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Rire de l’ « aliyah interne »

"Le dernier des juifs", actuellement en salles


Rire de l’ « aliyah interne »
Agnès Jaoui et Michael Zindel "Le dernier des juifs" (2024) de Noé DEBRÉ © Simon Birman / Ad Vitam Distribution

Bellisha a 26 ans et il vit seul avec sa mère malade. Son quotidien consiste principalement à inventer une réalité parallèle pour que sa mère se sente bien, et ne se rende pas compte que les juifs sont chassés. Le film de Noé Debré parvient à nous faire sourire sur le départ des juifs des banlieues françaises islamisées.


C’est avec un peu de retard que j’ai eu envie de vous parler du premier film de Noé Debré : Le dernier des juifs, sorti en salle le 24 janvier malgré les craintes des exploitants quant au climat délétère, aux forts relents d’antisémitisme, constaté en France depuis la reprise du conflit qui ne finira jamais et cristallise toutes les haines envers la communauté juive.

À mon sens, le titre nous dit déjà beaucoup du propos du film – que j’ai perçu comme un conte philosophique. En effet, le déterminant « des » change tout. Il peut être interprété de deux façons : le dernier des juifs, comme s’il n’en restait plus qu’un seul sur la terre, et le dernier des juifs, qui, de manière péjorative, signifierait que le héros ne mérite pas, finalement, d’être juif.

Agnès Jaoui seule chez elle

Et en effet, le personnage principal, Bellisha (Michael Zindel, qui peut faire penser à Vincent Lacoste), ce jeune homme velléitaire, qui semble à la fois doux et absent, a l’air de s’en foutre de sa judéité, même si, effectivement, sa mère et lui sont quasiment les seuls juifs qui restent dans cette ville de banlieue qui n’est jamais nommée, mais qui fait fichtrement penser à Sarcelles. Même le dernier magasin casher plie bagage. Bellisha est bien embêté, car il entendait acheter un poulet casher pour Shabbat pour faire plaisir à sa mère… Son métier, à Bellisha, c’est de s’occuper de sa mère, Gisèle (magnifiquement interprétée par Agnès Jaoui), qui est malade et ne sort plus de son appartement capharnaüm. Il désire lui faire croire que rien n’a changé à l’extérieur. Il essaie de figer le temps pour elle. Cependant, Gisèle le sait qu’il faudrait partir… Pour aller où ? Elle ne le sait pas. La Terre Promise ne la tente pas. Et elle a d’ailleurs cette réplique, très piquante dans la bouche d’une juive : « Pas en Israël, il n’y a que des juifs, ils vont tous nous escroquer » !


Cependant, elle y tient quand même à ses racines, à sa religion compliquée, car lorsque son fils lui ramène, en désespoir de cause, un poulet qui n’est pas casher mais halal, elle s’en aperçoit et lui ordonne, paniquée, de casheriser la cuisine, et de jeter tous les aliments qui s’y trouvent. Elle s’accroche aux règles strictes de la casherout – pour ne pas oublier d’où elle vient.

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Le vrai sujet du film est celui de l’exil, principalement de l’exil intérieur, et du questionnement talmudique : qu’est-ce qu’être juif ? Comment fait-on pour être juif ? Cela fait des millénaires, il me semble, que cette question reste sans réponse… Bellisha, quant à lui, n’est pas considéré comme un « bon juif » par la communauté: il n’est pas allé à la Yeshiva, il a séché tous ses cours de Krav Maga, et ne parle que très peu hébreu. Une scène hilarante – qui pourrait figurer dans un film de Woody Allen – en témoigne : lorsque sa petite amie, maghrébine, lui demande de lui dire « quelque chose de sale en hébreu », il répond, après réflexion : « Evenou shalom aleichem » le titre de cette chanson bien connue, qui signifie « nous vous apportons la paix ». Quant aux actes antisémites, qui se multiplient en banlieue, ils sont traités de manière très fine et sans discours politique (et d’ailleurs, que dire ?). Avec humour, même, car l’humour est la seule chose qui nous reste lorsque tout est perdu. On s’amuse à voir des individus venus tagger des croix gammées sur la porte de la famille Bellisha se tromper, et souiller celle de l’appartement voisin habité par une famille chinoise.

Un film bisounours ?

Bellisha a malgré tout des potes dans la cité, tous noirs ou arabes. Il est intégré, même s’il semble toujours un peu ailleurs. Un de ces amis, d’origine africaine, lui dit ceci : « De base, je n’aime pas les juifs, mais toi je t’aime bien ». « Et tu en connais beaucoup des juifs ? » lui demande alors Bellisha. « J’en connais un autre, et je l’aime bien aussi ». D’aucuns penseront, à la lecture de ce billet, qu’il s’agit-là de « bisounourisme ». Non : c’est simplement un autre aspect de cette réalité que représente l’antisémitisme de nos banlieues, qui semble inextricable.

Ad Vitam distribution

Et puis, Gisèle se meurt. Lorsque le père de son fils, juif orthodoxe, vient à son chevet pour réciter  quelques prières, il lui reste assez de forces pour lui asséner cette phrase assassine : « Tu as mis ton déguisement ? » Ne jamais perdre son humour, jusqu’à la fin.

Bellisha aura finalement accompli sa mission, sa « mitzva» qui fera de lui un mensch, sa bonne action qui le grandira, qui fera de lui un type bien. Il a rendu plus douce la fin de vie de sa mère. Alors, il s’en va, sans but précis, avec juste une valise. Toujours aussi sympathique. L’exil ne finira jamais.



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est enseignante.

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