Le chanteur à minettes Justin Timberlake parvient toujours à passer entre les mailles du filet féministo-woke. La presse américaine l’a même renommé « Teflon Man », car les accusations glissent sur lui comme sur une poêle Tefal ! Dans son autobiographie fracassante, La Femme en moi, sortie en octobre, son ex-Britney Spears dévoile qu’elle avait avorté en raison du refus de paternité du chanteur. En réponse, l’homme antiadhésif se drape dans sa dignité en gardant le silence. Cette année, il sort le premier single de son nouvel album après six ans d’absence. Dans les paroles de Selfish, il confesse être jaloux et égoïste : c’est tout comme s’il revendiquait ses comportements toxiques avec les femmes. Brit-Brit ayant commis une chanson portant le même titre en 2011, ses fans se débrouillent pour qu’elle soit plus téléchargée et devance le tube de Justin dans le classement iTunes.
Pourtant, la chanteuse elle-même se déclare « amoureuse » de Selfish et s’excuse pour ce qu’elle a dit dans son livre. En réponse, lors d’un concert à New York, Timberlake se montre ingrat, déclarant : « J’aimerais saisir l’opportunité de m’excuser… auprès de personne, putain ! » En 2004, le même chanteur avait été au centre du scandale du « Nipplegate », mot-valise formé de nipple, « téton », et du suffixe -gate. Il dévoilait malencontreusement sur scène le sein de la superstar Janet Jackson lors d’une chorégraphie osée accompagnant un duo retransmis devant 140 millions de téléspectateurs le soir du Superbowl. Selon la sœur de Michael, il était prévu que son soutien-gorge reste en place et ne dévoile que partiellement son sein. Cependant, lors de la prestation, Timberlake tira trop fort sur le bustier… S’ensuivirent aux États-Unis tout un battage médiatique, des amendes et l’adoption par les chaînes américaines d’un délai de cinq secondes avant diffusion pour prévenir tout incident de ce genre. Et, surtout, la fin de la carrière de Janet Jackson, victime apparente de « misogynoir ». En 2021, Justin Timberlake, qu’on accuse régulièrement d’appropriation culturelle, s’est excusé publiquement auprès d’elle en reconnaissant avoir bénéficié d’un système qui tolère le sexisme et le racisme. Oui, un homme-téflon…
Hier, on disait aux communistes français prosoviétiques: les cocos à Moscou! Aujourd’hui, la fachosphère prorusse mérite qu’on lui retourne le compliment.
En prenant de l’âge, j’ai perdu toutes mes certitudes, sauf deux. Celle de mon hétérosexualité et celle de mon vote, que je croyais verrouillé sur un seul objectif : la reconquête du territoire. La lutte contre la tiers-mondisation française étant la mère de toutes mes batailles, le candidat décidé à arrêter l’immigration pour enrayer le grand remplacement avait mon suffrage, sans conditions. Pas regardant, j’aurais soutenu le premier venu, même s’il avait inscrit à son programme le rétablissement de la polygamie ou du droit de cuissage.
Hier encore…
Aujourd’hui, de ces deux certitudes, il ne m’en reste qu’une. Les positions que l’on prend sur la guerre en Ukraine dans ma famille politique ont fait vaciller l’autre. Hier pourtant, j’étais un militant fidèle quoique parfois embarrassé, comme ce jour où Eric Zemmour déclara qu’il fallait un Vladimir Poutine à la française. Alors, je buvais ma honte et évitais de le crier sur tous les toits en pensant à la France qui avait peut-être, avec son arrivée au pouvoir, une chance de rester la France.
Je votais Zemmour, et plutôt deux fois qu’une avec une procuration extorquée à ma mère, mais un peu honteux en pensant à la journaliste Anna Politkovskaïa, aux opposants Alexeï Navalny, Boris Nemtsov ou Vladimir Kara-Mourza ou encore au prix Nobel de la paix et co-fondateur de l’association Mémorial Oleg Orlov, enfin à tous ces dissidents que le Kremlin criminalise, emprisonne ou assassine.
Ni Poutine ni Médine
Mon adhésion au parti Reconquête, malgré les positions de mon président franchement à l’est, était mon compromis, ma realpolitik à moi, ma façon de faire prévaloir les intérêts supérieurs de la Nation sur mes impératifs moraux, mon choix pour la France, tout bien pesé, à défaut de trouver un candidat derrière le slogan« ni Poutine ni Médine ». Dans des moments de grande lassitude démocratique, en regardant mon pauvre pays paralysé par son État de droit et bâillonné par son antiracisme systémique entrer dans l’ère du woke et de l’attaque au couteau, en voyant les hommes trembler devant les torquemadames au sommet de la vague MeToo comme des petits Blancs à La Courneuve, il m’arrivait même de rêver, moi aussi, de poutinisme français.
Je n’en suis pas fier, mais j’avais plutôt apprécié la méthode du mafieux de la Place rouge pour régler son problème de minorités musulmanes séparatistes et terroristes « jusque dans les chiottes », et caressé l’espoir que la façon russe soit testée à Marseille, pour commencer. C’est dire jusqu’à quelles extrémités droitières et autoritaires le sort promis à une démocratie envahie peut pousser un libertaire désespéré.
Les Ukrainiens sont admirables
Heureusement, depuis je me suis ressaisi. La résistance ukrainienne à l’invasion assortie de destructions, de meurtres de civils, de viols et d’enlèvements d’enfants, a forcé mon admiration. Le changement de ton et le courage du président Macron ont emporté mon adhésion. En revanche, les réactions dans la réacosphère mainstream m’ont plongé dans la déception. Et les positions défendues sur certains sites russophiles, dans la consternation. Alors que Macron cesse de prendre des gants avec l’ennemi pour chausser des gants de boxe, relève le défi et répond aux menaces, convoque l’Europe pour préparer la défense, bouscule un continent prudent, réveille l’OTAN en état de mort cérébrale et rassemble le monde libre derrière le nouveau mot d’ordre « la Russie ne doit pas gagner », on dénonce, à droite, de basses manœuvres électorales. C’est un peu court. Et on sonne le tocsin. « Dangereux ! » braillent les uns. « Irresponsable ! » ajoutent les autres. C’est un peu frileux. L’esprit de défaite ou l’opposition systématique règnent et le président est plus suivi par certains chefs d’Etat en Europe qu’il ne l’est en France par les chefs de l’opposition. Ce qui est dangereux et irresponsable pour la liberté des Ukrainiens, pour l’avenir de l’Europe et pour le droit des voisins du tyran à disposer d’eux-mêmes et à divorcer en paix et en sécurité, ce n’est pas de s’opposer aux velléités impériales de Poutine, c’est de le laisser faire. Ce qui est dangereux et irresponsable, c’est de faire savoir au monde autoritaire que le crime paye. Comme dit Xavier Raufer, les criminels ne s’arrêtent que quand on les arrête. Et la règle vaut en Seine-Saint-Denis comme pour le tsar de toutes les Russies.
Deux poids deux mesures
Seulement voilà, dans la réacosphère, sur ce coup-là, on donne dans l’excusisme. Ce qu’à raison on refuse à Samir en banlieue, on l’accorde à Vladimir. On condamne d’une phrase l’agression et on s’empresse d’ajouter un « mais ». Et en un long discours, on rappelle les manipulations américaines, les provocations de l’OTAN, les racines de la Russie, le passé mal digéré du nazisme en Ukraine et la corruption de ses dirigeants, sans oublier au passage le prix de l’électricité qui monte et celui du blé qui baisse. On proclame que « ce n’est pas notre guerre[1] » et qu’« on ne veut pas mourir pour le Dombass[2] » et j’entends au fond du discours une sourde complaisance pour le régime du Kremlin. Après tout, Poutine n’est-il pas le défenseur de la famille et des valeurs traditionnelles chrétiennes en croisade contre une Europe féminisée, décadente et en perdition ? Le dernier bastion de l’ordre moral dressé contre l’homosexualité déviante et perverse ? Le dernier mâle blanc de ce côté-ci de l’Atlantique à s’opposer au féminisme conquérant et hystérique ? Tout cela compose une petite musique sur laquelle se colle naturellement un petit refrain : plutôt rouge que woke.
J’entends des patriotes drôlement pacifistes déclarer qu’« il faut tout faire pour éviter la guerre[3] ». Ils se réclament du gaullisme en temps de paix, mais une certaine fascination pour la force, une solide proximité idéologique avec l’ennemi et un anti-américanisme pavlovien les révèlent bien peu résistants quand la guerre vient. Ainsi, certains droitards rappellent ces communistes français devant les invasions soviétiques de Budapest en 1956 ou de Prague en 1968, ou certains intellectuels de gauche aux tendresses bolcheviques. Tant et si bien que l’on pourrait dire aujourd’hui : Les fachos à Moscou !
D’après un sondage, le droit-de-l’hommiste Raphaël Glucksmann récolterait deux fois plus de voix aux élections européennes que le robespierriste islamo-compatible Mélenchon. L’électeur de gauche a la chance d’avoir un candidat antitotalitaire. J’aimerais pouvoir en dire autant. Je ne vois à droite que des partis empêtrés dans leurs vieilles sympathies poutiniennes ou dans leurs ambiguïtés stratégiques politiciennes. Le candidat de la droite clairement antitotalitaire, je le cherche. Désespérément.
Politiquement, notre chroniqueur Philippe Bilger reste un grand naïf. Aujourd’hui, il se penche sur le cas du candidat du PS et de « Place publique » aux élections européennes. En progression dans les sondages (il se rapproche des 12%), ce dernier propose de taxer les plus riches au niveau européen pour financer la « transition écologique et sociale » et d’accentuer notre soutien militaire à l’Ukraine.
Alors que je suis passionné au-delà de toute mesure par la politique politicienne, il m’arrive en même temps de déplorer que celle-ci brouille le paysage intellectuel et rende des frontières absurdement infranchissables. J’écoute le 7 avril au Grand Jury Raphaël Glucksmann, tête de liste du parti socialiste pour les élections européennes, et je continue à être impressionné par la finesse de son intelligence, la pondération de ses analyses et le ton courtois qu’il cultive, qui n’est pas faiblesse de caractère mais maîtrise de soi. Même en ne surestimant pas mon savoir dans le registre européen, j’avoue ne pas avoir été scandalisé par ses raisonnements même les plus extrêmes, sur le plan des taxes comme pour la défense des droits de l’homme. Au risque de choquer les partisans de rudes antagonismes, je n’ai pas pu m’empêcher de trouver plus qu’une similitude entre sa personnalité et celle de François-Xavier Bellamy, tête de liste des Républicains. Lors des dernières élections européennes, j’avais déjà remarqué cette familiarité entre deux intellectuels qui, alors, avaient eu du mal à endosser ce que le verbe politique doit avoir de partisan pour être efficace.
Une constatation navrante
Cette proximité des caractères et des cultures demeure aujourd’hui, même si l’espace politique dont dispose Raphaël Glucksmann est plus identifiable que celui réservé à François-Xavier Bellamy. Malgré son talent, ses capacités de réflexion et son excellent bilan européen, il éprouve des difficultés à se distinguer sur le plan du projet par rapport à « Reconquête! » et au Rassemblement national. Certes, François-Xavier Bellamy pourra soutenir, contre le RN, qu’il a travaillé et obtenu des résultats, lui, à Bruxelles mais ce n’est pas suffisant pour marquer une nette différence sur le fond.
Cette détestable pente politicienne qui contraint à dissimuler, à méconnaître le lien fort entre deux natures pourtant proches, dont l’apport concerté serait remarquable, me navre. Elle amplifie les contradictions des programmes alors qu’elles seraient aisément solubles dans un monde démocratique qui placerait au premier plan l’honnêteté intellectuelle et le refus des outrances. Au détriment des idéologies qui sont trop souvent un moyen de donner bonne conscience à la libération des pires instincts de l’homme. Alors, naïveté politique, ma désolation face à l’impossibilité même d’envisager ce que l’union d’un François-Xavier Bellamy et Raphaël Glucksmann apporterait à tous ? Je ressens ce même état de mélancolie républicaine au sujet d’une impasse présidentielle. Je ne doute pas de l’authenticité de l’esprit européen du président de la République même si on a le droit de mettre en cause sa conception de l’Europe et sa volonté de la faire servir à l’affaiblissement des identités nationales. Aussi, quand on nous annonce que « Macron prépare son entrée en campagne avec un grand discours Sorbonne 2 »[1], mon premier mouvement n’est pas d’en soupçonner l’insincérité. Mais d’en prévoir l’inutilité.
Glucksmann devrait récupérer une partie de l’électorat macroniste déçu
En effet, je suis frappé par le gouffre de plus en plus vertigineux entre d’un côté la bonne volonté du président sur certains plans, la justesse de ses résolutions, et de l’autre leur parfaite stérilité opératoire. Je crois qu’il n’y a plus un domaine où le président puisse s’exprimer en étant assuré d’être sinon cru, du moins vraiment écouté. Cela me navre parce qu’il pourrait arriver que son verbe méritât d’être pris au sérieux, notamment quand il n’a pas été altéré, selon son habitude, par de multiples fluctuations et contradictions. Mais il faut convenir que la principale responsabilité incombe à Emmanuel Macron. Si ses propos sont dévalués, si ce qu’il dit ne laisse plus la moindre trace dans la conscience publique – qu’il s’agisse de saillies ou d’argumentations sérieuses -, cela ne tient pas seulement à 2027 où il ne pourra plus nous faire don de sa personne mais, plus profondément, au fait qu’il a trop évolué, infléchi, contredit, varié, démenti et déstabilisé, qu’il nous a trop habitués à percevoir dans l’affirmation d’aujourd’hui la dénégation de demain, qu’il nous a, au fond, interdit de lui attacher foi et confiance, nous privant de cette exemplarité capitale d’un chef tellement légitime qu’on le croit sur parole.
C’est une autre de mes naïvetés politiques que cette tristesse que j’éprouve face à la déliquescence d’une destinée présidentielle qui aurait pu avoir tout pour elle mais se retrouve vouée à parler dans le désert républicain. Je ne vois pas d’insurmontable contradiction entre ma dilection, peut-être immature, pour la politique politicienne et mes regrets de citoyen adulte : les seconds me permettent de supporter la première.
À deux mois des élections européennes, LR ne décolle pas dans les sondages. Atomisée par la Macronie, largement distancée par le RN, la droite classique est devenue inaudible, voire invisible. Elle est au bord de l’éclatement. Ce scrutin pourrait être celui de la dernière chance.
Ni Bardella ni Macron. Pris en sandwich entre ces deux poids lourds, François-Xavier Bellamy déplore « que l’élection européenne soit transformée en un sondage géant pour anticiper la recomposition politique de la France. Ce scénario écrit d’avance ne correspond à rien au niveau européen. Or la crise agricole et ce qu’elle doit à l’idéologie et au fonctionnement de l’Europe actuelle ont montré qu’il fallait prendre au sérieux les élections européennes. » Hélas pour le candidat de la droite dite « de gouvernement », le match Renaissance/RN focalise toute l’attention, et le troisième homme de l’élection est pour le moment Raphaël Glucksmann, crédité de 11 % des suffrages quand la liste LR plafonne à 7.
