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Les baguettes magiques d’un conteur enchanteur

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Fin connaisseur de jazz, Alain Gerber nous fait comprendre dans son dernier livre avec pertinence toutes les subtilités de cet art.


Deux petits bouts de bois. Du bois dont on fait les flûtes ? Pas vraiment. Plutôt les baguettes de tambour. Et, plus précisément, de batterie de jazz, cet instrument complexe qui regroupe grosse caisse, caisses claires, cymbales, pédale, baguettes, balais et autres accessoires. L’auteur est un expert en la matière. Non seulement il pratique la batterie depuis des années, en disciple appliqué des plus grands drummers, mais le jazz est le domaine dans lequel il se meut avec une aisance peu commune. Il lui a consacré de nombreux livres et moult émissions de radio.

Un talent multiforme

Tel est Alain Gerber. Une référence indiscutable dans l’univers du jazz. Avec cela, romancier, nouvelliste, essayiste, poète aussi original que captivant. Voilà pourquoi son texte ne laisse pas de bois. Il offre plusieurs facettes d’un auteur aux dons multiples. Capable d’unir simultanément l’historien et le technicien érudit, le mémorialiste, le psychologue et l’autobiographe plein de pudeur, le philosophe et le littérateur à la culture impressionnante. Le tout dans ce style fleuri, émaillé d’humour, dépourvu de la moindre pédanterie.

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Un Juste équilibre

On l’aura compris : point n’est besoin d’être un aficionado de Baby Dodds, Gene Krupa ou Philly Joe Jones pour goûter pleinement cet ouvrage. S’il fallait le définir, on pourrait affirmer qu’il représente une manière de condensé, ou de quintessence, de l’art et de la manière de son auteur. Celui-ci sait trouver le ton juste. Il se place toujours à la bonne distance entre l’objectivité et l’expression d’une sensibilité qui lui est propre. En creux, se dessine un autoportrait émouvant. Celui d’un homme assoiffé de culture dès son enfance, dévorant les œuvres de ceux qui deviendront ses maîtres intellectuels sinon spirituels. Ils lui serviront de modèles lorsque lui-même s’aventurera sur les terres escarpées du roman : Hemingway, d’abord, mais aussi, pour s’en tenir aux seuls écrivains français, Michel Butor ou Georges Perec, sous l’égide duquel il a placé ses Bouts de bois. La liste des auteurs cités a de quoi donner le tournis : ils pratiquent plusieurs langues, appartiennent à plusieurs cultures, plusieurs civilisations. Une richesse impensable à notre époque de nivellement – lequel, comme on le sait, ne saurait se faire que par le bas.

Nanti d’un bagage culturel aussi impressionnant (encore faudrait-il y joindre l’apport des philosophes, de l’Antiquité à nos jours), l’auteur n’en demeure pas moins d’une modestie désarmante, comme en atteste cette incidente : « J’en profite pour glisser que je n’ai jamais été, et ne suis toujours pas, capable de me concentrer en même temps sur la pratique de la plume et sur celle des baguettes ».

De la musique avant toute chose

A en croire Alain Gerber, dans son chapitre « Etat des lieux », « la musique ne m’aura pas accordé les mêmes privilèges que la littérature ». Le tournant se situe, selon lui, en mars 2010, lorsque « l’usager de la batterie », formé, à ses débuts, par Daniel Humair puis par Georges Paczynski, devient autodidacte et « va loger (ses) névroses au fond d’un cabanon ». C’est là, grâce à une pratique quotidienne, qu’il va progresser, non seulement sur le plan technique, mais sur celui d’une quête qui pourrait s’apparenter à celle du Graal : la recherche de la sérénité et de la confiance en soi.

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La pratique quotidienne de l’instrument jointe à une connaissance impressionnante du jazz dans tous ses états va, en quelque sorte, parachever ce que l’écriture avait entrepris : l’épanouissement d’une riche personnalité.

Sans entrer dans les méandres et les détours de ce que l’on pourrait nommer une intrigue, tant l’intérêt y est soutenu de bout en bout, on peut inférer qu’à l’instar de Rousseau dans ses Confessions, Gerber a formé « une entreprise qui n’eut jamais d’exemple » : celle de dérouler, avec sincérité sa propre existence, si étroitement mêlée à l’histoire du jazz qu’elle lui devient consubstantielle. Un tel projet, mené à son terme avec brio, mérite une standing ovation !

Deux petits bouts de bois, d’Alain Gerber. Frémeaux & Associés, 240 p. 

Incandescente intelligence

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Nous défions quiconque lit la page 1 de La Fille parfaite, de Nathalie Azoulai, de n’en pas lire la page 2. Et ainsi de suite jusqu’à la page 316 ! Un livre impressionnant qui intègre la bibliothèque en majesté.


Après Titus n’aimait pas Bérénice, déjà un grand livre (et prix Médicis 2015) où elle trouvait une voie unique pour dire une rupture amoureuse – détour : Racine, Versailles, Port-Royal (le jansénisme) -, Nathalie Azoulai signe peut-être son plus grand livre, La Fille parfaite – et impose le silence et la solitude autour d’elle. Existentiellement, pas évident. Littérairement, évident. Cela s’appelle un « effet de blast » : on lit un livre, et tous les autres, soudain, alentour, disparaissent. Différence de nature : autre chose, incommensurable. Voilà : effet de blast. Il suffit d’ouvrir ce livre pour… le lire : non qu’il soit bref – mais impossible à refermer.

Agréable autant qu’étrange

Et comme il ne ressemble à rien de ce que l’on a lu depuis longtemps, cet article ne ressemblera à rien de ce qui pourrait s’apparenter à une critique : ce sera donc un « truc ». Livre trop foisonnant, trop riche, trop de thèmes abordés. Donc ? Plutôt des impressions, des pistes, quelques saillies qui en restituent la prodigalité. Voilà ce que l’on tente. Pour tendre la main au lecteur de bonne volonté – qui découvrira, aussi, combien, parfois, l’intelligence est physique, tangible : il suffit de lire Azoulai pour l’éprouver, la reconnaître, dure comme un roc, minérale, laser. Très étrange. Très agréable, aussi (et drôle, souvent). Expérience de lecture. Seul problème : avoir lu en janvier l’un des deux ou trois meilleurs livres de l’année (en littérature française) suppose un peu que le reste de l’année sera long – mais il y aura des pépites, n’en doutons pas. De cette eau ? Deux ou trois. Tant pis : nous relirons Azoulai. Tant mieux. Le livre ? La compétition, la rivalité qui exalte, exhausse, voire exauce ; l’admiration (vertu insigne qui dépeuple le monde) et, surtout, l’intelligence (cette fois comme sujet) – si rarement abordée avec une telle évidence, pureté frontale, audace, voire crânerie. D’ailleurs, l’autre titre de La Fille parfaite eût pu être : Ce que l’intelligence fait à la vie – un peu austère.

Le pacte d’Adèle et Rachel

L’ambiance ? A la croisée du roman « psychologique » français (la ligne Constant-Proust, pour aller vite) et de la grande tradition analytique, disons Valéry, avec le mantra de Monsieur Teste (« La bêtise n’est pas mon fort »), les quelques milliers de pages de ses Cahiers, deux ou trois heures quotidiennes de « culture psychique » (sic), d’« auto-discussion infinie » (sic), qui lui gagnaient le droit d’ « être bête jusqu’au soir » (sic). On ne connaît pas le déroulement des journées de N. Azoulai – mais on serait curieux de savoir à quel moment elle s’autorise à « être bête ». Elle cache son jeu.

Le « sujet » ? La Fille parfaite est l’histoire de deux amies d’enfance qui tôt se sont reconnues (le même métal, presque – la nuance est importante) et défiées en silence. Le pari : l’excellence. Mais surtout : l’intelligence, donc, comme trésor absolu – LE muscle. Chez ces deux amies, on ne se demande pas si telle activité (ou relation, aliment, ami(e), lecture) est ou non « bon pour la santé ». On se demande uniquement si c’est bon pour the brain. Le cerveau.

Adèle et Rachel, à 14 ans, ont scellé un pacte : elles vont se partager le monde. À Adèle, la science, à Rachel, la littérature. À elles deux, tout le savoir, tout le « spectre ». On va les suivre, de flash-back en flash-back, depuis leurs débuts, leurs familles (milieux différents), leurs études, leur amitié, leur « coefficient d’existence », leur « câblage neuronal », Darwin, le féminisme, la vis a tergo du doute (corollaire du goût de l’absolu – voir Aurélien d’Aragon), etc. Il faut juste préciser une chose – on ne déflore rien, on l’apprend dès la première page : Adèle, devenue mathématicienne niveau médaille Fields, s’est pendue chez elle à 46 ans. Rachel, la narratrice, elle aussi sans doute universitaire et écrivain (comme Azoulai), va tenter de comprendre. Et pour ce faire, brosser le « portrait » de ces deux athlètes de l’esprit, deux amies presque comme les autres – au génie près : la mathématicienne, la narratrice l’expose ; la littéraire, la narratrice le démontre et l’illustre.

La Fille parfaite, de Nathalie Azoulai, Folio Gallimard (2024).

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NB Nathalie Azoulai vient de publier « Python », chez POL.

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Woke fiction, le cinéma français n’est pas épargné

Critiques et spectateurs finissent par se lasser des films partisans et répétitifs (pro-immigration, anti-flics, etc.). Mais le filon reste très porteur pour certains…


Dans son excellent et très instructif essai, Woke Fiction (1), Samuel Fitoussi énumère les « commandements » du cinéma wokiste. Parmi ceux-ci : « Tes héros seront vertueux. » « Tes minorités seront discriminées. » « Tu effectueras un découpage identitaire de la société et tu la “représenteras”. » « Tes personnages non blancs seront gentils, tes personnages blancs, méchants. »

L’essayiste Samuel Fitoussi. Image : DR.

Samuel Fitoussi analyse comment le wokisme a conquis les plateaux de cinéma

Le cinéma nord-américain, écrit Fitoussi, subit depuis un bon moment l’idéologie woke, comme le prouvent une partie de sa cinématographie récente et les « critères de diversité » que l’Académie des Oscars impose désormais à tout film prétendant à un prix : « Sur une plateforme internet, les sociétés de production devront indiquer la couleur de peau, le sexe, le genre et l’orientation sexuelle de chaque personne impliquée dans la création du film, des acteurs aux techniciens de plateau. » En France, en plus de constater l’imprégnation du wokisme dans les publicités et dans certaines séries, les spectateurs peuvent l’observer de plus en plus fréquemment dans les films de cinéma subventionnés par le CNC (et son fonds « diversité ») et, pour partie, l’argent public.

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Le Collectif 50/50 lutte, en partenariat avec le ministère de la Culture, « pour “la parité, l’égalité et la diversité” dans le cinéma français » et a créé un annuaire professionnel recensant « “les talents féminins et/ou issus d’une diversité sociale, ethnique et culturelle” afin d’aider “les recruteur·se·s” à “accéder à des équipes techniques et artistiques mixtes et paritaires”. Parmi les 981 professionnels du cinéma répertoriés sur l’annuaire, on dénombre… 0 homme blanc », indique Samuel Fitoussi. Certains scénarios se conforment à une « lutte contre les stéréotypes » tournant à la caricature, en particulier quand il s’agit de « donner une bonne image de la diversité ». Et l’essayiste de citer les noms des nombreux films français qui en 2022 sont sortis du même moule de propagande diversitaire et immigrationniste : Les Survivants, Les Engagés, Ils sont vivants, Les Rascals, Rodéo, etc. « Pourquoi, interroge Fitoussi, accorder une telle importance aux stéréotypes véhiculés par la fiction sur les minorités ethniques ? Peut-être parce que certains militants (et ceux-ci semblent surreprésentés dans l’industrie du cinéma) sont persuadés que si des Français accordent leurs suffrages à des candidats classés à droite, c’est qu’ils ont été victimes de désinformation xénophobe. Il faut donc les rééduquer, leur montrer que la diversité est une chance et l’opposition à l’immigration une absurdité. » Malgré les critiques souvent élogieuses des médias progressistes, ces films n’ont eu aucun succès public.

Pourtant, profitant de notre illustre « exception culturelle française », des subsides inhérents à cette dernière et de la publicité des médias bien-pensants, des scénaristes et des réalisateurs continuent de fabriquer à la chaîne des films obéissant aux commandements wokes, diversitaires et immigrationnistes. Ces films, formatés pour vanter l’apport bénéfique de l’immigration et le merveilleux « vivre-ensemble » multiculturel qui en découlerait ou pour dénoncer le racisme d’État, les violences policières et la discrimination systémique dont souffriraient les « jeunes des banlieues », envahissent les écrans français. Comme on pouvait s’y attendre, ces calamités propagandistes subventionnées en partie avec notre argent sont des fiascos. Pourtant, après que nous aurons évoqué rapidement quelques unes des dernières productions en question, nous verrons que, financièrement parlant, tout le monde n’y perd pas.

Une ribambelle de films couverts d’éloges, mais qui font un flop au box-office

Avant que les flammes ne s’éteignent, le film avec Camélia Jordana sur Assa Traoré, les « violences policières » et le « racisme d’État », a franchi péniblement, après un mois d’exploitation, la barre des 23 000 spectateurs, avant de disparaître dans les oubliettes de l’histoire du cinéma (voir mon papier du 7 déc. 2023). Très, très grosse gamelle.

Ma France à moi, de Benoît Cohen et avec Fanny Ardant, raconte la vie d’une bourgeoise soixantenaire qui, s’emmerdant comme un surmulot dans son appartement parisien, décide d’accueillir Reza, un jeune afghan : « Ces deux êtres, qui n’ont rien en commun, vont devoir apprendre à vivre ensemble… » Grosse promo. France Inter reçoit le réalisateur et l’actrice principale, ensemble, séparément, le week-end, en semaine. L’Obs souligne que Benoît Cohen s’acquitte magistralement de sa tâche, à savoir « prôner la solidarité, plaider pour le vivre-ensemble et déconstruire les préjugés ». Le public n’en peut plus de cette pommade. Sorti le 20 décembre 2023, le film cumule… 28 585 spectateurs après un mois d’exploitation. La dernière semaine a vu… 96 spectateurs s’égarer dans les quelques dernières salles projetant ce navet militant. Énormissime bide.

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Stéphane Marchetti a écrit et réalisé La Tête froide, avec Florence Loiret Caille dans le rôle principal. L’histoire (je vous la fais courte) : Les Alpes en hiver. Marie fait du trafic de cartouches de cigarettes entre la France et l’Italie. Elle rencontre Souleymane, jeune « réfugié » prêt à tout pour rejoindre sa petite sœur. La presse est dithyrambique et abuse du vocabulaire moralisateur : fraternité, solidarité, humanisme, altruisme, empathie, etc. La radio publique ne tarit pas d’éloges et consacre de nombreuses émissions au film. Rien n’y fait. Les deux premières semaines d’exploitation ne comptabilisent que 21 921 spectateurs. Bérézina en vue.


« La police, dans le logiciel woke, occupe une fonction toute particulière : celle de Némésis absolue, de dominante parmi les dominants. Il est inadmissible de la représenter positivement. »  Samuel Fitoussi.

