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Calet, populiste d’élite

La chronique dominicale de Monsieur Nostalgie


Calet, populiste d’élite
L'écrivain Henri Calet © PHOTO HARCOURT / AFP

Monsieur Nostalgie célèbre les 120 ans d’Henri Calet (1904-1956), le journaliste-écrivain des « petites gens »


On l’ouvre au hasard, et, miracle, on le lit encore. À la volée, une chronique, un reportage, un portrait de quelques feuillets, un récit de voyage, comme ça, par plaisir, par désœuvrement, par hygiène intellectuelle aussi. Dans nos bibliothèques garnies de sommités, rares sont les écrivains à tenir la distance et à procurer cette brève et intense immersion dans la littérature avec les rogatons de l’existence. Directe, sans filtre, sans curatelle et appareil critique. Céline et Jules Renard, dans un registre possédé et chirurgical, éruptif et vipérin, offrent le même ondoiement répété. Tant d’autres, couronnés et choyés par les érudits encartés, assomment, jargonnent, grincent, soliloquent, dès la première phrase. Ils sont lourds et souvent inaptes à l’écriture, à la création, en somme, donc, au commerce des mots. Ils ennuient d’abord, puis agacent fermement. On finit par les abandonner dans les rayons les plus élevés, inaccessibles à hauteur d’homme. C’est la punition que je leur inflige dans mon Berry, ma modeste contribution à tous les surcotés de la Terre. Chez Calet, le style est allégé de toutes impuretés et fatuités, il n’en demeure pas moins classique dans sa forme et son équilibre, il est dépourvu d’excès et de flambe ce qui lui donne un éclat toujours nouveau. Il est faussement journalistique dans son esprit. Derrière ce ton informatif de façade, d’un réalisme un peu trop sérieux à mon goût, toutes les personnes qu’il interroge, nous apparaissent alors dans leur dimension fictive. Il les met à plat sur le papier, non pas pour les grandir, plutôt pour leur tendre un miroir psychologique. Calet ne trahit pas leur vérité, il ne les caricature pas, ne les moque pas ; sous sa plume, ces inconnus ne ressortent pas embellis ou transformés. Calet n’est pas un politicien attiré par la misère ou l’un de ces progressistes ébaubis que l’on rencontre aujourd’hui sur les plateaux de télévision, sa fibre sociale n’annihile pas son talent d’écrivain. Ses idées ne sont pas un frein à sa prose. Il creuse, par ses nombreuses enquêtes sur le terrain, une galerie de quidams fatigués, d’anonymes qui nous touchent, d’insignifiants qui peuplent la capitale et ravivent la mémoire des rues. Son œuvre a assurément une valeur documentaire sur l’immédiate Après-guerre mais elle ne se limite pas à une litanie de poncifs sur la pauvreté urbaine ou le mal-logement. Calet est trop subtil et sincère pour servir une quelconque cause.

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« Ceux qui ne sont rien », formule punitive de notre président, ont trouvé refuge dans ses livres. Ils en sont le substrat et l’onde nostalgique. Leur déterminisme qui semble, à priori, les accabler ne les dépossède pas totalement de leur propre individualité. Calet ne les indivise jamais, il ne les idolâtre pas non plus, son ironie rieuse s’infiltre souvent dans ses pages, elle vient désamorcer ainsi une charge lacrymale trop pesante. Son acte de naissance l’a poussé vers « le petit peuple » de Paris bien qu’il se soit aventuré, par la suite, dans les hautes sphères avec des prudences de sioux. En vérité, il ne semble à l’aise dans aucun milieu, d’où cette forme de raideur et d’élégance sur les photos d’époque. De réserve à l’évidence, son snobisme à lui. Dans un livre de poche datant de 1966, on le présentait ainsi : « Après ses études, il exerce divers métiers, voyage, enseigne le français à l’étranger. C’est aux Açores qu’il commence son premier roman : La Belle lurette (1935) ». Déjà, on perçoit un goût certain pour le flou, les identités successives, les méandres en héritage, Calet aura marché toute sa vie sur des voies parallèles. Qu’il collabore au journal Combat avec Albert Camus ou pour le Elle d’Hélène Lazareff, qu’il écrive des textes à la radio et à la télévision, qu’il fasse la navette entre le Parisien Libéré et Gallimard, il demeure cet apatride des Lettres. Jamais en pole position et, malgré tout, connu des rédactions ou du milieu de l’édition, il rate de peu le Prix Albert-Londres et remporte le « Prix de l’Humour » en 1950 pour L’Italie à la paresseuse.

Malade du cœur, il s’éteint à Vence en 1956 à l’âge de cinquante-deux ans. Son parcours, hors des clous et des académies, nous le rend proche. Adepte du « fourre-tout », genre hybride mariant l’autofiction et la chronique, parisien viscéral (« J’ai tété son lait, j’ai respiré son souffle »), éternellement repêché par quelques éditeurs et lecteurs fervents depuis bientôt soixante-dix ans, il aura surtout beaucoup écrit pour manger. La gamelle et l’écriture auront été ses priorités absolues. François Nourissier le qualifiait de « classique populiste ». Je ne me lasse pas de son rideau de grisaille et de cette désillusion qui sonne comme une délivrance ; à propos de Paris, il écrivait « Je crois parfois que c’est mon champ. Voilà longtemps que je le laboure et que je le sème : rien n’a germé, rien n’a fleuri ». Peut-être que la meilleure définition de Calet, celle qui s’approche le plus de sa vérité, on la doit à Michel Petrucciani disparu il y a vingt-cinq ans (lire Jazz Magazine de février 2024) parlant de sa musique : « Aujourd’hui, je tourne moins autour de notes elles-mêmes que leur couleur. L’important, c’est de donner au bon moment sa juste couleur à tel ou tel accord ».




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Journaliste et écrivain. A paraître : "Et maintenant, voici venir un long hiver...", Éditions Héliopoles, 2022

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