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Françoise par Caroline

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Tous les lundis à 21 heures, Caroline Loeb est Françoise Sagan au Théâtre de Poche Montparnasse sur une mise en scène d’Alex Lutz avec la collaboration de Sophie Barjac. L’intelligence sans fard, la drôlerie frivole, la profondeur non pesante, la malice de la romancière éclatent sur la scène dans une interprétation virtuose. « Françoise par Sagan » est un cadeau de Noël.


D’abord, il y a le mimétisme. Presque la copie conforme. Le trouble est délicieux. La même démarche, les sautillements, puis les recroquevillements, la manière de porter sa cigarette, de traverser la scène comme si elle voulait éviter les danseurs fatigués sur la piste de chez Castel. Les pauses aussi dans le noir, de profil, dans un demi-silence, est-ce un chat noir des boulevard ou Juliette Gréco sortie des caves de Saint-Germain ? Sphynx des « fifties », parfum de Normandie, herbes folles et roulette de casino, petit matin pluvieux et amitiés fécondes, Sagan est bien là, devant nos yeux. Son incarnation. Sa poursuite. Difficile de faire la différence. Dès les premiers instants, on voit danser cette cavalcade qui a surgi dans le paysage littéraire après le Prix des Critiques en 1954. Elle secoua si fort l’édition que cette vieille maîtresse acariâtre ne s’en est toujours pas remise. Son onde oscille encore. Il ne s’agit pas d’une imitation qui serait grotesque et déplacée, il s’agit plutôt d’une survivance de la mémoire. Entre nous, dans l’intimité du théâtre où le faux et le vrai perdent la raison, on visite un monument de la littérature. Une idole d’un métier aujourd’hui disparu. On voyage avec elle, dans ses mots (le texte de la pièce est tiré des entretiens de « Je ne renie rien »).

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Tout est là, en place, les gestes naturels, l’impression très agréable de passer une soirée dans le feutré d’un bar d’hôtel, d’échanger des confidences avec l’enfant chérie des librairies, de comprendre sa mécanique, de se frotter à cette montagne. Sagan n’est pas un charmant petit monstre, elle est une montagne de volonté, un monstre de travail. Un bulldozer qui ne sue pas. On est aux anges car la chorégraphie s’anime. Le côté fluet de ballerine, bourgeoise propédeutique, fille de famille espiègle et taiseuse s’agite et puis, le côté terrien, cette franchise et cette absence de jugement dans ses propos, nous terrassent par son intelligence si peu commune. Françoise était une fille du Lot, elle déroute par son honnêteté. Contrairement aux spécimens menteurs de son espèce, elle n’esquive pas. Frontale. Elle assume tout, ses dévers et ses succès. Ses excès de vitesse et ses addictions. Elle ne se victimise jamais, elle a trop d’honneur. Elle ne quémande rien. On est saisi par cette silhouette d’un autre temps, de mise modeste, qui bientôt va laisser éclater son brio. Un brio non trafiqué pour épater la galerie, un brio de naissance, d’essence pure. Caroline Loeb, magistrale, jamais caricaturale, fluide et décidée, avance dans l’épure. Parfois, elle se déchausse ; parfois elle nous tourne le dos. L’arabesque est souple. Les ruptures de lumière l’habillent. Les coutures de la mise en scène disparaissent. Elle fait corps avec son personnage et nous avec cette figure. Rarement, j’ai entendu une telle qualité d’écoute dans une salle parisienne un lundi de décembre ; ce soir-là, même les tousseurs et les marmonneurs se sont tus. Par respect. Sagan ou Loeb, on ne sait plus très bien, nous obligent à une certaine vérité. Après, le corps, la voix si reconnaissable, si identifiable, surtout dans ses accélérations finales, se glisse dans la nuit d’hiver. Caroline Loeb se dédouble.

Il y avait chez Françoise Sagan, une rythmique propre à La Fontaine, c’était finalement une moraliste endiablée, elle avait le bonheur enfantin de construire des phrases, de surprendre son auditoire et de feindre l’indifférence avec un clin d’œil. Elle ne jetait pas les mots à la va-vite, elle en mesurait l’écho, elle s’en amusait, se délectait même de leur impertinence et pourtant, elle ne voulait pas tricher. Là, réside sa supériorité intellectuelle. Comme un bon joueur de poker, elle masquait ses coups, mariait les paradoxes, et nous mettait à terre par une fulgurance. Elle dégainait des maximes sans l’air d’y toucher. La morale de ses anecdotes, de ses souvenirs, de ses turpitudes est purificatrice dans notre époque vermoulue. Caroline Loeb nous transmet cette vivacité d’esprit-là.

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Michel Bouquet avait des doutes sur l’art d’enseigner la comédie, il disait seulement à ses élèves, de ne pas trahir le texte. Rien que le texte. Caroline Loeb nous donne la pulpe du texte. Elle évoque l’enfance, l’argent, l’amour, la mort, la sexualité, le théâtre, l’amitié, la nature, la solitude et l’écriture. Entre nous, sur l’écriture, on dit beaucoup de choses banales et gonflées, la banalité était étrangère à Sagan.

La gauche Diafoirus

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« L’extrême droite, l’extrême droite, l’extrême droite, vous dis-je ! » 


Fièvres pourprées avec transports au cerveau, lassitudes par tous les membres, voile islamiste devant les yeux, narcotrafic pour tous, parlement hystérique et impuissant, 3500 milliards de dette publique et l’Europe-citadelle sans remparts prise d’assaut, au sud, à l’est, à l’ouest, qui fait la Cosette… Contrairement à ceux d’Argan, les maux de Marianne ne sont pas imaginaires.

Le camp du bien qui depuis des générations se complait dans l’empyrée des bons sentiments et le rousseauisme lacrymal est rattrapé par le réel, désemparé. Un malheur n’arrive jamais seul : l’Arcom donne raison à CNews, l’Institut Thomas More prouve que Radio France est woke. Le gauchisme d’atmosphère exaspère, l’audience baisse. Mauvaise passe ? Comment noyer le poison ? Pour les benêts de la crèche progressiste, tout est simple. Diabolus ex machina, l’extrême droite menace le monde ; contre ce fléau, il existe un remède miracle, les impôts. Rabâchée ad nauseam la double imposture devient vérité.

« L’extrême droite, l’extrême droite, l’extrême droite, vous dis-je ! » 

A Moscou, Pékin, rue d’Ulm, au Flore, éclairé, éclectique, l’intellectuel progressiste n’a jamais manqué d’idoles : Marat, Fouquier-Tinville, Hegel, Marx, Lénine, Staline, Trotski, Castro, Mao, Khomeiny, Maduro, le Hamas… A la grande époque, les esprits supérieurs, déployaient et repliaient dans le jargon, le futur radieux, la surhistoire de la logique du concept, la fonction ligaturante de la praxis et du goulag. Un seul maître vous manque, et tout est dépeuplé.

Ramollie par la chute du mur de Berlin et l’écroulement des humanités, la gauche a abandonné les farces et attrapes de la dialectique négative pour se reconvertir dans des Bourdieuseries de Prisunic, l’indignation en rose et noir, la moraline. Elle recycle ses anchois avariés en produits exotiques : guerre des genres, des sexes, lutte des races, L’Éthique à Nikoumouk. L’objectif reste l’abolition des frontières, la libanisation, le communautarisme, la destruction de l’Etat, de la nation, jouir sans entraves, l’émancipation, la rééducation. Pas de liberté pour les amis de la liberté. Sandrine Rousseau déconstruit les hommes, Ian Brossat veut interdire Le Figaro Magazine, Emmanuel Macron souhaite labelliser les médias. Il faut fendre la presse.

L’extrême droite, dont le centre est partout et la circonférence nulle part, est une lotion magique, dangereuse, insaisissable, indispensable, qui fait dresser les cheveux sur la tête. « Facho » : le mot magique qui disqualifie l’adversaire et dispense de réfléchir. Autour d’un noyau maléfique, la « fachosphère » – intensité neuf sur l’échelle de « Reichter » – gravite une infinité de droites et tangentes fascistoïdes : réac, passéiste, dure, Bolloréeuse, Causeuresque, demi-molle, ultra-conservatrice, libertarienne, illibérale, crypto-ante-néo-libérale, populiste…

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Hitler, Jordan Bardella, Marine Le Pen, le mamba noir, Gargamel, Vincent Bolloré, Pierre-Édouard Stérin, Dracula, Philippe de Villiers, Néron, la vipère du Gabon, Alain Delon, Michel Sardou, Boualem Sansal, Jeanne d’Arc, Hergé, le capitaine Haddock, Louis XIV, Brigitte Bardot, Méphisto, Bruno Retailleau, Adolfo Ramirez, Olrik, Spectre, Éric Zemmour, Zeus, Zorglub, sont d’extrême droite.

Tout le monde a été, est, ou sera d’extrême droite. Elle est partout… Elle défend les frontières, les principes, la famille, l’Académie française, la Marseillaise, le latin, la laïcité, les crèches de Noël, le travail, le mérite, la morale, les Chrétiens d’Orient, la culture, les traditions, le nauséabond qui nous rappelle les heures les plus sombres… Les « Grosses Têtes » progressistes, silentiaires de France Inter, inquisiteurs, dénonciateurs démonologues, Patrick Cohen, Thomas Legrand, Thomas Piketty et les oies du Capital, « font ce qu’il faut », excommunient, pourchassent les mal-pensants, vipères lubriques, hyènes dactylographes de CNews.

Plus le camp du bien s’angoisse, alerte, dénonce, plus les malfaisants prospèrent. Le peuple a compris la tartufferie des guérilleros de Télérama, Francs-Tireurs et Partisans du Festival de Cannes, sous contrat Lancôme. Les « sans dents » ne votent plus à gauche. Les promesses démago, paranoïas ubuesques, prophéties auto-réalisatrices, nourrissent l’incrédulité, le désespoir, les fanatismes.

Le Grand-Guignol antifasciste, l’hystérie de convenance, tiennent lieu de programme et de ciment aux gauches éparpillées, décérébrées. Les pompiers incendiaires, crieurs patentés aux loups d’extrême droite, instrumentalisent l’histoire et la douleur des dizaines de millions de victimes du totalitarisme. Les procès en sorcellerie insultent la mémoire de nos aïeux qui ont souffert dans leur chair, l’oppression, la violence, les barbaries, fasciste, communiste, nazie. Comment sortir de la nasse ?

« Des impôts, des impôts, plus d’impôts, vous dis-je ! »

Égrotante, déprimée, Marianne cherche désespéramment un médecin compétent et conventionné. Confrontés aux déficits abyssaux, une croissance atone, un chômage structurel, la désindustrialisation, certains praticiens, un prix Nobel d’économie (Jean Tirole), le Président de la BPI (Nicolas Dufourcq), suggèrent d’alléger le fardeau de la dette, de réduire le train de vie de l’Etat, de remettre la comptabilité au carré, des potages légers, une cure de vitamines C pour encourager l’esprit d’entreprise, pour retrouver des marges de manœuvres et échapper à la cessation des paiements. Rien n’y fait.

« Ignorantus, ignoranta, Ignorantum.Il faut boire votre vin pur, et, pour épaissir votre sang, qui est trop subtil, il faut manger de bon gros bœuf, de bon gros porc, de bon fromage de Hollande; du gruau et du riz, et des marrons et des oublies, pour coller et conglutiner » (Toinette, Le Malade imaginaire). Thomas Diafoisrus Piketty, Gabriel Zucman Purgon, les stakhanovistes des RTT, tous les connétables du déclin, à la barre depuis 1981, ont un programme unique, inique : planter des impôts pour récolter des fonctionnaires et réciproquement ; une obsession, trancher ce qui dépasse, saigner, purger et tondre les entrepreneurs. Pour soigner le foie, la rate, le chômage, les déficits, l’insécurité, une solution : la taille, la gabelle, la capitation, la CVAE, CFE, CSG, CRDS, IFI, des impôts vous dis-je ! A venir, une Contribution des Hauts Patrimoines et l’impôt sur les os.

« Vous avez là aussi un œil droit que je me ferais crever, si j’étais à votre place ; Ne voyez-vous pas qu’il incommode l’autre, et lui dérobe sa nourriture ? Croyez-moi, faites-vous-le crever au plus tôt: vous en verrez plus clair de l’œil gauche » (Le Malade imaginaire).

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Notre-Dame de Paris à l’Opéra: après l’incendie de 2019, une autre calamité

Fresque insipide, dépourvue du caractère épique du roman de Victor Hugo dont elle s’inspire, Notre-Dame de Paris de Roland Petit est l’exemple même de la futilité et de la médiocrité de l’auteur…


On a peine à croire aujourd’hui que Roland Petit, auteur de cette production qu’est Notre-Dame de Paris, créée en 1965 pour le Ballet de l’Opéra et que ce dernier reprend en décembre 2025, mais dans le triste hangar de la Bastille, on a peine à croire que Roland Petit ait pu connaître en son temps une telle renommée, que ce soit en France comme à l’étranger, en Italie tout particulièrement. Les bras mêmes vous en tombent. Et il est à croire qu’une bonne part de ce peuple français auto-proclamé peuple le plus spirituel de la terre aurait plutôt des goûts de concierge, de garçon coiffeur ou de notaire de province. 

À Paris, le public conspuait Martha Graham dans les années 1950, Merce Cunningham dans les années 1960 et 1970, Pina Bausch à l’aube des années 1980, alors qu’il applaudissait frénétiquement Roland Petit. C’était, il est vrai, le public du ballet, plus conservateur, plus écervelé, plus futile que tout autre, pour ne pas être davantage explicite. Les chorégraphes les plus novateurs, ceux que la postérité saluera comme des créateurs de génie, seront tout d’abord reconnus par des publics plus évolués, ceux du théâtre ou des arts plastiques. 

Un roman de gare

Alors que Kurt Joos, José Limon, Martha Graham ou même George Balanchine, dans la même lignée de la danse narrative, avaient composé des chefs d’œuvre en quelques traits d’une force et d’une éloquence inouïes, et que Maurice Béjart incendiait des salles immenses avec son Sacre du printemps daté de 1959, Roland Petit, enrageant déjà de ne pouvoir exister que dans l’ombre écrasante de son rival, portait donc Notre-Dame de Paris sur la scène de l’Opéra voilà six décennies.

On y retrouve les ingrédients constituant nombre de ses ballets: le goût des narrations ambitieuses et du grand spectacle, à quoi s’ajoutent une écriture tenant à la fois du music hall et de l’académisme le plus convenu, des clichés faciles, une théâtralité frelatée faite pour frapper les naïfs à l’estomac ou pour leur en mettre plein la vue. C’est ainsi que Notre-Dame de Paris, ébouriffante épopée rédigée dans la grande veine médiévaliste de Victor Hugo, mais revue par un chorégraphe bien franchouillard, est parvenue à ressembler à un roman de gare.

On verra bien pire il est vrai, trente-trois ans plus tard, avec la comédie musicale de Luc Plamondon et Richard Cocciante.