Attardons-nous sur Le cas de Bâtiment 5, réalisé par Ladj Ly, intéressant à plus d’un titre. On se souvient du succès du premier long-métrage du réalisateur, Les Misérables : une presse aux anges, un prix du Jury à Cannes, quatre Césars dont celui du meilleur film, notre président « bouleversé par la justesse » du film et réclamant à cor et à cri des idées pour « améliorer les conditions de vie dans les quartiers » après l’avoir vu. Résultat : 2,2 millions de spectateurs et une nomination à l’Oscar du meilleur film international (qui reviendra finalement à Parasite, du Coréen Bong Joon Ho, ce qui n’est que justice). Bâtiment 5, deuxième film d’un triptyque prévu sur « les cités », était par conséquent attendu avec impatience. Le synopsis promettait d’ailleurs beaucoup : « Haby – « noire, musulmane, qui porte le voile », précise systématiquement le réalisateur dans les nombreuses émissions de la radio publique qui l’ont invité – jeune femme très impliquée dans la vie de sa commune, découvre le nouveau plan de réaménagement du quartier dans lequel elle a grandi. Mené en catimini par Pierre Forges, un jeune pédiatre propulsé maire, il prévoit la démolition de l’immeuble où Haby a grandi. Avec les siens, elle se lance dans un bras de fer contre la municipalité et ses grandes ambitions pour empêcher la destruction du bâtiment 5. » 

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L’Humanité, il fallait s’y attendre, s’emballe : « Un grand film qui bat à plate couture tous les poncifs sur le sujet et les mauvais procès à l’encontre des habitants (des cités). » Les Inrocks, Elle et Franceinfo s’enthousiasment. Les critiques des « médias bollorisés », pour parler comme Thomas Legrand, sont eux-mêmes sous le charme : CNews encense le film et « attend avec impatience le dernier volet de la trilogie du cinéaste consacrée à la banlieue », tandis que le JDD n’émet qu’une très légère réserve sur l’aspect « un brin démonstratif » du scénario. En revanche, une partie de la presse habituellement férue de ce genre de cinéma, Libération et Le Monde en tête, note plus sévèrement le film, jugé trop mécaniquement manichéen. Télérama, jésuite comme jamais, n’en dit pas vraiment du mal mais n’en dit pas grand bien non plus – une tiédeur qui vaut sanction. De la même manière que l’académo-militantisme nuit à la véritable recherche universitaire, l’artistico-militantisme nuit à la création cinématographique – certains critiques finissent par se lasser de ces films partisans et répétitifs, et le public va voir ailleurs s’il y est. Résultat des courses : 164 295 spectateurs après presque deux mois d’exploitation, dont 615 seulement pour la dernière semaine. Au vu du budget investi, de l’aura du réalisateur « issu de la diversité » et du succès attendu, cela équivaut à une catastrophe industrielle.

Le wokisme, ça paye (mais pas pour tout le monde)

En parlant de budget, Siritz.com, blog destinė aux professionnels du cinéma et de l’audiovisuel relayant les informations de Cinéfinances.info, nous en apprend de belles. Le budget des Misérables était de 2,1 millions d’euros. Pour la préparation, 28 jours de tournage et la post-production, la rémunération du réalisateur Ladj Ly a été de 60 000 €, ce qui représentait « un peu plus que la moitié de la rémunération médiane des réalisateurs de films français sortis en 2020 », précise le site. Jusque-là, rien à dire. Le budget de Bâtiment 5 a été, lui, de 8,3 millions d’euros. France 2 a co-produit le film qui a reçu 550 000 euros d’avance sur recettes par le CNC et, en tout, 2,3 millions d’euros d’argent public. « J’ai fait bosser plein de gens du territoire et, cette fois, le budget du film nous a permis de les payer correctement », a déclaré Ladj Ly à Télérama, le 6 décembre 2023. Il a surtout permis de payer très correctement… Ladj Ly. En effet, apprend-on grâce au site internet Siritz, « pour la préparation, 42 jours de tournage et la post-production, la rémunération du réalisateur a été de 450 000 €. C’est 3,3 fois la rémunération moyenne des réalisateurs de ces films de fiction. » En plus de ce pactole, Ladj Ly a touché, en tant que co-scénariste, la moitié d’une autre rémunération de 500 000 euros, somme qui est « deux fois et demi le budget moyen des scénarios de ces films », précise-t-on sur le site spécialisé. Dénoncer sans relâche le « racisme structurel », les « violences policières » et les « discriminations systémiques » dont souffriraient les « minorités » en France peut s’avérer très rémunérateur.

Raison pour laquelle, comme Rokhaya Diallo, Ladj Ly ne perd jamais une occasion d’accuser la France de tous les maux, surtout lorsqu’il est à l’étranger. Le Parisien a rapporté les propos tenus par le réalisateur au Canada, en septembre 2023, dans un entretien donné à la revue Deadline à l’occasion de la présentation de son dernier film au festival de Toronto, à propos des « violences policières » dans son pays : « C’est un problème récurrent en France : la violence, les meurtres commis par la police dans ces quartiers. Malheureusement, ce genre de choses (comme la mort de Nahel Merzouk) se produit tous les mois. L’histoire se répète. […] La police a carte blanche pour tuer ces jeunes sans jamais être condamnée. C’est un fait et les chiffres le montrent. Le problème n’est pas nouveau. » Dans la foulée, lors d’une conférence animée par le Hollywood Reporter, Ladj Ly a affirmé qu’en France « la police a le feu vert pour tuer les Noirs et les Arabes ». S’ils prennent connaissance de ces déclarations outrancières et mensongères, espérons (sans trop y croire) que l’audiovisuel public et le CNC y regarderont à deux fois avant que d’aider au financement du prochain film de ce réalisateur discréditant systématiquement la France, sa police et une partie de ses habitants, tout en profitant de largesses financières obtenues grâce à la très cocardière « exception culturelle française ».   

Une légende du siècle

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Robert Badinter, mort la nuit dernière à l’âge de 95 ans, suscitait une adhésion et une déférence même chez ses adversaires politiques les plus résolus, observe notre chroniqueur.


La mort est inéluctable mais il est des disparitions, même tardives, qui au-delà de l’affliction des proches et des amis bouleversent l’opinion publique, suscitent l’émotion et le regret de beaucoup. Robert Badinter appartient à cette catégorie des morts qui ne seront jamais remplacés parce que précisément au cours de son existence il aura été unique.

Il y a une obligation de réserve, de décence et de dignité qui interdit d’aller immédiatement sur le terrain de la contestation, des réticences et des polémiques même si plus tard il n’y aurait aucune honte à en aborder certaines.

Aujourd’hui, c’est la personnalité exemplaire que je tiens à saluer et qui demeurera comme une incarnation de vertus multiples et de dons indiscutables.

Certes, qualifié de grande conscience, tel un symbole des Lumières dont la France s’enorgueillit d’être la représentante emblématique, Robert Badinter a occupé tant de fonctions et fait briller tant de talents que ce serait le réduire que de voir seulement en lui un être désincarné seulement obsédé par les valeurs, les principes et les droits de l’Homme.

Sénateur socialiste, fidèle mutique de François Mitterrand, social-démocrate convaincu et souvent convaincant, adepte d’une modération politique et sociale engagée mais jamais méprisante ni péremptoire, juriste de très haut niveau, professeur qui a marqué les esprits de ceux qui l’ont écouté et appris de lui, garde des Sceaux dont la direction honorait la magistrature, dont j’étais, et exerçait, sur le Parquet, quelle que soit l’appréciation de sa politique pénale, une autorité acceptée, avocat à l’éloquence âpre et, pour le pénal, voué quasiment à une seule cause, président compétent et respecté du Conseil Constitutionnel, écrivain et essayiste de forte argumentation et de haute volée sur les sujets et les thèmes qui renvoyaient à sa douloureuse conscience historique, à sa volonté de ne pas laisser sombrer la mémoire de l’horrible, au combat de sa vie contre la peine de mort, à sa curiosité et à sa passion citoyennes pour tous les débats où il était question de l’honneur et de la dignité de l’homme, personnalité qui, quoi qu’on en ait, suscitait une adhésion et une déférence même de ses adversaires les plus résolus, Robert Badinter a, jusqu’à 95 ans, magnifié, sur tous les plans, ce dont la nature et sa formation l’avaient doté.

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Je ne voudrais pas trop focaliser sur l’abolition de la peine de mort en 1981 qui lui a permis, avec le soutien courageux et paradoxal d’un François Mitterrand (qu’on songe au ministre de la 4ème République qui avait fait beaucoup décapiter!), de gagner sa quête éperdue d’une humanité résistant même aux pires des crimes et à la pulsion de l’échafaud. Cette victoire magnifique pour la civilisation, on la lui doit. Ce n’est pas quelque chose de conjoncturel mais l’expression d’une société qui a su enfin  « s’empêcher ».

Emmanuel Macron et Robert Badinter, 40eme anniversaire de l’abolition de la peine de mort au Panthéon a Paris, 9 octobre 2021 © STEPHANE LEMOUTON-POOL/SIPA

Faut-il oublier ce qu’il a accompli, pour lutter contre toutes les inégalités et les discriminations, en faveur de la dignité homosexuelle ?

Impossible aussi d’occulter sa dénonciation d’une gauche déraisonnable et extrême et son entêtement à ne jamais désespérer de la raison humaine et de la République.

S’il fallait résumer d’un mot ce que l’existence et la carrière d’un Robert Badinter ont eu d’unique, ce serait que partout, à quelque moment que ce soit, dans les temps rudes comme dans les périodes tranquilles, dans les honneurs comme dans la discrétion, dans les consensus comme dans les affrontements, non seulement il n’a jamais démérité mais n’a jamais été pris en défaut d’enseigner aux autres ce que lui-même se serait dispensé de pratiquer.

Une rigueur à son égard, donc un modèle pour beaucoup.

Tucker et Vladimir: je t’aime moi non plus

Tucker Carlson aurait très bien pu ne pas être là. Il n’a posé aucune question sensible hier soir dans le premier entretien accordé par Vladimir Poutine à un média américain depuis le début de la guerre qu’il a déclenchée en Ukraine. Analyse.


C’est peu dire que l’entretien de Vladimir Poutine avec l’ancien animateur vedette de Fox News Tucker Carlson était attendu. Annoncé à grands renforts de publicité sur X-Twitter par un Elon Musk ravi de son coup, ce déplacement de la droite américaine à Moscou a pourtant accouché d’un résultat aussi décevant que prévisible.

Très célèbre aux Etats-Unis, Tucker Carlson y a longtemps été considéré comme l’un des meilleurs intervieweurs et éditorialistes de sensibilité conservatrice. Entre 2016 et 2023, au plus fort des années Trump, il présentait le Tucker Carlson Tonight, l’une des émissions les plus populaires de Fox News où il fut engagé à la demande expresse de la famille Murdoch. L’an dernier, courroucé par des relations de plus en plus tendues avec ses anciens employeurs, le natif de San Francisco a claqué la porte de la Fox pour lancer sa propre émission indépendante sur X-Twitter à la suite du rachat du réseau social par le milliardaire Elon Musk, aux opinions relativement proches de la tendance MAGA (Make America Great Again) au sein de laquelle Carlson est toujours populaire.

Fenêtre d’opportunité pour Moscou

Qu’une telle figure de la droite américaine aille en Russie au plus fort de la guerre en Ukraine a donc suscité des réactions diverses, la plupart des soutiens de Poutine se réjouissant ouvertement de cette apparente normalisation et du temps de parole qui allait être donné au président russe pour exprimer ses vues. Il faut bien dire que le soutien à l’Ukraine est un enjeu crucial de plus en plus discuté aux Etats-Unis, où des divergences semblent se faire partiellement jour entre les électorats démocrates et républicains. Cette semaine, le Congrès américain était ainsi paralysé par le bras de fer entre les Républicains et les Démocrates, incapables de trouver un accord autour d’un projet de loi permettant de débloquer des fonds pour l’Ukraine, Israël et réformer le système migratoire. Pourtant, Joe Biden a bien tenté de proposer de décorréler les trois questions, jusqu’alors pomme de discorde avec les conservateurs. Alors que la dernière tranche de l’aide militaire américaine a été débloquée en décembre dernier, le déblocage de nouveaux fonds se fait cruellement attendre.

Voilà pour le contexte, présentant une favorable fenêtre d’opportunité pour le Kremlin puisque Moscou espère un essoufflement de l’aide occidentale et une fissuration du bloc de soutien à l’Ukraine. La venue de Tucker Carlson s’inscrit donc parfaitement dans une stratégie russe éprouvée visant à mieux diviser ses adversaires pour régner sur l’Ukraine. En ligne de mire : l’opinion publique « conservatrice », ou plutôt populiste, principalement aux Etats-Unis mais aussi en Europe.

Un entretien peu classique

Habitué aux « punchlines » et autres formules chocs, le public américain aura probablement été surpris par le style Poutine, fait de longues digressions historiques rarement conclues par des sourires Colgate. Le contraste entre Tucker Carlson et ses airs d’étudiant preppy de grande faculté de la côte ouest et l’air bourru de l’homo sovieticus était d’ailleurs assez savoureux, voire comique par instants si la situation n’était pas si grave. Pendant les quarante-cinq premières minutes de l’entretien, Vladimir Poutine a ainsi pu dérouler ses différentes obsessions historiques, plus ou moins révisionnistes, que les plus curieux auront déjà pu découvrir au travers de la lecture de son essai publié avant-guerre : « De l’unité historique des Russes et des Ukrainiens ». « Sur l’unité historique des Russes et des Ukrainiens » (mid.ru)

Illustrant à merveille le dialogue de sourds entre l’Occident et la Russie, Vladimir Poutine s’est montré fidèle à lui-même, ne concédant pas un millimètre à un interlocuteur qui aurait pu tout aussi bien être absent, tant il n’a posé aucune question sensible et semblait perdu face aux références employés par un Tsar trop heureux de l’humilier. Preuve d’ailleurs de la faible maitrise du journaliste vedette, il a confondu au cours de l’entretien la Révolution Orange de 2004 et l’Euromaïdan de 2013-2014… Largué et sur une autre planète, Tucker Carlson a joué les figurants. On pouvait d’ailleurs s’attendre à ce que Vladimir Poutine cherche à trianguler, à séduire son auditoire américain en dénonçant le « wokisme » ou le mouvement « LGBT », pourquoi pas en traitant les Occidentaux de décadents va-t-en-guerre, mais il n’en fut rien.

Fidèle à lui-même, Vladimir Poutine a surtout voulu montrer à son peuple qu’il ne variait pas devant les Américains, quand bien même lui seraient-ils plus sympathiques. Jurant qu’il n’avait pas le désir d’attaquer la Pologne, après avoir expliqué par le menu pourquoi les Allemands furent obligés de le faire en 1939, Vladimir Poutine a en substance expliqué que la guerre s’arrêterait quand les Etats-Unis et l’Europe couperaient les finances de Kiev. Il a même évoqué les « rives de la mer noire », prouvant par là qu’il ne se contenterait pas de la Crimée et du Donbass. Les moins attentifs des kremlinologues n’auront absolument rien appris de ces échanges, qui reprenaient les différents discours du chef d’État russe depuis février 2022. Et ils avaient cette fois la force de la légitimité du tampon « Etats-Unis ».

Quelques passages furent particulièrement savoureux, montrant le décalage profond entre une Amérique conservatrice probablement convaincue de sa proximité avec la Russie et la réalité de son régime. Notamment quand Tucker Carlson a interrogé un Vladimir Poutine décontenancé sur les « forces supérieures et divines » qui seraient à l’œuvre. Répondant par un « niet » et une moue dubitative, Vladimir Poutine a dû se demander ce qu’on pouvait bien lui chanter là. Un rare moment de légèreté dans un laïus anachronique. Alors que nos dirigeants sont oublieux de l’histoire, ceux de l’autre monde en sont parfois névrosés.

