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Ils sont partout !

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L’antisem, l’anti-antisem, Causeur en a ras la casquette. 93,7 % de l’espace public en est saturé, on n’en peut plus, ça suffat comme ci. Voilà mille ans que je et d’autres le pensent, la Lévy s’y met et pourtant ça ne va pas s’arrêter là, le four va continuer à chauffer, chauffer.

Il lève le doigt et il demande, pourquoi ? Pourquoi qu’on ne parle que d’eux, en bien, en mal et en voiture ? Prenez Obama, s’il y en un qui n’a rien à voir avec tout ce binz c’est bien lui, le pauvre. Pas un arrière-arrière petit cousin qui le soit. De ce côté-là, blanc comme neige l’Obama, innocent comme l’innocence. Fouillez ses origines, depuis Adam, pas une kipa à se reprocher. Un type, comment dire… normal. Eh bien, vous le croirez ou pas, ils l’ont embringué. La première à le détecter à Chicago c’est une Esther Goodman (un nom de ce genre). Elle a alerté son pote David Axelrod, prospère négociant en politique qui a pris par la main le nationaliste noir surdoué jusqu’à la Maison Blanche. Ajoutez-y Rahm Emmanuel, sous-officier à Tsahal en cas d’urgence, fils d’un sectateur de l’Irgoun, aujourd’hui numéro deux à Washington et vous n’en aurez pas fait le tour. Ils pullulent autour d’un Barack Hussein qui dans sa jeunesse devait mettre Ben Gourion et Goering dans le même sac. Alors là, une supposition, vous êtes un Français normal ou un Arabe ou un Patagon, vous vous grattez la tête. Ok, chez vous, pas un virus d’antisem visible au microscope, mais, ne me dites pas, y a un lézard. Pourquoi eux et pas les Arméniens, les Finlandais, les Gitans ? Pourquoi eux ? Toujours eux ? Forcément, ça jase.

Les intellos dans ce pays, on les ramasse à la pelle. Universités, journaux et éditeurs ne savent plus qu’en faire. Mais au podium, ils ne sont que trois : BHL, médaille d’or, Finkielkraut et Gluksmann. Il aurait pu y en avoir un qui ne le soit pas. Il aurait pu… mais tous les trois le sont. Coïncidence ? On ne relève pas mais on tousse.

Notre diplomatie ? Rien de plus vieille France, n’est-ce pas ? Deux hommes à la barre. L’un, le président, l’est par la mère, l’autre, le ministre, par le père. Et je vous dis pas aux échelons inférieurs.

DSK ou Fabius auraient pu se trouver face à Sarko en 2007. Vous voyez le spectacle avec El Kabbache intervieweur ? Et Madoff ? Et le procès du Sentier. Et tous ces mafieux réfugiés à Tel Aviv ? Je ne vais pas vous infliger l’annuaire de la juiverie, ce serait limite équivoque et franchement de mauvais goût. Mais l’annuaire, ne vous la racontez pas, ils l’ont tous en tête. Et quand je dis ils, je pense vous, et malheur à moi, je pense moi. Le mauvais goût étant la chose au monde la mieux partagée, vous imaginez un peu tout ce que les gens ruminent, tout ce qu’ils se gardent pour eux. Je serais les gens, je bouillerais.

Dieu n’existe pas mais, grâce à Dieu, Israël existe. C’est un Etat comme un autre, non ? On a bien le droit de le « critiquer », non ? Un gouvernement criminel, assassin d’enfants, de vieillards, de femmes. Les faits sont parfaitement documentés, établis par la Croix-Rouge, des Israéliens honnêtes le reconnaissent eux-mêmes. Cet Etat doit être mis au ban des nations, ses dirigeants et ses soldats sanguinaires trainés devant les tribunaux et justement châtiés.

Israélites et Israéliens (appelez les comme vous voudrez, moi je confonds toujours) aiment Israël. Ils ne devraient peut-être pas mais les sentiments, vous savez, c’est comme la bandaison, ça ne se commande pas. Ils trouvent que les Autres y vont un peu fort. Les Autres y voient complicité pour ne pas dire collusion criminelle. Rien de plus logique.

La Russie a arraché à la Finlande, en 1945, la Carélie, le cœur sacré de la nation. Tous les Finlandais ont été expulsés de cette région peuplée désormais exclusivement de Russes. Vous avez entendu parler de la Carélie ? La Finlande est devenue un modèle de modernité (Nokia) et ne veut à aucun prix récupérer la Carélie même si on lui en fait cadeau. Trop de Russes. L’Azerbaïdjan musulmane a été amputée du quart de son territoire, le Nagorny-Karabakh au profit de l’Arménie en 1993. Tous les Azéris ont été virés. Vous situez le Nagorny-Karabakh ? Les Chinois ont barboté à la Malaisie musulmane la région de Singapour et en ont fait un pays somptueux. Les Malais n’ont eu qu’à s’en féliciter et ont tiré profit de l’essor singapourien. Un problème ? On peut recenser deux, trois douzaines de Palestine rien que sur notre planète. Aucune ne bouleverse les cœurs. Seul le mouchoir qu’ont investi les juifs (sûrement à tort), s’est incrusté sur la conscience universelle comme un meurtre déicide. Pas une âme qui n’ait son opinion sur la question, une opinion raisonnable : les juifs sont des tueurs d’enfants, chaque jour est là pour le prouver. On ne rappelle pas leur antique tradition infanticide, ce serait malpoli. Ce qu’on reproche à l’Etat juif, ce n’est pas d’être un Etat, c’est d’être juif.

Freud avait tout compris : le problème c’est le refoulement. L’antisémitisme hantait depuis des siècles l’esprit européen. S’il n’avait pas mal tourné avec Hitler il prospérerait encore, n’en doutez pas. Après les procès de Nuremberg, il est devenu délinquant, déshonorant écrivait Bernanos. On n’a tout simplement plus le droit d’être antisémite, vaut mieux être pédophile qu’antisémite. Et, effectivement, il a disparu du paysage.

Sérieusement, vous croyez que ces choses-là s’envolent par magie sous l’effet du verdict d’un tribunal mal embouché ? Matériellement, physiquement impossible. On l’est mais on ne veut pas l’être et on croit vraiment qu’on ne l’est pas donc on ne l’est plus mais on le reste et, pour traiter ce syndrome, depuis le décès du docteur Sigmund, la médecine de qualité se raréfie. Ne vaudrait-il pas mieux laisser les gens lâcher ce qu’ils ont sur le cœur. Plutôt que de m’accuser d’avoir égorgé mille trois cents mouflets en trois semaines, qu’ils m’assènent franco : Ta gueule ne me revient pas, casse-toi tu pues. Là, il y a de quoi causer. Peut-être qu’on n’arrivera pas à s’entendre et qu’il me faudra aller voir ailleurs si j’y suis, mais au moins je saurai pourquoi. La dernière fois que, pour le même motif, j’ai eu à m’expatrier, je n’y ai rien compris. Cette fois, on vit en démocratie, j’aimerais mieux qu’on s’explique. Pour le plaisir de la conversation.

Le sarkozysme, maladie sénile de gauchistes ?

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Dans le genre très tendance des coming out (pour les allergiques aux anglicismes : aveu public d’un comportement jusque-là pratiqué en cachette), celui consistant à révéler à grand bruit que l’on prend Cupidon à l’envers est devenu d’un banal affligeant. Le plan com’ d’un Roger Karoutchi utilisant cette cartouche pour tenter de flinguer sa rivale Valérie Pécresse pour la tête de liste UMP aux régionales d’Ile-de-France est révélateur de ce retournement. De geste militant visant à combattre les préjugés et la discrimination, le coming out homo s’est mué en un moyen d’accroître sa notoriété, et de capter les suffrages des « bobos » de droite comme de gauche.

En revanche, d’autres aveux publics font courir des risques sociaux autrement plus sérieux à ceux qui ont le courage ou l’inconscience de les proférer. Ainsi, le non-juif qui décide, dans cette période de tension proche-orientale, de proclamer urbi et orbi qu’il soutient Israël n’en tirera aucun bénéfice, bien au contraire. L’exemple de notre ami Pierre Jourde, dont les aveux pro-israéliens, parus en primeur dans Causeur, furent prolongés par une tribune du même tonneau dans Le Monde en témoigne : une bordée de commentaires hargneux et insultants sur le site du journal et un bannissement des colonnes du Monde diplomatique où il traitait régulièrement de questions littéraires, saluèrent sa prise de position.

L’autre coming out sulfureux, celui qui vous fait passer pour un abominable aux yeux de celles et ceux qui vous avait classé jusque-là dans le camp du bien, c’est l’aveu d’avoir voté Sarkozy lors de l’élection présidentielle de mai 2007. Marc Cohen nous apprend en effet que le sociologue du travail Henri Vacquin, que j’ai croisé jadis à l’Union des étudiants communistes, ex-stalinien et fils de stalinien, s’est expliqué dans ses mémoires de son vote Bayrou au premier tour et Sarkozy au second.

L’argumentation de la flopée d’internautes hostiles qui ont réagi sur Rue89 repose essentiellement sur l’idée qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil : en prenant de l’âge, certains gauchistes souffriraient d’un ramollissement du bulbe concomitant avec le gonflement de leur compte en banque. Le vote Sarkozy serait donc un prélude à l’Alzheimer, une sorte de maladie pernicieuse dont seraient frappés ceux qui ont jugé, en conscience, qu’il n’était pas raisonnable de laisser les clés de la maison France à l’allumée du Poitou.

Quelques dizaines de ces déments qui ont déserté la chaude bande des copains par un beau dimanche de mai, figurent dans l’index de Génération d’Hervé Hamon et Patrick Rotman, bible des anciens soixante-huitards. Mais ce sont des milliers d’anonymes de cette génération politique qui ont agi de même. Certains l’on fait discrètement, d’autres en criant très fort – deux façons de conjurer l’opprobre qui n’allait pas manquer de se manifester dans le cercle de leurs amis d’antan.

D’autres encore – ils se reconnaîtront – bouleversés jusqu’aux tréfonds de l’âme par la transgression commise en introduisant le bulletin maudit dans l’urne républicaine, se trouvèrent soulagés lorsque la nuit au Fouquet’s et l’épisode du yacht de Bolloré leur permirent de revenir au galop dans la bienpensance antisarkozyste.