Des œuvres dignes de passer à la postérité

Pour être juste, il fut un temps où Roland Petit créa des chorégraphies dignes de passer à la postérité : Le Rendez-vous (1945, argument de Jacques Prévert, musique de Joseph Kosma),  ballet expressionniste à la poésie triste ; Les Forains (1945, livret de Boris Kochno, musique d’Henri Sauguet, décor et costumes de Christian Bérard), chant déchirant sur la misère des artistes ambulants ; Le Loup (1953, argument de Jean Anouilh et Georges Neveux, musique d’Henri Dutilleux, décors de Jean Carzou), douloureux poème où le fantastique se mêle à la  cruauté et à la bêtise des hommes. Et bien plus tard, une renaissance du ballet de Léo Delibes, Coppélia (1975) version malicieuse, débordante de vie et de fraîcheur, enrobée dans une scénographie raffinée d’Ezio Frigerio.

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Quant au chef d’œuvre qui bouleversa à juste titre le public de 1946 au Théâtre des Champs-Elysées, Le Jeune Homme et la Mort, et qui rendit Roland Petit brusquement célèbre, il devait tout à Jean Cocteau qui en imagina le propos, le décor, en assura la mise en scène et en choisit le sidérant support musical. Ainsi qu’au danseur Jean Babilée qui en fut le héros indépassable. Plus tard, en ressuscitant ce chef d’œuvre qui n’était pas vraiment le sien, Roland Petit n’aura de cesse de le dénaturer en en réduisant la portée tragique au profit du spectaculaire le plus vain.

Pour le reste, même s’il brille en créant de beaux pas de deux qui seront sa marque de fabrique, Roland Petit donnera surtout le jour à une avalanche d’ouvrages d’un goût à frémir, souvent des adaptations chorégraphiques très kitsch d’œuvres littéraires qui ne méritaient pas un tel affront. Carmen par exemple (1949), l’âpre nouvelle de Mérimée dont il fit une bouffonnerie en saccageant au passage la musique de Bizet. Ou L’Ange bleu (1985) avec lequel le roman de Heinrich Mann est ravalée à une pathétique gaudriole. Pour ne rien dire de L’Arlésienne, de Proust ou les intermittences du cœur et de cent autres solides navets qui firent cruellement rebaptiser leur auteur du sobriquet de Roland le Petit.

Une chorégraphie de boulevard

« Notre-Dame de Paris, écrira sans vergogne un Roland Petit vaniteux comme un coq et qui n’a jamais douté de rien, surtout pas de son génie, Notre-Dame de Paris, c’est comme un film de Dreyer. Un dépouillement et une rigueur absolue au service d’une profonde vie intérieure »

Notre-Dame de Paris, corrigera-t-on avec moins de complaisance, c’est un fatras de gestes mécaniques, de figures anecdotiques et peu inspirées trahissant l’inspiration étriquée d’un démiurge sans envergure; d’images scéniques trop simplistes pour être dramatiques. Ce que le chorégraphe nomme dépouillement n’est que de l’indigence et ce qu’il baptise rigueur absolue n’est autre qu’une absence de sensibilité créatrice.

C’est l’éloquence creuse d’un homme réduit à une sécheresse de cœur et à un travail immature, frappé par une incapacité à créer quelque chose de profond, d’émouvant, à conférer à ses personnages un caractère authentique. D’un auteur qui reproduit les événements décrits dans l’ouvrage dont il s’inspire sans savoir leur restituer le souffle, la dimension épique qui baignent tout Hugo et dont le travail débouche sur des images infantiles et superficielles. En un mot comme en cent, et de bout en bout, c’est terriblement stupide. Quant à « la profonde vie intérieure »…

S’il y avait en danse l’équivalent de ce que le monde du spectacle appelle le théâtre de boulevard, on dirait de Roland Petit, à l’exception de quelques-unes de ses authentiques réussites, qu’il n’a jamais été qu’un assez médiocre chorégraphe de boulevard.

Dur et tranchant comme une lame d’acier

Comment évoquer après cela les quatre interprètes principaux de Notre-Dame de Paris qui se produisaient le soir de la première ?

Ils sont entourés par une foule de danseurs figurant le peuple parisien du temps de Louis XI, un an avant la mort de ce dernier, peuple, sinon populace malléable et dangereuse quand elle est assemblée en foule, et que le chorégraphe réduit à une masse de figurants s’agitant comme des automates.

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La Esmeralda (sans sa chèvre) d’Amandine Albisson est inexpressive, incolore, insipide en un mot. On eut rêvé, en d’autre temps, d’une Isabelle Guérin ou d’une Monique Loudières dans ce rôle qui devrait être tout à la fois d’innocence et d’incandescence. Ici la danseuse exécute proprement sa partie sans paraître autrement concernée. L’apparition de Phoebus (Antonio Conforti) en blonde décolorée drapée dans une cape bleu ciel et posant là comme dans un magazine « gay » des années cinquante, a quelque chose d’aussi ahurissant que comique. Mais qui reprocherait à Hugo Marchand, qui est pourtant un excellent artiste, cette représentation de Quasimodo si sommaire, si mal croquée par un chorégraphe incapable d’attribuer une consistance au personnage, sinon par une démarche bancale et une épaule déboîtée ?

Seul Pablo Legasa, tout de noir vêtu, glacial, dur et tranchant comme une lame d’acier, sait conférer à la figure de Frollo une dimension tragique qui apporte quelque poids à son personnage. 

Aussi bon interprète que l’on soit, comment parvenir à incarner pleinement des personnages aussi sommaires et manquant à ce point d’épaisseur ? Ce ne sont nullement les figures emblématiques que Petit s’est targué d’avoir créées, mais d’indigentes représentations desservies par une gestuelle plus mécanique qu’expressive.

Amandine Albisson et Pablo Legasa (C) Yonathan Kellerman / OnP

Après l’incendie fallait-il nous torturer davantage ?

Ce qui est curieux, mais pas davantage, ce sont les sobres décors de René Allio, bien représentatifs des tentatives novatrices de cette époque en France. Et les costumes d’Yves Saint Laurent. Des costumes spectaculaires, à la théâtralité exacerbée, hélas dévoilés le temps d’un trop bref tableau, et figurant des personnages de cour. Un tableau qui n’a d’ailleurs aucun sens ici, sinon celui d’exhiber le savoir-faire du couturier et la fierté de Roland Petit de se l’être attaché.

Des tenues multicolores, infiniment plus sommaires, revêtent ensuite l’ensemble des danseurs et vont évoluer jusqu’au rouge ou au noir intégral au fur et à mesure de l’action. Eux aussi sont le reflet de leur temps. Et puis, il y a la musique de Maurice Jarre, très belle au prologue, qui demeure efficace ensuite, mais sans laisser d’impression durable. Jarre n’est ni Tchaïkovsky, ni Stravinsky, ni Prokofiev. Ni même Adam, Lalo ou Delibes.

Après l’incendie de Notre-Dame qui nous arracha des larmes, fallait-il donc saluer sa résurrection en nous torturant avec un ouvrage aussi vide et consternant, ce plat fade et dépourvu de toute qualité nutritionnelle opportunément titré Notre-Dame de Paris?  Oui, bien évidemment, sur le plan commercial. On est sûr d’attirer à l’Opéra tout un vaste public maintenant que la tragédie de la cathédrale a fait le tour du monde et que sa restauration attire des foules immenses. Pour l’Opéra, les grands spectacles de ballet de fin d’année sont un bon moyen d’engranger de sérieux bénéfices. Il n’y a là rien de déshonorant à première vue. L’ennui une fois encore, avec l’actuelle direction de l’Académie nationale de Musique et de Danse, c’est que les préoccupations de trésorerie prennent souvent le pas sur les ambitions artistiques.   


Notre–Dame de Paris. Ballet de l’Opéra de Paris. Opéra de la Bastille. 1h55

Jusqu’au 31 décembre 2025

Bobbies et bobards

Outre-Manche, les critiques contre la police proviennent désormais aussi de la droite. Les conservateurs dénoncent depuis plusieurs mois le “two-tier policing”: deux poids, deux mesures, et zéro crédibilité… Un rapport parlementaire accablant pour la police de Birmingham concernant la prétendue mauvaise réputation des supporters de football de Tel-Aviv est d’ailleurs venu récemment apporter de l’eau à leur moulin.


Dans un article du 29 octobre, Causeur a attiré l’attention de ses lecteurs sur l’affaire du match entre Aston Villa et Maccabi Tel Aviv qui devait avoir lieu le 6 novembre, à Birmingham. Il s’agit de la deuxième ville du Royaume Uni dont certains quartiers sont dominés par une population musulmane issue de l’immigration pakistanaise. La police de la région, la West Midlands Police (WMP), citant les violences qui avaient eu lieu à Amsterdam lors du match entre Maccabi et Ajax le 7 novembre 2024, avait décidé que les supporteurs du club israélien constituaient une menace pour l’ordre public et qu’aucun billet ne devait donc leur être attribué. Ce refus, qui semblait motivé par le seul désir d’attirer les bonnes grâces de la communauté musulmane locale, a scandalisé jusqu’au gouvernement travailliste de Sir Keir Starmer. Avant qu’un bras de fer ne s’engage entre la WMP, qui jouit d’une autonomie opérationnelle selon la doctrine en vigueur outre-Manche, et les autorités centrales, le club israélien a renoncé à toute allocation de billets à cause de l’« atmosphère toxique » qui entourait désormais la rencontre. Le match, pour lequel la WMP a mobilisé 700 policiers, a eu lieu sans aucun incident grave.

Suite sans fin

Or il s’avère aujourd’hui que le rapport sur lequel la WMP fondait sa décision était truffé d’erreurs factuelles. Telle est la conclusion des audiences organisées par la Commission des affaires intérieures de la Chambre des communes (Home Affairs Committee) qui a interrogé le chef de la WMP, Craig Guildford, et le conseiller indépendant du gouvernement sur l’antisémitisme, John Mann, membre de la Chambre des Lords. Parmi les erreurs du rapport :

  • A Amsterdam, les fans de Maccabi Tel Aviv auraient arraché des drapeaux palestiniens le jour du match. En fait, un seul drapeau a été arraché la veille.
  • A Amsterdam, il y aurait eu de nombreux incidents avec des chauffeurs de taxi. Il y en a eu un seul.
  • Les supporteurs israéliens auraient jeté des citoyens innocents dans la rivière. En fait, c’est un supporteur israélien qui a été jeté à l’eau par des Néerlandais propalestiniens qui l’auraient sommé de crier « Free Palestine » s’il voulait regagner la berge.
  • La police néerlandaise aurait décrit les supporteurs du club israélien comme des « combattants » organisés de manière « militariste » dont l’objectif était de se battre avec la police. Les Néerlandais ont nié avoir fait une telle description.
  • La police néerlandaise aurait été obligée de déployer 5 000 agents pour maintenir l’ordre. En réalité, il n’y en avait que 1 700. (Je suis tombé moi-même dans le panneau, citant le chiffre de 5 000 dans mon article : mea maxima culpa). 
  • Il y aurait eu des violences lors d’un match entre Maccabi et le club londonien West Ham en 2023. Un tel match n’a jamais eu lieu.

Ce match purement fictif avait été repéré par la WMP après avoir fait des recherches sur les réseaux sociaux. Quand les forces de l’ordre reprennent des fake news propagées par des internautes, c’est qu’il y a un problème très grave. Il semble évident que la WMP voulait interdire les fans israéliens et cherchait n’importe quel prétexte pour justifier sa décision. Qu’est-ce qui arrive à la police anglaise ?

De la fierté à la honte

A une époque, qui semble aujourd’hui appartenir à un passé lointain, les Britanniques se disaient fiers de leur British Broadcasting Service (BBC), un vaste réseau de médias d’État, plutôt neutres et fiables, dont l’influence s’étendait – et s’étend encore – à travers le monde. Le mirage de la fiabilité a été dissipé par de nombreuses affaires dont la plus récente est celle du faux montage du discours tenu par Donald Trump le 6 décembre 2021. De la même façon, les Britanniques se disaient fiers de leurs forces de l’ordre. Le policier local, le « bobby » (surnom dérivé du nom de l’homme politique conservateur, Robert Peel, qui a créé la police londonienne en 1829) incarnait un modèle de service public et de courage héroïque, lui qui normalement ne portait pas d’arme à feu. Les détectives de Scotland Yard (métonymie dérivée de l’adresse du premier quartier général à Londres – rien à voir avec l’Écosse !) étaient à la pointe de toutes les nouvelles techniques de la traque des criminels. Certes, les exemples de l’héroïsme traditionnel ne manquent pas dans le passé récent. En mars 2017, lors de l’attentat islamiste du pont de Westminster et du Parlement, où un djihadiste utilisant une voiture et un couteau a fait cinq morts et 48 blessés, un policier sans arme s’est sacrifié en affrontant l’assaillant avant que ce dernier ne soit abattu par un collègue armé. Trois mois plus tard, lors de l’attentat du pont de Londres où trois djihadistes armés de couteaux et d’une camionnette ont fait huit morts et 48 blessés, quatre policiers sans armes, dont certains n’étaient pas en service à ce moment-là, n’ont pas craint de faire face aux meurtriers enragés. Pourtant, ces exemples remarquables n’ont pas pu sauver la réputation des forces de l’ordre britanniques qui sont accusées aujourd’hui d’incohérence dans leur politique de maintien de l’ordre, ou de ce qu’on appelle « two-tier policing ». Quel est le sens précis de ce néologisme ?

Depuis des années, la police britannique, comme celle de la France, fait l’objet d’accusations de racisme et de sexisme en provenance de la gauche. Mais de nouvelles critiques sont formulées par la droite, surtout la droite populiste dont la figure de proue est Nigel Farage, le chef du parti Reform UK. Le terme « two-tier policing » ou le maintien de l’ordre « à deux vitesses » ou « deux poids, deux mesures », tel qu’il est utilisé par ces accusateurs, désigne une tendance chez les forces de l’ordre à faire preuve d’indulgence face aux manifestations et actions de contestation organisées par la gauche et des groupes musulmans, et à faire preuve de sévérité face aux événements équivalents organisés par la droite et des groupes patriotiques. Un des premiers exemples de cette tendance serait le laxisme de la police au moment des manifestations Black Lives Matter en mai et en juin 2020, au lendemain du meurtre de George Floyd. Certaines de ces actions ont eu lieu en dépit des restrictions imposées par le gouvernement dans le contexte de la pandémie du Covid. Les forces de police n’ont rien fait pour les empêcher. En revanche, les choses se sont passées différemment en mars de l’année suivante, quand les restrictions sont de nouveau en place. Après l’enlèvement et l’assassinat d’une femme, Sarah Everard, par un policier, Wayne Cousins, dont l’arrestation et la condamnation ont révélé toute une histoire d’agressions sexuelles que sa hiérarchie aurait ignorée, des femmes ont tenu une veillée dans un parc londonien. Cette fois, la police s’est montrée implacable concernant les restrictions et a traité les participantes – majoritairement blanches – avec une brutalité honteuse.

