko : manifestement, son identité a été usurpée. Séduisant avocat, Akira Kido (joué par l’excellent et photogénique acteur Satoshi Tsumabuki), un de ces nombreux Coréens nés au Japon qu’on appelle les « Zainichi », est engagé par la veuve pour découvrir quel homme pouvait bien se dissimuler derrière la figure du disparu.

A lire aussi: Les bourreaux côté jardin

Prologue d’une intrigue labyrinthique, faite d’ellipses, de détours, de flashback et de rebondissements, qui exigent du spectateur une attention soutenue. Sous le masque du thriller – assassinats, identités travesties, successives et compliquées…-, traversant les années au fil des remariages et autres soubresauts familiaux, A man dissèque non sans âpreté la société nipponne contemporaine : état des lieux qui arpente ses marges criminelles, ses préjugés de castes, ses non-dits… Avec, en arrière-plan, le tableau de la ville du XXIᵉ siècle, métropole arachnéenne, tentaculaire, en chantier permanent.

À l’enseigne de Magritte, dont la célèbre et énigmatique toile surréaliste Reproduction interdite (1937), encadre l’exposition et le dénouement du film, A man questionne le vertige de l’identité, dans une singulière sobriété formelle, conjuguée à une déroutante virtuosité scénaristique. Au risque que le spectateur, piégé dans l’entrelacs des faux-semblants, se perde un peu en chemin.

A man © film Partners

A Man. Film de Kei Ishikawa. Japon, couleur, 2022. Durée : 2h01. En salles le 31 janvier 2024

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Droite: Bellamy, tête de liste et tête de turc

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François-Xavier Bellamy, Paris, 2020. ©NICOLAS MESSYASZ/SIPA

Face à Marion Maréchal et Jordan Bardella, la talentueuse tête de liste LR aux élections européennes va vite devoir sortir les griffes et briller dans les polémiques politiciennes pour espérer se faire une place.


Qui n’est pas de droite aujourd’hui ? Ce titre ne se veut pas provocateur. Il exprime mon impression derrière la multitude des antagonismes souvent dérisoires qui encombrent la vie politique et font le miel de l’espace médiatique. À bien observer, si nous n’avons hélas pas encore une droite du courage, en revanche le courage de se dire de droite n’en est plus un. Tant cette identité qui mêle libéralisme et pensée conservatrice est devenue celle qui semble le plus correspondre au réel et à la politique qu’il devrait imposer pour une France redressée dans tous ses états. Cette conviction n’est pas contradictoire avec l’abus ridicule, vide de sens, de l’appellation « extrême droite », qui prétend placer sous un pavillon unique une diversité intellectuelle et partisane impressionnante. Elle n’est destinée qu’à favoriser la paresse des analyses et le conformisme des dénonciations. Je l’affirme d’autant plus volontiers que je ne me sens pas totalement partie prenante de cette droite qui sur les plans politique et médiatique, me fatigue trop souvent par sa prévisibilité et son manque d’audace. Plus apte à pourfendre, quelquefois brillamment, la gauche qu’à se constituer comme espace autonome et vraiment mobilisateur.

RN, LR, Reconquête: la guérilla permanente

Si je n’avais pas le sens du ridicule, je continuerais à me qualifier d’anarchiste de droite, tant cette dénomination, conciliant ma vision du monde et de la société avec mon désir d’intelligente subversion, me semble de loin la plus appropriée à l’état d’esprit d’un certain nombre de concitoyens. Ils ont pour dénominateur commun de croire au pouvoir de la politique et à la politique qui serait mise en œuvre par un pouvoir courageux, efficace et exemplaire.

A lire, du même auteur : Pourquoi Nicolas Sarkozy m’a-t-il déçu?