Les gardiens du temple de la gauche sont plus indulgents, d’ailleurs, à l’égard de ceux qui ont « trahi » pour aller à la soupe, les Kouchner hier ou Karmitz aujourd’hui : ils entrent dans le moule bien connu des opportunistes assoiffés de pouvoir et du bénéfice matériel et narcissique qu’il procure. A l’inverse, ils poursuivent inlassablement de leur vindicte ceux dont le choix est motivé par le seul exercice de la raison et de la mémoire. Ce n’est pas à ceux à qui, jadis, le Parti communiste avait fait croire que de Gaulle était une nouvelle réincarnation du fascisme qu’on pouvait faire avaler que Sarko constituait un danger pour la République. Sarko atlantiste, suppôt de Bush ? Et alors ? Vous voulez nous refaire le coup de « Ridgway la peste ! » de 1952 ? Non merci. Sarko bling-bling, Rolex et yacht de luxe ? Plus que le Lang de la place des Vosges ou le Dray des montres vingt patates ? Allons donc ! Sarko préfère Johnny et Bigard à Duras et Le Clézio ? En quoi cela lui interdirait-il de « faire président » ? Côté vie privée il confond l’Elysée avec le palais princier de Monaco ? Est-ce plus immoral que de loger et nourrir son ménage de la main gauche aux frais de la République?

Les raisons de cet important sinon massif ralliement à Sarkozy de mes « classards », comme on dit dans mon village, sont de natures très différentes. Vacquin, par exemple, espère que la gauche effectuera une véritable rénovation en se confrontant à la « modernité » de Sarkozy. Pour d’autres, à l’instar de Glucksmann, c’est l’aboutissement d’un parcours où le combat antitotalitaire a submergé celui pour l’émancipation des opprimés. D’autres encore ont vu en « ce petit Français au sang mêlé » l’ami d’Israël susceptible de réintroduire la France dans le jeu proche-oriental. D’autres enfin ont tout simplement eu la trouille de voir Ségolène Royal gérer le pays comme elle avait conduit sa campagne électorale : la pagaille tempérée par l’incantation.

La dernière en date des imprécations adressées aux sarkozystes anciens et nouveaux est signée Edwy Plenel, dans son billet hebdomadaire sur France Culture : l’élection de Barack Obama aurait définivement fait basculer le président de la République et ceux qui le soutiennent dans l’espace maudit de la ringardise et du provincialisme. Et notre trotskiste culturel enfonce le clou en comparant Sarko à… Mitterrand, lui aussi ringardisé dès son entrée en fonction par Reagan et Thatcher qui allaient façonner la décennie 1980. Je n’ai pas souvenir d’avoir entendu Edwy avouer qu’il avait voté Giscard.

Fallait pas réveiller la marmotte !

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Si chez nous, le jour de la Chandeleur, on se contente de faire sauter des crêpes, nos amis américains le consacrent eux à des activités de divination en plein air. Dans tout l’est du pays le 2 février est le Groundhog Day, le jour de la marmotte immortalisé par Bill Murray.dans Un jour sans fin. Selon la tradition, si l’animal projette une ombre ce 2 février, l’hiver durera six semaines de plus. S’il n’y a pas d’ombre, le printemps sera précoce. On ne sait pas si Charles G. Hogg, la marmotte tenue a bout de bras par le maire de New York, a projeté une ombre. Ce qu’on sait en revanche, c’est qu’elle a salement mordu Michael Bloomberg, lui entaillant assez profondément la main droite, d’après le porte-parole du City Hall, qui a toutefois annoncé que son boss n’avait pas contracté la rage.

KTO ma non troppo

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C’est pas tous les jours que Télérama (d’ailleurs hebdomadaire) célèbre les vertus de KTO (mais si, vous savez, la chaîne des ktoliques). Et bien, c’était lundi passé. Une demi-page, et élogieuse en plus. Si ça c’est pas une preuve que Dieu existe ! Quand même, pour encenser ainsi la chaîne officielle de l’archevêché (« donc de l’Opus Dei », comme dirait le petit Onfray), il fallait un motif sérieux.

Eh bien, rien qu’en regardant les cinq premières minutes (contairement au regretté commissaire Bourrel), on l’entrevoit, ce motif ! Il tient en deux mots : « programme inoffensif », c’est-à-dire visible par les jeunes athées de moins de deux ans. De fait le documentaire, intitulé « D’une seule voix » (Una Voce !), ne laisse aucune place à la transcendance. Il raconte la geste de Jean-Yves Labat de Rossi,ancien rockeur reconverti dans la chorale humanitaire – avec une spécialité : les pays en guerre. A défaut de chanter précisément sous les bombes, son orphéon chante sur les bombes – avec un parti-pris audacieux : contre la guerre !

1994: notre intrépide kapellmeister débarque en ex-Yougoslavie au beau milieu du conflit. Pas à Belgrade, chez les méchants Serbes chrétiens ; non, à Sarajevo, chez les Bosniaques, gentils et d’ailleurs mitigés question religion et tout ça… Qui dira le drame de cette innocente Bosnie agressée sans raison par l’agresseur serbe – dont les nazis avaient déjà souffert ? Eh bien, renseignements pris, tout le monde !

Rappelons néanmoins, pour les moins de dix ans, que l’infortunée Bosnie n’échappa au pire que grâce à une coalition de casques multicolores – au milieu desquels scintillait déjà, gris-brun, celui de Bernard-Henri Lévy. Mais surtout, le documentaire nous permet de retrouver dix ans plus tard l’artiste-citoyen-du-monde à Jérusalem (il s’est renseigné : là-bas aussi, il y a un conflit).

Grâce à son talent et à son entregent Labat du Rossi, tout imprégné encore de sa « rock’n roll attitude », réussit l’impossible : réunir le quorum d’Israéliens et de Palestiniens suffisant pour monter correctement son affaire : du son contre de l’avoine. Bref, un album de paix, d’amour et de royalties, suivi d’une triomphale tournée de trois mois en France (dont le doc nous donne de substantiels extraits.) Même qu’à la fin, figurez-vous, on voit des Palestiniens et des Israéliens chanter et danser ensemble ! (Bien sûr, c’est des comédiens et alors, ça change quoi ?)

Mon premier réflexe, même par écrit, serait plutôt violent : il y a des chaînes pour les programmes musicaux, non ? Alors pourquoi, en prime time sur la seule chaîne catho, cette « fantaisie chorale » humaniste, c’est-à-dire post-divine ?[1. Comme on dit post-moderne, ou post-it.] Puis, sachant qu’il faut toujours se méfier de sa première impression parce que c’est la bonne, j’ai réfléchi. Ne jamais en rester à une simple opinion (fût-elle juste à l’instant où on l’a)…

Eh bien pour être honnête, le même jour sur la même chaîne, il m’a aussi été donné de voir deux passionnantes émissions sur saint Paul, que je tiens pour le gars le plus sérieux de la bande à Jésus[2. Parmi ceux que j’ai connus]. Même que Celui-ci a dû aller le chercher loin[3. Episode connu sous le nom de « Chemin de Damas », plus connu des exégètes protestants sous le nom d’ « insolation ».], entre deux ratonnades antichrétiennes, pour remettre de l’ordre, si j’ose dire, dans l’Eglise à venir.

Décidément, Simon pouvait être la « pierre » sur lequel Jésus fonderait son Eglise ; mais pas le maçon ! Il lui aura fallu tous les rappels au règlement de Paul – notamment à Antioche – pour ne pas provoquer de schisme, et surtout le plus con : la scission, au sein d’une secte encore fragile, entre chrétiens d’origines juive et païenne, et même pas sur des bases théologiques : juste pour des questions de bouffe et de prépuce.

Mais trêve de disputatio ! N’est-il pas vital pour KTO aussi, pour KTO surtout, d’avoir de temps à autre un papier élogieux dans la presse athée – légèrement majoritaire dans ce pays depuis Mac-Mahon, voire Fénelon[4. L’idée date, plus précisément, du jour où l’homme s’est cru habilité à « penser par lui-même », ce qui ne veut exactement rien dire.] ?

Si ce documentaire a pu sauver une seule brebis égarée, n’est-ce pas… Quant aux autres, c’est-à-dire le troupeau, que voulez-vous que je vous dise ? Il continuera à regarder passer le train de la vie sans se poser de question, mais non sans ruminer sa vieille idée fixe : « Non seulement toutes les religions se valent mais aucune ne vaut rien, comparée à mon nombril. »

Sainte année paulinienne à tous !

Rapophobe, moi ? C’est rapé !

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Mon papier Les sept péchés capitaux du rap français a fait beaucoup causer. Ici même, bien sûr mais aussi sur Marianne2 qui a eu l’excellente idée de le publier en « une », et sur une flopée d’autres sites. Quand je dis causer, c’est surtout en mal, voire pire. En répondant à l’un d’entre eux, publié sur Abstrait-concret.com j’espère aussi répondre un peu à tous. Enfin à tous ceux qui savent lire.

Cher Abstraitconcret,
J’aurais pu ne pas te répondre, ne serait-ce que parce que tu me conseilles, dès le titre de ton article de fermer ma gueule. Mais bon, je vais l’ouvrir. Parce que j’aime la chicaya ; parce que j’ai traîné sur ton site et que je sens chez toi une saine colère : ta véhémence contre ma « bouse » ne me rebute pas, au contraire – j’ai écrit cent fois pire quand j’avais l’âge que je t’attribue au doigt mouillé ; et puis, bordel, parce que tu écris aussi que Causeur « incarne une frange noble de la pensée et du savoir webistique français » et qu’un tel compliment me fait rougir de plaisir, fût-il maladroitement troussé et dussé-je le partager avec Elisabeth et une dirty dozen d’autres Causeurs. Et puis parce que tu me permets aussi de préciser ma pensée, même si nombre de tes lecteurs, des miens et de Marianne2 nient son existence.