LR relégué en deuxième division
Xavier Bertrand le reconnaît sans fard : « Quand vous oscillez entre 5 et 10 % des voix et que vous avez réalisé un score de moins de 5 % à la présidentielle, vous passez en deuxième division et êtes condamné à un rôle de supplétif. Et pourtant, la droite n’est pas finie, elle a des chances d’avoir les élus locaux les plus nombreux en France, garde un groupe parlementaire structurant au Sénat et malgré la déroute de 2022, a un groupe d’une soixantaine d’élus à l’Assemblée nationale qui dispose d’une véritable marge de manœuvre puisqu’il peut faire la bascule. La vraie question est : quelle est sa stratégie politique ? »
Analyse partagée et précisée par un ancien collaborateur de ministre, fin connaisseur des arcanes de la droite : « La droite n’est pas dans une impasse, l’épisode de la loi immigration l’a revigorée, même si elle s’est fait tirer le tapis sous les pieds par le RN. Il y a juste une haie à franchir, celle des Européennes, mais elle n’est pas bien haute. Ils ne peuvent l’avouer, mais s’ils passent la barre des 5 % et qu’ils ont des élus, la mission sera remplie. […] Le véritable enjeu est de ne pas faire moins de 5 % pour éviter l’éclatement et l’émancipation d’élus locaux dont l’élection ne dépend aujourd’hui plus de l’étiquette, mais de leur impact personnel. » En off, nombre d’élus sont d’accord. Dans tous les camps, on est passé en mode vautour.
Le dépeçage programmé de Renaissance
Le tendre agneau qui excite leurs appétits, c’est Renaissance : le parti présidentiel est neutralisé par l’impossibilité pour le président de se représenter, le fait qu’il n’a pas de ligne idéologique claire et, depuis 2022, par l’absence de majorité. Le fan-club d’Emmanuel Macron n’a ni histoire ni avenir. C’est l’ère du vide : ni droite ni gauche, ni identité forte, ni héritier naturel. Alors pour LR, entre union des droites et dépeçage du centre, le choix est vite fait, comme l’explique l’ancien collaborateur ministériel. « Le nouveau monde va s’écrouler et l’ancien va revenir. Dans ce cadre, il y a des passerelles avec Renaissance qu’il n’y a pas avec le RN. Une fois papa parti, le parti éclatera. Or ceux qui peuvent récupérer cette droite macroniste, que ce soit Darmanin, Le Maire ou Édouard Philippe, viennent des LR et ont continué à entretenir des réseaux. Ils savent qu’ils auront besoin d’une organisation politique qui tient la route et qui peut mailler le territoire dans le cadre de la prochaine présidentielle. Le réseau d’élus locaux des LR est ici un atout. Pour conquérir comme pour gouverner. »
Pendant ce temps le RN s’envole dans les sondages. Et il veut la mort de LR. Là où il est fort, il n’hésite pas à maltraiter ses élus. Les résultats des dernières législatives ne peuvent que l’y inciter. Pourquoi s’encombrerait-il d’alliés, dont l’étiquette n’apporte rien en termes de dynamique électorale et politique ?
La situation dans le Sud-Est est emblématique de cette nouvelle donne. Dans le Var, lors des dernières législatives, le RN a remporté sept sièges sur huit. Certes, ce département n’avait pas échappé en 2017 à la vague LREM mais en 2012, tous les députés étaient LR et le Var était considéré comme un fief difficile à prendre. La fin de la Macron-mania n’a pas entraîné le retour des électeurs au bercail. S’en est suivie une lutte fratricide remportée par le RN. Les LR ont retenu la leçon. Le RN joue la guerre des droites plutôt que l’union.
C’est également la conclusion qu’ils tirent de la saga du projet de loi immigration. Jacqueline Eustache-Brinio, sénatrice du Val-d’Oise s’en explique : « Nous avons agi en responsabilité, travaillé sur le fond du texte, fait passer nombre d’amendements. Nous avons montré que le travail parlementaire était essentiel, qu’il permettait de peser sur les textes et qu’il pouvait payer. Le RN, lui, n’a rien fait et s’est simplement positionné au dernier moment pour dire qu’il votait la loi. Les questions de fond ont alors été occultées et les commentateurs ne se sont plus demandé si les changements apportés à la loi correspondaient à l’intérêt général, mais qui du gouvernement ou du RN allait tirer son épingle du jeu. […]Tout notre travail et notre investissement ont été invisibilisés. »
La tentation, pour les élus LR, c’est donc de se contenter de surveiller l’agonie du grand rival Renaissance. Une logique que récuse d’emblée Xavier Bertrand. « Quand on veut incarner un avenir possible, mieux vaut ne pas passer son temps à courir après qui que ce soit. Et surtout pas après la Macronie qui est à bout de souffle comme d’idées et dont l’exercice de pouvoir est rejeté par les électeurs. Il y a une véritable paresse de la part des politiques. Ils se disent que le temps passe vite, que les gens n’ont pas de mémoire et qu’il n’est pas utile de se remettre en question et au travail. Finalement, avec le jeu mécanique de l’alternance, le fruit du pouvoir tombera tout seul dans vos mains. Or seule la capacité à créer une offre politique cohérente peut créer les conditions du rassemblement et élargir les bases électorales. »
François-Xavier Bellamy ne dit pas autre chose. La tête de liste LR n’a pas pour seule ambition la survie. « Ronronner et attendre tranquillement en limitant les dégâts et en faisant fructifier ses acquis n’est pas une solution, surtout quand on n’en a plus. La noblesse de la politique, c’est de forger ses propres propositions, pas d’essayer de cibler une clientèle en rachetant le fonds de commerce de ses adversaires. S’il faut parler immigration dans cette campagne, par exemple, ce n’est pas pour siphonner les voix du RN, mais parce que la France a besoin de ce débat et que certaines dispositions européennes sont un frein à la maîtrise des flux. »
Travailleur, maîtrisant ses dossiers, intellectuellement structuré, Bellamy s’est beaucoup investi sur les sujets agricoles, dénonçant avec justesse le double discours du président Macron et de Renaissance. Mais ces qualités et cet investissement peinent à être reconnus par les Français. Le manque de temps de parole y est pour quelque chose. Les résultats désastreux de la dernière présidentielle réduisent énormément sa surface médiatique. À quoi s’ajoute la particularité des Européennes – une sorte de défouloir électoral façon Midterms qui profite aux plus radicaux. La sénatrice du Val-d’Oise le regrette : « Les électeurs ne se rendent pas compte de l’importance de ces élections, ils les réduisent à une fonction tribunitienne où il s’agit de faire avant tout passer un message au pouvoir. » Xavier Bertrand approuve : « Le président de la République veut imposer aux Français un match RN/Renaissance pour ressortir sa martingale électorale « moi ou le chaos ». Or si en face, vous avez des Français dépolitisés et inconscients des enjeux réels, vous prenez le risque qu’ils jouent à qui va saigner le plus. L’élection perd alors de son importance en termes d’étape dans la construction d’un avenir politique. Elle se réduit à un jeu de massacre où les postures remplacent les propositions. »
RN, le vote utile pour qui veut gifler symboliquement Emmanuel Macron
En réduisant les européennes au match symbolique Attal/Bardella, le président de la République les a transformées en tour de chauffe de la présidentielle de 2027. Pour l’ancien collaborateur ministériel, « LR a une tête de liste vraiment à la hauteur. Pour autant, la droite ne peut recueillir ni les fruits du courage ni ceux de la raison. En effet, le président de la République a encore une fois transformé cette élection en une forme de plébiscite personnel et de démonstration de vertu collective. Mais la réitération de ce schéma l’affaiblit et fait monter l’exaspération. » Devenu le moyen de faire un pied-de-nez à Emmanuel Macron, voire de le gifler symboliquement, le vote RN est donc un vote utile. Et sans risques : les Français considèrent que le Parlement ne compte pas en Europe. Pour eux, le véritable pouvoir est à la Commission. Ils sont donc moins sensibles au chantage aux heures sombres et au ventre fécond. Chantage qui d’ailleurs apparaît de plus en plus décalé au fur et à mesure que le RN patine son image. Xavier Bertrand abonde dans ce sens : « Pendant très longtemps, il y avait beaucoup de perte entre les intentions de vote RN et les résultats. Au dernier moment, nombre d’électeurs ne venaient pas voter. Ils se disaient : à quoi sert de se déplacer puisqu’on ne gagne jamais. Mais là, non seulement ils ont une chance de gagner, mais s’ils choisissent d’envoyer un message en forme de claque électorale au président, celui-ci est à portée. »
Dans ce climat, on comprend la panique du clan présidentiel alors que l’écart avec le RN ne cesse de se creuser. Il s’élève à 13 points aujourd’hui mais, dans la Macronie, on redoute que les intentions de vote en faveur de la liste Renaissance baissent encore. L’hypothèse d’un rapport de force RN/Renaissance à 30/15 n’est pas exclue. Autant dire qu’on n’avait vraiment pas besoin, en prime, des 11 % que les sondages attribuent à la liste Glucksmann/PS. Si Renaissance plonge et que la liste PS grignote quelques points, le parti présidentiel se retrouvera dans le camp des perdants à touche-touche avec le parti qu’il est censé avoir grand-remplacé. En somme, le nouveau monde a à peine atteint l’âge de raison, qu’il rejoint dans l’échec ceux qu’il vouait aux oubliettes. Pour survivre, il suffit à LR d’avoir des élus ; pour le parti présidentiel, c’est plus compliqué. D’où le choix de dramatiser la question de la guerre en Ukraine.
Xavier Bertrand craint que dans ce contexte le succès annoncé du RN se conjugue avec le blocage complet de notre système politique. « Quel que soit le résultat […], nous sommes condamnés à l’immobilisme, les européennes ne résolvant en rien l’incapacité à agir du pouvoir faute de majorité. L’exaspération va continuer à monter et comme le seul talent du RN est de savoir recueillir les fruits de la colère, il va lui aussi continuer à monter. Voilà pourquoi la droite doit enjamber cette élection quels que soient les résultats et se remettre au travail plutôt qu’attendre la chute inévitable de la Macronie. On peut perdre cette élection en chemin, mais je vois trop d’hommes politiques aujourd’hui se débattre plutôt que se battre justement par crainte de l’échec. Quand on se bat, on peut perdre mais même si on perd, beaucoup de gens se sentent moins seuls parce qu’on a eu le courage de faire ce qu’il fallait. »
En attendant, la droite LR est condamnée à la patience. Emploiera-t-elle le temps qui nous sépare de la présidentielle à construire une véritable offre politique ou se contentera-t-elle du mode charognard, l’avenir le dira. Et puis, elle doit résoudre la question qui fâche : celle de l’incarnation. Ce n’est pas tout que d’obtenir des dépouilles, encore faut-il savoir les partager. À la présidentielle, mère de toutes les batailles, face à un RN en promenade, le salut de la droite pourrait dépendre d’une candidature unique LR/macronistes de droite. Même sur le point de sortir du jeu, Emmanuel Macron arbitre encore le match.
À la suite de la diffusion du reportage « Les dossiers noirs du handicap », nous avons constaté, à plusieurs reprises, des tentatives de la part des associations de justifier les difficultés vécues au sein des établissements accueillant des personnes handicapées en grande partie par le manque de moyens. Si cet argument est pertinent et indiscutable aux vues de notre système de santé connaissant depuis des années une crise d’une ampleur impressionnante, peut-on sortir encore et toujours cette justification pour les dérives les plus graves?
Au cœur du documentaire diffusé le 24 mars dans Zone Interdite sur M6[1] furent pointées les nombreuses difficultés vécues au quotidien par beaucoup de familles de personnes en situation de handicap. Scandale d’État sur les aides sociales détournées au détriment de celles-ci (par exemple, un foyer pour handicapés imposant à une famille de lui restituer, contre son bon droit, l’intégralité des allocations logements destinées au résident sans les déduire du loyer), dysfonctionnements de l’école inclusive, manque de places au sein des instituts… et maltraitances.
Délabrement, insalubrité, faute de mises aux normes : la première réalité dénoncée par le reportage est effectivement bien le reflet de l’intolérable manque de moyens accordés par les pouvoirs publics à la question du handicap. Des chutes de cheminées à celles des résidents, des pièces condamnées aux bâtiments en débris : sur ces plans, l’absence de préoccupation constante des gouvernements successifs au sujet du handicap est dénoncée à de multiples reprises. Et à l’évidence, tout ceci est ô combien condamnable. Mais on ne peut pas mettre sur le même plan de mauvaises conditions d’hébergement et… les maltraitances constatées par les reporters de M6.
Néanmoins… J’ai pu lire sur le net l’indignation de certaines associations, comme l’Unapei. J’ai pu lire que la maltraitance intervenait, lorsque le système était « défaillant »[2]. J’ai pu lire que certains considéraient les faits dénoncés comme des « effets de la crise ». J’ai lu que les solutions d’accompagnement perduraient « au prix de la qualité des soins ». Pardonnez-moi, mais il est clair, aux vues des effroyables constats établis par les familles, qu’il ne s’agit pas exclusivement d’une question de moyens. On a pu voir les images d’un enfant handicapé, subissant de lourds problèmes de déglutition pouvant le mener à l’étouffement, laissé à lui-même dans une chambre insalubre. On a aussi pu voir les images de refus de la part des responsables de laisser les parents visiter les établissements. Mais par-dessus tout, ce documentaire aborde une autre dimension des problèmes rencontrés par nos concitoyens handicapés encore plus indigne, une dimension qui ne devrait en aucun cas, et à aucun moment, exister. Peu importe sa rareté et peu importe qu’elle ne soit pas une généralité. Les maltraitances (en particulier dans le milieu du soin !) n’ont pas et n’ont jamais lieu d’être. Il est intolérable de voir des enfants, comme Gaëtan, jeune autiste, revenir de centres spécialisés avec des blessures en tout genre: des hématomes, des bleus sur les bras, des gants des personnels médicaux dans les selles, des fractures.
Il est intolérable de lire ces attestations faites sur l’honneur par des salariés dénonçant des problèmes de malnutrition, de maltraitances. Ces employés dénoncent les étonnantes pratiques de certains membres des personnels. Par exemple, des infirmières auraient déposé du chocolat au sol pour faire rentrer des résidents dans un établissement, des insultes et rabaissements auraient été administrés à certains.
Une fois encore, il va sans dire que les défaillances sont dues, pour la majeure partie d’entre elles, à la crise sanitaire d’envergure connue depuis des années par les professionnels de santé. Il va sans dire que ces métiers indispensables au bien-être de l’homme mériteraient une meilleure rémunération, et que les pouvoirs publics ont le devoir de donner à ces derniers les moyens d’accomplir leurs missions. Il va sans dire que ces professions demeurent sous-payées et connaissent des conditions d’exercice difficiles comme le dénoncent les associations. Néanmoins, est-il toujours pertinent de parler d’argent dans le domaine du soin où bien-être et dignité des personnes devraient primer en toute occasion ? Peut-on toujours dédouaner l’intolérable par la crise ? Dire que l’on omet systématiquement les questions de compétences par souci économique dans le recrutement est aussi une réalité à dénoncer.
Car oui, la personne humaine, peu importe son handicap ou ses difficultés, dispose de droits fondamentaux. En effet, l’article R311-35 du Code de l’action sociale et des familles prévoit que le règlement d’un établissement doit contenir les mesures relatives à la sûreté des personnes. De plus, la structure doit être dotée une équipe soignante (kinés, orthoptistes …) ayant pour mission de surveiller la santé des enfants, et d’une équipe pédagogique composée d’enseignants et d’éducateurs. Enfin, plusieurs droits fondamentaux sont reconnus aux personnes accueillies au sein d’établissements, comme le respect, par le personnel, de leur dignité, intégrité, vie privée, intimité et de leur sécurité (article L311-3 du CASF).