Rien ne me paraît plus absurde que cette guérilla permanente qui oppose Les Républicains, le Rassemblement National et Reconquête!. On sait que l’union des droites demeurera une aspiration inconcevable pratiquement, tant que les positions extrêmes d’Eric Zemmour seront un défi au caractère opératoire que doit avoir tout programme, que la présence de Marine Le Pen (malgré le formidable déblayage éthique et historique qu’elle a réalisé) interdira un rapprochement qu’elle ne souhaite pas et que la droite classique continuera à camper dans un refus peureux, persuadée par la gauche que ce que François Mitterrand a accompli avec le parti communiste, elle n’a pas, elle, au moins à le tenter. On voit un parfait exemple de cette aberration avec la campagne des élections européennes où le seul souci de Jordan Bardella est d’inciter François-Xavier Bellamy à changer de cap ; en laissant croire que les Républicains n’ont qu’un petit pas à faire pour rejoindre le RN, ce qui est faire bon marché du talent, de l’intelligence, de la constance et du bilan de celui qui a été désigné enfin comme tête de liste des LR. On constate que les qualités intrinsèques de Marion Maréchal et sa lucidité se sont dégradées depuis qu’elle est à Reconquête! et que malgré les rapports de force et de rivalité qui auraient surgi avec son maintien au RN, elle aurait mieux fait de ne pas le quitter et de le faire progresser de l’intérieur. Quand elle s’aventure à dénier à Bruno Le Maire, à Gérald Darmanin, à Marine Le Pen et à Jordan Bardella d’être des personnalités de droite pour ne créditer de ce label que Reconquête!, elle exagère. Elle se trompe également quand elle déclare que « François-Xavier Bellamy devrait logiquement être avec nous » (Le Figaro). De quel préjugé tire-t-elle cette accusation selon laquelle, après les élections européennes, LR rejoindrait le macronisme ? Elle n’en sait rien et leur prête une attitude équivoque que pour l’instant rien ne confirme…

Les Républicains loin de mourir ?

Je perçois que cette attitude bizarrement commune de deux adversaires à l’encontre de LR, n’a pour finalité que d’essayer de réduire encore davantage l’espace de ce parti, comme s’il était voué à l’étouffement entre ces deux forces dont l’une pour l’instant est largement en tête et l’autre en difficulté. Il reviendra à François-Xavier Bellamy de sortir ses griffes et d’accepter ce que les débats politiques, pour être efficaces et convaincants, imposent de vulgarité et de polémiques. Cette impossibilité aujourd’hui, à l’exception d’accords sur le terrain vite disqualifiés par la hiérarchie de LR, de songer à une union des droites, n’empêche pas cette famille politique largement entendue, avec son centre et ses extrémités, d’être prépondérante dans notre démocratie.

A lire aussi, Jean-Baptiste Roques: Macron: la résolution de velours

Il est fini le temps où, qualifiée de la « droite la plus bête du monde », elle faisait tout pour justifier cet opprobre. Les Républicains ont beau être moqués qu’ils réussissent ou échouent, ils n’en restent pas moins l’incarnation, contre des adversaires inégalement importants qui aspirent à les absorber, d’une philosophie politique qui devrait se faire une gloire de savoir concilier humanisme et rigueur, cohérence et pragmatisme. Dans la forme j’ai apprécié la révolte d’une certaine droite face au grotesque ostracisme qu’on souhaitait faire subir à Sylvain Tesson, choisi pour parrainer le printemps des poètes. Tout ne passe plus, elle se rebiffe. Sur le fond et pour l’organisation, hommes, femmes et idées, j’ai parfois l’impression d’une France qui attend d’être représentée par un grand et vrai parti de droite. Orpheline mais emplie d’espérance.

Taxi driver à Aden

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Les lueurs d'Aden. © Paname distribution.

Le Yémen n’a pas d’industrie cinématographique. Mais, avec Amr Gamal, il a un grand cinéaste. Les lueurs d’Aden, son film, suit l’itinéraire d’un couple qui ne peut pas se permettre d’avoir un quatrième enfant, alors que la guerre civile fait rage.


La religion ménage toujours des arrangements avec ses propres préceptes. Faut-il croire le prophète, qui assure qu’avant 120 jours le fœtus n’a pas d’âme ? Ou bien est-ce 40 jours ? À quel stade de la grossesse le tabou de l’avortement est-il levé par le Très-Haut ?

Un ménage aux abois

Ahmed, un employé d’Aden TV, la télévision d’Etat, (bien réelle, la chaîne est aujourd’hui fermée) dont le salaire n’est pas tombé depuis trois mois, a dû se résoudre, pour arriver à nourrir sa famille, à s’improviser chauffeur de taxi. Isra’a, sa femme, se sait enceinte de son quatrième enfant. Pour se convaincre de son bon droit à avorter, elle n’en finit pas de visionner sur son smartphone le prêche en ligne qui lui suggère qu’elle ne commet aucun péché, et la rassure sur son sort dans l’au-delà.