Au fait, maintenant. Usuellement, on reproche à ses contradicteurs de n’avoir pas lu l’article jusqu’au bout. Toi c’est différent, il semblerait que tu n’aies pas attentivement lu le début, et donc mal entrevu l’endroit précis où je voulais mettre le doigt, là ou ça fait mal, là d’où il faut faire sortir le pus. Que disait le chapeau de mon article ? « Le Top 50 est rongé par les vers. De mirliton. »
Mon constat portait donc sur l’art de mimer la rebellitude avec des mots, des syntaxes et des concepts pompés sur une rédaction de branlotin acnéique. Bref, mon papier porte sur ce que nous dit le rapport fond/forme si j’y parle de rap, et pas de Cali, de Lorie ou de pseudo-R’B hexagonal et autres marchandises pour collégiennes à string apparent, c’est que les paroles de ces pensums, toutes débiles qu’elles soient, n’ont pas de vocation sociale et n’étaient donc pas du ressort de mon épuisette. Car comme qui dirait c’est ce télescopage entre abstrait et concret qui fascine dans ces sept perles piochées dans le worst of des dix dernières années du rap français[1. Et non pas 30 ans comme tu dis, ni même 20, on ne va pas aller déterrer Sidney ou Chagrin d’amour, quand même…]. Ce qui en dit long dans cette affaire c’est quand Diam’s, Booba ou Rohff, se la pètent Mike Tyson avec les rimes de Sheila, les périphrases de Lara Fabian et la pensée du président Cauet. Quand en colligeant ces quelques textes j’ai vu qu’I Am avait osé écrire, pour bien montrer que l’affaire était très grave : « Ce sont des PDG, ils siègent à l’assemblée. Peut-être même que pour eux vous avez voté » plutôt que le si banal Vous avez voté pour eux, je me suis dit, merde, Sully Prudhomme est revenu, et il n’est pas content : « Le vase où meurt cette verveine / D’un coup d’éventail fut fêlé ! » Yo man ! Tu le vois, l’Akhénaton, aborder un lascar des quartiers nord en lui disant « Est ce que l’heure tu pourrais me donner ? »

La politique, maintenant. Si j’avais voulu cibler, façon François Grosdidier[2. Député UMP de Moselle qui a tenté de sévir au Parlement pour encadrer légalement les textes de rap et qui pour se refaire la cerise songerait désormais à légiférer contre le blasphème, notamment anti-musulman. Pour sa dextérité passée au nunchaku, il méritera néanmoins notre respect.], je ne sais quelle anti-France, je n’avais qu’à me baisser pour trouver mon bonheur dans les lyrics de NTM, de La Rumeur, de Passi de MAP ou plus archéologiquement, dans Ministère Amer. Tous ces clients porteurs, t’es–tu demandé, cher A/C pourquoi ils étaient absents de ma playlist ? Tout bêtement parce qu’aucun d’eux n’écrit de préférence avec les pieds. Quand Ministère Amer a sorti Sacrifice du poulet, j’ai trouvé la démarche limite criminogène, mais le morceau rudement enlevé, et je le pense toujours. Absent aussi de mon pilori Abd Al Malik, parce qu’il a heureusement beaucoup plus d’inspiration que le nègre de Christine Albanel – et qu’icelle aussi, by the way. En écrivant, je passe en boucle son Paris mais. Ecriture ronde, rimes inattendues, ton plaisant, scansion parfaite, et autodérision en prime: c’est à mes yeux un morceau impeccable, même si idéologiquement gnan-gnan.

Ne cherche pas non plus dans cette liste d’infamie le «sulfureux» MC Jean Gab’1. Et pourtant, on a écrit beaucoup d’horreurs sur celui qui se qualifie lui-même de fossoyeur ou de nettoyeur. Et pour cause qu’il est pas dans la rafle : c’est en écoutant son gigantesque J’t’emmerde[3. Dans J’t’emmerde MC Jean Gab’1 autopsie un par un tous ceux qu’il accuse d’être les faux durs et les baltringues du rap français. On pourra s’interroger sur la pertinence de certaines cibles, mais sûrement pas sur la pureté ou la clarté du style. Pour les néophytes une bonne explication de texte est disponible sur Wikipedia.] que l’idée d’écrire sur le rap français m’est venue.

C’est sans doute à cause de cette parenté que ma purge a des odeurs de bouse. Mais quand on parle de Diam’s ou de Rohff, c’est normal que ça sente.

Saga Africa, attention les secousses !

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Faudra-t-il bientôt affubler d’un « ex » l’avantageux statut de personnalité politique préférée des Français dont a joui jusque là Bernard Kouchner ? Toujours est-il qu’on balise sec au Quai d’Orsay à cause de la sortie ce mercredi du nouveau livre de Pierre Péan, Le Monde selon K., dont Marianne a publié des extraits cette semaine. A en croire ceux-ci, il y aurait quelque chose de pas forcément avouable dans les rapports d’argent entre le vertueux Kouchner et l’infréquentable Omar Bongo. Du côté du ministre, de son épouse (également citée dans le livre) et de son avocat, Me Kiejman, on se dit très serein. Et n’allez pas croire que c’est le genre de conneries qu’on raconte toujours avant toutes les catastrophes politico-financières.

Siné n’est pas antisémite

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sine-licra

Mercredi s’est achevé à Lyon le procès intenté au dessinateur Siné par la Licra pour « incitation à la haine raciale ».

Licra contre Siné. Zéro partout

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On ne devrait jamais rencontrer les gens qu’on attaque. Parce que ces salauds ont toujours le mauvais goût d’être des êtres humains et parfois, pire encore, celui d’être sympathiques et/ou rigolos. Même quand ils écrivent des conneries, et même quand ces conneries ont des relents disons peu philosémites. Je plaide donc coupable. J’ai assisté cette semaine, au Palais de justice de Lyon, au procès intenté par la Licra à Siné pour « incitation à la haine raciale ». J’ai observé le dos du prévenu pendant une dizaine d’heures au Palais de Justice de Lyon, je l’ai écouté récuser avec sa voix et ses formules tout droit sorties d’un film d’Audiard l’accusation d’antisémitisme et de racisme et proférer quelques âneries, de celles qui vous font vous gondoler et vous sentir coupable de vous gondoler. On me dira qu’on peut être drôle et antisémite, raciste, homophobe et tutti quanti. Certes. D’abord, tant qu’à être ceci ou cela autant être drôle quand même. Et puis si le débat contradictoire a une vertu, c’est celle de forcer chacun à entendre les arguments de l’autre. L’adversaire le plus honni a au moins le droit à la complexité, c’est-à-dire à ne pas voir son existence et sa personne résumées en un ou deux mots.

Au risque de me rendre coupable de mollesse et de déplaire à tous ceux qui aiment haïr, je ne saurais donc exclure que les plaidoyers passionnés auxquels se sont livrés quelques amis de Siné (« un juif d’honneur » selon l’un d’eux qui avait convoqué ses ancêtres massacrés à la barre) recèlent une part de vérité. Le bonhomme est assurément un anticolonial maintenu jusqu’au délire d’où son obsession israélienne devenue une obsession juive. Il pense que les juifs sont puissants. Il est fanatiquement anticlérical – son icône à lui, c’est le Palestinien, combattant de préférence mais pas seulement. Alors moi, je préfère son côté « salon du camion » quand il se paie la fiole des femmes et plus encore des féministes – j’ai toujours eu une tendresse coupable pour les vieux beaufs machos. Mais au-delà de ses idées délirantes ou détestables, Siné, c’est une nature. Comme le scorpion pique, il adore emmerder le monde, casser à grands coups de lattes les palissades des convenances, scandaliser tous azimuts, faire sursauter les belles âmes de tous bords, en un mot péter à toutes les tables. On a parfaitement le droit de ne pas avoir envie qu’il vienne lâcher ses flatulences à la sienne. Il est doublement absurde de reprocher à Philippe Val d’avoir viré Siné – je ne lui proposerais pas à de devenir un auteur régulier de causeur[1. Mais s’il veut répondre ici, il sera évidemment le bienvenu, moyennant le respect des limites auxquelles nous sommes tous astreints ici et qui, je le crains, sont bien plus étroites que celles qui ont cours à Siné Hebdo.]. C’était le droit de Val et, en quinze ans, ça a dû souvent le démanger. De plus, il ne l’a pas fait. Après l’avoir publié sans le lire, il n’a pas été capable de le retenir. On peut penser qu’il a sacrément manqué de sérieux professionnel puis d’habileté diplomatique – avec un oiseau de ce genre, ce n’était pas simple – pas qu’il a monté cette mayonnaise pour se débarrasser d’un emmerdeur qu’il supportait depuis quinze ans ou, dans le genre encore plus complotiste, pour faire copain-copain avec Sarkozy.

Une chose est sûre : la question posée au Tribunal n’avait aucun intérêt. En droit, il s’agissait de savoir si Siné s’était rendu coupable de provocation à la haine raciale dans deux de ses articles. Outre l’article désormais célèbre dans lequel il était question de Jean Sarkozy, la Licra, peut-être soucieuse de montrer qu’elle est antiraciste tout-terrains, a en effet exhumé un article dans lequel il s’en prenait avec la même délicatesse aux femmes voilées et aux enfants qui refusent de manger du cochon à la cantine (article que nul n’avait d’ailleurs remarqué lors de sa publication). Dans les débats, bien entendu, on a beaucoup parlé d’antisémitisme. Trop. La question est tout aussi oiseuse, au moins quand elle est posée dans cette enceinte et dans ces termes et, dans tous les cas, quand on n’a rien d’autre à proposer que l’indignation.

Le rappel des délires passés, alcoolisés et amnistiés de Siné m’a fait toucher du doigt autre chose. Flirter avec l’antisémitisme c’est, ou en tout cas ça a été longtemps, la transgression absolue, le point de non-retour, le feu nucléaire contre le quartier général. Quoi de plus intolérable aux oreilles et aux consciences européennes qu’un homme qui se proclame nazi ? La même jurisprudence vaut pour un Soral quand il affirme que si les juifs ont eu autant d’ennuis au cours de l’histoire c’est qu’ils ont bien dû les chercher, ou pour un Le Pen qui a toujours choisi ce terrain quand il voulait faire jaser dans les chaumières médiatiques. En tout cas, avec l’âge, Siné a pris de la sensibilité. En l’accusant d’avoir écrit « un texte antisémite », Askolovitch lui a fait beaucoup de mal. « Je voudrais qu’il meure, enfin peut-être pas qu’il meure mais qu’il souffre », a-t-il bougonné à la barre au cours du procès qu’il a intenté au journaliste pour diffamation[2. Le plus probable est qu’il perdra son procès contre Askolovitch et que la Licra perdra contre lui. Dans les deux cas, le procureur a demandé la relaxe.].