Le non-sens des priorités

À la vague de folie wokiste de 2020 à 2022 succède, après le 7 octobre 2023, celle de la folie en keffieh. Cette nouvelle vague, qui n’est que le prolongement de la première, voit se multiplier de grandes manifestations anti-israéliennes dans les principales villes du pays, que la ministre de l’Intérieur de l’époque, Suella Braverman, a qualifiées de « marches de la haine ». La police aurait pu interdire ces manifestations grâce à son « indépendance opérationnelle » mais elle n’en a interdit aucune, malgré l’atmosphère d’insécurité que ces marches ont créée pour les Juifs britanniques. Lors des émeutes qui ont suivi l’attentat de Southport en juillet 2024, où Axel Rudakubana, 17 ans, le fils d’immigrés rwandais, a tué trois petites filles et blessé dix personnes, la police et la justice ont réagi avec une grande sévérité. On peut toujours débattre de la proportionnalité de la réaction dans tel ou tel cas, mais ce qui a choqué une section du public, c’était une vidéo montrant la police qui parle amicalement avec une bande de musulmans armés de clés et de marteaux prétendument pour défendre leurs lieux de culte. Sévérité plus qu’exemplaire d’un côté, indulgence de l’autre. Un autre élément est venu renforcer cette idée, car outre-Manche la police consacre des ressources disproportionnées au maintien de l’ordre sur les réseaux sociaux. De nombreux citoyens ont été interrogés voire arrêtés par la police suite à des publications qui auraient offensé d’autres internautes. Parmi eux, des personnalités publiques comme la journaliste conservatrice Allison Pearson, qui a reçu une visite surprise de la police un dimanche matin, un an après un post sur X au lendemain du 7-Octobre. Ou l’humoriste et scénariste irlandais, Graham Linehan, arrêté à l’aéroport de Londres pour des posts critiques à l’égard de l’idéologie transgenre. Pourtant, le taux de résolution de crimes des différentes forces de police régionales est en chute libre depuis 2015.

Comment les forces de l’ordre en sont-elles arrivées là ? Il s’agit d’une réaction désespérée aux critiques venant de la gauche qui, il faut l’admettre, ont souvent visé juste. Mais cette ouverture aux sirènes des idéologies les plus wokistes est enracinée dans la formation même des policiers. Un nouveau programme de formation pour les candidats ne possédant pas déjà un diplôme universitaire a été créé en 2018 et généralisé à toutes les forces de l’ordre en 2020. Cette formation est fondée sur une alternance entre le travail pratique sur le terrain et des cours dispensés par les départements de sciences humaines des universités. Il s’agit bien entendu des départements les plus à gauche qui promeuvent sans cesse des idéologies militantes à peine déguisées en disciplines universitaires. C’est là que, en toute probabilité, les apprentis policiers imbibent la théorie critique de la race, les études queer et la théorie décoloniale, ainsi que des concepts comme le privilège blanc, le colonialisme de peuplement et la fluidité de genre

La tragédie de la police britannique, comme celle de la BBC, repose sur la diffusion de cette vision manichéenne du monde qui sépare les bons des méchants, non selon les anciens critères d’honnêteté, d’impartialité et d’humanité, mais selon ceux d’une doctrine politique portée par une minorité d’intellectuels et d’activistes et rejetée par la majorité des citoyens.

Union des droites: jusqu’où?

Pour la présidentielle, Laurent Wauquiez et David Lisnard souhaitent tous deux une primaire « de Gérald Darmanin à Sarah Knafo ». Plus personne en France ne considère Marine Le Pen, Jordan Bardella ou Eric Zemmour comme des fascistes. Lors de la dernière élection, il faut se souvenir qu’Éric Zemmour avait proposé sa candidature à la primaire de la droite, avant que les chapeaux à plumes LR ne trouvent des arguties juridiques pour refuser sa candidature… Alors que 2027 se rapproche, la droite traditionnelle doit mettre fin aux clivages internes, et clarifier sa position entre fidélité aux principes démocratiques et réponse aux attentes du peuple, analyse notre chroniqueur. Dans son livre, Nicolas Sarkozy révèle de son côté avoir dit à Marine Le Pen qu’il ne s’associerait plus à un « front républicain » contre le RN.


La droite a-t-elle le droit d’être plurielle ? C’est une question qu’on a le droit de se poser.

C’est à la suite d’un remarquable article d’Alexandre Pedro dans Le Monde sur l’union des droites, ses problématiques et ses enjeux, que j’ai eu envie de reprendre ce thème, lequel a perdu son caractère sulfureux — entre opprobre et enthousiasme — pour s’ancrer désormais dans une réflexion plus profonde. Celle-ci est d’autant plus nécessaire que le débat actuel semble opposer certains des esprits les plus clairvoyants et respectés à droite, notamment Bruno Retailleau et David Lisnard.

Une alternative simple

Ma référence au Monde – aussi discutables et biaisées que puissent parfois m’apparaître les analyses de ce quotidien, qui demeure pourtant tristement nécessaire à l’information du citoyen – vise à montrer pourquoi je suis incapable d’une détestation en bloc. Il arrive que certaines synthèses, d’une réelle clarté, éclairent n’importe quel lecteur. On ne peut pas, on ne doit jamais rejeter globalement.

Un mot sur ces paramètres inutiles. Ce n’est pas à la gauche de déterminer ce qui serait bon pour la droite, et celle-ci doit évidemment demeurer indifférente aux leçons d’un « progressisme » qui s’est totalement disqualifié. On peut certes s’interroger sur le caractère électoralement nécessaire d’une entente visant à dégager un candidat unique, mais cette approche n’aborderait pas le fond de la question. Enfin, définir les limites de cette union – de Gérald Darmanin à Sarah Knafo, par exemple – uniquement à partir du choix des personnalités ne serait pas suffisamment opératoire.

Si l’on élimine quelques paramètres, l’union des droites, au fond, confronte le camp largement conservateur à une alternative simple.

En réalité, l’alternative que j’évoquais plus haut et qui est centrale tient à cette interrogation. L’extrême droite (paresseusement définie comme telle par de nombreux médias) constitue-t-elle un territoire totalement étranger à la droite classique, ou n’est-elle qu’une branche, une nuance radicale d’une droite aux mille visages, allant d’un souci de cohérence et de responsabilité à l’approche la plus débridée et inventive qui soit ?

A lire aussi: Mais… quelle bataille culturelle?

Doit-on considérer Marine Le Pen, Jordan Bardella, Éric Zemmour et Sarah Knafo comme des partenaires potentiels des Républicains, quels que soient les antagonismes apparents — qu’il ne faut pas surestimer — ou bien sont-ils, de manière irréductible, des adversaires que la vie politique ne parviendra jamais à concilier ?

S’agit-il d’une droite radicale susceptible de se mêler à d’autres visions de droite, ou d’un objet politique non assimilable, condamnant les droites classiques à s’ébattre dans leur seul champ traditionnel ?

Une intuition

À la réflexion, passionné par cet enjeu dont la résolution aurait une incidence directe sur 2027, je me demande si le désir d’affirmer sa propre identité ne conduit pas chaque parti, groupe ou groupuscule à exagérer ce qui le sépare des autres sur le fond, alors que la forme, la méthode, la volonté d’accomplir ou non seraient sans doute capitales.

J’ai ainsi l’intuition qu’un partage devrait être opéré entre, d’un côté, ceux qui ne seraient pas prêts à sacrifier les principes d’une démocratie traditionnelle pour satisfaire les attentes du peuple, et de l’autre, ceux qui placeraient ce dernier au-dessus de tout, fût-ce au risque d’écorner nos structures républicaines.
Les citoyens d’abord, ou la démocratie comme bouclier honorable ?

La droite a le droit d’être plurielle. Cependant, contrairement à ses habitudes qui la réduisent parfois à des pulsions et à des réflexes, elle ne pourra pas faire l’économie de l’intelligence et de la pensée. Et le temps presse.

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La fille gênée de l’Église

Sommes-nous judéo-chrétiens ? Causeur consacre 28 pages à la question dans le magazine ce mois-ci, avec Éric Zemmour, Monseigneur Rougé, Chantal Delsol, Geoffroy Lejeune, Denis Olivennes, Jeremy Stubbs etc. Elisabeth Lévy et Jean-Baptiste Roques vous présentent ce grand dossier.


On s’attendait à un livre un peu maurrassien sur les bords, l’antisémitisme en moins. En clair, on soupçonnait vaguement l’ami Zemmour de rêver d’une nouvelle alliance du trône et du goupillon, restaurant le catholicisme dans sa dignité de religion française par excellence. On l’imaginait surfer sur la vague catho-identitaire qui enflamme les cœurs de nombreux jeunes, trouvant, en même temps que « la joie d’être aimé de Dieu », comme le confie Geoffroy Lejeune dans nos pages, la foi dans un avenir appelé France. À vrai dire, il s’agit plutôt d’une vaguelette que d’une tendance lourde susceptible d’enrayer ou d’inverser la longue marche vers la sécularisation. D’après un récent sondage de l’IFOP (qui, n’en déplaise aux Insoumis à bas front, ausculte les croyants de toutes obédiences depuis des décennies), seules 41 % des personnes interrogées en 2025 croient en Dieu contre 56 % encore en 2011. Comme l’écrit Chantal Delsol dans notre dossier, les jeunes croyants savent qu’ils sont minoritaires même s’ils ne se résignent pas tous avec la philosophe à ce que « les chrétiens ne soient plus les prescripteurs moraux de nos sociétés ».

La nostalgie d’un catholicisme viril 

Il y a une différence de taille entre ces cathos qui appartiennent doublement à la génération Z (par leur âge et par leur admiration pour l’auteur du Suicide français) et leurs aînés catho-culturels (ou cathos-zombies, selon l’expression mal comprise mais juste d’Emmanuel Todd). Non seulement ce sont de vrais croyants soucieux d’accorder leur vie et leur foi en s’engageant dans la cité, comme le souligne Monseigneur Rougé dans son dialogue avec Zemmour, mais ils n’entendent plus cacher leur étendard, ni accepter d’être la seule religion qu’on puisse ouvertement mépriser et moquer sans jamais subir les foudres des censeurs. Ils sont sortis du placard avec la Manif pour tous, ils n’entendent pas y retourner. Ils ne tendront plus la joue gauche.

En attendant, tous ceux qui guettent avec gourmandise le dérapage qui fera sortir Zemmour de la route idéologique où ils entendent cantonner le débat public et qui, espèrent-ils toujours et toujours en vain, signera sa mort sociale en seront pour leurs frais. Dans La messe n’est pas dite, le président de Reconquête ! ne propose pas d’en finir avec la laïcité dont il n’oublie pas qu’elle est l’enfant du christianisme, ni de destituer la Raison avec laquelle celui-ci a su se conjuguer, après moult vicissitudes il est vrai. Certes, cet amoureux de notre histoire, convaincu que « notre avenir est écrit dans le passé », pense que la Révolution a été une catastrophe pour la France – la Révolution, pas l’avènement de la démocratie – et se dit nostalgique d’un « catholicisme viril ». Pour autant, il ne prétend pas refaire du catholicisme le fondement officiel de l’identité nationale. Revisitant ses lectures de jeunesse, il assure avec André Suarès que « les Français, qu’ils aillent ou non à l’église, ont les Évangiles dans le sang ». Autrement dit, si le catholicisme n’est plus une religion d’État ni même une religion majoritaire, il reste le socle d’une civilisation que Zemmour définit comme judéo-chrétienne, car il n’oublie pas que c’est la religion de la Loi qui a engendré la religion de la Foi.

Actuellement dans les kioques: Causeur #140: Il était une foi en France

Les flics du progressisme n’ont pas mis longtemps à débusquer dans ce trait d’union entre judaïsme et christianisme une nouvelle façon d’exclure les musulmans. Ils se trompent doublement. D’abord, comme le montre Jeremy Stubbs dans nos pages, bien avant que l’islam mette au défi nos sociétés, le judéo-christianisme a été le soubassement anthropologique et le code culturel de l’Occident. Ensuite, il ne s’agit pas d’exclure les musulmans mais de contenir l’islam (faute de pouvoir le christianiser en lui faisant avaler la séparation entre spirituel et temporel), précisément pour ramener les musulmans dans la matrice commune.

La messe n’est pas dite

La civilisation judéo-chrétienne, rappelle Zemmour, a laissé sa marque partout, dans les bâtiments, les paysages, les institutions, le Code civil. Dans ces conditions, dira-t-on, que veut-il de plus ? L’ancien journaliste du Figaro ne demande pas que le chef de l’État jure sur la Bible ou qu’on célèbre son élection par une messe, il ne propose pas de ramener les crucifix dans les salles de classe. Il souhaite juste qu’on apprenne aux enfants de France, quelle que soit leur origine réelle, d’où ils viennent et ce que signifient les tableaux qu’ils voient dans les musées, qu’on n’ait pas honte de célébrer Noël et Pâques, que les juges et les associations mal nommées de libre-pensée trouvent d’autres paroissiens à enquiquiner que les élus qui, à l’instar de Robert Ménard, installent une superbe crèche de Noël dans la cour de leur mairie. Ce qu’on appelle en somme le combat culturel : pas de quoi fouetter un bouffeur de curé.

La messe n'est pas dite: Pour un sursaut judéo-chrétien

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Ahmed al-Charaa au Forum de Doha: un an après la chute du régime syrien, le pari fragile de la normalisation

Au Qatar, le président syrien autoproclamé a exécuté un habile numéro d’équilibriste.


L’histoire aime les symboles et les espoirs dans une période très agitée. Surtout quand cela concerne le Moyen-Orient. Celui qui s’est joué le 6 décembre 2025, au Forum de Doha, n’en manque pas. Pour la dernière édition de 2024, la chute brutale du régime de Bachar al-Assad avait bouleversé un Moyen-Orient en pleine reconfiguration, accélérant une transition forcée et chaotique. Cela fait aujourd’hui exactement un an que Damas a basculé. Et c’est précisément maintenant que le nouveau président de transition syrien, Ahmed al-Charaa, a choisi de prendre la parole au Qatar, sous les caméras d’un forum devenu l’une des scènes diplomatiques centrales du monde arabe. La présence de cet ancien djihadiste, reconverti en dirigeant que la communauté internationale juge désormais fréquentable, résume les paradoxes d’une Syrie en reconstruction et d’un ordre régional qui tente d’éviter une énième implosion.