On aura aussi senti le dépit et même la tristesse du pétersbourgeois Poutine face au refus de l’Occident de développer une relation amicale – selon ses propres termes, cela va de soi. Il a d’ailleurs désigné à cette occasion ses « voisins » en mauvais objets, bien sûr les Ukrainiens, mais aussi ses deux autres bêtes noires que sont les Polonais et les Baltes, tous accusés d’avoir provoqué la guerre. Car, oui, la Russie de Poutine est sincèrement convaincue que sa guerre d’invasion est une guerre défensive contre les nazis et l’OTAN prédateur. Des nazis bien vivants selon Vladimir Poutine qui a affirmé tout de go que « l’esprit d’Hitler vit encore ».

Entretien exclusif

Un Poutine en définitive inaccessible au dialogue autrement qu’à ses conditions exclusives. Dans ces conditions, il sera difficile de « négocier » quoi que ce soit d’autre qu’une reddition en rase campagne. Reste qu’il semblait aussi particulièrement désireux de revendre du gaz aux Allemands. Pourtant, il n’a pas montré la plus petite empathie pour le public gagné d’avance des pays occidentaux qu’il entend séduire. Et à quoi bon ? A la manière de l’extrême-gauche repentante, une partie de la droite occidentale a atteint le stade terminal du masochisme, aimant autant s’autoflageller que se faire humilier par des dictateurs étrangers. Et puis, les officines d’influence de la Russie se chargent déjà d’arrondir les angles sur les réseaux sociaux, les médias dits de « réinformation » ou encore les alcôves des cabinets de conseil.

On reconnaitra au moins à l’autocrate de Moscou d’être fait d’un autre bois que notre classe politique de marchand de tapis. Il sait ce qu’il veut et ne cède pas. Une partie de la fascination qu’il engendre vient d’ailleurs de là, d’aucuns voyant en lui une espèce d’homme qu’ils rêveraient ardemment d’être…

Que faire désormais ? Si le coche a été loupé en février 2022, moment où il fallait fermer le ciel ukrainien et pénétrer en mer noire, plutôt que de se lancer dans une absurde guerre d’attrition face à un pays rentier en ressources naturelles fort d’une population résiliente et au régime inamovible, il n’est pas trop tard. Comme le disait le spécialiste de la région sur X-Twitter Arnaud Castaignet : « Face à la Russie, Il faut réindustrialiser et réarmer. Massivement. Pour les 30-50 prochaines années. Créer une vraie base industrielle de défense européenne. Ouvrir des bases militaires dans les pays de l’est. Montrer qu’on fera face à l’ennemi russe sur le long-terme. Il faut relancer une course aux armements et lui montrer qu’il va la perdre. Couper tout lien économique et énergétique. » Pour radical que soit le chemin, il semble difficile d’en emprunter un autre.

Et en y réfléchissant un temps soit peu, croit-on que la Chine ait plus besoin du marché russe que du marché européen ? Faut-il encore en convaincre les Etats-Unis…

Robert Badinter: le temps de nos illusions perdues

Un hommage national sera rendu à l’ancien Garde des Sceaux décédé, a annoncé l’Élysée


Robert Badinter est mort. Un pan du siècle dernier, c’est indéniable, s’en va avec lui. Il fut l’âme, l’esprit et le bras armé de l’abolition de la peine de mort en France. Il aura été aussi le juriste implacable qui a su exiger des pays espérant rejoindre la communauté européenne qu’ils suivent ce modèle et suppriment chez eux le recours à l’exécution capitale. La raison était qu’il voyait dans l’abolition la marque probablement la plus élevée de l’appartenance à notre civilisation occidentale. Par la suite, tout au long de son existence, il n’a jamais cessé de rappeler qu’il s’agissait en l’occurrence d’un combat, non pas pour une vie, mais pour « La » vie. À chaque prise de parole, conviction intacte, éloquence toujours aussi poignante, il tenait à rappeler ce point essentiel.

À l’heure où on se rue sur des accommodements moraux tels qu’inscrire l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution, où l’on cherche à louvoyer avec la mort en prétendant la domestiquer, la dominer et s’en faire si peu que ce soit le maître, il serait très opportun d’avoir présent à l’esprit le sens de ce combat-là, le combat pour la vie.

En effet, avec la disparition de Robert Badinter une époque finit. Une France s’efface. Celle où un ministre, un gouvernement pouvaient présenter et défendre devant la représentation nationale un texte de loi aussi clivant que celui du renoncement à la peine capitale sans que des députés se sentent autorisés, ou pire encore tenus, de beugler comme des porcs, de se comporter en débiles hystériques. La dignité parlementaire de ce temps-là a bel et bien vécu, elle aussi. Une décence citoyenne d’un autre temps qui a fait que Badinder, ex-garde des Sceaux de François Mitterrand, aura réussi la prouesse elle aussi aujourd’hui inconcevable d’être tout à la fois puissamment contesté et sincèrement respecté. De telles nuances n’ont plus cours chez nous, on le constate, hélas, tous les jours.

Illusions perdues, disais-je. Oui, me semble-t-il. Car nous autres humanistes – humanistes hors clivages idéologiques, politiques, confessionnels, n’ayant finalement en partage que notre appartenance civilisationnelle, nous nous reconnaissions au moins pour une part en Badinter. Comme lui, nous avons – profondément, fermement, mais tout autant naïvement – cru à un monde qui n’est pas advenu.

Un monde où, en miroir de la peine de mort, seraient abolis la barbarie, le terrorisme, le djihadisme sanguinaire, la conquête de nos villes et campagnes par l’empire de la drogue, tout ce cortège de fureur et de mort que nous ne connaissons que trop bien.

Dès lors, une interrogation se fait jour. Terrifiante, j’en conviens, et fort peu satisfaisante pour le cœur et l’esprit, une interrogation dont le disparu aurait été positivement horrifié. Face à une si violente régression des mœurs, serait-il totalement inconcevable que demain la société ne réponde par une tout aussi violente régression des lois ?

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Les selfies de Modi

Pour rester au pouvoir, le leader indien mobilise le pouvoir des selfies.


Encore plus que les Occidentaux ou même les Chinois, les Indiens sont obsédés par les selfies, une tendance que le gouvernement actuel exploite à des fins politiques. Si Indian Railways, la société de transport ferroviaire nationale, n’est pas réputée pour sa ponctualité, les usagers en attente peuvent désormais se distraire dans des cabines à selfie que les autorités ont installées dans les gares pour permettre aux voyageurs de se photographier avec une image grandeur nature du Premier ministre Narendra Modi. Ces bornes à selfie sont équipées de découpes en carton de taille réelle du leader nationaliste, voire de modèles en 3D.

Derrière cette idée en apparence ludique se cache à peine une véritable campagne politique astucieusement orchestrée à quelques mois des prochaines élections législatives. Élevé presque au rang de divinité par son parti le BJP, qui le qualifie de « messie des pauvres », Modi ne ménage aucun effort afin de garantir sa réélection pour un troisième mandat de cinq ans. Son gouvernement a même mobilisé les ministères de la Défense et de l’Éducation pour installer des bornes à selfie près des monuments aux morts et dans les musées, les aéroports, les écoles et les collèges. Ces bornes célèbrent en textes et images les réalisations des autorités en place et proposent souvent une image de Modi.

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Ce culte de la personnalité a suscité la désapprobation de l’opposition qui a dénoncé un gaspillage effronté de l’argent des contribuables. Une borne temporaire coûte 1 400 euros et une permanente 7 000. Il est vrai que les députés de l’opposition peinent à s’imposer dans un espace public entièrement dominé par Modi et ses partisans. Face aux critiques acerbes provoquées par les bornes, le BJP a cyniquement rappelé à ses opposants que l’Inde était une démocratie et que les Indiens étaient libres de prendre des selfies ou non selon leur bon plaisir… Ou celui de l’homme qu’on appelle le « gourou national » ?

Uniforme à l’école: Nicole Belloubet annonce le port obligatoire de l’abaya à la rentrée prochaine

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Évidemment, notre titre est une boutade ! Reste que la nomination, à l’Éducation nationale, de Mme Belloubet (qui a tenu des propos controversés durant l’affaire Mila), sème le trouble. Face au séparatisme islamique et à la crise de l’autorité, avec Emmanuel Macron et Gabriel Attal, c’est un pas en avant, deux pas en arrière ! Céline Pina analyse les nouvelles nominations gouvernementales annoncées hier soir.


La fiction du « gouvernement resserré » a pris fin ce jeudi 8 février avec la nomination de la liste complémentaire des favoris du président. Après le premier cercle des ministres, voici le second choix des secrétaires d’État. C’est une liste de « seconds couteaux » qui a été sortie du chapeau. Pas de trophée arraché à un autre parti, pas de personnalité incarnant une orientation politique ou portant un message allant au-delà de sa propre personne. La liste des nouveaux ministres est insignifiante au sens premier du terme, elle ne « dit » rien à personne.

Pouvoir sans imagination

Et ce n’est pas un hasard, c’est même le but recherché. La mise en scène de ce total manque de considération pour de soi-disant politiques ravalés au rang de ternes exécutants délivre, elle, un message politique. Et il n’est pas glorieux pour le pouvoir. Pour tenter de donner un reste de crédit à une parole politique dont il ne cesse d’affaiblir la portée, la communication gouvernementale tente vainement de masquer les revirements permanents et les sorties inconsidérées d’un président sans gouvernail ni cohérence. Ainsi, Emmanuel Macron ayant promis un gouvernement resserré, la fiction doit donc être maintenue à tout prix, même si elle ne trompe personne. Tout le monde savait que la première salve de ministres n’était qu’une mise en bouche et qu’il faudrait compléter l’appareil gouvernemental par d’autres nominations. Il faut dire que des dossiers cruciaux et passablement chauds (Santé, logement, aménagement du territoire, industrialisation…) étaient restés en jachère. Alors la raison a fini par l’emporter et le gouvernement regroupe de fait plus d’une trentaine de personnes. Et cela n’a rien de problématique. On se demande même qui a réussi à refourguer ce vieux rogaton fatigué de la communication qu’est le « gouvernement resserré ». Vieux plat réchauffé des pouvoirs sans imagination.

Symboliquement, le fait de mettre en scène un processus de nomination désinvolte permet de bien faire ressortir qu’il s’agit ici de désigner des subalternes. Le vrai gouvernement, ce sont les ministres de plein exercice et eux ne sont que quinze. En apparence la promesse est tenue et cela suffit à contenter l’ego du Prince.

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Sauf que personne n’est dupe. Les Français encore moins, ils regardent ébahis leur gouvernement leur jouer une comédie qui ne trompe personne. Tout le monde se moque du nombre de personnes nommées au gouvernement si le travail est fait. Si les services publics sont à la hauteur, si les hôpitaux fonctionnent, si tous les médicaments sont disponibles en pharmacie, si l’école tient sa promesse d’ascension sociale, si la sécurité règne dans les rues… alors Emmanuel Macron pourra nommer cinquante personnes ministres sans que cela ne dérange quiconque. En revanche, si c’est pour continuer à cravacher le pays pour qu’il s’enfonce plus vite dans la spirale du déclin, même quinze parasites, c’est déjà trop.

Tambours et trompettes

Cette façon de procéder inutilement humiliante dit bien qu’il n’y a encore aucun véritable politique dans ce train de nomination. Il s’agit là de simples gestionnaires, sans beaucoup de poids propre, élevés à cette hauteur par la faveur du Prince. Mieux vaudrait en ce cas un simple communiqué de presse, informatif et neutre. Trop de tambours et trompettes pour saluer un non-évènement finit par montrer ce que le pouvoir aimerait bien cacher.

La simple énumération des noms des nouveaux membres du gouvernement est en elle-même significative : Frédéric Valletoux (Santé), Patrice Vergriète (Transports), Fadila Khattabi (autonomie et handicap), Marina Ferrari (Affaires européennes), Dominique Faure (Collectivités territoriales et ruralité),  Guillaume Kasparian (Logement), Marie Guevenoux (Outre-mer), Dabrina Agresti-Roubache (Ville), Hervé Berville (Mer), Sarah El Haïry (Enfance et famille), Olivia Grégoire (entreprises), Thomas Cazenave (Comptes publics), Agnès Pannier-Runacher (Souveraineté alimentaire), Jean-Noël Barrot (Europe), Franck Riester  (Commerce extérieur), Patricia Mirallès (Anciens combattants), Chrysoula Zacharopoulou (partenariats internationaux)…

Ces noms n’évoquent rien pour quiconque dans la rue, et peut-être même dans une partie des rédactions de journaux. Il n’y a pas si longtemps, avant de devenir ministre, il fallait faire ses classes : on existait un peu, on représentait quelque chose, une force structurée, une capacité à agir qui avait fait la différence dans l’administration d’une ville ou la redynamisation d’un domaine d’activité. Pour accéder aux responsabilités, on était censé avoir fait ses preuves. Ce n’est plus le cas et sans présager des capacités des nouveaux ministres et sous-ministres, c’est le manque de densité de cette équipe gouvernementale qui saute aux yeux. Hormis Darmanin, Le Maire et Dati, il n’y a guère de politiques au gouvernement, les ministres sont soit des émanations de la technostructure soit de futures victimes de celle-ci, bien plus puissante qu’eux par sa permanence et sa connaissance des rouages.

Cette liste de sous-ministres est donc révélatrice de l’absence de vivier politique dans lequel puiser en général, et du vivier encore plus réduit qui reste au président. Lequel, parce qu’il est empêché de se représenter, n’est pas un gage d’avenir tout en représentant une prise de risque.

Ne restait donc qu’à puiser dans les partis croupions lambeaux des anciens grands partis de gouvernement, Horizons, Modem…. Le reste est affaire d’équilibres politiques internes à la macronie, combien de sièges attribuer au Modem, à Horizons, à Renaissance… De la politicaillerie interne, essentiel à la vie des partis mais qui n’éveille pas l’intérêt des citoyens à juste titre.

L’école ne sait pas où elle va

Et pour finir, alors que l’on pouvait espérer retrouver peut-être avec Gabriel Attal une ligne politique claire et explicite, une fois de plus, Emmanuel Macron détruit d’un revers de main ce qu’il semblait vouloir installer définitivement la veille. Si cet homme était un héros antique, il serait Pénélope, celle qui défaisait la nuit, ce qu’elle faisait le jour. Voilà pourquoi on a bien du mal à discerner sa ligne politique, disons par exemple, en matière d’éducation.

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On a eu d’abord droit à Jean-Michel Blanquer, présenté en chevalier blanc de la laïcité, puis Pap Ndiaye, son opposé, venu piétiner l’orientation donnée par le précédent ministre pour distribuer des gages aux wokistes et aux racialistes. Puis face au rejet suscité par l’idéologie d’un Ndiaye, retour aux symboles républicains avec Gabriel Attal, qui a semblé insuffler un nouvel espoir et axait son discours sur le retour de l’autorité et des savoirs. Le tout pour finir avec Nicole Belloubet, plus proche d’un Pap Ndiaye que d’un Attal. Une femme qui incarne tout sauf l’autorité et le courage. Dans l’affaire Mila, garde des Sceaux, elle fut incapable de défendre la liberté d’expression face à l’accusation de blasphème que subissait une jeune fille de 16 ans. Chargée d’incarner et de défendre notre Etat de droit, elle a jeté la hiérarchie des normes aux orties pour donner des gages aux islamistes. Alors que ceux-ci sont à l’offensive, le chantage à l’abaya le prouve, nommer une femme prête à sacrifier la liberté de conscience et d’expression au nom du respect de la religion est une erreur. Le pire étant qu’elle prend cette position alors qu’une jeune Française est menacée sur notre sol pour avoir exercé une liberté fondamentale.

