Qui n’a pas son badge ? Lancés la semaine dernière sur le marché mondial, les badges Causeur ont trouvé preneurs et déjà fait de nombreux heureux dans les foyers français. La rédaction tout entière est émue à la lecture des remerciements touchants qu’elle reçoit. Ainsi M. Bernard K. (Paris) nous a adressé ce précieux témoignage : « Ces derniers mois, j’étais assez invisible. Mais depuis que je porte un badge Causeur on ne parle plus que de moi. » Le malheur, c’est qu’il n’y en aura pas pour tout le monde, puisqu’il ne reste plus que quelques séries limitées en vente. Vous n’êtes pas encore badgés ? Dépêchez-vous de vous rendre à la boutique !
Un péan pour Kouchner
S’ils daignaient s’intéresser un jour à moi, je ferais à coup sûr la joie des sondeurs. Je n’ai pas encore tout à fait l’âge de faire une parfaite ménagère de plus de cinquante ans, mais je dois confesser que j’ai toujours tenu l’abbé Pierre pour un saint homme, Zidane pour un magicien du ballon rond et Bernard Kouchner pour le parangon de ce qu’est et doit être un homme politique français[1. En vrai je m’en tape du foot.].
Un brin primesautier, un rien imprécis, jamais trop efficace, mais renouvelant sans cesse son ardeur à séduire son monde comme s’il s’agissait d’une femme, il incarne l’une des grandes permanences françaises. C’est d’ailleurs ce que ses camarades du Parti socialiste ne lui ont, en réalité, jamais pardonné : l’homme n’est pas simplement un French Doctor, mais il est aussi – du moins dans l’imaginaire des Français qui le plébiscitent sans trop savoir qui il est, ni même s’en soucier – un French Lover, un French Kisser, l’homme que toutes les desparate housewiwes de France et de Navarre voudraient avoir comme amant, comme époux ou, dans le pire des cas, comme gendre.
Il y a, chez Kouchner, une certaine idée de la France. Pas la gaullienne, certes, trop ancrée dans l’antique gravité et le poids de l’histoire. Plutôt une idée de la France de l’Ancien régime qui passe, en se faisant petite, la Révolution, renaît sous l’Empire et ressuscite sous la Restauration. Il y a, chez lui, un peu du chevalier d’Eon, de Talleyrand et de Schulmeister réunis en un seul homme. Du don Salluste autant que du Ruy Blas : rien que de la contradiction. En somme, je ne sache pas que la France nous ait donné un homme d’Etat aussi farfelu depuis Malraux[1. Dès 1921, Malraux en fit un genre littéraire avec Lunes en papier, avant de l’ériger en style de vie.].
Et la politique de la France, c’est avant tout cela : l’option farfelue.
Bien entendu, qu’il se présente aujourd’hui quelques opiniâtres représentants de la France moisie des notaires et de leurs clercs pour accabler sous des monceaux d’injures le plus farfelu de nos hommes politiques n’a assurément pas de quoi nous réjouir. De plus, que ce soit Arnaud Montebourg qui sonne la charge devrait nous inviter à la méfiance la plus extrême. Donner de petits coups de pieds convulsifs sur un homme déjà à terre peut procurer de menus plaisirs, non pas constituer une politique. Le député de Saône-et-Loire, bon apôtre de toutes les ligues de vertu, n’a pas de mots assez durs pour jeter l’opprobre sur celui qu’hier encore il vénérait en camarade : « Si Bernard Kouchner a encore un honneur, il doit enfin s’expliquer sérieusement devant l’opinion publique… Les importantes révélations relatives aux multiples conflits d’intérêt et aux affaires d’argent dans lesquels se débat le ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, constituent pour le moins de graves infractions à la morale publique. »
Dieu soit loué qu’en 1981 Arnaud Montebourg fût encore lycéen et que Robert Badinter opérât au ministère de la Justice : un avocat de la trempe du député de Saône-et-Loire (qui aura tant fait pour la démocratie française et le comptage des voix) n’aurait pas aboli la peine de mort, il l’aurait agrémentée de supplices chinois, divers et variés, mais d’un ressort toujours constant : la morgue hautaine et froide à exécuter la basse besogne.
Car c’est bien là le fond de l’affaire : on peut aimer ou haïr Bernard Kouchner, vénérer ou détester les milliers de conneries que quarante ans de vie publique lui auront fait proférer, mais c’est sur le terrain politique qu’il faut porter le fer. Pas ailleurs. Bien sûr, la moraline injectée à haute dose dans le corps politique français depuis qu’il a été établi que les hommes publics valaient moins que les filles du même nom égare bien des esprits. Mais au fond, le pognon de Kouchner, on s’en balance. Qu’il se soit fait 800 000 euros serait même assez décevant et, pour tout dire, gagne-petit pour un consultant de sa trempe. Ce qui importe, c’est que Kouchner reste Kouchner : le représentant d’une bonne conscience internationale qui serait beaucoup moins drôle de dénoncer s’il n’existait pas.
Et puis, last but not least, quand sonne l’hallali, chacun serait bien inspiré d’aller manger son quignon dans un coin. Non pas que l’odeur de la chair humaine révulse – personnellement je n’y ai jamais goûté. Mais une vieille prévention devrait nous dissuader de bouffer notre semblable dès qu’il se présente à nous. On naît cannibale ou pas.
Vatican 2.0
Benoît XVI qu’on croyait archéo, serait-il spécialiste de la bulle médiatique ? Que n’a-t-il fait en levant l’excommunication qui pesait sur les évêques ordonnés par Mgr Lefèbvre ! Incarnations absolues du Mal, au même titre que les Gremlins ou Freddy Krueger, ces quatre guérilleros mitrés et crossés semblaient bien décidés à ne jamais franchir le Rubicon séparant Econe de Rome, tant que l’Eglise n’accepterait pas de remettre la télé en noir et blanc. Honnis par certains, vénérés par d’autres, ces prélats à la nuque raide finissent par se demander s’ils ne sont pas en train de gagner leur combat pour « La Tradition » et tous les autres mots qu’ils écrivent avec une majuscule. En une petite semaine, Williamson est passé du néant à la couv’ de Libé. Un peu de patience et on le verra chez Drucker.
En attendant, dans les médias et plus spécialement sur le net, c’est baston générale. Chacun y va de sa petite opinion sur l’œcuménisme, la réforme liturgique, l’autorité du Magistère, ou encore la longueur du manipule. Les intégristes de la Loi de 1905 ne sont pas les derniers à se lancer dans la bataille. Sans peur et sans reproche, ils se drapent de laïcité, évoquent Voltaire qu’ils n’ont pas lu, prophétisent à l’envi un retour à l’obscurantisme, et finissent par se lasser eux-mêmes de leur bêtise. Enfin, pas toujours, malheureusement…
Bien sûr, la fête ne serait pas complète sans les vaillants défenseurs de la Vraie Foi Catholique de Toujours (bien penser aux majuscules !). Refusant encore de sortir leurs cerveaux du congélo dans lequel ils les ont rangés après Vatican II, ils brandissent quelques bribes de bulles papales moyenâgeuses comme autant de fatwas. De « la communication des idiomes » à « l’apocatastase », ces scholars en scolastique agitent quelques grigris conceptuels mal digérés, nuages de poudre jetés aux yeux des boy-scouts qui les admirent. Et dans cette mouvance traditionaliste, les Pidistes[1. Fidèles de la mouvance lefèbvriste (Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X).] passeraient presque pour des timorés, à côté de leurs camarades sédévacantistes, qui, eux, en plus de prétendre que la « secte conciliaire » (comprenez « l’Eglise Catholique ») est contrôlée par le lobby luthéro-trotsko-judéo-maçonnique, ajoutent que le contrat de travail de Joseph Ratzinger n’est pas valide. Manquerait plus qu’ils en appellent à l’Inspection du Travail !
Bref, j’ai comme l’impression que le pape Benoît XVI aurait fait couler moins d’encre s’il s’était fait surprendre dans une discothèque d’Ibiza devant un rail de coke.
Les Playmobil en deuil. Bien fait pour eux
L’inventeur des Playmobil est mort à l’âge de 79 ans. Il s’appelait Hans Beck, était allemand et a eu, hélas, le temps d’en commercialiser plus de deux milliards depuis 1974, date de la mise sur le marché de la première figurine. Rappelons que les Playmobil, hauts de 7,5 centimètres, ont un éternel sourire plaqué sur le visage, une différenciation sexuelle approximative et des mouvements limités à la possibilité de courber l’échine. On a beau les avoir déguisés en peaux-rouges, en chevaliers ou en cosmonautes, (une série Gay Pride était en préparation), il n’en demeure pas moins qu’ils sont les principaux agents d’un vaste plan de soumission des enfants aux exigences des démocraties de marché. Leur apparition, comme par hasard, date du premier choc pétrolier, qui allait bouleverser les rapports de production. Muets, béats, flexibles, soumis, les Playmobil symbolisent à merveille le rêve patronal d’une main-d’œuvre qui a enfin perdu sa conscience de classe. Ils vont, malheureusement, survivre à leur créateur.