Il y a quelques années, quand Siné soutenait la liste Euro-Palestine aux côtés d’un Dieudonné qui n’avait pas encore rallié le FN et n’était donc pas rayé des cadres, et que chacune de ses chroniques me faisait déjà bondir, des copains de Charlie Hebdo voulaient absolument me le faire rencontrer. « Tu l’adoreras, c’est une grande gueule comme toi », me disaient-ils. Le sommet des grandes gueules n’a pas eu lieu. L’aurais-je lu autrement si je l’avais connu ? Sans doute. Mais comme l’a expliqué Richard Malka, avocat de Charlie et ami de Causeur, les gamins (et même les adultes d’ailleurs) qui le lisaient dans Charlie ne le connaissaient pas plus que moi. Ils n’avaient pas le son. Et sans le son, Siné ne me fait pas rire.

Plus que les provocations de Siné, c’est l’argumentation de certains des témoins cités par sa défense qui laisse songeur, voire vaguement inquiet. À peine caricaturé, le propos de l’écrivain et éditeur Jean-Marie Laclavetine peut se résumer ainsi : le problème n’est pas tant l’antisémitisme imputable à la fois à la misère sociale et à la sauvagerie de Tsahal mais l’accusation d’antisémitisme qui pèse sur toute personne osant critiquer Israël. Point de vue également défendu par le sympathique Frédéric Bonnaud qui recommandait il y a peu dans Siné Hebdo, sous le titre « Leçon de maintien » de dire « Tsahal » et même « Tsahal mon amour » et « d’éviter absolument les termes de « tueurs de bébés » » – pour échapper à l’infamante accusation bien sûr. Bonnaud aussi doit penser que les juifs ont le bras long. Et il est sympa pour de vrai, Bonnaud, du côté de ceux qui en bavent. Pareil pour Bedos. Bon, il a ses limites, Bedos : on lui raconte que le matin même, à la barre où il s’exprime, Siné a déconné sur les femmes voilées grommelant « C’est vrai, quand je vais au supermarché à Noisy, j’ai l’impression d’être à la mosquée ». Il se tourne vers lui : « Tu m’emmerdes. »

Dans le fond, ce qui doit tout régler, balayer tout doute et toute question, c’est qu’on est entre gens de gauche, ce qui signifie, entre autres privilèges, qu’on a toujours d’excellentes et nobles raisons de détester et de réclamer excommunications et bannissements. Pour la salubrité morale de tous. L’ont-ils tant haï, le « F-haine »… C’est au nom des valeurs de gauche qu’on dénonce les juifs/Israéliens. Bonnaud again, la semaine suivante : « Depuis que les juifs ont un Etat devenu selon eux le premier rempart de l’Occident contre les masses fanatiques de l’islam, ils s’en prennent à d’autres sémites. Tout change, rien ne change. » En bon français, ça veut dire que les juifs sont les nouveaux antisémites – et avec l’antisémitisme, on ne transige pas[3. Confirmation inopinée. Je dépasse deux sexagénaires devant une école maternelle à la porte de laquelle est accroché un bouquet de fleurs à la mémoire « d’enfants déportés parce qu’ils étaient juifs ». L’un d’eux, à l’autre : « Tu te rends compte de ce qu’ils font aux Palestiniens maintenant ! C’est dégueulasse… ils n’ont pas de morale. »].

D’accord mais comme disait l’autre, que faire ? À part répondre, et encore pas toujours, rien. Surtout, ne pas se la jouer « heures les plus sombres de notre histoire » ni intenter des procès absurdes qui ne font qu’entretenir le sentiment qu’on ne peut rien dire sur les juifs. Arrêter de voir des antisémites là où il n’y en a pas. Arrêter de se demander si X ou Y ou Z le serait un peu, beaucoup ou passionnément, on s’en fout. Enfin, arrêter de se raconter des craques. Ce qui entretient les stéréotypes du vieil antisémitisme, celui qui fantasme un monde sous la coupe de juifs riches et puissants, ce ne sont pas tant les éructations de Siné que la diffusion en boucle des images de Gaza et des commentaires afférents, et sans doute la bonne bouille de Bernard Madoff en qui beaucoup voient le nouveau visage de la « banque juive » (il est banquier et par ailleurs juif – comme nombre de ses victimes). Et contre CNN ou Al Jazeera, aucun tribunal ne peut rien.

Israël, la balle au centre

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Il y a quelque chose de nouveau dans la vie politique israélienne : le centrisme est né. Après trente ans de bipolarité, la survie du parti Kadima comme deuxième formation politique israélienne ouvre de nouvelles perspectives : pour la première fois depuis des décennies, Israël pourrait, à l’issue des élections, être gouverné par une coalition dont le centre de gravité ne sera ni à gauche ni à droite. Une alliance entre Kadima, le parti travailliste et le Likoud pourrait réunir le soutien d’au moins 70 députés sur les 120 que compte la Knesset. Or, les sondages montrent régulièrement qu’une solide majorité d’Israéliens est prête à sauter le pas et à s’attaquer à la question des colonies. La nouvelle donne politique tripartite permettrait de traduire cet assentiment plus ou moins enthousiaste en majorité parlementaire après les législatives du 10 février.

Le glissement vers le centre de l’électorat israélien est clair et net. Aux élections législatives de 1981, apogée de la bipolarisation de la vie politique, le Likoud dirigé par Begin avait recueilli 39 % des voix, presque à égalité avec les prédécesseurs des actuels travaillistes dont la tête de liste était Pérès. Ensemble, les deux formations avaient donc la confiance de quatre électeurs sur cinq. Un quart de siècle plus tard, la méfiance à l’égard des partis de gouvernement était telle que le Likoud, avec son score de 10%, et les travaillistes avec 15,8 % des voix, étaient en miettes tandis que Kadima, que l’exercice du pouvoir n’avait pas encore abimé – bien qu’il fût composé de rescapés de ces deux formations – recueillait 24 % des suffrages. Mais même en additionnant les bulletins de votes, ces trois partis n’étaient pas parvenus à séduire plus de 50 % des électeurs. Cette fois-ci, les sondages créditent la troïka d’un score avoisinant les 60 % (Likoud 26 %, travaillistes 15 % et Kadima 19 %).

Ce n’est pas tant l’émergence de Kadima que son ancrage dans le paysage politique qui constitue une rupture majeure. Kadima n’est pas le premier « parti de l’espoir » : on a déjà vu par le passé d’autres formations faire irruption dans le ciel de la politique israélienne comme des météores et obtenir un bon score. En revanche, Kadima a été la première à pouvoir diriger tout de suite un gouvernement et, ce qui est plus important encore, à ne pas se désintégrer et disparaître avant les législatives suivantes. Même si les sondages sont loin d’être infaillibles, ce scénario est aujourd’hui très peu probable et le parti créé par Sharon pour permettre le démantèlement des colonies à Gaza pourrait devenir, avec environ 20 % des suffrages, le deuxième du pays.

Le sens politique profond de ce phénomène est que, pour la première fois en Israël, pour gouverner et se maintenir au pouvoir dans la durée, le centre est une véritable option stratégique. De plus, il n’est pas seulement un vivier d’intentions de vote mais une formation politique mûre, un parti de gouvernement avec un bilan qui, même s’il est loin d’être glorieux, le positionne comme une alternance crédible aux yeux de pas mal d’électeurs. Une coalition stable qui ne sera ancrée ni à gauche ni à droite est donc possible. Ainsi, les projets à courte vue de la politique, des échéances électorales, motions de censure et votes de budgets, pourraient enfin se synchroniser avec les projets à long terme de la géostratégie : le règlement du conflit avec les Palestiniens et les Syriens, la consolidation de l’alliance vitale avec les Etats-Unis et l’assainissement des relations avec l’Europe et le reste du monde. Pour parler clair, les conditions politiques nécessaires pour permettre à Israël de s’attaquer sérieusement à la question des colonies de peuplement sont maintenant réunies.

Chef d’un parti qui deviendra très probablement le plus grand après les élections, « Bibi » Netanyahu pourrait facilement former une coalition classique avec les partis de droite, mais celle-ci ne peut accoucher que d’un gouvernement dépourvu de toute marge de manœuvre politique. Autrefois, il n’aurait pas eu d’autre choix, dans la nouvelle configuration qui sortira des urnes, d’autres options pourraient être ouvertes, en particulier celle d’une « grande coalition » Bibi-Barak-Livini. Et après tout, au-delà des apparences, la rupture ne serait pas si grande. Depuis qu’il est devenu en 1977 un parti de gouvernement, le rôle historique du Likoud aura été de légitimer et d’imposer les solutions conçues et envisagées par les courants pragmatiques du sionisme après avoir gagné des élections en promettant bien entendu le contraire. Pour la première fois depuis longtemps, un leader de la droite israélienne pourrait regarder ses électeurs dans les yeux, leur dire « je vous ai compris » et puis faire comme qui vous savez.

Renvoi de censure

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Réputé pour sa connaissance approfondie du monde du travail, le sociologue Henri Vacquin, grand ancien de Mai 68, et qui s’autoproclame fièrement « vieux con de gauche » vient de sortir au Seuil Mes acquis sociaux, où il explique notamment avoir voté Bayrou puis Sarkozy à la dernière présidentielle, pour empêcher l’élection de Royal, qui selon lui aurait signé l’arrêt de mort d’une gauche déjà très mal en point.
Il s’en est expliqué dans un fort joli texte, donné à nos confrères de Rue89, auxquels il avait déjà accordé une interview sans détours. On peut y lire entre autres vérités bien senties : « Notre génération de soixante-huitards dans son ensemble, à droite comme à gauche, n’a jamais surmonté cette carence de transmission des valeurs. Nous ne sommes pas pour rien responsables de leur débandade actuelle qui a fabriqué entre autres, et pour ne s’en tenir qu’à cela, le chômage des jeunes et des vieux. »
Dans son texte, Vacquin estime que son livre est victime d’une omerta « de la presse de gauche traditionnelle ». Après vérification par nos services, ce constat ne relève en rien de la paranoïa. Mais quand même, j’ai du mal a comprendre un truc : comment ceux-là mêmes qui au Châtelet accusent le Château de vouloir museler toutes les opinions non conformes peuvent-ils, à leur tour, passer sous le boisseau un livre de gauche, mais qui explique que Sarkozy était le moindre mal ? Edwy, Laurent, soyez cools, expliquez-moi…

Ils sont partout !