Cette nomination, qui est la seule à faire passer un message politique est donc désastreuse. C’est curieux chez Emmanuel Macron cette capacité à faire tout et son contraire et à se croire le maître des horloges – il doit les confondre avec des ventilateurs.

Zemmour: l’homme le plus copié de France

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L’objet de cet article n’est en aucun cas de prendre la défense d’Éric Zemmour, mais de décrire un phénomène bien connu des communicants du monde entier : le détournement des bonnes idées par des concurrents sans imagination. Il se trouve que l’étude de ce phénomène nous en apprend beaucoup sur le fonctionnement de la droite contemporaine… 


Tous les marchés fonctionnent sur le même schéma : un inventeur crée une nouvelle activité, laquelle lui apporte une réussite remarquée, et des imitateurs se lancent aussitôt dans la brèche pour capter une part de son marché. Ainsi va la vie du commerce mondial depuis toujours. Il n’y a là rien de condamnable : sans imitation des bonnes idées, leur diffusion et la civilisation qui en découle seraient impossibles. Cette loi n’est nulle part aussi vraie que sur le marché de la communication, et la communication politique n’y fait pas exception.

Le grand marché des idées

Mais encore faut-il que l’imitation se voie : qu’elle soit assumée. Il n’y a aucun mal à s’inspirer d’un concurrent, du moment que l’on ne tente pas de se faire passer pour lui. À l’inverse, si l’imitation est cachée, il y a contrefaçon, donc vol. Or, la droite française est devenue un souk où pullule le toc. Le produit copié par tous, sans exception et sans vergogne, c’est Éric Zemmour.

Quand il surgit sur le marché du discours politique, au milieu des années 90, il passe pour le trublion. Dans les partis de droite, on l’écoute avec intérêt, on s’en moque aussi, mais l’on ne songe pas encore à le mimer. Puis, plus le temps passe, plus il impose sa présence à l’échiquier politique. On commence à se méfier de lui : il prend un petit peu trop de place. Les chiffres de vente de ses livres, son phénoménal succès d’estime chaque soir sur CNews, la foule toujours plus imposante de ses fans, relèguent les leaders de la droite au rang de personnages ennuyeux. Et, coup de théâtre, voilà qu’il se présente à l’élection présidentielle ! Il devient alors un adversaire. Dans la première partie de la campagne, sa popularité record en fait même un ennemi juré.

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Jusque-là, tout va bien. Mais il y a un mais : l’extraordinaire manque d’imagination des partis de droite français, ronronnant éternellement dans leur « certaine idée de la France », tirée du gaullisme comme on trait une vache jusqu’à l’épuiser. Ni franchement libérale, ni clairement patriote, attirée par le centrisme, lui-même englué dans le socialisme, notre droite ne sait pas être de droite. Depuis Chirac, elle se perd dans des débats sans fin sur une identité nationale affreusement abstraite. Le contraste avec la productivité de Zemmour dérange. Plus est neuf le discours du « polémiste d’extrême-droite », comme l’appellent les esprits chagrins qui voient du nazisme partout, plus la droite paraît vieille. Zemmour risque fort de la doubler dans le virage du premier tour. Il faut réagir, et vite.

Le grand remplacement… des slogans

Un cap est franchi lors de l’inoubliable meeting de Valérie Pécresse au Zénith de Paris, où, devant la France médusée, elle livre le grand discours le plus médiocre de l’histoire de la cinquième République. « Pas de grand remplacement, ni de grand déclassement ! », s’écrie-t-elle. Mauvaise pioche : en reprenant mot pour mot le pilier central de la campagne de « Reconquête! », la pauvre candidate vient de se faire hara-kiri en public : elle a démontré qu’elle n’avait rien à dire. Elle ne s’en remettra jamais. Toutefois, Pécresse n’est que la partie émergée de l’iceberg mimétique. Toute la droite se met à faire du Zemmour comme Monsieur Jourdain de la prose.

Valérie Pécresse à Paris, 13 février 2022 © Jacques Witt/SIPA

Marine Le Pen particulièrement. Observez son historique Twitter. Il suffit que l’insolent Éric lance un slogan inédit pour que le RN le reprenne à son compte quarante-huit heures plus tard : il est sa vivante boîte à idées, où elle pioche avec gourmandise tout ce que bon lui semble, effaçant d’un revers de main toute notion d’originalité, d’authenticité ou de copyright. Jordan Bardella, qui fait tout comme maman, lui emboîte évidemment le pas avec une belle énergie. Si vous voulez savoir ce qu’a dit Zemmour avant-hier, lisez leurs messages de ce matin. Ce serait burlesque, si ce n’était pitoyable. Et la viralité des déclarations de Zemmour ne s’arrête pas là. Car toute la droite devient une chambre d’écho du zemmourisme. En somme, dans le rôle de l’homme que l’on cite faute d’avoir des neurones, il a remplacé De Gaulle. À la différence que, lorsqu’on produit du gaullisme de pacotille, on rend respectueusement hommage à sa source. Dans le cas du zemmourisme d’emprunt, on censure l’origine. Il y a vilénie.

Chapardeurs !

N’allez pas croire que j’exagère. Voici une liste absolument pas exhaustive des idées qui circulent sous le manteau, telles des fausses Rolex sur les marchés africains. Dans le désordre : la débureaucratisation (que Zemmour a été le premier à prôner de manière méthodique), la désmiscardisation (nouveau dada d’Attal), la lucidité des Français (que Zemmour a mis en lumière avant le RN), le bouclier migratoire (dont Bardella veut passer pour le géniteur), l’élection européenne comme référendum sur l’immigration (une lubie très zemmourienne du RN), la position fermement pro-nucléaire (dès 2010 pour Zemmour, toute récente pour les lepénistes), « la démographie, c’est le destin » (repris par Sarkozy, généralisé depuis), le collège unique et la blouse obligatoire (qu’Attal a allégrement chapardé), les contrôleurs armés humiliant les agriculteurs (que Zemmour a dénoncé juste avant Bardella), le gel des avoirs des dealers (idem), les TIG pour les parents de délinquants (idem), etc, etc, etc. Mais le plus stupéfiant de tous ces fakes et de ces mee-too est le « pour que la France reste la France » de Macron : véritable pickpocket idéologique, le président de l’antifascisme imaginaire copie-colle, toute honte bue, le slogan présidentiel de celui qu’il dénonce comme l’incarnation du fascisme ! « Miroir, mon beau miroir, dis-moi qui est le plus bel Éric Zemmour », murmure le sorcier de l’Élysée.

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Donc, on l’a compris, très logiquement, quand Gabriel Attal veut se faire passer pour un homme de droite cet après-midi, comment s’y prend-il ? Simple comme bonjour : il imite la droite qui imite Éric Zemmour. C’est le quoi-qu’il-en-coûte de l’imitation, le point d’arrivée du ruissellement des concepts novateurs : le stade où, après que toutes les marques d’un marché ont reproduit une bonne idée, les autres marchés la copient à leur tour. C’est ainsi que l’homme politique que tout le monde se plaisait à trouver « le plus clivant » devient le plus universel. Celui-là même qui passait pour un marginal, et que l’on tentait de satelliser le plus loin possible de la planète politique, en devient, bien malgré lui, le fournisseur en flux tendu.

Certes, c’est tout à l’honneur de Zemmour, à cette différence près que la masse toujours plus grande de contrefaçons l’empêche d’être vu pour ce qu’il est : un esprit d’avant-garde. Et ce n’est certainement pas à l’honneur de la classe politique française, qui joue à Jacques-a-dit en essayant de tuer Jacques. Éric Zemmour, pour échapper à ce siphonnage systématique, a une première solution à sa disposition, celle qui lui est le plus naturelle : conserver l’initiative en offrant constamment au public de nouvelles inventions utiles. Il peut également laisser entendre, de manière cinglante, ou drôle, que ses poursuivants fourguent à la sauvette des produits de contrebande. Enfin, et c’est sans doute ce qu’il a en tête, il peut prendre sa revanche dans les urnes, le 9 juin prochain, afin de démontrer que les Français ne se laissent pas duper si facilement par les faussaires. Y parviendra-t-il ? L’histoire le dira. Zemmour n’est guère du genre à se laisser piller sans réagir, pas plus que de se satisfaire de 7%.

Toujours est-il que ces concurrents seraient bien inspirés de prier pour que leur supercherie ne se voie pas trop. Sans quoi il deviendra évident aux yeux de tous que, dans la grande agence de pub de la communication politique, il n’y a plus que lui au poste de créatif.

Art: et si le classicisme n’était pas aussi dégueulasse qu’on le dit?

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Le classicisme, ou l’extase de l’arc tendu


S’il est un crime à ne jamais laisser impuni, c’est bien celui de salir des lieux d’exception par des lieux communs. Combien de fois, dans les ailes de musée consacrées au classicisme, n’ai-je entendu d’inepties s’échapper de bouches mondaines. Amoureux du Beau, je vous en conjure : devant les helléniades de Poussin, les Madone de Raphaël, tendez l’oreille, et faites-en l’expérience. Vous entendrez toujours de ces risibles doléances : « Un beau trait, de belles formes, certes, mais enfin, tout cela manque un peu d’air. C’est trop sec, trop rigide ! » Autrement dit, l’ordre et la tradition dans l’art, passés leur heure de gloire, ne se laissent plus briller, ne se laissent  plus voir.

Blasés

« On nous dit, ironisait Gustave Thibon, que nous vivons dans une époque passionnante. Alors d’où vient le fait que nous soyons si peu passionnés ? » Étrange conception du progrès, celle voulant que, pour nombre de contemporains, les œuvres qui faisaient frémir hier fassent bailler aujourd’hui. Or, si l’on attend d’un adolescent qu’il rejette les vieilles mœurs, on s’attend aussi au regain de clairvoyance, tôt ou tard. Et pourtant, bien trop d’intellectuels blasés semblent bloqués au stade de rébellion, en confondant passé et passéisme.

Tout a commencé par une farce, du moins, en apparence, lorsque Marcel Duchamp exposa son fameux urinoir ready-made, en 1917. C’est que, voyez-vous, il jugeait l’art antérieur trop « rétinien » – c’est-à-dire axé uniquement sur la beauté visuelle – et trop peu « intellectuel ». Il prônait l’abandon de critères de beauté traditionnels, et un art ne servant qu’à véhiculer un message, un concept, une idée. Ainsi, Duchamp porta le premier coup de couteau à une continuité esthétique remontant à l’Antiquité que les dadaïstes, cubistes, plasticiens et autres portèrent à leur tour. Ajoutez d’autres facteurs, y compris, aujourd’hui, l’assimilation de la croyance en une Beauté objective à des courants politiques infréquentables, et vous obtenez un establishment artistique et, par extension, une certaine élite, devenus insensibles à l’art classique.

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À peine ces lignes s’écrivent-elles que s’élèveront des objections faciles. Par exemple, le fait que dans l’histoire de l’art, la révolte contre la tradition a toujours existé. Un artiste, en effet, cherche à innover. Il suffit de regarder les préraphaélites : à leurs yeux, l’art de leur époque était enfermé dans de strictes règles comme dans une camisole de force. Ils décidèrent de balayer nombre de conventions, donnant lieu à des contes de fées et des légendes de chevalerie qui s’inscrivirent par la suite dans le canon occidental. Alors quelle différence, concluront certains, entre cette révolte-là et celles qui suivirent, si toutes furent d’abord honnies, puis adulées ?

Il est souhaitable que la créativité artistique se renouvelle, mais…

La différence est très claire : les préraphaélites, tout en cherchant de nouveaux horizons, ne perdirent pas de vue leur héritage artistique, ni l’amour du Beau éternel. L’on ne saurait en dire autant de l’art moderne. Et s’il est normal, même souhaitable, que la créativité artistique se renouvelle, il est en revanche inacceptable d’y sacrifier le salut de l’âme par la plus profonde beauté.

Ce qui nous ramène à nos chères œuvres classicistes. Comment faire pour redonner goût à l’ordre dans une époque vouée au relâchement ? Au subtil, au concret et à l’éternel, dans un milieu habitué au grossier, à l’abstrait et à l’éphémère ? Pensez au Diane et Endymion de Poussin, au Tu Marcellus eris d’Ingres, ou encore aux Sabines de David : tandis que certains n’y voient que des formes restreintes ne laissant place à nulle liberté, nous voyons plutôt la concentration de toute tension dramatique en un point culminant, déclenchant une réaction spirituelle des plus intenses. Voyez-vous, le classicisme est une alchimie : puiser dans le domaine du mythe et le tourbillon des idées, les canaliser dans une valve à pression pour les figer dans des lignes épurées et des formes gracieuses. Les exigences les plus strictes ne sont pas synonymes de stérilité, au contraire. Si les muscles se façonnent par la contrainte, et l’intelligence par l’examen, pourquoi l’esprit ne s’aiguiserait-il pas aussi sur la meule des anciens chefs-d’œuvre ?

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Loin d’être une tare, cette rectitude propre au classicisme est sa plus grande force. En brisant les codes esthétiques et en bannissant toute limite, nos contemporains ont renoncé aux vertus de la tempérance. C’est le chaos enfermé dans un ordre parfait, cette retenue dans la splendeur, qui crée, dans une œuvre d’art, la tension la plus stimulante.

Pour visualiser la chose, imaginez la flèche d’un archer, braqué sur vous. Son arc, tendu, presque au point de rupture. Maintenant, songez à cette question : entre cet instant-là – où vous sentez la sueur perler sur votre front, votre cœur battre la chamade et votre corps se paralyser, où les doigts de l’archer tremblent sur son arc, où la flèche ne demande plus qu’à percer votre chair – et l’instant d’après, où l’acte est accompli, où vous n’êtes plus ; entre ces deux instants, entre pressentiment et accomplissement du carnage, lequel suscite la plus grande intensité sensorielle ? La plus vive expérience spirituelle ?

Marc-Aurèle a écrit que la peur de la douleur est pire que la douleur elle-même. De la même manière, le carnage artistique, l’éventrement de la beauté, où tout fut révélé, où plus rien n’était insinué, fait pâle figure par rapport à l’idée du carnage, qu’incarne le classicisme : l’expérience esthétique dans la retenue féconde. L’extase de l’arc tendu.

Tu Marcellus eris, Jean-Auguste-Dominique Ingres, 1812. DR.

Les baguettes magiques d’un conteur enchanteur

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Alain Gerber pose pour une émission de France 2, en 2005 © BALTEL/SIPA

Fin connaisseur de jazz, Alain Gerber nous fait comprendre dans son dernier livre avec pertinence toutes les subtilités de cet art.