La visite inédite d’un président toujours en quête de respectabilité internationale

Rarement récemment un dirigeant n’aura incarné à ce point la possibilité, ou l’illusion, d’une métamorphose politique. Ahmed al-Charaa, poussé au pouvoir dans le sillage de l’effondrement du régime Assad, traîne un passé que nul ne peut ignorer. Ancien combattant radicalisé à l’époque des guerres confessionnelles, il a pourtant réussi un tour de force diplomatique : apparaître aujourd’hui comme un président de transition crédible, présentable, presque consensuel. Sa venue au Forum de Doha, ce Davos du Moyen-Orient qui accueille chefs d’État, milliardaires, stratèges et négociateurs internationaux, illustre cette stratégie de légitimation. Le Qatar, qui a patiemment mûri depuis une décennie un rôle d’arbitre régional, lui offre une tribune et un cadre susceptibles de sceller sa transformation politique. En l’invitant, les organisateurs du forum ont fait plus que reconnaître un nouveau pouvoir : ils ont assumé de miser sur la capacité de ce président atypique à maintenir la Syrie hors du chaos, fût-ce temporairement.

A lire aussi: Syrie année 1: du despotisme baasiste au salafisme d’État

Une Syrie en transition, entre fractures internes et influences étrangères

La Syrie que dirige al-Charaa n’a rien d’un État stabilisé, à tout le moins il n’a pas basculé dans le chaos. La transition est profonde, incertaine, traversée par des tensions anciennes et de nouvelles rancœurs. Les minorités druzes et chrétiennes ont payé le prix fort de décennies de guerre, oscillant entre marginalisation, oppression et représailles. Leur place dans la Syrie nouvelle reste une équation délicate, tant les blessures sociales et confessionnelles demeurent ouvertes. À cela s’ajoute le poids évident des puissances extérieures, qui continuent à peser sur l’avenir du pays. Le Qatar et la Turquie sont les deux soutiens majeurs du président de transition, non seulement pour l’appui à la mécanique politique interne, mais aussi pour la stabilisation sécuritaire et économique. Sans cet appui, la Syrie risquerait de retomber dans le cycle des factions armées et des zones d’influence incontrôlées. La réalité est claire : l’autorité d’al-Charaa repose autant sur sa capacité à imposer une discipline politique en interne que sur l’équilibre qu’il parvient à maintenir entre ses alliés régionaux, tout en gardant à distance l’Iran, la Russie et les résidus de l’ancien appareil baasiste.

Les messages du président: apaisement, calculs régionaux et gestion du dossier israélien

Dans son discours à Doha, Ahmed al-Charaa a tenté de s’adresser à plusieurs audiences en même temps : la communauté internationale, les pays arabes, ses alliés, ses adversaires et surtout Israël. La question israélienne demeure l’un des nœuds de la transition syrienne. Tel-Aviv exige depuis plusieurs semaines la démilitarisation totale de la zone frontalière, au minimum jusqu’à la ligne de désengagement de 1974, arguant que toute reconstruction syrienne doit s’accompagner d’une garantie de sécurité absolue. Le président syrien, conscient que la viabilité de son régime dépend de sa capacité à éviter un nouveau front militaire, a adopté à Doha une ligne pragmatique. Il a assuré vouloir restaurer un État de droit souverain tout en évitant les provocations régionales. Il a également affirmé que la nouvelle Syrie ne sera plus un terrain de guerre par procuration et qu’un mécanisme de désescalade, soutenu par le Qatar et discuté discrètement avec Washington, pourrait offrir une sortie honorable au différend avec Israël. Ce discours n’efface ni les zones d’ombre ni les doutes. Il reflète toutefois une stratégie : tenir ensemble des exigences contradictoires, rassurer les puissances qui veulent une Syrie contrôlable et envoyer des signaux à Israël sans affaiblir sa propre légitimité déjà fragile… Tout en ménageant l’ancien allié russe du régime précédent et en accueillant les Américains à bras ouverts !

Si la présence d’Ahmed al-Charaa au Forum de Doha marque un tournant symbolique dans la transition syrienne, elle souligne surtout l’extrême volatilité d’un pays qui tente de renaître sous tutelle régionale et sous le regard méfiant de ses voisins. La normalisation est un pari, la stabilisation un défi, et l’acceptabilité internationale un processus fragile. Reste à savoir si le nouveau président syri­en est l’artisan d’une rupture réelle ou simplement le visage temporaire d’un équilibre encore instable.

Europe: de la vertu qui rend petit

Après la publication, vendredi dernier, de la stratégie de sécurité nationale version MAGA de Trump, les Européens constatent avec effroi que le nouveau président américain ménage effectivement Moscou et s’indignent de la place qui semble leur être réservée dans le nouvel ordre mondial. Alors que la géopolitique issue de l’après-1945 est bouleversée par l’isolationnisme américain et l’attitude belliqueuse de la Russie, une Europe tétanisée et féminisée n’est capable de réagir que par une crise de nerfs, observe notre contributeur.


Face à l’intensification récente des discussions entre les Américains et les Russes pour aboutir à un accord de paix avec l’Ukraine, les Européens ne l’entendent pas de cette oreille et tentent d’imposer leur vision d’une paix impossible.

L’Europe a fendu l’armure. Elle est devenue cette étrange mégère qui couche son âme rancunière sur le divan de la morale. Son réarmement militaire se déploie dans le lit d’un ressentiment désordonné. Confrontée à la fin du glacis protecteur américain, l’Europe s’égare dans une sentimentalité toute fragile : elle casse des assiettes, s’agite dans tous les sens, condamnant tour à tour tous ceux qui seraient opposés à ses « valeurs ». 

Or les valeurs de l’Europe sont malades. Elles reposent sur une interprétation pathétique et épuisée de la réalité. « La morale est aujourd’hui en Europe une morale de troupeau », disait déjà Nietzsche, au XIXème siècle…

En boucle, on scande que la Russie serait à nos portes, on s’invente des ennemis illusoires, on se trompe de cible, on se trompe d’origine. « Il faut mettre en question la valeur même des valeurs morales », assénait Nietzsche. Nos valeurs égalitaristes, pudibondes et aplanissantes, celles qui prônent la faiblesse en archétype de la vie, ont triomphé. Ce qui est à l’œuvre aujourd’hui, c’est le couronnement de l’Europe tétanisée et féminisée.

L’hystérie européenne 

Cette situation géopolitique européenne n’est autre que le produit d’une physiologie particulière: celle d’un corps où l’idéal ascétique demeure le credo de la vie. La bienveillance éternelle exercée en mantra du vivant est la phase terminale d’une civilisation occidentale à bout de souffle et à bout de nerfs. Une vie vécue à l’aune dela curatelle du médecin, d’un corps fatigué, incapable d’agir autrement que par la faiblesse, forme sublimée du renoncement à soi. Mais quelle est la Sainte-Trinité des valeurs européennes ? Paix, Pitié et Compassion ! La paix idéalisée entretenue par une hystérisation des discours martiaux; la pitié à tout prix qui conduira à la mort; la compassion à tout prix qui conduira à la haine. Voilà où nous en sommes. Voilà ce que l’on martèle dans toutes les têtes européennes, relayé en grande pompe par les médias et l’ensemble des grandes institutions du monde occidental.

Alors que les tractations entre Vladimir Poutine et l’administration américaine se sont intensifiées ces dernières semaines pour tenter de trouver une issue à la guerre, les Européens semblent se refuser à tout compromis, à toute volonté de résolution du conflit. Ils ne raisonnent plus à partir de réalités mais d’idées abstraites. Ils sont prêts à falsifier le réel ; à créer l’illusion dangereuse que la Russie serait à nos portes d’ici trois ou quatre ans alors qu’elle avance péniblement sur le front ukrainien. En trois ans, la Russie n’a même pas été en mesure de conquérir le Donbass. Mais l’Europe n’a que faire de la réalité. Elle semble préférer poursuivre la guerre tant que son idéal de paix juste n’est pas accompli. Qu’importe les morts, qu’importe les réalités du terrain, qu’importe l’Ukraine, il faut d’abord et avant tout que sa morale triomphe coûte que coûte pour que le chemin d’une paix puisse se dessiner. 

Paralysie de la pensée

Les Européens ne savent plus réagir que par l’angoisse. Une angoisse fantasmée qui leur permet de tout légitimer même les irréalités les plus folles. La distance, la perspective, la nuance, et le recul historique ont littéralement disparu des discours. En 1948, Albert Camus publiait un article intitulé « Le siècle de la peur » où il soulignait qu’« entre la peur très générale d’une guerre, que tout le monde prépare et la peur toute particulière des idéologies meurtrières, il est donc bien vrai que nous vivons dans la terreur (…) Pour sortir de cette terreur, il faudrait pouvoir réfléchir et agir suivant la réflexion. Mais la terreur, justement, n’est pas un climat favorable à la réflexion ».  

A chaque tentative de discussion entre Trump et Poutine, que font les Européens ? Ils s’indignent, accusant les uns d’être poutinophiles, les autres d’être trop complaisants avec la Russie, suspectant chez tous ceux qui daignent réfléchir une forme d’intelligence avec l’ennemi ! Mais « un homme indigné est un homme qui ment », rappelait Nietzsche. Une gesticulation morale en vue de séparer le monde en deux camps : les « méchants » et les « gentils ». Au diable Trump et Poutine ! L’Europe adoube son nouveau roi de miséricorde : Volodymyr Zelensky, le supplicié, le courageux, le martyr, le valeureux. Elle s’unit dans la faiblesse pour mieux recréer les conditions de sa force. L’Europe est lancée dans une nouvelle croisade. En prenant sa faiblesse pour de la force, elle nous conduit tout droit à la guerre des faibles. 

Mais… quelle bataille culturelle?

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La droite dit, enfin, vouloir se lancer dans la bataille culturelle. Reste à savoir comment elle compte la mener.


Depuis l’affaire de la « labellisation » de l’information, la droite hausse le ton et cite 1984 de George Orwell davantage qu’une copie de philosophie de lycée. Enfin ! Elle qui s’est contentée jusqu’à présent de rêvasser à la France d’avant Mitterrand, de revendiquer son droit aux délices pralinés de la nostalgie et de brandir son « pass culture » sépia – les châteaux de la Loire, Le Château de ma Mère et le pensionnat du Fond de l’étang des Choristes – la voilà qui se réveille. Ce n’est pas trop tôt.

« La bataille culturelle va être violente », annonce fièrement la droite, émergeant de cinquante ans d’hibernation. À la bonne heure. Mais de quelle bataille culturelle parle-t-on ? Pendant que la gauche-fourmi érigeait, pierre après pierre, un modèle cohérent (histoire mondiale de la France, géographie a-physique, littérature a-stylistique, arts visuels occidentaloclastes, cinéma convivial), la droite-cigale se moquait et, entre deux-trois envolées lyriques sur l’âme de la France coincée entre la merveilleuse Jeanne d’Arc et l’odieuse Révolution française, trouvait scandaleux le travail de sape de la gauche tout en continuant à envoyer ses enfants à l’école apprendre l’histoire de esclavage européen et la littérature jeunesse francophone.

A lire aussi: L’immigration, la science et les gardiens du temple médiatique

Pour qu’il y ait bataille culturelle entre une droite enfin déniaisée et une gauche gramscienne enfin déstabilisée, il faut un combat à armes égales. Faire du Gramsci de droite, en somme. Raymond Aron avait décidément raison : dans l’ordre de l’histoire, si on entend survivre, il n’y a pas d’autre moyen de résister qu’en montrant à ses ennemis politiques que l’on est capable des mêmes vertus qu’eux. Aujourd’hui, la culture dite de droite se résume, en gros, au point d’histoire de Philippe de Villiers et au point philo de Michel Onfray – lequel n’est d’ailleurs pas de droite mais que la droite a raison d’apprécier – rares moments stimulants de la culture non mainstream. La France crève pourtant d’historiens méconnus capables d’alimenter des débats inédits sur des thèmes squattés par la gauche (colonisation, décolonisation, esclavage, guerres de religions etc.), d’artistes contemporains insensibles à l’antifascisme parisien, d’écrivains ne parlant pas des migrants et de professeurs susceptibles de faire des cours sur autre chose que la misogynie d’Émile Zola dans Au Bonheur des Dames. À la droite d’aller les chercher et de leur donner l’espace médiatique requis. Puisque tout se joue là.

Il n’y aura pas de « bataille culturelle » tant que la droite continuera à considérer que sa culture est immémoriale, sacrificielle mais toujours vivace sous les toits des églises qui s’effondrent et entre les pages des Mémoires de guerre du Général de Gaulle que tout le monde s’arrache tel un totem de grandeur. La gauche a toujours su renouveler son délire de l’homme nouveau : après le camarade communiste et le citoyen du monde, elle a eu l’idée du perpétuel éveillé à la croisée de toutes les causes minoritaires. À la droite de proposer l’homme tout court, capable de reconquérir son héritage et, surtout, de le moderniser. Vaste programme. Et qui va demander beaucoup de travail.

🎙️ Podcast: Impuissance du gouvernement, entrisme islamiste à gauche, échecs et succès littéraires…

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Avec Céline Pina, Eliott Mamane et Jeremy Stubbs.


Le Premier ministre Sébastien Lecornu essaie de faire adopter son projet de budget de la Sécurité sociale en appelant à la responsabilité de tous. Par là, il ne fait que se dégager de toute responsabilité.

Le 24 juin 2025, l’Assemblée nationale a créé une commission d’enquête « sur les liens existants entre les représentants de mouvements politiques et des organisations et réseaux soutenant l’action terroriste ou propageant l’idéologie islamiste ». Ses travaux ne sont pas encore terminés, mais ils ont déjà eu un effet: des journalistes ont été menacés par l’extrême gauche. C’est ainsi que cette dernière, tout en prétendant que l’enquête la vise injustement, a dévoilé sa fidélité à l’idéologie islamo-gauchiste et son peu de respect de la démocratie. Pendant ce temps, outre-Atlantique, Donald Trump envisage l’interdiction des Frères musulmans.

A lire aussi : Parlez-vous le Goldnadel?

Si le livre de Jordan Bardella connaît un grand succès populaire, celui de Marine Tondelier est un bide, ainsi que celui de Ségolène Royal. C’est le symptôme d’une gauche qui a perdu la confiance du peuple.

Pour les auditeurs qui sont à la recherche de lectures plus digestes, il y a le nouveau titre d’Eric Zemmour, La messe n’est pas dite (Fayard). Son auteur dialogue avec Mgr Rougé, l’évêque de Nanterre, dans le nouveau numéro de Causeur. Il y a aussi le dernier livre de Gilles-William Goldnadel, Vol au-dessus d’un nid de cocus (également chez Fayard)…

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Françoise par Caroline

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© Lioneel Blancafort

Tous les lundis à 21 heures, Caroline Loeb est Françoise Sagan au Théâtre de Poche Montparnasse sur une mise en scène d’Alex Lutz avec la collaboration de Sophie Barjac. L’intelligence sans fard, la drôlerie frivole, la profondeur non pesante, la malice de la romancière éclatent sur la scène dans une interprétation virtuose. « Françoise par Sagan » est un cadeau de Noël.