Au vu de la gravité des constats établis par les parents au sein de ce documentaire, la dignité de la personne est-elle toujours respectée ? Est-elle respectée quand les enfants sont humiliés ? L’intégrité physique n’est-elle pas violée quand ceux-ci sont retrouvés avec des blessures sur le corps ? Est-ce ce que l’on pourrait appeler une prise en charge… de qualité ?
Les métiers du soin et de l’accompagnement sont sujets à une responsabilité particulière. Les professionnels et dirigeants d’établissements sont garants de la prise en charge des personnes dans des conditions dignes mais aussi de leur intégrité corporelle. En droit français, de par l’héritage des valeurs inculquées par la société chrétienne et conformément à la volonté de protéger les personnes contre les atteintes portées au corps, celles-ci sont systématiquement réprimandées. Il s’agit d’un principe fondamental : on ne touche pas, en aucun cas, à l’intégrité physique.
Un autre aspect, que j’ai également pu découvrir dans la presse, a particulièrement attiré mon attention. En effet, nous avons été informés d’une stratégie lancée par le gouvernement à partir de fin 2025 en matière de facilitation du signalement, mais aussi visant à rendre systématique « la vérification des antécédents judiciaires de tous les intervenants qui accompagnent les personnes vulnérables – professionnels comme bénévoles ». Pardonnez-moi, mais je peine à saisir le sens véritable de cette annonce… Celle-ci signifierait que les textes actuels n’auraient pas déjà pour effet de systématiser la vérification des antécédents judiciaires des accompagnants de personnes vulnérables ? Cela signifierait que l’absence de tels antécédents ne serait pas à l’heure actuelle, considérée comme un critère de sélection dans un domaine nécessitant de prodiguer des soins et de porter à l’autre une attention toute particulière ? Mais sérieusement, de qui se moque-t-on ?
Si le manque de moyens est une réalité qu’il convient de prendre en compte à sa juste valeur et s’il est nécessaire de souligner la difficulté des conditions de travail des personnels médicaux et médico-sociaux, la responsabilité de l’ensemble des acteurs est aussi celle de dire que le manque de moyens ne justifie en aucun cas que des mauvais traitements soient infligés. Le manque de moyens n’excuse pas la violation des droits fondamentaux. Le manque de moyens n’est pas une explication au non-respect de la dignité humaine. Le manque de moyens n’est pas seulement l’affaire des personnes handicapées et vulnérables ! Le manque de moyens n’est pas une arme rhétorique destinée à fermer les yeux ! Le manque de moyens n’est de nature à expliquer ni les blessures, ni les ustensiles retrouvés dans les selles, ni le refus de recevoir les parents dans les établissements.
Sans nulle volonté de jeter la pierre et d’engager la responsabilité d’un acteur plutôt qu’un autre, je pense incorrect d’apporter une seule et même explication à un problème d’une telle envergure. La responsabilité, en matière d’atteintes corporelles justifiées par un manque de moyens, est bien souvent une affaire collective.
La 28è édition du Festival de Pâques se tient à Deauville jusqu’au 27 avril 2024
Ce sont d’autres races de purs-sang qui, en ouverture du printemps, investissent pour trois semaines la salle Elie de Brignac-Argana, à Deauville. Non pas les yearling hors de prix dont, le reste de l’année, quelques émirs ou capitaines d’industrie hippophiles font l’acquisition dans cet équestre colisée. Les juvéniles chevaux de course du traditionnel Festival de Pâques dont, à deux heures de Paris, la mythique station balnéaire s’enorgueillit depuis près de trente ans, en partenariat avec la prestigieuse Fondation Singer-Polignac et sous l’impulsion de son co-fondateur le violoniste Renaud Capuçon (avec feu le pianiste Nicholas Angelich), ce sont les musiciens prometteurs de la nouvelle génération. Jeunes mais déjà concertistes de haut vol, pour certains. L’autre signature du festival, c’est d’associer délibérément les must du répertoire classique à des œuvres plus rares, voire à des compositions contemporaines, lesquelles exigent parfois une oreille avertie. Un équilibre subtil.
Éclectisme au rendez-vous
Le concert d’ouverture du 6 avril offrait l’illustration parfaite de cette combinaison. Avec, en guise de hors-d’œuvre, La Truite, le célèbre quintette composé par un Schubert âgé de 21 ans sur la base de son lied Die Forelle dont tout un chacun sait fredonner les variations mélodiques du quatrième mouvement, jadis parodié par les Frères Jacques… Moins galvaudé, le sublime andante, second mouvement du quintette, atteignait un sommet sous les archets d’Emmanuel Coppey (qui jouait « baroque », sur un violon fin XVIIIe), de Manuel-Vioque-Judde à l’alto, de Yann Dubost à la contrebasse. Au clavier, le remarquable Arthur Hinnewinkel, 24 ans, pianiste actuellement en résidence, justement, à la Fondation Singer-Polignac, dans le XVIème arrondissement de Paris.
C’est peu dire que le second morceau du concert, Ich ruf zu Dir pour piano, clarinette et quatuor à cordes, millésimé 1999, œuvre d’Olivier Grief, compositeur mystique, fils d’un déporté de la Shoah, un temps adepte d’une secte bouddhique, mort à 50 ans à peine en l’an 2000, supposément d’une crise cardiaque, requérait l’écoute de l’auditeur : musique d’écorché vif, proche de la transe, une clarinette stridente ne ménageant pas les tympans, pas plus que le piano frappé comme la sonnaille d’un bourdon de cathédrale, cri dissonant, accablé de lourds silences neurasthéniques. De ce climat funèbre témoigne la bouleversante Danse des morts, aux mélopées nourries de musique ancienne. Elle est éditée en CD sous la bannière de Deauville Live, au sein d’une précieuse collection qui compte déjà une douzaine d’albums : chaque année, la gravure d’un concert du festival – éclectisme au rendez-vous, donc.
Prokofiev clôturait ce concert du 6 avril, avec cette Ouverture sur des thèmes juifs, pour piano, clarinette et quatuor à cordes, œuvre peu connue, d’une écriture saisissante. Modifié à la dernière minute, ce programme dominical nous aura privé de la sonate pour clarinette et piano n°3 de Max Reger (1873-1916) initialement prévue : d’autant plus dommage qu’en toute franchise l’interprétation du fameux quatuor pour violon, alto violoncelle et piano, remplacement au débotté, par une formation manifestement peu à l’aise, ne faisait pas honneur au génie de Mahler. S’ensuivaient deux morceaux d’Alban Berg pas faciles d’accès, il faut bien le dire, mais superbement rendus, auxquels succédait un Der Wind échevelé, œuvre pour violon, clarinette, cor, violoncelle et piano de Franz Schrecker (1878-1934), d’une magnifique amplitude post-romantique, ce avant le trio pour clarinette, violoncelle et piano opus 114 de Brahms puis – scies absolues du répertoire s’il en est ! – quatre danses hongroises de l’impérissable compositeur germanique ne viennent conclure ce dimanche en feu d’artifice, par un quatre mains vibrionnant – les tous jeunes Gabriel Durliat et Arthur Hinnewinkel se disputant le clavier avec entrain.
Aude Extrémo très attendue
On l’aura compris, les deux concerts de ce week-end – qui ont fait salle pleine – ne sont jamais que l’entrée en matière de l’événement deauvillais, promis à s’achever en beauté fin avril à l’enseigne de Max Reger, avec la Suite romantique (1912), de Schönberg, avec la Kammersyphonie n°1 (1906-1912) mais surtout avec les envoûtants Kindertotenlieder de Mahler, chantés par la mezzo-soprano Aude Extrémo, dont le répertoire ahurissant va de la musique française aux rôles wagnériens, en passant par le belcanto. C’est ce concert final qui, cette année, fera l’objet d’une captation pour l’édition CD du « Deauville Live », millésime 2024.
Pour autant, le Festival de Pâques, loin en arrière des planches de Deauville, ne vient pas clouer le bec au classique dès l’arrivée des beaux jours et des transhumances touristiques : du 30 juillet au 10 août, cette même salle Elie de Brignac-Arquana ravive les attraits de la musique de chambre, avec la 23ème édition de l’Août musical – un programme qui, encore une fois, n’hésite pas à conjuguer Schumann et Martinu, Mozart et Poulenc, Chausson et Tchaïkovski, Berg et Mendelssohn…
On notera que pour les moins de 18 ans, le Festival de Pâques s’annonce gratuit une heure avant le concert, dans la limite des places disponibles – et 10€ si tu réserves, gamin. Qui dira qu’en France on néglige la transmission de la culture auprès de notre tendre jeunesse ? Ne néglige pas pour autant l’injonction de Paul Valéry, en lettres d’or au fronton du Palais de Chaillot : « Il dépend de celui qui passe / que je sois tombe ou trésor/ que je parle ou me taise/ Ceci ne tient qu’à toi/ Ami n’entre pas sans désir ». En bord de mer, jeunes gens, choisissez donc le bain de culture, divertimento pas salé : comme l’on sait, la musique adoucit les mœurs.
Festival de Pâques (28è édition). Jusqu’au 27 avril 2024. Salle Elie de Brignac-Argana. Deauville.
Concert d’ouverture du 6 avril diffusé sur France Musique le 20 mai à 20h, puis disponible en streaming sur le site de France Musique et l’application Radio France.
À la vraie source de l’hyperviolence des « jeunes »
« Les réseaux sociaux, les réseaux sociaux, vous dis-je ». Le sociologue en chambre est pareil au médecin de Molière. Les diagnostics des Diafoirus contemporains sur l’hyperviolence des « jeunes » se réduisent à des couplets qui évitent la source des maux. Les dévots paresseux se contentent de réciter le « Faire nation », à mesure que celle-ci se délite.
Haines tribales
À entendre les commentaires dominants, l’inhumanité dont font preuve des adolescents enragés – à Viry-Châtillon, ils ont tué Shamseddine (15 ans) à coups de pied dans la tête1 et, à Montpellier, ils se sont acharnés sur Samara, 13 ans, placée un temps dans le coma2 – refléterait le visage de la société. Elle serait malade d’une décivilisation. L’internet en serait le symptôme mimétique. Cette grille de lecture simplette n’est pas seulement celle des diplômés en sciences sociales et en écoles de journalisme. Elle est partagée par le gouvernement, qui rêve depuis sept ans de mettre sous surveillance ces réseaux trop libres. Or il est faux d’associer la France entière à ces barbaries.
La vérité est ailleurs
La plupart du temps, ces haines sexistes et tribales sont produites dans les marges de la contre-société issue du Maghreb et de l’Afrique noire. Samara aurait été tabassée parce qu’elle s’habillait « à l’européenne » selon sa mère. Shamseddine aurait été victime d’un « crime d’honneur » sous fond possible d’un antagonisme entre arabes et africains subsahariens. Ces lynchages sont les fruits d’autres civilisations, d’autres cultures importées. L’islam a codifié dans le Coran l’inégalité homme-femme et la violence. « Il est plus féroce qu’un Arabe », fait dire Flaubert à un de ses personnages de Madame Bovary. Le racisme avait fait reconnaître à l’ancien président sénégalais Abdoulaye Wade : « Un Burkinabé souffre plus en Côte d’Ivoire qu’un Noir en Europe ». Mais cette réalité-là ne doit pas être dite.
Décivilisation, séparatisme ou ensauvagement, choisis ta France
La France ouverte à l’islam et au tiers-monde s’est islamisée et tiers-mondisée. Du moins, pour une partie d’entre elle, encore minoritaire il est vrai. Mais l’aveuglement « progressiste » accélère le déclin. Les faiseurs d’opinion, qui indifférencient les civilisations présumées remplaçables, ne veulent admettre la séparation de deux France. Elles n’ont pas atteint en même temps la même exigence civilisationnelle. Les hyperviolences révèlent un choc de cultures. La France française n’est certes pas exemplaire en tout. Elle se laisse gagner par capillarité à la détestation d’elle-même. Mais c’est Mila, 20 ans, invitée ce lundi matin sur RMC, qui s’approche au plus près des causes de ces envies de tuer ou de violer qu’elle a elle-même subies pour avoir critiqué l’islam et son prophète il y a quatre ans.
L’alerte Mila
Abordant la France diversitaire, elle dit en substance : « Il y a une police des mœurs dans des lycées, encouragée par certains parents. La laïcité est morte. La charia s’impose avec facilité. La détestation de la France est tendance ». Les solutions à ce désastre passent donc par un arrêt de cette immigration de masse, par une sanction immédiate des jeunes barbares et des familles, par une mise au pas de l’islam politique qui encourage les punitions contre les « mécréants ». Plus que jamais, les Français musulmans qui acceptent la civilisation française devraient la défendre. Peu d’entre eux, pour l’instant, osent vaincre la peur.
La langue anglaise n’existe pas, ce n’est que du français mal prononcé, nous dit Bernard Cerquiglini dans un petit essai aussi drôle que brillant.
L’étude des langues, de leurs origines, de leurs ressemblances, de leurs disparités, de leurs métissages, a toujours constitué une branche importante de la science. Un rameau toujours vert. Sans remonter à la Tour de Babel et pour s’en tenir aux savants de notre temps, des gens comme Ferdinand de Saussure, Émile Benveniste ou Jean Séguy, ce dernier, pionnier de l’ethnolinguistique dans les années 60, lui ont donné ses lettres de noblesse.
Bernard Cerquiglini se situe dans cette lignée. Universitaire, il a enseigné à Paris, Bruxelles et Bâton Rouge (Louisiane) avant d’occuper de hautes fonctions, dont celle de Directeur de l’institut national de la langue française (CNRS). Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, il a notamment publié, avec Erik Orsenna, Les Mots immigrés (Stock). Son dernier ouvrage, « La langue anglaise n’existe pas », c’est du français mal prononcé, a pour titre une citation – d’où les guillemets. Il s’agit d’une phrase de Clémenceau, empruntée par ce dernier à Alexandre Dumas qui la place dans la bouche de son héros d’Artagnan. Et Clémenceau, qui n’était pas dépourvu d’humour, d’ajouter : « L’Angleterre n’est qu’une colonie française qui a mal tourné ». Étrange itinéraire pour un titre insolite. Car nous avons ici à faire à un essai des plus sérieux, fruit d’une érudition sans faille. C’est que Bernard Cerquiglini présente une particularité importante : il est membre de L’Ouvroir de Littérature Potentielle (OulipO). Lequel fut créé en 1960 par le romancier, poète et essayiste Raymond Queneau et le mathématicien François Le Lionnais.
L’Oulipo s’est donné pour tâche d’explorer toutes les potentialités de la langue. C’est une manière de pseudopode du Collège de Pataphysique qui a compté parmi ses notables, outre Queneau, des écrivains tels que Boris Vian et Georges Pérec. La pataphysique, chère à Alfred Jarry et à son héros, le Dr Faustroll, professe l’identité des contraires. Il est vrai qu’il est parfois difficile, voire impossible, de tracer clairement une ligne de démarcation entre littérature et science, ou entre rêve et réalité. Auteur des Fleurs bleues (1965), roman qui illustre cet apparent paradoxe, mais aussi de Bâtons Chiffres et Lettres et d’Exercices de style, Queneau est le prototype de l’explorateur passionné de notre langue qu’il scrute sous tous ses aspects, phonétique, sémantique, philologique.