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L’antisem, l’anti-antisem, Causeur en a ras la casquette. 93,7 % de l’espace public en est saturé, on n’en peut plus, ça suffat comme ci. Voilà mille ans que je et d’autres le pensent, la Lévy s’y met et pourtant ça ne va pas s’arrêter là, le four va continuer à chauffer, chauffer.

Il lève le doigt et il demande, pourquoi ? Pourquoi qu’on ne parle que d’eux, en bien, en mal et en voiture ? Prenez Obama, s’il y en un qui n’a rien à voir avec tout ce binz c’est bien lui, le pauvre. Pas un arrière-arrière petit cousin qui le soit. De ce côté-là, blanc comme neige l’Obama, innocent comme l’innocence. Fouillez ses origines, depuis Adam, pas une kipa à se reprocher. Un type, comment dire… normal. Eh bien, vous le croirez ou pas, ils l’ont embringué. La première à le détecter à Chicago c’est une Esther Goodman (un nom de ce genre). Elle a alerté son pote David Axelrod, prospère négociant en politique qui a pris par la main le nationaliste noir surdoué jusqu’à la Maison Blanche. Ajoutez-y Rahm Emmanuel, sous-officier à Tsahal en cas d’urgence, fils d’un sectateur de l’Irgoun, aujourd’hui numéro deux à Washington et vous n’en aurez pas fait le tour. Ils pullulent autour d’un Barack Hussein qui dans sa jeunesse devait mettre Ben Gourion et Goering dans le même sac. Alors là, une supposition, vous êtes un Français normal ou un Arabe ou un Patagon, vous vous grattez la tête. Ok, chez vous, pas un virus d’antisem visible au microscope, mais, ne me dites pas, y a un lézard. Pourquoi eux et pas les Arméniens, les Finlandais, les Gitans ? Pourquoi eux ? Toujours eux ? Forcément, ça jase.

Les intellos dans ce pays, on les ramasse à la pelle. Universités, journaux et éditeurs ne savent plus qu’en faire. Mais au podium, ils ne sont que trois : BHL, médaille d’or, Finkielkraut et Gluksmann. Il aurait pu y en avoir un qui ne le soit pas. Il aurait pu… mais tous les trois le sont. Coïncidence ? On ne relève pas mais on tousse.

Notre diplomatie ? Rien de plus vieille France, n’est-ce pas ? Deux hommes à la barre. L’un, le président, l’est par la mère, l’autre, le ministre, par le père. Et je vous dis pas aux échelons inférieurs.

DSK ou Fabius auraient pu se trouver face à Sarko en 2007. Vous voyez le spectacle avec El Kabbache intervieweur ? Et Madoff ? Et le procès du Sentier. Et tous ces mafieux réfugiés à Tel Aviv ? Je ne vais pas vous infliger l’annuaire de la juiverie, ce serait limite équivoque et franchement de mauvais goût. Mais l’annuaire, ne vous la racontez pas, ils l’ont tous en tête. Et quand je dis ils, je pense vous, et malheur à moi, je pense moi. Le mauvais goût étant la chose au monde la mieux partagée, vous imaginez un peu tout ce que les gens ruminent, tout ce qu’ils se gardent pour eux. Je serais les gens, je bouillerais.

Dieu n’existe pas mais, grâce à Dieu, Israël existe. C’est un Etat comme un autre, non ? On a bien le droit de le « critiquer », non ? Un gouvernement criminel, assassin d’enfants, de vieillards, de femmes. Les faits sont parfaitement documentés, établis par la Croix-Rouge, des Israéliens honnêtes le reconnaissent eux-mêmes. Cet Etat doit être mis au ban des nations, ses dirigeants et ses soldats sanguinaires trainés devant les tribunaux et justement châtiés.

Israélites et Israéliens (appelez les comme vous voudrez, moi je confonds toujours) aiment Israël. Ils ne devraient peut-être pas mais les sentiments, vous savez, c’est comme la bandaison, ça ne se commande pas. Ils trouvent que les Autres y vont un peu fort. Les Autres y voient complicité pour ne pas dire collusion criminelle. Rien de plus logique.

La Russie a arraché à la Finlande, en 1945, la Carélie, le cœur sacré de la nation. Tous les Finlandais ont été expulsés de cette région peuplée désormais exclusivement de Russes. Vous avez entendu parler de la Carélie ? La Finlande est devenue un modèle de modernité (Nokia) et ne veut à aucun prix récupérer la Carélie même si on lui en fait cadeau. Trop de Russes. L’Azerbaïdjan musulmane a été amputée du quart de son territoire, le Nagorny-Karabakh au profit de l’Arménie en 1993. Tous les Azéris ont été virés. Vous situez le Nagorny-Karabakh ? Les Chinois ont barboté à la Malaisie musulmane la région de Singapour et en ont fait un pays somptueux. Les Malais n’ont eu qu’à s’en féliciter et ont tiré profit de l’essor singapourien. Un problème ? On peut recenser deux, trois douzaines de Palestine rien que sur notre planète. Aucune ne bouleverse les cœurs. Seul le mouchoir qu’ont investi les juifs (sûrement à tort), s’est incrusté sur la conscience universelle comme un meurtre déicide. Pas une âme qui n’ait son opinion sur la question, une opinion raisonnable : les juifs sont des tueurs d’enfants, chaque jour est là pour le prouver. On ne rappelle pas leur antique tradition infanticide, ce serait malpoli. Ce qu’on reproche à l’Etat juif, ce n’est pas d’être un Etat, c’est d’être juif.

Freud avait tout compris : le problème c’est le refoulement. L’antisémitisme hantait depuis des siècles l’esprit européen. S’il n’avait pas mal tourné avec Hitler il prospérerait encore, n’en doutez pas. Après les procès de Nuremberg, il est devenu délinquant, déshonorant écrivait Bernanos. On n’a tout simplement plus le droit d’être antisémite, vaut mieux être pédophile qu’antisémite. Et, effectivement, il a disparu du paysage.

Sérieusement, vous croyez que ces choses-là s’envolent par magie sous l’effet du verdict d’un tribunal mal embouché ? Matériellement, physiquement impossible. On l’est mais on ne veut pas l’être et on croit vraiment qu’on ne l’est pas donc on ne l’est plus mais on le reste et, pour traiter ce syndrome, depuis le décès du docteur Sigmund, la médecine de qualité se raréfie. Ne vaudrait-il pas mieux laisser les gens lâcher ce qu’ils ont sur le cœur. Plutôt que de m’accuser d’avoir égorgé mille trois cents mouflets en trois semaines, qu’ils m’assènent franco : Ta gueule ne me revient pas, casse-toi tu pues. Là, il y a de quoi causer. Peut-être qu’on n’arrivera pas à s’entendre et qu’il me faudra aller voir ailleurs si j’y suis, mais au moins je saurai pourquoi. La dernière fois que, pour le même motif, j’ai eu à m’expatrier, je n’y ai rien compris. Cette fois, on vit en démocratie, j’aimerais mieux qu’on s’explique. Pour le plaisir de la conversation.

Le sarkozysme, maladie sénile de gauchistes ?

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Dans le genre très tendance des coming out (pour les allergiques aux anglicismes : aveu public d’un comportement jusque-là pratiqué en cachette), celui consistant à révéler à grand bruit que l’on prend Cupidon à l’envers est devenu d’un banal affligeant. Le plan com’ d’un Roger Karoutchi utilisant cette cartouche pour tenter de flinguer sa rivale Valérie Pécresse pour la tête de liste UMP aux régionales d’Ile-de-France est révélateur de ce retournement. De geste militant visant à combattre les préjugés et la discrimination, le coming out homo s’est mué en un moyen d’accroître sa notoriété, et de capter les suffrages des « bobos » de droite comme de gauche.

En revanche, d’autres aveux publics font courir des risques sociaux autrement plus sérieux à ceux qui ont le courage ou l’inconscience de les proférer. Ainsi, le non-juif qui décide, dans cette période de tension proche-orientale, de proclamer urbi et orbi qu’il soutient Israël n’en tirera aucun bénéfice, bien au contraire. L’exemple de notre ami Pierre Jourde, dont les aveux pro-israéliens, parus en primeur dans Causeur, furent prolongés par une tribune du même tonneau dans Le Monde en témoigne : une bordée de commentaires hargneux et insultants sur le site du journal et un bannissement des colonnes du Monde diplomatique où il traitait régulièrement de questions littéraires, saluèrent sa prise de position.

L’autre coming out sulfureux, celui qui vous fait passer pour un abominable aux yeux de celles et ceux qui vous avait classé jusque-là dans le camp du bien, c’est l’aveu d’avoir voté Sarkozy lors de l’élection présidentielle de mai 2007. Marc Cohen nous apprend en effet que le sociologue du travail Henri Vacquin, que j’ai croisé jadis à l’Union des étudiants communistes, ex-stalinien et fils de stalinien, s’est expliqué dans ses mémoires de son vote Bayrou au premier tour et Sarkozy au second.

L’argumentation de la flopée d’internautes hostiles qui ont réagi sur Rue89 repose essentiellement sur l’idée qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil : en prenant de l’âge, certains gauchistes souffriraient d’un ramollissement du bulbe concomitant avec le gonflement de leur compte en banque. Le vote Sarkozy serait donc un prélude à l’Alzheimer, une sorte de maladie pernicieuse dont seraient frappés ceux qui ont jugé, en conscience, qu’il n’était pas raisonnable de laisser les clés de la maison France à l’allumée du Poitou.

Quelques dizaines de ces déments qui ont déserté la chaude bande des copains par un beau dimanche de mai, figurent dans l’index de Génération d’Hervé Hamon et Patrick Rotman, bible des anciens soixante-huitards. Mais ce sont des milliers d’anonymes de cette génération politique qui ont agi de même. Certains l’on fait discrètement, d’autres en criant très fort – deux façons de conjurer l’opprobre qui n’allait pas manquer de se manifester dans le cercle de leurs amis d’antan.

D’autres encore – ils se reconnaîtront – bouleversés jusqu’aux tréfonds de l’âme par la transgression commise en introduisant le bulletin maudit dans l’urne républicaine, se trouvèrent soulagés lorsque la nuit au Fouquet’s et l’épisode du yacht de Bolloré leur permirent de revenir au galop dans la bienpensance antisarkozyste.