D’abord, il y a le mimétisme. Presque la copie conforme. Le trouble est délicieux. La même démarche, les sautillements, puis les recroquevillements, la manière de porter sa cigarette, de traverser la scène comme si elle voulait éviter les danseurs fatigués sur la piste de chez Castel. Les pauses aussi dans le noir, de profil, dans un demi-silence, est-ce un chat noir des boulevard ou Juliette Gréco sortie des caves de Saint-Germain ? Sphynx des « fifties », parfum de Normandie, herbes folles et roulette de casino, petit matin pluvieux et amitiés fécondes, Sagan est bien là, devant nos yeux. Son incarnation. Sa poursuite. Difficile de faire la différence. Dès les premiers instants, on voit danser cette cavalcade qui a surgi dans le paysage littéraire après le Prix des Critiques en 1954. Elle secoua si fort l’édition que cette vieille maîtresse acariâtre ne s’en est toujours pas remise. Son onde oscille encore. Il ne s’agit pas d’une imitation qui serait grotesque et déplacée, il s’agit plutôt d’une survivance de la mémoire. Entre nous, dans l’intimité du théâtre où le faux et le vrai perdent la raison, on visite un monument de la littérature. Une idole d’un métier aujourd’hui disparu. On voyage avec elle, dans ses mots (le texte de la pièce est tiré des entretiens de « Je ne renie rien »).

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Tout est là, en place, les gestes naturels, l’impression très agréable de passer une soirée dans le feutré d’un bar d’hôtel, d’échanger des confidences avec l’enfant chérie des librairies, de comprendre sa mécanique, de se frotter à cette montagne. Sagan n’est pas un charmant petit monstre, elle est une montagne de volonté, un monstre de travail. Un bulldozer qui ne sue pas. On est aux anges car la chorégraphie s’anime. Le côté fluet de ballerine, bourgeoise propédeutique, fille de famille espiègle et taiseuse s’agite et puis, le côté terrien, cette franchise et cette absence de jugement dans ses propos, nous terrassent par son intelligence si peu commune. Françoise était une fille du Lot, elle déroute par son honnêteté. Contrairement aux spécimens menteurs de son espèce, elle n’esquive pas. Frontale. Elle assume tout, ses dévers et ses succès. Ses excès de vitesse et ses addictions. Elle ne se victimise jamais, elle a trop d’honneur. Elle ne quémande rien. On est saisi par cette silhouette d’un autre temps, de mise modeste, qui bientôt va laisser éclater son brio. Un brio non trafiqué pour épater la galerie, un brio de naissance, d’essence pure. Caroline Loeb, magistrale, jamais caricaturale, fluide et décidée, avance dans l’épure. Parfois, elle se déchausse ; parfois elle nous tourne le dos. L’arabesque est souple. Les ruptures de lumière l’habillent. Les coutures de la mise en scène disparaissent. Elle fait corps avec son personnage et nous avec cette figure. Rarement, j’ai entendu une telle qualité d’écoute dans une salle parisienne un lundi de décembre ; ce soir-là, même les tousseurs et les marmonneurs se sont tus. Par respect. Sagan ou Loeb, on ne sait plus très bien, nous obligent à une certaine vérité. Après, le corps, la voix si reconnaissable, si identifiable, surtout dans ses accélérations finales, se glisse dans la nuit d’hiver. Caroline Loeb se dédouble.

Il y avait chez Françoise Sagan, une rythmique propre à La Fontaine, c’était finalement une moraliste endiablée, elle avait le bonheur enfantin de construire des phrases, de surprendre son auditoire et de feindre l’indifférence avec un clin d’œil. Elle ne jetait pas les mots à la va-vite, elle en mesurait l’écho, elle s’en amusait, se délectait même de leur impertinence et pourtant, elle ne voulait pas tricher. Là, réside sa supériorité intellectuelle. Comme un bon joueur de poker, elle masquait ses coups, mariait les paradoxes, et nous mettait à terre par une fulgurance. Elle dégainait des maximes sans l’air d’y toucher. La morale de ses anecdotes, de ses souvenirs, de ses turpitudes est purificatrice dans notre époque vermoulue. Caroline Loeb nous transmet cette vivacité d’esprit-là.

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Michel Bouquet avait des doutes sur l’art d’enseigner la comédie, il disait seulement à ses élèves, de ne pas trahir le texte. Rien que le texte. Caroline Loeb nous donne la pulpe du texte. Elle évoque l’enfance, l’argent, l’amour, la mort, la sexualité, le théâtre, l’amitié, la nature, la solitude et l’écriture. Entre nous, sur l’écriture, on dit beaucoup de choses banales et gonflées, la banalité était étrangère à Sagan.

La gauche Diafoirus

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Le communiste Ian Brossat, en train de défiler pour une bonne cause, Paris, avril 2025 © ISA HARSIN/SIPA

« L’extrême droite, l’extrême droite, l’extrême droite, vous dis-je ! » 


Fièvres pourprées avec transports au cerveau, lassitudes par tous les membres, voile islamiste devant les yeux, narcotrafic pour tous, parlement hystérique et impuissant, 3500 milliards de dette publique et l’Europe-citadelle sans remparts prise d’assaut, au sud, à l’est, à l’ouest, qui fait la Cosette… Contrairement à ceux d’Argan, les maux de Marianne ne sont pas imaginaires.

Le camp du bien qui depuis des générations se complait dans l’empyrée des bons sentiments et le rousseauisme lacrymal est rattrapé par le réel, désemparé. Un malheur n’arrive jamais seul : l’Arcom donne raison à CNews, l’Institut Thomas More prouve que Radio France est woke. Le gauchisme d’atmosphère exaspère, l’audience baisse. Mauvaise passe ? Comment noyer le poison ? Pour les benêts de la crèche progressiste, tout est simple. Diabolus ex machina, l’extrême droite menace le monde ; contre ce fléau, il existe un remède miracle, les impôts. Rabâchée ad nauseam la double imposture devient vérité.

« L’extrême droite, l’extrême droite, l’extrême droite, vous dis-je ! » 

A Moscou, Pékin, rue d’Ulm, au Flore, éclairé, éclectique, l’intellectuel progressiste n’a jamais manqué d’idoles : Marat, Fouquier-Tinville, Hegel, Marx, Lénine, Staline, Trotski, Castro, Mao, Khomeiny, Maduro, le Hamas… A la grande époque, les esprits supérieurs, déployaient et repliaient dans le jargon, le futur radieux, la surhistoire de la logique du concept, la fonction ligaturante de la praxis et du goulag. Un seul maître vous manque, et tout est dépeuplé.

Ramollie par la chute du mur de Berlin et l’écroulement des humanités, la gauche a abandonné les farces et attrapes de la dialectique négative pour se reconvertir dans des Bourdieuseries de Prisunic, l’indignation en rose et noir, la moraline. Elle recycle ses anchois avariés en produits exotiques : guerre des genres, des sexes, lutte des races, L’Éthique à Nikoumouk. L’objectif reste l’abolition des frontières, la libanisation, le communautarisme, la destruction de l’Etat, de la nation, jouir sans entraves, l’émancipation, la rééducation. Pas de liberté pour les amis de la liberté. Sandrine Rousseau déconstruit les hommes, Ian Brossat veut interdire Le Figaro Magazine, Emmanuel Macron souhaite labelliser les médias. Il faut fendre la presse.

L’extrême droite, dont le centre est partout et la circonférence nulle part, est une lotion magique, dangereuse, insaisissable, indispensable, qui fait dresser les cheveux sur la tête. « Facho » : le mot magique qui disqualifie l’adversaire et dispense de réfléchir. Autour d’un noyau maléfique, la « fachosphère » – intensité neuf sur l’échelle de « Reichter » – gravite une infinité de droites et tangentes fascistoïdes : réac, passéiste, dure, Bolloréeuse, Causeuresque, demi-molle, ultra-conservatrice, libertarienne, illibérale, crypto-ante-néo-libérale, populiste…

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Hitler, Jordan Bardella, Marine Le Pen, le mamba noir, Gargamel, Vincent Bolloré, Pierre-Édouard Stérin, Dracula, Philippe de Villiers, Néron, la vipère du Gabon, Alain Delon, Michel Sardou, Boualem Sansal, Jeanne d’Arc, Hergé, le capitaine Haddock, Louis XIV, Brigitte Bardot, Méphisto, Bruno Retailleau, Adolfo Ramirez, Olrik, Spectre, Éric Zemmour, Zeus, Zorglub, sont d’extrême droite.

Tout le monde a été, est, ou sera d’extrême droite. Elle est partout… Elle défend les frontières, les principes, la famille, l’Académie française, la Marseillaise, le latin, la laïcité, les crèches de Noël, le travail, le mérite, la morale, les Chrétiens d’Orient, la culture, les traditions, le nauséabond qui nous rappelle les heures les plus sombres… Les « Grosses Têtes » progressistes, silentiaires de France Inter, inquisiteurs, dénonciateurs démonologues, Patrick Cohen, Thomas Legrand, Thomas Piketty et les oies du Capital, « font ce qu’il faut », excommunient, pourchassent les mal-pensants, vipères lubriques, hyènes dactylographes de CNews.

Plus le camp du bien s’angoisse, alerte, dénonce, plus les malfaisants prospèrent. Le peuple a compris la tartufferie des guérilleros de Télérama, Francs-Tireurs et Partisans du Festival de Cannes, sous contrat Lancôme. Les « sans dents » ne votent plus à gauche. Les promesses démago, paranoïas ubuesques, prophéties auto-réalisatrices, nourrissent l’incrédulité, le désespoir, les fanatismes.

Le Grand-Guignol antifasciste, l’hystérie de convenance, tiennent lieu de programme et de ciment aux gauches éparpillées, décérébrées. Les pompiers incendiaires, crieurs patentés aux loups d’extrême droite, instrumentalisent l’histoire et la douleur des dizaines de millions de victimes du totalitarisme. Les procès en sorcellerie insultent la mémoire de nos aïeux qui ont souffert dans leur chair, l’oppression, la violence, les barbaries, fasciste, communiste, nazie. Comment sortir de la nasse ?

« Des impôts, des impôts, plus d’impôts, vous dis-je ! »

Égrotante, déprimée, Marianne cherche désespéramment un médecin compétent et conventionné. Confrontés aux déficits abyssaux, une croissance atone, un chômage structurel, la désindustrialisation, certains praticiens, un prix Nobel d’économie (Jean Tirole), le Président de la BPI (Nicolas Dufourcq), suggèrent d’alléger le fardeau de la dette, de réduire le train de vie de l’Etat, de remettre la comptabilité au carré, des potages légers, une cure de vitamines C pour encourager l’esprit d’entreprise, pour retrouver des marges de manœuvres et échapper à la cessation des paiements. Rien n’y fait.

« Ignorantus, ignoranta, Ignorantum.Il faut boire votre vin pur, et, pour épaissir votre sang, qui est trop subtil, il faut manger de bon gros bœuf, de bon gros porc, de bon fromage de Hollande; du gruau et du riz, et des marrons et des oublies, pour coller et conglutiner » (Toinette, Le Malade imaginaire). Thomas Diafoisrus Piketty, Gabriel Zucman Purgon, les stakhanovistes des RTT, tous les connétables du déclin, à la barre depuis 1981, ont un programme unique, inique : planter des impôts pour récolter des fonctionnaires et réciproquement ; une obsession, trancher ce qui dépasse, saigner, purger et tondre les entrepreneurs. Pour soigner le foie, la rate, le chômage, les déficits, l’insécurité, une solution : la taille, la gabelle, la capitation, la CVAE, CFE, CSG, CRDS, IFI, des impôts vous dis-je ! A venir, une Contribution des Hauts Patrimoines et l’impôt sur les os.

« Vous avez là aussi un œil droit que je me ferais crever, si j’étais à votre place ; Ne voyez-vous pas qu’il incommode l’autre, et lui dérobe sa nourriture ? Croyez-moi, faites-vous-le crever au plus tôt: vous en verrez plus clair de l’œil gauche » (Le Malade imaginaire).

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Notre-Dame de Paris à l’Opéra: après l’incendie de 2019, une autre calamité

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Le danseur Hugo Marchand © Yonathan Kellerman Opéra national de Paris

Fresque insipide, dépourvue du caractère épique du roman de Victor Hugo dont elle s’inspire, Notre-Dame de Paris de Roland Petit est l’exemple même de la futilité et de la médiocrité de l’auteur…


On a peine à croire aujourd’hui que Roland Petit, auteur de cette production qu’est Notre-Dame de Paris, créée en 1965 pour le Ballet de l’Opéra et que ce dernier reprend en décembre 2025, mais dans le triste hangar de la Bastille, on a peine à croire que Roland Petit ait pu connaître en son temps une telle renommée, que ce soit en France comme à l’étranger, en Italie tout particulièrement. Les bras mêmes vous en tombent. Et il est à croire qu’une bonne part de ce peuple français auto-proclamé peuple le plus spirituel de la terre aurait plutôt des goûts de concierge, de garçon coiffeur ou de notaire de province. 

À Paris, le public conspuait Martha Graham dans les années 1950, Merce Cunningham dans les années 1960 et 1970, Pina Bausch à l’aube des années 1980, alors qu’il applaudissait frénétiquement Roland Petit. C’était, il est vrai, le public du ballet, plus conservateur, plus écervelé, plus futile que tout autre, pour ne pas être davantage explicite. Les chorégraphes les plus novateurs, ceux que la postérité saluera comme des créateurs de génie, seront tout d’abord reconnus par des publics plus évolués, ceux du théâtre ou des arts plastiques. 

Un roman de gare

Alors que Kurt Joos, José Limon, Martha Graham ou même George Balanchine, dans la même lignée de la danse narrative, avaient composé des chefs d’œuvre en quelques traits d’une force et d’une éloquence inouïes, et que Maurice Béjart incendiait des salles immenses avec son Sacre du printemps daté de 1959, Roland Petit, enrageant déjà de ne pouvoir exister que dans l’ombre écrasante de son rival, portait donc Notre-Dame de Paris sur la scène de l’Opéra voilà six décennies.

On y retrouve les ingrédients constituant nombre de ses ballets: le goût des narrations ambitieuses et du grand spectacle, à quoi s’ajoutent une écriture tenant à la fois du music hall et de l’académisme le plus convenu, des clichés faciles, une théâtralité frelatée faite pour frapper les naïfs à l’estomac ou pour leur en mettre plein la vue. C’est ainsi que Notre-Dame de Paris, ébouriffante épopée rédigée dans la grande veine médiévaliste de Victor Hugo, mais revue par un chorégraphe bien franchouillard, est parvenue à ressembler à un roman de gare.

On verra bien pire il est vrai, trente-trois ans plus tard, avec la comédie musicale de Luc Plamondon et Richard Cocciante.

Des œuvres dignes de passer à la postérité

Pour être juste, il fut un temps où Roland Petit créa des chorégraphies dignes de passer à la postérité : Le Rendez-vous (1945, argument de Jacques Prévert, musique de Joseph Kosma),  ballet expressionniste à la poésie triste ; Les Forains (1945, livret de Boris Kochno, musique d’Henri Sauguet, décor et costumes de Christian Bérard), chant déchirant sur la misère des artistes ambulants ; Le Loup (1953, argument de Jean Anouilh et Georges Neveux, musique d’Henri Dutilleux, décors de Jean Carzou), douloureux poème où le fantastique se mêle à la  cruauté et à la bêtise des hommes. Et bien plus tard, une renaissance du ballet de Léo Delibes, Coppélia (1975) version malicieuse, débordante de vie et de fraîcheur, enrobée dans une scénographie raffinée d’Ezio Frigerio.

