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Israël, la balle au centre


Israël, la balle au centre

Il y a quelque chose de nouveau dans la vie politique israélienne : le centrisme est né. Après trente ans de bipolarité, la survie du parti Kadima comme deuxième formation politique israélienne ouvre de nouvelles perspectives : pour la première fois depuis des décennies, Israël pourrait, à l’issue des élections, être gouverné par une coalition dont le centre de gravité ne sera ni à gauche ni à droite. Une alliance entre Kadima, le parti travailliste et le Likoud pourrait réunir le soutien d’au moins 70 députés sur les 120 que compte la Knesset. Or, les sondages montrent régulièrement qu’une solide majorité d’Israéliens est prête à sauter le pas et à s’attaquer à la question des colonies. La nouvelle donne politique tripartite permettrait de traduire cet assentiment plus ou moins enthousiaste en majorité parlementaire après les législatives du 10 février.

Le glissement vers le centre de l’électorat israélien est clair et net. Aux élections législatives de 1981, apogée de la bipolarisation de la vie politique, le Likoud dirigé par Begin avait recueilli 39 % des voix, presque à égalité avec les prédécesseurs des actuels travaillistes dont la tête de liste était Pérès. Ensemble, les deux formations avaient donc la confiance de quatre électeurs sur cinq. Un quart de siècle plus tard, la méfiance à l’égard des partis de gouvernement était telle que le Likoud, avec son score de 10%, et les travaillistes avec 15,8 % des voix, étaient en miettes tandis que Kadima, que l’exercice du pouvoir n’avait pas encore abimé – bien qu’il fût composé de rescapés de ces deux formations – recueillait 24 % des suffrages. Mais même en additionnant les bulletins de votes, ces trois partis n’étaient pas parvenus à séduire plus de 50 % des électeurs. Cette fois-ci, les sondages créditent la troïka d’un score avoisinant les 60 % (Likoud 26 %, travaillistes 15 % et Kadima 19 %).

Ce n’est pas tant l’émergence de Kadima que son ancrage dans le paysage politique qui constitue une rupture majeure. Kadima n’est pas le premier « parti de l’espoir » : on a déjà vu par le passé d’autres formations faire irruption dans le ciel de la politique israélienne comme des météores et obtenir un bon score. En revanche, Kadima a été la première à pouvoir diriger tout de suite un gouvernement et, ce qui est plus important encore, à ne pas se désintégrer et disparaître avant les législatives suivantes. Même si les sondages sont loin d’être infaillibles, ce scénario est aujourd’hui très peu probable et le parti créé par Sharon pour permettre le démantèlement des colonies à Gaza pourrait devenir, avec environ 20 % des suffrages, le deuxième du pays.

Le sens politique profond de ce phénomène est que, pour la première fois en Israël, pour gouverner et se maintenir au pouvoir dans la durée, le centre est une véritable option stratégique. De plus, il n’est pas seulement un vivier d’intentions de vote mais une formation politique mûre, un parti de gouvernement avec un bilan qui, même s’il est loin d’être glorieux, le positionne comme une alternance crédible aux yeux de pas mal d’électeurs. Une coalition stable qui ne sera ancrée ni à gauche ni à droite est donc possible. Ainsi, les projets à courte vue de la politique, des échéances électorales, motions de censure et votes de budgets, pourraient enfin se synchroniser avec les projets à long terme de la géostratégie : le règlement du conflit avec les Palestiniens et les Syriens, la consolidation de l’alliance vitale avec les Etats-Unis et l’assainissement des relations avec l’Europe et le reste du monde. Pour parler clair, les conditions politiques nécessaires pour permettre à Israël de s’attaquer sérieusement à la question des colonies de peuplement sont maintenant réunies.

Chef d’un parti qui deviendra très probablement le plus grand après les élections, « Bibi » Netanyahu pourrait facilement former une coalition classique avec les partis de droite, mais celle-ci ne peut accoucher que d’un gouvernement dépourvu de toute marge de manœuvre politique. Autrefois, il n’aurait pas eu d’autre choix, dans la nouvelle configuration qui sortira des urnes, d’autres options pourraient être ouvertes, en particulier celle d’une « grande coalition » Bibi-Barak-Livini. Et après tout, au-delà des apparences, la rupture ne serait pas si grande. Depuis qu’il est devenu en 1977 un parti de gouvernement, le rôle historique du Likoud aura été de légitimer et d’imposer les solutions conçues et envisagées par les courants pragmatiques du sionisme après avoir gagné des élections en promettant bien entendu le contraire. Pour la première fois depuis longtemps, un leader de la droite israélienne pourrait regarder ses électeurs dans les yeux, leur dire « je vous ai compris » et puis faire comme qui vous savez.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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