Tel est aussi le propos de la Sémantique générale, théorie développée au début du XXe siècle par le linguiste américain Alfred Korzybski et selon laquelle le sens des mots et des phrases n’est pas fixe, mais varie selon le contexte. Ainsi convient-il d’avoir toujours à l’esprit que « la carte n’est pas le territoire ». L’un des axiomes de la Programmation neuro-linguistique (PNL), élaborée aux États-Unis dans les années 70 par John Grinder et Richard Bandler.
Pour sa part, René Etiemble connut un grand succès avec son Parlez-vous franglais ?, une dénonciation coruscante de l’invasion et de la « colonisation » de notre langue remplacée en maints domaines par l’anglais.
Du bœuf et du mouton
Revenons à nos moutons. S’il est clair que Bernard Cerquiglini marche sur les brisées de René Etiemble comme le montre sa conclusion, il est tout aussi évident que le contentieux entre l’anglais et le français, reflet d’une lutte pour la suprématie dans tous les domaines, ne date pas d’hier. Elle remonte à 1066 et à la victoire de Guillaume le Conquérant à Hastings. Les Français importèrent avec eux leur langue dans les territoires conquis et celle-ci se répandit, mais seulement dans la classe dominante. C’est ainsi que le bœuf, appelé ox par les manants qui labouraient les champs, se transforma en beef, saignant ou bien cuit, dans l’assiette des aristocrates. Semblable destin pour ship, mué en mutton, et pour bien d’autres mots témoignant de l’emprise du français sur le vocabulaire anglais. Il va sans dire que le domaine de la gastronomie n’était pas le seul à être impacté, comme on dit aujourd’hui quand on est up to date. L’auteur explore maints secteurs venant corroborer la boutade de Clémenceau. L’industrie, le commerce, le droit, l’administration, la diplomatie se trouvent sous l’emprise du français, langue dominante jusqu’au dix-huitième siècle. Constat de l’essayiste à propos de l’anglais : « Plus d’un tiers du vocabulaire est d’origine française ; si l’on ajoute les mots imités du latin, la barre des 50% est dépassée ».
Un voyage fascinant
Tel est le constat quantifiable. Encore faut-il y ajouter ce qui fait la saveur du français, son pittoresque, sa subtilité. Partant de là, Bernard Cerquiglini entraîne son lecteur dans un voyage à travers le temps et l’espace, analysant avec précision toutes les circonstances historiques, politiques, sociales, économiques et culturelles qui ont changé la donne au cours des siècles. Au point de voir à son tour notre langue envahie, submergée par un lexique indigne d’elle. Ainsi se trouve confirmée l’alerte lancée en son temps par Etiemble. La particularité de cet essai au titre provoquant, bien dans la ligne de l’Oulipo, ce qui le rend incomparable, c’est, d’abord, le degré d’érudition de son auteur. Une érudition dont témoigne la bibliographie citée en fin d’ouvrage et l’impressionnant index des mots commentés. Rien de pesant, toutefois. À l’inverse, une légèreté souvent teintée d’humour.
Bernard Cerquiglini « La Langue anglaise n’existe pas ». C’est du français mal prononcé. Gallimard, Folio essais n° 704, 196 pages.
Les Français se désolent de voir de plus en plus de commerces qui ferment dans leurs villes. Mais ce n’est pas seulement la faute d’Amazon !
Imaginez un instant que le propriétaire de votre appartement vous demande de payer sa taxe foncière en plus de votre loyer et des charges qui vous incombent. Évidemment, vous refuseriez et prendriez cela pour une mauvaise blague. Imaginez maintenant que ce même propriétaire vous demande, de surcroît, de verser un dépôt de garantie équivalent à douze mois de loyer, tout en vous précisant qu’il sera inutile de le joindre en cas de problème de plomberie, d’électricité ou de quelconque mise aux normes. Non, vous ne rêvez pas : cela se déroule bien en France, à l’exception près que cela ne concerne pas les appartements mais les locaux commerciaux.
Ouvrir son commerce : du rêve au cauchemar administratif
Si l’on part du principe que ces usages sont non seulement largement répandus mais complètement tolérés, on comprend aisément qu’il y ait aussi peu de murs commerciaux en vente puisqu’il s’agit d’un des placements immobiliers les plus lucratifs qui soient. Chaque jour, des gens se promènent dans les centres-villes et font amèrement le même constat : les commerces ferment. Les raisons sont multiples : départs en retraite de la génération des baby-boomers, concurrence des géants de l’e-commerce international, baisse du pouvoir d’achat des Français, hausse de l’épargne ou encore changement des modes de consommation. Les études à ce sujet sont nombreuses et sont toutes très instructives. En réalité, vous savez quoi ? Ce n’est pas si grave. La vraie question qu’on devrait se poser et qui devrait nous inquiéter, ce n’est pas pourquoi les commerces ferment mais pourquoi il y en a si peu qui ouvrent ?
Non, les jeunes générations ne sont pas fainéantes et, aussi étonnant que cela puisse paraître dans cette société 2.0 qui est la nôtre, le commerce physique de proximité créée encore des vocations. Je rencontre fréquemment des jeunes gens, seuls ou en couple, qui rêvent d’ouvrir leur échoppe que ce soit pour une activité artisanale ou commerçante. Malheureusement, si ceux-ci survivent au dédale administratif et au parcours du combattant de l’entrepreneuriat en France, ce n’est souvent que pour se heurter à un mur, celui du commerce qu’ils n’ouvriront jamais, faute de moyens. La législation des baux commerciaux n’a quasiment pas évolué depuis les années cinquante. C’est bien la seule chose qui n’ait pas changé dans le monde du commerce depuis cette période !
Et si on mettait un bon coup de pied dans la fourmilière de l’immobilier commercial?
Autant vous dire que, début mars, lorsque j’ai entendu Mme Olivia Grégoire, Ministre déléguée chargée des entreprises, annoncer des mesures pour encadrer les baux commerciaux, j’ai eu beaucoup d’espoir. Cela faisait des années que les fédérations commerciales et instances représentatives alertaient le gouvernement à ce sujet. Cette semaine, à la lecture du Projet de Loi Simplification (LSA) qui va bientôt être soumis au Conseil d’état, mon enthousiasme est quelque peu retombé. Au programme : un plafonnement des dépôts de garantie qui ne devront plus excéder trois mois de loyer ainsi que la possibilité pour les commerçants de payer leur loyer mensuellement. J’avais en effet omis ce détail : le propriétaire d’un local commercial est actuellement en droit d’exiger un paiement du loyer par semestre et donc de faire fructifier en placements financiers une trésorerie pourtant vitale aux commerçants…
Tout ça pour en arriver là ! Ce n’est pas la première fois que des politiques donnent l’impression de s’attaquer à un problème pour, au bout du compte, l’effleurer à peine. Est-ce par manque d’audace, méconnaissance du sujet ou encore conflit d’intérêts ? Qu’importe : l’immobilisme est à l’œuvre et ses conséquences sont, chaque jour, catastrophiques pour les commerçants et artisans français.
Plutôt que de faire du privé un bouc-émissaire facile, dont on cherche sans cesse à entraver la marche, l’heure est à refonder les modalités de contractualisation et d’évaluation des écoles !
Haro sur l’école privée ! L’idée n’est pas nouvelle. Sauf que la donne n’est plus la même. D’un côté elle est plébiscitée par 75% des Français, qui la jugent meilleure que l’école publique (selon un sondage Odoxa/ BFM Business réalisé fin mars). De l’autre, elle est contestée dans ses financements et son ouverture sociale : 49% des sondés déclarent être favorables à une réduction ou une suppression de ses subventions publiques, ce qui est lourd de menaces.
Le retour de la guerre scolaire ?
L’urgence est donc, si l’on veut préserver l’avenir de l’école privée, d’accroitre sa transparence budgétaire et tarifaire. Plutôt que de faire de l’école privée un bouc-émissaire dont on cherche à entraver sans cesse la marche, l’heure ne serait-elle pas venue de refonder ses modalités de transparence, de contractualisation et d’évaluation pour qu’elle soit encore plus efficace et légitime?
Le rapport de la Cour des comptes de 2023 comme le récent rapport parlementaire Vannier-Weissberg sur l’école privée se concentrent sur l’enseignement privé sous contrat, sans jamais prendre en compte la dynamique qui existe entre école publique et école privée. Pourtant il est tout sauf anodin que l’Éducation nationale se voie confier la mission de contrôler les écoles privées. S’il est normal que l’Etat contrôle toute structure recevant des subventions publiques, la logique voudrait, en revanche, que ce ne soit pas l’Éducation nationale qui s’en charge. D’abord parce qu’elle perçoit les écoles privées comme des concurrentes dont elle cherche plus à endiguer l’essor qu’à en assurer la qualité. Ensuite parce que l’Éducation nationale est devenue objectivement moins performante que l’école privée, qu’elle est donc peu légitime à contrôler. La différence de performance pédagogique est tout aussi marquée : « Un élève du privé sort de troisième avec plus d’un an d’avance sur un camarade de même milieu social et avec les mêmes acquis en fin de CM2 mais qui a fait sa scolarité dans un collège public », démontre Paul Cahu, consultant pour la Banque mondiale, dans les Echos du 2 avril. Elle a en outre un moindre rapport qualité/ prix : un écolier d’une école privée primaire coûte aux finances publiques 3120 euros contre 6910 euros pour son homologue en école publique. Et un collégien du privé coûte 5544 euros aux finances publiques contre 10 409 pour son homologue du public.
Privé sous contrat : 75% de fonds publics
En matière de transparence budgétaire, il faut exiger des écoles publiques au moins autant que ce qu’on exige de leurs homologues privées, puisqu’elles sont financées à 100% par des fonds publics quand les écoles privées sous contrat le sont à 75%. L’État devrait sanctionner lourdement la non-publication si fréquente des comptes annuels des structures gérant les écoles privées. S’il est assez évident que les structures privées gèrent mieux leur budget que les structures publiques, cette transparence accrue permettrait toutefois de dissuader les appétits malsains de certains gestionnaires d’école privée en matière d’immobilier, de placements financiers ou de contrats de prestation. On verrait aussi que seulement 30% des écoles sous contrat pratiquent des tarifs progressifs. Mécaniquement, cette transparence conduirait à des pressions locales qui aboutiraient à plus de mixité sociale, sans qu’une inhumaine logique quantitative de quotas n’ait besoin d’être imposée.
Mais l’État devrait tout aussi urgemment imposer la publication du budget individuel de chaque école publique. Cette information est inexistante à ce jour. L’emballement improductif des dépenses publiques d’éducation a sans doute à voir avec cette exception française. Ces réformes seraient plus utiles que d’exiger des rapports détaillés sur l’utilisation globale des 10 milliards d’euros alloués chaque année au privé sous contrat. Rendre compte est primordial en démocratie. Encore faut-il que ce soit à une échelle qui parle aux citoyens.
L’innovation éducative bridée en France
Comme les modalités de transparence budgétaire, la gestion des contrats mérite aussi d’être refondée. La loi prévoit qu’une création d’école se fait sans contrat durant ses cinq premières années d’existence. Ensuite, elle peut demander un contrat (qui, rappelons-le, est conclu au niveau de la classe et non de l’établissement). C’est ce que le Code de l’éducation prévoit en théorie mais dans la réalité, très peu de nouveaux contrats sont octroyés. Des concepts vagues comme « le besoin scolaire reconnu » permettent à l’État de refuser le contrat sans motiver réellement son refus. Il n’y a pas de droit à contractualiser qui soit opposable. Son octroi est soumis au fait du prince et sans une intervention politique de haut niveau, il est presqu’impossible d’obtenir un contrat. Cette situation nuit à l’innovation éducative en France et à l’essor des écoles non confessionnelles. C’est par exemple le cas de l’école privée Diagonale, dont la qualité est louée au plus haut niveau de l’Etat mais qui échoue à obtenir un contrat.
Pour les établissements sous contrat en place, la situation n’est guère plus enviable. Ils dépendent du responsable du réseau auquel l’école appartient. C’est le SGEC ou le Fonds Social Juif Unifié par exemple qui se livrent à des tractations sans que les écoles elles-mêmes n’y puissent mais, alors que la loi prévoit que c’est au niveau de chaque établissement directement que les négociations devraient avoir lieu avec le rectorat. Côté État, le retrait du contrat est rarissime. Un établissement qui bénéficie de contrats ne les perd pas tant qu’il a le nombre requis d’élèves par classe, quelles que soient la qualité pédagogique, la sélection ou l’importance de l’entre soi social qu’il pratique. Autrement dit, l’écrasante majorité des contrats sont reconduits sans aucune évaluation de performance. C’est la prime à l’antériorité et à l’appartenance à un réseau d’écoles confessionnelles qui compte.
De l’air !
Pourquoi ne pas gérer plutôt les contrats selon une procédure d’appel d’offre tous les cinq ou 10 ans avec un cahier des charges public et des candidatures publiques ? Cela créerait une saine concurrence entre établissements privés. Cela suppose de mettre en place un vrai système d’évaluation de la qualité des établissements scolaires, qui n’existe pas actuellement en raison de l’effondrement du niveau du brevet et du bac. Pour veiller à la justice de l’évaluation, il faudrait aussi faire passer des tests nationaux de niveau en début et fin d’année, ou au moins en début et fin de cycles, et noter les établissements sur leur capacité à faire progresser leurs élèves par rapport à leur niveau de début d’une part, et au niveau scolaire absolu auquel ils les auront conduits d’autre part. Ces éléments seraient publiés, ainsi que les évaluations des parents, comme le fait l’OFSTED britannique. Ce dernier élément, peu habituel en France, permet de prendre en compte le niveau de satisfaction des parents dans l’évaluation de l’établissement, ce qui semble la moindre des choses, dans le cadre de la co-éducation prônée par les pouvoirs publics depuis des décennies.
Cette évolution permettrait aussi à notre système scolaire collectif de respirer, de s’adapter aux évolutions des besoins de la société et de la qualité des nouvelles initiatives éducatives. La faible évolution du paysage scolaire public ou financé par l’État est assez surprenante, alors que l’éducation – surtout à l’heure du numérique et de l’IA – devrait être un domaine privilégié de l’innovation. Il est temps de sortir de ces rentes de situation. Les nouvelles écoles créées, à condition qu’elles aient fait leurs preuves dans le cadre des évaluations réformées comme proposé, devraient jouir d’un droit opposable à passer sous contrat. Aujourd’hui, les écoles hors contrat sont bloquées dans ce statut défavorable, même quand elles aspirent à contractualiser avec l’Etat et en ont le niveau. C’est l’innovation qui est empêchée, en raison d’une entente malsaine entre une Éducation nationale, qui voit d’un mauvais œil la concurrence des écoles privées, et les baronnies des réseaux institués qui n’ont aucune envie d’ouvrir le jeu à d’autres établissements que les leurs.
Pour éviter un séparatisme social entre ceux de l’école publique et ceux de l’école privée, il est urgent d’instaurer des outils communs : des évaluations nationales communes et des obligations de transparence également communes. La feuille de route est tracée. C’est à présent une question de courage politique.