À lire aussi, Laurent Silvestrini : Les bourreaux côté jardin

Au marché, tout est cher : la famille se restreint même sur la nourriture. Le petit ménage aux abois vient de se voir contraint de déménager dans un taudis sordide, faute de pouvoir payer le loyer de l’appartement décent qu’il occupait jusqu’alors.  On tâche encore de sauver l’essentiel : scolariser les enfants dans le privé, pas dans le public ; commander chez le tailleur un uniforme pour le petit dernier. Garder, si possible, la tête haute.

© Paname distribution.

Nous sommes en 2019, à Aden, la grande ville portuaire d’un Yémen miné par la guerre civile. Les barrages militaires scandent la chaussée, une soldatesque arrogante circule en camions, sans égards pour les civils. Les coupures de courant se multiplient, l’eau est rationnée : tout semble partir à vau-l’eau. Il faut pouvoir compter sur sa famille, sur ses proches, sur ses soutiens : un sentiment de déclassement hante la classe moyenne. Tout se monnaye – la corruption est le lot commun.

L’avorteuse au niqab noir

Pas à pas, Les lueurs d’Aden suit l’itinéraire de ce couple en crise, au cœur d’une cité désormais régentée par la religion mahométane. La décision d’avorter se heurte, non seulement aux lois en vigueur, mais surtout aux interdits (à géométrie variable) de l’Islam. Muna, l’amie médecin qui aurait toutes les compétences requises pour prendre en charge cette IVG n’est jamais vêtue autrement qu’en niqab, en noir de la tête au pied dès qu’un homme se présente à sa vue, fût-il l’époux d’Isra’a, sa proche amie.  Va-t-elle, émue par le sort de la jeune gravide, agir contre ses principes ? N’aura-t-elle pas ensuite des remords ?

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The Burdened – titre original du film, soit : « les porteurs du fardeau » en Français – n’est pas seulement la chronique d’une débâcle intime sous pression sociétale, économique, confessionnelle. A travers ce drame familial, le réalisateur Amr Gamal brosse d’une main très sûre la peinture d’une ville, dans une remarquable économie de moyens, adossée à un scénario construit au millimètre, dialogues inclus. Ancien protectorat anglais comme l’on sait, Aden conserve encore, malgré les cicatrices de l’époque « socialiste » puis des soubresauts de cet interminable conflit attisé par l’Iran (opposant aujourd’hui, pour faire bref, les Houthis, au nord, et le sud sécessionniste, sur fond de rivalités entre Riyad et Abou Dhabi) des vestiges de son éclectisme architectural et paysager, avec ses monuments et ses parcs, mais surtout cette tapisserie urbaine dont ce passionnant long métrage se fait l’illustrateur et l’anthropologue attentif. Jusque dans l’attention portée aux figurants, à leur circulation dans le réseau des rues, à leurs tenues – on sent que visuellement, rien n’est laissé au hasard : la moindre séquence est parfaitement composée.   

Le Yémen n’a pas d’industrie cinématographique. À tout le moins peut-il à bon droit s’enorgueillir d’avoir un authentique cinéaste !  Né en 1983, Amr Gamal, dont l’une des productions théâtrales s’est exportée à Berlin – une première européenne pour la scène yéménite – est déjà l’auteur d’un long métrage, Ten Days before the Wedding, nomination du Yémen aux Oscars 2018. Les lueurs d’Aden sera donc son premier film distribué en France. Par son écriture au cordeau, précise autant qu’épurée, Les lueurs d’Aden rappelle l’esthétique du meilleur cinéma iranien d’aujourd’hui – on pense à Mani Haghrighi (Les Ombres persanes), Asghar Farhadi (Un Héros), ou encore, bien sûr, Jafar Panahi (3 visites, Taxi Téhéran)… Une lueur d’espoir sur le Yémen ? A l’heure même où le présent article est envoyé, les rebelles Houthis, instrumentalisés par l’Iran sur fond de chantage contre Israël, multiplient les accrochages avec la marine américaine en mer Rouge…     


Les lueurs d’Aden (The Burdened). Film de Amr Gamal. Yeman/Soudan/ Arabie saoudite, couleur, 2023. Durée : 1h31. En salles le 31 janvier 2024.

Décadence du ventre

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DR.