Les gardiens du temple de la gauche sont plus indulgents, d’ailleurs, à l’égard de ceux qui ont « trahi » pour aller à la soupe, les Kouchner hier ou Karmitz aujourd’hui : ils entrent dans le moule bien connu des opportunistes assoiffés de pouvoir et du bénéfice matériel et narcissique qu’il procure. A l’inverse, ils poursuivent inlassablement de leur vindicte ceux dont le choix est motivé par le seul exercice de la raison et de la mémoire. Ce n’est pas à ceux à qui, jadis, le Parti communiste avait fait croire que de Gaulle était une nouvelle réincarnation du fascisme qu’on pouvait faire avaler que Sarko constituait un danger pour la République. Sarko atlantiste, suppôt de Bush ? Et alors ? Vous voulez nous refaire le coup de « Ridgway la peste ! » de 1952 ? Non merci. Sarko bling-bling, Rolex et yacht de luxe ? Plus que le Lang de la place des Vosges ou le Dray des montres vingt patates ? Allons donc ! Sarko préfère Johnny et Bigard à Duras et Le Clézio ? En quoi cela lui interdirait-il de « faire président » ? Côté vie privée il confond l’Elysée avec le palais princier de Monaco ? Est-ce plus immoral que de loger et nourrir son ménage de la main gauche aux frais de la République?

Les raisons de cet important sinon massif ralliement à Sarkozy de mes « classards », comme on dit dans mon village, sont de natures très différentes. Vacquin, par exemple, espère que la gauche effectuera une véritable rénovation en se confrontant à la « modernité » de Sarkozy. Pour d’autres, à l’instar de Glucksmann, c’est l’aboutissement d’un parcours où le combat antitotalitaire a submergé celui pour l’émancipation des opprimés. D’autres encore ont vu en « ce petit Français au sang mêlé » l’ami d’Israël susceptible de réintroduire la France dans le jeu proche-oriental. D’autres enfin ont tout simplement eu la trouille de voir Ségolène Royal gérer le pays comme elle avait conduit sa campagne électorale : la pagaille tempérée par l’incantation.

La dernière en date des imprécations adressées aux sarkozystes anciens et nouveaux est signée Edwy Plenel, dans son billet hebdomadaire sur France Culture : l’élection de Barack Obama aurait définivement fait basculer le président de la République et ceux qui le soutiennent dans l’espace maudit de la ringardise et du provincialisme. Et notre trotskiste culturel enfonce le clou en comparant Sarko à… Mitterrand, lui aussi ringardisé dès son entrée en fonction par Reagan et Thatcher qui allaient façonner la décennie 1980. Je n’ai pas souvenir d’avoir entendu Edwy avouer qu’il avait voté Giscard.

Fallait pas réveiller la marmotte !

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Si chez nous, le jour de la Chandeleur, on se contente de faire sauter des crêpes, nos amis américains le consacrent eux à des activités de divination en plein air. Dans tout l’est du pays le 2 février est le Groundhog Day, le jour de la marmotte immortalisé par Bill Murray.dans Un jour sans fin. Selon la tradition, si l’animal projette une ombre ce 2 février, l’hiver durera six semaines de plus. S’il n’y a pas d’ombre, le printemps sera précoce. On ne sait pas si Charles G. Hogg, la marmotte tenue a bout de bras par le maire de New York, a projeté une ombre. Ce qu’on sait en revanche, c’est qu’elle a salement mordu Michael Bloomberg, lui entaillant assez profondément la main droite, d’après le porte-parole du City Hall, qui a toutefois annoncé que son boss n’avait pas contracté la rage.

KTO ma non troppo

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C’est pas tous les jours que Télérama (d’ailleurs hebdomadaire) célèbre les vertus de KTO (mais si, vous savez, la chaîne des ktoliques). Et bien, c’était lundi passé. Une demi-page, et élogieuse en plus. Si ça c’est pas une preuve que Dieu existe ! Quand même, pour encenser ainsi la chaîne officielle de l’archevêché (« donc de l’Opus Dei », comme dirait le petit Onfray), il fallait un motif sérieux.

Eh bien, rien qu’en regardant les cinq premières minutes (contairement au regretté commissaire Bourrel), on l’entrevoit, ce motif ! Il tient en deux mots : « programme inoffensif », c’est-à-dire visible par les jeunes athées de moins de deux ans. De fait le documentaire, intitulé « D’une seule voix » (Una Voce !), ne laisse aucune place à la transcendance. Il raconte la geste de Jean-Yves Labat de Rossi,ancien rockeur reconverti dans la chorale humanitaire – avec une spécialité : les pays en guerre. A défaut de chanter précisément sous les bombes, son orphéon chante sur les bombes – avec un parti-pris audacieux : contre la guerre !

1994: notre intrépide kapellmeister débarque en ex-Yougoslavie au beau milieu du conflit. Pas à Belgrade, chez les méchants Serbes chrétiens ; non, à Sarajevo, chez les Bosniaques, gentils et d’ailleurs mitigés question religion et tout ça… Qui dira le drame de cette innocente Bosnie agressée sans raison par l’agresseur serbe – dont les nazis avaient déjà souffert ? Eh bien, renseignements pris, tout le monde !

Rappelons néanmoins, pour les moins de dix ans, que l’infortunée Bosnie n’échappa au pire que grâce à une coalition de casques multicolores – au milieu desquels scintillait déjà, gris-brun, celui de Bernard-Henri Lévy. Mais surtout, le documentaire nous permet de retrouver dix ans plus tard l’artiste-citoyen-du-monde à Jérusalem (il s’est renseigné : là-bas aussi, il y a un conflit).

Grâce à son talent et à son entregent Labat du Rossi, tout imprégné encore de sa « rock’n roll attitude », réussit l’impossible : réunir le quorum d’Israéliens et de Palestiniens suffisant pour monter correctement son affaire : du son contre de l’avoine. Bref, un album de paix, d’amour et de royalties, suivi d’une triomphale tournée de trois mois en France (dont le doc nous donne de substantiels extraits.) Même qu’à la fin, figurez-vous, on voit des Palestiniens et des Israéliens chanter et danser ensemble ! (Bien sûr, c’est des comédiens et alors, ça change quoi ?)

Mon premier réflexe, même par écrit, serait plutôt violent : il y a des chaînes pour les programmes musicaux, non ? Alors pourquoi, en prime time sur la seule chaîne catho, cette « fantaisie chorale » humaniste, c’est-à-dire post-divine ?[1. Comme on dit post-moderne, ou post-it.] Puis, sachant qu’il faut toujours se méfier de sa première impression parce que c’est la bonne, j’ai réfléchi. Ne jamais en rester à une simple opinion (fût-elle juste à l’instant où on l’a)…

Eh bien pour être honnête, le même jour sur la même chaîne, il m’a aussi été donné de voir deux passionnantes émissions sur saint Paul, que je tiens pour le gars le plus sérieux de la bande à Jésus[2. Parmi ceux que j’ai connus]. Même que Celui-ci a dû aller le chercher loin[3. Episode connu sous le nom de « Chemin de Damas », plus connu des exégètes protestants sous le nom d’ « insolation ».], entre deux ratonnades antichrétiennes, pour remettre de l’ordre, si j’ose dire, dans l’Eglise à venir.

Décidément, Simon pouvait être la « pierre » sur lequel Jésus fonderait son Eglise ; mais pas le maçon ! Il lui aura fallu tous les rappels au règlement de Paul – notamment à Antioche – pour ne pas provoquer de schisme, et surtout le plus con : la scission, au sein d’une secte encore fragile, entre chrétiens d’origines juive et païenne, et même pas sur des bases théologiques : juste pour des questions de bouffe et de prépuce.

Mais trêve de disputatio ! N’est-il pas vital pour KTO aussi, pour KTO surtout, d’avoir de temps à autre un papier élogieux dans la presse athée – légèrement majoritaire dans ce pays depuis Mac-Mahon, voire Fénelon[4. L’idée date, plus précisément, du jour où l’homme s’est cru habilité à « penser par lui-même », ce qui ne veut exactement rien dire.] ?

Si ce documentaire a pu sauver une seule brebis égarée, n’est-ce pas… Quant aux autres, c’est-à-dire le troupeau, que voulez-vous que je vous dise ? Il continuera à regarder passer le train de la vie sans se poser de question, mais non sans ruminer sa vieille idée fixe : « Non seulement toutes les religions se valent mais aucune ne vaut rien, comparée à mon nombril. »

Sainte année paulinienne à tous !

Rapophobe, moi ? C’est rapé !

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Mon papier Les sept péchés capitaux du rap français a fait beaucoup causer. Ici même, bien sûr mais aussi sur Marianne2 qui a eu l’excellente idée de le publier en « une », et sur une flopée d’autres sites. Quand je dis causer, c’est surtout en mal, voire pire. En répondant à l’un d’entre eux, publié sur Abstrait-concret.com j’espère aussi répondre un peu à tous. Enfin à tous ceux qui savent lire.

Cher Abstraitconcret,
J’aurais pu ne pas te répondre, ne serait-ce que parce que tu me conseilles, dès le titre de ton article de fermer ma gueule. Mais bon, je vais l’ouvrir. Parce que j’aime la chicaya ; parce que j’ai traîné sur ton site et que je sens chez toi une saine colère : ta véhémence contre ma « bouse » ne me rebute pas, au contraire – j’ai écrit cent fois pire quand j’avais l’âge que je t’attribue au doigt mouillé ; et puis, bordel, parce que tu écris aussi que Causeur « incarne une frange noble de la pensée et du savoir webistique français » et qu’un tel compliment me fait rougir de plaisir, fût-il maladroitement troussé et dussé-je le partager avec Elisabeth et une dirty dozen d’autres Causeurs. Et puis parce que tu me permets aussi de préciser ma pensée, même si nombre de tes lecteurs, des miens et de Marianne2 nient son existence.

