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Rapophobe, moi ? C’est rapé !


Rapophobe, moi ? C’est rapé !

Mon papier Les sept péchés capitaux du rap français a fait beaucoup causer. Ici même, bien sûr mais aussi sur Marianne2 qui a eu l’excellente idée de le publier en « une », et sur une flopée d’autres sites. Quand je dis causer, c’est surtout en mal, voire pire. En répondant à l’un d’entre eux, publié sur Abstrait-concret.com j’espère aussi répondre un peu à tous. Enfin à tous ceux qui savent lire.

Cher Abstraitconcret,
J’aurais pu ne pas te répondre, ne serait-ce que parce que tu me conseilles, dès le titre de ton article de fermer ma gueule. Mais bon, je vais l’ouvrir. Parce que j’aime la chicaya ; parce que j’ai traîné sur ton site et que je sens chez toi une saine colère : ta véhémence contre ma « bouse » ne me rebute pas, au contraire – j’ai écrit cent fois pire quand j’avais l’âge que je t’attribue au doigt mouillé ; et puis, bordel, parce que tu écris aussi que Causeur « incarne une frange noble de la pensée et du savoir webistique français » et qu’un tel compliment me fait rougir de plaisir, fût-il maladroitement troussé et dussé-je le partager avec Elisabeth et une dirty dozen d’autres Causeurs. Et puis parce que tu me permets aussi de préciser ma pensée, même si nombre de tes lecteurs, des miens et de Marianne2 nient son existence.

Au fait, maintenant. Usuellement, on reproche à ses contradicteurs de n’avoir pas lu l’article jusqu’au bout. Toi c’est différent, il semblerait que tu n’aies pas attentivement lu le début, et donc mal entrevu l’endroit précis où je voulais mettre le doigt, là ou ça fait mal, là d’où il faut faire sortir le pus. Que disait le chapeau de mon article ? « Le Top 50 est rongé par les vers. De mirliton. »
Mon constat portait donc sur l’art de mimer la rebellitude avec des mots, des syntaxes et des concepts pompés sur une rédaction de branlotin acnéique. Bref, mon papier porte sur ce que nous dit le rapport fond/forme si j’y parle de rap, et pas de Cali, de Lorie ou de pseudo-R’B hexagonal et autres marchandises pour collégiennes à string apparent, c’est que les paroles de ces pensums, toutes débiles qu’elles soient, n’ont pas de vocation sociale et n’étaient donc pas du ressort de mon épuisette. Car comme qui dirait c’est ce télescopage entre abstrait et concret qui fascine dans ces sept perles piochées dans le worst of des dix dernières années du rap français[1. Et non pas 30 ans comme tu dis, ni même 20, on ne va pas aller déterrer Sidney ou Chagrin d’amour, quand même…]. Ce qui en dit long dans cette affaire c’est quand Diam’s, Booba ou Rohff, se la pètent Mike Tyson avec les rimes de Sheila, les périphrases de Lara Fabian et la pensée du président Cauet. Quand en colligeant ces quelques textes j’ai vu qu’I Am avait osé écrire, pour bien montrer que l’affaire était très grave : « Ce sont des PDG, ils siègent à l’assemblée. Peut-être même que pour eux vous avez voté » plutôt que le si banal Vous avez voté pour eux, je me suis dit, merde, Sully Prudhomme est revenu, et il n’est pas content : « Le vase où meurt cette verveine / D’un coup d’éventail fut fêlé ! » Yo man ! Tu le vois, l’Akhénaton, aborder un lascar des quartiers nord en lui disant « Est ce que l’heure tu pourrais me donner ? »

La politique, maintenant. Si j’avais voulu cibler, façon François Grosdidier[2. Député UMP de Moselle qui a tenté de sévir au Parlement pour encadrer légalement les textes de rap et qui pour se refaire la cerise songerait désormais à légiférer contre le blasphème, notamment anti-musulman. Pour sa dextérité passée au nunchaku, il méritera néanmoins notre respect.], je ne sais quelle anti-France, je n’avais qu’à me baisser pour trouver mon bonheur dans les lyrics de NTM, de La Rumeur, de Passi de MAP ou plus archéologiquement, dans Ministère Amer. Tous ces clients porteurs, t’es–tu demandé, cher A/C pourquoi ils étaient absents de ma playlist ? Tout bêtement parce qu’aucun d’eux n’écrit de préférence avec les pieds. Quand Ministère Amer a sorti Sacrifice du poulet, j’ai trouvé la démarche limite criminogène, mais le morceau rudement enlevé, et je le pense toujours. Absent aussi de mon pilori Abd Al Malik, parce qu’il a heureusement beaucoup plus d’inspiration que le nègre de Christine Albanel – et qu’icelle aussi, by the way. En écrivant, je passe en boucle son Paris mais. Ecriture ronde, rimes inattendues, ton plaisant, scansion parfaite, et autodérision en prime: c’est à mes yeux un morceau impeccable, même si idéologiquement gnan-gnan.

Ne cherche pas non plus dans cette liste d’infamie le «sulfureux» MC Jean Gab’1. Et pourtant, on a écrit beaucoup d’horreurs sur celui qui se qualifie lui-même de fossoyeur ou de nettoyeur. Et pour cause qu’il est pas dans la rafle : c’est en écoutant son gigantesque J’t’emmerde[3. Dans J’t’emmerde MC Jean Gab’1 autopsie un par un tous ceux qu’il accuse d’être les faux durs et les baltringues du rap français. On pourra s’interroger sur la pertinence de certaines cibles, mais sûrement pas sur la pureté ou la clarté du style. Pour les néophytes une bonne explication de texte est disponible sur Wikipedia.] que l’idée d’écrire sur le rap français m’est venue.

C’est sans doute à cause de cette parenté que ma purge a des odeurs de bouse. Mais quand on parle de Diam’s ou de Rohff, c’est normal que ça sente.



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De l’Autonomie ouvrière à Jalons, en passant par l’Idiot International, la Lettre Ecarlate et la Fondation du 2-Mars, Marc Cohen a traîné dans quelques-unes des conjurations les plus aimables de ces dernières années. On le voit souvent au Flore.

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