Deux petits bouts de bois. Du bois dont on fait les flûtes ? Pas vraiment. Plutôt les baguettes de tambour. Et, plus précisément, de batterie de jazz, cet instrument complexe qui regroupe grosse caisse, caisses claires, cymbales, pédale, baguettes, balais et autres accessoires. L’auteur est un expert en la matière. Non seulement il pratique la batterie depuis des années, en disciple appliqué des plus grands drummers, mais le jazz est le domaine dans lequel il se meut avec une aisance peu commune. Il lui a consacré de nombreux livres et moult émissions de radio.

Un talent multiforme

Tel est Alain Gerber. Une référence indiscutable dans l’univers du jazz. Avec cela, romancier, nouvelliste, essayiste, poète aussi original que captivant. Voilà pourquoi son texte ne laisse pas de bois. Il offre plusieurs facettes d’un auteur aux dons multiples. Capable d’unir simultanément l’historien et le technicien érudit, le mémorialiste, le psychologue et l’autobiographe plein de pudeur, le philosophe et le littérateur à la culture impressionnante. Le tout dans ce style fleuri, émaillé d’humour, dépourvu de la moindre pédanterie.

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Un Juste équilibre

On l’aura compris : point n’est besoin d’être un aficionado de Baby Dodds, Gene Krupa ou Philly Joe Jones pour goûter pleinement cet ouvrage. S’il fallait le définir, on pourrait affirmer qu’il représente une manière de condensé, ou de quintessence, de l’art et de la manière de son auteur. Celui-ci sait trouver le ton juste. Il se place toujours à la bonne distance entre l’objectivité et l’expression d’une sensibilité qui lui est propre. En creux, se dessine un autoportrait émouvant. Celui d’un homme assoiffé de culture dès son enfance, dévorant les œuvres de ceux qui deviendront ses maîtres intellectuels sinon spirituels. Ils lui serviront de modèles lorsque lui-même s’aventurera sur les terres escarpées du roman : Hemingway, d’abord, mais aussi, pour s’en tenir aux seuls écrivains français, Michel Butor ou Georges Perec, sous l’égide duquel il a placé ses Bouts de bois. La liste des auteurs cités a de quoi donner le tournis : ils pratiquent plusieurs langues, appartiennent à plusieurs cultures, plusieurs civilisations. Une richesse impensable à notre époque de nivellement – lequel, comme on le sait, ne saurait se faire que par le bas.

Nanti d’un bagage culturel aussi impressionnant (encore faudrait-il y joindre l’apport des philosophes, de l’Antiquité à nos jours), l’auteur n’en demeure pas moins d’une modestie désarmante, comme en atteste cette incidente : « J’en profite pour glisser que je n’ai jamais été, et ne suis toujours pas, capable de me concentrer en même temps sur la pratique de la plume et sur celle des baguettes ».

De la musique avant toute chose

A en croire Alain Gerber, dans son chapitre « Etat des lieux », « la musique ne m’aura pas accordé les mêmes privilèges que la littérature ». Le tournant se situe, selon lui, en mars 2010, lorsque « l’usager de la batterie », formé, à ses débuts, par Daniel Humair puis par Georges Paczynski, devient autodidacte et « va loger (ses) névroses au fond d’un cabanon ». C’est là, grâce à une pratique quotidienne, qu’il va progresser, non seulement sur le plan technique, mais sur celui d’une quête qui pourrait s’apparenter à celle du Graal : la recherche de la sérénité et de la confiance en soi.

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La pratique quotidienne de l’instrument jointe à une connaissance impressionnante du jazz dans tous ses états va, en quelque sorte, parachever ce que l’écriture avait entrepris : l’épanouissement d’une riche personnalité.

Sans entrer dans les méandres et les détours de ce que l’on pourrait nommer une intrigue, tant l’intérêt y est soutenu de bout en bout, on peut inférer qu’à l’instar de Rousseau dans ses Confessions, Gerber a formé « une entreprise qui n’eut jamais d’exemple » : celle de dérouler, avec sincérité sa propre existence, si étroitement mêlée à l’histoire du jazz qu’elle lui devient consubstantielle. Un tel projet, mené à son terme avec brio, mérite une standing ovation !

Deux petits bouts de bois, d’Alain Gerber. Frémeaux & Associés, 240 p. 

Incandescente intelligence

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L'écrivain Nathalie Azoulai, sur France 5, 2024. DR.

Nous défions quiconque lit la page 1 de La Fille parfaite, de Nathalie Azoulai, de n’en pas lire la page 2. Et ainsi de suite jusqu’à la page 316 ! Un livre impressionnant qui intègre la bibliothèque en majesté.


Après Titus n’aimait pas Bérénice, déjà un grand livre (et prix Médicis 2015) où elle trouvait une voie unique pour dire une rupture amoureuse – détour : Racine, Versailles, Port-Royal (le jansénisme) -, Nathalie Azoulai signe peut-être son plus grand livre, La Fille parfaite – et impose le silence et la solitude autour d’elle. Existentiellement, pas évident. Littérairement, évident. Cela s’appelle un « effet de blast » : on lit un livre, et tous les autres, soudain, alentour, disparaissent. Différence de nature : autre chose, incommensurable. Voilà : effet de blast. Il suffit d’ouvrir ce livre pour… le lire : non qu’il soit bref – mais impossible à refermer.

Agréable autant qu’étrange

Et comme il ne ressemble à rien de ce que l’on a lu depuis longtemps, cet article ne ressemblera à rien de ce qui pourrait s’apparenter à une critique : ce sera donc un « truc ». Livre trop foisonnant, trop riche, trop de thèmes abordés. Donc ? Plutôt des impressions, des pistes, quelques saillies qui en restituent la prodigalité. Voilà ce que l’on tente. Pour tendre la main au lecteur de bonne volonté – qui découvrira, aussi, combien, parfois, l’intelligence est physique, tangible : il suffit de lire Azoulai pour l’éprouver, la reconnaître, dure comme un roc, minérale, laser. Très étrange. Très agréable, aussi (et drôle, souvent). Expérience de lecture. Seul problème : avoir lu en janvier l’un des deux ou trois meilleurs livres de l’année (en littérature française) suppose un peu que le reste de l’année sera long – mais il y aura des pépites, n’en doutons pas. De cette eau ? Deux ou trois. Tant pis : nous relirons Azoulai. Tant mieux. Le livre ? La compétition, la rivalité qui exalte, exhausse, voire exauce ; l’admiration (vertu insigne qui dépeuple le monde) et, surtout, l’intelligence (cette fois comme sujet) – si rarement abordée avec une telle évidence, pureté frontale, audace, voire crânerie. D’ailleurs, l’autre titre de La Fille parfaite eût pu être : Ce que l’intelligence fait à la vie – un peu austère.

Le pacte d’Adèle et Rachel

L’ambiance ? A la croisée du roman « psychologique » français (la ligne Constant-Proust, pour aller vite) et de la grande tradition analytique, disons Valéry, avec le mantra de Monsieur Teste (« La bêtise n’est pas mon fort »), les quelques milliers de pages de ses Cahiers, deux ou trois heures quotidiennes de « culture psychique » (sic), d’« auto-discussion infinie » (sic), qui lui gagnaient le droit d’ « être bête jusqu’au soir » (sic). On ne connaît pas le déroulement des journées de N. Azoulai – mais on serait curieux de savoir à quel moment elle s’autorise à « être bête ». Elle cache son jeu.

Le « sujet » ? La Fille parfaite est l’histoire de deux amies d’enfance qui tôt se sont reconnues (le même métal, presque – la nuance est importante) et défiées en silence. Le pari : l’excellence. Mais surtout : l’intelligence, donc, comme trésor absolu – LE muscle. Chez ces deux amies, on ne se demande pas si telle activité (ou relation, aliment, ami(e), lecture) est ou non « bon pour la santé ». On se demande uniquement si c’est bon pour the brain. Le cerveau.

Adèle et Rachel, à 14 ans, ont scellé un pacte : elles vont se partager le monde. À Adèle, la science, à Rachel, la littérature. À elles deux, tout le savoir, tout le « spectre ». On va les suivre, de flash-back en flash-back, depuis leurs débuts, leurs familles (milieux différents), leurs études, leur amitié, leur « coefficient d’existence », leur « câblage neuronal », Darwin, le féminisme, la vis a tergo du doute (corollaire du goût de l’absolu – voir Aurélien d’Aragon), etc. Il faut juste préciser une chose – on ne déflore rien, on l’apprend dès la première page : Adèle, devenue mathématicienne niveau médaille Fields, s’est pendue chez elle à 46 ans. Rachel, la narratrice, elle aussi sans doute universitaire et écrivain (comme Azoulai), va tenter de comprendre. Et pour ce faire, brosser le « portrait » de ces deux athlètes de l’esprit, deux amies presque comme les autres – au génie près : la mathématicienne, la narratrice l’expose ; la littéraire, la narratrice le démontre et l’illustre.

La Fille parfaite, de Nathalie Azoulai, Folio Gallimard (2024).

La fille parfaite

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NB Nathalie Azoulai vient de publier « Python », chez POL.

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Woke fiction, le cinéma français n’est pas épargné

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Ladj Ly pose en 2017 devant une affiche de l'un de ses premiers projets, le documentaire "365 Jours à Clichy-Montfermeil", traitant des émeutes de 2005. © ROMUALD MEIGNEUX/SIPA

Critiques et spectateurs finissent par se lasser des films partisans et répétitifs (pro-immigration, anti-flics, etc.). Mais le filon reste très porteur pour certains…


Dans son excellent et très instructif essai, Woke Fiction (1), Samuel Fitoussi énumère les « commandements » du cinéma wokiste. Parmi ceux-ci : « Tes héros seront vertueux. » « Tes minorités seront discriminées. » « Tu effectueras un découpage identitaire de la société et tu la “représenteras”. » « Tes personnages non blancs seront gentils, tes personnages blancs, méchants. »

L’essayiste Samuel Fitoussi. Image : DR.

Samuel Fitoussi analyse comment le wokisme a conquis les plateaux de cinéma

Le cinéma nord-américain, écrit Fitoussi, subit depuis un bon moment l’idéologie woke, comme le prouvent une partie de sa cinématographie récente et les « critères de diversité » que l’Académie des Oscars impose désormais à tout film prétendant à un prix : « Sur une plateforme internet, les sociétés de production devront indiquer la couleur de peau, le sexe, le genre et l’orientation sexuelle de chaque personne impliquée dans la création du film, des acteurs aux techniciens de plateau. » En France, en plus de constater l’imprégnation du wokisme dans les publicités et dans certaines séries, les spectateurs peuvent l’observer de plus en plus fréquemment dans les films de cinéma subventionnés par le CNC (et son fonds « diversité ») et, pour partie, l’argent public.

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Le Collectif 50/50 lutte, en partenariat avec le ministère de la Culture, « pour “la parité, l’égalité et la diversité” dans le cinéma français » et a créé un annuaire professionnel recensant « “les talents féminins et/ou issus d’une diversité sociale, ethnique et culturelle” afin d’aider “les recruteur·se·s” à “accéder à des équipes techniques et artistiques mixtes et paritaires”. Parmi les 981 professionnels du cinéma répertoriés sur l’annuaire, on dénombre… 0 homme blanc », indique Samuel Fitoussi. Certains scénarios se conforment à une « lutte contre les stéréotypes » tournant à la caricature, en particulier quand il s’agit de « donner une bonne image de la diversité ». Et l’essayiste de citer les noms des nombreux films français qui en 2022 sont sortis du même moule de propagande diversitaire et immigrationniste : Les Survivants, Les Engagés, Ils sont vivants, Les Rascals, Rodéo, etc. « Pourquoi, interroge Fitoussi, accorder une telle importance aux stéréotypes véhiculés par la fiction sur les minorités ethniques ? Peut-être parce que certains militants (et ceux-ci semblent surreprésentés dans l’industrie du cinéma) sont persuadés que si des Français accordent leurs suffrages à des candidats classés à droite, c’est qu’ils ont été victimes de désinformation xénophobe. Il faut donc les rééduquer, leur montrer que la diversité est une chance et l’opposition à l’immigration une absurdité. » Malgré les critiques souvent élogieuses des médias progressistes, ces films n’ont eu aucun succès public.

Pourtant, profitant de notre illustre « exception culturelle française », des subsides inhérents à cette dernière et de la publicité des médias bien-pensants, des scénaristes et des réalisateurs continuent de fabriquer à la chaîne des films obéissant aux commandements wokes, diversitaires et immigrationnistes. Ces films, formatés pour vanter l’apport bénéfique de l’immigration et le merveilleux « vivre-ensemble » multiculturel qui en découlerait ou pour dénoncer le racisme d’État, les violences policières et la discrimination systémique dont souffriraient les « jeunes des banlieues », envahissent les écrans français. Comme on pouvait s’y attendre, ces calamités propagandistes subventionnées en partie avec notre argent sont des fiascos. Pourtant, après que nous aurons évoqué rapidement quelques unes des dernières productions en question, nous verrons que, financièrement parlant, tout le monde n’y perd pas.

Une ribambelle de films couverts d’éloges, mais qui font un flop au box-office

Avant que les flammes ne s’éteignent, le film avec Camélia Jordana sur Assa Traoré, les « violences policières » et le « racisme d’État », a franchi péniblement, après un mois d’exploitation, la barre des 23 000 spectateurs, avant de disparaître dans les oubliettes de l’histoire du cinéma (voir mon papier du 7 déc. 2023). Très, très grosse gamelle.

Ma France à moi, de Benoît Cohen et avec Fanny Ardant, raconte la vie d’une bourgeoise soixantenaire qui, s’emmerdant comme un surmulot dans son appartement parisien, décide d’accueillir Reza, un jeune afghan : « Ces deux êtres, qui n’ont rien en commun, vont devoir apprendre à vivre ensemble… » Grosse promo. France Inter reçoit le réalisateur et l’actrice principale, ensemble, séparément, le week-end, en semaine. L’Obs souligne que Benoît Cohen s’acquitte magistralement de sa tâche, à savoir « prôner la solidarité, plaider pour le vivre-ensemble et déconstruire les préjugés ». Le public n’en peut plus de cette pommade. Sorti le 20 décembre 2023, le film cumule… 28 585 spectateurs après un mois d’exploitation. La dernière semaine a vu… 96 spectateurs s’égarer dans les quelques dernières salles projetant ce navet militant. Énormissime bide.

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Stéphane Marchetti a écrit et réalisé La Tête froide, avec Florence Loiret Caille dans le rôle principal. L’histoire (je vous la fais courte) : Les Alpes en hiver. Marie fait du trafic de cartouches de cigarettes entre la France et l’Italie. Elle rencontre Souleymane, jeune « réfugié » prêt à tout pour rejoindre sa petite sœur. La presse est dithyrambique et abuse du vocabulaire moralisateur : fraternité, solidarité, humanisme, altruisme, empathie, etc. La radio publique ne tarit pas d’éloges et consacre de nombreuses émissions au film. Rien n’y fait. Les deux premières semaines d’exploitation ne comptabilisent que 21 921 spectateurs. Bérézina en vue.


« La police, dans le logiciel woke, occupe une fonction toute particulière : celle de Némésis absolue, de dominante parmi les dominants. Il est inadmissible de la représenter positivement. »  Samuel Fitoussi.

