Monsieur Nostalgie réarme le slow pour sauver la France
Il a disparu dans les années 2000. Sous le coup des communautarismes et des pruderies. Pas assez rentable, trop populaire et « malaisant » comme les concepts dépassés de nation et de souveraineté. Sous la surveillance accrue des corps, une morale autoritaire maquillée en vague libertaire faisait son lit. Elle contrôlerait bientôt tout. Elle nous assignerait à résidence, figeant nos opinions et nos relations extérieures, empêchant toute possibilité de rencontres.
Recroquevillées sur leurs applis et leurs croyances, les jeunes générations échangent aujourd’hui par contumace, elles sont terrifiées par l’idée de l’échec ou de la contre-performance, elles virtualisent ce moment fatidique où les peaux vont fatalement s’effleurer, où il faudra verbaliser une demande – oraliser ses sentiments disent les psys – et où les outils numériques ne serviront à rien. Les algorithmes ne vous seront d’aucune aide. Face à votre destin et à vos responsabilités, vous allez, pour la première fois de votre vie, user de votre libre-arbitre. Ce n’est plus le moment de se cacher, ni de reculer, le contact va avoir lieu ou pas. Le compte-à-rebours est lancé. Le slow permettait ce passage-là. Il était cet espace gratuit et supraidentitaire où une jeunesse différente se rapprocherait, se domestiquerait, trouverait un terrain d’entente cordiale, voire la possibilité d’aller un peu plus loin. C’était un préambule enchanteur autant qu’un examen de passage. Le slow précéderait le baiser, le plus intime des gestes d’amour. Ce slow, œcuménique et prérévolutionnaire, était friable, tâtonnant et initiatique. Pudique et dérisoire, comme toutes les choses essentielles dans l’existence. Nous aurions dû le protéger, peut-être le constitutionnaliser. Il obligeait à se parler, à tenter un élan fébrile et ridicule, à sortir de sa chambre, à combattre enfin sa solitude, à communier avec d’autres, c’était un parcours du combattant pour les timides, il nous coûtait, il nous demandait du courage et de l’inconscience.
Mais quel bonheur quand il arrivait à sceller, durant trois minutes, les attentes et les désirs de deux inconnus. Ce saut de l’ange sur les parquets et les boums de quartier, en public, sous les regards amusés et niais des copains d’infortune, donc quasiment à nu, pouvait se révéler sacrément périlleux. Dans ce ballet malhabile où le cœur tape et les jambes flageolent, il fallait pourtant se lancer, dépasser ses peurs et encaisser la possibilité d’un refus. Très tôt, il est bon que les Hommes intègrent le « râteau » et inventent des parades psychologiques pour dépasser le léger picotement du « rejet ». Une grande inspiration. Et oublie qu’t’as aucune chance, vas-y fonce ! Sur le fait accompli, dans les yeux de l’autre, au moment d’inviter à danser, tous nos capteurs en alerte, on savait, avant même de bafouiller, si notre tentative se solderait par une victoire ou une déconvenue. Cette première étape réussie, le slow retors et magnifique était loin d’être gagné. Il soumettait à un effort de longue durée, il était sournois, souvent versatile, il n’était pas modélisable et transposable. Il pouvait se révéler décevant ou féérique, un détail anodin compromettrait l’expérience ou un sourire fugace, attrapé dans la pénombre, comblerait durant des semaines. Le slow était unique, donc périssable. Il se consumait sur l’instant, à chaud. Son caractère hautement inflammable le discrédite dans une société du résultat et du tableur Excel, des aigreurs et des partitions. Le slow était un rite païen avant l’affrontement des clans, des sexes et des intérêts. Il n’était pas productif, il était éphémère. Il participait à l’éducation sentimentale de tout un pays. Doux et tendre, brinquebalant et blessant, il nous a appris à nous apprivoiser. C’est ce que montre le documentaire Slow une histoire d’amour réalisé par Gaël Bizien dans la collection années 80 de « La France en vrai » sur les antennes régionales de France 3. J’en profite pour vous conseiller de visionner « Génération Mille Clubs » qui revient sur l’initiative de François Missoffe, alors ministre de la Jeunesse et des Sports sous Pompidou. Reste la question fondamentale : quel est le meilleur interprète pour un slow réussi ? Mettons de côté les trop entendus quoique efficaces « Scorpions » et « Peppino di Capri », « Julio Iglesias » et « Lionel Richie », n’excluons pas trop vite tout de même « Reality » de Richard Sanderson et « Sorrow » de Mort Shuman, ils ont de la ressource, « Procol Harum » tient toujours la corde et Jeane Manson n’a pas dit son dernier mot. J’opterai pour Dan Finnerty et son « Feel Like Makin Love » à moins que « Warum nur, warum ? » d’Udo Jürgens ne soit le titre indépassable.
« La modestie et moi nous n’avons jamais passé par la même porte : elle est trop petite ou je suis trop grand ; j’ignore cette hypocrisie-là comme beaucoup d’autres dont est pourrie l’âme humaine, et je me déclare hautement orgueilleux – l’orgueil étant la force et l’aliment incessant de ma vie. On n‘est humble que lorsqu’on a des raisons pour l’être. »
Jules Barbey d’Aurevilly
« Les pions n’aiment pas les pionniers. C’est ma sympathie pour d’Aurevilly qui m’inspire sans doute ce détestable calembour. »
Charles Baudelaire
Drieu, qu’on relisait il y a quelques années pour La NRF, l’avait évoqué : « Je n’écrirai jamais ce livre sur les Normands, dans les lettres et les arts. Corneille et Poussin, Fontenelle, Méré, Flaubert, Barbey, Maupassant, Manet, Boudin, Gourmont. Comme je suis loin et près de ces gens. Je tiens aussi à l’Ile-de-France. » (Récit Secret, Gallimard, p.78).
La Varende l’a fait – qui, dans une bibliographie pléthorique, a écrit au moins deux grands romans très aurevilliens (Nez-de-Cuir et Le Centaure de Dieu). Cela s’appelait Grands Normands (sur Barbey, Flaubert et Maupassant, éd. Defontaine, 1939).
Cela pour dire la postérité de Barbey – outre celle, connue et reconnue, de Bloy et de Huysmans, de Bourget et de Mirbeau, de Coppée et de Lorrain (Monsieur de Bougrelon, chef d’œuvre « décadent », est très directement inspiré de Barbey : « ce loqueteux était un grand seigneur, ce fantôme personnifiait une race, ce maquillé était une âme »).
Ou, incommensurable hommage, celui de Proust dans La Recherche. Ou de Julien Gracq dans Préférences. Ou de Guy Dupré dans Je dis nous (La Table Ronde, 2008). Ou de Morand à propos d’Une Vieille Maîtresse. Ou de Philippe Berthier, éminent aurevillien et stendhalien émérite, auteur d’une thèse sur Barbey d’Aurevilly et l’imagination (éd. Droz, 1978) qui a fait date (et souche) – et que, sauf erreur, outrageusement à notre estime, Michel Lécureur, biographe de Barbey, ne mentionne même pas : « Le plus proustien des écrivains du XIXème siècle ».
Quoi d’autre, pour compléter le bouquet, et en restituer le capiteux et si vénéneux parfum ? L’hommage magnifique de Remy de Gourmont, dans ses Promenades littéraires – repris en manière de Préface par Michel Lécureur : «Barbey d’Aurevilly est une des figures les plus originales de la littérature du XIXème siècle. Il est probable qu’il excitera longtemps la curiosité, qu’il restera longtemps l’un de ces classiques singuliers et comme souterrains qui sont la véritable vie de la littérature française. Leur autel est au fond de la crypte, mais où les fidèles descendent volontiers, cependant que le temple des grands saints ouvre au soleil son vide et son ennui. (…). Barbey n’est pas un de ces hommes qui s’imposent à l’admiration banale. Il est complexe et capricieux. Les uns le tiennent pour un écrivain chrétien, en font une sorte de Veuillot romantique ; d’autres dénoncent son immoralité et sa diabolique audace. Il y a de tout cela en lui : de là des contradictions qui ne furent pas seulement successives. On voit bien qu’il fut d’abord athée et immoraliste ; mais quand une crise l’eut rejeté vers la religion, il demeura immoraliste ainsi qu’en sa première phase, et cela parut singulier. »
Pour s’en convaincre, voir les polémiques qui accueillirent, entre autres, Une Vieille Maîtresse et Les Diaboliques – autres « Fleurs du Mal », d’un siècle qui en fut prodigue.
Pontmartin, critique littéraire résolument conservateur, bête noire de Barbey, farouche ennemi du Romantisme et du Naturalisme, ardent défenseur du Catholicisme et de la Monarchie (qu’en 1872, Bloy surnommerait le « porte-parole des catholiques du strict nécessaire ») condamnera ainsi ces « écrivains qui pensent comme Joseph de Maistre et écrivent comme le Marquis de Sade ».
Barbey renvoya dos à dos « philistins, bigots et libre penseurs », « tous les pédants de la moralité bête qui ne veulent pas qu’on touche bravement aux choses du cœur » : « Nous autres catholiques jusqu’à l’axe de notre tête, qui aimons les arts avec passion et qui avons aimé les femmes avec plus de passion encore, nous n’avons pas de ces polissonnes et cochonnes pudeurs. Quand nous faisons intervenir les passions vraies dans nos œuvres, nous n’avons pas peur de leurs cris. »
Barbey d’Aurevilly signait Lord Anxious ou Le Sagittaire, on le surnommait Le Connétable des Lettres, ses devises étaient Nevermore et Too late (eu égard, certes, aux temps prérévolutionnaires – sans doute, oui, révolus). Ses signatures et surnom étaient très exactement choisis.
Ses devises ? Moins. Qu’on en juge : Catherine Breillat l’a adapté – avec une fortune discutable – au cinéma (Une Vieille Maîtresse, 2006) ; Michel Lécureur lui a consacré une biographie (Fayard) fouillée et honnête (quoique d’une tonalité guère aurevillienne) ; depuis quelques années, Les Belles Lettres (sous la direction, irréprochable, de Pierre Glaudes et Catherine Mayaux) rééditent son Oeuvre Critique, un des massifs de la critique littéraire et d’art du XIXème siècle : Les Œuvres et les Hommes, neuf volumes, plus de dix mille pages.
Caroline Sidi, dans un remarquable article sur la critique aurevillienne, rappelle combien celui-ci la tenait pour son œuvre capitale – et à cet égard, Lécureur est d’une exactitude et d’une rigueur irréprochable, qui restitue la moindre des collaborations de Barbey au Nouvelliste, au Pays, au Constitutionnel, au Nain Jaune, au Figaro, etc. :
« Une œuvre critique qui a fini par faire brèche auprès des non-initiés, et qui avait pour projet, ni plus ni moins que l’« Inventaire intellectuel du XIXème siècle », en ses « Œuvres » et en ses « Hommes ». Dessein grandiose, démesuré, littéralement balzacien (…) : mille trois cents articles – de « forme svelte, retroussée et presque militaire » – qui visaient à offrir rien de moins que sa « Comédie Humaine ».
Avec cet avantage sur le grand ancêtre que Barbey (1808, Saint-Sauveur-le Vicomte – 1889, Paris) aura, lui, parcouru le vaste empan du siècle, assistant activement – il était de toutes les batailles – à toutes les révolutions politiques, littéraires, artistiques et éditoriales qui ont bouleversé le siècle et transformé en profondeur la physionomie du paysage « intellectuel » français, en l’accouchant à la modernité. Par là, Barbey accède au rang de « Contemporain capital » et son témoignage sur le siècle se mesure en carats. »
Fermez le ban. Est-il besoin d’insister pour dire la précieuse actualité de Barbey – et signifier son retour ?
Alors, too late vraiment ? Pas si sûr. Nevermore ? Pas plus. Ce qui précède attesterait plutôt le contraire. Barbey revient oui, et comme souvent avec un écrivain « de légende », il est accompagné d’un cortège de banalités et d’une théorie d’idées reçues. Banalités (qui confinent au « folklore ») sur son dandysme et ses tenues extravagantes – « excentriques » serait mieux dire, et plus fidèle à son anglomanie en la matière (oui, Brummell, oui, Byron). Théorie d’idées reçues sur l’écrivaincatholique-ultramontainréactionnaire-contre-révolutionnaire, etc. Un écrivain qui salue Octave Mirbeau et Jules Vallès, voire Proudhon, nous semble, quant à nous, plus fidèle à une certaine idée de la littérature qu’à une quelconque « réaction » : Vallès et Mirbeau ne s’y tromperont pas, qui le salueront à leur tour, le temps venu.
Écrivain à tempérament, de conviction, adoré ou exécré, Barbey « vomissait » les tièdes et eut le suprême honneur d’être payé de retour. Relisons ce qu’il écrivait de Thiers, un de ses morceaux de bravoure, un de ses mots d’anthologie : « Homme politique nul, qui pouvait tout faire et n’a rien fait ; littérateur nul, malgré ses quarante volumes, critique d’art nul, âme nulle ! pour toutes ces raisons, ministre, académicien et grand homme » (Les Quarante médaillons de l’Académie, Grasset, Cahiers rouges)
Alors oui, en amont, il y a Maistre et Bonald, hérauts de la Contre-Révolution, Baudelaire et Balzac, Walter Scott et Lord Byron. Il adorait (oui, je sais, « on n’adore que Dieu »…) Stendhal (en dépit de son athéisme) et E.A. Poe, et rendit hommage à Ernest Hello (« Voyant quand il s’agit de Dieu, et Visionnaire quand il s’agit des hommes ») et à Maurice de Guérin, son ami, prématurément disparu. Il exécrait Sainte-Beuve (« crapaud qui voudrait être une vipère », homériques feuilletons), Flaubert (dont il perçoit l’importance quand il lui mesure la place), Renan, Zola, Hugo (Les Misérables ? « le livre le plus dangereux de tous les temps »), Mérimée, Nerval, George Sand (un des fameux « Bas-Bleus »), Goethe, Diderot et Rousseau – lors que Voltaire est, en dépit du « reste » (athéisme, libre pensée, etc.), crédité d’une « nature aristocratique » (sic). On en passe : mille trois cents articles, c’est long, 81 ans (1808-1889), aussi. A fortiori lorsqu’on est doté d’une vitalité et d’une ardeur au combat très exceptionnelles. A fortiori, en outre, lorsque les nécessités d’ordre pratique – i.e. l’argent – vous rappellent, régulièrement, à l’ordre.