Le chanteur à minettes Justin Timberlake parvient toujours à passer entre les mailles du filet féministo-woke. La presse américaine l’a même renommé « Teflon Man », car les accusations glissent sur lui comme sur une poêle Tefal ! Dans son autobiographie fracassante, La Femme en moi, sortie en octobre, son ex-Britney Spears dévoile qu’elle avait avorté en raison du refus de paternité du chanteur. En réponse, l’homme antiadhésif se drape dans sa dignité en gardant le silence. Cette année, il sort le premier single de son nouvel album après six ans d’absence. Dans les paroles de Selfish, il confesse être jaloux et égoïste : c’est tout comme s’il revendiquait ses comportements toxiques avec les femmes. Brit-Brit ayant commis une chanson portant le même titre en 2011, ses fans se débrouillent pour qu’elle soit plus téléchargée et devance le tube de Justin dans le classement iTunes.
Pourtant, la chanteuse elle-même se déclare « amoureuse » de Selfish et s’excuse pour ce qu’elle a dit dans son livre. En réponse, lors d’un concert à New York, Timberlake se montre ingrat, déclarant : « J’aimerais saisir l’opportunité de m’excuser… auprès de personne, putain ! » En 2004, le même chanteur avait été au centre du scandale du « Nipplegate », mot-valise formé de nipple, « téton », et du suffixe -gate. Il dévoilait malencontreusement sur scène le sein de la superstar Janet Jackson lors d’une chorégraphie osée accompagnant un duo retransmis devant 140 millions de téléspectateurs le soir du Superbowl. Selon la sœur de Michael, il était prévu que son soutien-gorge reste en place et ne dévoile que partiellement son sein. Cependant, lors de la prestation, Timberlake tira trop fort sur le bustier… S’ensuivirent aux États-Unis tout un battage médiatique, des amendes et l’adoption par les chaînes américaines d’un délai de cinq secondes avant diffusion pour prévenir tout incident de ce genre. Et, surtout, la fin de la carrière de Janet Jackson, victime apparente de « misogynoir ». En 2021, Justin Timberlake, qu’on accuse régulièrement d’appropriation culturelle, s’est excusé publiquement auprès d’elle en reconnaissant avoir bénéficié d’un système qui tolère le sexisme et le racisme. Oui, un homme-téflon…
Hier, on disait aux communistes français prosoviétiques: les cocos à Moscou! Aujourd’hui, la fachosphère prorusse mérite qu’on lui retourne le compliment.
En prenant de l’âge, j’ai perdu toutes mes certitudes, sauf deux. Celle de mon hétérosexualité et celle de mon vote, que je croyais verrouillé sur un seul objectif : la reconquête du territoire. La lutte contre la tiers-mondisation française étant la mère de toutes mes batailles, le candidat décidé à arrêter l’immigration pour enrayer le grand remplacement avait mon suffrage, sans conditions. Pas regardant, j’aurais soutenu le premier venu, même s’il avait inscrit à son programme le rétablissement de la polygamie ou du droit de cuissage.
Hier encore…
Aujourd’hui, de ces deux certitudes, il ne m’en reste qu’une. Les positions que l’on prend sur la guerre en Ukraine dans ma famille politique ont fait vaciller l’autre. Hier pourtant, j’étais un militant fidèle quoique parfois embarrassé, comme ce jour où Eric Zemmour déclara qu’il fallait un Vladimir Poutine à la française. Alors, je buvais ma honte et évitais de le crier sur tous les toits en pensant à la France qui avait peut-être, avec son arrivée au pouvoir, une chance de rester la France.
Je votais Zemmour, et plutôt deux fois qu’une avec une procuration extorquée à ma mère, mais un peu honteux en pensant à la journaliste Anna Politkovskaïa, aux opposants Alexeï Navalny, Boris Nemtsov ou Vladimir Kara-Mourza ou encore au prix Nobel de la paix et co-fondateur de l’association Mémorial Oleg Orlov, enfin à tous ces dissidents que le Kremlin criminalise, emprisonne ou assassine.
Ni Poutine ni Médine
Mon adhésion au parti Reconquête, malgré les positions de mon président franchement à l’est, était mon compromis, ma realpolitik à moi, ma façon de faire prévaloir les intérêts supérieurs de la Nation sur mes impératifs moraux, mon choix pour la France, tout bien pesé, à défaut de trouver un candidat derrière le slogan« ni Poutine ni Médine ». Dans des moments de grande lassitude démocratique, en regardant mon pauvre pays paralysé par son État de droit et bâillonné par son antiracisme systémique entrer dans l’ère du woke et de l’attaque au couteau, en voyant les hommes trembler devant les torquemadames au sommet de la vague MeToo comme des petits Blancs à La Courneuve, il m’arrivait même de rêver, moi aussi, de poutinisme français.
Je n’en suis pas fier, mais j’avais plutôt apprécié la méthode du mafieux de la Place rouge pour régler son problème de minorités musulmanes séparatistes et terroristes « jusque dans les chiottes », et caressé l’espoir que la façon russe soit testée à Marseille, pour commencer. C’est dire jusqu’à quelles extrémités droitières et autoritaires le sort promis à une démocratie envahie peut pousser un libertaire désespéré.
Les Ukrainiens sont admirables
Heureusement, depuis je me suis ressaisi. La résistance ukrainienne à l’invasion assortie de destructions, de meurtres de civils, de viols et d’enlèvements d’enfants, a forcé mon admiration. Le changement de ton et le courage du président Macron ont emporté mon adhésion. En revanche, les réactions dans la réacosphère mainstream m’ont plongé dans la déception. Et les positions défendues sur certains sites russophiles, dans la consternation. Alors que Macron cesse de prendre des gants avec l’ennemi pour chausser des gants de boxe, relève le défi et répond aux menaces, convoque l’Europe pour préparer la défense, bouscule un continent prudent, réveille l’OTAN en état de mort cérébrale et rassemble le monde libre derrière le nouveau mot d’ordre « la Russie ne doit pas gagner », on dénonce, à droite, de basses manœuvres électorales. C’est un peu court. Et on sonne le tocsin. « Dangereux ! » braillent les uns. « Irresponsable ! » ajoutent les autres. C’est un peu frileux. L’esprit de défaite ou l’opposition systématique règnent et le président est plus suivi par certains chefs d’Etat en Europe qu’il ne l’est en France par les chefs de l’opposition. Ce qui est dangereux et irresponsable pour la liberté des Ukrainiens, pour l’avenir de l’Europe et pour le droit des voisins du tyran à disposer d’eux-mêmes et à divorcer en paix et en sécurité, ce n’est pas de s’opposer aux velléités impériales de Poutine, c’est de le laisser faire. Ce qui est dangereux et irresponsable, c’est de faire savoir au monde autoritaire que le crime paye. Comme dit Xavier Raufer, les criminels ne s’arrêtent que quand on les arrête. Et la règle vaut en Seine-Saint-Denis comme pour le tsar de toutes les Russies.
Deux poids deux mesures
Seulement voilà, dans la réacosphère, sur ce coup-là, on donne dans l’excusisme. Ce qu’à raison on refuse à Samir en banlieue, on l’accorde à Vladimir. On condamne d’une phrase l’agression et on s’empresse d’ajouter un « mais ». Et en un long discours, on rappelle les manipulations américaines, les provocations de l’OTAN, les racines de la Russie, le passé mal digéré du nazisme en Ukraine et la corruption de ses dirigeants, sans oublier au passage le prix de l’électricité qui monte et celui du blé qui baisse. On proclame que « ce n’est pas notre guerre[1] » et qu’« on ne veut pas mourir pour le Dombass[2] » et j’entends au fond du discours une sourde complaisance pour le régime du Kremlin. Après tout, Poutine n’est-il pas le défenseur de la famille et des valeurs traditionnelles chrétiennes en croisade contre une Europe féminisée, décadente et en perdition ? Le dernier bastion de l’ordre moral dressé contre l’homosexualité déviante et perverse ? Le dernier mâle blanc de ce côté-ci de l’Atlantique à s’opposer au féminisme conquérant et hystérique ? Tout cela compose une petite musique sur laquelle se colle naturellement un petit refrain : plutôt rouge que woke.
J’entends des patriotes drôlement pacifistes déclarer qu’« il faut tout faire pour éviter la guerre[3] ». Ils se réclament du gaullisme en temps de paix, mais une certaine fascination pour la force, une solide proximité idéologique avec l’ennemi et un anti-américanisme pavlovien les révèlent bien peu résistants quand la guerre vient. Ainsi, certains droitards rappellent ces communistes français devant les invasions soviétiques de Budapest en 1956 ou de Prague en 1968, ou certains intellectuels de gauche aux tendresses bolcheviques. Tant et si bien que l’on pourrait dire aujourd’hui : Les fachos à Moscou !
D’après un sondage, le droit-de-l’hommiste Raphaël Glucksmann récolterait deux fois plus de voix aux élections européennes que le robespierriste islamo-compatible Mélenchon. L’électeur de gauche a la chance d’avoir un candidat antitotalitaire. J’aimerais pouvoir en dire autant. Je ne vois à droite que des partis empêtrés dans leurs vieilles sympathies poutiniennes ou dans leurs ambiguïtés stratégiques politiciennes. Le candidat de la droite clairement antitotalitaire, je le cherche. Désespérément.
Politiquement, notre chroniqueur Philippe Bilger reste un grand naïf. Aujourd’hui, il se penche sur le cas du candidat du PS et de « Place publique » aux élections européennes. En progression dans les sondages (il se rapproche des 12%), ce dernier propose de taxer les plus riches au niveau européen pour financer la « transition écologique et sociale » et d’accentuer notre soutien militaire à l’Ukraine.
Alors que je suis passionné au-delà de toute mesure par la politique politicienne, il m’arrive en même temps de déplorer que celle-ci brouille le paysage intellectuel et rende des frontières absurdement infranchissables. J’écoute le 7 avril au Grand Jury Raphaël Glucksmann, tête de liste du parti socialiste pour les élections européennes, et je continue à être impressionné par la finesse de son intelligence, la pondération de ses analyses et le ton courtois qu’il cultive, qui n’est pas faiblesse de caractère mais maîtrise de soi. Même en ne surestimant pas mon savoir dans le registre européen, j’avoue ne pas avoir été scandalisé par ses raisonnements même les plus extrêmes, sur le plan des taxes comme pour la défense des droits de l’homme. Au risque de choquer les partisans de rudes antagonismes, je n’ai pas pu m’empêcher de trouver plus qu’une similitude entre sa personnalité et celle de François-Xavier Bellamy, tête de liste des Républicains. Lors des dernières élections européennes, j’avais déjà remarqué cette familiarité entre deux intellectuels qui, alors, avaient eu du mal à endosser ce que le verbe politique doit avoir de partisan pour être efficace.
Une constatation navrante
Cette proximité des caractères et des cultures demeure aujourd’hui, même si l’espace politique dont dispose Raphaël Glucksmann est plus identifiable que celui réservé à François-Xavier Bellamy. Malgré son talent, ses capacités de réflexion et son excellent bilan européen, il éprouve des difficultés à se distinguer sur le plan du projet par rapport à « Reconquête! » et au Rassemblement national. Certes, François-Xavier Bellamy pourra soutenir, contre le RN, qu’il a travaillé et obtenu des résultats, lui, à Bruxelles mais ce n’est pas suffisant pour marquer une nette différence sur le fond.
Cette détestable pente politicienne qui contraint à dissimuler, à méconnaître le lien fort entre deux natures pourtant proches, dont l’apport concerté serait remarquable, me navre. Elle amplifie les contradictions des programmes alors qu’elles seraient aisément solubles dans un monde démocratique qui placerait au premier plan l’honnêteté intellectuelle et le refus des outrances. Au détriment des idéologies qui sont trop souvent un moyen de donner bonne conscience à la libération des pires instincts de l’homme. Alors, naïveté politique, ma désolation face à l’impossibilité même d’envisager ce que l’union d’un François-Xavier Bellamy et Raphaël Glucksmann apporterait à tous ? Je ressens ce même état de mélancolie républicaine au sujet d’une impasse présidentielle. Je ne doute pas de l’authenticité de l’esprit européen du président de la République même si on a le droit de mettre en cause sa conception de l’Europe et sa volonté de la faire servir à l’affaiblissement des identités nationales. Aussi, quand on nous annonce que « Macron prépare son entrée en campagne avec un grand discours Sorbonne 2 »[1], mon premier mouvement n’est pas d’en soupçonner l’insincérité. Mais d’en prévoir l’inutilité.
Glucksmann devrait récupérer une partie de l’électorat macroniste déçu
En effet, je suis frappé par le gouffre de plus en plus vertigineux entre d’un côté la bonne volonté du président sur certains plans, la justesse de ses résolutions, et de l’autre leur parfaite stérilité opératoire. Je crois qu’il n’y a plus un domaine où le président puisse s’exprimer en étant assuré d’être sinon cru, du moins vraiment écouté. Cela me navre parce qu’il pourrait arriver que son verbe méritât d’être pris au sérieux, notamment quand il n’a pas été altéré, selon son habitude, par de multiples fluctuations et contradictions. Mais il faut convenir que la principale responsabilité incombe à Emmanuel Macron. Si ses propos sont dévalués, si ce qu’il dit ne laisse plus la moindre trace dans la conscience publique – qu’il s’agisse de saillies ou d’argumentations sérieuses -, cela ne tient pas seulement à 2027 où il ne pourra plus nous faire don de sa personne mais, plus profondément, au fait qu’il a trop évolué, infléchi, contredit, varié, démenti et déstabilisé, qu’il nous a trop habitués à percevoir dans l’affirmation d’aujourd’hui la dénégation de demain, qu’il nous a, au fond, interdit de lui attacher foi et confiance, nous privant de cette exemplarité capitale d’un chef tellement légitime qu’on le croit sur parole.
C’est une autre de mes naïvetés politiques que cette tristesse que j’éprouve face à la déliquescence d’une destinée présidentielle qui aurait pu avoir tout pour elle mais se retrouve vouée à parler dans le désert républicain. Je ne vois pas d’insurmontable contradiction entre ma dilection, peut-être immature, pour la politique politicienne et mes regrets de citoyen adulte : les seconds me permettent de supporter la première.
À deux mois des élections européennes, LR ne décolle pas dans les sondages. Atomisée par la Macronie, largement distancée par le RN, la droite classique est devenue inaudible, voire invisible. Elle est au bord de l’éclatement. Ce scrutin pourrait être celui de la dernière chance.
Ni Bardella ni Macron. Pris en sandwich entre ces deux poids lourds, François-Xavier Bellamy déplore « que l’élection européenne soit transformée en un sondage géant pour anticiper la recomposition politique de la France. Ce scénario écrit d’avance ne correspond à rien au niveau européen. Or la crise agricole et ce qu’elle doit à l’idéologie et au fonctionnement de l’Europe actuelle ont montré qu’il fallait prendre au sérieux les élections européennes. » Hélas pour le candidat de la droite dite « de gouvernement », le match Renaissance/RN focalise toute l’attention, et le troisième homme de l’élection est pour le moment Raphaël Glucksmann, crédité de 11 % des suffrages quand la liste LR plafonne à 7.
