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Scandale des maltraitances dans les instituts pour personnes handicapées: la crise a bon dos

La face sombre de l'accompagnement de nos handicapés


Scandale des maltraitances dans les instituts pour personnes handicapées: la crise a bon dos
Un établissement de santé présenté dans le reportage de "Zone Interdite". Capture d'écran M6.

À la suite de la diffusion du reportage « Les dossiers noirs du handicap », nous avons constaté, à plusieurs reprises, des tentatives de la part des associations de justifier les difficultés vécues au sein des établissements accueillant des personnes handicapées en grande partie par le manque de moyens. Si cet argument est pertinent et indiscutable aux vues de notre système de santé connaissant depuis des années une crise d’une ampleur impressionnante, peut-on sortir encore et toujours cette justification pour les dérives les plus graves?


Au cœur du documentaire diffusé le 24 mars dans Zone Interdite sur M6[1] furent pointées les nombreuses difficultés vécues au quotidien par beaucoup de familles de personnes en situation de handicap. Scandale d’État sur les aides sociales détournées au détriment de celles-ci (par exemple, un foyer pour handicapés imposant à une famille de lui restituer, contre son bon droit, l’intégralité des allocations logements destinées au résident sans les déduire du loyer), dysfonctionnements de l’école inclusive, manque de places au sein des instituts… et maltraitances. 

Délabrement, insalubrité, faute de mises aux normes : la première réalité dénoncée par le reportage est effectivement bien le reflet de l’intolérable manque de moyens accordés par les pouvoirs publics à la question du handicap. Des chutes de cheminées à celles des résidents, des pièces condamnées aux bâtiments en débris : sur ces plans, l’absence de préoccupation constante des gouvernements successifs au sujet du handicap est dénoncée à de multiples reprises. Et à l’évidence, tout ceci est ô combien condamnable. Mais on ne peut pas mettre sur le même plan de mauvaises conditions d’hébergement et… les maltraitances constatées par les reporters de M6.

Néanmoins… J’ai pu lire sur le net l’indignation de certaines associations, comme l’Unapei. J’ai pu lire que la maltraitance intervenait, lorsque le système était « défaillant »[2]. J’ai pu lire que certains considéraient les faits dénoncés comme des « effets de la crise ». J’ai lu que les solutions d’accompagnement perduraient « au prix de la qualité des soins ». Pardonnez-moi, mais il est clair, aux vues des effroyables constats établis par les familles, qu’il ne s’agit pas exclusivement d’une question de moyens. On a pu voir les images d’un enfant handicapé, subissant de lourds problèmes de déglutition pouvant le mener à l’étouffement, laissé à lui-même dans une chambre insalubre. On a aussi pu voir les images de refus de la part des responsables de laisser les parents visiter les établissements. Mais par-dessus tout, ce documentaire aborde une autre dimension des problèmes rencontrés par nos concitoyens handicapés encore plus indigne, une dimension qui ne devrait en aucun cas, et à aucun moment, exister. Peu importe sa rareté et peu importe qu’elle ne soit pas une généralité. Les maltraitances (en particulier dans le milieu du soin !) n’ont pas et n’ont jamais lieu d’être. Il est intolérable de voir des enfants, comme Gaëtan, jeune autiste, revenir de centres spécialisés avec des blessures en tout genre: des hématomes, des bleus sur les bras, des gants des personnels médicaux dans les selles, des fractures.

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Il est intolérable de lire ces attestations faites sur l’honneur par des salariés dénonçant des problèmes de malnutrition, de maltraitances. Ces employés dénoncent les étonnantes pratiques de certains membres des personnels. Par exemple, des infirmières auraient déposé du chocolat au sol pour faire rentrer des résidents dans un établissement, des insultes et rabaissements auraient été administrés à certains.

Une fois encore, il va sans dire que les défaillances sont dues, pour la majeure partie d’entre elles, à la crise sanitaire d’envergure connue depuis des années par les professionnels de santé. Il va sans dire que ces métiers indispensables au bien-être de l’homme mériteraient une meilleure rémunération, et que les pouvoirs publics ont le devoir de donner à ces derniers les moyens d’accomplir leurs missions. Il va sans dire que ces professions demeurent sous-payées et connaissent des conditions d’exercice difficiles comme le dénoncent les associations. Néanmoins, est-il toujours pertinent de parler d’argent dans le domaine du soin où bien-être et dignité des personnes devraient primer en toute occasion ? Peut-on toujours dédouaner l’intolérable par la crise ? Dire que l’on omet systématiquement les questions de compétences par souci économique dans le recrutement est aussi une réalité à dénoncer.