Attardons-nous sur Le cas de Bâtiment 5, réalisé par Ladj Ly, intéressant à plus d’un titre. On se souvient du succès du premier long-métrage du réalisateur, Les Misérables : une presse aux anges, un prix du Jury à Cannes, quatre Césars dont celui du meilleur film, notre président « bouleversé par la justesse » du film et réclamant à cor et à cri des idées pour « améliorer les conditions de vie dans les quartiers » après l’avoir vu. Résultat : 2,2 millions de spectateurs et une nomination à l’Oscar du meilleur film international (qui reviendra finalement à Parasite, du Coréen Bong Joon Ho, ce qui n’est que justice). Bâtiment 5, deuxième film d’un triptyque prévu sur « les cités », était par conséquent attendu avec impatience. Le synopsis promettait d’ailleurs beaucoup : « Haby – « noire, musulmane, qui porte le voile », précise systématiquement le réalisateur dans les nombreuses émissions de la radio publique qui l’ont invité – jeune femme très impliquée dans la vie de sa commune, découvre le nouveau plan de réaménagement du quartier dans lequel elle a grandi. Mené en catimini par Pierre Forges, un jeune pédiatre propulsé maire, il prévoit la démolition de l’immeuble où Haby a grandi. Avec les siens, elle se lance dans un bras de fer contre la municipalité et ses grandes ambitions pour empêcher la destruction du bâtiment 5. » 

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L’Humanité, il fallait s’y attendre, s’emballe : « Un grand film qui bat à plate couture tous les poncifs sur le sujet et les mauvais procès à l’encontre des habitants (des cités). » Les Inrocks, Elle et Franceinfo s’enthousiasment. Les critiques des « médias bollorisés », pour parler comme Thomas Legrand, sont eux-mêmes sous le charme : CNews encense le film et « attend avec impatience le dernier volet de la trilogie du cinéaste consacrée à la banlieue », tandis que le JDD n’émet qu’une très légère réserve sur l’aspect « un brin démonstratif » du scénario. En revanche, une partie de la presse habituellement férue de ce genre de cinéma, Libération et Le Monde en tête, note plus sévèrement le film, jugé trop mécaniquement manichéen. Télérama, jésuite comme jamais, n’en dit pas vraiment du mal mais n’en dit pas grand bien non plus – une tiédeur qui vaut sanction. De la même manière que l’académo-militantisme nuit à la véritable recherche universitaire, l’artistico-militantisme nuit à la création cinématographique – certains critiques finissent par se lasser de ces films partisans et répétitifs, et le public va voir ailleurs s’il y est. Résultat des courses : 164 295 spectateurs après presque deux mois d’exploitation, dont 615 seulement pour la dernière semaine. Au vu du budget investi, de l’aura du réalisateur « issu de la diversité » et du succès attendu, cela équivaut à une catastrophe industrielle.

Le wokisme, ça paye (mais pas pour tout le monde)

En parlant de budget, Siritz.com, blog destinė aux professionnels du cinéma et de l’audiovisuel relayant les informations de Cinéfinances.info, nous en apprend de belles. Le budget des Misérables était de 2,1 millions d’euros. Pour la préparation, 28 jours de tournage et la post-production, la rémunération du réalisateur Ladj Ly a été de 60 000 €, ce qui représentait « un peu plus que la moitié de la rémunération médiane des réalisateurs de films français sortis en 2020 », précise le site. Jusque-là, rien à dire. Le budget de Bâtiment 5 a été, lui, de 8,3 millions d’euros. France 2 a co-produit le film qui a reçu 550 000 euros d’avance sur recettes par le CNC et, en tout, 2,3 millions d’euros d’argent public. « J’ai fait bosser plein de gens du territoire et, cette fois, le budget du film nous a permis de les payer correctement », a déclaré Ladj Ly à Télérama, le 6 décembre 2023. Il a surtout permis de payer très correctement… Ladj Ly. En effet, apprend-on grâce au site internet Siritz, « pour la préparation, 42 jours de tournage et la post-production, la rémunération du réalisateur a été de 450 000 €. C’est 3,3 fois la rémunération moyenne des réalisateurs de ces films de fiction. » En plus de ce pactole, Ladj Ly a touché, en tant que co-scénariste, la moitié d’une autre rémunération de 500 000 euros, somme qui est « deux fois et demi le budget moyen des scénarios de ces films », précise-t-on sur le site spécialisé. Dénoncer sans relâche le « racisme structurel », les « violences policières » et les « discriminations systémiques » dont souffriraient les « minorités » en France peut s’avérer très rémunérateur.

Raison pour laquelle, comme Rokhaya Diallo, Ladj Ly ne perd jamais une occasion d’accuser la France de tous les maux, surtout lorsqu’il est à l’étranger. Le Parisien a rapporté les propos tenus par le réalisateur au Canada, en septembre 2023, dans un entretien donné à la revue Deadline à l’occasion de la présentation de son dernier film au festival de Toronto, à propos des « violences policières » dans son pays : « C’est un problème récurrent en France : la violence, les meurtres commis par la police dans ces quartiers. Malheureusement, ce genre de choses (comme la mort de Nahel Merzouk) se produit tous les mois. L’histoire se répète. […] La police a carte blanche pour tuer ces jeunes sans jamais être condamnée. C’est un fait et les chiffres le montrent. Le problème n’est pas nouveau. » Dans la foulée, lors d’une conférence animée par le Hollywood Reporter, Ladj Ly a affirmé qu’en France « la police a le feu vert pour tuer les Noirs et les Arabes ». S’ils prennent connaissance de ces déclarations outrancières et mensongères, espérons (sans trop y croire) que l’audiovisuel public et le CNC y regarderont à deux fois avant que d’aider au financement du prochain film de ce réalisateur discréditant systématiquement la France, sa police et une partie de ses habitants, tout en profitant de largesses financières obtenues grâce à la très cocardière « exception culturelle française ».   

Une légende du siècle

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Robert Badinter, ancien ministre de la Justice, dans son bureau en mars 2022 © RAPHAEL LUCAS/SIPA

Robert Badinter, mort la nuit dernière à l’âge de 95 ans, suscitait une adhésion et une déférence même chez ses adversaires politiques les plus résolus, observe notre chroniqueur.


La mort est inéluctable mais il est des disparitions, même tardives, qui au-delà de l’affliction des proches et des amis bouleversent l’opinion publique, suscitent l’émotion et le regret de beaucoup. Robert Badinter appartient à cette catégorie des morts qui ne seront jamais remplacés parce que précisément au cours de son existence il aura été unique.

Il y a une obligation de réserve, de décence et de dignité qui interdit d’aller immédiatement sur le terrain de la contestation, des réticences et des polémiques même si plus tard il n’y aurait aucune honte à en aborder certaines.

Aujourd’hui, c’est la personnalité exemplaire que je tiens à saluer et qui demeurera comme une incarnation de vertus multiples et de dons indiscutables.

Certes, qualifié de grande conscience, tel un symbole des Lumières dont la France s’enorgueillit d’être la représentante emblématique, Robert Badinter a occupé tant de fonctions et fait briller tant de talents que ce serait le réduire que de voir seulement en lui un être désincarné seulement obsédé par les valeurs, les principes et les droits de l’Homme.

Sénateur socialiste, fidèle mutique de François Mitterrand, social-démocrate convaincu et souvent convaincant, adepte d’une modération politique et sociale engagée mais jamais méprisante ni péremptoire, juriste de très haut niveau, professeur qui a marqué les esprits de ceux qui l’ont écouté et appris de lui, garde des Sceaux dont la direction honorait la magistrature, dont j’étais, et exerçait, sur le Parquet, quelle que soit l’appréciation de sa politique pénale, une autorité acceptée, avocat à l’éloquence âpre et, pour le pénal, voué quasiment à une seule cause, président compétent et respecté du Conseil Constitutionnel, écrivain et essayiste de forte argumentation et de haute volée sur les sujets et les thèmes qui renvoyaient à sa douloureuse conscience historique, à sa volonté de ne pas laisser sombrer la mémoire de l’horrible, au combat de sa vie contre la peine de mort, à sa curiosité et à sa passion citoyennes pour tous les débats où il était question de l’honneur et de la dignité de l’homme, personnalité qui, quoi qu’on en ait, suscitait une adhésion et une déférence même de ses adversaires les plus résolus, Robert Badinter a, jusqu’à 95 ans, magnifié, sur tous les plans, ce dont la nature et sa formation l’avaient doté.

A lire aussi: Est-on certain que Kassogue S. n’est pas un terroriste?

Je ne voudrais pas trop focaliser sur l’abolition de la peine de mort en 1981 qui lui a permis, avec le soutien courageux et paradoxal d’un François Mitterrand (qu’on songe au ministre de la 4ème République qui avait fait beaucoup décapiter!), de gagner sa quête éperdue d’une humanité résistant même aux pires des crimes et à la pulsion de l’échafaud. Cette victoire magnifique pour la civilisation, on la lui doit. Ce n’est pas quelque chose de conjoncturel mais l’expression d’une société qui a su enfin  « s’empêcher ».

Emmanuel Macron et Robert Badinter, 40eme anniversaire de l’abolition de la peine de mort au Panthéon a Paris, 9 octobre 2021 © STEPHANE LEMOUTON-POOL/SIPA

Faut-il oublier ce qu’il a accompli, pour lutter contre toutes les inégalités et les discriminations, en faveur de la dignité homosexuelle ?

Impossible aussi d’occulter sa dénonciation d’une gauche déraisonnable et extrême et son entêtement à ne jamais désespérer de la raison humaine et de la République.

S’il fallait résumer d’un mot ce que l’existence et la carrière d’un Robert Badinter ont eu d’unique, ce serait que partout, à quelque moment que ce soit, dans les temps rudes comme dans les périodes tranquilles, dans les honneurs comme dans la discrétion, dans les consensus comme dans les affrontements, non seulement il n’a jamais démérité mais n’a jamais été pris en défaut d’enseigner aux autres ce que lui-même se serait dispensé de pratiquer.

Une rigueur à son égard, donc un modèle pour beaucoup.

Tucker et Vladimir: je t’aime moi non plus

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Vladimir Poutine donne un entretien au journaliste américain Tucker Carlson, Moscou, 8 février 2024 © Gavriil Grigorov/SPUTNIK/SIPA

Tucker Carlson aurait très bien pu ne pas être là. Il n’a posé aucune question sensible hier soir dans le premier entretien accordé par Vladimir Poutine à un média américain depuis le début de la guerre qu’il a déclenchée en Ukraine. Analyse.


C’est peu dire que l’entretien de Vladimir Poutine avec l’ancien animateur vedette de Fox News Tucker Carlson était attendu. Annoncé à grands renforts de publicité sur X-Twitter par un Elon Musk ravi de son coup, ce déplacement de la droite américaine à Moscou a pourtant accouché d’un résultat aussi décevant que prévisible.

Très célèbre aux Etats-Unis, Tucker Carlson y a longtemps été considéré comme l’un des meilleurs intervieweurs et éditorialistes de sensibilité conservatrice. Entre 2016 et 2023, au plus fort des années Trump, il présentait le Tucker Carlson Tonight, l’une des émissions les plus populaires de Fox News où il fut engagé à la demande expresse de la famille Murdoch. L’an dernier, courroucé par des relations de plus en plus tendues avec ses anciens employeurs, le natif de San Francisco a claqué la porte de la Fox pour lancer sa propre émission indépendante sur X-Twitter à la suite du rachat du réseau social par le milliardaire Elon Musk, aux opinions relativement proches de la tendance MAGA (Make America Great Again) au sein de laquelle Carlson est toujours populaire.

Fenêtre d’opportunité pour Moscou

Qu’une telle figure de la droite américaine aille en Russie au plus fort de la guerre en Ukraine a donc suscité des réactions diverses, la plupart des soutiens de Poutine se réjouissant ouvertement de cette apparente normalisation et du temps de parole qui allait être donné au président russe pour exprimer ses vues. Il faut bien dire que le soutien à l’Ukraine est un enjeu crucial de plus en plus discuté aux Etats-Unis, où des divergences semblent se faire partiellement jour entre les électorats démocrates et républicains. Cette semaine, le Congrès américain était ainsi paralysé par le bras de fer entre les Républicains et les Démocrates, incapables de trouver un accord autour d’un projet de loi permettant de débloquer des fonds pour l’Ukraine, Israël et réformer le système migratoire. Pourtant, Joe Biden a bien tenté de proposer de décorréler les trois questions, jusqu’alors pomme de discorde avec les conservateurs. Alors que la dernière tranche de l’aide militaire américaine a été débloquée en décembre dernier, le déblocage de nouveaux fonds se fait cruellement attendre.

Voilà pour le contexte, présentant une favorable fenêtre d’opportunité pour le Kremlin puisque Moscou espère un essoufflement de l’aide occidentale et une fissuration du bloc de soutien à l’Ukraine. La venue de Tucker Carlson s’inscrit donc parfaitement dans une stratégie russe éprouvée visant à mieux diviser ses adversaires pour régner sur l’Ukraine. En ligne de mire : l’opinion publique « conservatrice », ou plutôt populiste, principalement aux Etats-Unis mais aussi en Europe.

Un entretien peu classique

Habitué aux « punchlines » et autres formules chocs, le public américain aura probablement été surpris par le style Poutine, fait de longues digressions historiques rarement conclues par des sourires Colgate. Le contraste entre Tucker Carlson et ses airs d’étudiant preppy de grande faculté de la côte ouest et l’air bourru de l’homo sovieticus était d’ailleurs assez savoureux, voire comique par instants si la situation n’était pas si grave. Pendant les quarante-cinq premières minutes de l’entretien, Vladimir Poutine a ainsi pu dérouler ses différentes obsessions historiques, plus ou moins révisionnistes, que les plus curieux auront déjà pu découvrir au travers de la lecture de son essai publié avant-guerre : « De l’unité historique des Russes et des Ukrainiens ». « Sur l’unité historique des Russes et des Ukrainiens » (mid.ru)

Illustrant à merveille le dialogue de sourds entre l’Occident et la Russie, Vladimir Poutine s’est montré fidèle à lui-même, ne concédant pas un millimètre à un interlocuteur qui aurait pu tout aussi bien être absent, tant il n’a posé aucune question sensible et semblait perdu face aux références employés par un Tsar trop heureux de l’humilier. Preuve d’ailleurs de la faible maitrise du journaliste vedette, il a confondu au cours de l’entretien la Révolution Orange de 2004 et l’Euromaïdan de 2013-2014… Largué et sur une autre planète, Tucker Carlson a joué les figurants. On pouvait d’ailleurs s’attendre à ce que Vladimir Poutine cherche à trianguler, à séduire son auditoire américain en dénonçant le « wokisme » ou le mouvement « LGBT », pourquoi pas en traitant les Occidentaux de décadents va-t-en-guerre, mais il n’en fut rien.

Fidèle à lui-même, Vladimir Poutine a surtout voulu montrer à son peuple qu’il ne variait pas devant les Américains, quand bien même lui seraient-ils plus sympathiques. Jurant qu’il n’avait pas le désir d’attaquer la Pologne, après avoir expliqué par le menu pourquoi les Allemands furent obligés de le faire en 1939, Vladimir Poutine a en substance expliqué que la guerre s’arrêterait quand les Etats-Unis et l’Europe couperaient les finances de Kiev. Il a même évoqué les « rives de la mer noire », prouvant par là qu’il ne se contenterait pas de la Crimée et du Donbass. Les moins attentifs des kremlinologues n’auront absolument rien appris de ces échanges, qui reprenaient les différents discours du chef d’État russe depuis février 2022. Et ils avaient cette fois la force de la légitimité du tampon « Etats-Unis ».