LR relégué en deuxième division
Xavier Bertrand le reconnaît sans fard : « Quand vous oscillez entre 5 et 10 % des voix et que vous avez réalisé un score de moins de 5 % à la présidentielle, vous passez en deuxième division et êtes condamné à un rôle de supplétif. Et pourtant, la droite n’est pas finie, elle a des chances d’avoir les élus locaux les plus nombreux en France, garde un groupe parlementaire structurant au Sénat et malgré la déroute de 2022, a un groupe d’une soixantaine d’élus à l’Assemblée nationale qui dispose d’une véritable marge de manœuvre puisqu’il peut faire la bascule. La vraie question est : quelle est sa stratégie politique ? »
Analyse partagée et précisée par un ancien collaborateur de ministre, fin connaisseur des arcanes de la droite : « La droite n’est pas dans une impasse, l’épisode de la loi immigration l’a revigorée, même si elle s’est fait tirer le tapis sous les pieds par le RN. Il y a juste une haie à franchir, celle des Européennes, mais elle n’est pas bien haute. Ils ne peuvent l’avouer, mais s’ils passent la barre des 5 % et qu’ils ont des élus, la mission sera remplie. […] Le véritable enjeu est de ne pas faire moins de 5 % pour éviter l’éclatement et l’émancipation d’élus locaux dont l’élection ne dépend aujourd’hui plus de l’étiquette, mais de leur impact personnel. » En off, nombre d’élus sont d’accord. Dans tous les camps, on est passé en mode vautour.
Le dépeçage programmé de Renaissance
Le tendre agneau qui excite leurs appétits, c’est Renaissance : le parti présidentiel est neutralisé par l’impossibilité pour le président de se représenter, le fait qu’il n’a pas de ligne idéologique claire et, depuis 2022, par l’absence de majorité. Le fan-club d’Emmanuel Macron n’a ni histoire ni avenir. C’est l’ère du vide : ni droite ni gauche, ni identité forte, ni héritier naturel. Alors pour LR, entre union des droites et dépeçage du centre, le choix est vite fait, comme l’explique l’ancien collaborateur ministériel. « Le nouveau monde va s’écrouler et l’ancien va revenir. Dans ce cadre, il y a des passerelles avec Renaissance qu’il n’y a pas avec le RN. Une fois papa parti, le parti éclatera. Or ceux qui peuvent récupérer cette droite macroniste, que ce soit Darmanin, Le Maire ou Édouard Philippe, viennent des LR et ont continué à entretenir des réseaux. Ils savent qu’ils auront besoin d’une organisation politique qui tient la route et qui peut mailler le territoire dans le cadre de la prochaine présidentielle. Le réseau d’élus locaux des LR est ici un atout. Pour conquérir comme pour gouverner. »
Pendant ce temps le RN s’envole dans les sondages. Et il veut la mort de LR. Là où il est fort, il n’hésite pas à maltraiter ses élus. Les résultats des dernières législatives ne peuvent que l’y inciter. Pourquoi s’encombrerait-il d’alliés, dont l’étiquette n’apporte rien en termes de dynamique électorale et politique ?
La situation dans le Sud-Est est emblématique de cette nouvelle donne. Dans le Var, lors des dernières législatives, le RN a remporté sept sièges sur huit. Certes, ce département n’avait pas échappé en 2017 à la vague LREM mais en 2012, tous les députés étaient LR et le Var était considéré comme un fief difficile à prendre. La fin de la Macron-mania n’a pas entraîné le retour des électeurs au bercail. S’en est suivie une lutte fratricide remportée par le RN. Les LR ont retenu la leçon. Le RN joue la guerre des droites plutôt que l’union.
C’est également la conclusion qu’ils tirent de la saga du projet de loi immigration. Jacqueline Eustache-Brinio, sénatrice du Val-d’Oise s’en explique : « Nous avons agi en responsabilité, travaillé sur le fond du texte, fait passer nombre d’amendements. Nous avons montré que le travail parlementaire était essentiel, qu’il permettait de peser sur les textes et qu’il pouvait payer. Le RN, lui, n’a rien fait et s’est simplement positionné au dernier moment pour dire qu’il votait la loi. Les questions de fond ont alors été occultées et les commentateurs ne se sont plus demandé si les changements apportés à la loi correspondaient à l’intérêt général, mais qui du gouvernement ou du RN allait tirer son épingle du jeu. […]Tout notre travail et notre investissement ont été invisibilisés. »
La tentation, pour les élus LR, c’est donc de se contenter de surveiller l’agonie du grand rival Renaissance. Une logique que récuse d’emblée Xavier Bertrand. « Quand on veut incarner un avenir possible, mieux vaut ne pas passer son temps à courir après qui que ce soit. Et surtout pas après la Macronie qui est à bout de souffle comme d’idées et dont l’exercice de pouvoir est rejeté par les électeurs. Il y a une véritable paresse de la part des politiques. Ils se disent que le temps passe vite, que les gens n’ont pas de mémoire et qu’il n’est pas utile de se remettre en question et au travail. Finalement, avec le jeu mécanique de l’alternance, le fruit du pouvoir tombera tout seul dans vos mains. Or seule la capacité à créer une offre politique cohérente peut créer les conditions du rassemblement et élargir les bases électorales. »
François-Xavier Bellamy ne dit pas autre chose. La tête de liste LR n’a pas pour seule ambition la survie. « Ronronner et attendre tranquillement en limitant les dégâts et en faisant fructifier ses acquis n’est pas une solution, surtout quand on n’en a plus. La noblesse de la politique, c’est de forger ses propres propositions, pas d’essayer de cibler une clientèle en rachetant le fonds de commerce de ses adversaires. S’il faut parler immigration dans cette campagne, par exemple, ce n’est pas pour siphonner les voix du RN, mais parce que la France a besoin de ce débat et que certaines dispositions européennes sont un frein à la maîtrise des flux. »
Travailleur, maîtrisant ses dossiers, intellectuellement structuré, Bellamy s’est beaucoup investi sur les sujets agricoles, dénonçant avec justesse le double discours du président Macron et de Renaissance. Mais ces qualités et cet investissement peinent à être reconnus par les Français. Le manque de temps de parole y est pour quelque chose. Les résultats désastreux de la dernière présidentielle réduisent énormément sa surface médiatique. À quoi s’ajoute la particularité des Européennes – une sorte de défouloir électoral façon Midterms qui profite aux plus radicaux. La sénatrice du Val-d’Oise le regrette : « Les électeurs ne se rendent pas compte de l’importance de ces élections, ils les réduisent à une fonction tribunitienne où il s’agit de faire avant tout passer un message au pouvoir. » Xavier Bertrand approuve : « Le président de la République veut imposer aux Français un match RN/Renaissance pour ressortir sa martingale électorale « moi ou le chaos ». Or si en face, vous avez des Français dépolitisés et inconscients des enjeux réels, vous prenez le risque qu’ils jouent à qui va saigner le plus. L’élection perd alors de son importance en termes d’étape dans la construction d’un avenir politique. Elle se réduit à un jeu de massacre où les postures remplacent les propositions. »
RN, le vote utile pour qui veut gifler symboliquement Emmanuel Macron
En réduisant les européennes au match symbolique Attal/Bardella, le président de la République les a transformées en tour de chauffe de la présidentielle de 2027. Pour l’ancien collaborateur ministériel, « LR a une tête de liste vraiment à la hauteur. Pour autant, la droite ne peut recueillir ni les fruits du courage ni ceux de la raison. En effet, le président de la République a encore une fois transformé cette élection en une forme de plébiscite personnel et de démonstration de vertu collective. Mais la réitération de ce schéma l’affaiblit et fait monter l’exaspération. » Devenu le moyen de faire un pied-de-nez à Emmanuel Macron, voire de le gifler symboliquement, le vote RN est donc un vote utile. Et sans risques : les Français considèrent que le Parlement ne compte pas en Europe. Pour eux, le véritable pouvoir est à la Commission. Ils sont donc moins sensibles au chantage aux heures sombres et au ventre fécond. Chantage qui d’ailleurs apparaît de plus en plus décalé au fur et à mesure que le RN patine son image. Xavier Bertrand abonde dans ce sens : « Pendant très longtemps, il y avait beaucoup de perte entre les intentions de vote RN et les résultats. Au dernier moment, nombre d’électeurs ne venaient pas voter. Ils se disaient : à quoi sert de se déplacer puisqu’on ne gagne jamais. Mais là, non seulement ils ont une chance de gagner, mais s’ils choisissent d’envoyer un message en forme de claque électorale au président, celui-ci est à portée. »
Dans ce climat, on comprend la panique du clan présidentiel alors que l’écart avec le RN ne cesse de se creuser. Il s’élève à 13 points aujourd’hui mais, dans la Macronie, on redoute que les intentions de vote en faveur de la liste Renaissance baissent encore. L’hypothèse d’un rapport de force RN/Renaissance à 30/15 n’est pas exclue. Autant dire qu’on n’avait vraiment pas besoin, en prime, des 11 % que les sondages attribuent à la liste Glucksmann/PS. Si Renaissance plonge et que la liste PS grignote quelques points, le parti présidentiel se retrouvera dans le camp des perdants à touche-touche avec le parti qu’il est censé avoir grand-remplacé. En somme, le nouveau monde a à peine atteint l’âge de raison, qu’il rejoint dans l’échec ceux qu’il vouait aux oubliettes. Pour survivre, il suffit à LR d’avoir des élus ; pour le parti présidentiel, c’est plus compliqué. D’où le choix de dramatiser la question de la guerre en Ukraine.
Xavier Bertrand craint que dans ce contexte le succès annoncé du RN se conjugue avec le blocage complet de notre système politique. « Quel que soit le résultat […], nous sommes condamnés à l’immobilisme, les européennes ne résolvant en rien l’incapacité à agir du pouvoir faute de majorité. L’exaspération va continuer à monter et comme le seul talent du RN est de savoir recueillir les fruits de la colère, il va lui aussi continuer à monter. Voilà pourquoi la droite doit enjamber cette élection quels que soient les résultats et se remettre au travail plutôt qu’attendre la chute inévitable de la Macronie. On peut perdre cette élection en chemin, mais je vois trop d’hommes politiques aujourd’hui se débattre plutôt que se battre justement par crainte de l’échec. Quand on se bat, on peut perdre mais même si on perd, beaucoup de gens se sentent moins seuls parce qu’on a eu le courage de faire ce qu’il fallait. »
En attendant, la droite LR est condamnée à la patience. Emploiera-t-elle le temps qui nous sépare de la présidentielle à construire une véritable offre politique ou se contentera-t-elle du mode charognard, l’avenir le dira. Et puis, elle doit résoudre la question qui fâche : celle de l’incarnation. Ce n’est pas tout que d’obtenir des dépouilles, encore faut-il savoir les partager. À la présidentielle, mère de toutes les batailles, face à un RN en promenade, le salut de la droite pourrait dépendre d’une candidature unique LR/macronistes de droite. Même sur le point de sortir du jeu, Emmanuel Macron arbitre encore le match.
Un établissement de santé présenté dans le reportage de "Zone Interdite". Capture d'écran M6.
À la suite de la diffusion du reportage « Les dossiers noirs du handicap », nous avons constaté, à plusieurs reprises, des tentatives de la part des associations de justifier les difficultés vécues au sein des établissements accueillant des personnes handicapées en grande partie par le manque de moyens. Si cet argument est pertinent et indiscutable aux vues de notre système de santé connaissant depuis des années une crise d’une ampleur impressionnante, peut-on sortir encore et toujours cette justification pour les dérives les plus graves?
Au cœur du documentaire diffusé le 24 mars dans Zone Interdite sur M6[1] furent pointées les nombreuses difficultés vécues au quotidien par beaucoup de familles de personnes en situation de handicap. Scandale d’État sur les aides sociales détournées au détriment de celles-ci (par exemple, un foyer pour handicapés imposant à une famille de lui restituer, contre son bon droit, l’intégralité des allocations logements destinées au résident sans les déduire du loyer), dysfonctionnements de l’école inclusive, manque de places au sein des instituts… et maltraitances.
Délabrement, insalubrité, faute de mises aux normes : la première réalité dénoncée par le reportage est effectivement bien le reflet de l’intolérable manque de moyens accordés par les pouvoirs publics à la question du handicap. Des chutes de cheminées à celles des résidents, des pièces condamnées aux bâtiments en débris : sur ces plans, l’absence de préoccupation constante des gouvernements successifs au sujet du handicap est dénoncée à de multiples reprises. Et à l’évidence, tout ceci est ô combien condamnable. Mais on ne peut pas mettre sur le même plan de mauvaises conditions d’hébergement et… les maltraitances constatées par les reporters de M6.
Néanmoins… J’ai pu lire sur le net l’indignation de certaines associations, comme l’Unapei. J’ai pu lire que la maltraitance intervenait, lorsque le système était « défaillant »[2]. J’ai pu lire que certains considéraient les faits dénoncés comme des « effets de la crise ». J’ai lu que les solutions d’accompagnement perduraient « au prix de la qualité des soins ». Pardonnez-moi, mais il est clair, aux vues des effroyables constats établis par les familles, qu’il ne s’agit pas exclusivement d’une question de moyens. On a pu voir les images d’un enfant handicapé, subissant de lourds problèmes de déglutition pouvant le mener à l’étouffement, laissé à lui-même dans une chambre insalubre. On a aussi pu voir les images de refus de la part des responsables de laisser les parents visiter les établissements. Mais par-dessus tout, ce documentaire aborde une autre dimension des problèmes rencontrés par nos concitoyens handicapés encore plus indigne, une dimension qui ne devrait en aucun cas, et à aucun moment, exister. Peu importe sa rareté et peu importe qu’elle ne soit pas une généralité. Les maltraitances (en particulier dans le milieu du soin !) n’ont pas et n’ont jamais lieu d’être. Il est intolérable de voir des enfants, comme Gaëtan, jeune autiste, revenir de centres spécialisés avec des blessures en tout genre: des hématomes, des bleus sur les bras, des gants des personnels médicaux dans les selles, des fractures.
Il est intolérable de lire ces attestations faites sur l’honneur par des salariés dénonçant des problèmes de malnutrition, de maltraitances. Ces employés dénoncent les étonnantes pratiques de certains membres des personnels. Par exemple, des infirmières auraient déposé du chocolat au sol pour faire rentrer des résidents dans un établissement, des insultes et rabaissements auraient été administrés à certains.
Une fois encore, il va sans dire que les défaillances sont dues, pour la majeure partie d’entre elles, à la crise sanitaire d’envergure connue depuis des années par les professionnels de santé. Il va sans dire que ces métiers indispensables au bien-être de l’homme mériteraient une meilleure rémunération, et que les pouvoirs publics ont le devoir de donner à ces derniers les moyens d’accomplir leurs missions. Il va sans dire que ces professions demeurent sous-payées et connaissent des conditions d’exercice difficiles comme le dénoncent les associations. Néanmoins, est-il toujours pertinent de parler d’argent dans le domaine du soin où bien-être et dignité des personnes devraient primer en toute occasion ? Peut-on toujours dédouaner l’intolérable par la crise ? Dire que l’on omet systématiquement les questions de compétences par souci économique dans le recrutement est aussi une réalité à dénoncer.
Car oui, la personne humaine, peu importe son handicap ou ses difficultés, dispose de droits fondamentaux. En effet, l’article R311-35 du Code de l’action sociale et des familles prévoit que le règlement d’un établissement doit contenir les mesures relatives à la sûreté des personnes. De plus, la structure doit être dotée une équipe soignante (kinés, orthoptistes …) ayant pour mission de surveiller la santé des enfants, et d’une équipe pédagogique composée d’enseignants et d’éducateurs. Enfin, plusieurs droits fondamentaux sont reconnus aux personnes accueillies au sein d’établissements, comme le respect, par le personnel, de leur dignité, intégrité, vie privée, intimité et de leur sécurité (article L311-3 du CASF).