Il est minuit, docteur Kouchner
Lorsqu’un homme public est sous le feu médiatique, guetté par des snipers embusqués dans tous les recoins du microcosme politique, on est spontanément enclin à lui tendre la main, à lui offrir un refuge, au moins provisoire. La dégringolade d’un chouchou des sondages est un spectacle qui suscite cette joie mauvaise que les Allemands, fins connaisseurs, appellent Schadenfreude, un sentiment qui est l’exact inverse de la compassion dont Bernard Kouchner a été longtemps l’incarnation, version laïque.
Le tumulte provoqué par la publication du livre de Pierre Péan, Le monde selon K. ne crée pas une atmosphère propre à l’examen serein de l’action politique et du parcours de l’actuel ministre des affaires étrangères. On voit, comme d’habitude, se former les bataillons des « pro » et des « anti », la cabale et la contre-cabale, une occasion rêvée, pour certains, de régler de vieux comptes, qui avec Péan, qui avec Kouchner, Ockrent, parents et alliés.
N’étant lié ni matériellement, ni affectivement à aucun des deux principaux protagonistes de cette affaire, je n’en ai pas moins à me débarrasser de quelques préjugés subjectifs avant d’émettre un semblant de jugement.
Sur Péan : son anti-américanisme viscéral, sa haine d’Israël qui est allé jusqu’à lui faire écrire, après une enquête bidon, que des soldats israéliens avaient égorgé de leurs mains des Palestiniens à Sabra et Chatila, et d’autres écrits de la même veine me le rendent foncièrement antipathique. Et puis, faire profession de pitbull éditorial dans la sphère politico-médiatique témoigne d’une libido quelque peu perturbée.
Sur Kouchner : les quelques contacts personnels et professionnels que j’ai pu avoir avec lui me laissent l’image d’un homme chaleureux, plein d’humour, auquel on a vite fait de pardonner sa vanité, ses postures d’histrion et ses manies de jet-setter. De plus il a une fort jolie voix et une bonne mémoire lui permettant d’animer les soirées en reprenant les vieux chants staliniens de son enfance (La jeune garde, La Varsovienne, Notre Maurice a cinquante ans, etc.).
Mais, comme diraient les gens de justice : le dossier, tout le dossier, rien que le dossier, et laissons de côté l’enquête de personnalité pour nous concentrer sur les faits.
Dans les accusations portées contre Kouchner par Péan, il faut distinguer les critiques politiques, celles par exemple de son action au Kosovo, au Rwanda et au Moyen-Orient, de celles qui mettent en cause la moralité, et donc l’honneur d’un homme. Les premières, si elles sont légitimes dans le cadre du débat démocratique, peuvent et doivent être réfutées avec tous les arguments, et ils ne sont pas minces, qui peuvent être avancés en faveur de son action dans les diverses fonctions officielles qu’il a occupées.
Les autres mises en cause, celle sans lesquelles le brûlot de Péan serait passé aussi inaperçu que les pensums altermondialistes qui encombrent le catalogue des éditions La Découverte, concernent les activités professionnelles de Kouchner quand il n’est ni ministre, ni fonctionnaire international. Est-il bien convenable de se faire missionner par Total pour certifier que le pétrolier français n’utilise pas le travail forcé en Birmanie ? De ne reverser les sommes perçues à cette occasion à des associations humanitaire qu’après un concert de protestations des ONG de défense des droits de l’homme ? Est-il prudent, sinon moral, lorsque l’on souhaite poursuivre une carrière politique, de s’acoquiner, moyennant finances, et pas qu’un peu, avec des personnages comme Omar Bongo et Denis Sassou Nguesso ?
N’est pas Talleyrand qui veut ! Si l’ombre du diable boiteux plane encore sur le Quai d’Orsay, l’art de mêler le génie diplomatique à la corruption la plus effrénée ne peut se déployer que dans des régimes où les libertés publiques, celle de la presse notamment, sont réduites à la portion congrue.
Bernard Kouchner a beau protester de la parfaite légalité de ses activités, ce que Péan ne conteste pas, il reste qu’elles écornent passablement son image de défenseur intransigeant des droits de l’homme, qui lui vaut son crédit politique et sa popularité inoxydable dans l’opinion. L’argument de l’étanchéité entre ses activités de consultant et celles de ministre ne résiste pas à l’examen détaillé du dossier.
Le personnage central de cette affaire, en dehors de Kouchner, est Eric Danon. Enarque, il entre au Quai d’Orsay à sa sortie de l’école. Il estime cependant au bout de quelques années que le département ne lui offre pas de poste à la mesure de ses talents. Il se met alors en disponibilité et rejoint l’entreprise familiale, Imeda, spécialisée dans le conseil et l’ingénierie dans le domaine de la santé. C’est dans ce cadre qu’il confie à Kouchner l’exécution de contrats signés, entre autres, avec le Gabon et le Congo. Bernard n’est pas un ingrat. Une fois nommé ministre, il rappelle Danon au Quai et le nomme ambassadeur à Monaco, une mesure de faveur au regard des usages de la maison : il est de tradition, en effet, de n’affecter dans la Principauté que des diplomates chevronnés, et non pas quelqu’un dont c’est le premier poste d’ambassadeur…
« Un peu plus de bouteille lui aurait sans doute évité d’envoyer des lettres de rappel de créances à Omar Bongo à partir du fax de l’ambassade de Monaco », nous confie un haut diplomate. Cette bévue lui vaudra son rappel de Monaco et sa nomination comme ambassadeur à la conférence du désarmement de Genève. Cette « sanction » fait une victime collatérale : Jean-François Dobelle, un diplomate compétent n’ayant aucunement démérité est débarqué pour faire de la place à Danon et se trouve depuis sans affectation. « Kouchner doit devoir beaucoup de choses à Danon pour le cajoler de la sorte », murmure-t-on alors dans les couloirs du ministère…
Sans la protection du ministre, l’affaire des fax à Bongo aurait en effet valu à Danon une mise au placard sans appel. Dans sa réponse à Péan publiée dans le Nouvel Obs, Kouchner déclare que le cas Danon va être examiné par le comité d’éthique du ministère, celui qui a été mis en place après que deux anciens hauts diplomates, Serge Boidevaix et Jean-Bernard Mérimée avaient été pris la main dans le sac d’affaires aussi louches que juteuses avec feu Saddam Hussein. Est-ce le prélude au sacrifice d’Eric Danon pour sauver le soldat Kouchner ? S’il en était ainsi, je crois que je serais triste de voir le prince charmant se transformer en crapaud.
Secrets médicaux
L’actuel ministre des Affaires étrangères est-il un danger pour la diplomatie française ? Oui, répond sans ambages Pierre Péan dans Le monde selon K. (Fayard). Pas seulement parce qu’il a plus souvent qu’à son tour fait passer ses intérêts personnels, professionnels ou familiaux avant les devoirs de sa charge. Mais aussi, et peut-être surtout, parce que le sens de notre politique étrangère est brouillé par son bellicisme en tenue de camouflage humanitaire.
Aucun doute, Péan met les pieds dans le plat : évoquer la face cachée de Kouchner, c’est s’en prendre à une vache sacrée, à la personnalité préférée des Français, c’est s’attaquer à un quasi-intouchable, à peine fragilisé aux yeux du peuple de gauche par son passage à l’ennemi avec armes et bagages en 2007. Jamais Le Monde, Libé ou L’Obs n’ont affublé Kouchner des oripeaux du traître de série B. Or, son parcours politique est exactement le même que celui de l’abominable Eric Besson, on peut se demander pourquoi.
Péan ne s’en cache guère : il veut démasquer l’homme qui a fait des droits de l’homme un fonds de commerce et de la morale un faire-valoir, en montrant qu’en de nombreuses occasions (Somalie, Kosovo, Rwanda, Darfour) il a mis sous le boisseau la raison d’être de Médecins du Monde. Il dessine le portrait d’un civil honteux, comme fasciné par l’armée, l’action militaire, la guerre (notamment au Kosovo) voulant ériger en doctrine intangible le droit d’ingérence, qu’il soit humanitaire ou autre.
Depuis les bonnes feuilles publiées dans Marianne, on se doutait bien qu’on allait parler beaucoup d’Afrique, terre nourricière de nos plus belles affaires politico-financières. Et de fait, c’est le continent de prédilection du héros de ce livre. Comme c’est le noyau dur de ce qui devient sous nos yeux « l’affaire Kouchner », nous examinerons les accusations de Péan dans le détail.