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Quant au chef d’œuvre qui bouleversa à juste titre le public de 1946 au Théâtre des Champs-Elysées, Le Jeune Homme et la Mort, et qui rendit Roland Petit brusquement célèbre, il devait tout à Jean Cocteau qui en imagina le propos, le décor, en assura la mise en scène et en choisit le sidérant support musical. Ainsi qu’au danseur Jean Babilée qui en fut le héros indépassable. Plus tard, en ressuscitant ce chef d’œuvre qui n’était pas vraiment le sien, Roland Petit n’aura de cesse de le dénaturer en en réduisant la portée tragique au profit du spectaculaire le plus vain.

Pour le reste, même s’il brille en créant de beaux pas de deux qui seront sa marque de fabrique, Roland Petit donnera surtout le jour à une avalanche d’ouvrages d’un goût à frémir, souvent des adaptations chorégraphiques très kitsch d’œuvres littéraires qui ne méritaient pas un tel affront. Carmen par exemple (1949), l’âpre nouvelle de Mérimée dont il fit une bouffonnerie en saccageant au passage la musique de Bizet. Ou L’Ange bleu (1985) avec lequel le roman de Heinrich Mann est ravalée à une pathétique gaudriole. Pour ne rien dire de L’Arlésienne, de Proust ou les intermittences du cœur et de cent autres solides navets qui firent cruellement rebaptiser leur auteur du sobriquet de Roland le Petit.

Une chorégraphie de boulevard

« Notre-Dame de Paris, écrira sans vergogne un Roland Petit vaniteux comme un coq et qui n’a jamais douté de rien, surtout pas de son génie, Notre-Dame de Paris, c’est comme un film de Dreyer. Un dépouillement et une rigueur absolue au service d’une profonde vie intérieure »

Notre-Dame de Paris, corrigera-t-on avec moins de complaisance, c’est un fatras de gestes mécaniques, de figures anecdotiques et peu inspirées trahissant l’inspiration étriquée d’un démiurge sans envergure; d’images scéniques trop simplistes pour être dramatiques. Ce que le chorégraphe nomme dépouillement n’est que de l’indigence et ce qu’il baptise rigueur absolue n’est autre qu’une absence de sensibilité créatrice.

C’est l’éloquence creuse d’un homme réduit à une sécheresse de cœur et à un travail immature, frappé par une incapacité à créer quelque chose de profond, d’émouvant, à conférer à ses personnages un caractère authentique. D’un auteur qui reproduit les événements décrits dans l’ouvrage dont il s’inspire sans savoir leur restituer le souffle, la dimension épique qui baignent tout Hugo et dont le travail débouche sur des images infantiles et superficielles. En un mot comme en cent, et de bout en bout, c’est terriblement stupide. Quant à « la profonde vie intérieure »…

S’il y avait en danse l’équivalent de ce que le monde du spectacle appelle le théâtre de boulevard, on dirait de Roland Petit, à l’exception de quelques-unes de ses authentiques réussites, qu’il n’a jamais été qu’un assez médiocre chorégraphe de boulevard.

Dur et tranchant comme une lame d’acier

Comment évoquer après cela les quatre interprètes principaux de Notre-Dame de Paris qui se produisaient le soir de la première ?

Ils sont entourés par une foule de danseurs figurant le peuple parisien du temps de Louis XI, un an avant la mort de ce dernier, peuple, sinon populace malléable et dangereuse quand elle est assemblée en foule, et que le chorégraphe réduit à une masse de figurants s’agitant comme des automates.

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La Esmeralda (sans sa chèvre) d’Amandine Albisson est inexpressive, incolore, insipide en un mot. On eut rêvé, en d’autre temps, d’une Isabelle Guérin ou d’une Monique Loudières dans ce rôle qui devrait être tout à la fois d’innocence et d’incandescence. Ici la danseuse exécute proprement sa partie sans paraître autrement concernée. L’apparition de Phoebus (Antonio Conforti) en blonde décolorée drapée dans une cape bleu ciel et posant là comme dans un magazine « gay » des années cinquante, a quelque chose d’aussi ahurissant que comique. Mais qui reprocherait à Hugo Marchand, qui est pourtant un excellent artiste, cette représentation de Quasimodo si sommaire, si mal croquée par un chorégraphe incapable d’attribuer une consistance au personnage, sinon par une démarche bancale et une épaule déboîtée ?

Seul Pablo Legasa, tout de noir vêtu, glacial, dur et tranchant comme une lame d’acier, sait conférer à la figure de Frollo une dimension tragique qui apporte quelque poids à son personnage. 

Aussi bon interprète que l’on soit, comment parvenir à incarner pleinement des personnages aussi sommaires et manquant à ce point d’épaisseur ? Ce ne sont nullement les figures emblématiques que Petit s’est targué d’avoir créées, mais d’indigentes représentations desservies par une gestuelle plus mécanique qu’expressive.

Amandine Albisson et Pablo Legasa (C) Yonathan Kellerman / OnP

Après l’incendie fallait-il nous torturer davantage ?

Ce qui est curieux, mais pas davantage, ce sont les sobres décors de René Allio, bien représentatifs des tentatives novatrices de cette époque en France. Et les costumes d’Yves Saint Laurent. Des costumes spectaculaires, à la théâtralité exacerbée, hélas dévoilés le temps d’un trop bref tableau, et figurant des personnages de cour. Un tableau qui n’a d’ailleurs aucun sens ici, sinon celui d’exhiber le savoir-faire du couturier et la fierté de Roland Petit de se l’être attaché.

Des tenues multicolores, infiniment plus sommaires, revêtent ensuite l’ensemble des danseurs et vont évoluer jusqu’au rouge ou au noir intégral au fur et à mesure de l’action. Eux aussi sont le reflet de leur temps. Et puis, il y a la musique de Maurice Jarre, très belle au prologue, qui demeure efficace ensuite, mais sans laisser d’impression durable. Jarre n’est ni Tchaïkovsky, ni Stravinsky, ni Prokofiev. Ni même Adam, Lalo ou Delibes.

Après l’incendie de Notre-Dame qui nous arracha des larmes, fallait-il donc saluer sa résurrection en nous torturant avec un ouvrage aussi vide et consternant, ce plat fade et dépourvu de toute qualité nutritionnelle opportunément titré Notre-Dame de Paris?  Oui, bien évidemment, sur le plan commercial. On est sûr d’attirer à l’Opéra tout un vaste public maintenant que la tragédie de la cathédrale a fait le tour du monde et que sa restauration attire des foules immenses. Pour l’Opéra, les grands spectacles de ballet de fin d’année sont un bon moyen d’engranger de sérieux bénéfices. Il n’y a là rien de déshonorant à première vue. L’ennui une fois encore, avec l’actuelle direction de l’Académie nationale de Musique et de Danse, c’est que les préoccupations de trésorerie prennent souvent le pas sur les ambitions artistiques.   


Notre–Dame de Paris. Ballet de l’Opéra de Paris. Opéra de la Bastille. 1h55

Jusqu’au 31 décembre 2025

Bobbies et bobards

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Des supporters huent des groupes pro-palestiniens qui manifestaient devant le stade à Birmingham, alors que l’équipe israélienne du Maccabi Tel-Aviv affrontait Aston Villa lors d’un match de Ligue Europa. Les supporters du Maccabi avaient été interdits de match pour des raisons de sécurité, tandis que centaines de policiers patrouillaient autour de l'événement, 06/11/2025 © Lab Mo/LNP/Shutterstock/SIPA

Outre-Manche, les critiques contre la police proviennent désormais aussi de la droite. Les conservateurs dénoncent depuis plusieurs mois le “two-tier policing”: deux poids, deux mesures, et zéro crédibilité… Un rapport parlementaire accablant pour la police de Birmingham concernant la prétendue mauvaise réputation des supporters de football de Tel-Aviv est d’ailleurs venu récemment apporter de l’eau à leur moulin.


Dans un article du 29 octobre, Causeur a attiré l’attention de ses lecteurs sur l’affaire du match entre Aston Villa et Maccabi Tel Aviv qui devait avoir lieu le 6 novembre, à Birmingham. Il s’agit de la deuxième ville du Royaume Uni dont certains quartiers sont dominés par une population musulmane issue de l’immigration pakistanaise. La police de la région, la West Midlands Police (WMP), citant les violences qui avaient eu lieu à Amsterdam lors du match entre Maccabi et Ajax le 7 novembre 2024, avait décidé que les supporteurs du club israélien constituaient une menace pour l’ordre public et qu’aucun billet ne devait donc leur être attribué. Ce refus, qui semblait motivé par le seul désir d’attirer les bonnes grâces de la communauté musulmane locale, a scandalisé jusqu’au gouvernement travailliste de Sir Keir Starmer. Avant qu’un bras de fer ne s’engage entre la WMP, qui jouit d’une autonomie opérationnelle selon la doctrine en vigueur outre-Manche, et les autorités centrales, le club israélien a renoncé à toute allocation de billets à cause de l’« atmosphère toxique » qui entourait désormais la rencontre. Le match, pour lequel la WMP a mobilisé 700 policiers, a eu lieu sans aucun incident grave.

Suite sans fin

Or il s’avère aujourd’hui que le rapport sur lequel la WMP fondait sa décision était truffé d’erreurs factuelles. Telle est la conclusion des audiences organisées par la Commission des affaires intérieures de la Chambre des communes (Home Affairs Committee) qui a interrogé le chef de la WMP, Craig Guildford, et le conseiller indépendant du gouvernement sur l’antisémitisme, John Mann, membre de la Chambre des Lords. Parmi les erreurs du rapport :

  • A Amsterdam, les fans de Maccabi Tel Aviv auraient arraché des drapeaux palestiniens le jour du match. En fait, un seul drapeau a été arraché la veille.
  • A Amsterdam, il y aurait eu de nombreux incidents avec des chauffeurs de taxi. Il y en a eu un seul.
  • Les supporteurs israéliens auraient jeté des citoyens innocents dans la rivière. En fait, c’est un supporteur israélien qui a été jeté à l’eau par des Néerlandais propalestiniens qui l’auraient sommé de crier « Free Palestine » s’il voulait regagner la berge.
  • La police néerlandaise aurait décrit les supporteurs du club israélien comme des « combattants » organisés de manière « militariste » dont l’objectif était de se battre avec la police. Les Néerlandais ont nié avoir fait une telle description.
  • La police néerlandaise aurait été obligée de déployer 5 000 agents pour maintenir l’ordre. En réalité, il n’y en avait que 1 700. (Je suis tombé moi-même dans le panneau, citant le chiffre de 5 000 dans mon article : mea maxima culpa). 
  • Il y aurait eu des violences lors d’un match entre Maccabi et le club londonien West Ham en 2023. Un tel match n’a jamais eu lieu.

Ce match purement fictif avait été repéré par la WMP après avoir fait des recherches sur les réseaux sociaux. Quand les forces de l’ordre reprennent des fake news propagées par des internautes, c’est qu’il y a un problème très grave. Il semble évident que la WMP voulait interdire les fans israéliens et cherchait n’importe quel prétexte pour justifier sa décision. Qu’est-ce qui arrive à la police anglaise ?

De la fierté à la honte

A une époque, qui semble aujourd’hui appartenir à un passé lointain, les Britanniques se disaient fiers de leur British Broadcasting Service (BBC), un vaste réseau de médias d’État, plutôt neutres et fiables, dont l’influence s’étendait – et s’étend encore – à travers le monde. Le mirage de la fiabilité a été dissipé par de nombreuses affaires dont la plus récente est celle du faux montage du discours tenu par Donald Trump le 6 décembre 2021. De la même façon, les Britanniques se disaient fiers de leurs forces de l’ordre. Le policier local, le « bobby » (surnom dérivé du nom de l’homme politique conservateur, Robert Peel, qui a créé la police londonienne en 1829) incarnait un modèle de service public et de courage héroïque, lui qui normalement ne portait pas d’arme à feu. Les détectives de Scotland Yard (métonymie dérivée de l’adresse du premier quartier général à Londres – rien à voir avec l’Écosse !) étaient à la pointe de toutes les nouvelles techniques de la traque des criminels. Certes, les exemples de l’héroïsme traditionnel ne manquent pas dans le passé récent. En mars 2017, lors de l’attentat islamiste du pont de Westminster et du Parlement, où un djihadiste utilisant une voiture et un couteau a fait cinq morts et 48 blessés, un policier sans arme s’est sacrifié en affrontant l’assaillant avant que ce dernier ne soit abattu par un collègue armé. Trois mois plus tard, lors de l’attentat du pont de Londres où trois djihadistes armés de couteaux et d’une camionnette ont fait huit morts et 48 blessés, quatre policiers sans armes, dont certains n’étaient pas en service à ce moment-là, n’ont pas craint de faire face aux meurtriers enragés. Pourtant, ces exemples remarquables n’ont pas pu sauver la réputation des forces de l’ordre britanniques qui sont accusées aujourd’hui d’incohérence dans leur politique de maintien de l’ordre, ou de ce qu’on appelle « two-tier policing ». Quel est le sens précis de ce néologisme ?

Depuis des années, la police britannique, comme celle de la France, fait l’objet d’accusations de racisme et de sexisme en provenance de la gauche. Mais de nouvelles critiques sont formulées par la droite, surtout la droite populiste dont la figure de proue est Nigel Farage, le chef du parti Reform UK. Le terme « two-tier policing » ou le maintien de l’ordre « à deux vitesses » ou « deux poids, deux mesures », tel qu’il est utilisé par ces accusateurs, désigne une tendance chez les forces de l’ordre à faire preuve d’indulgence face aux manifestations et actions de contestation organisées par la gauche et des groupes musulmans, et à faire preuve de sévérité face aux événements équivalents organisés par la droite et des groupes patriotiques. Un des premiers exemples de cette tendance serait le laxisme de la police au moment des manifestations Black Lives Matter en mai et en juin 2020, au lendemain du meurtre de George Floyd. Certaines de ces actions ont eu lieu en dépit des restrictions imposées par le gouvernement dans le contexte de la pandémie du Covid. Les forces de police n’ont rien fait pour les empêcher. En revanche, les choses se sont passées différemment en mars de l’année suivante, quand les restrictions sont de nouveau en place. Après l’enlèvement et l’assassinat d’une femme, Sarah Everard, par un policier, Wayne Cousins, dont l’arrestation et la condamnation ont révélé toute une histoire d’agressions sexuelles que sa hiérarchie aurait ignorée, des femmes ont tenu une veillée dans un parc londonien. Cette fois, la police s’est montrée implacable concernant les restrictions et a traité les participantes – majoritairement blanches – avec une brutalité honteuse.