Au vu de la gravité des constats établis par les parents au sein de ce documentaire, la dignité de la personne est-elle toujours respectée ? Est-elle respectée quand les enfants sont humiliés ? L’intégrité physique n’est-elle pas violée quand ceux-ci sont retrouvés avec des blessures sur le corps ? Est-ce ce que l’on pourrait appeler une prise en charge… de qualité ?
Les métiers du soin et de l’accompagnement sont sujets à une responsabilité particulière. Les professionnels et dirigeants d’établissements sont garants de la prise en charge des personnes dans des conditions dignes mais aussi de leur intégrité corporelle. En droit français, de par l’héritage des valeurs inculquées par la société chrétienne et conformément à la volonté de protéger les personnes contre les atteintes portées au corps, celles-ci sont systématiquement réprimandées. Il s’agit d’un principe fondamental : on ne touche pas, en aucun cas, à l’intégrité physique.
Un autre aspect, que j’ai également pu découvrir dans la presse, a particulièrement attiré mon attention. En effet, nous avons été informés d’une stratégie lancée par le gouvernement à partir de fin 2025 en matière de facilitation du signalement, mais aussi visant à rendre systématique « la vérification des antécédents judiciaires de tous les intervenants qui accompagnent les personnes vulnérables – professionnels comme bénévoles ». Pardonnez-moi, mais je peine à saisir le sens véritable de cette annonce… Celle-ci signifierait que les textes actuels n’auraient pas déjà pour effet de systématiser la vérification des antécédents judiciaires des accompagnants de personnes vulnérables ? Cela signifierait que l’absence de tels antécédents ne serait pas à l’heure actuelle, considérée comme un critère de sélection dans un domaine nécessitant de prodiguer des soins et de porter à l’autre une attention toute particulière ? Mais sérieusement, de qui se moque-t-on ?
Si le manque de moyens est une réalité qu’il convient de prendre en compte à sa juste valeur et s’il est nécessaire de souligner la difficulté des conditions de travail des personnels médicaux et médico-sociaux, la responsabilité de l’ensemble des acteurs est aussi celle de dire que le manque de moyens ne justifie en aucun cas que des mauvais traitements soient infligés. Le manque de moyens n’excuse pas la violation des droits fondamentaux. Le manque de moyens n’est pas une explication au non-respect de la dignité humaine. Le manque de moyens n’est pas seulement l’affaire des personnes handicapées et vulnérables ! Le manque de moyens n’est pas une arme rhétorique destinée à fermer les yeux ! Le manque de moyens n’est de nature à expliquer ni les blessures, ni les ustensiles retrouvés dans les selles, ni le refus de recevoir les parents dans les établissements.
Sans nulle volonté de jeter la pierre et d’engager la responsabilité d’un acteur plutôt qu’un autre, je pense incorrect d’apporter une seule et même explication à un problème d’une telle envergure. La responsabilité, en matière d’atteintes corporelles justifiées par un manque de moyens, est bien souvent une affaire collective.
La 28è édition du Festival de Pâques se tient à Deauville jusqu’au 27 avril 2024
Ce sont d’autres races de purs-sang qui, en ouverture du printemps, investissent pour trois semaines la salle Elie de Brignac-Argana, à Deauville. Non pas les yearling hors de prix dont, le reste de l’année, quelques émirs ou capitaines d’industrie hippophiles font l’acquisition dans cet équestre colisée. Les juvéniles chevaux de course du traditionnel Festival de Pâques dont, à deux heures de Paris, la mythique station balnéaire s’enorgueillit depuis près de trente ans, en partenariat avec la prestigieuse Fondation Singer-Polignac et sous l’impulsion de son co-fondateur le violoniste Renaud Capuçon (avec feu le pianiste Nicholas Angelich), ce sont les musiciens prometteurs de la nouvelle génération. Jeunes mais déjà concertistes de haut vol, pour certains. L’autre signature du festival, c’est d’associer délibérément les must du répertoire classique à des œuvres plus rares, voire à des compositions contemporaines, lesquelles exigent parfois une oreille avertie. Un équilibre subtil.
Éclectisme au rendez-vous
Le concert d’ouverture du 6 avril offrait l’illustration parfaite de cette combinaison. Avec, en guise de hors-d’œuvre, La Truite, le célèbre quintette composé par un Schubert âgé de 21 ans sur la base de son lied Die Forelle dont tout un chacun sait fredonner les variations mélodiques du quatrième mouvement, jadis parodié par les Frères Jacques… Moins galvaudé, le sublime andante, second mouvement du quintette, atteignait un sommet sous les archets d’Emmanuel Coppey (qui jouait « baroque », sur un violon fin XVIIIe), de Manuel-Vioque-Judde à l’alto, de Yann Dubost à la contrebasse. Au clavier, le remarquable Arthur Hinnewinkel, 24 ans, pianiste actuellement en résidence, justement, à la Fondation Singer-Polignac, dans le XVIème arrondissement de Paris.
C’est peu dire que le second morceau du concert, Ich ruf zu Dir pour piano, clarinette et quatuor à cordes, millésimé 1999, œuvre d’Olivier Grief, compositeur mystique, fils d’un déporté de la Shoah, un temps adepte d’une secte bouddhique, mort à 50 ans à peine en l’an 2000, supposément d’une crise cardiaque, requérait l’écoute de l’auditeur : musique d’écorché vif, proche de la transe, une clarinette stridente ne ménageant pas les tympans, pas plus que le piano frappé comme la sonnaille d’un bourdon de cathédrale, cri dissonant, accablé de lourds silences neurasthéniques. De ce climat funèbre témoigne la bouleversante Danse des morts, aux mélopées nourries de musique ancienne. Elle est éditée en CD sous la bannière de Deauville Live, au sein d’une précieuse collection qui compte déjà une douzaine d’albums : chaque année, la gravure d’un concert du festival – éclectisme au rendez-vous, donc.
Prokofiev clôturait ce concert du 6 avril, avec cette Ouverture sur des thèmes juifs, pour piano, clarinette et quatuor à cordes, œuvre peu connue, d’une écriture saisissante. Modifié à la dernière minute, ce programme dominical nous aura privé de la sonate pour clarinette et piano n°3 de Max Reger (1873-1916) initialement prévue : d’autant plus dommage qu’en toute franchise l’interprétation du fameux quatuor pour violon, alto violoncelle et piano, remplacement au débotté, par une formation manifestement peu à l’aise, ne faisait pas honneur au génie de Mahler. S’ensuivaient deux morceaux d’Alban Berg pas faciles d’accès, il faut bien le dire, mais superbement rendus, auxquels succédait un Der Wind échevelé, œuvre pour violon, clarinette, cor, violoncelle et piano de Franz Schrecker (1878-1934), d’une magnifique amplitude post-romantique, ce avant le trio pour clarinette, violoncelle et piano opus 114 de Brahms puis – scies absolues du répertoire s’il en est ! – quatre danses hongroises de l’impérissable compositeur germanique ne viennent conclure ce dimanche en feu d’artifice, par un quatre mains vibrionnant – les tous jeunes Gabriel Durliat et Arthur Hinnewinkel se disputant le clavier avec entrain.
Aude Extrémo très attendue
On l’aura compris, les deux concerts de ce week-end – qui ont fait salle pleine – ne sont jamais que l’entrée en matière de l’événement deauvillais, promis à s’achever en beauté fin avril à l’enseigne de Max Reger, avec la Suite romantique (1912), de Schönberg, avec la Kammersyphonie n°1 (1906-1912) mais surtout avec les envoûtants Kindertotenlieder de Mahler, chantés par la mezzo-soprano Aude Extrémo, dont le répertoire ahurissant va de la musique française aux rôles wagnériens, en passant par le belcanto. C’est ce concert final qui, cette année, fera l’objet d’une captation pour l’édition CD du « Deauville Live », millésime 2024.
Pour autant, le Festival de Pâques, loin en arrière des planches de Deauville, ne vient pas clouer le bec au classique dès l’arrivée des beaux jours et des transhumances touristiques : du 30 juillet au 10 août, cette même salle Elie de Brignac-Arquana ravive les attraits de la musique de chambre, avec la 23ème édition de l’Août musical – un programme qui, encore une fois, n’hésite pas à conjuguer Schumann et Martinu, Mozart et Poulenc, Chausson et Tchaïkovski, Berg et Mendelssohn…
On notera que pour les moins de 18 ans, le Festival de Pâques s’annonce gratuit une heure avant le concert, dans la limite des places disponibles – et 10€ si tu réserves, gamin. Qui dira qu’en France on néglige la transmission de la culture auprès de notre tendre jeunesse ? Ne néglige pas pour autant l’injonction de Paul Valéry, en lettres d’or au fronton du Palais de Chaillot : « Il dépend de celui qui passe / que je sois tombe ou trésor/ que je parle ou me taise/ Ceci ne tient qu’à toi/ Ami n’entre pas sans désir ». En bord de mer, jeunes gens, choisissez donc le bain de culture, divertimento pas salé : comme l’on sait, la musique adoucit les mœurs.
Festival de Pâques (28è édition). Jusqu’au 27 avril 2024. Salle Elie de Brignac-Argana. Deauville.
Concert d’ouverture du 6 avril diffusé sur France Musique le 20 mai à 20h, puis disponible en streaming sur le site de France Musique et l’application Radio France.
Le 8 avril 2024, Mila répond aux questions de la journaliste Apolline de Malherbe sur BFMTV / RMC. Capture YouTube.
À la vraie source de l’hyperviolence des « jeunes »
« Les réseaux sociaux, les réseaux sociaux, vous dis-je ». Le sociologue en chambre est pareil au médecin de Molière. Les diagnostics des Diafoirus contemporains sur l’hyperviolence des « jeunes » se réduisent à des couplets qui évitent la source des maux. Les dévots paresseux se contentent de réciter le « Faire nation », à mesure que celle-ci se délite.
Haines tribales
À entendre les commentaires dominants, l’inhumanité dont font preuve des adolescents enragés – à Viry-Châtillon, ils ont tué Shamseddine (15 ans) à coups de pied dans la tête1 et, à Montpellier, ils se sont acharnés sur Samara, 13 ans, placée un temps dans le coma2 – refléterait le visage de la société. Elle serait malade d’une décivilisation. L’internet en serait le symptôme mimétique. Cette grille de lecture simplette n’est pas seulement celle des diplômés en sciences sociales et en écoles de journalisme. Elle est partagée par le gouvernement, qui rêve depuis sept ans de mettre sous surveillance ces réseaux trop libres. Or il est faux d’associer la France entière à ces barbaries.
La vérité est ailleurs
La plupart du temps, ces haines sexistes et tribales sont produites dans les marges de la contre-société issue du Maghreb et de l’Afrique noire. Samara aurait été tabassée parce qu’elle s’habillait « à l’européenne » selon sa mère. Shamseddine aurait été victime d’un « crime d’honneur » sous fond possible d’un antagonisme entre arabes et africains subsahariens. Ces lynchages sont les fruits d’autres civilisations, d’autres cultures importées. L’islam a codifié dans le Coran l’inégalité homme-femme et la violence. « Il est plus féroce qu’un Arabe », fait dire Flaubert à un de ses personnages de Madame Bovary. Le racisme avait fait reconnaître à l’ancien président sénégalais Abdoulaye Wade : « Un Burkinabé souffre plus en Côte d’Ivoire qu’un Noir en Europe ». Mais cette réalité-là ne doit pas être dite.
Décivilisation, séparatisme ou ensauvagement, choisis ta France
La France ouverte à l’islam et au tiers-monde s’est islamisée et tiers-mondisée. Du moins, pour une partie d’entre elle, encore minoritaire il est vrai. Mais l’aveuglement « progressiste » accélère le déclin. Les faiseurs d’opinion, qui indifférencient les civilisations présumées remplaçables, ne veulent admettre la séparation de deux France. Elles n’ont pas atteint en même temps la même exigence civilisationnelle. Les hyperviolences révèlent un choc de cultures. La France française n’est certes pas exemplaire en tout. Elle se laisse gagner par capillarité à la détestation d’elle-même. Mais c’est Mila, 20 ans, invitée ce lundi matin sur RMC, qui s’approche au plus près des causes de ces envies de tuer ou de violer qu’elle a elle-même subies pour avoir critiqué l’islam et son prophète il y a quatre ans.
L’alerte Mila
Abordant la France diversitaire, elle dit en substance : « Il y a une police des mœurs dans des lycées, encouragée par certains parents. La laïcité est morte. La charia s’impose avec facilité. La détestation de la France est tendance ». Les solutions à ce désastre passent donc par un arrêt de cette immigration de masse, par une sanction immédiate des jeunes barbares et des familles, par une mise au pas de l’islam politique qui encourage les punitions contre les « mécréants ». Plus que jamais, les Français musulmans qui acceptent la civilisation française devraient la défendre. Peu d’entre eux, pour l’instant, osent vaincre la peur.
La langue anglaise n’existe pas, ce n’est que du français mal prononcé, nous dit Bernard Cerquiglini dans un petit essai aussi drôle que brillant.
L’étude des langues, de leurs origines, de leurs ressemblances, de leurs disparités, de leurs métissages, a toujours constitué une branche importante de la science. Un rameau toujours vert. Sans remonter à la Tour de Babel et pour s’en tenir aux savants de notre temps, des gens comme Ferdinand de Saussure, Émile Benveniste ou Jean Séguy, ce dernier, pionnier de l’ethnolinguistique dans les années 60, lui ont donné ses lettres de noblesse.
Bernard Cerquiglini se situe dans cette lignée. Universitaire, il a enseigné à Paris, Bruxelles et Bâton Rouge (Louisiane) avant d’occuper de hautes fonctions, dont celle de Directeur de l’institut national de la langue française (CNRS). Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, il a notamment publié, avec Erik Orsenna, Les Mots immigrés (Stock). Son dernier ouvrage, « La langue anglaise n’existe pas », c’est du français mal prononcé, a pour titre une citation – d’où les guillemets. Il s’agit d’une phrase de Clémenceau, empruntée par ce dernier à Alexandre Dumas qui la place dans la bouche de son héros d’Artagnan. Et Clémenceau, qui n’était pas dépourvu d’humour, d’ajouter : « L’Angleterre n’est qu’une colonie française qui a mal tourné ». Étrange itinéraire pour un titre insolite. Car nous avons ici à faire à un essai des plus sérieux, fruit d’une érudition sans faille. C’est que Bernard Cerquiglini présente une particularité importante : il est membre de L’Ouvroir de Littérature Potentielle (OulipO). Lequel fut créé en 1960 par le romancier, poète et essayiste Raymond Queneau et le mathématicien François Le Lionnais.
L’Oulipo s’est donné pour tâche d’explorer toutes les potentialités de la langue. C’est une manière de pseudopode du Collège de Pataphysique qui a compté parmi ses notables, outre Queneau, des écrivains tels que Boris Vian et Georges Pérec. La pataphysique, chère à Alfred Jarry et à son héros, le Dr Faustroll, professe l’identité des contraires. Il est vrai qu’il est parfois difficile, voire impossible, de tracer clairement une ligne de démarcation entre littérature et science, ou entre rêve et réalité. Auteur des Fleurs bleues (1965), roman qui illustre cet apparent paradoxe, mais aussi de Bâtons Chiffres et Lettres et d’Exercices de style, Queneau est le prototype de l’explorateur passionné de notre langue qu’il scrute sous tous ses aspects, phonétique, sémantique, philologique.