Dans un chapitre baptisé « L’Afrique, le fric », Péan explicite comment Bernard Kouchner a monté des partenariats pas toujours désintéressées avec certains pays d’Afrique, dans le domaine du conseil en santé publique. En 2002, il co-fonde le GIP Esther (Ensemble pour une solidarité thérapeutique hospitalière en réseau) censé être « un outil d’intervention de la France dans le cadre de sa politique d’aide au développement en matière de santé ». D’après l’auteur, c’est par le biais de Dominique Ambiel (voisin des Kouchner-Ockrent en Corse et intime de Jean-Pierre Raffarin) que Kouchner parvient à se faire nommer président d’Esther le 22 novembre 2003. Six semaines plus tard, le 8 janvier 2004, Bernard K crée BK consultants, une officine de conseil en santé publique. D’un côté le patron d’Esther peut distribuer des subventions, que le patron de la société de consultants pourra aider à dépenser de l’autre… Premier mélange des genres ; pas le dernier…
Le 1er juillet 2004, Péan relève la première trace d’une intervention de Kouchner en Afrique comme consultant privé : au Gabon pour la création d’une Sécurité sociale. Via un audit confié à Imeda, la société d’Eric Danon, un homme de sa garde rapprochée, laquelle est liée à la société d’études Africa Steps de Jacques Baudouin, un autre kouchnérien historique. Péan semble ne pas penser qu’il s’agit là de simples coïncidences et affirme que Kouchner est intervenu pour le compte d’Imeda au Gabon (budget : 2,6 millions d’euros) ainsi qu’au Congo.
En mars 2007, juste avant la présidentielle, le même Kouchner est présent avec le président d’Imeda pour la signature de deux contrats au Congo : une étude sur le système de santé au Congo et une étude sur la réhabilitation du CHU de Brazzaville. Contrats signés à l’ambassade de France, en présence de l’ambassadeur.
Le 18 mai 2007, qui vous savez est intronisé au Quai ; dans la foulée, Jacques Baudouin est nommé responsable de la presse au cabinet du ministre.
Trois mois plus tard, le 8 août 2007, ledit ministre fait nommer le patron d’Imeda, son ami Eric Danon, ambassadeur à Monaco. Et là, pour Péan, les choses deviennent vraiment graves : « Dans les jours qui précèdent son entrée en fonction, le nouvel ambassadeur, qui n’oublie pas qu’il est toujours patron d’Imeda, fait feu de tout bois pour faire honorer les factures impayées émises par la société. » Notamment, selon Péan, une facture de 817 000 euros.
Le 25 mai 2007, le ministre K profite de la première visite d’Omar Bongo à Paris pour lui rappeler ces factures impayées. Péan avance pour preuve un fax que Danon aurait passé au TPG du Gabon le 3 août 2007, expliquant « nous avons reçu le mois dernier de son Excellence le chef de l’Etat l’assurance que notre dernière facture serait rapidement honorée ». Le 11 mars 2008, le solde est versé à Imeda par le Gabon. Happy end, donc, n’eût été le vilain délateur Péan.
Cette hyperactivité n’est pas sans provoquer quelques dommages collatéraux. Pour Péan, l’éviction de Bockel du secrétariat d’Etat à la Coopération est directement liée aux relations entre Imeda et le président du Congo : Denis Sassou N’Guesso aurait réclamé une participation de la France au financement de la rénovation du CHU de Brazzaville. Bockel l’aurait envoyé balader, avant d’annoncer la fin de la « Françafrique ». Résultat, la Françafrique continue, mais l’impétueux Bockel est débarqué le 19 mars 2008.
En résumé, Péan considère qu’il y a manquement grave à la loi en raison du conflit d’intérêt entre Esther et ses sociétés « amies » pour lesquelles Kouchner a été à la fois consultant privé et bailleur de fonds publics.
Voilà donc les accusations que Bernard Kouchner aurait pu réfuter point par point cet après-midi, après avoir été interpellé par Jean Glavany. Il n’en a rien fait (hormis sur l’épisode Bockel), se contentant essentiellement d’affirmer qu’il avait payé ses impôts, et de proclamer que tout ce qu’il avait fait durant ces quarante dernières années, il l’avait fait au nom du bien et de la morale et que donc l’attaquer lui, c’était attaquer toutes les victimes qu’il avait passé sa vie à secourir.
Pour ceux qui n’auraient pas encore bien compris cette automédication de choc à base de moraline, clarifions-la : acheter le livre de Péan, c’est se rendre complice de crime contre l’Humanité, partout où Bernard K a sauvé l’humanité au Rwanda, en Somalie, au Darfour, en Bosnie.
Pour être encore plus clair, notre ministre a, dans sa conclusion, implicitement accusé Péan d’antisémitisme. Comme rien, mais absolument rien dans ce livre, ne vient étayer cette infamie, on en déduit que si Me Kiejman et son client recourent à de telles extrémités, c’est que l’heure est grave : il y a le feu dans la maison Kouchner.
Le docteur K.

Médecin et explorateur de la fin du XIXe siècle, le docteur K. fut très vite reconnu comme l’un des plus grands philanthropes de son temps. La postérité lui chanterait encore des péans si un olibrius tel que Louis Pasteur n’était pas venu lui voler la vedette, en mettant au point des procédés prophylactiques aussi douteux qu’inutiles. Pas rancunier, le docteur K. ne souffrit pas de cette situation. Il avait même pris l’habitude de répondre à ceux qui évoquaient ce douloureux sujet : « Moi, les affaires de Pasteur, je veux pas m’ingérer. » Pourtant, c’est grâce à ce génie trop méconnu que les dispensaires gabonais furent équipés du chauffage central dès le début des années 1880. Le peintre représente ici le docteur K. à sa table de travail, en train de mettre la dernière main à son célèbre mémorandum : De la nécessité de convaincre les Gabonais de porter des moufles, une écharpe et un bonnet. A la fin de sa vie, déçu par ces Africains qui refusaient obstinément de s’habiller chaudement, il abandonna la médecine pour se lancer dans le négoce de riz.
J-D Levitte, Portrait du docteur K., huile sur toile, 1891, conservée dans le hall d’accueil de Radio France International.
Liberté d’expression soleil couchant
La liste semble interminable. On ne saurait par qui commencer. Les caricatures danoises, Pétré-Grenouilleau, Siné, Vanneste et tant d’autres. Et bientôt, après un reportage de M6 sur le phénomène de mode déjà dépassé du Jumpstyle (ou comment sautiller en boîte de nuit et impressionner quand même les filles) et sa récupération par des néo-nazis du nord de la France, Lonsdale. La marque de vêtement hein.
D’ailleurs, ces histoires vestimentaires deviennent impossibles. Cela fait maintenant quelques années que porter du Lacoste ou du Burberry est devenu atrocement connoté. Des manifestations se sont tenues en Allemagne devant certaines boutiques de marques accusées de sympathie avec l’extrême droite. Sans parler de certains vendeurs de chaussures pour caciques socialistes devenus par là infréquentables.
Mais je m’égare. Vous l’aviez compris, il sera question de la liberté d’expression. Mais un autre point commun rassemble toutes les affaires citées précédemment. Aucune d’entre elles n’a débouché sur une condamnation. Qu’il y ait eu relaxe ou que la plainte soit retirée. Certains n’ont pas eu cette chance. Je pense à celui qui avait eu l’idée d’appeler feu Grégory Lemarchal de la Star Academy du nom de sa maladie, la mucoviscidose. Ou à Dieudonné. Voire aux mongoliens de Patrick Timsit où tout est bon, sauf la tête. Comme les crevettes, ajoutait-il. Blague dont il ne s’est jamais vraiment remis. Depuis je suppose qu’il doit beaucoup donner chaque année pour le téléthon.
Mais je m’égare encore. Il y a quelques semaines, un avocat n’a pu s’empêcher, après que la Cour de Cassation s’était prononcée en faveur du député Vanneste, d’avancer que cette décision semblait « relever d’un autre âge ». Personne n’a véritablement relevé l’expression qui, certes, n’est pas d’une folle originalité. Mais se révèle redoutablement exacte. Après tout, en première instance comme en appel, Christian Vanneste avait été condamné sans férir ni faiblir.
Aujourd’hui, dans un pays laïque doté d’une vieille tradition anticléricale, la pointe extrême de la liberté d’expression ne réside presque plus que dans le seul blasphème. Et encore. Redeker sait ce qu’il en est en pratique. Theo van Gogh aussi. Autant dire qu’elle n’existe plus. Et que seule demeure cette survivance historique laïcarde qui permet à Siné de croire qu’il use de sa liberté d’expression quand il tape sur les curés.
Malheureusement, ce dernier pan de notre liberté d’expression qui n’est nullement protégée comme aux Etats-Unis ne saurait résister au processus d’accomplissement final de nos démocraties modernes. C’est à dire la mise à égalité devant la loi de tout. Et de tous. Tendance lourde qui se double d’une exigence impérative de vivre-ensemble. Et, pour cela, il convient de protéger toutes les différences, tous les choix, toutes les inclinations. Qui sont autant de dignités que le mâle hétérosexuel blanc – qui peuple encore trop nos campagnes – doit apprendre à honorer.
Ainsi les journalistes font mieux ne pas retranscrire les propos racistes entendus lors de manifestations, les comiques sont invités à prendre exemple sur les sketchs de Gad Elmaleh, les sociologues ne sont que mollement soutenus quand ils s’en prennent à l’islam et les élus se doivent de célébrer les différents penchants sexuels de leurs administrés. Quant à ceux qui ne jouent pas le jeu du vivre-ensemble, ils risquent l’ostracisme médiatique. Sans parler du fameux « stage de citoyenneté » qui peut-être prescrit d’office par le juge, depuis 2004, aux plus récalcitrants.