Dans un autre remarquable article consacré à « L’imaginaire du combat dans la critique aurevillienne », Caroline Sidi conclut, en aurevillienne de tempérament – et d’élection : « C’est dans (cet) « héroïsme de la défaite » que la critique aurevillienne trouve sa vocation et sa vérité. La notion de cause perdue permet d’opérer, sans déperdition d’énergie, la jonction entre la réalité des combats aurevilliens et cet imaginaire de la pugnacité qui le taraude. En ce sens, la critique journalistique, qui était considérée par Barbey comme un moyen, sera devenue une fin, et pas la moins impressionnante. La multiplicité des combats, engagés « ubique et semper » par cet Achille sans Patrocle et resté « bouillant » jusqu’à l’âge de Nestor, fait de la porte basse du journalisme une porte haute, qui hisse Barbey au rang de combattant de l’absolu, et fait de ce « Jules » qui se cherchait une caution du côté de César ou de Mazarin une figure de référence à lui tout seul. Figure qui fait mentir cette phrase amère que l’on avait rencontrée sous sa plume et suivant laquelle « un maréchal des lettres ne vaudra jamais un Maréchal de France ». Car si « les plus grands hommes en politique (comme à la guerre) sont ceux qui capitulent les derniers », cela n’est pas moins vrai s’agissant des écrivains. » Pas d’autre commentaire. Si, pourtant – un mot encore. Longtemps en charge du domaine anglo-saxon aux éditions Gallimard, Michel Mohrt, dans un texte dédié à La Varende, hasarde une hypothèse : « On a rapproché La Varende de Barbey d’Aurevilly, « manant du Roi ». Mais c’est à l’œuvre du grand romancier américain Faulkner que me fait songer celle de La Varende. Faulkner, lui aussi, a été pris pour un romancier « régionaliste », parce que son œuvre est enracinée dans le « Sud profond » : les Etats de l’ancienne Confédération du Sud qui s’étaient séparés de l’Union en 1855 et furent vaincus. (…) Lui aussi a recherché ses ancêtres (…). Ce sont ces hommes que Faulkner fait revivre dans ses romans. Il a « relevé les morts» pour se trouver des modèles et des répondants ; il a fait revivre une civilisation détruite. S’il y a une « internationale blanche » dans le midi de la France à la fin du Premier Empire, assurément Faulkner et La Varende – quelques autres aussi : le romancier espagnol Valle Inclan, le poète irlandais Yeats… – en font partie. Et je crois que l’on peut dire, en songeant à ce que ce mot représente de fidélité à des valeurs perdues, à un type de civilisation, à une religion du passé et de l’honneur, que l’œuvre de La Varende est celle d’un écrivain ‘’sudiste’’. » Ajoutons quant à nous, que l’hypothèse nous semble rien moins que « hasardeuse » et, eu égard à Barbey et à ses hobereaux «chus» du Cotentin, d’une fécondité méconnue – donc prometteuse.
L’un contre l’autre, roman resté inédit du père de l’autofiction, écrit à l’âge de 24 ans, nous permet de lire Doubrovsky avant Doubrovsky
Quand un écrivain nous donne de ses nouvelles, un écrivain dont les livres sont en place sûre dans notre bibliothèque, c’est réjouissant. Voici donc le premier roman inédit de l’auteur du Livre brisé (prix Médicis, 1989). Il a pour titre L’un contre l’autre. Nous sommes en 1952, Serge Doubrovsky a 24 ans. C’est un étudiant de l’ENS de la rue d’Ulm, à Paris. Il est né d’un père russe, juif et communiste, parlant mal le français, et d’une mère juive alsacienne, Renée Wietzmann, qui inventa une méthode de sténographie. Les Doubrovsky, rappelle Isabelle Grell, dans sa préface, ont subi l’Occupation, les pires humiliations, à commencer par le port de l’étoile jaune. « La famille sera préservée grâce à un gendarme du Vésinet, nous révèle-t-elle, qui, en 1943, à 8 heures du matin, les prévint qu’il reviendrait les arrêter une heure plus tard ». Il faut vite se cacher ; plus question d’aller au lycée. Un camarade lui passe les cours. Le jeune Serge travaille d’arrache-pied. Il passera l’agrégation de philosophie. Il fera tout pour gommer l’insupportable : être considéré comme un Untermensch par le régime de Vichy aux ordres des nazis.
Les femmes occupent une place prépondérante dans l’œuvre de Doubrovsky. Ce premier roman n’échappe pas à cette règle. On retrouve le Quartier latin, l’ambiance est « swing », comme les chansons de Charles Trenet, les filles virevoltent dans les caves enfumées, les garçons ne sont pas aussi fringants – c’est dur d’avoir à assumer la défaite des pères. L’existentialisme domine le microcosme intellectuel. Sartre contrôle les esprits. Du reste, L’un contre l’autre n’est pas sans rappeler Les Chemins de la liberté. La mère de Doubrovsky a dit que son fils révérait Sartre. Le héros de ce roman d’apprentissage se nomme Jean Thévenot, il est normalien. Mais le sexe le hante. Hélas, il n’a pas le physique de son ami Tran, un vrai tombeur celui-là. Il va pourtant trouver la femme qui le fait chavirer : Marilyn. C’est une Américaine, blonde comme une héroïne d’Hollywood. Elle doit le guérir de son cafard, « comme un comprimé d’aspirine guérit d’un mal de tête. » Isabelle Grell, toujours dans sa préface, précise que l’écrivain en herbe, après avoir souffert des oreillons, a des problèmes d’érection. Elle indique également que ce premier roman fut écrit après un fiasco amoureux. L’écriture pour combler le manque. L’écriture pour prendre sa revanche sur l’antisémitisme d’Etat. Dans Fils, Doubrovsky s’écrie : « Quatre ans, j’ai vécu la mort entre les jambes. »
Avant l’autofiction
L’un contre l’autre contient donc des éléments autobiographiques. Mais le fleuve fictionnel irrigue la narration. Il n’est pas encore question de la fameuse « autofiction », terme inventé par Doubrovsky, qui le rendit célèbre. Sa définition ductile fit couler beaucoup d’encre. J’avoue avoir du mal à la résumer ici. Le créateur de ce genre littéraire, fatigué par les polémiques, finit pas avouer, à la fin de sa vie, que l’autofiction, « c’est l’autobiographie moderne ». Dont acte. Comme l’écrit Alain Robbe-Grillet, expert malicieux en brouillage de pistes : « Le biais de la fiction est en fin de compte plus personnel que la prétendue sincérité de l’aveu.”
Il n’en reste pas moins que certaines scènes de L’un contre l’autre, réelles ou fantasmées, soulignent les qualités stylistiques du jeune écrivain. Exemple ce passage où l’on retrouve les deux amants enfiévrés : « J’étais allongé tout contre elle et ma main, ne connaissant plus d’obstacles, se jouait parmi les richesses de son corps. Sa peau encore grenue sur le rebondissement des fesses, se faisait ensuite polie et tendre, douce à caresser comme de l’ivoire. »
Serge Doubrovsky, L’un contre l’autre, préface d’Isabelle Grell, Les Cahiers Rouges, Grasset.
Adulé et détesté, l’architecte catalan a marqué de son empreinte les années 1980. De la banlieue parisienne à Montpellier en passant par le Maroc, l’Inde et la Russie, ses villes nouvelles sont reconnaissables au premier coup d’œil. Son style : un néoclassicisme en béton armé, monumental et symétrique.
Faut-il démolir Bofill ? Le béton fut son rêve de pierre, la symétrie, sa marotte, le classicisme glacé, son utopie, la grandiloquence, son cachet, et la démesure son orgueil. Dans la France des années 1980, cet ambitieux, immodeste et fringant condottiere a marqué la ville de son empreinte indélébile. Car Ricardo Bofill, c’est d’abord une « signature » qui se reconnaît au premier coup d’œil. L’art de bâtir y a-t-il gagné ? Voyez le quartier « Antigone », à Montpellier : flétri, déjà. Et déjà tellement daté.
Années françaises
L’architecte catalan s’est éteint il y a un an. Ses « années françaises » sont célébrées dans un ouvrage orchestré par Dominique Serrell, l’ancienne directrice de la branche parisienne de son agence de Barcelone, Ricardo Bofill Taller de Arquitectura. Cette somme richement illustrée s’accompagne de nombreux témoignages posthumes ou contemporains – de Paul Chemetov à Roland Castro, de feu Jacques Chirac à l’immarcescible Jack Lang, de la journaliste Michèle Champenois à l’ancien ministre de la Culture Jean-Jacques Aillagon. Le livre ne fait cependant pas l’impasse sur les prémices ibériques de l’architecte : « Barrio Gaudí », dans la ville de Reus ; « Muralla Roja », près d’Alicante ; « Castillo de Kafka », à Sitges ; sans compter les 430 appartements de « Walden 7 », non loin de Barcelone : leurs chromatismes audacieux, leurs agencements enchevêtrés, leurs allures de casbah imprenable en font sans aucun doute son œuvre la plus intéressante.
Bofill arrive à Paris dans les années 1970. Il porte beau la trentaine et les costards cintrés, est épris de Loulou de la Falaise, la muse d’Yves Saint-Laurent, et prend ses aises boulevard Saint-Germain, entre la place Furstemberg, le Flore et la brasserie Lipp. Mais son entrée en scène se solde par un double échec. La « Petite Cathédrale », projet de logements sociaux pour Cergy-Pontoise, est bloquée par Michel Poniatowski, alors député du Val-d’Oise. Quant à son « Jardin des Halles », inspiré de l’ordonnancement du Palais-Royal, il fait les frais de la rivalité entre Giscard et Chirac. D’intemporelles aquarelles et maquettes témoignent de cette utopie urbaine : des théâtres de verdure bordés d’immeubles aux façades néoclassiques rythmées par des colonnes et des pilastres. Les travaux sont déjà entamés lorsque Giscard inaugure, en janvier 1977, le Centre Pompidou signé Piano & Rogers : une tout autre esthétique ! Le nouveau maire de Paris se lance alors dans une surenchère architecturale. En octobre 1978, Chirac fait irruption dans le baraquement de chantier de Bofill et claironne : « À partir de maintenant, l’architecte des Halles, c’est moi. » Convoqué, Ricardo s’entend dire : « Je veux un Paris qui sente la frite ! » Au même moment, l’architecte est appelé à Alger parle président Boumédiène pour un programme de villes nouvelles et de « villages populaires » agricoles. Il n’hésite pas une seconde. Ce qui a été construit aux Halles est démoli. On connaît la suite. Le « trou » est coiffé des « pavillons Willerval » de triste mémoire, eux-mêmes désormais remplacés par la pisseuse résille comiquement appelée « Canopée », béant sur le plus piteux jardin public de Paris.
En guise de lot de consolation, la Ville commande à Bofill l’érection de 200 logements place de Catalogne, à Montparnasse – emplacement « jugé unanimement ingrat », dixit Dominique Serrell[1]. Et un protocole de confidentialité lui impose, en plus, de taire sa défaite des Halles. De fait, dans la rétrospective organisée en 1982 par Jean-Jacques Aillagon, à Beaubourg, pas un dessin n’illustre l’aventure avortée. Interrogé en 2022, Jack Lang – qui s’y connaît en grands projets – commente : « Les projets réalisés à la fois sous Chirac et Delanoë sont un exemple de vulgarité et de la nullité de certains hommes politiques qui ont permis la réalisation d’une telle laideur et un gaspillage énorme d’argent public. Je regrette que le projet dans le 14ᵉarrondissement, en échange des Halles, soit inadapté à son architecture. »
Sa revanche, Bofill la prend hors de la capitale. D’abord avec les « Espaces d’Abraxas », à Marne-la-Vallée : 600 logements sociaux à dix kilomètres de Paris. En 1985, Terry Gillian tourne Brazil dans cette forteresse affublée d’aimables sobriquets : « Alcatraz », « Gotham City »… Le « Palacio », 19 étages, une muraille de béton teinté dans la masse, un « théâtre » en demi-cercle et un « arc de triomphe » parachèvent l’effet monumental de cet ensemble où la symétrie règne sans partage. Dans les années 1980, une cité-jardin vient clôturer l’« axe majeur » de Cergy-Pontoise, en perspective sur la vallée. Mais c’est avec « Antigone », à Montpellier, commande du maire socialiste Georges Frêche, que Bofill s’impose comme le pontife d’un post-modernisme hyperbolique. Autour d’une « place du Nombre d’Or », il implante, sur 25 hectares, une ville nouvelle en marge de l’antique cité ; un hôtel de région mégalo, tout de verre et de béton, y trône en majesté. « Antigone est devenue ma vitrine à l’international », déclare-t-il : de New York à Shanghai, de Moscou à Tokyo en passant par l’Inde, le Maroc, l’Irak et l’Arabie saoudite, son style séduit sur tous les continents. Signature du Taller de Arquitectura à l’heure de la préfabrication industrielle, son langage visuel historicisant, enté sur une grammaire néoclassique simplifiée à l’extrême, assure sa promotion planétaire. Convertie au verre et au métal, l’agence Bofill gratifie encore Paris du marché Saint-Honoré, de quelques sièges sociaux (Cartier, Jean-Claude Decaux) et de l’hôtel Peninsula, un cinq étoiles du 16ᵉ arrondissement. Des miettes.
Et si Bofill avait remporté le concours de l’Arche de la Défense ? Et celui de la BNF-François Mitterrand ? Les modénatures de l’architecture classique tracées à gros coup de crayon sont très belles… sur le papier. Mais transposées en dur ? Le pire étant l’ennemi du mal, il n’est pas sûr que, contre Spreckelsen et Dominique Perrault, Paris aurait gagné au change.
À lire
Dominique Serrell, Bofill : les années françaises, Norma Éditions, 2023.
Le président d’Avocats sans frontières a fait un rêve.