Tel est aussi le propos de la Sémantique générale, théorie développée au début du XXe siècle par le linguiste américain Alfred Korzybski et selon laquelle le sens des mots et des phrases n’est pas fixe, mais varie selon le contexte. Ainsi convient-il d’avoir toujours à l’esprit que « la carte n’est pas le territoire ». L’un des axiomes de la Programmation neuro-linguistique (PNL), élaborée aux États-Unis dans les années 70 par John Grinder et Richard Bandler.
Pour sa part, René Etiemble connut un grand succès avec son Parlez-vous franglais ?, une dénonciation coruscante de l’invasion et de la « colonisation » de notre langue remplacée en maints domaines par l’anglais.
Du bœuf et du mouton
Revenons à nos moutons. S’il est clair que Bernard Cerquiglini marche sur les brisées de René Etiemble comme le montre sa conclusion, il est tout aussi évident que le contentieux entre l’anglais et le français, reflet d’une lutte pour la suprématie dans tous les domaines, ne date pas d’hier. Elle remonte à 1066 et à la victoire de Guillaume le Conquérant à Hastings. Les Français importèrent avec eux leur langue dans les territoires conquis et celle-ci se répandit, mais seulement dans la classe dominante. C’est ainsi que le bœuf, appelé ox par les manants qui labouraient les champs, se transforma en beef, saignant ou bien cuit, dans l’assiette des aristocrates. Semblable destin pour ship, mué en mutton, et pour bien d’autres mots témoignant de l’emprise du français sur le vocabulaire anglais. Il va sans dire que le domaine de la gastronomie n’était pas le seul à être impacté, comme on dit aujourd’hui quand on est up to date. L’auteur explore maints secteurs venant corroborer la boutade de Clémenceau. L’industrie, le commerce, le droit, l’administration, la diplomatie se trouvent sous l’emprise du français, langue dominante jusqu’au dix-huitième siècle. Constat de l’essayiste à propos de l’anglais : « Plus d’un tiers du vocabulaire est d’origine française ; si l’on ajoute les mots imités du latin, la barre des 50% est dépassée ».
Un voyage fascinant
Tel est le constat quantifiable. Encore faut-il y ajouter ce qui fait la saveur du français, son pittoresque, sa subtilité. Partant de là, Bernard Cerquiglini entraîne son lecteur dans un voyage à travers le temps et l’espace, analysant avec précision toutes les circonstances historiques, politiques, sociales, économiques et culturelles qui ont changé la donne au cours des siècles. Au point de voir à son tour notre langue envahie, submergée par un lexique indigne d’elle. Ainsi se trouve confirmée l’alerte lancée en son temps par Etiemble. La particularité de cet essai au titre provoquant, bien dans la ligne de l’Oulipo, ce qui le rend incomparable, c’est, d’abord, le degré d’érudition de son auteur. Une érudition dont témoigne la bibliographie citée en fin d’ouvrage et l’impressionnant index des mots commentés. Rien de pesant, toutefois. À l’inverse, une légèreté souvent teintée d’humour.
Bernard Cerquiglini « La Langue anglaise n’existe pas ». C’est du français mal prononcé. Gallimard, Folio essais n° 704, 196 pages.
Les Français se désolent de voir de plus en plus de commerces qui ferment dans leurs villes. Mais ce n’est pas seulement la faute d’Amazon !
Imaginez un instant que le propriétaire de votre appartement vous demande de payer sa taxe foncière en plus de votre loyer et des charges qui vous incombent. Évidemment, vous refuseriez et prendriez cela pour une mauvaise blague. Imaginez maintenant que ce même propriétaire vous demande, de surcroît, de verser un dépôt de garantie équivalent à douze mois de loyer, tout en vous précisant qu’il sera inutile de le joindre en cas de problème de plomberie, d’électricité ou de quelconque mise aux normes. Non, vous ne rêvez pas : cela se déroule bien en France, à l’exception près que cela ne concerne pas les appartements mais les locaux commerciaux.
Ouvrir son commerce : du rêve au cauchemar administratif
Si l’on part du principe que ces usages sont non seulement largement répandus mais complètement tolérés, on comprend aisément qu’il y ait aussi peu de murs commerciaux en vente puisqu’il s’agit d’un des placements immobiliers les plus lucratifs qui soient. Chaque jour, des gens se promènent dans les centres-villes et font amèrement le même constat : les commerces ferment. Les raisons sont multiples : départs en retraite de la génération des baby-boomers, concurrence des géants de l’e-commerce international, baisse du pouvoir d’achat des Français, hausse de l’épargne ou encore changement des modes de consommation. Les études à ce sujet sont nombreuses et sont toutes très instructives. En réalité, vous savez quoi ? Ce n’est pas si grave. La vraie question qu’on devrait se poser et qui devrait nous inquiéter, ce n’est pas pourquoi les commerces ferment mais pourquoi il y en a si peu qui ouvrent ?
Non, les jeunes générations ne sont pas fainéantes et, aussi étonnant que cela puisse paraître dans cette société 2.0 qui est la nôtre, le commerce physique de proximité créée encore des vocations. Je rencontre fréquemment des jeunes gens, seuls ou en couple, qui rêvent d’ouvrir leur échoppe que ce soit pour une activité artisanale ou commerçante. Malheureusement, si ceux-ci survivent au dédale administratif et au parcours du combattant de l’entrepreneuriat en France, ce n’est souvent que pour se heurter à un mur, celui du commerce qu’ils n’ouvriront jamais, faute de moyens. La législation des baux commerciaux n’a quasiment pas évolué depuis les années cinquante. C’est bien la seule chose qui n’ait pas changé dans le monde du commerce depuis cette période !
Et si on mettait un bon coup de pied dans la fourmilière de l’immobilier commercial?
Autant vous dire que, début mars, lorsque j’ai entendu Mme Olivia Grégoire, Ministre déléguée chargée des entreprises, annoncer des mesures pour encadrer les baux commerciaux, j’ai eu beaucoup d’espoir. Cela faisait des années que les fédérations commerciales et instances représentatives alertaient le gouvernement à ce sujet. Cette semaine, à la lecture du Projet de Loi Simplification (LSA) qui va bientôt être soumis au Conseil d’état, mon enthousiasme est quelque peu retombé. Au programme : un plafonnement des dépôts de garantie qui ne devront plus excéder trois mois de loyer ainsi que la possibilité pour les commerçants de payer leur loyer mensuellement. J’avais en effet omis ce détail : le propriétaire d’un local commercial est actuellement en droit d’exiger un paiement du loyer par semestre et donc de faire fructifier en placements financiers une trésorerie pourtant vitale aux commerçants…
Tout ça pour en arriver là ! Ce n’est pas la première fois que des politiques donnent l’impression de s’attaquer à un problème pour, au bout du compte, l’effleurer à peine. Est-ce par manque d’audace, méconnaissance du sujet ou encore conflit d’intérêts ? Qu’importe : l’immobilisme est à l’œuvre et ses conséquences sont, chaque jour, catastrophiques pour les commerçants et artisans français.
Plutôt que de faire du privé un bouc-émissaire facile, dont on cherche sans cesse à entraver la marche, l’heure est à refonder les modalités de contractualisation et d’évaluation des écoles !
Haro sur l’école privée ! L’idée n’est pas nouvelle. Sauf que la donne n’est plus la même. D’un côté elle est plébiscitée par 75% des Français, qui la jugent meilleure que l’école publique (selon un sondage Odoxa/ BFM Business réalisé fin mars). De l’autre, elle est contestée dans ses financements et son ouverture sociale : 49% des sondés déclarent être favorables à une réduction ou une suppression de ses subventions publiques, ce qui est lourd de menaces.
Le retour de la guerre scolaire ?
L’urgence est donc, si l’on veut préserver l’avenir de l’école privée, d’accroitre sa transparence budgétaire et tarifaire. Plutôt que de faire de l’école privée un bouc-émissaire dont on cherche à entraver sans cesse la marche, l’heure ne serait-elle pas venue de refonder ses modalités de transparence, de contractualisation et d’évaluation pour qu’elle soit encore plus efficace et légitime?
Le rapport de la Cour des comptes de 2023 comme le récent rapport parlementaire Vannier-Weissberg sur l’école privée se concentrent sur l’enseignement privé sous contrat, sans jamais prendre en compte la dynamique qui existe entre école publique et école privée. Pourtant il est tout sauf anodin que l’Éducation nationale se voie confier la mission de contrôler les écoles privées. S’il est normal que l’Etat contrôle toute structure recevant des subventions publiques, la logique voudrait, en revanche, que ce ne soit pas l’Éducation nationale qui s’en charge. D’abord parce qu’elle perçoit les écoles privées comme des concurrentes dont elle cherche plus à endiguer l’essor qu’à en assurer la qualité. Ensuite parce que l’Éducation nationale est devenue objectivement moins performante que l’école privée, qu’elle est donc peu légitime à contrôler. La différence de performance pédagogique est tout aussi marquée : « Un élève du privé sort de troisième avec plus d’un an d’avance sur un camarade de même milieu social et avec les mêmes acquis en fin de CM2 mais qui a fait sa scolarité dans un collège public », démontre Paul Cahu, consultant pour la Banque mondiale, dans les Echos du 2 avril. Elle a en outre un moindre rapport qualité/ prix : un écolier d’une école privée primaire coûte aux finances publiques 3120 euros contre 6910 euros pour son homologue en école publique. Et un collégien du privé coûte 5544 euros aux finances publiques contre 10 409 pour son homologue du public.
Privé sous contrat : 75% de fonds publics
En matière de transparence budgétaire, il faut exiger des écoles publiques au moins autant que ce qu’on exige de leurs homologues privées, puisqu’elles sont financées à 100% par des fonds publics quand les écoles privées sous contrat le sont à 75%. L’État devrait sanctionner lourdement la non-publication si fréquente des comptes annuels des structures gérant les écoles privées. S’il est assez évident que les structures privées gèrent mieux leur budget que les structures publiques, cette transparence accrue permettrait toutefois de dissuader les appétits malsains de certains gestionnaires d’école privée en matière d’immobilier, de placements financiers ou de contrats de prestation. On verrait aussi que seulement 30% des écoles sous contrat pratiquent des tarifs progressifs. Mécaniquement, cette transparence conduirait à des pressions locales qui aboutiraient à plus de mixité sociale, sans qu’une inhumaine logique quantitative de quotas n’ait besoin d’être imposée.
Mais l’État devrait tout aussi urgemment imposer la publication du budget individuel de chaque école publique. Cette information est inexistante à ce jour. L’emballement improductif des dépenses publiques d’éducation a sans doute à voir avec cette exception française. Ces réformes seraient plus utiles que d’exiger des rapports détaillés sur l’utilisation globale des 10 milliards d’euros alloués chaque année au privé sous contrat. Rendre compte est primordial en démocratie. Encore faut-il que ce soit à une échelle qui parle aux citoyens.
L’innovation éducative bridée en France
Comme les modalités de transparence budgétaire, la gestion des contrats mérite aussi d’être refondée. La loi prévoit qu’une création d’école se fait sans contrat durant ses cinq premières années d’existence. Ensuite, elle peut demander un contrat (qui, rappelons-le, est conclu au niveau de la classe et non de l’établissement). C’est ce que le Code de l’éducation prévoit en théorie mais dans la réalité, très peu de nouveaux contrats sont octroyés. Des concepts vagues comme « le besoin scolaire reconnu » permettent à l’État de refuser le contrat sans motiver réellement son refus. Il n’y a pas de droit à contractualiser qui soit opposable. Son octroi est soumis au fait du prince et sans une intervention politique de haut niveau, il est presqu’impossible d’obtenir un contrat. Cette situation nuit à l’innovation éducative en France et à l’essor des écoles non confessionnelles. C’est par exemple le cas de l’école privée Diagonale, dont la qualité est louée au plus haut niveau de l’Etat mais qui échoue à obtenir un contrat.
Pour les établissements sous contrat en place, la situation n’est guère plus enviable. Ils dépendent du responsable du réseau auquel l’école appartient. C’est le SGEC ou le Fonds Social Juif Unifié par exemple qui se livrent à des tractations sans que les écoles elles-mêmes n’y puissent mais, alors que la loi prévoit que c’est au niveau de chaque établissement directement que les négociations devraient avoir lieu avec le rectorat. Côté État, le retrait du contrat est rarissime. Un établissement qui bénéficie de contrats ne les perd pas tant qu’il a le nombre requis d’élèves par classe, quelles que soient la qualité pédagogique, la sélection ou l’importance de l’entre soi social qu’il pratique. Autrement dit, l’écrasante majorité des contrats sont reconduits sans aucune évaluation de performance. C’est la prime à l’antériorité et à l’appartenance à un réseau d’écoles confessionnelles qui compte.
De l’air !
Pourquoi ne pas gérer plutôt les contrats selon une procédure d’appel d’offre tous les cinq ou 10 ans avec un cahier des charges public et des candidatures publiques ? Cela créerait une saine concurrence entre établissements privés. Cela suppose de mettre en place un vrai système d’évaluation de la qualité des établissements scolaires, qui n’existe pas actuellement en raison de l’effondrement du niveau du brevet et du bac. Pour veiller à la justice de l’évaluation, il faudrait aussi faire passer des tests nationaux de niveau en début et fin d’année, ou au moins en début et fin de cycles, et noter les établissements sur leur capacité à faire progresser leurs élèves par rapport à leur niveau de début d’une part, et au niveau scolaire absolu auquel ils les auront conduits d’autre part. Ces éléments seraient publiés, ainsi que les évaluations des parents, comme le fait l’OFSTED britannique. Ce dernier élément, peu habituel en France, permet de prendre en compte le niveau de satisfaction des parents dans l’évaluation de l’établissement, ce qui semble la moindre des choses, dans le cadre de la co-éducation prônée par les pouvoirs publics depuis des décennies.
Cette évolution permettrait aussi à notre système scolaire collectif de respirer, de s’adapter aux évolutions des besoins de la société et de la qualité des nouvelles initiatives éducatives. La faible évolution du paysage scolaire public ou financé par l’État est assez surprenante, alors que l’éducation – surtout à l’heure du numérique et de l’IA – devrait être un domaine privilégié de l’innovation. Il est temps de sortir de ces rentes de situation. Les nouvelles écoles créées, à condition qu’elles aient fait leurs preuves dans le cadre des évaluations réformées comme proposé, devraient jouir d’un droit opposable à passer sous contrat. Aujourd’hui, les écoles hors contrat sont bloquées dans ce statut défavorable, même quand elles aspirent à contractualiser avec l’Etat et en ont le niveau. C’est l’innovation qui est empêchée, en raison d’une entente malsaine entre une Éducation nationale, qui voit d’un mauvais œil la concurrence des écoles privées, et les baronnies des réseaux institués qui n’ont aucune envie d’ouvrir le jeu à d’autres établissements que les leurs.
Pour éviter un séparatisme social entre ceux de l’école publique et ceux de l’école privée, il est urgent d’instaurer des outils communs : des évaluations nationales communes et des obligations de transparence également communes. La feuille de route est tracée. C’est à présent une question de courage politique.