Ces procès gagnés, que ce soit celui de Charlie Hebdo ou de Siné bientôt, maintiennent bruyamment l’illusion que la liberté d’expression n’est pas un mot vide de sens en France. Certes, nous pouvons toujours fustiger Sarkozy à longueur de journée, nous amouracher de Julien Coupat et nous indigner des propos du Pape. Mais pour le reste il convient souvent de s’y adonner en petit comité.
Elisabeth Lévy parlait du « charme de l’interdit ». Accordons-en le bénéfice à Siné.
La voiture du général est avancée
Même plus ou moins démentie par Citroën, l’annonce du retour de la DS m’a rempli de joie. Il y a d’abord les doux souvenirs de mon enfance israélienne : moments de bonheur dans la DS 21 de notre voisin le vétérinaire, qui avait fait ses études à Toulouse dans les années 1950 et qui, depuis, avait enchaîné les autos aux chevrons, histoire de payer sa dette vis-à-vis de la France qui était pour lui, bien entendu, beaucoup plus importante que la seule valeur de sa bourse d’études. Et qu’est-ce qu’il a été fier, le docteur M., de sa berline à suspension hydraulique ! J’avoue que moi aussi, grâce à cette DS, j’étais fier d’être son voisin et l’ami de son fils. Oublions pour un moment le blabla des communicants de PSA. La DS, comme son nom l’indique, est beaucoup plus qu’une voiture. Cet OVNI représente quelque chose que, d’après Balzac, je qualifierai de « ce je ne sais quoi de d’élitisme sûr de lui » – ce n’est pas une machine mais une certaine idée de la France. Tout le problème est là : contrairement au modèle des années 1960, au volant de cette nouvelle DS technologiquement supérieure, il n’y a plus personne.
Ils sont partout !
L’antisem, l’anti-antisem, Causeur en a ras la casquette. 93,7 % de l’espace public en est saturé, on n’en peut plus, ça suffat comme ci. Voilà mille ans que je et d’autres le pensent, la Lévy s’y met et pourtant ça ne va pas s’arrêter là, le four va continuer à chauffer, chauffer.
Il lève le doigt et il demande, pourquoi ? Pourquoi qu’on ne parle que d’eux, en bien, en mal et en voiture ? Prenez Obama, s’il y en un qui n’a rien à voir avec tout ce binz c’est bien lui, le pauvre. Pas un arrière-arrière petit cousin qui le soit. De ce côté-là, blanc comme neige l’Obama, innocent comme l’innocence. Fouillez ses origines, depuis Adam, pas une kipa à se reprocher. Un type, comment dire… normal. Eh bien, vous le croirez ou pas, ils l’ont embringué. La première à le détecter à Chicago c’est une Esther Goodman (un nom de ce genre). Elle a alerté son pote David Axelrod, prospère négociant en politique qui a pris par la main le nationaliste noir surdoué jusqu’à la Maison Blanche. Ajoutez-y Rahm Emmanuel, sous-officier à Tsahal en cas d’urgence, fils d’un sectateur de l’Irgoun, aujourd’hui numéro deux à Washington et vous n’en aurez pas fait le tour. Ils pullulent autour d’un Barack Hussein qui dans sa jeunesse devait mettre Ben Gourion et Goering dans le même sac. Alors là, une supposition, vous êtes un Français normal ou un Arabe ou un Patagon, vous vous grattez la tête. Ok, chez vous, pas un virus d’antisem visible au microscope, mais, ne me dites pas, y a un lézard. Pourquoi eux et pas les Arméniens, les Finlandais, les Gitans ? Pourquoi eux ? Toujours eux ? Forcément, ça jase.
Les intellos dans ce pays, on les ramasse à la pelle. Universités, journaux et éditeurs ne savent plus qu’en faire. Mais au podium, ils ne sont que trois : BHL, médaille d’or, Finkielkraut et Gluksmann. Il aurait pu y en avoir un qui ne le soit pas. Il aurait pu… mais tous les trois le sont. Coïncidence ? On ne relève pas mais on tousse.
Notre diplomatie ? Rien de plus vieille France, n’est-ce pas ? Deux hommes à la barre. L’un, le président, l’est par la mère, l’autre, le ministre, par le père. Et je vous dis pas aux échelons inférieurs.
DSK ou Fabius auraient pu se trouver face à Sarko en 2007. Vous voyez le spectacle avec El Kabbache intervieweur ? Et Madoff ? Et le procès du Sentier. Et tous ces mafieux réfugiés à Tel Aviv ? Je ne vais pas vous infliger l’annuaire de la juiverie, ce serait limite équivoque et franchement de mauvais goût. Mais l’annuaire, ne vous la racontez pas, ils l’ont tous en tête. Et quand je dis ils, je pense vous, et malheur à moi, je pense moi. Le mauvais goût étant la chose au monde la mieux partagée, vous imaginez un peu tout ce que les gens ruminent, tout ce qu’ils se gardent pour eux. Je serais les gens, je bouillerais.
Dieu n’existe pas mais, grâce à Dieu, Israël existe. C’est un Etat comme un autre, non ? On a bien le droit de le « critiquer », non ? Un gouvernement criminel, assassin d’enfants, de vieillards, de femmes. Les faits sont parfaitement documentés, établis par la Croix-Rouge, des Israéliens honnêtes le reconnaissent eux-mêmes. Cet Etat doit être mis au ban des nations, ses dirigeants et ses soldats sanguinaires trainés devant les tribunaux et justement châtiés.
Israélites et Israéliens (appelez les comme vous voudrez, moi je confonds toujours) aiment Israël. Ils ne devraient peut-être pas mais les sentiments, vous savez, c’est comme la bandaison, ça ne se commande pas. Ils trouvent que les Autres y vont un peu fort. Les Autres y voient complicité pour ne pas dire collusion criminelle. Rien de plus logique.
La Russie a arraché à la Finlande, en 1945, la Carélie, le cœur sacré de la nation. Tous les Finlandais ont été expulsés de cette région peuplée désormais exclusivement de Russes. Vous avez entendu parler de la Carélie ? La Finlande est devenue un modèle de modernité (Nokia) et ne veut à aucun prix récupérer la Carélie même si on lui en fait cadeau. Trop de Russes. L’Azerbaïdjan musulmane a été amputée du quart de son territoire, le Nagorny-Karabakh au profit de l’Arménie en 1993. Tous les Azéris ont été virés. Vous situez le Nagorny-Karabakh ? Les Chinois ont barboté à la Malaisie musulmane la région de Singapour et en ont fait un pays somptueux. Les Malais n’ont eu qu’à s’en féliciter et ont tiré profit de l’essor singapourien. Un problème ? On peut recenser deux, trois douzaines de Palestine rien que sur notre planète. Aucune ne bouleverse les cœurs. Seul le mouchoir qu’ont investi les juifs (sûrement à tort), s’est incrusté sur la conscience universelle comme un meurtre déicide. Pas une âme qui n’ait son opinion sur la question, une opinion raisonnable : les juifs sont des tueurs d’enfants, chaque jour est là pour le prouver. On ne rappelle pas leur antique tradition infanticide, ce serait malpoli. Ce qu’on reproche à l’Etat juif, ce n’est pas d’être un Etat, c’est d’être juif.
Freud avait tout compris : le problème c’est le refoulement. L’antisémitisme hantait depuis des siècles l’esprit européen. S’il n’avait pas mal tourné avec Hitler il prospérerait encore, n’en doutez pas. Après les procès de Nuremberg, il est devenu délinquant, déshonorant écrivait Bernanos. On n’a tout simplement plus le droit d’être antisémite, vaut mieux être pédophile qu’antisémite. Et, effectivement, il a disparu du paysage.
Sérieusement, vous croyez que ces choses-là s’envolent par magie sous l’effet du verdict d’un tribunal mal embouché ? Matériellement, physiquement impossible. On l’est mais on ne veut pas l’être et on croit vraiment qu’on ne l’est pas donc on ne l’est plus mais on le reste et, pour traiter ce syndrome, depuis le décès du docteur Sigmund, la médecine de qualité se raréfie. Ne vaudrait-il pas mieux laisser les gens lâcher ce qu’ils ont sur le cœur. Plutôt que de m’accuser d’avoir égorgé mille trois cents mouflets en trois semaines, qu’ils m’assènent franco : Ta gueule ne me revient pas, casse-toi tu pues. Là, il y a de quoi causer. Peut-être qu’on n’arrivera pas à s’entendre et qu’il me faudra aller voir ailleurs si j’y suis, mais au moins je saurai pourquoi. La dernière fois que, pour le même motif, j’ai eu à m’expatrier, je n’y ai rien compris. Cette fois, on vit en démocratie, j’aimerais mieux qu’on s’explique. Pour le plaisir de la conversation.