Le non-sens des priorités

À la vague de folie wokiste de 2020 à 2022 succède, après le 7 octobre 2023, celle de la folie en keffieh. Cette nouvelle vague, qui n’est que le prolongement de la première, voit se multiplier de grandes manifestations anti-israéliennes dans les principales villes du pays, que la ministre de l’Intérieur de l’époque, Suella Braverman, a qualifiées de « marches de la haine ». La police aurait pu interdire ces manifestations grâce à son « indépendance opérationnelle » mais elle n’en a interdit aucune, malgré l’atmosphère d’insécurité que ces marches ont créée pour les Juifs britanniques. Lors des émeutes qui ont suivi l’attentat de Southport en juillet 2024, où Axel Rudakubana, 17 ans, le fils d’immigrés rwandais, a tué trois petites filles et blessé dix personnes, la police et la justice ont réagi avec une grande sévérité. On peut toujours débattre de la proportionnalité de la réaction dans tel ou tel cas, mais ce qui a choqué une section du public, c’était une vidéo montrant la police qui parle amicalement avec une bande de musulmans armés de clés et de marteaux prétendument pour défendre leurs lieux de culte. Sévérité plus qu’exemplaire d’un côté, indulgence de l’autre. Un autre élément est venu renforcer cette idée, car outre-Manche la police consacre des ressources disproportionnées au maintien de l’ordre sur les réseaux sociaux. De nombreux citoyens ont été interrogés voire arrêtés par la police suite à des publications qui auraient offensé d’autres internautes. Parmi eux, des personnalités publiques comme la journaliste conservatrice Allison Pearson, qui a reçu une visite surprise de la police un dimanche matin, un an après un post sur X au lendemain du 7-Octobre. Ou l’humoriste et scénariste irlandais, Graham Linehan, arrêté à l’aéroport de Londres pour des posts critiques à l’égard de l’idéologie transgenre. Pourtant, le taux de résolution de crimes des différentes forces de police régionales est en chute libre depuis 2015.

Comment les forces de l’ordre en sont-elles arrivées là ? Il s’agit d’une réaction désespérée aux critiques venant de la gauche qui, il faut l’admettre, ont souvent visé juste. Mais cette ouverture aux sirènes des idéologies les plus wokistes est enracinée dans la formation même des policiers. Un nouveau programme de formation pour les candidats ne possédant pas déjà un diplôme universitaire a été créé en 2018 et généralisé à toutes les forces de l’ordre en 2020. Cette formation est fondée sur une alternance entre le travail pratique sur le terrain et des cours dispensés par les départements de sciences humaines des universités. Il s’agit bien entendu des départements les plus à gauche qui promeuvent sans cesse des idéologies militantes à peine déguisées en disciplines universitaires. C’est là que, en toute probabilité, les apprentis policiers imbibent la théorie critique de la race, les études queer et la théorie décoloniale, ainsi que des concepts comme le privilège blanc, le colonialisme de peuplement et la fluidité de genre

La tragédie de la police britannique, comme celle de la BBC, repose sur la diffusion de cette vision manichéenne du monde qui sépare les bons des méchants, non selon les anciens critères d’honnêteté, d’impartialité et d’humanité, mais selon ceux d’une doctrine politique portée par une minorité d’intellectuels et d’activistes et rejetée par la majorité des citoyens.

Union des droites: jusqu’où?

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Eric Zemmour et Laurent Wauquiez à Paris, le 30 janvier 2019 © WITT/SIPA

Pour la présidentielle, Laurent Wauquiez et David Lisnard souhaitent tous deux une primaire « de Gérald Darmanin à Sarah Knafo ». Plus personne en France ne considère Marine Le Pen, Jordan Bardella ou Eric Zemmour comme des fascistes. Lors de la dernière élection, il faut se souvenir qu’Éric Zemmour avait proposé sa candidature à la primaire de la droite, avant que les chapeaux à plumes LR ne trouvent des arguties juridiques pour refuser sa candidature… Alors que 2027 se rapproche, la droite traditionnelle doit mettre fin aux clivages internes, et clarifier sa position entre fidélité aux principes démocratiques et réponse aux attentes du peuple, analyse notre chroniqueur. Dans son livre, Nicolas Sarkozy révèle de son côté avoir dit à Marine Le Pen qu’il ne s’associerait plus à un « front républicain » contre le RN.


La droite a-t-elle le droit d’être plurielle ? C’est une question qu’on a le droit de se poser.

C’est à la suite d’un remarquable article d’Alexandre Pedro dans Le Monde sur l’union des droites, ses problématiques et ses enjeux, que j’ai eu envie de reprendre ce thème, lequel a perdu son caractère sulfureux — entre opprobre et enthousiasme — pour s’ancrer désormais dans une réflexion plus profonde. Celle-ci est d’autant plus nécessaire que le débat actuel semble opposer certains des esprits les plus clairvoyants et respectés à droite, notamment Bruno Retailleau et David Lisnard.

Une alternative simple

Ma référence au Monde – aussi discutables et biaisées que puissent parfois m’apparaître les analyses de ce quotidien, qui demeure pourtant tristement nécessaire à l’information du citoyen – vise à montrer pourquoi je suis incapable d’une détestation en bloc. Il arrive que certaines synthèses, d’une réelle clarté, éclairent n’importe quel lecteur. On ne peut pas, on ne doit jamais rejeter globalement.

Un mot sur ces paramètres inutiles. Ce n’est pas à la gauche de déterminer ce qui serait bon pour la droite, et celle-ci doit évidemment demeurer indifférente aux leçons d’un « progressisme » qui s’est totalement disqualifié. On peut certes s’interroger sur le caractère électoralement nécessaire d’une entente visant à dégager un candidat unique, mais cette approche n’aborderait pas le fond de la question. Enfin, définir les limites de cette union – de Gérald Darmanin à Sarah Knafo, par exemple – uniquement à partir du choix des personnalités ne serait pas suffisamment opératoire.

Si l’on élimine quelques paramètres, l’union des droites, au fond, confronte le camp largement conservateur à une alternative simple.

En réalité, l’alternative que j’évoquais plus haut et qui est centrale tient à cette interrogation. L’extrême droite (paresseusement définie comme telle par de nombreux médias) constitue-t-elle un territoire totalement étranger à la droite classique, ou n’est-elle qu’une branche, une nuance radicale d’une droite aux mille visages, allant d’un souci de cohérence et de responsabilité à l’approche la plus débridée et inventive qui soit ?

A lire aussi: Mais… quelle bataille culturelle?

Doit-on considérer Marine Le Pen, Jordan Bardella, Éric Zemmour et Sarah Knafo comme des partenaires potentiels des Républicains, quels que soient les antagonismes apparents — qu’il ne faut pas surestimer — ou bien sont-ils, de manière irréductible, des adversaires que la vie politique ne parviendra jamais à concilier ?

S’agit-il d’une droite radicale susceptible de se mêler à d’autres visions de droite, ou d’un objet politique non assimilable, condamnant les droites classiques à s’ébattre dans leur seul champ traditionnel ?

Une intuition

À la réflexion, passionné par cet enjeu dont la résolution aurait une incidence directe sur 2027, je me demande si le désir d’affirmer sa propre identité ne conduit pas chaque parti, groupe ou groupuscule à exagérer ce qui le sépare des autres sur le fond, alors que la forme, la méthode, la volonté d’accomplir ou non seraient sans doute capitales.

J’ai ainsi l’intuition qu’un partage devrait être opéré entre, d’un côté, ceux qui ne seraient pas prêts à sacrifier les principes d’une démocratie traditionnelle pour satisfaire les attentes du peuple, et de l’autre, ceux qui placeraient ce dernier au-dessus de tout, fût-ce au risque d’écorner nos structures républicaines.
Les citoyens d’abord, ou la démocratie comme bouclier honorable ?

La droite a le droit d’être plurielle. Cependant, contrairement à ses habitudes qui la réduisent parfois à des pulsions et à des réflexes, elle ne pourra pas faire l’économie de l’intelligence et de la pensée. Et le temps presse.

MeTooMuch ? (Essai)

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La fille gênée de l’Église

La nef de l’église Saint-Sulpice © Wikimedia

Sommes-nous judéo-chrétiens ? Causeur consacre 28 pages à la question dans le magazine ce mois-ci, avec Éric Zemmour, Monseigneur Rougé, Chantal Delsol, Geoffroy Lejeune, Denis Olivennes, Jeremy Stubbs etc. Elisabeth Lévy et Jean-Baptiste Roques vous présentent ce grand dossier.


On s’attendait à un livre un peu maurrassien sur les bords, l’antisémitisme en moins. En clair, on soupçonnait vaguement l’ami Zemmour de rêver d’une nouvelle alliance du trône et du goupillon, restaurant le catholicisme dans sa dignité de religion française par excellence. On l’imaginait surfer sur la vague catho-identitaire qui enflamme les cœurs de nombreux jeunes, trouvant, en même temps que « la joie d’être aimé de Dieu », comme le confie Geoffroy Lejeune dans nos pages, la foi dans un avenir appelé France. À vrai dire, il s’agit plutôt d’une vaguelette que d’une tendance lourde susceptible d’enrayer ou d’inverser la longue marche vers la sécularisation. D’après un récent sondage de l’IFOP (qui, n’en déplaise aux Insoumis à bas front, ausculte les croyants de toutes obédiences depuis des décennies), seules 41 % des personnes interrogées en 2025 croient en Dieu contre 56 % encore en 2011. Comme l’écrit Chantal Delsol dans notre dossier, les jeunes croyants savent qu’ils sont minoritaires même s’ils ne se résignent pas tous avec la philosophe à ce que « les chrétiens ne soient plus les prescripteurs moraux de nos sociétés ».

La nostalgie d’un catholicisme viril 

Il y a une différence de taille entre ces cathos qui appartiennent doublement à la génération Z (par leur âge et par leur admiration pour l’auteur du Suicide français) et leurs aînés catho-culturels (ou cathos-zombies, selon l’expression mal comprise mais juste d’Emmanuel Todd). Non seulement ce sont de vrais croyants soucieux d’accorder leur vie et leur foi en s’engageant dans la cité, comme le souligne Monseigneur Rougé dans son dialogue avec Zemmour, mais ils n’entendent plus cacher leur étendard, ni accepter d’être la seule religion qu’on puisse ouvertement mépriser et moquer sans jamais subir les foudres des censeurs. Ils sont sortis du placard avec la Manif pour tous, ils n’entendent pas y retourner. Ils ne tendront plus la joue gauche.

En attendant, tous ceux qui guettent avec gourmandise le dérapage qui fera sortir Zemmour de la route idéologique où ils entendent cantonner le débat public et qui, espèrent-ils toujours et toujours en vain, signera sa mort sociale en seront pour leurs frais. Dans La messe n’est pas dite, le président de Reconquête ! ne propose pas d’en finir avec la laïcité dont il n’oublie pas qu’elle est l’enfant du christianisme, ni de destituer la Raison avec laquelle celui-ci a su se conjuguer, après moult vicissitudes il est vrai. Certes, cet amoureux de notre histoire, convaincu que « notre avenir est écrit dans le passé », pense que la Révolution a été une catastrophe pour la France – la Révolution, pas l’avènement de la démocratie – et se dit nostalgique d’un « catholicisme viril ». Pour autant, il ne prétend pas refaire du catholicisme le fondement officiel de l’identité nationale. Revisitant ses lectures de jeunesse, il assure avec André Suarès que « les Français, qu’ils aillent ou non à l’église, ont les Évangiles dans le sang ». Autrement dit, si le catholicisme n’est plus une religion d’État ni même une religion majoritaire, il reste le socle d’une civilisation que Zemmour définit comme judéo-chrétienne, car il n’oublie pas que c’est la religion de la Loi qui a engendré la religion de la Foi.

Actuellement dans les kioques: Causeur #140: Il était une foi en France

Les flics du progressisme n’ont pas mis longtemps à débusquer dans ce trait d’union entre judaïsme et christianisme une nouvelle façon d’exclure les musulmans. Ils se trompent doublement. D’abord, comme le montre Jeremy Stubbs dans nos pages, bien avant que l’islam mette au défi nos sociétés, le judéo-christianisme a été le soubassement anthropologique et le code culturel de l’Occident. Ensuite, il ne s’agit pas d’exclure les musulmans mais de contenir l’islam (faute de pouvoir le christianiser en lui faisant avaler la séparation entre spirituel et temporel), précisément pour ramener les musulmans dans la matrice commune.

La messe n’est pas dite

La civilisation judéo-chrétienne, rappelle Zemmour, a laissé sa marque partout, dans les bâtiments, les paysages, les institutions, le Code civil. Dans ces conditions, dira-t-on, que veut-il de plus ? L’ancien journaliste du Figaro ne demande pas que le chef de l’État jure sur la Bible ou qu’on célèbre son élection par une messe, il ne propose pas de ramener les crucifix dans les salles de classe. Il souhaite juste qu’on apprenne aux enfants de France, quelle que soit leur origine réelle, d’où ils viennent et ce que signifient les tableaux qu’ils voient dans les musées, qu’on n’ait pas honte de célébrer Noël et Pâques, que les juges et les associations mal nommées de libre-pensée trouvent d’autres paroissiens à enquiquiner que les élus qui, à l’instar de Robert Ménard, installent une superbe crèche de Noël dans la cour de leur mairie. Ce qu’on appelle en somme le combat culturel : pas de quoi fouetter un bouffeur de curé.

La messe n'est pas dite: Pour un sursaut judéo-chrétien

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Ahmed al-Charaa au Forum de Doha: un an après la chute du régime syrien, le pari fragile de la normalisation

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Doha, Qatar, 6 décembre 2025 © IMAGO/NOUSHAD THEKKAYIL/SIPA

Au Qatar, le président syrien autoproclamé a exécuté un habile numéro d’équilibriste.


L’histoire aime les symboles et les espoirs dans une période très agitée. Surtout quand cela concerne le Moyen-Orient. Celui qui s’est joué le 6 décembre 2025, au Forum de Doha, n’en manque pas. Pour la dernière édition de 2024, la chute brutale du régime de Bachar al-Assad avait bouleversé un Moyen-Orient en pleine reconfiguration, accélérant une transition forcée et chaotique. Cela fait aujourd’hui exactement un an que Damas a basculé. Et c’est précisément maintenant que le nouveau président de transition syrien, Ahmed al-Charaa, a choisi de prendre la parole au Qatar, sous les caméras d’un forum devenu l’une des scènes diplomatiques centrales du monde arabe. La présence de cet ancien djihadiste, reconverti en dirigeant que la communauté internationale juge désormais fréquentable, résume les paradoxes d’une Syrie en reconstruction et d’un ordre régional qui tente d’éviter une énième implosion.