Je rentre de Khartoum. Je me suis fait soudainement soudanais. Ça m’a coûté ce que ça m’a coûté, mais les fonctionnaires n’ont pas trop fait de difficultés, en dépit d’un dossier politique et religieux un peu compliqué. Vous me demanderez probablement pourquoi j’ai embrassé cette nationalité, alors que j’en possédais déjà deux. C’est une pure question d’opportunité ou plus exactement d’impunité. Au départ, cette nationalité ne me disait pas grand-chose. J’aurais préféré me faire italien ou brésilien, mais je choisis de le confesser, mon but était clairement intéressé.
Las d’être un Occidental cossu
C’est que je suis doublement échaudé. En tant que Français, mon président m’a expliqué que mon pays avait commis des crimes contre l’humanité en Algérie. Il paraît que les policiers français sont racistes. À Nantes, on était esclavagiste. Sans parler des partis d’extrême droite pétainistes qui se refusent à accueillir les étrangers les bras ouverts.
En tant qu’Israélien, c’est encore pire. Le soldat hébreu en Judée serait un authentique Juda, qui trahit une seconde fois l’idéal de paix christique. Il crucifierait le peuple palestinien comme ses ancêtres auraient crucifié Jésus. Comment ce peuple qui a, à ce qu’il paraît, connu le génocide ose-t-il perpétrer en Palestine un nouvel Holocauste, sous prétexte qu’il aurait subi quelques justes tracas exécutés par un groupe de résistants un peu énervés ?
Bref, j’étais un peu las lorsque je me promenais près des universités de Nanterre ou de Yale ou dans les rues de Manhattan, près de l’immeuble de l’ONU, de parler en français ou en hébreu et de me faire cracher dessus. Las d’être un Occidental cossu, un mâle blanc privilégié ne pouvant même hasarder un regard appuyé sur un membre du sexe opposé, si vous m’autorisez cette expression genrée autant que stéréotypée.
Immunité assurée
C’est alors que j’ai opté pour la filière soudanaise. Je vous la recommande discrètement. Un brevet d’impunité permanent. Un passe-droit pour la transgression. Je conseille aux incrédules la lecture enrichissante d’un article du Monde daté du 26 janvier et intitulé : « Au Soudan, la ville d’Al-Geneina théâtre de massacres à grande échelle : “Ce qui s’est passé est un génocide” ». Le correspondant évoque des massacres de masse de milliers de Noirs par des milices arabes, des viols, des exactions innombrables et 7 millions de déplacés !
L’article en question a suscité à peine trois ou quatre malheureux commentaires de ces lecteurs qui incendient Israël en permanence. J’estime que les massacres au Soudan ont suscité un millionième de la médiatisation qu’a suscitée Gaza. Et je suis bon. Voilà pourquoi c’est désormais un Soudanais qui vous écrit. Je peux tuer impunément tous les Noirs que je veux, dès l’instant où je ne suis plus un Blanc. Je peux violer les juives blanches des kibboutz, ou même les vieilles dames de 75 ans dans les provinces françaises. Aucune féministe d’extrême gauche ne m’en demandera raison.
Même sur la question esclavagiste, les associations sont super cool avec moi. Autant, s’agissant de la traite transatlantique, les Américains et les Africains sont d’une intransigeante rigueur, autant ils se font plus coulants concernant la traite arabique, plus ancienne et plus cruelle, qui perdure encore un chouia, ici ou là. Écoutez-moi, les amis un peu vifs, les copains un peu coléreux, j’ai trouvé la bonne planque : l’an prochain à Khartoum !
Et dire que notre chroniqueuse s’était lancée dans la lecture du dernier roman de Marie Darrieussecq dans l’intention d’en dire du mal
Mon libraire m’alpague, il me fait l’article, assuré et le verbe haut. Dithyrambique, il me conseille la lecture de Fabriquer une femme, roman d’apprentissage écrit par Marie Darrieussecq. Dans cet opus, objet de son dernier « coup de cœur », on retrouve les jeunes filles du village de Clèves. Il précise : « Le retour des personnages, c’est un procédé à la Balzac » et il envoie le pitch : Marie Darrieussecq raconte la vie des deux amies ; on les suit de leurs quinze ans à la maturité.
Quand on ne résiste pas à l’appel de la nostalgie
Et le bateleur de poursuivre son exposé : « Dans la première partie, l’écrivaine traite des souvenirs gardés de cette époque par la sage Rose devenue psychologue et désormais mariée à son amour de jeunesse. » Il ajoute qu’on a ensuite la version « selonSolange » de la même période(comme on le dirait pour un Évangile) puis continue à réciter, impitoyable : « Darrieussecq braque alors son projecteur sur l’impulsive Solange, actrice de seconde zone copieusement malmenée par la vie. » La dernière partie, promet-il, « réunit à Los Angeles les amies et leurs familles pour assister à la très mondaine avant-première du film réalisé par l’ex-amant de Solange. » Je résiste toujours aux assauts du bonimenteur.
« Fabriquer une femme, n’est pas seulement un roman initiatique », insiste le placier. « On y brosse aussi le portrait de la jeunesse des années Mitterrand ». Là, je suis faite ; la nostalgie est une vraie glue. Et si Darrieussecq avait vraiment réussi à la ressusciter, cette jeunesse ? Retrouverait-on, dans ce livre, le temps des cortèges contre la loi Devaquet ; le temps où on faisait le planton devant les cabines téléphoniques ; celui de la chute du mur de Berlin et de l’avènement de l’Eurostar ? On nous la rendrait donc, la génération qui écoutait du rock, découvrait les Rita Mitsouko et se pâmait devant les yeux vairons de Bowie ? On relirait L’Amant et on irait au ciné voir L’insoutenable légèreté de l’être ? Qu’on me la rende, ma « générationdésenchantée ! » J’ai le Darrieussecq en mains ; le libraire pérore toujours. Un brin paranoïaque, je me demande s’il ne me provoque pas : « c’est un roman d’avant #MeToo et conduisant à #MeToo » ; son « autrice » et « féministe ardente » l’a qualifié de « roman de l’hétérosexualité ». « Les destinées de ces deux femmes sont inexorablement liées par leur genre et leur désir de rester libres et vivantes dans un monde patriarcal ». J’ai alors le « coup de cœur du libraire » sous le bras ; cochon qui s’en dédit. Le spécialiste en profite pour me donner le coup de grâce : « Fabriquer une femme, est un récit au sein duquel les violences sexuelles sont nombreuses et avancent parfois cachées ; d’une agression dans le métro au viol par un partenaire ou encore aux abus d’un réalisateur. »
Comme je déteste le néo-féminisme vindicatif et castrateur, j’ai préféré sursoir à la lecture d’un roman que je craignais militant et continué à pester sur ce qui se publie de nos jours. J’ai fini par me décider à lire Fabriquer une femme, mais c’était, je l’avoue, dans la perspective de dauber. Je jubilais à l’idée d’exposer combien le jugement exprimé par Flaubert en 1854, dans l’une de ses dernières lettres à Louise Colet était plus que jamais d’actualité: « Ne sens-tu pas que tout se dissout maintenant par le relâchement, par l’élément humide, par les larmes, par le bavardage, par le laitage ? La littérature contemporaine est noyée dans les règles de femme. » Le roman lu, me voilà Gros-Jean comme devant ; pas grand-chose à casser et force m’est de le reconnaître, j’ai passé un bon moment. L’époque mitterrandienne est très bien rendue et l’auteur ne tombe pas dans le travers d’un militantisme néo-féministe enragé ; c’est plaisant à lire. Darrieussecq juxtapose, comme si elle les collait les uns à la suite des autres, de petits paragraphes qui reproduisent précisément les instants saillants d’une tranche de vie révolue. Son écriture resserrée et précise agit comme un révélateur: elle rend visible tout ce qui n’était plus qu’image latente ; l’ambiance, le sentiment ou l’impression d’autrefois surgissent alors, palpables. Ici, on sent la solitude étudiante que connut Rose: « Très vite, Rose avait détesté la fac de Talence, ces grands ensembles jaune et marron, ces salles orange et blanc, ces coursives trop longues où personne ne rencontrait personne, ces pelouses desséchées. Et surtout l’éloignement, le bus G qui s’enfonçait dans les bouchons avec une lenteur suppliciante et le soir, après le même retour poussif vers la ville, la tête creusée de concepts difficiles, les yeux et les sens creusés par le manque des forêts et des rivières, elle rallumait sa télé. » Ailleurs, Solange se remémore la façon dont elle ressentait son ventre d’enfant-gestante habité par une vie qu’elle n’avait pas désirée: « Un ventre pointu, bossu, avec une ligne poilue jusqu’au nombril. Immonde. » ; desabdominaux qui « font des rainures, des membranes, des ailes de ptérodactyles qui cachent un énorme reptile. »
Les eaux troubles des lendemains
Quant aux personnages, ils touchent parce qu’ils ont les préoccupations et les interrogations de tout le monde. Comment apprivoiser le sexe ? Faut-il vivre en couple et fonder une famille ; rester libre ? Choisir la sécurité ou prendre des risques ? Comment tromper la mort et la maladie ? Et surtout, ça veut dire quoi « réussir sa vie » ? Et puis, il y des hommes, dans ce roman, et ils se prennent la vie dans la tronche aussi bien que les femmes, la parité est respectée et c’est tendrement vu. Ainsi, Christian, l’amoureux de Rose est rentré dans la vie active, il a alors troqué la poésie contre l’immobilier et taquine la bouteille de Ricard. Rose le retrouve sur un quai de gare, ils ne se sont pas vus depuis longtemps : « Ses yeux avaient glissé sur ce petit costaud appuyé au mur. C’était lui, fumant avec ce geste toujours sexy, ses lèvres toujours bien dessinées, mais encadrées de joues épaisses. » On a aussi l’incontournable blaireau, dans ce roman; celui qu’on connait tous, impeccablement croqué. Il plastronne derrière le comptoir de son bar, fume des pétards, dispense des harangues libertaires et se prend pour un chaman. La relation de sa prestation amoureuse est savoureuse. Rose couche avec Marcos : « C’est bizarre les hommes. Ce grandtype sur elle qui s’agite, trop fort, trop vite. C’est à la fois absurde et excitant, mais ça ne lui procure qu’un inconfort râpeux. Surtout quand il la retourne et qu’il accélère en lui tirant les cheveux, hé ! oh pardon, contorsions, ils se réinstallent comme avant (…) Tout à coup il crie : « C’est pour toi, c’est pour toi ! »
C’est l’écriture qui fait le roman. De celle de Darrieussecq, Laurent Chalumeau dit, justement, dans l’émission « Le Masque et la Plume », en date du 12 février: « Il y a un peu dephrases métalliques à la Houellebecq, un peu d’écriture plateà la Ernaux, un peu de néo-naturalisme à la Nicolas Mathieu, sans que ça fasse Frankenstein. » On y trouve aussi la petite pointe de Duras qui va bien. On passe un bon moment, rien de plus; mais rien de moins et c’est déjà pas mal. On a décidé de poursuivre la balade avec Souchon.
Tu la voyais pas comme ça l’histoire Toi t’étais tempête et rochers noirs Mais qui t’a cassé ta boule de cristal Cassé tes envies rendu banal T’es moche en moustache en laides sandales T’es cloche en bancal petit caporal De centre commercial…
La réédition d’Une tête de chien, premier roman de Jean Dutourd, nous replonge avec délice dans une littérature aussi cruelle que comique. L’histoire de cet homme né avec une tête d’épagneul n’est pas de la science-fiction mais un conte philosophique. Alain Paucard, vieil ami de Dutourd, partage sa lecture.
Jean Dutourd publie son premier livre en 1946, à l’âge de 26 ans : Le Complexe de César. En 1950, c’est au tour de son premier roman : Une tête de chien. L’argument est simple : un enfant, Edmond du Chaillu, parfaitement constitué, naît avec une tête de chien, une tête d’épagneul. On croit d’abord que le fantastique pointe son museau, mais c’est avant tout un conte philosophique qui se construit progressivement, avec de plus en plus de noirceur dans le trait : « Les condisciples d’Edmond ne tardèrent pas à se partager en trois clans : les indifférents, les charitables et les cruels. Il professait la plus grande admiration pour ces derniers, bien entendu, tentait d’entrer dans leur intimité, de se mêler à leurs jeux, auxquels ils ne l’admettaient qu’en qualité de souffre-douleur. » Dutourd, qui a connu la « drôle de guerre » (Les Taxis de la Marne), la Résistance, l’arrestation par la Milice, puis son évasion (« indispensable car il paraît que je devais être fusillé le lendemain »), la libération de Paris (Le Demi-Solde) n’a plus guère d’illusions sur la nature humaine, et Edmond du Chaillu devient rapidement le prototype de l’individu qui, luttant pour sa survie, ne voit que la singularité comme planche de salut. Ses parents et lui se séparent « à l’amiable » : « C’est ainsi qu’on se sépare définitivement des gens qu’on aime le mieux, sans une explication, sans une tentative. »
Chienne de vie !
La vie d’Edmond n’est pas facile, mais il se sort plutôt bien du service militaire, passé à Brioude (en fait la ville où le père de Dutourd, veuf quand Jean avait 7 ans, l’emmenait en vacances). Cela se complique quand il s’agit de travailler : « Il donnait des leçons de latin qu’on lui payait moitié prix à cause de sa tête. » Désespérant de ses diplômes, il se rabattit sur des emplois moins relevés : « infirmier, commis d’épicerie, manœuvre. À l’hôpital, on lui dit qu’il donnerait des chocs nerveux aux malades ; à l’usine que sa présence déclencherait des grèves ; à l’épicerie qu’il ferait fuir les clients. » Il refuse d’être veilleur de nuit pour ne pas être « chien de garde ».
Le moyen le plus courant « d’échapper à sa condition », c’est de gagner de l’argent. Edmond joue en bourse : « Rien de plus simple. Il suffit d’acheter à la baisse et de vendre à la hausse. Petite vérité qu’aucun agent de change ni aucun spéculateur n’a comprise. » Il gagne donc beaucoup d’argent, s’installe dans une superbe demeure à Louveciennes et, surtout, il rencontre Anne, qui est son « destin ». En une dizaine de pages, Dutourd montre la « cristallisation », chère à Stendhal, autre personnalité à laquelle il consacrera un essai (L’Âme sensible), et Une tête de chien annonce son chef-d’œuvre : Les Horreurs de l’amour, deux termes antagoniques, mais révélateurs des rapports humains.