Après qu’elles ont aspergé de soupe au potiron la Joconde, devenue ces temps-ci le souffre-douleur de la sottise écolomaniaque, nos deux hardies militantes ont entonné leur prêche et lancé cette question existentielle, certainement mûrement pensée : « Qu’est-ce qu’il y a de plus important ? L’art ou le droit à une alimentation saine et durable ? »

Musée du Louvre, 28 janvier 2024 © David CANTINIAUX / AFPTV / AFP

Cela revient en réalité à mettre sur le même plan l’élévation par l’art et le fonctionnement du transit, l’édification de l’esprit et la satisfaction de la panse. Voilà bien un rapprochement dont on pouvait penser que nous avions atteint un niveau suffisant de civilisation pour que sa trivialité et son ineptie nous soient épargnées. Mais non. Rien d’ailleurs, semble-t-il, ne nous sera épargné sur cette longue pente qui nous entraîne inexorablement vers la fosse commune des civilisations disparues.

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Sur cette pente de la décadence, il y a bien sûr les causes de la présente révolte du monde de ce que la technocratie triomphante range sous le vocable d’agriculture et que, pour ma part, je persiste à appeler paysannerie. Tout simplement parce que ce mot-là fait clairement référence au « pays ». D’ailleurs, au Moyen Âge le mot paysan signifiait d’abord « homme d’un pays ». Furetière, dans son dictionnaire, publié en 1690, deux ans après sa mort, livre cette autre définition du mot. « Pays est aussi un salut de gueux, un nom dont ils s’appellent l’un l’autre quand ils sont du même pays. » On appréciera comme il convient le recours au terme de « gueux ». Ce brave Furetière avait sans doute l’excuse des préjugés de son temps, ce qui n’est évidemment pas le cas des technocrates de Bruxelles et de leurs affidés des ministère parisiens, qui, toute condescendance bue, ne voient probablement dans le monde paysan d’aujourd’hui qu’un conglomérat disparate de gueux. Des gens de peu, des gens d’un autre âge, frappés d’obsolescence comme le terme lui-même.

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Les premiers assauts délétères contre ce monde-là sont peut-être à chercher du côté du remembrement. Ce que par commodité de langage nous appellerons le système s’emparait du pays justement, le modifiait en profondeur, se l’appropriait. On arrachait les haies, arasait les mottes, comblait les fossés, les trous d’eau, on éradiquait les boqueteaux. Il fallait fabriquer de grands espaces, pour de la grande rentabilité, pour de la grande efficacité d’exploitation, de la grande mécanisation. C’était le premier pas de la non moins grande dépossession. Le paysan, le gardien du Temple Nature, soumis à la loi du marché. Puis allaient s’imposer les combinazione ploutacratiques du libre échange, et leur cortège d’absurdités dont, aujourd’hui, sous nos yeux ces mêmes gardiens du Temple Nature crèvent.

On n’a pas assez vu le coup venir. Mais – en exagérant à peine, en fait si peu…- on pourrait dire que le remembrement n’était que la répétition en petit format de ce que serait Schengen. Plus de haies, plus de frontières, de vastes espaces pour un marché sans entraves ni limites et le profit décuplé qui va avec. La logique idéologique est à l’identique dans les deux cas, faire place nette devant la gloutonnerie impérialiste et apatride du système. Le remembrement ou comment mettre Schengen au milieu du village. Einstein assurait que si l’abeille venait à disparaître, l’humanité elle-même disparaîtrait. Cela vaut aussi, et plus encore, c’est l’évidence même, pour le paysan. L’abeille humaine à bonnet jaune.

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Le Parti socialiste belge invente la « gauche cocaïne »

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La ministre de l'Éducation, Caroline Désir, au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles en juin 2023 © Shutterstock/SIPA

Les Belges ont eux aussi leur colline du crack! Dans le cabinet du ministère de l’Éducation de la Fédération Wallonie-Bruxelles ont été saisis pas moins de 50 paquets de cocaïne…


Nous connaissions la gauche caviar. La Belgique, jamais en reste lorsqu’il s’agit d’innover en matière politique, vient d’inventer la « gauche cocaïne ». Les socialistes y ont viré coco : rien à voir avec un tournant communiste, encore moins d’un « Bad Godesberg » à l’envers, mais plutôt d’un bad trip : cinquante pacsons de cocaïne ont été découverts dans le cabinet de la ministre socialiste de l’Enseignement Caroline Désir. Sur les terres wallonnes, le Parti socialiste règne en caïd depuis de longues décennies, pour le pire, jamais pour le meilleur : il suffit, pour s’en convaincre, de se pencher sur la situation économique abyssale de ce coin, autrefois parmi les plus prospères de la planète ou sur l’état des libertés publiques dans une région où tout homme de droite est forcément d’extrême droite et donc potentiellement interdit de parole ou de meeting en raison du sacro-saint cordon sanitaire.