La visite inédite d’un président toujours en quête de respectabilité internationale

Rarement récemment un dirigeant n’aura incarné à ce point la possibilité, ou l’illusion, d’une métamorphose politique. Ahmed al-Charaa, poussé au pouvoir dans le sillage de l’effondrement du régime Assad, traîne un passé que nul ne peut ignorer. Ancien combattant radicalisé à l’époque des guerres confessionnelles, il a pourtant réussi un tour de force diplomatique : apparaître aujourd’hui comme un président de transition crédible, présentable, presque consensuel. Sa venue au Forum de Doha, ce Davos du Moyen-Orient qui accueille chefs d’État, milliardaires, stratèges et négociateurs internationaux, illustre cette stratégie de légitimation. Le Qatar, qui a patiemment mûri depuis une décennie un rôle d’arbitre régional, lui offre une tribune et un cadre susceptibles de sceller sa transformation politique. En l’invitant, les organisateurs du forum ont fait plus que reconnaître un nouveau pouvoir : ils ont assumé de miser sur la capacité de ce président atypique à maintenir la Syrie hors du chaos, fût-ce temporairement.

A lire aussi: Syrie année 1: du despotisme baasiste au salafisme d’État

Une Syrie en transition, entre fractures internes et influences étrangères

La Syrie que dirige al-Charaa n’a rien d’un État stabilisé, à tout le moins il n’a pas basculé dans le chaos. La transition est profonde, incertaine, traversée par des tensions anciennes et de nouvelles rancœurs. Les minorités druzes et chrétiennes ont payé le prix fort de décennies de guerre, oscillant entre marginalisation, oppression et représailles. Leur place dans la Syrie nouvelle reste une équation délicate, tant les blessures sociales et confessionnelles demeurent ouvertes. À cela s’ajoute le poids évident des puissances extérieures, qui continuent à peser sur l’avenir du pays. Le Qatar et la Turquie sont les deux soutiens majeurs du président de transition, non seulement pour l’appui à la mécanique politique interne, mais aussi pour la stabilisation sécuritaire et économique. Sans cet appui, la Syrie risquerait de retomber dans le cycle des factions armées et des zones d’influence incontrôlées. La réalité est claire : l’autorité d’al-Charaa repose autant sur sa capacité à imposer une discipline politique en interne que sur l’équilibre qu’il parvient à maintenir entre ses alliés régionaux, tout en gardant à distance l’Iran, la Russie et les résidus de l’ancien appareil baasiste.

Les messages du président: apaisement, calculs régionaux et gestion du dossier israélien

Dans son discours à Doha, Ahmed al-Charaa a tenté de s’adresser à plusieurs audiences en même temps : la communauté internationale, les pays arabes, ses alliés, ses adversaires et surtout Israël. La question israélienne demeure l’un des nœuds de la transition syrienne. Tel-Aviv exige depuis plusieurs semaines la démilitarisation totale de la zone frontalière, au minimum jusqu’à la ligne de désengagement de 1974, arguant que toute reconstruction syrienne doit s’accompagner d’une garantie de sécurité absolue. Le président syrien, conscient que la viabilité de son régime dépend de sa capacité à éviter un nouveau front militaire, a adopté à Doha une ligne pragmatique. Il a assuré vouloir restaurer un État de droit souverain tout en évitant les provocations régionales. Il a également affirmé que la nouvelle Syrie ne sera plus un terrain de guerre par procuration et qu’un mécanisme de désescalade, soutenu par le Qatar et discuté discrètement avec Washington, pourrait offrir une sortie honorable au différend avec Israël. Ce discours n’efface ni les zones d’ombre ni les doutes. Il reflète toutefois une stratégie : tenir ensemble des exigences contradictoires, rassurer les puissances qui veulent une Syrie contrôlable et envoyer des signaux à Israël sans affaiblir sa propre légitimité déjà fragile… Tout en ménageant l’ancien allié russe du régime précédent et en accueillant les Américains à bras ouverts !

Si la présence d’Ahmed al-Charaa au Forum de Doha marque un tournant symbolique dans la transition syrienne, elle souligne surtout l’extrême volatilité d’un pays qui tente de renaître sous tutelle régionale et sous le regard méfiant de ses voisins. La normalisation est un pari, la stabilisation un défi, et l’acceptabilité internationale un processus fragile. Reste à savoir si le nouveau président syri­en est l’artisan d’une rupture réelle ou simplement le visage temporaire d’un équilibre encore instable.

Europe: de la vertu qui rend petit

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Friedrich Merz, Keir Starmer, Volodymyr Zelenskyy et Emmanuel Macron au 10 Downing Street, à Londres, 8 décembre 2025 © Toby Melville/AP/SIPA

Après la publication, vendredi dernier, de la stratégie de sécurité nationale version MAGA de Trump, les Européens constatent avec effroi que le nouveau président américain ménage effectivement Moscou et s’indignent de la place qui semble leur être réservée dans le nouvel ordre mondial. Alors que la géopolitique issue de l’après-1945 est bouleversée par l’isolationnisme américain et l’attitude belliqueuse de la Russie, une Europe tétanisée et féminisée n’est capable de réagir que par une crise de nerfs, observe notre contributeur.


Face à l’intensification récente des discussions entre les Américains et les Russes pour aboutir à un accord de paix avec l’Ukraine, les Européens ne l’entendent pas de cette oreille et tentent d’imposer leur vision d’une paix impossible.

L’Europe a fendu l’armure. Elle est devenue cette étrange mégère qui couche son âme rancunière sur le divan de la morale. Son réarmement militaire se déploie dans le lit d’un ressentiment désordonné. Confrontée à la fin du glacis protecteur américain, l’Europe s’égare dans une sentimentalité toute fragile : elle casse des assiettes, s’agite dans tous les sens, condamnant tour à tour tous ceux qui seraient opposés à ses « valeurs ». 

Or les valeurs de l’Europe sont malades. Elles reposent sur une interprétation pathétique et épuisée de la réalité. « La morale est aujourd’hui en Europe une morale de troupeau », disait déjà Nietzsche, au XIXème siècle…

En boucle, on scande que la Russie serait à nos portes, on s’invente des ennemis illusoires, on se trompe de cible, on se trompe d’origine. « Il faut mettre en question la valeur même des valeurs morales », assénait Nietzsche. Nos valeurs égalitaristes, pudibondes et aplanissantes, celles qui prônent la faiblesse en archétype de la vie, ont triomphé. Ce qui est à l’œuvre aujourd’hui, c’est le couronnement de l’Europe tétanisée et féminisée.

L’hystérie européenne 

Cette situation géopolitique européenne n’est autre que le produit d’une physiologie particulière: celle d’un corps où l’idéal ascétique demeure le credo de la vie. La bienveillance éternelle exercée en mantra du vivant est la phase terminale d’une civilisation occidentale à bout de souffle et à bout de nerfs. Une vie vécue à l’aune dela curatelle du médecin, d’un corps fatigué, incapable d’agir autrement que par la faiblesse, forme sublimée du renoncement à soi. Mais quelle est la Sainte-Trinité des valeurs européennes ? Paix, Pitié et Compassion ! La paix idéalisée entretenue par une hystérisation des discours martiaux; la pitié à tout prix qui conduira à la mort; la compassion à tout prix qui conduira à la haine. Voilà où nous en sommes. Voilà ce que l’on martèle dans toutes les têtes européennes, relayé en grande pompe par les médias et l’ensemble des grandes institutions du monde occidental.

Alors que les tractations entre Vladimir Poutine et l’administration américaine se sont intensifiées ces dernières semaines pour tenter de trouver une issue à la guerre, les Européens semblent se refuser à tout compromis, à toute volonté de résolution du conflit. Ils ne raisonnent plus à partir de réalités mais d’idées abstraites. Ils sont prêts à falsifier le réel ; à créer l’illusion dangereuse que la Russie serait à nos portes d’ici trois ou quatre ans alors qu’elle avance péniblement sur le front ukrainien. En trois ans, la Russie n’a même pas été en mesure de conquérir le Donbass. Mais l’Europe n’a que faire de la réalité. Elle semble préférer poursuivre la guerre tant que son idéal de paix juste n’est pas accompli. Qu’importe les morts, qu’importe les réalités du terrain, qu’importe l’Ukraine, il faut d’abord et avant tout que sa morale triomphe coûte que coûte pour que le chemin d’une paix puisse se dessiner. 

Paralysie de la pensée

Les Européens ne savent plus réagir que par l’angoisse. Une angoisse fantasmée qui leur permet de tout légitimer même les irréalités les plus folles. La distance, la perspective, la nuance, et le recul historique ont littéralement disparu des discours. En 1948, Albert Camus publiait un article intitulé « Le siècle de la peur » où il soulignait qu’« entre la peur très générale d’une guerre, que tout le monde prépare et la peur toute particulière des idéologies meurtrières, il est donc bien vrai que nous vivons dans la terreur (…) Pour sortir de cette terreur, il faudrait pouvoir réfléchir et agir suivant la réflexion. Mais la terreur, justement, n’est pas un climat favorable à la réflexion ».  

A chaque tentative de discussion entre Trump et Poutine, que font les Européens ? Ils s’indignent, accusant les uns d’être poutinophiles, les autres d’être trop complaisants avec la Russie, suspectant chez tous ceux qui daignent réfléchir une forme d’intelligence avec l’ennemi ! Mais « un homme indigné est un homme qui ment », rappelait Nietzsche. Une gesticulation morale en vue de séparer le monde en deux camps : les « méchants » et les « gentils ». Au diable Trump et Poutine ! L’Europe adoube son nouveau roi de miséricorde : Volodymyr Zelensky, le supplicié, le courageux, le martyr, le valeureux. Elle s’unit dans la faiblesse pour mieux recréer les conditions de sa force. L’Europe est lancée dans une nouvelle croisade. En prenant sa faiblesse pour de la force, elle nous conduit tout droit à la guerre des faibles. 

Mais… quelle bataille culturelle?

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Les députés Charles Alloncle (UDR) et Jérémie Patrier-Leitus (Horizons), commission d’enquête sur la neutralité, le fonctionnement et le financement de l’audiovisuel public, Assemblée nationale, Paris, 25 novembre 2025 © Jeanne Accorsini/SIPA

La droite dit, enfin, vouloir se lancer dans la bataille culturelle. Reste à savoir comment elle compte la mener.


Depuis l’affaire de la « labellisation » de l’information, la droite hausse le ton et cite 1984 de George Orwell davantage qu’une copie de philosophie de lycée. Enfin ! Elle qui s’est contentée jusqu’à présent de rêvasser à la France d’avant Mitterrand, de revendiquer son droit aux délices pralinés de la nostalgie et de brandir son « pass culture » sépia – les châteaux de la Loire, Le Château de ma Mère et le pensionnat du Fond de l’étang des Choristes – la voilà qui se réveille. Ce n’est pas trop tôt.

« La bataille culturelle va être violente », annonce fièrement la droite, émergeant de cinquante ans d’hibernation. À la bonne heure. Mais de quelle bataille culturelle parle-t-on ? Pendant que la gauche-fourmi érigeait, pierre après pierre, un modèle cohérent (histoire mondiale de la France, géographie a-physique, littérature a-stylistique, arts visuels occidentaloclastes, cinéma convivial), la droite-cigale se moquait et, entre deux-trois envolées lyriques sur l’âme de la France coincée entre la merveilleuse Jeanne d’Arc et l’odieuse Révolution française, trouvait scandaleux le travail de sape de la gauche tout en continuant à envoyer ses enfants à l’école apprendre l’histoire de esclavage européen et la littérature jeunesse francophone.

A lire aussi: L’immigration, la science et les gardiens du temple médiatique

Pour qu’il y ait bataille culturelle entre une droite enfin déniaisée et une gauche gramscienne enfin déstabilisée, il faut un combat à armes égales. Faire du Gramsci de droite, en somme. Raymond Aron avait décidément raison : dans l’ordre de l’histoire, si on entend survivre, il n’y a pas d’autre moyen de résister qu’en montrant à ses ennemis politiques que l’on est capable des mêmes vertus qu’eux. Aujourd’hui, la culture dite de droite se résume, en gros, au point d’histoire de Philippe de Villiers et au point philo de Michel Onfray – lequel n’est d’ailleurs pas de droite mais que la droite a raison d’apprécier – rares moments stimulants de la culture non mainstream. La France crève pourtant d’historiens méconnus capables d’alimenter des débats inédits sur des thèmes squattés par la gauche (colonisation, décolonisation, esclavage, guerres de religions etc.), d’artistes contemporains insensibles à l’antifascisme parisien, d’écrivains ne parlant pas des migrants et de professeurs susceptibles de faire des cours sur autre chose que la misogynie d’Émile Zola dans Au Bonheur des Dames. À la droite d’aller les chercher et de leur donner l’espace médiatique requis. Puisque tout se joue là.

Il n’y aura pas de « bataille culturelle » tant que la droite continuera à considérer que sa culture est immémoriale, sacrificielle mais toujours vivace sous les toits des églises qui s’effondrent et entre les pages des Mémoires de guerre du Général de Gaulle que tout le monde s’arrache tel un totem de grandeur. La gauche a toujours su renouveler son délire de l’homme nouveau : après le camarade communiste et le citoyen du monde, elle a eu l’idée du perpétuel éveillé à la croisée de toutes les causes minoritaires. À la droite de proposer l’homme tout court, capable de reconquérir son héritage et, surtout, de le moderniser. Vaste programme. Et qui va demander beaucoup de travail.

🎙️ Podcast: Impuissance du gouvernement, entrisme islamiste à gauche, échecs et succès littéraires…

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La journaliste Céline Pina © Bernard Martinez

Avec Céline Pina, Eliott Mamane et Jeremy Stubbs.


Le Premier ministre Sébastien Lecornu essaie de faire adopter son projet de budget de la Sécurité sociale en appelant à la responsabilité de tous. Par là, il ne fait que se dégager de toute responsabilité.

Le 24 juin 2025, l’Assemblée nationale a créé une commission d’enquête « sur les liens existants entre les représentants de mouvements politiques et des organisations et réseaux soutenant l’action terroriste ou propageant l’idéologie islamiste ». Ses travaux ne sont pas encore terminés, mais ils ont déjà eu un effet: des journalistes ont été menacés par l’extrême gauche. C’est ainsi que cette dernière, tout en prétendant que l’enquête la vise injustement, a dévoilé sa fidélité à l’idéologie islamo-gauchiste et son peu de respect de la démocratie. Pendant ce temps, outre-Atlantique, Donald Trump envisage l’interdiction des Frères musulmans.

A lire aussi : Parlez-vous le Goldnadel?

Si le livre de Jordan Bardella connaît un grand succès populaire, celui de Marine Tondelier est un bide, ainsi que celui de Ségolène Royal. C’est le symptôme d’une gauche qui a perdu la confiance du peuple.

Pour les auditeurs qui sont à la recherche de lectures plus digestes, il y a le nouveau titre d’Eric Zemmour, La messe n’est pas dite (Fayard). Son auteur dialogue avec Mgr Rougé, l’évêque de Nanterre, dans le nouveau numéro de Causeur. Il y a aussi le dernier livre de Gilles-William Goldnadel, Vol au-dessus d’un nid de cocus (également chez Fayard)…

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