Au fait, maintenant. Usuellement, on reproche à ses contradicteurs de n’avoir pas lu l’article jusqu’au bout. Toi c’est différent, il semblerait que tu n’aies pas attentivement lu le début, et donc mal entrevu l’endroit précis où je voulais mettre le doigt, là ou ça fait mal, là d’où il faut faire sortir le pus. Que disait le chapeau de mon article ? « Le Top 50 est rongé par les vers. De mirliton. »
Mon constat portait donc sur l’art de mimer la rebellitude avec des mots, des syntaxes et des concepts pompés sur une rédaction de branlotin acnéique. Bref, mon papier porte sur ce que nous dit le rapport fond/forme si j’y parle de rap, et pas de Cali, de Lorie ou de pseudo-R’B hexagonal et autres marchandises pour collégiennes à string apparent, c’est que les paroles de ces pensums, toutes débiles qu’elles soient, n’ont pas de vocation sociale et n’étaient donc pas du ressort de mon épuisette. Car comme qui dirait c’est ce télescopage entre abstrait et concret qui fascine dans ces sept perles piochées dans le worst of des dix dernières années du rap français[1. Et non pas 30 ans comme tu dis, ni même 20, on ne va pas aller déterrer Sidney ou Chagrin d’amour, quand même…]. Ce qui en dit long dans cette affaire c’est quand Diam’s, Booba ou Rohff, se la pètent Mike Tyson avec les rimes de Sheila, les périphrases de Lara Fabian et la pensée du président Cauet. Quand en colligeant ces quelques textes j’ai vu qu’I Am avait osé écrire, pour bien montrer que l’affaire était très grave : « Ce sont des PDG, ils siègent à l’assemblée. Peut-être même que pour eux vous avez voté » plutôt que le si banal Vous avez voté pour eux, je me suis dit, merde, Sully Prudhomme est revenu, et il n’est pas content : « Le vase où meurt cette verveine / D’un coup d’éventail fut fêlé ! » Yo man ! Tu le vois, l’Akhénaton, aborder un lascar des quartiers nord en lui disant « Est ce que l’heure tu pourrais me donner ? »

La politique, maintenant. Si j’avais voulu cibler, façon François Grosdidier[2. Député UMP de Moselle qui a tenté de sévir au Parlement pour encadrer légalement les textes de rap et qui pour se refaire la cerise songerait désormais à légiférer contre le blasphème, notamment anti-musulman. Pour sa dextérité passée au nunchaku, il méritera néanmoins notre respect.], je ne sais quelle anti-France, je n’avais qu’à me baisser pour trouver mon bonheur dans les lyrics de NTM, de La Rumeur, de Passi de MAP ou plus archéologiquement, dans Ministère Amer. Tous ces clients porteurs, t’es–tu demandé, cher A/C pourquoi ils étaient absents de ma playlist ? Tout bêtement parce qu’aucun d’eux n’écrit de préférence avec les pieds. Quand Ministère Amer a sorti Sacrifice du poulet, j’ai trouvé la démarche limite criminogène, mais le morceau rudement enlevé, et je le pense toujours. Absent aussi de mon pilori Abd Al Malik, parce qu’il a heureusement beaucoup plus d’inspiration que le nègre de Christine Albanel – et qu’icelle aussi, by the way. En écrivant, je passe en boucle son Paris mais. Ecriture ronde, rimes inattendues, ton plaisant, scansion parfaite, et autodérision en prime: c’est à mes yeux un morceau impeccable, même si idéologiquement gnan-gnan.

Ne cherche pas non plus dans cette liste d’infamie le «sulfureux» MC Jean Gab’1. Et pourtant, on a écrit beaucoup d’horreurs sur celui qui se qualifie lui-même de fossoyeur ou de nettoyeur. Et pour cause qu’il est pas dans la rafle : c’est en écoutant son gigantesque J’t’emmerde[3. Dans J’t’emmerde MC Jean Gab’1 autopsie un par un tous ceux qu’il accuse d’être les faux durs et les baltringues du rap français. On pourra s’interroger sur la pertinence de certaines cibles, mais sûrement pas sur la pureté ou la clarté du style. Pour les néophytes une bonne explication de texte est disponible sur Wikipedia.] que l’idée d’écrire sur le rap français m’est venue.

C’est sans doute à cause de cette parenté que ma purge a des odeurs de bouse. Mais quand on parle de Diam’s ou de Rohff, c’est normal que ça sente.

Saga Africa, attention les secousses !

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Faudra-t-il bientôt affubler d’un « ex » l’avantageux statut de personnalité politique préférée des Français dont a joui jusque là Bernard Kouchner ? Toujours est-il qu’on balise sec au Quai d’Orsay à cause de la sortie ce mercredi du nouveau livre de Pierre Péan, Le Monde selon K., dont Marianne a publié des extraits cette semaine. A en croire ceux-ci, il y aurait quelque chose de pas forcément avouable dans les rapports d’argent entre le vertueux Kouchner et l’infréquentable Omar Bongo. Du côté du ministre, de son épouse (également citée dans le livre) et de son avocat, Me Kiejman, on se dit très serein. Et n’allez pas croire que c’est le genre de conneries qu’on raconte toujours avant toutes les catastrophes politico-financières.

Siné n’est pas antisémite

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sine-licra

Mercredi s’est achevé à Lyon le procès intenté au dessinateur Siné par la Licra pour « incitation à la haine raciale ».

Licra contre Siné. Zéro partout

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On ne devrait jamais rencontrer les gens qu’on attaque. Parce que ces salauds ont toujours le mauvais goût d’être des êtres humains et parfois, pire encore, celui d’être sympathiques et/ou rigolos. Même quand ils écrivent des conneries, et même quand ces conneries ont des relents disons peu philosémites. Je plaide donc coupable. J’ai assisté cette semaine, au Palais de justice de Lyon, au procès intenté par la Licra à Siné pour « incitation à la haine raciale ». J’ai observé le dos du prévenu pendant une dizaine d’heures au Palais de Justice de Lyon, je l’ai écouté récuser avec sa voix et ses formules tout droit sorties d’un film d’Audiard l’accusation d’antisémitisme et de racisme et proférer quelques âneries, de celles qui vous font vous gondoler et vous sentir coupable de vous gondoler. On me dira qu’on peut être drôle et antisémite, raciste, homophobe et tutti quanti. Certes. D’abord, tant qu’à être ceci ou cela autant être drôle quand même. Et puis si le débat contradictoire a une vertu, c’est celle de forcer chacun à entendre les arguments de l’autre. L’adversaire le plus honni a au moins le droit à la complexité, c’est-à-dire à ne pas voir son existence et sa personne résumées en un ou deux mots.

Au risque de me rendre coupable de mollesse et de déplaire à tous ceux qui aiment haïr, je ne saurais donc exclure que les plaidoyers passionnés auxquels se sont livrés quelques amis de Siné (« un juif d’honneur » selon l’un d’eux qui avait convoqué ses ancêtres massacrés à la barre) recèlent une part de vérité. Le bonhomme est assurément un anticolonial maintenu jusqu’au délire d’où son obsession israélienne devenue une obsession juive. Il pense que les juifs sont puissants. Il est fanatiquement anticlérical – son icône à lui, c’est le Palestinien, combattant de préférence mais pas seulement. Alors moi, je préfère son côté « salon du camion » quand il se paie la fiole des femmes et plus encore des féministes – j’ai toujours eu une tendresse coupable pour les vieux beaufs machos. Mais au-delà de ses idées délirantes ou détestables, Siné, c’est une nature. Comme le scorpion pique, il adore emmerder le monde, casser à grands coups de lattes les palissades des convenances, scandaliser tous azimuts, faire sursauter les belles âmes de tous bords, en un mot péter à toutes les tables. On a parfaitement le droit de ne pas avoir envie qu’il vienne lâcher ses flatulences à la sienne. Il est doublement absurde de reprocher à Philippe Val d’avoir viré Siné – je ne lui proposerais pas à de devenir un auteur régulier de causeur[1. Mais s’il veut répondre ici, il sera évidemment le bienvenu, moyennant le respect des limites auxquelles nous sommes tous astreints ici et qui, je le crains, sont bien plus étroites que celles qui ont cours à Siné Hebdo.]. C’était le droit de Val et, en quinze ans, ça a dû souvent le démanger. De plus, il ne l’a pas fait. Après l’avoir publié sans le lire, il n’a pas été capable de le retenir. On peut penser qu’il a sacrément manqué de sérieux professionnel puis d’habileté diplomatique – avec un oiseau de ce genre, ce n’était pas simple – pas qu’il a monté cette mayonnaise pour se débarrasser d’un emmerdeur qu’il supportait depuis quinze ans ou, dans le genre encore plus complotiste, pour faire copain-copain avec Sarkozy.

Une chose est sûre : la question posée au Tribunal n’avait aucun intérêt. En droit, il s’agissait de savoir si Siné s’était rendu coupable de provocation à la haine raciale dans deux de ses articles. Outre l’article désormais célèbre dans lequel il était question de Jean Sarkozy, la Licra, peut-être soucieuse de montrer qu’elle est antiraciste tout-terrains, a en effet exhumé un article dans lequel il s’en prenait avec la même délicatesse aux femmes voilées et aux enfants qui refusent de manger du cochon à la cantine (article que nul n’avait d’ailleurs remarqué lors de sa publication). Dans les débats, bien entendu, on a beaucoup parlé d’antisémitisme. Trop. La question est tout aussi oiseuse, au moins quand elle est posée dans cette enceinte et dans ces termes et, dans tous les cas, quand on n’a rien d’autre à proposer que l’indignation.

Le rappel des délires passés, alcoolisés et amnistiés de Siné m’a fait toucher du doigt autre chose. Flirter avec l’antisémitisme c’est, ou en tout cas ça a été longtemps, la transgression absolue, le point de non-retour, le feu nucléaire contre le quartier général. Quoi de plus intolérable aux oreilles et aux consciences européennes qu’un homme qui se proclame nazi ? La même jurisprudence vaut pour un Soral quand il affirme que si les juifs ont eu autant d’ennuis au cours de l’histoire c’est qu’ils ont bien dû les chercher, ou pour un Le Pen qui a toujours choisi ce terrain quand il voulait faire jaser dans les chaumières médiatiques. En tout cas, avec l’âge, Siné a pris de la sensibilité. En l’accusant d’avoir écrit « un texte antisémite », Askolovitch lui a fait beaucoup de mal. « Je voudrais qu’il meure, enfin peut-être pas qu’il meure mais qu’il souffre », a-t-il bougonné à la barre au cours du procès qu’il a intenté au journaliste pour diffamation[2. Le plus probable est qu’il perdra son procès contre Askolovitch et que la Licra perdra contre lui. Dans les deux cas, le procureur a demandé la relaxe.].