Quelques passages furent particulièrement savoureux, montrant le décalage profond entre une Amérique conservatrice probablement convaincue de sa proximité avec la Russie et la réalité de son régime. Notamment quand Tucker Carlson a interrogé un Vladimir Poutine décontenancé sur les « forces supérieures et divines » qui seraient à l’œuvre. Répondant par un « niet » et une moue dubitative, Vladimir Poutine a dû se demander ce qu’on pouvait bien lui chanter là. Un rare moment de légèreté dans un laïus anachronique. Alors que nos dirigeants sont oublieux de l’histoire, ceux de l’autre monde en sont parfois névrosés.

On aura aussi senti le dépit et même la tristesse du pétersbourgeois Poutine face au refus de l’Occident de développer une relation amicale – selon ses propres termes, cela va de soi. Il a d’ailleurs désigné à cette occasion ses « voisins » en mauvais objets, bien sûr les Ukrainiens, mais aussi ses deux autres bêtes noires que sont les Polonais et les Baltes, tous accusés d’avoir provoqué la guerre. Car, oui, la Russie de Poutine est sincèrement convaincue que sa guerre d’invasion est une guerre défensive contre les nazis et l’OTAN prédateur. Des nazis bien vivants selon Vladimir Poutine qui a affirmé tout de go que « l’esprit d’Hitler vit encore ».

Entretien exclusif

Un Poutine en définitive inaccessible au dialogue autrement qu’à ses conditions exclusives. Dans ces conditions, il sera difficile de « négocier » quoi que ce soit d’autre qu’une reddition en rase campagne. Reste qu’il semblait aussi particulièrement désireux de revendre du gaz aux Allemands. Pourtant, il n’a pas montré la plus petite empathie pour le public gagné d’avance des pays occidentaux qu’il entend séduire. Et à quoi bon ? A la manière de l’extrême-gauche repentante, une partie de la droite occidentale a atteint le stade terminal du masochisme, aimant autant s’autoflageller que se faire humilier par des dictateurs étrangers. Et puis, les officines d’influence de la Russie se chargent déjà d’arrondir les angles sur les réseaux sociaux, les médias dits de « réinformation » ou encore les alcôves des cabinets de conseil.

On reconnaitra au moins à l’autocrate de Moscou d’être fait d’un autre bois que notre classe politique de marchand de tapis. Il sait ce qu’il veut et ne cède pas. Une partie de la fascination qu’il engendre vient d’ailleurs de là, d’aucuns voyant en lui une espèce d’homme qu’ils rêveraient ardemment d’être…

Que faire désormais ? Si le coche a été loupé en février 2022, moment où il fallait fermer le ciel ukrainien et pénétrer en mer noire, plutôt que de se lancer dans une absurde guerre d’attrition face à un pays rentier en ressources naturelles fort d’une population résiliente et au régime inamovible, il n’est pas trop tard. Comme le disait le spécialiste de la région sur X-Twitter Arnaud Castaignet : « Face à la Russie, Il faut réindustrialiser et réarmer. Massivement. Pour les 30-50 prochaines années. Créer une vraie base industrielle de défense européenne. Ouvrir des bases militaires dans les pays de l’est. Montrer qu’on fera face à l’ennemi russe sur le long-terme. Il faut relancer une course aux armements et lui montrer qu’il va la perdre. Couper tout lien économique et énergétique. » Pour radical que soit le chemin, il semble difficile d’en emprunter un autre.

Et en y réfléchissant un temps soit peu, croit-on que la Chine ait plus besoin du marché russe que du marché européen ? Faut-il encore en convaincre les Etats-Unis…

Robert Badinter: le temps de nos illusions perdues

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Robert Badinter à l'Assemblée nationale, 17 septembre 1981 © Yan Morvan/SIPA

Un hommage national sera rendu à l’ancien Garde des Sceaux décédé, a annoncé l’Élysée


Robert Badinter est mort. Un pan du siècle dernier, c’est indéniable, s’en va avec lui. Il fut l’âme, l’esprit et le bras armé de l’abolition de la peine de mort en France. Il aura été aussi le juriste implacable qui a su exiger des pays espérant rejoindre la communauté européenne qu’ils suivent ce modèle et suppriment chez eux le recours à l’exécution capitale. La raison était qu’il voyait dans l’abolition la marque probablement la plus élevée de l’appartenance à notre civilisation occidentale. Par la suite, tout au long de son existence, il n’a jamais cessé de rappeler qu’il s’agissait en l’occurrence d’un combat, non pas pour une vie, mais pour « La » vie. À chaque prise de parole, conviction intacte, éloquence toujours aussi poignante, il tenait à rappeler ce point essentiel.

À l’heure où on se rue sur des accommodements moraux tels qu’inscrire l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution, où l’on cherche à louvoyer avec la mort en prétendant la domestiquer, la dominer et s’en faire si peu que ce soit le maître, il serait très opportun d’avoir présent à l’esprit le sens de ce combat-là, le combat pour la vie.

En effet, avec la disparition de Robert Badinter une époque finit. Une France s’efface. Celle où un ministre, un gouvernement pouvaient présenter et défendre devant la représentation nationale un texte de loi aussi clivant que celui du renoncement à la peine capitale sans que des députés se sentent autorisés, ou pire encore tenus, de beugler comme des porcs, de se comporter en débiles hystériques. La dignité parlementaire de ce temps-là a bel et bien vécu, elle aussi. Une décence citoyenne d’un autre temps qui a fait que Badinder, ex-garde des Sceaux de François Mitterrand, aura réussi la prouesse elle aussi aujourd’hui inconcevable d’être tout à la fois puissamment contesté et sincèrement respecté. De telles nuances n’ont plus cours chez nous, on le constate, hélas, tous les jours.

Illusions perdues, disais-je. Oui, me semble-t-il. Car nous autres humanistes – humanistes hors clivages idéologiques, politiques, confessionnels, n’ayant finalement en partage que notre appartenance civilisationnelle, nous nous reconnaissions au moins pour une part en Badinter. Comme lui, nous avons – profondément, fermement, mais tout autant naïvement – cru à un monde qui n’est pas advenu.

Un monde où, en miroir de la peine de mort, seraient abolis la barbarie, le terrorisme, le djihadisme sanguinaire, la conquête de nos villes et campagnes par l’empire de la drogue, tout ce cortège de fureur et de mort que nous ne connaissons que trop bien.

Dès lors, une interrogation se fait jour. Terrifiante, j’en conviens, et fort peu satisfaisante pour le cœur et l’esprit, une interrogation dont le disparu aurait été positivement horrifié. Face à une si violente régression des mœurs, serait-il totalement inconcevable que demain la société ne réponde par une tout aussi violente régression des lois ?

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Les selfies de Modi

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D.R

Pour rester au pouvoir, le leader indien mobilise le pouvoir des selfies.


Encore plus que les Occidentaux ou même les Chinois, les Indiens sont obsédés par les selfies, une tendance que le gouvernement actuel exploite à des fins politiques. Si Indian Railways, la société de transport ferroviaire nationale, n’est pas réputée pour sa ponctualité, les usagers en attente peuvent désormais se distraire dans des cabines à selfie que les autorités ont installées dans les gares pour permettre aux voyageurs de se photographier avec une image grandeur nature du Premier ministre Narendra Modi. Ces bornes à selfie sont équipées de découpes en carton de taille réelle du leader nationaliste, voire de modèles en 3D.

Derrière cette idée en apparence ludique se cache à peine une véritable campagne politique astucieusement orchestrée à quelques mois des prochaines élections législatives. Élevé presque au rang de divinité par son parti le BJP, qui le qualifie de « messie des pauvres », Modi ne ménage aucun effort afin de garantir sa réélection pour un troisième mandat de cinq ans. Son gouvernement a même mobilisé les ministères de la Défense et de l’Éducation pour installer des bornes à selfie près des monuments aux morts et dans les musées, les aéroports, les écoles et les collèges. Ces bornes célèbrent en textes et images les réalisations des autorités en place et proposent souvent une image de Modi.

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Ce culte de la personnalité a suscité la désapprobation de l’opposition qui a dénoncé un gaspillage effronté de l’argent des contribuables. Une borne temporaire coûte 1 400 euros et une permanente 7 000. Il est vrai que les députés de l’opposition peinent à s’imposer dans un espace public entièrement dominé par Modi et ses partisans. Face aux critiques acerbes provoquées par les bornes, le BJP a cyniquement rappelé à ses opposants que l’Inde était une démocratie et que les Indiens étaient libres de prendre des selfies ou non selon leur bon plaisir… Ou celui de l’homme qu’on appelle le « gourou national » ?

Uniforme à l’école: Nicole Belloubet annonce le port obligatoire de l’abaya à la rentrée prochaine

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Évidemment, notre titre est une boutade ! Reste que la nomination, à l’Éducation nationale, de Mme Belloubet (qui a tenu des propos controversés durant l’affaire Mila), sème le trouble. Face au séparatisme islamique et à la crise de l’autorité, avec Emmanuel Macron et Gabriel Attal, c’est un pas en avant, deux pas en arrière ! Céline Pina analyse les nouvelles nominations gouvernementales annoncées hier soir.


La fiction du « gouvernement resserré » a pris fin ce jeudi 8 février avec la nomination de la liste complémentaire des favoris du président. Après le premier cercle des ministres, voici le second choix des secrétaires d’État. C’est une liste de « seconds couteaux » qui a été sortie du chapeau. Pas de trophée arraché à un autre parti, pas de personnalité incarnant une orientation politique ou portant un message allant au-delà de sa propre personne. La liste des nouveaux ministres est insignifiante au sens premier du terme, elle ne « dit » rien à personne.

Pouvoir sans imagination

Et ce n’est pas un hasard, c’est même le but recherché. La mise en scène de ce total manque de considération pour de soi-disant politiques ravalés au rang de ternes exécutants délivre, elle, un message politique. Et il n’est pas glorieux pour le pouvoir. Pour tenter de donner un reste de crédit à une parole politique dont il ne cesse d’affaiblir la portée, la communication gouvernementale tente vainement de masquer les revirements permanents et les sorties inconsidérées d’un président sans gouvernail ni cohérence. Ainsi, Emmanuel Macron ayant promis un gouvernement resserré, la fiction doit donc être maintenue à tout prix, même si elle ne trompe personne. Tout le monde savait que la première salve de ministres n’était qu’une mise en bouche et qu’il faudrait compléter l’appareil gouvernemental par d’autres nominations. Il faut dire que des dossiers cruciaux et passablement chauds (Santé, logement, aménagement du territoire, industrialisation…) étaient restés en jachère. Alors la raison a fini par l’emporter et le gouvernement regroupe de fait plus d’une trentaine de personnes. Et cela n’a rien de problématique. On se demande même qui a réussi à refourguer ce vieux rogaton fatigué de la communication qu’est le « gouvernement resserré ». Vieux plat réchauffé des pouvoirs sans imagination.

Symboliquement, le fait de mettre en scène un processus de nomination désinvolte permet de bien faire ressortir qu’il s’agit ici de désigner des subalternes. Le vrai gouvernement, ce sont les ministres de plein exercice et eux ne sont que quinze. En apparence la promesse est tenue et cela suffit à contenter l’ego du Prince.

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Sauf que personne n’est dupe. Les Français encore moins, ils regardent ébahis leur gouvernement leur jouer une comédie qui ne trompe personne. Tout le monde se moque du nombre de personnes nommées au gouvernement si le travail est fait. Si les services publics sont à la hauteur, si les hôpitaux fonctionnent, si tous les médicaments sont disponibles en pharmacie, si l’école tient sa promesse d’ascension sociale, si la sécurité règne dans les rues… alors Emmanuel Macron pourra nommer cinquante personnes ministres sans que cela ne dérange quiconque. En revanche, si c’est pour continuer à cravacher le pays pour qu’il s’enfonce plus vite dans la spirale du déclin, même quinze parasites, c’est déjà trop.

Tambours et trompettes

Cette façon de procéder inutilement humiliante dit bien qu’il n’y a encore aucun véritable politique dans ce train de nomination. Il s’agit là de simples gestionnaires, sans beaucoup de poids propre, élevés à cette hauteur par la faveur du Prince. Mieux vaudrait en ce cas un simple communiqué de presse, informatif et neutre. Trop de tambours et trompettes pour saluer un non-évènement finit par montrer ce que le pouvoir aimerait bien cacher.

La simple énumération des noms des nouveaux membres du gouvernement est en elle-même significative : Frédéric Valletoux (Santé), Patrice Vergriète (Transports), Fadila Khattabi (autonomie et handicap), Marina Ferrari (Affaires européennes), Dominique Faure (Collectivités territoriales et ruralité),  Guillaume Kasparian (Logement), Marie Guevenoux (Outre-mer), Dabrina Agresti-Roubache (Ville), Hervé Berville (Mer), Sarah El Haïry (Enfance et famille), Olivia Grégoire (entreprises), Thomas Cazenave (Comptes publics), Agnès Pannier-Runacher (Souveraineté alimentaire), Jean-Noël Barrot (Europe), Franck Riester  (Commerce extérieur), Patricia Mirallès (Anciens combattants), Chrysoula Zacharopoulou (partenariats internationaux)…

Ces noms n’évoquent rien pour quiconque dans la rue, et peut-être même dans une partie des rédactions de journaux. Il n’y a pas si longtemps, avant de devenir ministre, il fallait faire ses classes : on existait un peu, on représentait quelque chose, une force structurée, une capacité à agir qui avait fait la différence dans l’administration d’une ville ou la redynamisation d’un domaine d’activité. Pour accéder aux responsabilités, on était censé avoir fait ses preuves. Ce n’est plus le cas et sans présager des capacités des nouveaux ministres et sous-ministres, c’est le manque de densité de cette équipe gouvernementale qui saute aux yeux. Hormis Darmanin, Le Maire et Dati, il n’y a guère de politiques au gouvernement, les ministres sont soit des émanations de la technostructure soit de futures victimes de celle-ci, bien plus puissante qu’eux par sa permanence et sa connaissance des rouages.

Cette liste de sous-ministres est donc révélatrice de l’absence de vivier politique dans lequel puiser en général, et du vivier encore plus réduit qui reste au président. Lequel, parce qu’il est empêché de se représenter, n’est pas un gage d’avenir tout en représentant une prise de risque.

Ne restait donc qu’à puiser dans les partis croupions lambeaux des anciens grands partis de gouvernement, Horizons, Modem…. Le reste est affaire d’équilibres politiques internes à la macronie, combien de sièges attribuer au Modem, à Horizons, à Renaissance… De la politicaillerie interne, essentiel à la vie des partis mais qui n’éveille pas l’intérêt des citoyens à juste titre.

L’école ne sait pas où elle va

Et pour finir, alors que l’on pouvait espérer retrouver peut-être avec Gabriel Attal une ligne politique claire et explicite, une fois de plus, Emmanuel Macron détruit d’un revers de main ce qu’il semblait vouloir installer définitivement la veille. Si cet homme était un héros antique, il serait Pénélope, celle qui défaisait la nuit, ce qu’elle faisait le jour. Voilà pourquoi on a bien du mal à discerner sa ligne politique, disons par exemple, en matière d’éducation.