Y en aura pas pour tout le monde
Qui n’a pas son badge ? Lancés la semaine dernière sur le marché mondial, les badges Causeur ont trouvé preneurs et déjà fait de nombreux heureux dans les foyers français. La rédaction tout entière est émue à la lecture des remerciements touchants qu’elle reçoit. Ainsi M. Bernard K. (Paris) nous a adressé ce précieux témoignage : « Ces derniers mois, j’étais assez invisible. Mais depuis que je porte un badge Causeur on ne parle plus que de moi. » Le malheur, c’est qu’il n’y en aura pas pour tout le monde, puisqu’il ne reste plus que quelques séries limitées en vente. Vous n’êtes pas encore badgés ? Dépêchez-vous de vous rendre à la boutique !
Un péan pour Kouchner
S’ils daignaient s’intéresser un jour à moi, je ferais à coup sûr la joie des sondeurs. Je n’ai pas encore tout à fait l’âge de faire une parfaite ménagère de plus de cinquante ans, mais je dois confesser que j’ai toujours tenu l’abbé Pierre pour un saint homme, Zidane pour un magicien du ballon rond et Bernard Kouchner pour le parangon de ce qu’est et doit être un homme politique français[1. En vrai je m’en tape du foot.].
Un brin primesautier, un rien imprécis, jamais trop efficace, mais renouvelant sans cesse son ardeur à séduire son monde comme s’il s’agissait d’une femme, il incarne l’une des grandes permanences françaises. C’est d’ailleurs ce que ses camarades du Parti socialiste ne lui ont, en réalité, jamais pardonné : l’homme n’est pas simplement un French Doctor, mais il est aussi – du moins dans l’imaginaire des Français qui le plébiscitent sans trop savoir qui il est, ni même s’en soucier – un French Lover, un French Kisser, l’homme que toutes les desparate housewiwes de France et de Navarre voudraient avoir comme amant, comme époux ou, dans le pire des cas, comme gendre.
Il y a, chez Kouchner, une certaine idée de la France. Pas la gaullienne, certes, trop ancrée dans l’antique gravité et le poids de l’histoire. Plutôt une idée de la France de l’Ancien régime qui passe, en se faisant petite, la Révolution, renaît sous l’Empire et ressuscite sous la Restauration. Il y a, chez lui, un peu du chevalier d’Eon, de Talleyrand et de Schulmeister réunis en un seul homme. Du don Salluste autant que du Ruy Blas : rien que de la contradiction. En somme, je ne sache pas que la France nous ait donné un homme d’Etat aussi farfelu depuis Malraux[1. Dès 1921, Malraux en fit un genre littéraire avec Lunes en papier, avant de l’ériger en style de vie.].
Et la politique de la France, c’est avant tout cela : l’option farfelue.
Bien entendu, qu’il se présente aujourd’hui quelques opiniâtres représentants de la France moisie des notaires et de leurs clercs pour accabler sous des monceaux d’injures le plus farfelu de nos hommes politiques n’a assurément pas de quoi nous réjouir. De plus, que ce soit Arnaud Montebourg qui sonne la charge devrait nous inviter à la méfiance la plus extrême. Donner de petits coups de pieds convulsifs sur un homme déjà à terre peut procurer de menus plaisirs, non pas constituer une politique. Le député de Saône-et-Loire, bon apôtre de toutes les ligues de vertu, n’a pas de mots assez durs pour jeter l’opprobre sur celui qu’hier encore il vénérait en camarade : « Si Bernard Kouchner a encore un honneur, il doit enfin s’expliquer sérieusement devant l’opinion publique… Les importantes révélations relatives aux multiples conflits d’intérêt et aux affaires d’argent dans lesquels se débat le ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, constituent pour le moins de graves infractions à la morale publique. »
Dieu soit loué qu’en 1981 Arnaud Montebourg fût encore lycéen et que Robert Badinter opérât au ministère de la Justice : un avocat de la trempe du député de Saône-et-Loire (qui aura tant fait pour la démocratie française et le comptage des voix) n’aurait pas aboli la peine de mort, il l’aurait agrémentée de supplices chinois, divers et variés, mais d’un ressort toujours constant : la morgue hautaine et froide à exécuter la basse besogne.
Car c’est bien là le fond de l’affaire : on peut aimer ou haïr Bernard Kouchner, vénérer ou détester les milliers de conneries que quarante ans de vie publique lui auront fait proférer, mais c’est sur le terrain politique qu’il faut porter le fer. Pas ailleurs. Bien sûr, la moraline injectée à haute dose dans le corps politique français depuis qu’il a été établi que les hommes publics valaient moins que les filles du même nom égare bien des esprits. Mais au fond, le pognon de Kouchner, on s’en balance. Qu’il se soit fait 800 000 euros serait même assez décevant et, pour tout dire, gagne-petit pour un consultant de sa trempe. Ce qui importe, c’est que Kouchner reste Kouchner : le représentant d’une bonne conscience internationale qui serait beaucoup moins drôle de dénoncer s’il n’existait pas.
Et puis, last but not least, quand sonne l’hallali, chacun serait bien inspiré d’aller manger son quignon dans un coin. Non pas que l’odeur de la chair humaine révulse – personnellement je n’y ai jamais goûté. Mais une vieille prévention devrait nous dissuader de bouffer notre semblable dès qu’il se présente à nous. On naît cannibale ou pas.
Vatican 2.0
Benoît XVI qu’on croyait archéo, serait-il spécialiste de la bulle médiatique ? Que n’a-t-il fait en levant l’excommunication qui pesait sur les évêques ordonnés par Mgr Lefèbvre ! Incarnations absolues du Mal, au même titre que les Gremlins ou Freddy Krueger, ces quatre guérilleros mitrés et crossés semblaient bien décidés à ne jamais franchir le Rubicon séparant Econe de Rome, tant que l’Eglise n’accepterait pas de remettre la télé en noir et blanc. Honnis par certains, vénérés par d’autres, ces prélats à la nuque raide finissent par se demander s’ils ne sont pas en train de gagner leur combat pour « La Tradition » et tous les autres mots qu’ils écrivent avec une majuscule. En une petite semaine, Williamson est passé du néant à la couv’ de Libé. Un peu de patience et on le verra chez Drucker.
En attendant, dans les médias et plus spécialement sur le net, c’est baston générale. Chacun y va de sa petite opinion sur l’œcuménisme, la réforme liturgique, l’autorité du Magistère, ou encore la longueur du manipule. Les intégristes de la Loi de 1905 ne sont pas les derniers à se lancer dans la bataille. Sans peur et sans reproche, ils se drapent de laïcité, évoquent Voltaire qu’ils n’ont pas lu, prophétisent à l’envi un retour à l’obscurantisme, et finissent par se lasser eux-mêmes de leur bêtise. Enfin, pas toujours, malheureusement…
Bien sûr, la fête ne serait pas complète sans les vaillants défenseurs de la Vraie Foi Catholique de Toujours (bien penser aux majuscules !). Refusant encore de sortir leurs cerveaux du congélo dans lequel ils les ont rangés après Vatican II, ils brandissent quelques bribes de bulles papales moyenâgeuses comme autant de fatwas. De « la communication des idiomes » à « l’apocatastase », ces scholars en scolastique agitent quelques grigris conceptuels mal digérés, nuages de poudre jetés aux yeux des boy-scouts qui les admirent. Et dans cette mouvance traditionaliste, les Pidistes[1. Fidèles de la mouvance lefèbvriste (Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X).] passeraient presque pour des timorés, à côté de leurs camarades sédévacantistes, qui, eux, en plus de prétendre que la « secte conciliaire » (comprenez « l’Eglise Catholique ») est contrôlée par le lobby luthéro-trotsko-judéo-maçonnique, ajoutent que le contrat de travail de Joseph Ratzinger n’est pas valide. Manquerait plus qu’ils en appellent à l’Inspection du Travail !
Bref, j’ai comme l’impression que le pape Benoît XVI aurait fait couler moins d’encre s’il s’était fait surprendre dans une discothèque d’Ibiza devant un rail de coke.
Les Playmobil en deuil. Bien fait pour eux
L’inventeur des Playmobil est mort à l’âge de 79 ans. Il s’appelait Hans Beck, était allemand et a eu, hélas, le temps d’en commercialiser plus de deux milliards depuis 1974, date de la mise sur le marché de la première figurine. Rappelons que les Playmobil, hauts de 7,5 centimètres, ont un éternel sourire plaqué sur le visage, une différenciation sexuelle approximative et des mouvements limités à la possibilité de courber l’échine. On a beau les avoir déguisés en peaux-rouges, en chevaliers ou en cosmonautes, (une série Gay Pride était en préparation), il n’en demeure pas moins qu’ils sont les principaux agents d’un vaste plan de soumission des enfants aux exigences des démocraties de marché. Leur apparition, comme par hasard, date du premier choc pétrolier, qui allait bouleverser les rapports de production. Muets, béats, flexibles, soumis, les Playmobil symbolisent à merveille le rêve patronal d’une main-d’œuvre qui a enfin perdu sa conscience de classe. Ils vont, malheureusement, survivre à leur créateur.