La fin est bouleversante, mais je ne la relate pas. Une tête de chien est avant tout une métaphore. Dans son poème Les Philistins, mis en musique par Brassens, Jean Richepin avertit les « Philistins, épiciers […] notaires » : « Mais pour mieux vous punir / Un jour vous voyez venir / Au monde / Des enfants chevelus / Poètes ». Tout poète, tout artiste, toute personnalité exceptionnelle a une tête de chien. Et Dutourd assume la sienne. Il fréquentera et admirera d’autres têtes de chien, dont une des plus belles du XXe siècle : de Gaulle (Conversation avec le Général).
Vivre en bourgeois
Dès la sortie d’Une tête de chien, on traça un parallèle avec l’univers de Marcel Aymé. Dans les deux cas, le fantastique n’est pas le but, mais le prétexte. Chez Marcel Aymé, pas de vampires ni de loups-garous, mais des hommes qui changent de visage (La Belle Image), qui traversent les murs (Le Passe-Muraille) sans autre but que de révéler des complexités humaines. Dutourd ne touchera que de loin aux « genres ». 2024 n’est pas un roman de science-fiction. Mémoires de Mary Watson et L’Assassin ne sont que des polars effleurés. De Marcel Aymé, Dutourd écrit : « Quand je publiai mon roman Au bon beurre, plusieurs critiques m’apparentèrent à Marcel Aymé. J’étais jeune : j’en fus vexé. Je ne voyais pas qu’on me faisait une immense louange » (La Chose écrite). Dutourd renchérit pour expliquer pourquoi Aymé ne fut pas toujours considéré comme un grand écrivain : « Il était plutôt de droite, n’avait pas de biographie, vivait bourgeoisement à Montmartre. » Vivre bourgeoisement, ce n’est pas être un bourgeois. Aymé, Dutourd ou l’immense Guitry vivaient en bourgeois, c’est-à-dire avec tout le confort possible, mais ils étaient profondément anarchistes, ils fichaient la paix à l’État afin que l’État leur fichât la paix, ils se méfiaient des idées, quelles qu’elles fussent : « Lorsque le monde disait noir, je devais automatiquement, sans réfléchir, dire blanc, car une idée cesse d’être vraie quand elle est partagée par le plus grand nombre […] qu’elle se schématise, qu’elle se simplifie, qu’elle devient une caricature, et surtout un instrument d’intolérance » (Loin d’Édimbourg).
Il arrive souvent, tout au plaisir de (re)découvrir un texte, que nous ignorions les préfaces et les notes. Dans ce cas-ci, ce serait pire qu’une erreur, une bêtise. Max Bergez se bat comme un lion pour, déjà, trois rééditions de Dutourd : Les Dupes et Les Horreurs de l’amour au Dilettante et Une tête de chien chez Gallimard, en attendant Le Déjeuner du lundi. Bergez reproduit notamment une lettre insolente de Dutourd à Robert Laffont qui rechigne à le publier : « Ma confiance en moi est une affaire personnelle et je ne peux raisonnablement demander à aucun éditeur de la partager. » Gaston Gallimard se révélera plus « partageur ».
Dutourd reçut, le 20 juin 1951, le prix Courteline, dont des têtes de linotte pensent encore qu’il fut un auteur charmant, amusant. Courteline est cruel avec le sens du comique. C’est une marque de grand écrivain. Dutourd fut cruel et comique avec beaucoup de bonhomie pour ses semblables. Y aura-t-il un prix Dutourd ?
À lire
Jean Dutourd, Une tête de chien (éd. et préface de Max Bergez), Gallimard, 2023.
À l’heure où le contrôle numérique menace nos vies, et où l’on observe l’avènement de ce que d’aucuns appellent la « démocrature », on peut se réfugier dans la lecture du dernier essai du philosophe suisse Eric Werner…
En 2008, je parlais pour la première fois d’Éric Werner, politologue suisse, professeur de sciences politiques à l’Université de Genève. Il avait alors signé à L’Âge d’Homme deux essais remarqués, L’Avant-guerre civile et L’Après démocratie, où il étudiait avec une rigueur d’entomologiste les dérives de notre modernité tardive.
Maquis 2.0
Dans un autre livre, Ne vous approchez pas des fenêtres, ce disciple du philosophe russe Alexandre Zinoviev se penchait sur « les postiches de la démocratie-fiction » et jouait finement du paradoxe pour démonter maints discours lénifiants, par exemple sur la gouvernance. Depuis toutes ces années, il bâtit son œuvre tout en collaborant à L’Antipresse de mon ami Slobodan Despot.
Dans Prendre le maquis avec Ernst Jünger.La liberté à l’ère de l’État total, il étudie les nouvelles formes de domination alors que se restreignent les libertés, et particulièrement la liberté d’expression (« Vous ne pouvez pas dire cela » est devenu un leitmotiv que nous entendons tous de plus en plus souvent) et que se détricote notre civilisation par l’effacement des références et des mémoires, par l’amnésie programmée (par exemple dans les écoles). Dans ce contexte, ne pouvons-nous pas presque parler d’une démocratie sans liberté ? L’État protège-t-il encore les citoyens… ou livre-t-il une guerre contre sa propre population ? Demeure-t-il le gardien des frontières ou les considère-t-il comme obsolètes, voire abolies ? Combat-il réellement la délinquance… ou celle-ci n’est-elle pas devenue un outil de pouvoir ? Défend-il la famille traditionnelle et l’école, garantes d’un authentique lien social ou favorise-t-il leur « déconstruction » (comprendre leur destruction, pierre par pierre), l’asservissement passant par l’anomie et par l’analphabétisme de masse ? En quoi le recours aux forêts, défendu jadis par le grand écrivain allemand Ernst Jünger (1895-1998), peut-il inspirer notre réflexion à l’heure du contrôle numérique et de la (vertueuse) restriction des libertés publiques, quand s’étend ce que Tocqueville, dans Dela Démocratie en Amérique, appelle « un pouvoir immense et tutélaire (…) absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux » ?
Salut à Sylvain Tesson
Pour tenter de répondre à ces questions délicates, Éric Werner relit le Traité du Rebelle de Jünger (paru en 1951), et aussi Sur les Falaises de marbre, ce roman publié de manière miraculeuse en 1939 et dont la traduction française de 1942 inspira Julien Gracq et d’autres rebelles. Plus qu’une dénonciation de l’hitlérisme (ou du stalinisme), ce qu’il était entre autres, ce roman visionnaire mettait en scène de manière dantesque l’inexorable montée du chaos et de la barbarie.
Le Traité du Rebelle, ou le recours aux forêts est la (longue) traduction française du titre allemand original, plus lapidaire, Der Waldgang, littéralement « la marche en forêt ». C’est l’idée de marche à pied qui importe ici, car le Waldgänger, traduit en français par « Rebelle », est avant tout « celui qui marche en forêt », un piéton donc. Ce piéton résiste à sa manière à l’automatisation globale, pressentie par Jünger sous la forme de « l’inexorable encerclement de l’homme » par un État total, prélude à sa liquidation rationnelle. Jünger avait certes en mémoire les tueries industrielles de 14-18 et de 39-45, décidées et mises en place par une caste d’ingénieurs dépourvue d’ethos comme de nomos – l’incarnation du nihilisme. Pourtant, il voyait plus loin, sans doute grâce à son frère, le poète Friedrich-Georg, auteur d’un fondamental LaPerfection de la technique.
L’un des multiples intérêts de l’essai d’Éric Werner, d’une magnifique densité, réside aussi dans l’éloge de la marche à pied, illustrée par un salut mérité à Sylvain Tesson, dont le récit Sur les Chemins noirs, narrant sa traversée en diagonale d’une France désertée, prend une valeur réellement initiatique en tant que défense d’une forme de secessio nobilitatis. L’immonde pétition dont Tesson fut récemment la cible démontre que la meute, toute à son adoration impie de la soumission, n’attend qu’un signe pour se jeter sur les piétons solitaires. Le comble de l’indécence réside à l’évidence dans la prétention de ces chacals à être des hommes libres.
Eric Werner, Prendre le maquis avec Ernst Jünger. La liberté à l’ère de l’État total, La Nouvelle Librairie, 110 pages.
Le numéro de février de Causeur est une charge virulente contre les enfants de post-soixante-huitards «intraitables sur les bonnes mœurs». Mais s’il s’agissait finalement moins d’un retour de bâton légaliste, que du rappel d’un ordre symbolique passablement jeté aux orties ? Ce qui n’empêche absolument pas un puritanisme très protestant de faire, lui aussi, retour, par la même occasion, certes. Tentative de trier le bon grain de l’ivraie…
On incrimine volontiers aujourd’hui la liberté sexuelle induite par 1968 en en faisant la cause des maux de notre époque. Cette liberté était à priori pour des adultes consentants et les dérives qui ont pu en découler ne tiennent pas tant à la liberté en question qu’à la confusion des générations qui a mis sur le même plan les adultes et les enfants.
À la lecture des livres de Vanessa Springora, de Camille Kouchner et à l’écoute des propos d’Adèle Haenel ou, plus récemment, de Judith Godrèche, ce qui frappe est soit la présence de parents ou d’adultes se comportant avec les enfants comme si ces derniers étaient au même niveau qu’eux, soit leur absence radicale du paysage. « Mes parents n’avaient pas de place, ils ont été effacés. S’ils auraient pu se battre ? Oui, sûrement, moi, je l’aurais fait… » Judith Godrèche à France-inter.
L’époque des chaperons étant révolue, on peut tout de même s’interroger sur l’extraordinaire passivité de parents face à des situations réclamant, pour le bien de tous, un minimum de vigilance. Ainsi, Adèle Haenel se rendait seule chez son metteur en scène, entre l’âge de 12 et 15 ans, pour y passer le week-end. Quand on sait qu’une actrice est forcément un objet de désir pour celui qui la filme, c’est protéger toutes les parties, et en priorité les plus jeunes, que de mettre un tiers entre eux. Cela s’appelle prévoir. De la même façon, Vanessa Springora ne semble pas avoir bénéficié d’une protection parentale quelconque ; il semblerait même qu’il y ait eu une sorte d’accord tacite de la part des adultes alentour. Faut-il, enfin, rappeler que ces adolescentes étaient mineures et que la loi n’autorise pas une relation sexuelle entre un adulte et un mineur. Tout simplement. Sans doute parce que la loi n’imagine pas qu’il puisse y avoir réellement consentement entre un majeur et quelqu’un qui ne l’est pas.
Quant au livre de Camille Kouchner, par-delà le geste incestueux d’un beau-père à l’encontre de son beau-fils, c’est surtout une génération d’intellectuels qui est ici évoquée, où la confusion règne entre les générations ; où on se balade nu devant tout un chacun, où les enfants sont témoins d’une intimité qui devient intrusive, où on leur parle comme à des adultes, y compris pour faire des allusions sexuelles à leur endroit, voire demander à une fille pas encore pubère de mimer l’acte sexuel avec ses doigts devant tout le monde. Et où l’on n’hésite pas à photographier les fesses de la fille en question et à en faire un poster pour le salon. Sans compter qu’on n’en finit pas d’exiger d’eux qu’ils soient libres… mais à la façon des grands ! Injonction terriblement paradoxale. Sois libre ma fille, et fais comme maman !
Et c’est là que le bât blesse. La liberté sexuelle n’implique pas la confusion des générations. Et si cette dernière n’entraîne pas nécessairement des actes incestueux, elle est, par définition, incestuelle et suffit à brouiller les esprits. Il n’y a pas de synchronie entre les parents et les enfants ; une génération les sépare et cette séparation est fondamentale. Et peu me chaut que des adultes éprouvent du goût pour des pratiques sexuelles en tous genres. En revanche, les enfants n’ont tout simplement pas à y être mêlés. C’est le déni de la différence générationnelle qui est profondément destructeur, et pas la liberté que des parents respectueux de leur propre intimité comme de celle de leurs enfants s’octroient. Il ne faut pas, pour le coup, confondre les deux. Mais c’est bien parce qu’il y a eu, pour certains, confusion entre les deux qu’il y a retour de bâton de la part des enfants en question.
L’écheveau passablement confus de cette intrigue à tiroirs met un bon moment à se clarifier (plus ou moins). Un vieillard nonagénaire d’origine hongroise s’étant dissimulé, après-guerre, sous l’identité d’un héroïque soldat de Tsahal, passe en jugement à Tel-Aviv en présence de sa propre fille (dont on verra que sa présence auprès du grabataire changera du tout au tout le cours du procès), et d’une rescapée d’Auschwitz appelée à témoigner contre celui en qui elle reconnaît avec certitude le bourreau de son enfance.
L’ancienne déportée est accompagnée son fils, Ori (Yona Rozenkier), un homme plutôt perturbé, lequel croise au tribunal une écrivaine française d’un certain renom, Anna (Valéria Bruni-Tedeschi), en qui il est persuadé, quant à lui, de reconnaître en cette femme son ancien amour fou d’il y a 20 ans, à Turin. Ce qu’elle nie, prétendant ne l’avoir jamais vu.
Au fil d’improbables péripéties, le récit se resserre sur Ori et Anna, duo incarné par le comédien, scénariste et réalisateur franco-israélien Yona Rozenkier, et l’actrice, cinéaste (et sœur de Carla Bruni) si volontiers coutumière des rôles borderline. Sous prétexte de la conduire à l’aéroport où un vol pour l’Europe attend Anna, Ori l’enlève à bord de son van dans une loufoque équipée dans le désert, échappée dont le dénouement déjouera tous les pronostics. Bien des lacets sur cette route mémorielle à deux voies (et à deux voix) qui se perd dans les sables.
Il n’y a pas d’ombre dans le désert. Film de Yossi Aviram. Avec Valéria Bruni-Tedeschi et Yona Rozenkier. Couleur. Durée : 1h41 En salles le 28 février 2024.