TrainPSotting

Quand tout pouvoir vous appartient, vous êtes libre de toutes les dérives, sans réellement être inquiété ou rejeté dans l’opposition. La liste des scandales impliquant le PS, dirigé par Paul Magnette (que l’on voit fréquemment morigéner sur les plateaux français) est d’ailleurs longue comme le bras : de l’affaire Agusta-Dassault dans les années 90 au récent Qatar Gate, affaire de corruption au Parlement européen, le parti a été maintes fois éclaboussé.

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Le PS est un monde de « copains et de coquins » et désormais aussi de cocaïne. Jugez plutôt : le baron présumé dans cette affaire est lui-même le fils de Fadila Laanan, autre personnalité du parti, ancienne ministre qui se fit davantage connaître pour ses bourdes et ses buzz enfantins que par ses talents, notamment en matière de culture dont elle avait la charge. Les mauvaises langues diront d’ailleurs que le Pablo Escobar du plat pays ne fut pas engagé sur ses qualités propres, mais parce qu’il possédait la carte du bon parti. Au PS, avant de faire razzia sur la chnouf, il y avait longtemps qu’on l’avait fait sur les postes.

Ce « TrainPSotting », dans lequel des figures socialistes ont remplacé Ewan McGregor dans le rôle principal, est évidemment dramatique au sein d’un pays miné par la drogue, avec pour porte d’entrée le port d’Anvers où les mafias font régner la terreur. Que cette affaire ait lieu au sein du ministère de l’Enseignement, chargé de la formation de la jeunesse, est encore plus dramatique ; que la ministre à la tête du cabinet où la découverte a eu lieu n’ait pas encore démissionné, en dit long sur la toute-puissance du PS ; que le monde politico-médiatique ait étouffé l’affaire pendant des semaines ne dit rien qui vaille sur la démocratie en Wallonie.

L’appel du grand large

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Invité à la télévision dimanche 28 janvier 2024, l'écrivain Sylvain Tesson a déclaré: "Quelle fatigue ! Quel est mon crime et qui sont mes juges ? J’aime ce qui demeure plutôt que ce qui s’écroule..." Image: capture France TV.

Affaire Sylvain Tesson. Mais au fait ça veut dire quoi, être «réactionnaire» aujourd’hui ?


Ce monde devient irrespirable. Et qu’on ne nous dise pas qu’il s’agit là d’un « sentiment », ou qu’il en a toujours été ainsi ! Face au déferlement des « affaires », qui n’en sont à vrai dire que pour leurs commanditaires, on rêve d’un nouveau Karl Kraus qui mettrait les pieds dans la fourmilière, d’un ironiste au cœur généreux et au verbe aussi incisif que celui de son aîné viennois constatant que « chaque époque a l’épidémie qu’elle mérite[1] ». La nôtre s’enchante de son inculture, et joue à se faire peur au lieu de voir les vrais dangers qui la menacent. Mais le wokisme ne date pas d’hier, et Jean Baudrillard avait déjà tout dit, avec une lucidité sans fard, dans ce brulot qu’est La conjuration des imbéciles (1997), et que Libération ne publierait probablement plus : « La vraie question devient alors : ne peut-on plus l’«ouvrir » de quelque façon, proférer quoi que ce soit d’insolite, d’insolent, d’hétérodoxe ou de paradoxal sans être automatiquement d’extrême-droite (ce qui est, il faut bien le dire, un hommage à l’extrême-droite)[2]». Quoi que ce soit de poétique, faudrait-il ajouter, d’aventureux, de tendre et sarcastique comme le sont les écrits de Sylvain Tesson, « réactionnaire » comme chacun devrait désormais le savoir, icône de l’extrême-droite littéraire et sans doute bien pire encore.

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Sylvain Tesson n’a pas besoin d’être défendu car il n’est pas coupable

Aussi sociable que solitaire, et en cela proche du « vagabond romantique » (Wanderer) et de l’Anarque de Jünger, ce fin prosateur et intrépide marcheur est parfaitement capable d’affronter seul la meute, ou de prendre la tangente sans se préoccuper de savoir s’il sera poursuivi pour délit de fuite. Le grand vent de liberté qui l’a propulsé sur les routes ne le laissera pas croupir dans le marécage médiatique. Gageons même qu’il est déjà ailleurs, dans l’univers qui est le sien et qui lui vaut tant de lecteurs. Mais lui témoigner admiration et solidarité c’est aussi défendre le droit imprescriptible de choisir librement, comme il l’a toujours fait, la vie qu’on entend mener. Amoureux comme Segalen de la diversité du monde – ou au moins de ce qu’il en reste -, Tesson a bien davantage à nous apprendre de la vie que le néo-conformisme moral contemporain voulant qu’on ne voie plus le réel qu’à travers le filtre de l’idéologie ; et condamnant ainsi notre triste époque à n’avoir plus aucune idée du « destin des mots », comme Kraus le déplorait au siècle dernier. Mais au fait ça veut dire quoi, être « réactionnaire » aujourd’hui ?