Il est minuit, docteur Kouchner
Lorsqu’un homme public est sous le feu médiatique, guetté par des snipers embusqués dans tous les recoins du microcosme politique, on est spontanément enclin à lui tendre la main, à lui offrir un refuge, au moins provisoire. La dégringolade d’un chouchou des sondages est un spectacle qui suscite cette joie mauvaise que les Allemands, fins connaisseurs, appellent Schadenfreude, un sentiment qui est l’exact inverse de la compassion dont Bernard Kouchner a été longtemps l’incarnation, version laïque.
Le tumulte provoqué par la publication du livre de Pierre Péan, Le monde selon K. ne crée pas une atmosphère propre à l’examen serein de l’action politique et du parcours de l’actuel ministre des affaires étrangères. On voit, comme d’habitude, se former les bataillons des « pro » et des « anti », la cabale et la contre-cabale, une occasion rêvée, pour certains, de régler de vieux comptes, qui avec Péan, qui avec Kouchner, Ockrent, parents et alliés.
N’étant lié ni matériellement, ni affectivement à aucun des deux principaux protagonistes de cette affaire, je n’en ai pas moins à me débarrasser de quelques préjugés subjectifs avant d’émettre un semblant de jugement.
Sur Péan : son anti-américanisme viscéral, sa haine d’Israël qui est allé jusqu’à lui faire écrire, après une enquête bidon, que des soldats israéliens avaient égorgé de leurs mains des Palestiniens à Sabra et Chatila, et d’autres écrits de la même veine me le rendent foncièrement antipathique. Et puis, faire profession de pitbull éditorial dans la sphère politico-médiatique témoigne d’une libido quelque peu perturbée.
Sur Kouchner : les quelques contacts personnels et professionnels que j’ai pu avoir avec lui me laissent l’image d’un homme chaleureux, plein d’humour, auquel on a vite fait de pardonner sa vanité, ses postures d’histrion et ses manies de jet-setter. De plus il a une fort jolie voix et une bonne mémoire lui permettant d’animer les soirées en reprenant les vieux chants staliniens de son enfance (La jeune garde, La Varsovienne, Notre Maurice a cinquante ans, etc.).
Mais, comme diraient les gens de justice : le dossier, tout le dossier, rien que le dossier, et laissons de côté l’enquête de personnalité pour nous concentrer sur les faits.
Dans les accusations portées contre Kouchner par Péan, il faut distinguer les critiques politiques, celles par exemple de son action au Kosovo, au Rwanda et au Moyen-Orient, de celles qui mettent en cause la moralité, et donc l’honneur d’un homme. Les premières, si elles sont légitimes dans le cadre du débat démocratique, peuvent et doivent être réfutées avec tous les arguments, et ils ne sont pas minces, qui peuvent être avancés en faveur de son action dans les diverses fonctions officielles qu’il a occupées.
Les autres mises en cause, celle sans lesquelles le brûlot de Péan serait passé aussi inaperçu que les pensums altermondialistes qui encombrent le catalogue des éditions La Découverte, concernent les activités professionnelles de Kouchner quand il n’est ni ministre, ni fonctionnaire international. Est-il bien convenable de se faire missionner par Total pour certifier que le pétrolier français n’utilise pas le travail forcé en Birmanie ? De ne reverser les sommes perçues à cette occasion à des associations humanitaire qu’après un concert de protestations des ONG de défense des droits de l’homme ? Est-il prudent, sinon moral, lorsque l’on souhaite poursuivre une carrière politique, de s’acoquiner, moyennant finances, et pas qu’un peu, avec des personnages comme Omar Bongo et Denis Sassou Nguesso ?
N’est pas Talleyrand qui veut ! Si l’ombre du diable boiteux plane encore sur le Quai d’Orsay, l’art de mêler le génie diplomatique à la corruption la plus effrénée ne peut se déployer que dans des régimes où les libertés publiques, celle de la presse notamment, sont réduites à la portion congrue.
Bernard Kouchner a beau protester de la parfaite légalité de ses activités, ce que Péan ne conteste pas, il reste qu’elles écornent passablement son image de défenseur intransigeant des droits de l’homme, qui lui vaut son crédit politique et sa popularité inoxydable dans l’opinion. L’argument de l’étanchéité entre ses activités de consultant et celles de ministre ne résiste pas à l’examen détaillé du dossier.
Le personnage central de cette affaire, en dehors de Kouchner, est Eric Danon. Enarque, il entre au Quai d’Orsay à sa sortie de l’école. Il estime cependant au bout de quelques années que le département ne lui offre pas de poste à la mesure de ses talents. Il se met alors en disponibilité et rejoint l’entreprise familiale, Imeda, spécialisée dans le conseil et l’ingénierie dans le domaine de la santé. C’est dans ce cadre qu’il confie à Kouchner l’exécution de contrats signés, entre autres, avec le Gabon et le Congo. Bernard n’est pas un ingrat. Une fois nommé ministre, il rappelle Danon au Quai et le nomme ambassadeur à Monaco, une mesure de faveur au regard des usages de la maison : il est de tradition, en effet, de n’affecter dans la Principauté que des diplomates chevronnés, et non pas quelqu’un dont c’est le premier poste d’ambassadeur…
« Un peu plus de bouteille lui aurait sans doute évité d’envoyer des lettres de rappel de créances à Omar Bongo à partir du fax de l’ambassade de Monaco », nous confie un haut diplomate. Cette bévue lui vaudra son rappel de Monaco et sa nomination comme ambassadeur à la conférence du désarmement de Genève. Cette « sanction » fait une victime collatérale : Jean-François Dobelle, un diplomate compétent n’ayant aucunement démérité est débarqué pour faire de la place à Danon et se trouve depuis sans affectation. « Kouchner doit devoir beaucoup de choses à Danon pour le cajoler de la sorte », murmure-t-on alors dans les couloirs du ministère…
Sans la protection du ministre, l’affaire des fax à Bongo aurait en effet valu à Danon une mise au placard sans appel. Dans sa réponse à Péan publiée dans le Nouvel Obs, Kouchner déclare que le cas Danon va être examiné par le comité d’éthique du ministère, celui qui a été mis en place après que deux anciens hauts diplomates, Serge Boidevaix et Jean-Bernard Mérimée avaient été pris la main dans le sac d’affaires aussi louches que juteuses avec feu Saddam Hussein. Est-ce le prélude au sacrifice d’Eric Danon pour sauver le soldat Kouchner ? S’il en était ainsi, je crois que je serais triste de voir le prince charmant se transformer en crapaud.
Secrets médicaux
L’actuel ministre des Affaires étrangères est-il un danger pour la diplomatie française ? Oui, répond sans ambages Pierre Péan dans Le monde selon K. (Fayard). Pas seulement parce qu’il a plus souvent qu’à son tour fait passer ses intérêts personnels, professionnels ou familiaux avant les devoirs de sa charge. Mais aussi, et peut-être surtout, parce que le sens de notre politique étrangère est brouillé par son bellicisme en tenue de camouflage humanitaire.
Aucun doute, Péan met les pieds dans le plat : évoquer la face cachée de Kouchner, c’est s’en prendre à une vache sacrée, à la personnalité préférée des Français, c’est s’attaquer à un quasi-intouchable, à peine fragilisé aux yeux du peuple de gauche par son passage à l’ennemi avec armes et bagages en 2007. Jamais Le Monde, Libé ou L’Obs n’ont affublé Kouchner des oripeaux du traître de série B. Or, son parcours politique est exactement le même que celui de l’abominable Eric Besson, on peut se demander pourquoi.
Péan ne s’en cache guère : il veut démasquer l’homme qui a fait des droits de l’homme un fonds de commerce et de la morale un faire-valoir, en montrant qu’en de nombreuses occasions (Somalie, Kosovo, Rwanda, Darfour) il a mis sous le boisseau la raison d’être de Médecins du Monde. Il dessine le portrait d’un civil honteux, comme fasciné par l’armée, l’action militaire, la guerre (notamment au Kosovo) voulant ériger en doctrine intangible le droit d’ingérence, qu’il soit humanitaire ou autre.
Depuis les bonnes feuilles publiées dans Marianne, on se doutait bien qu’on allait parler beaucoup d’Afrique, terre nourricière de nos plus belles affaires politico-financières. Et de fait, c’est le continent de prédilection du héros de ce livre. Comme c’est le noyau dur de ce qui devient sous nos yeux « l’affaire Kouchner », nous examinerons les accusations de Péan dans le détail.