Monsieur Nostalgie réarme le slow pour sauver la France
Il a disparu dans les années 2000. Sous le coup des communautarismes et des pruderies. Pas assez rentable, trop populaire et « malaisant » comme les concepts dépassés de nation et de souveraineté. Sous la surveillance accrue des corps, une morale autoritaire maquillée en vague libertaire faisait son lit. Elle contrôlerait bientôt tout. Elle nous assignerait à résidence, figeant nos opinions et nos relations extérieures, empêchant toute possibilité de rencontres.
Recroquevillées sur leurs applis et leurs croyances, les jeunes générations échangent aujourd’hui par contumace, elles sont terrifiées par l’idée de l’échec ou de la contre-performance, elles virtualisent ce moment fatidique où les peaux vont fatalement s’effleurer, où il faudra verbaliser une demande – oraliser ses sentiments disent les psys – et où les outils numériques ne serviront à rien. Les algorithmes ne vous seront d’aucune aide. Face à votre destin et à vos responsabilités, vous allez, pour la première fois de votre vie, user de votre libre-arbitre. Ce n’est plus le moment de se cacher, ni de reculer, le contact va avoir lieu ou pas. Le compte-à-rebours est lancé. Le slow permettait ce passage-là. Il était cet espace gratuit et supraidentitaire où une jeunesse différente se rapprocherait, se domestiquerait, trouverait un terrain d’entente cordiale, voire la possibilité d’aller un peu plus loin. C’était un préambule enchanteur autant qu’un examen de passage. Le slow précéderait le baiser, le plus intime des gestes d’amour. Ce slow, œcuménique et prérévolutionnaire, était friable, tâtonnant et initiatique. Pudique et dérisoire, comme toutes les choses essentielles dans l’existence. Nous aurions dû le protéger, peut-être le constitutionnaliser. Il obligeait à se parler, à tenter un élan fébrile et ridicule, à sortir de sa chambre, à combattre enfin sa solitude, à communier avec d’autres, c’était un parcours du combattant pour les timides, il nous coûtait, il nous demandait du courage et de l’inconscience.
Mais quel bonheur quand il arrivait à sceller, durant trois minutes, les attentes et les désirs de deux inconnus. Ce saut de l’ange sur les parquets et les boums de quartier, en public, sous les regards amusés et niais des copains d’infortune, donc quasiment à nu, pouvait se révéler sacrément périlleux. Dans ce ballet malhabile où le cœur tape et les jambes flageolent, il fallait pourtant se lancer, dépasser ses peurs et encaisser la possibilité d’un refus. Très tôt, il est bon que les Hommes intègrent le « râteau » et inventent des parades psychologiques pour dépasser le léger picotement du « rejet ». Une grande inspiration. Et oublie qu’t’as aucune chance, vas-y fonce ! Sur le fait accompli, dans les yeux de l’autre, au moment d’inviter à danser, tous nos capteurs en alerte, on savait, avant même de bafouiller, si notre tentative se solderait par une victoire ou une déconvenue. Cette première étape réussie, le slow retors et magnifique était loin d’être gagné. Il soumettait à un effort de longue durée, il était sournois, souvent versatile, il n’était pas modélisable et transposable. Il pouvait se révéler décevant ou féérique, un détail anodin compromettrait l’expérience ou un sourire fugace, attrapé dans la pénombre, comblerait durant des semaines. Le slow était unique, donc périssable. Il se consumait sur l’instant, à chaud. Son caractère hautement inflammable le discrédite dans une société du résultat et du tableur Excel, des aigreurs et des partitions. Le slow était un rite païen avant l’affrontement des clans, des sexes et des intérêts. Il n’était pas productif, il était éphémère. Il participait à l’éducation sentimentale de tout un pays. Doux et tendre, brinquebalant et blessant, il nous a appris à nous apprivoiser. C’est ce que montre le documentaire Slow une histoire d’amour réalisé par Gaël Bizien dans la collection années 80 de « La France en vrai » sur les antennes régionales de France 3. J’en profite pour vous conseiller de visionner « Génération Mille Clubs » qui revient sur l’initiative de François Missoffe, alors ministre de la Jeunesse et des Sports sous Pompidou. Reste la question fondamentale : quel est le meilleur interprète pour un slow réussi ? Mettons de côté les trop entendus quoique efficaces « Scorpions » et « Peppino di Capri », « Julio Iglesias » et « Lionel Richie », n’excluons pas trop vite tout de même « Reality » de Richard Sanderson et « Sorrow » de Mort Shuman, ils ont de la ressource, « Procol Harum » tient toujours la corde et Jeane Manson n’a pas dit son dernier mot. J’opterai pour Dan Finnerty et son « Feel Like Makin Love » à moins que « Warum nur, warum ? » d’Udo Jürgens ne soit le titre indépassable.
L'écrivain français Jules Barbey d’Aurevilly (1808-1889). Portrait de Émile Lévy DR.
« La modestie et moi nous n’avons jamais passé par la même porte : elle est trop petite ou je suis trop grand ; j’ignore cette hypocrisie-là comme beaucoup d’autres dont est pourrie l’âme humaine, et je me déclare hautement orgueilleux – l’orgueil étant la force et l’aliment incessant de ma vie. On n‘est humble que lorsqu’on a des raisons pour l’être. »
Jules Barbey d’Aurevilly
« Les pions n’aiment pas les pionniers. C’est ma sympathie pour d’Aurevilly qui m’inspire sans doute ce détestable calembour. »
Charles Baudelaire
Drieu, qu’on relisait il y a quelques années pour La NRF, l’avait évoqué : « Je n’écrirai jamais ce livre sur les Normands, dans les lettres et les arts. Corneille et Poussin, Fontenelle, Méré, Flaubert, Barbey, Maupassant, Manet, Boudin, Gourmont. Comme je suis loin et près de ces gens. Je tiens aussi à l’Ile-de-France. » (Récit Secret, Gallimard, p.78).
La Varende l’a fait – qui, dans une bibliographie pléthorique, a écrit au moins deux grands romans très aurevilliens (Nez-de-Cuir et Le Centaure de Dieu). Cela s’appelait Grands Normands (sur Barbey, Flaubert et Maupassant, éd. Defontaine, 1939).
Cela pour dire la postérité de Barbey – outre celle, connue et reconnue, de Bloy et de Huysmans, de Bourget et de Mirbeau, de Coppée et de Lorrain (Monsieur de Bougrelon, chef d’œuvre « décadent », est très directement inspiré de Barbey : « ce loqueteux était un grand seigneur, ce fantôme personnifiait une race, ce maquillé était une âme »).
Ou, incommensurable hommage, celui de Proust dans La Recherche. Ou de Julien Gracq dans Préférences. Ou de Guy Dupré dans Je dis nous (La Table Ronde, 2008). Ou de Morand à propos d’Une Vieille Maîtresse. Ou de Philippe Berthier, éminent aurevillien et stendhalien émérite, auteur d’une thèse sur Barbey d’Aurevilly et l’imagination (éd. Droz, 1978) qui a fait date (et souche) – et que, sauf erreur, outrageusement à notre estime, Michel Lécureur, biographe de Barbey, ne mentionne même pas : « Le plus proustien des écrivains du XIXème siècle ».
Quoi d’autre, pour compléter le bouquet, et en restituer le capiteux et si vénéneux parfum ? L’hommage magnifique de Remy de Gourmont, dans ses Promenades littéraires – repris en manière de Préface par Michel Lécureur : «Barbey d’Aurevilly est une des figures les plus originales de la littérature du XIXème siècle. Il est probable qu’il excitera longtemps la curiosité, qu’il restera longtemps l’un de ces classiques singuliers et comme souterrains qui sont la véritable vie de la littérature française. Leur autel est au fond de la crypte, mais où les fidèles descendent volontiers, cependant que le temple des grands saints ouvre au soleil son vide et son ennui. (…). Barbey n’est pas un de ces hommes qui s’imposent à l’admiration banale. Il est complexe et capricieux. Les uns le tiennent pour un écrivain chrétien, en font une sorte de Veuillot romantique ; d’autres dénoncent son immoralité et sa diabolique audace. Il y a de tout cela en lui : de là des contradictions qui ne furent pas seulement successives. On voit bien qu’il fut d’abord athée et immoraliste ; mais quand une crise l’eut rejeté vers la religion, il demeura immoraliste ainsi qu’en sa première phase, et cela parut singulier. »
Pour s’en convaincre, voir les polémiques qui accueillirent, entre autres, Une Vieille Maîtresse et Les Diaboliques – autres « Fleurs du Mal », d’un siècle qui en fut prodigue.
Pontmartin, critique littéraire résolument conservateur, bête noire de Barbey, farouche ennemi du Romantisme et du Naturalisme, ardent défenseur du Catholicisme et de la Monarchie (qu’en 1872, Bloy surnommerait le « porte-parole des catholiques du strict nécessaire ») condamnera ainsi ces « écrivains qui pensent comme Joseph de Maistre et écrivent comme le Marquis de Sade ».
Barbey renvoya dos à dos « philistins, bigots et libre penseurs », « tous les pédants de la moralité bête qui ne veulent pas qu’on touche bravement aux choses du cœur » : « Nous autres catholiques jusqu’à l’axe de notre tête, qui aimons les arts avec passion et qui avons aimé les femmes avec plus de passion encore, nous n’avons pas de ces polissonnes et cochonnes pudeurs. Quand nous faisons intervenir les passions vraies dans nos œuvres, nous n’avons pas peur de leurs cris. »
Barbey d’Aurevilly signait Lord Anxious ou Le Sagittaire, on le surnommait Le Connétable des Lettres, ses devises étaient Nevermore et Too late (eu égard, certes, aux temps prérévolutionnaires – sans doute, oui, révolus). Ses signatures et surnom étaient très exactement choisis.
Ses devises ? Moins. Qu’on en juge : Catherine Breillat l’a adapté – avec une fortune discutable – au cinéma (Une Vieille Maîtresse, 2006) ; Michel Lécureur lui a consacré une biographie (Fayard) fouillée et honnête (quoique d’une tonalité guère aurevillienne) ; depuis quelques années, Les Belles Lettres (sous la direction, irréprochable, de Pierre Glaudes et Catherine Mayaux) rééditent son Oeuvre Critique, un des massifs de la critique littéraire et d’art du XIXème siècle : Les Œuvres et les Hommes, neuf volumes, plus de dix mille pages.
Caroline Sidi, dans un remarquable article sur la critique aurevillienne, rappelle combien celui-ci la tenait pour son œuvre capitale – et à cet égard, Lécureur est d’une exactitude et d’une rigueur irréprochable, qui restitue la moindre des collaborations de Barbey au Nouvelliste, au Pays, au Constitutionnel, au Nain Jaune, au Figaro, etc. :
« Une œuvre critique qui a fini par faire brèche auprès des non-initiés, et qui avait pour projet, ni plus ni moins que l’« Inventaire intellectuel du XIXème siècle », en ses « Œuvres » et en ses « Hommes ». Dessein grandiose, démesuré, littéralement balzacien (…) : mille trois cents articles – de « forme svelte, retroussée et presque militaire » – qui visaient à offrir rien de moins que sa « Comédie Humaine ».
Avec cet avantage sur le grand ancêtre que Barbey (1808, Saint-Sauveur-le Vicomte – 1889, Paris) aura, lui, parcouru le vaste empan du siècle, assistant activement – il était de toutes les batailles – à toutes les révolutions politiques, littéraires, artistiques et éditoriales qui ont bouleversé le siècle et transformé en profondeur la physionomie du paysage « intellectuel » français, en l’accouchant à la modernité. Par là, Barbey accède au rang de « Contemporain capital » et son témoignage sur le siècle se mesure en carats. »
Fermez le ban. Est-il besoin d’insister pour dire la précieuse actualité de Barbey – et signifier son retour ?
Alors, too late vraiment ? Pas si sûr. Nevermore ? Pas plus. Ce qui précède attesterait plutôt le contraire. Barbey revient oui, et comme souvent avec un écrivain « de légende », il est accompagné d’un cortège de banalités et d’une théorie d’idées reçues. Banalités (qui confinent au « folklore ») sur son dandysme et ses tenues extravagantes – « excentriques » serait mieux dire, et plus fidèle à son anglomanie en la matière (oui, Brummell, oui, Byron). Théorie d’idées reçues sur l’écrivaincatholique-ultramontainréactionnaire-contre-révolutionnaire, etc. Un écrivain qui salue Octave Mirbeau et Jules Vallès, voire Proudhon, nous semble, quant à nous, plus fidèle à une certaine idée de la littérature qu’à une quelconque « réaction » : Vallès et Mirbeau ne s’y tromperont pas, qui le salueront à leur tour, le temps venu.
Écrivain à tempérament, de conviction, adoré ou exécré, Barbey « vomissait » les tièdes et eut le suprême honneur d’être payé de retour. Relisons ce qu’il écrivait de Thiers, un de ses morceaux de bravoure, un de ses mots d’anthologie : « Homme politique nul, qui pouvait tout faire et n’a rien fait ; littérateur nul, malgré ses quarante volumes, critique d’art nul, âme nulle ! pour toutes ces raisons, ministre, académicien et grand homme » (Les Quarante médaillons de l’Académie, Grasset, Cahiers rouges)
Alors oui, en amont, il y a Maistre et Bonald, hérauts de la Contre-Révolution, Baudelaire et Balzac, Walter Scott et Lord Byron. Il adorait (oui, je sais, « on n’adore que Dieu »…) Stendhal (en dépit de son athéisme) et E.A. Poe, et rendit hommage à Ernest Hello (« Voyant quand il s’agit de Dieu, et Visionnaire quand il s’agit des hommes ») et à Maurice de Guérin, son ami, prématurément disparu. Il exécrait Sainte-Beuve (« crapaud qui voudrait être une vipère », homériques feuilletons), Flaubert (dont il perçoit l’importance quand il lui mesure la place), Renan, Zola, Hugo (Les Misérables ? « le livre le plus dangereux de tous les temps »), Mérimée, Nerval, George Sand (un des fameux « Bas-Bleus »), Goethe, Diderot et Rousseau – lors que Voltaire est, en dépit du « reste » (athéisme, libre pensée, etc.), crédité d’une « nature aristocratique » (sic). On en passe : mille trois cents articles, c’est long, 81 ans (1808-1889), aussi. A fortiori lorsqu’on est doté d’une vitalité et d’une ardeur au combat très exceptionnelles. A fortiori, en outre, lorsque les nécessités d’ordre pratique – i.e. l’argent – vous rappellent, régulièrement, à l’ordre.