Car oui, la personne humaine, peu importe son handicap ou ses difficultés, dispose de droits fondamentaux. En effet, l’article R311-35 du Code de l’action sociale et des familles prévoit que le règlement d’un établissement doit contenir les mesures relatives à la sûreté des personnes. De plus, la structure doit être dotée une équipe soignante (kinés, orthoptistes …) ayant pour mission de surveiller la santé des enfants, et d’une équipe pédagogique composée d’enseignants et d’éducateurs. Enfin, plusieurs droits fondamentaux sont reconnus aux personnes accueillies au sein d’établissements, comme le respect, par le personnel, de leur dignité, intégrité, vie privée, intimité et de leur sécurité (article L311-3 du CASF).

Au vu de la gravité des constats établis par les parents au sein de ce documentaire, la dignité de la personne est-elle toujours respectée ? Est-elle respectée quand les enfants sont humiliés ? L’intégrité physique n’est-elle pas violée quand ceux-ci sont retrouvés avec des blessures sur le corps ? Est-ce ce que l’on pourrait appeler une prise en charge… de qualité ?

Les métiers du soin et de l’accompagnement sont sujets à une responsabilité particulière. Les professionnels et dirigeants d’établissements sont garants de la prise en charge des personnes dans des conditions dignes mais aussi de leur intégrité corporelle. En droit français, de par l’héritage des valeurs inculquées par la société chrétienne et conformément à la volonté de protéger les personnes contre les atteintes portées au corps, celles-ci sont systématiquement réprimandées. Il s’agit d’un principe fondamental : on ne touche pas, en aucun cas, à l’intégrité physique.

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Un autre aspect, que j’ai également pu découvrir dans la presse, a particulièrement attiré mon attention. En effet, nous avons été informés d’une stratégie lancée par le gouvernement à partir de fin 2025 en matière de facilitation du signalement, mais aussi visant à rendre systématique « la vérification des antécédents judiciaires de tous les intervenants qui accompagnent les personnes vulnérables – professionnels comme bénévoles ». Pardonnez-moi, mais je peine à saisir le sens véritable de cette annonce… Celle-ci signifierait que les textes actuels n’auraient pas déjà pour effet de systématiser la vérification des antécédents judiciaires des accompagnants de personnes vulnérables ? Cela signifierait que l’absence de tels antécédents ne serait pas à l’heure actuelle, considérée comme un critère de sélection dans un domaine nécessitant de prodiguer des soins et de porter à l’autre une attention toute particulière ? Mais sérieusement, de qui se moque-t-on ?

Si le manque de moyens est une réalité qu’il convient de prendre en compte à sa juste valeur et s’il est nécessaire de souligner la difficulté des conditions de travail des personnels médicaux et médico-sociaux, la responsabilité de l’ensemble des acteurs est aussi celle de dire que le manque de moyens ne justifie en aucun cas que des mauvais traitements soient infligés. Le manque de moyens n’excuse pas la violation des droits fondamentaux. Le manque de moyens n’est pas une explication au non-respect de la dignité humaine. Le manque de moyens n’est pas seulement l’affaire des personnes handicapées et vulnérables ! Le manque de moyens n’est pas une arme rhétorique destinée à fermer les yeux ! Le manque de moyens n’est de nature à expliquer ni les blessures, ni les ustensiles retrouvés dans les selles, ni le refus de recevoir les parents dans les établissements.

Sans nulle volonté de jeter la pierre et d’engager la responsabilité d’un acteur plutôt qu’un autre, je pense incorrect d’apporter une seule et même explication à un problème d’une telle envergure. La responsabilité, en matière d’atteintes corporelles justifiées par un manque de moyens, est bien souvent une affaire collective.


[1] https://www.6play.fr/zone-interdite-p_845/scandales-et-defaillance-de-letat-les-dossiers-noirs-du-handicap-c_13060525

[2] https://www.lefigaro.fr/actualite-france/le-gouvernement-veut-controler-tous-les-etablissements-accueillant-des-personnes-handicapees-20240325



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Employée d’un cabinet d’avocats, Inès est aussi gérante de son association « Glamour à portée » destinée à embellir l’image sociale du handicap et à défendre les droits fondamentaux des personnes à mobilité réduite.

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