Dans un chapitre baptisé « L’Afrique, le fric », Péan explicite comment Bernard Kouchner a monté des partenariats pas toujours désintéressées avec certains pays d’Afrique, dans le domaine du conseil en santé publique. En 2002, il co-fonde le GIP Esther (Ensemble pour une solidarité thérapeutique hospitalière en réseau) censé être « un outil d’intervention de la France dans le cadre de sa politique d’aide au développement en matière de santé ». D’après l’auteur, c’est par le biais de Dominique Ambiel (voisin des Kouchner-Ockrent en Corse et intime de Jean-Pierre Raffarin) que Kouchner parvient à se faire nommer président d’Esther le 22 novembre 2003. Six semaines plus tard, le 8 janvier 2004, Bernard K crée BK consultants, une officine de conseil en santé publique. D’un côté le patron d’Esther peut distribuer des subventions, que le patron de la société de consultants pourra aider à dépenser de l’autre… Premier mélange des genres ; pas le dernier…
Le 1er juillet 2004, Péan relève la première trace d’une intervention de Kouchner en Afrique comme consultant privé : au Gabon pour la création d’une Sécurité sociale. Via un audit confié à Imeda, la société d’Eric Danon, un homme de sa garde rapprochée, laquelle est liée à la société d’études Africa Steps de Jacques Baudouin, un autre kouchnérien historique. Péan semble ne pas penser qu’il s’agit là de simples coïncidences et affirme que Kouchner est intervenu pour le compte d’Imeda au Gabon (budget : 2,6 millions d’euros) ainsi qu’au Congo.
En mars 2007, juste avant la présidentielle, le même Kouchner est présent avec le président d’Imeda pour la signature de deux contrats au Congo : une étude sur le système de santé au Congo et une étude sur la réhabilitation du CHU de Brazzaville. Contrats signés à l’ambassade de France, en présence de l’ambassadeur.
Le 18 mai 2007, qui vous savez est intronisé au Quai ; dans la foulée, Jacques Baudouin est nommé responsable de la presse au cabinet du ministre.
Trois mois plus tard, le 8 août 2007, ledit ministre fait nommer le patron d’Imeda, son ami Eric Danon, ambassadeur à Monaco. Et là, pour Péan, les choses deviennent vraiment graves : « Dans les jours qui précèdent son entrée en fonction, le nouvel ambassadeur, qui n’oublie pas qu’il est toujours patron d’Imeda, fait feu de tout bois pour faire honorer les factures impayées émises par la société. » Notamment, selon Péan, une facture de 817 000 euros.
Le 25 mai 2007, le ministre K profite de la première visite d’Omar Bongo à Paris pour lui rappeler ces factures impayées. Péan avance pour preuve un fax que Danon aurait passé au TPG du Gabon le 3 août 2007, expliquant « nous avons reçu le mois dernier de son Excellence le chef de l’Etat l’assurance que notre dernière facture serait rapidement honorée ». Le 11 mars 2008, le solde est versé à Imeda par le Gabon. Happy end, donc, n’eût été le vilain délateur Péan.
Cette hyperactivité n’est pas sans provoquer quelques dommages collatéraux. Pour Péan, l’éviction de Bockel du secrétariat d’Etat à la Coopération est directement liée aux relations entre Imeda et le président du Congo : Denis Sassou N’Guesso aurait réclamé une participation de la France au financement de la rénovation du CHU de Brazzaville. Bockel l’aurait envoyé balader, avant d’annoncer la fin de la « Françafrique ». Résultat, la Françafrique continue, mais l’impétueux Bockel est débarqué le 19 mars 2008.
En résumé, Péan considère qu’il y a manquement grave à la loi en raison du conflit d’intérêt entre Esther et ses sociétés « amies » pour lesquelles Kouchner a été à la fois consultant privé et bailleur de fonds publics.
Voilà donc les accusations que Bernard Kouchner aurait pu réfuter point par point cet après-midi, après avoir été interpellé par Jean Glavany. Il n’en a rien fait (hormis sur l’épisode Bockel), se contentant essentiellement d’affirmer qu’il avait payé ses impôts, et de proclamer que tout ce qu’il avait fait durant ces quarante dernières années, il l’avait fait au nom du bien et de la morale et que donc l’attaquer lui, c’était attaquer toutes les victimes qu’il avait passé sa vie à secourir.
Pour ceux qui n’auraient pas encore bien compris cette automédication de choc à base de moraline, clarifions-la : acheter le livre de Péan, c’est se rendre complice de crime contre l’Humanité, partout où Bernard K a sauvé l’humanité au Rwanda, en Somalie, au Darfour, en Bosnie.
Pour être encore plus clair, notre ministre a, dans sa conclusion, implicitement accusé Péan d’antisémitisme. Comme rien, mais absolument rien dans ce livre, ne vient étayer cette infamie, on en déduit que si Me Kiejman et son client recourent à de telles extrémités, c’est que l’heure est grave : il y a le feu dans la maison Kouchner.
Le docteur K.

Médecin et explorateur de la fin du XIXe siècle, le docteur K. fut très vite reconnu comme l’un des plus grands philanthropes de son temps. La postérité lui chanterait encore des péans si un olibrius tel que Louis Pasteur n’était pas venu lui voler la vedette, en mettant au point des procédés prophylactiques aussi douteux qu’inutiles. Pas rancunier, le docteur K. ne souffrit pas de cette situation. Il avait même pris l’habitude de répondre à ceux qui évoquaient ce douloureux sujet : « Moi, les affaires de Pasteur, je veux pas m’ingérer. » Pourtant, c’est grâce à ce génie trop méconnu que les dispensaires gabonais furent équipés du chauffage central dès le début des années 1880. Le peintre représente ici le docteur K. à sa table de travail, en train de mettre la dernière main à son célèbre mémorandum : De la nécessité de convaincre les Gabonais de porter des moufles, une écharpe et un bonnet. A la fin de sa vie, déçu par ces Africains qui refusaient obstinément de s’habiller chaudement, il abandonna la médecine pour se lancer dans le négoce de riz.
J-D Levitte, Portrait du docteur K., huile sur toile, 1891, conservée dans le hall d’accueil de Radio France International.
Liberté d’expression soleil couchant
La liste semble interminable. On ne saurait par qui commencer. Les caricatures danoises, Pétré-Grenouilleau, Siné, Vanneste et tant d’autres. Et bientôt, après un reportage de M6 sur le phénomène de mode déjà dépassé du Jumpstyle (ou comment sautiller en boîte de nuit et impressionner quand même les filles) et sa récupération par des néo-nazis du nord de la France, Lonsdale. La marque de vêtement hein.
D’ailleurs, ces histoires vestimentaires deviennent impossibles. Cela fait maintenant quelques années que porter du Lacoste ou du Burberry est devenu atrocement connoté. Des manifestations se sont tenues en Allemagne devant certaines boutiques de marques accusées de sympathie avec l’extrême droite. Sans parler de certains vendeurs de chaussures pour caciques socialistes devenus par là infréquentables.
Mais je m’égare. Vous l’aviez compris, il sera question de la liberté d’expression. Mais un autre point commun rassemble toutes les affaires citées précédemment. Aucune d’entre elles n’a débouché sur une condamnation. Qu’il y ait eu relaxe ou que la plainte soit retirée. Certains n’ont pas eu cette chance. Je pense à celui qui avait eu l’idée d’appeler feu Grégory Lemarchal de la Star Academy du nom de sa maladie, la mucoviscidose. Ou à Dieudonné. Voire aux mongoliens de Patrick Timsit où tout est bon, sauf la tête. Comme les crevettes, ajoutait-il. Blague dont il ne s’est jamais vraiment remis. Depuis je suppose qu’il doit beaucoup donner chaque année pour le téléthon.
Mais je m’égare encore. Il y a quelques semaines, un avocat n’a pu s’empêcher, après que la Cour de Cassation s’était prononcée en faveur du député Vanneste, d’avancer que cette décision semblait « relever d’un autre âge ». Personne n’a véritablement relevé l’expression qui, certes, n’est pas d’une folle originalité. Mais se révèle redoutablement exacte. Après tout, en première instance comme en appel, Christian Vanneste avait été condamné sans férir ni faiblir.
Aujourd’hui, dans un pays laïque doté d’une vieille tradition anticléricale, la pointe extrême de la liberté d’expression ne réside presque plus que dans le seul blasphème. Et encore. Redeker sait ce qu’il en est en pratique. Theo van Gogh aussi. Autant dire qu’elle n’existe plus. Et que seule demeure cette survivance historique laïcarde qui permet à Siné de croire qu’il use de sa liberté d’expression quand il tape sur les curés.
Malheureusement, ce dernier pan de notre liberté d’expression qui n’est nullement protégée comme aux Etats-Unis ne saurait résister au processus d’accomplissement final de nos démocraties modernes. C’est à dire la mise à égalité devant la loi de tout. Et de tous. Tendance lourde qui se double d’une exigence impérative de vivre-ensemble. Et, pour cela, il convient de protéger toutes les différences, tous les choix, toutes les inclinations. Qui sont autant de dignités que le mâle hétérosexuel blanc – qui peuple encore trop nos campagnes – doit apprendre à honorer.
Ainsi les journalistes font mieux ne pas retranscrire les propos racistes entendus lors de manifestations, les comiques sont invités à prendre exemple sur les sketchs de Gad Elmaleh, les sociologues ne sont que mollement soutenus quand ils s’en prennent à l’islam et les élus se doivent de célébrer les différents penchants sexuels de leurs administrés. Quant à ceux qui ne jouent pas le jeu du vivre-ensemble, ils risquent l’ostracisme médiatique. Sans parler du fameux « stage de citoyenneté » qui peut-être prescrit d’office par le juge, depuis 2004, aux plus récalcitrants.