Dans un autre remarquable article consacré à « L’imaginaire du combat dans la critique aurevillienne », Caroline Sidi conclut, en aurevillienne de tempérament – et d’élection : « C’est dans (cet) « héroïsme de la défaite » que la critique aurevillienne trouve sa vocation et sa vérité. La notion de cause perdue permet d’opérer, sans déperdition d’énergie, la jonction entre la réalité des combats aurevilliens et cet imaginaire de la pugnacité qui le taraude. En ce sens, la critique journalistique, qui était considérée par Barbey comme un moyen, sera devenue une fin, et pas la moins impressionnante. La multiplicité des combats, engagés « ubique et semper » par cet Achille sans Patrocle et resté « bouillant » jusqu’à l’âge de Nestor, fait de la porte basse du journalisme une porte haute, qui hisse Barbey au rang de combattant de l’absolu, et fait de ce « Jules » qui se cherchait une caution du côté de César ou de Mazarin une figure de référence à lui tout seul. Figure qui fait mentir cette phrase amère que l’on avait rencontrée sous sa plume et suivant laquelle « un maréchal des lettres ne vaudra jamais un Maréchal de France ». Car si « les plus grands hommes en politique (comme à la guerre) sont ceux qui capitulent les derniers », cela n’est pas moins vrai s’agissant des écrivains. » Pas d’autre commentaire. Si, pourtant – un mot encore. Longtemps en charge du domaine anglo-saxon aux éditions Gallimard, Michel Mohrt, dans un texte dédié à La Varende, hasarde une hypothèse : « On a rapproché La Varende de Barbey d’Aurevilly, « manant du Roi ». Mais c’est à l’œuvre du grand romancier américain Faulkner que me fait songer celle de La Varende. Faulkner, lui aussi, a été pris pour un romancier « régionaliste », parce que son œuvre est enracinée dans le « Sud profond » : les Etats de l’ancienne Confédération du Sud qui s’étaient séparés de l’Union en 1855 et furent vaincus. (…) Lui aussi a recherché ses ancêtres (…). Ce sont ces hommes que Faulkner fait revivre dans ses romans. Il a « relevé les morts» pour se trouver des modèles et des répondants ; il a fait revivre une civilisation détruite. S’il y a une « internationale blanche » dans le midi de la France à la fin du Premier Empire, assurément Faulkner et La Varende – quelques autres aussi : le romancier espagnol Valle Inclan, le poète irlandais Yeats… – en font partie. Et je crois que l’on peut dire, en songeant à ce que ce mot représente de fidélité à des valeurs perdues, à un type de civilisation, à une religion du passé et de l’honneur, que l’œuvre de La Varende est celle d’un écrivain ‘’sudiste’’. » Ajoutons quant à nous, que l’hypothèse nous semble rien moins que « hasardeuse » et, eu égard à Barbey et à ses hobereaux «chus» du Cotentin, d’une fécondité méconnue – donc prometteuse.
L’un contre l’autre, roman resté inédit du père de l’autofiction, écrit à l’âge de 24 ans, nous permet de lire Doubrovsky avant Doubrovsky
Quand un écrivain nous donne de ses nouvelles, un écrivain dont les livres sont en place sûre dans notre bibliothèque, c’est réjouissant. Voici donc le premier roman inédit de l’auteur du Livre brisé (prix Médicis, 1989). Il a pour titre L’un contre l’autre. Nous sommes en 1952, Serge Doubrovsky a 24 ans. C’est un étudiant de l’ENS de la rue d’Ulm, à Paris. Il est né d’un père russe, juif et communiste, parlant mal le français, et d’une mère juive alsacienne, Renée Wietzmann, qui inventa une méthode de sténographie. Les Doubrovsky, rappelle Isabelle Grell, dans sa préface, ont subi l’Occupation, les pires humiliations, à commencer par le port de l’étoile jaune. « La famille sera préservée grâce à un gendarme du Vésinet, nous révèle-t-elle, qui, en 1943, à 8 heures du matin, les prévint qu’il reviendrait les arrêter une heure plus tard ». Il faut vite se cacher ; plus question d’aller au lycée. Un camarade lui passe les cours. Le jeune Serge travaille d’arrache-pied. Il passera l’agrégation de philosophie. Il fera tout pour gommer l’insupportable : être considéré comme un Untermensch par le régime de Vichy aux ordres des nazis.
Les femmes occupent une place prépondérante dans l’œuvre de Doubrovsky. Ce premier roman n’échappe pas à cette règle. On retrouve le Quartier latin, l’ambiance est « swing », comme les chansons de Charles Trenet, les filles virevoltent dans les caves enfumées, les garçons ne sont pas aussi fringants – c’est dur d’avoir à assumer la défaite des pères. L’existentialisme domine le microcosme intellectuel. Sartre contrôle les esprits. Du reste, L’un contre l’autre n’est pas sans rappeler Les Chemins de la liberté. La mère de Doubrovsky a dit que son fils révérait Sartre. Le héros de ce roman d’apprentissage se nomme Jean Thévenot, il est normalien. Mais le sexe le hante. Hélas, il n’a pas le physique de son ami Tran, un vrai tombeur celui-là. Il va pourtant trouver la femme qui le fait chavirer : Marilyn. C’est une Américaine, blonde comme une héroïne d’Hollywood. Elle doit le guérir de son cafard, « comme un comprimé d’aspirine guérit d’un mal de tête. » Isabelle Grell, toujours dans sa préface, précise que l’écrivain en herbe, après avoir souffert des oreillons, a des problèmes d’érection. Elle indique également que ce premier roman fut écrit après un fiasco amoureux. L’écriture pour combler le manque. L’écriture pour prendre sa revanche sur l’antisémitisme d’Etat. Dans Fils, Doubrovsky s’écrie : « Quatre ans, j’ai vécu la mort entre les jambes. »
Avant l’autofiction
L’un contre l’autre contient donc des éléments autobiographiques. Mais le fleuve fictionnel irrigue la narration. Il n’est pas encore question de la fameuse « autofiction », terme inventé par Doubrovsky, qui le rendit célèbre. Sa définition ductile fit couler beaucoup d’encre. J’avoue avoir du mal à la résumer ici. Le créateur de ce genre littéraire, fatigué par les polémiques, finit pas avouer, à la fin de sa vie, que l’autofiction, « c’est l’autobiographie moderne ». Dont acte. Comme l’écrit Alain Robbe-Grillet, expert malicieux en brouillage de pistes : « Le biais de la fiction est en fin de compte plus personnel que la prétendue sincérité de l’aveu.”
Il n’en reste pas moins que certaines scènes de L’un contre l’autre, réelles ou fantasmées, soulignent les qualités stylistiques du jeune écrivain. Exemple ce passage où l’on retrouve les deux amants enfiévrés : « J’étais allongé tout contre elle et ma main, ne connaissant plus d’obstacles, se jouait parmi les richesses de son corps. Sa peau encore grenue sur le rebondissement des fesses, se faisait ensuite polie et tendre, douce à caresser comme de l’ivoire. »
Serge Doubrovsky, L’un contre l’autre, préface d’Isabelle Grell, Les Cahiers Rouges, Grasset.
Adulé et détesté, l’architecte catalan a marqué de son empreinte les années 1980. De la banlieue parisienne à Montpellier en passant par le Maroc, l’Inde et la Russie, ses villes nouvelles sont reconnaissables au premier coup d’œil. Son style : un néoclassicisme en béton armé, monumental et symétrique.
Faut-il démolir Bofill ? Le béton fut son rêve de pierre, la symétrie, sa marotte, le classicisme glacé, son utopie, la grandiloquence, son cachet, et la démesure son orgueil. Dans la France des années 1980, cet ambitieux, immodeste et fringant condottiere a marqué la ville de son empreinte indélébile. Car Ricardo Bofill, c’est d’abord une « signature » qui se reconnaît au premier coup d’œil. L’art de bâtir y a-t-il gagné ? Voyez le quartier « Antigone », à Montpellier : flétri, déjà. Et déjà tellement daté.
Années françaises
L’architecte catalan s’est éteint il y a un an. Ses « années françaises » sont célébrées dans un ouvrage orchestré par Dominique Serrell, l’ancienne directrice de la branche parisienne de son agence de Barcelone, Ricardo Bofill Taller de Arquitectura. Cette somme richement illustrée s’accompagne de nombreux témoignages posthumes ou contemporains – de Paul Chemetov à Roland Castro, de feu Jacques Chirac à l’immarcescible Jack Lang, de la journaliste Michèle Champenois à l’ancien ministre de la Culture Jean-Jacques Aillagon. Le livre ne fait cependant pas l’impasse sur les prémices ibériques de l’architecte : « Barrio Gaudí », dans la ville de Reus ; « Muralla Roja », près d’Alicante ; « Castillo de Kafka », à Sitges ; sans compter les 430 appartements de « Walden 7 », non loin de Barcelone : leurs chromatismes audacieux, leurs agencements enchevêtrés, leurs allures de casbah imprenable en font sans aucun doute son œuvre la plus intéressante.
Bofill arrive à Paris dans les années 1970. Il porte beau la trentaine et les costards cintrés, est épris de Loulou de la Falaise, la muse d’Yves Saint-Laurent, et prend ses aises boulevard Saint-Germain, entre la place Furstemberg, le Flore et la brasserie Lipp. Mais son entrée en scène se solde par un double échec. La « Petite Cathédrale », projet de logements sociaux pour Cergy-Pontoise, est bloquée par Michel Poniatowski, alors député du Val-d’Oise. Quant à son « Jardin des Halles », inspiré de l’ordonnancement du Palais-Royal, il fait les frais de la rivalité entre Giscard et Chirac. D’intemporelles aquarelles et maquettes témoignent de cette utopie urbaine : des théâtres de verdure bordés d’immeubles aux façades néoclassiques rythmées par des colonnes et des pilastres. Les travaux sont déjà entamés lorsque Giscard inaugure, en janvier 1977, le Centre Pompidou signé Piano & Rogers : une tout autre esthétique ! Le nouveau maire de Paris se lance alors dans une surenchère architecturale. En octobre 1978, Chirac fait irruption dans le baraquement de chantier de Bofill et claironne : « À partir de maintenant, l’architecte des Halles, c’est moi. » Convoqué, Ricardo s’entend dire : « Je veux un Paris qui sente la frite ! » Au même moment, l’architecte est appelé à Alger parle président Boumédiène pour un programme de villes nouvelles et de « villages populaires » agricoles. Il n’hésite pas une seconde. Ce qui a été construit aux Halles est démoli. On connaît la suite. Le « trou » est coiffé des « pavillons Willerval » de triste mémoire, eux-mêmes désormais remplacés par la pisseuse résille comiquement appelée « Canopée », béant sur le plus piteux jardin public de Paris.
En guise de lot de consolation, la Ville commande à Bofill l’érection de 200 logements place de Catalogne, à Montparnasse – emplacement « jugé unanimement ingrat », dixit Dominique Serrell[1]. Et un protocole de confidentialité lui impose, en plus, de taire sa défaite des Halles. De fait, dans la rétrospective organisée en 1982 par Jean-Jacques Aillagon, à Beaubourg, pas un dessin n’illustre l’aventure avortée. Interrogé en 2022, Jack Lang – qui s’y connaît en grands projets – commente : « Les projets réalisés à la fois sous Chirac et Delanoë sont un exemple de vulgarité et de la nullité de certains hommes politiques qui ont permis la réalisation d’une telle laideur et un gaspillage énorme d’argent public. Je regrette que le projet dans le 14ᵉarrondissement, en échange des Halles, soit inadapté à son architecture. »
Sa revanche, Bofill la prend hors de la capitale. D’abord avec les « Espaces d’Abraxas », à Marne-la-Vallée : 600 logements sociaux à dix kilomètres de Paris. En 1985, Terry Gillian tourne Brazil dans cette forteresse affublée d’aimables sobriquets : « Alcatraz », « Gotham City »… Le « Palacio », 19 étages, une muraille de béton teinté dans la masse, un « théâtre » en demi-cercle et un « arc de triomphe » parachèvent l’effet monumental de cet ensemble où la symétrie règne sans partage. Dans les années 1980, une cité-jardin vient clôturer l’« axe majeur » de Cergy-Pontoise, en perspective sur la vallée. Mais c’est avec « Antigone », à Montpellier, commande du maire socialiste Georges Frêche, que Bofill s’impose comme le pontife d’un post-modernisme hyperbolique. Autour d’une « place du Nombre d’Or », il implante, sur 25 hectares, une ville nouvelle en marge de l’antique cité ; un hôtel de région mégalo, tout de verre et de béton, y trône en majesté. « Antigone est devenue ma vitrine à l’international », déclare-t-il : de New York à Shanghai, de Moscou à Tokyo en passant par l’Inde, le Maroc, l’Irak et l’Arabie saoudite, son style séduit sur tous les continents. Signature du Taller de Arquitectura à l’heure de la préfabrication industrielle, son langage visuel historicisant, enté sur une grammaire néoclassique simplifiée à l’extrême, assure sa promotion planétaire. Convertie au verre et au métal, l’agence Bofill gratifie encore Paris du marché Saint-Honoré, de quelques sièges sociaux (Cartier, Jean-Claude Decaux) et de l’hôtel Peninsula, un cinq étoiles du 16ᵉ arrondissement. Des miettes.
Et si Bofill avait remporté le concours de l’Arche de la Défense ? Et celui de la BNF-François Mitterrand ? Les modénatures de l’architecture classique tracées à gros coup de crayon sont très belles… sur le papier. Mais transposées en dur ? Le pire étant l’ennemi du mal, il n’est pas sûr que, contre Spreckelsen et Dominique Perrault, Paris aurait gagné au change.
À lire
Dominique Serrell, Bofill : les années françaises, Norma Éditions, 2023.
Le président d’Avocats sans frontières a fait un rêve.