Ennemi du Progrès

Être un sale type et un danger pour la société, on l’aura compris. Mais encore ? Le mot est à lui seul un oxymore puisque le « réactionnaire » fait de sa réaction – signe qu’il est en vie ! – un système dans lequel il s’enferme, devenant ainsi un fanatique de l’immobilisme, un chantre du passéisme puisque, non content de s’immobiliser, le réactionnaire rêve de restaurer ce qui n’est plus et de renverser l’ordre nouveau qui l’a supplanté. En quoi n’est-il pas alors lui aussi un « révolutionnaire » ? Héritée de la Révolution française et de la Réaction monarchiste qu’elle a suscitée, l’opposition radicale entre réactionnaire et révolutionnaire est en effet corrigée par la sémantique ordinaire voulant que l’un et l’autre se retournent en arrière (lat. revolvere) : l’un avec nostalgie, l’autre avec la volonté d’éradiquer ce qui l’empêche d’avancer vers un avenir toujours plus radieux. Est-ce donc un crime de considérer qu’on aurait pu conserver ce qu’il y avait de bon dans l’ancien monde ?

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Certains rappellent, pour défendre Tesson, que Baudelaire fut lui aussi un « réactionnaire » et que cela ne l’a pas empêché d’être un grand poète qui eut néanmoins le mauvais goût de préférer Joseph de Maistre à Voltaire. D’autres affirmeront qu’un grand poète est d’autant plus dangereux qu’il a de tels goûts. Car un réactionnaire est davantage qu’un conservateur ; c’est un ennemi du Progrès et donc du genre humain. Encore faut-il être capable de distinguer ce qui, dans la conservation, relève d’une stagnation mortifère ou contribue à la préservation de ce sans quoi le genre en question cesserait d’être humain ! Tout homme de culture est à cet égard à la fois révolutionnaire et conservateur, comme n’ont pas manqué de le rappeler les plus grands d’entre eux. Un penseur plutôt « de gauche » comme Günther Anders ne disait pas autre chose : « Je suis un « conservateur » en matière d’ontologie, car ce qui importe aujourd’hui, pour la première fois, c’est de conserver le monde absolument comme il est[3]» Au péril nucléaire s’ajoute en effet depuis quelques décennies un péril culturel, spirituel : peut-on encore dire sans être cloué au pilori que la modernité a produit beaucoup de non-sens et de laideur ? Dire qu’on n’a aucune affinité avec une culture comme celle de l’islam qui exclut les femmes de la vie sociale ? Dire comme le fait Tesson qu’énoncer en poète ce qu’on voit est plus important que pratiquer la dénonciation sans accepter la contradiction.

Demander des comptes à la modernité

Réactionnaires et conservateurs, supposés ou assumés, ont en tout cas en commun d’oser critiquer la sacro-sainte modernité ; les plus radicaux pour la jeter au panier, les autres pour lui demander des comptes quant aux résultats civilisateurs dont elle se glorifie : « La modernité repose sur le principe de la rivalité mimétique » note quant à lui Tesson[4] qui lui préfère de loin les grands espaces, le silence fertile de la vie d’ermite, et la patience du guetteur espérant que son immobilité lui permettra d’entrevoir la panthère des neiges. S’il y a mille et une manières d’être antimoderne, celle de Tesson préserve indéniablement le monde plus qu’elle ne le menace.

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[1] Karl Kraus, Les derniers jours de l’humanité, trad. J.-L. Besson et H. Christophe, Paris, Editions Agone, 2015. p. 133.

[2] Tribune publiée dans Libération le 7 mai 1997, puis dans De l’exorcisme en politique ou la conjuration des imbéciles, Paris, Sens et Tonka, 2000.

[3] Et si je suis désespéré que voulez-vous que j’y fasse ? trad. Ch. David, Paris, Allia, 2010, p. 76.

[4] Eloge de l’énergie vagabonde, Paris, Editions des Equateurs/Pocket, 2007, p. 197.