Ces procès gagnés, que ce soit celui de Charlie Hebdo ou de Siné bientôt, maintiennent bruyamment l’illusion que la liberté d’expression n’est pas un mot vide de sens en France. Certes, nous pouvons toujours fustiger Sarkozy à longueur de journée, nous amouracher de Julien Coupat et nous indigner des propos du Pape. Mais pour le reste il convient souvent de s’y adonner en petit comité.
Elisabeth Lévy parlait du « charme de l’interdit ». Accordons-en le bénéfice à Siné.
La voiture du général est avancée
Même plus ou moins démentie par Citroën, l’annonce du retour de la DS m’a rempli de joie. Il y a d’abord les doux souvenirs de mon enfance israélienne : moments de bonheur dans la DS 21 de notre voisin le vétérinaire, qui avait fait ses études à Toulouse dans les années 1950 et qui, depuis, avait enchaîné les autos aux chevrons, histoire de payer sa dette vis-à-vis de la France qui était pour lui, bien entendu, beaucoup plus importante que la seule valeur de sa bourse d’études. Et qu’est-ce qu’il a été fier, le docteur M., de sa berline à suspension hydraulique ! J’avoue que moi aussi, grâce à cette DS, j’étais fier d’être son voisin et l’ami de son fils. Oublions pour un moment le blabla des communicants de PSA. La DS, comme son nom l’indique, est beaucoup plus qu’une voiture. Cet OVNI représente quelque chose que, d’après Balzac, je qualifierai de « ce je ne sais quoi de d’élitisme sûr de lui » – ce n’est pas une machine mais une certaine idée de la France. Tout le problème est là : contrairement au modèle des années 1960, au volant de cette nouvelle DS technologiquement supérieure, il n’y a plus personne.
Ils sont partout !
L’antisem, l’anti-antisem, Causeur en a ras la casquette. 93,7 % de l’espace public en est saturé, on n’en peut plus, ça suffat comme ci. Voilà mille ans que je et d’autres le pensent, la Lévy s’y met et pourtant ça ne va pas s’arrêter là, le four va continuer à chauffer, chauffer.
Il lève le doigt et il demande, pourquoi ? Pourquoi qu’on ne parle que d’eux, en bien, en mal et en voiture ? Prenez Obama, s’il y en un qui n’a rien à voir avec tout ce binz c’est bien lui, le pauvre. Pas un arrière-arrière petit cousin qui le soit. De ce côté-là, blanc comme neige l’Obama, innocent comme l’innocence. Fouillez ses origines, depuis Adam, pas une kipa à se reprocher. Un type, comment dire… normal. Eh bien, vous le croirez ou pas, ils l’ont embringué. La première à le détecter à Chicago c’est une Esther Goodman (un nom de ce genre). Elle a alerté son pote David Axelrod, prospère négociant en politique qui a pris par la main le nationaliste noir surdoué jusqu’à la Maison Blanche. Ajoutez-y Rahm Emmanuel, sous-officier à Tsahal en cas d’urgence, fils d’un sectateur de l’Irgoun, aujourd’hui numéro deux à Washington et vous n’en aurez pas fait le tour. Ils pullulent autour d’un Barack Hussein qui dans sa jeunesse devait mettre Ben Gourion et Goering dans le même sac. Alors là, une supposition, vous êtes un Français normal ou un Arabe ou un Patagon, vous vous grattez la tête. Ok, chez vous, pas un virus d’antisem visible au microscope, mais, ne me dites pas, y a un lézard. Pourquoi eux et pas les Arméniens, les Finlandais, les Gitans ? Pourquoi eux ? Toujours eux ? Forcément, ça jase.
Les intellos dans ce pays, on les ramasse à la pelle. Universités, journaux et éditeurs ne savent plus qu’en faire. Mais au podium, ils ne sont que trois : BHL, médaille d’or, Finkielkraut et Gluksmann. Il aurait pu y en avoir un qui ne le soit pas. Il aurait pu… mais tous les trois le sont. Coïncidence ? On ne relève pas mais on tousse.
Notre diplomatie ? Rien de plus vieille France, n’est-ce pas ? Deux hommes à la barre. L’un, le président, l’est par la mère, l’autre, le ministre, par le père. Et je vous dis pas aux échelons inférieurs.
DSK ou Fabius auraient pu se trouver face à Sarko en 2007. Vous voyez le spectacle avec El Kabbache intervieweur ? Et Madoff ? Et le procès du Sentier. Et tous ces mafieux réfugiés à Tel Aviv ? Je ne vais pas vous infliger l’annuaire de la juiverie, ce serait limite équivoque et franchement de mauvais goût. Mais l’annuaire, ne vous la racontez pas, ils l’ont tous en tête. Et quand je dis ils, je pense vous, et malheur à moi, je pense moi. Le mauvais goût étant la chose au monde la mieux partagée, vous imaginez un peu tout ce que les gens ruminent, tout ce qu’ils se gardent pour eux. Je serais les gens, je bouillerais.
Dieu n’existe pas mais, grâce à Dieu, Israël existe. C’est un Etat comme un autre, non ? On a bien le droit de le « critiquer », non ? Un gouvernement criminel, assassin d’enfants, de vieillards, de femmes. Les faits sont parfaitement documentés, établis par la Croix-Rouge, des Israéliens honnêtes le reconnaissent eux-mêmes. Cet Etat doit être mis au ban des nations, ses dirigeants et ses soldats sanguinaires trainés devant les tribunaux et justement châtiés.
Israélites et Israéliens (appelez les comme vous voudrez, moi je confonds toujours) aiment Israël. Ils ne devraient peut-être pas mais les sentiments, vous savez, c’est comme la bandaison, ça ne se commande pas. Ils trouvent que les Autres y vont un peu fort. Les Autres y voient complicité pour ne pas dire collusion criminelle. Rien de plus logique.
La Russie a arraché à la Finlande, en 1945, la Carélie, le cœur sacré de la nation. Tous les Finlandais ont été expulsés de cette région peuplée désormais exclusivement de Russes. Vous avez entendu parler de la Carélie ? La Finlande est devenue un modèle de modernité (Nokia) et ne veut à aucun prix récupérer la Carélie même si on lui en fait cadeau. Trop de Russes. L’Azerbaïdjan musulmane a été amputée du quart de son territoire, le Nagorny-Karabakh au profit de l’Arménie en 1993. Tous les Azéris ont été virés. Vous situez le Nagorny-Karabakh ? Les Chinois ont barboté à la Malaisie musulmane la région de Singapour et en ont fait un pays somptueux. Les Malais n’ont eu qu’à s’en féliciter et ont tiré profit de l’essor singapourien. Un problème ? On peut recenser deux, trois douzaines de Palestine rien que sur notre planète. Aucune ne bouleverse les cœurs. Seul le mouchoir qu’ont investi les juifs (sûrement à tort), s’est incrusté sur la conscience universelle comme un meurtre déicide. Pas une âme qui n’ait son opinion sur la question, une opinion raisonnable : les juifs sont des tueurs d’enfants, chaque jour est là pour le prouver. On ne rappelle pas leur antique tradition infanticide, ce serait malpoli. Ce qu’on reproche à l’Etat juif, ce n’est pas d’être un Etat, c’est d’être juif.
Freud avait tout compris : le problème c’est le refoulement. L’antisémitisme hantait depuis des siècles l’esprit européen. S’il n’avait pas mal tourné avec Hitler il prospérerait encore, n’en doutez pas. Après les procès de Nuremberg, il est devenu délinquant, déshonorant écrivait Bernanos. On n’a tout simplement plus le droit d’être antisémite, vaut mieux être pédophile qu’antisémite. Et, effectivement, il a disparu du paysage.
Sérieusement, vous croyez que ces choses-là s’envolent par magie sous l’effet du verdict d’un tribunal mal embouché ? Matériellement, physiquement impossible. On l’est mais on ne veut pas l’être et on croit vraiment qu’on ne l’est pas donc on ne l’est plus mais on le reste et, pour traiter ce syndrome, depuis le décès du docteur Sigmund, la médecine de qualité se raréfie. Ne vaudrait-il pas mieux laisser les gens lâcher ce qu’ils ont sur le cœur. Plutôt que de m’accuser d’avoir égorgé mille trois cents mouflets en trois semaines, qu’ils m’assènent franco : Ta gueule ne me revient pas, casse-toi tu pues. Là, il y a de quoi causer. Peut-être qu’on n’arrivera pas à s’entendre et qu’il me faudra aller voir ailleurs si j’y suis, mais au moins je saurai pourquoi. La dernière fois que, pour le même motif, j’ai eu à m’expatrier, je n’y ai rien compris. Cette fois, on vit en démocratie, j’aimerais mieux qu’on s’explique. Pour le plaisir de la conversation.