Je rentre de Khartoum. Je me suis fait soudainement soudanais. Ça m’a coûté ce que ça m’a coûté, mais les fonctionnaires n’ont pas trop fait de difficultés, en dépit d’un dossier politique et religieux un peu compliqué. Vous me demanderez probablement pourquoi j’ai embrassé cette nationalité, alors que j’en possédais déjà deux. C’est une pure question d’opportunité ou plus exactement d’impunité. Au départ, cette nationalité ne me disait pas grand-chose. J’aurais préféré me faire italien ou brésilien, mais je choisis de le confesser, mon but était clairement intéressé.
Las d’être un Occidental cossu
C’est que je suis doublement échaudé. En tant que Français, mon président m’a expliqué que mon pays avait commis des crimes contre l’humanité en Algérie. Il paraît que les policiers français sont racistes. À Nantes, on était esclavagiste. Sans parler des partis d’extrême droite pétainistes qui se refusent à accueillir les étrangers les bras ouverts.
En tant qu’Israélien, c’est encore pire. Le soldat hébreu en Judée serait un authentique Juda, qui trahit une seconde fois l’idéal de paix christique. Il crucifierait le peuple palestinien comme ses ancêtres auraient crucifié Jésus. Comment ce peuple qui a, à ce qu’il paraît, connu le génocide ose-t-il perpétrer en Palestine un nouvel Holocauste, sous prétexte qu’il aurait subi quelques justes tracas exécutés par un groupe de résistants un peu énervés ?
Bref, j’étais un peu las lorsque je me promenais près des universités de Nanterre ou de Yale ou dans les rues de Manhattan, près de l’immeuble de l’ONU, de parler en français ou en hébreu et de me faire cracher dessus. Las d’être un Occidental cossu, un mâle blanc privilégié ne pouvant même hasarder un regard appuyé sur un membre du sexe opposé, si vous m’autorisez cette expression genrée autant que stéréotypée.
Immunité assurée
C’est alors que j’ai opté pour la filière soudanaise. Je vous la recommande discrètement. Un brevet d’impunité permanent. Un passe-droit pour la transgression. Je conseille aux incrédules la lecture enrichissante d’un article du Monde daté du 26 janvier et intitulé : « Au Soudan, la ville d’Al-Geneina théâtre de massacres à grande échelle : “Ce qui s’est passé est un génocide” ». Le correspondant évoque des massacres de masse de milliers de Noirs par des milices arabes, des viols, des exactions innombrables et 7 millions de déplacés !
L’article en question a suscité à peine trois ou quatre malheureux commentaires de ces lecteurs qui incendient Israël en permanence. J’estime que les massacres au Soudan ont suscité un millionième de la médiatisation qu’a suscitée Gaza. Et je suis bon. Voilà pourquoi c’est désormais un Soudanais qui vous écrit. Je peux tuer impunément tous les Noirs que je veux, dès l’instant où je ne suis plus un Blanc. Je peux violer les juives blanches des kibboutz, ou même les vieilles dames de 75 ans dans les provinces françaises. Aucune féministe d’extrême gauche ne m’en demandera raison.
Même sur la question esclavagiste, les associations sont super cool avec moi. Autant, s’agissant de la traite transatlantique, les Américains et les Africains sont d’une intransigeante rigueur, autant ils se font plus coulants concernant la traite arabique, plus ancienne et plus cruelle, qui perdure encore un chouia, ici ou là. Écoutez-moi, les amis un peu vifs, les copains un peu coléreux, j’ai trouvé la bonne planque : l’an prochain à Khartoum !
Et dire que notre chroniqueuse s’était lancée dans la lecture du dernier roman de Marie Darrieussecq dans l’intention d’en dire du mal
Mon libraire m’alpague, il me fait l’article, assuré et le verbe haut. Dithyrambique, il me conseille la lecture de Fabriquer une femme, roman d’apprentissage écrit par Marie Darrieussecq. Dans cet opus, objet de son dernier « coup de cœur », on retrouve les jeunes filles du village de Clèves. Il précise : « Le retour des personnages, c’est un procédé à la Balzac » et il envoie le pitch : Marie Darrieussecq raconte la vie des deux amies ; on les suit de leurs quinze ans à la maturité.
Quand on ne résiste pas à l’appel de la nostalgie
Et le bateleur de poursuivre son exposé : « Dans la première partie, l’écrivaine traite des souvenirs gardés de cette époque par la sage Rose devenue psychologue et désormais mariée à son amour de jeunesse. » Il ajoute qu’on a ensuite la version « selonSolange » de la même période(comme on le dirait pour un Évangile) puis continue à réciter, impitoyable : « Darrieussecq braque alors son projecteur sur l’impulsive Solange, actrice de seconde zone copieusement malmenée par la vie. » La dernière partie, promet-il, « réunit à Los Angeles les amies et leurs familles pour assister à la très mondaine avant-première du film réalisé par l’ex-amant de Solange. » Je résiste toujours aux assauts du bonimenteur.
« Fabriquer une femme, n’est pas seulement un roman initiatique », insiste le placier. « On y brosse aussi le portrait de la jeunesse des années Mitterrand ». Là, je suis faite ; la nostalgie est une vraie glue. Et si Darrieussecq avait vraiment réussi à la ressusciter, cette jeunesse ? Retrouverait-on, dans ce livre, le temps des cortèges contre la loi Devaquet ; le temps où on faisait le planton devant les cabines téléphoniques ; celui de la chute du mur de Berlin et de l’avènement de l’Eurostar ? On nous la rendrait donc, la génération qui écoutait du rock, découvrait les Rita Mitsouko et se pâmait devant les yeux vairons de Bowie ? On relirait L’Amant et on irait au ciné voir L’insoutenable légèreté de l’être ? Qu’on me la rende, ma « générationdésenchantée ! » J’ai le Darrieussecq en mains ; le libraire pérore toujours. Un brin paranoïaque, je me demande s’il ne me provoque pas : « c’est un roman d’avant #MeToo et conduisant à #MeToo » ; son « autrice » et « féministe ardente » l’a qualifié de « roman de l’hétérosexualité ». « Les destinées de ces deux femmes sont inexorablement liées par leur genre et leur désir de rester libres et vivantes dans un monde patriarcal ». J’ai alors le « coup de cœur du libraire » sous le bras ; cochon qui s’en dédit. Le spécialiste en profite pour me donner le coup de grâce : « Fabriquer une femme, est un récit au sein duquel les violences sexuelles sont nombreuses et avancent parfois cachées ; d’une agression dans le métro au viol par un partenaire ou encore aux abus d’un réalisateur. »
Comme je déteste le néo-féminisme vindicatif et castrateur, j’ai préféré sursoir à la lecture d’un roman que je craignais militant et continué à pester sur ce qui se publie de nos jours. J’ai fini par me décider à lire Fabriquer une femme, mais c’était, je l’avoue, dans la perspective de dauber. Je jubilais à l’idée d’exposer combien le jugement exprimé par Flaubert en 1854, dans l’une de ses dernières lettres à Louise Colet était plus que jamais d’actualité: « Ne sens-tu pas que tout se dissout maintenant par le relâchement, par l’élément humide, par les larmes, par le bavardage, par le laitage ? La littérature contemporaine est noyée dans les règles de femme. » Le roman lu, me voilà Gros-Jean comme devant ; pas grand-chose à casser et force m’est de le reconnaître, j’ai passé un bon moment. L’époque mitterrandienne est très bien rendue et l’auteur ne tombe pas dans le travers d’un militantisme néo-féministe enragé ; c’est plaisant à lire. Darrieussecq juxtapose, comme si elle les collait les uns à la suite des autres, de petits paragraphes qui reproduisent précisément les instants saillants d’une tranche de vie révolue. Son écriture resserrée et précise agit comme un révélateur: elle rend visible tout ce qui n’était plus qu’image latente ; l’ambiance, le sentiment ou l’impression d’autrefois surgissent alors, palpables. Ici, on sent la solitude étudiante que connut Rose: « Très vite, Rose avait détesté la fac de Talence, ces grands ensembles jaune et marron, ces salles orange et blanc, ces coursives trop longues où personne ne rencontrait personne, ces pelouses desséchées. Et surtout l’éloignement, le bus G qui s’enfonçait dans les bouchons avec une lenteur suppliciante et le soir, après le même retour poussif vers la ville, la tête creusée de concepts difficiles, les yeux et les sens creusés par le manque des forêts et des rivières, elle rallumait sa télé. » Ailleurs, Solange se remémore la façon dont elle ressentait son ventre d’enfant-gestante habité par une vie qu’elle n’avait pas désirée: « Un ventre pointu, bossu, avec une ligne poilue jusqu’au nombril. Immonde. » ; desabdominaux qui « font des rainures, des membranes, des ailes de ptérodactyles qui cachent un énorme reptile. »
Les eaux troubles des lendemains
Quant aux personnages, ils touchent parce qu’ils ont les préoccupations et les interrogations de tout le monde. Comment apprivoiser le sexe ? Faut-il vivre en couple et fonder une famille ; rester libre ? Choisir la sécurité ou prendre des risques ? Comment tromper la mort et la maladie ? Et surtout, ça veut dire quoi « réussir sa vie » ? Et puis, il y des hommes, dans ce roman, et ils se prennent la vie dans la tronche aussi bien que les femmes, la parité est respectée et c’est tendrement vu. Ainsi, Christian, l’amoureux de Rose est rentré dans la vie active, il a alors troqué la poésie contre l’immobilier et taquine la bouteille de Ricard. Rose le retrouve sur un quai de gare, ils ne se sont pas vus depuis longtemps : « Ses yeux avaient glissé sur ce petit costaud appuyé au mur. C’était lui, fumant avec ce geste toujours sexy, ses lèvres toujours bien dessinées, mais encadrées de joues épaisses. » On a aussi l’incontournable blaireau, dans ce roman; celui qu’on connait tous, impeccablement croqué. Il plastronne derrière le comptoir de son bar, fume des pétards, dispense des harangues libertaires et se prend pour un chaman. La relation de sa prestation amoureuse est savoureuse. Rose couche avec Marcos : « C’est bizarre les hommes. Ce grandtype sur elle qui s’agite, trop fort, trop vite. C’est à la fois absurde et excitant, mais ça ne lui procure qu’un inconfort râpeux. Surtout quand il la retourne et qu’il accélère en lui tirant les cheveux, hé ! oh pardon, contorsions, ils se réinstallent comme avant (…) Tout à coup il crie : « C’est pour toi, c’est pour toi ! »
C’est l’écriture qui fait le roman. De celle de Darrieussecq, Laurent Chalumeau dit, justement, dans l’émission « Le Masque et la Plume », en date du 12 février: « Il y a un peu dephrases métalliques à la Houellebecq, un peu d’écriture plateà la Ernaux, un peu de néo-naturalisme à la Nicolas Mathieu, sans que ça fasse Frankenstein. » On y trouve aussi la petite pointe de Duras qui va bien. On passe un bon moment, rien de plus; mais rien de moins et c’est déjà pas mal. On a décidé de poursuivre la balade avec Souchon.
Tu la voyais pas comme ça l’histoire Toi t’étais tempête et rochers noirs Mais qui t’a cassé ta boule de cristal Cassé tes envies rendu banal T’es moche en moustache en laides sandales T’es cloche en bancal petit caporal De centre commercial…
La réédition d’Une tête de chien, premier roman de Jean Dutourd, nous replonge avec délice dans une littérature aussi cruelle que comique. L’histoire de cet homme né avec une tête d’épagneul n’est pas de la science-fiction mais un conte philosophique. Alain Paucard, vieil ami de Dutourd, partage sa lecture.
Jean Dutourd publie son premier livre en 1946, à l’âge de 26 ans : Le Complexe de César. En 1950, c’est au tour de son premier roman : Une tête de chien. L’argument est simple : un enfant, Edmond du Chaillu, parfaitement constitué, naît avec une tête de chien, une tête d’épagneul. On croit d’abord que le fantastique pointe son museau, mais c’est avant tout un conte philosophique qui se construit progressivement, avec de plus en plus de noirceur dans le trait : « Les condisciples d’Edmond ne tardèrent pas à se partager en trois clans : les indifférents, les charitables et les cruels. Il professait la plus grande admiration pour ces derniers, bien entendu, tentait d’entrer dans leur intimité, de se mêler à leurs jeux, auxquels ils ne l’admettaient qu’en qualité de souffre-douleur. » Dutourd, qui a connu la « drôle de guerre » (Les Taxis de la Marne), la Résistance, l’arrestation par la Milice, puis son évasion (« indispensable car il paraît que je devais être fusillé le lendemain »), la libération de Paris (Le Demi-Solde) n’a plus guère d’illusions sur la nature humaine, et Edmond du Chaillu devient rapidement le prototype de l’individu qui, luttant pour sa survie, ne voit que la singularité comme planche de salut. Ses parents et lui se séparent « à l’amiable » : « C’est ainsi qu’on se sépare définitivement des gens qu’on aime le mieux, sans une explication, sans une tentative. »
Chienne de vie !
La vie d’Edmond n’est pas facile, mais il se sort plutôt bien du service militaire, passé à Brioude (en fait la ville où le père de Dutourd, veuf quand Jean avait 7 ans, l’emmenait en vacances). Cela se complique quand il s’agit de travailler : « Il donnait des leçons de latin qu’on lui payait moitié prix à cause de sa tête. » Désespérant de ses diplômes, il se rabattit sur des emplois moins relevés : « infirmier, commis d’épicerie, manœuvre. À l’hôpital, on lui dit qu’il donnerait des chocs nerveux aux malades ; à l’usine que sa présence déclencherait des grèves ; à l’épicerie qu’il ferait fuir les clients. » Il refuse d’être veilleur de nuit pour ne pas être « chien de garde ».
Le moyen le plus courant « d’échapper à sa condition », c’est de gagner de l’argent. Edmond joue en bourse : « Rien de plus simple. Il suffit d’acheter à la baisse et de vendre à la hausse. Petite vérité qu’aucun agent de change ni aucun spéculateur n’a comprise. » Il gagne donc beaucoup d’argent, s’installe dans une superbe demeure à Louveciennes et, surtout, il rencontre Anne, qui est son « destin ». En une dizaine de pages, Dutourd montre la « cristallisation », chère à Stendhal, autre personnalité à laquelle il consacrera un essai (L’Âme sensible), et Une tête de chien annonce son chef-d’œuvre : Les Horreurs de l’amour, deux termes antagoniques, mais révélateurs des rapports humains.