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On a eu d’abord droit à Jean-Michel Blanquer, présenté en chevalier blanc de la laïcité, puis Pap Ndiaye, son opposé, venu piétiner l’orientation donnée par le précédent ministre pour distribuer des gages aux wokistes et aux racialistes. Puis face au rejet suscité par l’idéologie d’un Ndiaye, retour aux symboles républicains avec Gabriel Attal, qui a semblé insuffler un nouvel espoir et axait son discours sur le retour de l’autorité et des savoirs. Le tout pour finir avec Nicole Belloubet, plus proche d’un Pap Ndiaye que d’un Attal. Une femme qui incarne tout sauf l’autorité et le courage. Dans l’affaire Mila, garde des Sceaux, elle fut incapable de défendre la liberté d’expression face à l’accusation de blasphème que subissait une jeune fille de 16 ans. Chargée d’incarner et de défendre notre Etat de droit, elle a jeté la hiérarchie des normes aux orties pour donner des gages aux islamistes. Alors que ceux-ci sont à l’offensive, le chantage à l’abaya le prouve, nommer une femme prête à sacrifier la liberté de conscience et d’expression au nom du respect de la religion est une erreur. Le pire étant qu’elle prend cette position alors qu’une jeune Française est menacée sur notre sol pour avoir exercé une liberté fondamentale.

Cette nomination, qui est la seule à faire passer un message politique est donc désastreuse. C’est curieux chez Emmanuel Macron cette capacité à faire tout et son contraire et à se croire le maître des horloges – il doit les confondre avec des ventilateurs.

Zemmour: l’homme le plus copié de France

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© J.E.E/SIPA

L’objet de cet article n’est en aucun cas de prendre la défense d’Éric Zemmour, mais de décrire un phénomène bien connu des communicants du monde entier : le détournement des bonnes idées par des concurrents sans imagination. Il se trouve que l’étude de ce phénomène nous en apprend beaucoup sur le fonctionnement de la droite contemporaine… 


Tous les marchés fonctionnent sur le même schéma : un inventeur crée une nouvelle activité, laquelle lui apporte une réussite remarquée, et des imitateurs se lancent aussitôt dans la brèche pour capter une part de son marché. Ainsi va la vie du commerce mondial depuis toujours. Il n’y a là rien de condamnable : sans imitation des bonnes idées, leur diffusion et la civilisation qui en découle seraient impossibles. Cette loi n’est nulle part aussi vraie que sur le marché de la communication, et la communication politique n’y fait pas exception.

Le grand marché des idées

Mais encore faut-il que l’imitation se voie : qu’elle soit assumée. Il n’y a aucun mal à s’inspirer d’un concurrent, du moment que l’on ne tente pas de se faire passer pour lui. À l’inverse, si l’imitation est cachée, il y a contrefaçon, donc vol. Or, la droite française est devenue un souk où pullule le toc. Le produit copié par tous, sans exception et sans vergogne, c’est Éric Zemmour.

Quand il surgit sur le marché du discours politique, au milieu des années 90, il passe pour le trublion. Dans les partis de droite, on l’écoute avec intérêt, on s’en moque aussi, mais l’on ne songe pas encore à le mimer. Puis, plus le temps passe, plus il impose sa présence à l’échiquier politique. On commence à se méfier de lui : il prend un petit peu trop de place. Les chiffres de vente de ses livres, son phénoménal succès d’estime chaque soir sur CNews, la foule toujours plus imposante de ses fans, relèguent les leaders de la droite au rang de personnages ennuyeux. Et, coup de théâtre, voilà qu’il se présente à l’élection présidentielle ! Il devient alors un adversaire. Dans la première partie de la campagne, sa popularité record en fait même un ennemi juré.

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Jusque-là, tout va bien. Mais il y a un mais : l’extraordinaire manque d’imagination des partis de droite français, ronronnant éternellement dans leur « certaine idée de la France », tirée du gaullisme comme on trait une vache jusqu’à l’épuiser. Ni franchement libérale, ni clairement patriote, attirée par le centrisme, lui-même englué dans le socialisme, notre droite ne sait pas être de droite. Depuis Chirac, elle se perd dans des débats sans fin sur une identité nationale affreusement abstraite. Le contraste avec la productivité de Zemmour dérange. Plus est neuf le discours du « polémiste d’extrême-droite », comme l’appellent les esprits chagrins qui voient du nazisme partout, plus la droite paraît vieille. Zemmour risque fort de la doubler dans le virage du premier tour. Il faut réagir, et vite.

Le grand remplacement… des slogans

Un cap est franchi lors de l’inoubliable meeting de Valérie Pécresse au Zénith de Paris, où, devant la France médusée, elle livre le grand discours le plus médiocre de l’histoire de la cinquième République. « Pas de grand remplacement, ni de grand déclassement ! », s’écrie-t-elle. Mauvaise pioche : en reprenant mot pour mot le pilier central de la campagne de « Reconquête! », la pauvre candidate vient de se faire hara-kiri en public : elle a démontré qu’elle n’avait rien à dire. Elle ne s’en remettra jamais. Toutefois, Pécresse n’est que la partie émergée de l’iceberg mimétique. Toute la droite se met à faire du Zemmour comme Monsieur Jourdain de la prose.

Valérie Pécresse à Paris, 13 février 2022 © Jacques Witt/SIPA

Marine Le Pen particulièrement. Observez son historique Twitter. Il suffit que l’insolent Éric lance un slogan inédit pour que le RN le reprenne à son compte quarante-huit heures plus tard : il est sa vivante boîte à idées, où elle pioche avec gourmandise tout ce que bon lui semble, effaçant d’un revers de main toute notion d’originalité, d’authenticité ou de copyright. Jordan Bardella, qui fait tout comme maman, lui emboîte évidemment le pas avec une belle énergie. Si vous voulez savoir ce qu’a dit Zemmour avant-hier, lisez leurs messages de ce matin. Ce serait burlesque, si ce n’était pitoyable. Et la viralité des déclarations de Zemmour ne s’arrête pas là. Car toute la droite devient une chambre d’écho du zemmourisme. En somme, dans le rôle de l’homme que l’on cite faute d’avoir des neurones, il a remplacé De Gaulle. À la différence que, lorsqu’on produit du gaullisme de pacotille, on rend respectueusement hommage à sa source. Dans le cas du zemmourisme d’emprunt, on censure l’origine. Il y a vilénie.

Chapardeurs !

N’allez pas croire que j’exagère. Voici une liste absolument pas exhaustive des idées qui circulent sous le manteau, telles des fausses Rolex sur les marchés africains. Dans le désordre : la débureaucratisation (que Zemmour a été le premier à prôner de manière méthodique), la désmiscardisation (nouveau dada d’Attal), la lucidité des Français (que Zemmour a mis en lumière avant le RN), le bouclier migratoire (dont Bardella veut passer pour le géniteur), l’élection européenne comme référendum sur l’immigration (une lubie très zemmourienne du RN), la position fermement pro-nucléaire (dès 2010 pour Zemmour, toute récente pour les lepénistes), « la démographie, c’est le destin » (repris par Sarkozy, généralisé depuis), le collège unique et la blouse obligatoire (qu’Attal a allégrement chapardé), les contrôleurs armés humiliant les agriculteurs (que Zemmour a dénoncé juste avant Bardella), le gel des avoirs des dealers (idem), les TIG pour les parents de délinquants (idem), etc, etc, etc. Mais le plus stupéfiant de tous ces fakes et de ces mee-too est le « pour que la France reste la France » de Macron : véritable pickpocket idéologique, le président de l’antifascisme imaginaire copie-colle, toute honte bue, le slogan présidentiel de celui qu’il dénonce comme l’incarnation du fascisme ! « Miroir, mon beau miroir, dis-moi qui est le plus bel Éric Zemmour », murmure le sorcier de l’Élysée.

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Donc, on l’a compris, très logiquement, quand Gabriel Attal veut se faire passer pour un homme de droite cet après-midi, comment s’y prend-il ? Simple comme bonjour : il imite la droite qui imite Éric Zemmour. C’est le quoi-qu’il-en-coûte de l’imitation, le point d’arrivée du ruissellement des concepts novateurs : le stade où, après que toutes les marques d’un marché ont reproduit une bonne idée, les autres marchés la copient à leur tour. C’est ainsi que l’homme politique que tout le monde se plaisait à trouver « le plus clivant » devient le plus universel. Celui-là même qui passait pour un marginal, et que l’on tentait de satelliser le plus loin possible de la planète politique, en devient, bien malgré lui, le fournisseur en flux tendu.

Certes, c’est tout à l’honneur de Zemmour, à cette différence près que la masse toujours plus grande de contrefaçons l’empêche d’être vu pour ce qu’il est : un esprit d’avant-garde. Et ce n’est certainement pas à l’honneur de la classe politique française, qui joue à Jacques-a-dit en essayant de tuer Jacques. Éric Zemmour, pour échapper à ce siphonnage systématique, a une première solution à sa disposition, celle qui lui est le plus naturelle : conserver l’initiative en offrant constamment au public de nouvelles inventions utiles. Il peut également laisser entendre, de manière cinglante, ou drôle, que ses poursuivants fourguent à la sauvette des produits de contrebande. Enfin, et c’est sans doute ce qu’il a en tête, il peut prendre sa revanche dans les urnes, le 9 juin prochain, afin de démontrer que les Français ne se laissent pas duper si facilement par les faussaires. Y parviendra-t-il ? L’histoire le dira. Zemmour n’est guère du genre à se laisser piller sans réagir, pas plus que de se satisfaire de 7%.

Toujours est-il que ces concurrents seraient bien inspirés de prier pour que leur supercherie ne se voie pas trop. Sans quoi il deviendra évident aux yeux de tous que, dans la grande agence de pub de la communication politique, il n’y a plus que lui au poste de créatif.

Art: et si le classicisme n’était pas aussi dégueulasse qu’on le dit?

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Diane et Endymion, Nicolas Poussin, 1630. DR.

Le classicisme, ou l’extase de l’arc tendu


S’il est un crime à ne jamais laisser impuni, c’est bien celui de salir des lieux d’exception par des lieux communs. Combien de fois, dans les ailes de musée consacrées au classicisme, n’ai-je entendu d’inepties s’échapper de bouches mondaines. Amoureux du Beau, je vous en conjure : devant les helléniades de Poussin, les Madone de Raphaël, tendez l’oreille, et faites-en l’expérience. Vous entendrez toujours de ces risibles doléances : « Un beau trait, de belles formes, certes, mais enfin, tout cela manque un peu d’air. C’est trop sec, trop rigide ! » Autrement dit, l’ordre et la tradition dans l’art, passés leur heure de gloire, ne se laissent plus briller, ne se laissent  plus voir.

Blasés

« On nous dit, ironisait Gustave Thibon, que nous vivons dans une époque passionnante. Alors d’où vient le fait que nous soyons si peu passionnés ? » Étrange conception du progrès, celle voulant que, pour nombre de contemporains, les œuvres qui faisaient frémir hier fassent bailler aujourd’hui. Or, si l’on attend d’un adolescent qu’il rejette les vieilles mœurs, on s’attend aussi au regain de clairvoyance, tôt ou tard. Et pourtant, bien trop d’intellectuels blasés semblent bloqués au stade de rébellion, en confondant passé et passéisme.

Tout a commencé par une farce, du moins, en apparence, lorsque Marcel Duchamp exposa son fameux urinoir ready-made, en 1917. C’est que, voyez-vous, il jugeait l’art antérieur trop « rétinien » – c’est-à-dire axé uniquement sur la beauté visuelle – et trop peu « intellectuel ». Il prônait l’abandon de critères de beauté traditionnels, et un art ne servant qu’à véhiculer un message, un concept, une idée. Ainsi, Duchamp porta le premier coup de couteau à une continuité esthétique remontant à l’Antiquité que les dadaïstes, cubistes, plasticiens et autres portèrent à leur tour. Ajoutez d’autres facteurs, y compris, aujourd’hui, l’assimilation de la croyance en une Beauté objective à des courants politiques infréquentables, et vous obtenez un establishment artistique et, par extension, une certaine élite, devenus insensibles à l’art classique.

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À peine ces lignes s’écrivent-elles que s’élèveront des objections faciles. Par exemple, le fait que dans l’histoire de l’art, la révolte contre la tradition a toujours existé. Un artiste, en effet, cherche à innover. Il suffit de regarder les préraphaélites : à leurs yeux, l’art de leur époque était enfermé dans de strictes règles comme dans une camisole de force. Ils décidèrent de balayer nombre de conventions, donnant lieu à des contes de fées et des légendes de chevalerie qui s’inscrivirent par la suite dans le canon occidental. Alors quelle différence, concluront certains, entre cette révolte-là et celles qui suivirent, si toutes furent d’abord honnies, puis adulées ?

Il est souhaitable que la créativité artistique se renouvelle, mais…

La différence est très claire : les préraphaélites, tout en cherchant de nouveaux horizons, ne perdirent pas de vue leur héritage artistique, ni l’amour du Beau éternel. L’on ne saurait en dire autant de l’art moderne. Et s’il est normal, même souhaitable, que la créativité artistique se renouvelle, il est en revanche inacceptable d’y sacrifier le salut de l’âme par la plus profonde beauté.

Ce qui nous ramène à nos chères œuvres classicistes. Comment faire pour redonner goût à l’ordre dans une époque vouée au relâchement ? Au subtil, au concret et à l’éternel, dans un milieu habitué au grossier, à l’abstrait et à l’éphémère ? Pensez au Diane et Endymion de Poussin, au Tu Marcellus eris d’Ingres, ou encore aux Sabines de David : tandis que certains n’y voient que des formes restreintes ne laissant place à nulle liberté, nous voyons plutôt la concentration de toute tension dramatique en un point culminant, déclenchant une réaction spirituelle des plus intenses. Voyez-vous, le classicisme est une alchimie : puiser dans le domaine du mythe et le tourbillon des idées, les canaliser dans une valve à pression pour les figer dans des lignes épurées et des formes gracieuses. Les exigences les plus strictes ne sont pas synonymes de stérilité, au contraire. Si les muscles se façonnent par la contrainte, et l’intelligence par l’examen, pourquoi l’esprit ne s’aiguiserait-il pas aussi sur la meule des anciens chefs-d’œuvre ?

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Loin d’être une tare, cette rectitude propre au classicisme est sa plus grande force. En brisant les codes esthétiques et en bannissant toute limite, nos contemporains ont renoncé aux vertus de la tempérance. C’est le chaos enfermé dans un ordre parfait, cette retenue dans la splendeur, qui crée, dans une œuvre d’art, la tension la plus stimulante.

Pour visualiser la chose, imaginez la flèche d’un archer, braqué sur vous. Son arc, tendu, presque au point de rupture. Maintenant, songez à cette question : entre cet instant-là – où vous sentez la sueur perler sur votre front, votre cœur battre la chamade et votre corps se paralyser, où les doigts de l’archer tremblent sur son arc, où la flèche ne demande plus qu’à percer votre chair – et l’instant d’après, où l’acte est accompli, où vous n’êtes plus ; entre ces deux instants, entre pressentiment et accomplissement du carnage, lequel suscite la plus grande intensité sensorielle ? La plus vive expérience spirituelle ?

Marc-Aurèle a écrit que la peur de la douleur est pire que la douleur elle-même. De la même manière, le carnage artistique, l’éventrement de la beauté, où tout fut révélé, où plus rien n’était insinué, fait pâle figure par rapport à l’idée du carnage, qu’incarne le classicisme : l’expérience esthétique dans la retenue féconde. L’extase de l’arc tendu.

Tu Marcellus eris, Jean-Auguste-Dominique Ingres, 1812. DR.