Il y a quelques années, quand Siné soutenait la liste Euro-Palestine aux côtés d’un Dieudonné qui n’avait pas encore rallié le FN et n’était donc pas rayé des cadres, et que chacune de ses chroniques me faisait déjà bondir, des copains de Charlie Hebdo voulaient absolument me le faire rencontrer. « Tu l’adoreras, c’est une grande gueule comme toi », me disaient-ils. Le sommet des grandes gueules n’a pas eu lieu. L’aurais-je lu autrement si je l’avais connu ? Sans doute. Mais comme l’a expliqué Richard Malka, avocat de Charlie et ami de Causeur, les gamins (et même les adultes d’ailleurs) qui le lisaient dans Charlie ne le connaissaient pas plus que moi. Ils n’avaient pas le son. Et sans le son, Siné ne me fait pas rire.

Plus que les provocations de Siné, c’est l’argumentation de certains des témoins cités par sa défense qui laisse songeur, voire vaguement inquiet. À peine caricaturé, le propos de l’écrivain et éditeur Jean-Marie Laclavetine peut se résumer ainsi : le problème n’est pas tant l’antisémitisme imputable à la fois à la misère sociale et à la sauvagerie de Tsahal mais l’accusation d’antisémitisme qui pèse sur toute personne osant critiquer Israël. Point de vue également défendu par le sympathique Frédéric Bonnaud qui recommandait il y a peu dans Siné Hebdo, sous le titre « Leçon de maintien » de dire « Tsahal » et même « Tsahal mon amour » et « d’éviter absolument les termes de « tueurs de bébés » » – pour échapper à l’infamante accusation bien sûr. Bonnaud aussi doit penser que les juifs ont le bras long. Et il est sympa pour de vrai, Bonnaud, du côté de ceux qui en bavent. Pareil pour Bedos. Bon, il a ses limites, Bedos : on lui raconte que le matin même, à la barre où il s’exprime, Siné a déconné sur les femmes voilées grommelant « C’est vrai, quand je vais au supermarché à Noisy, j’ai l’impression d’être à la mosquée ». Il se tourne vers lui : « Tu m’emmerdes. »

Dans le fond, ce qui doit tout régler, balayer tout doute et toute question, c’est qu’on est entre gens de gauche, ce qui signifie, entre autres privilèges, qu’on a toujours d’excellentes et nobles raisons de détester et de réclamer excommunications et bannissements. Pour la salubrité morale de tous. L’ont-ils tant haï, le « F-haine »… C’est au nom des valeurs de gauche qu’on dénonce les juifs/Israéliens. Bonnaud again, la semaine suivante : « Depuis que les juifs ont un Etat devenu selon eux le premier rempart de l’Occident contre les masses fanatiques de l’islam, ils s’en prennent à d’autres sémites. Tout change, rien ne change. » En bon français, ça veut dire que les juifs sont les nouveaux antisémites – et avec l’antisémitisme, on ne transige pas[3. Confirmation inopinée. Je dépasse deux sexagénaires devant une école maternelle à la porte de laquelle est accroché un bouquet de fleurs à la mémoire « d’enfants déportés parce qu’ils étaient juifs ». L’un d’eux, à l’autre : « Tu te rends compte de ce qu’ils font aux Palestiniens maintenant ! C’est dégueulasse… ils n’ont pas de morale. »].

D’accord mais comme disait l’autre, que faire ? À part répondre, et encore pas toujours, rien. Surtout, ne pas se la jouer « heures les plus sombres de notre histoire » ni intenter des procès absurdes qui ne font qu’entretenir le sentiment qu’on ne peut rien dire sur les juifs. Arrêter de voir des antisémites là où il n’y en a pas. Arrêter de se demander si X ou Y ou Z le serait un peu, beaucoup ou passionnément, on s’en fout. Enfin, arrêter de se raconter des craques. Ce qui entretient les stéréotypes du vieil antisémitisme, celui qui fantasme un monde sous la coupe de juifs riches et puissants, ce ne sont pas tant les éructations de Siné que la diffusion en boucle des images de Gaza et des commentaires afférents, et sans doute la bonne bouille de Bernard Madoff en qui beaucoup voient le nouveau visage de la « banque juive » (il est banquier et par ailleurs juif – comme nombre de ses victimes). Et contre CNN ou Al Jazeera, aucun tribunal ne peut rien.

Israël, la balle au centre

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Il y a quelque chose de nouveau dans la vie politique israélienne : le centrisme est né. Après trente ans de bipolarité, la survie du parti Kadima comme deuxième formation politique israélienne ouvre de nouvelles perspectives : pour la première fois depuis des décennies, Israël pourrait, à l’issue des élections, être gouverné par une coalition dont le centre de gravité ne sera ni à gauche ni à droite. Une alliance entre Kadima, le parti travailliste et le Likoud pourrait réunir le soutien d’au moins 70 députés sur les 120 que compte la Knesset. Or, les sondages montrent régulièrement qu’une solide majorité d’Israéliens est prête à sauter le pas et à s’attaquer à la question des colonies. La nouvelle donne politique tripartite permettrait de traduire cet assentiment plus ou moins enthousiaste en majorité parlementaire après les législatives du 10 février.

Le glissement vers le centre de l’électorat israélien est clair et net. Aux élections législatives de 1981, apogée de la bipolarisation de la vie politique, le Likoud dirigé par Begin avait recueilli 39 % des voix, presque à égalité avec les prédécesseurs des actuels travaillistes dont la tête de liste était Pérès. Ensemble, les deux formations avaient donc la confiance de quatre électeurs sur cinq. Un quart de siècle plus tard, la méfiance à l’égard des partis de gouvernement était telle que le Likoud, avec son score de 10%, et les travaillistes avec 15,8 % des voix, étaient en miettes tandis que Kadima, que l’exercice du pouvoir n’avait pas encore abimé – bien qu’il fût composé de rescapés de ces deux formations – recueillait 24 % des suffrages. Mais même en additionnant les bulletins de votes, ces trois partis n’étaient pas parvenus à séduire plus de 50 % des électeurs. Cette fois-ci, les sondages créditent la troïka d’un score avoisinant les 60 % (Likoud 26 %, travaillistes 15 % et Kadima 19 %).

Ce n’est pas tant l’émergence de Kadima que son ancrage dans le paysage politique qui constitue une rupture majeure. Kadima n’est pas le premier « parti de l’espoir » : on a déjà vu par le passé d’autres formations faire irruption dans le ciel de la politique israélienne comme des météores et obtenir un bon score. En revanche, Kadima a été la première à pouvoir diriger tout de suite un gouvernement et, ce qui est plus important encore, à ne pas se désintégrer et disparaître avant les législatives suivantes. Même si les sondages sont loin d’être infaillibles, ce scénario est aujourd’hui très peu probable et le parti créé par Sharon pour permettre le démantèlement des colonies à Gaza pourrait devenir, avec environ 20 % des suffrages, le deuxième du pays.

Le sens politique profond de ce phénomène est que, pour la première fois en Israël, pour gouverner et se maintenir au pouvoir dans la durée, le centre est une véritable option stratégique. De plus, il n’est pas seulement un vivier d’intentions de vote mais une formation politique mûre, un parti de gouvernement avec un bilan qui, même s’il est loin d’être glorieux, le positionne comme une alternance crédible aux yeux de pas mal d’électeurs. Une coalition stable qui ne sera ancrée ni à gauche ni à droite est donc possible. Ainsi, les projets à courte vue de la politique, des échéances électorales, motions de censure et votes de budgets, pourraient enfin se synchroniser avec les projets à long terme de la géostratégie : le règlement du conflit avec les Palestiniens et les Syriens, la consolidation de l’alliance vitale avec les Etats-Unis et l’assainissement des relations avec l’Europe et le reste du monde. Pour parler clair, les conditions politiques nécessaires pour permettre à Israël de s’attaquer sérieusement à la question des colonies de peuplement sont maintenant réunies.

Chef d’un parti qui deviendra très probablement le plus grand après les élections, « Bibi » Netanyahu pourrait facilement former une coalition classique avec les partis de droite, mais celle-ci ne peut accoucher que d’un gouvernement dépourvu de toute marge de manœuvre politique. Autrefois, il n’aurait pas eu d’autre choix, dans la nouvelle configuration qui sortira des urnes, d’autres options pourraient être ouvertes, en particulier celle d’une « grande coalition » Bibi-Barak-Livini. Et après tout, au-delà des apparences, la rupture ne serait pas si grande. Depuis qu’il est devenu en 1977 un parti de gouvernement, le rôle historique du Likoud aura été de légitimer et d’imposer les solutions conçues et envisagées par les courants pragmatiques du sionisme après avoir gagné des élections en promettant bien entendu le contraire. Pour la première fois depuis longtemps, un leader de la droite israélienne pourrait regarder ses électeurs dans les yeux, leur dire « je vous ai compris » et puis faire comme qui vous savez.

Renvoi de censure

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Réputé pour sa connaissance approfondie du monde du travail, le sociologue Henri Vacquin, grand ancien de Mai 68, et qui s’autoproclame fièrement « vieux con de gauche » vient de sortir au Seuil Mes acquis sociaux, où il explique notamment avoir voté Bayrou puis Sarkozy à la dernière présidentielle, pour empêcher l’élection de Royal, qui selon lui aurait signé l’arrêt de mort d’une gauche déjà très mal en point.
Il s’en est expliqué dans un fort joli texte, donné à nos confrères de Rue89, auxquels il avait déjà accordé une interview sans détours. On peut y lire entre autres vérités bien senties : « Notre génération de soixante-huitards dans son ensemble, à droite comme à gauche, n’a jamais surmonté cette carence de transmission des valeurs. Nous ne sommes pas pour rien responsables de leur débandade actuelle qui a fabriqué entre autres, et pour ne s’en tenir qu’à cela, le chômage des jeunes et des vieux. »
Dans son texte, Vacquin estime que son livre est victime d’une omerta « de la presse de gauche traditionnelle ». Après vérification par nos services, ce constat ne relève en rien de la paranoïa. Mais quand même, j’ai du mal a comprendre un truc : comment ceux-là mêmes qui au Châtelet accusent le Château de vouloir museler toutes les opinions non conformes peuvent-ils, à leur tour, passer sous le boisseau un livre de gauche, mais qui explique que Sarkozy était le moindre mal ? Edwy, Laurent, soyez cools, expliquez-moi…