La fin est bouleversante, mais je ne la relate pas. Une tête de chien est avant tout une métaphore. Dans son poème Les Philistins, mis en musique par Brassens, Jean Richepin avertit les « Philistins, épiciers […] notaires » : « Mais pour mieux vous punir / Un jour vous voyez venir / Au monde / Des enfants chevelus / Poètes ». Tout poète, tout artiste, toute personnalité exceptionnelle a une tête de chien. Et Dutourd assume la sienne. Il fréquentera et admirera d’autres têtes de chien, dont une des plus belles du XXe siècle : de Gaulle (Conversation avec le Général).
Vivre en bourgeois
Dès la sortie d’Une tête de chien, on traça un parallèle avec l’univers de Marcel Aymé. Dans les deux cas, le fantastique n’est pas le but, mais le prétexte. Chez Marcel Aymé, pas de vampires ni de loups-garous, mais des hommes qui changent de visage (La Belle Image), qui traversent les murs (Le Passe-Muraille) sans autre but que de révéler des complexités humaines. Dutourd ne touchera que de loin aux « genres ». 2024 n’est pas un roman de science-fiction. Mémoires de Mary Watson et L’Assassin ne sont que des polars effleurés. De Marcel Aymé, Dutourd écrit : « Quand je publiai mon roman Au bon beurre, plusieurs critiques m’apparentèrent à Marcel Aymé. J’étais jeune : j’en fus vexé. Je ne voyais pas qu’on me faisait une immense louange » (La Chose écrite). Dutourd renchérit pour expliquer pourquoi Aymé ne fut pas toujours considéré comme un grand écrivain : « Il était plutôt de droite, n’avait pas de biographie, vivait bourgeoisement à Montmartre. » Vivre bourgeoisement, ce n’est pas être un bourgeois. Aymé, Dutourd ou l’immense Guitry vivaient en bourgeois, c’est-à-dire avec tout le confort possible, mais ils étaient profondément anarchistes, ils fichaient la paix à l’État afin que l’État leur fichât la paix, ils se méfiaient des idées, quelles qu’elles fussent : « Lorsque le monde disait noir, je devais automatiquement, sans réfléchir, dire blanc, car une idée cesse d’être vraie quand elle est partagée par le plus grand nombre […] qu’elle se schématise, qu’elle se simplifie, qu’elle devient une caricature, et surtout un instrument d’intolérance » (Loin d’Édimbourg).
Il arrive souvent, tout au plaisir de (re)découvrir un texte, que nous ignorions les préfaces et les notes. Dans ce cas-ci, ce serait pire qu’une erreur, une bêtise. Max Bergez se bat comme un lion pour, déjà, trois rééditions de Dutourd : Les Dupes et Les Horreurs de l’amour au Dilettante et Une tête de chien chez Gallimard, en attendant Le Déjeuner du lundi. Bergez reproduit notamment une lettre insolente de Dutourd à Robert Laffont qui rechigne à le publier : « Ma confiance en moi est une affaire personnelle et je ne peux raisonnablement demander à aucun éditeur de la partager. » Gaston Gallimard se révélera plus « partageur ».
Dutourd reçut, le 20 juin 1951, le prix Courteline, dont des têtes de linotte pensent encore qu’il fut un auteur charmant, amusant. Courteline est cruel avec le sens du comique. C’est une marque de grand écrivain. Dutourd fut cruel et comique avec beaucoup de bonhomie pour ses semblables. Y aura-t-il un prix Dutourd ?
À lire
Jean Dutourd, Une tête de chien (éd. et préface de Max Bergez), Gallimard, 2023.
À l’heure où le contrôle numérique menace nos vies, et où l’on observe l’avènement de ce que d’aucuns appellent la « démocrature », on peut se réfugier dans la lecture du dernier essai du philosophe suisse Eric Werner…
En 2008, je parlais pour la première fois d’Éric Werner, politologue suisse, professeur de sciences politiques à l’Université de Genève. Il avait alors signé à L’Âge d’Homme deux essais remarqués, L’Avant-guerre civile et L’Après démocratie, où il étudiait avec une rigueur d’entomologiste les dérives de notre modernité tardive.
Maquis 2.0
Dans un autre livre, Ne vous approchez pas des fenêtres, ce disciple du philosophe russe Alexandre Zinoviev se penchait sur « les postiches de la démocratie-fiction » et jouait finement du paradoxe pour démonter maints discours lénifiants, par exemple sur la gouvernance. Depuis toutes ces années, il bâtit son œuvre tout en collaborant à L’Antipresse de mon ami Slobodan Despot.
Dans Prendre le maquis avec Ernst Jünger.La liberté à l’ère de l’État total, il étudie les nouvelles formes de domination alors que se restreignent les libertés, et particulièrement la liberté d’expression (« Vous ne pouvez pas dire cela » est devenu un leitmotiv que nous entendons tous de plus en plus souvent) et que se détricote notre civilisation par l’effacement des références et des mémoires, par l’amnésie programmée (par exemple dans les écoles). Dans ce contexte, ne pouvons-nous pas presque parler d’une démocratie sans liberté ? L’État protège-t-il encore les citoyens… ou livre-t-il une guerre contre sa propre population ? Demeure-t-il le gardien des frontières ou les considère-t-il comme obsolètes, voire abolies ? Combat-il réellement la délinquance… ou celle-ci n’est-elle pas devenue un outil de pouvoir ? Défend-il la famille traditionnelle et l’école, garantes d’un authentique lien social ou favorise-t-il leur « déconstruction » (comprendre leur destruction, pierre par pierre), l’asservissement passant par l’anomie et par l’analphabétisme de masse ? En quoi le recours aux forêts, défendu jadis par le grand écrivain allemand Ernst Jünger (1895-1998), peut-il inspirer notre réflexion à l’heure du contrôle numérique et de la (vertueuse) restriction des libertés publiques, quand s’étend ce que Tocqueville, dans Dela Démocratie en Amérique, appelle « un pouvoir immense et tutélaire (…) absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux » ?
Salut à Sylvain Tesson
Pour tenter de répondre à ces questions délicates, Éric Werner relit le Traité du Rebelle de Jünger (paru en 1951), et aussi Sur les Falaises de marbre, ce roman publié de manière miraculeuse en 1939 et dont la traduction française de 1942 inspira Julien Gracq et d’autres rebelles. Plus qu’une dénonciation de l’hitlérisme (ou du stalinisme), ce qu’il était entre autres, ce roman visionnaire mettait en scène de manière dantesque l’inexorable montée du chaos et de la barbarie.
Le Traité du Rebelle, ou le recours aux forêts est la (longue) traduction française du titre allemand original, plus lapidaire, Der Waldgang, littéralement « la marche en forêt ». C’est l’idée de marche à pied qui importe ici, car le Waldgänger, traduit en français par « Rebelle », est avant tout « celui qui marche en forêt », un piéton donc. Ce piéton résiste à sa manière à l’automatisation globale, pressentie par Jünger sous la forme de « l’inexorable encerclement de l’homme » par un État total, prélude à sa liquidation rationnelle. Jünger avait certes en mémoire les tueries industrielles de 14-18 et de 39-45, décidées et mises en place par une caste d’ingénieurs dépourvue d’ethos comme de nomos – l’incarnation du nihilisme. Pourtant, il voyait plus loin, sans doute grâce à son frère, le poète Friedrich-Georg, auteur d’un fondamental LaPerfection de la technique.
L’un des multiples intérêts de l’essai d’Éric Werner, d’une magnifique densité, réside aussi dans l’éloge de la marche à pied, illustrée par un salut mérité à Sylvain Tesson, dont le récit Sur les Chemins noirs, narrant sa traversée en diagonale d’une France désertée, prend une valeur réellement initiatique en tant que défense d’une forme de secessio nobilitatis. L’immonde pétition dont Tesson fut récemment la cible démontre que la meute, toute à son adoration impie de la soumission, n’attend qu’un signe pour se jeter sur les piétons solitaires. Le comble de l’indécence réside à l’évidence dans la prétention de ces chacals à être des hommes libres.
Eric Werner, Prendre le maquis avec Ernst Jünger. La liberté à l’ère de l’État total, La Nouvelle Librairie, 110 pages.
Le numéro de février de Causeur est une charge virulente contre les enfants de post-soixante-huitards «intraitables sur les bonnes mœurs». Mais s’il s’agissait finalement moins d’un retour de bâton légaliste, que du rappel d’un ordre symbolique passablement jeté aux orties ? Ce qui n’empêche absolument pas un puritanisme très protestant de faire, lui aussi, retour, par la même occasion, certes. Tentative de trier le bon grain de l’ivraie…
On incrimine volontiers aujourd’hui la liberté sexuelle induite par 1968 en en faisant la cause des maux de notre époque. Cette liberté était à priori pour des adultes consentants et les dérives qui ont pu en découler ne tiennent pas tant à la liberté en question qu’à la confusion des générations qui a mis sur le même plan les adultes et les enfants.
À la lecture des livres de Vanessa Springora, de Camille Kouchner et à l’écoute des propos d’Adèle Haenel ou, plus récemment, de Judith Godrèche, ce qui frappe est soit la présence de parents ou d’adultes se comportant avec les enfants comme si ces derniers étaient au même niveau qu’eux, soit leur absence radicale du paysage. « Mes parents n’avaient pas de place, ils ont été effacés. S’ils auraient pu se battre ? Oui, sûrement, moi, je l’aurais fait… » Judith Godrèche à France-inter.
L’époque des chaperons étant révolue, on peut tout de même s’interroger sur l’extraordinaire passivité de parents face à des situations réclamant, pour le bien de tous, un minimum de vigilance. Ainsi, Adèle Haenel se rendait seule chez son metteur en scène, entre l’âge de 12 et 15 ans, pour y passer le week-end. Quand on sait qu’une actrice est forcément un objet de désir pour celui qui la filme, c’est protéger toutes les parties, et en priorité les plus jeunes, que de mettre un tiers entre eux. Cela s’appelle prévoir. De la même façon, Vanessa Springora ne semble pas avoir bénéficié d’une protection parentale quelconque ; il semblerait même qu’il y ait eu une sorte d’accord tacite de la part des adultes alentour. Faut-il, enfin, rappeler que ces adolescentes étaient mineures et que la loi n’autorise pas une relation sexuelle entre un adulte et un mineur. Tout simplement. Sans doute parce que la loi n’imagine pas qu’il puisse y avoir réellement consentement entre un majeur et quelqu’un qui ne l’est pas.
Quant au livre de Camille Kouchner, par-delà le geste incestueux d’un beau-père à l’encontre de son beau-fils, c’est surtout une génération d’intellectuels qui est ici évoquée, où la confusion règne entre les générations ; où on se balade nu devant tout un chacun, où les enfants sont témoins d’une intimité qui devient intrusive, où on leur parle comme à des adultes, y compris pour faire des allusions sexuelles à leur endroit, voire demander à une fille pas encore pubère de mimer l’acte sexuel avec ses doigts devant tout le monde. Et où l’on n’hésite pas à photographier les fesses de la fille en question et à en faire un poster pour le salon. Sans compter qu’on n’en finit pas d’exiger d’eux qu’ils soient libres… mais à la façon des grands ! Injonction terriblement paradoxale. Sois libre ma fille, et fais comme maman !
Et c’est là que le bât blesse. La liberté sexuelle n’implique pas la confusion des générations. Et si cette dernière n’entraîne pas nécessairement des actes incestueux, elle est, par définition, incestuelle et suffit à brouiller les esprits. Il n’y a pas de synchronie entre les parents et les enfants ; une génération les sépare et cette séparation est fondamentale. Et peu me chaut que des adultes éprouvent du goût pour des pratiques sexuelles en tous genres. En revanche, les enfants n’ont tout simplement pas à y être mêlés. C’est le déni de la différence générationnelle qui est profondément destructeur, et pas la liberté que des parents respectueux de leur propre intimité comme de celle de leurs enfants s’octroient. Il ne faut pas, pour le coup, confondre les deux. Mais c’est bien parce qu’il y a eu, pour certains, confusion entre les deux qu’il y a retour de bâton de la part des enfants en question.
L’écheveau passablement confus de cette intrigue à tiroirs met un bon moment à se clarifier (plus ou moins). Un vieillard nonagénaire d’origine hongroise s’étant dissimulé, après-guerre, sous l’identité d’un héroïque soldat de Tsahal, passe en jugement à Tel-Aviv en présence de sa propre fille (dont on verra que sa présence auprès du grabataire changera du tout au tout le cours du procès), et d’une rescapée d’Auschwitz appelée à témoigner contre celui en qui elle reconnaît avec certitude le bourreau de son enfance.
L’ancienne déportée est accompagnée son fils, Ori (Yona Rozenkier), un homme plutôt perturbé, lequel croise au tribunal une écrivaine française d’un certain renom, Anna (Valéria Bruni-Tedeschi), en qui il est persuadé, quant à lui, de reconnaître en cette femme son ancien amour fou d’il y a 20 ans, à Turin. Ce qu’elle nie, prétendant ne l’avoir jamais vu.
Au fil d’improbables péripéties, le récit se resserre sur Ori et Anna, duo incarné par le comédien, scénariste et réalisateur franco-israélien Yona Rozenkier, et l’actrice, cinéaste (et sœur de Carla Bruni) si volontiers coutumière des rôles borderline. Sous prétexte de la conduire à l’aéroport où un vol pour l’Europe attend Anna, Ori l’enlève à bord de son van dans une loufoque équipée dans le désert, échappée dont le dénouement déjouera tous les pronostics. Bien des lacets sur cette route mémorielle à deux voies (et à deux voix) qui se perd dans les sables.
Il n’y a pas d’ombre dans le désert. Film de Yossi Aviram. Avec Valéria Bruni-Tedeschi et Yona Rozenkier. Couleur. Durée : 1h41 En salles le 28 février 2024.