Rien ne va plus dans le camp Royal. Les preux chevaliers paladins de Ségolène, Vincent Peillon et Manuel Valls, reviennent dare-dare à Solférino. Les barons lyonnais, marseillais et bordelais se barricadent, boudeurs, dans leur fief. Et comble de malheur, on vient d’apprendre que le couple de rêve formé par la députée de Moselle et romancière Aurélie Filipetti et l’économiste vedette Thomas Piketty pratique la castagne conjugale comme de vulgaires quart-mondistes, et autres saltimbanques du show bizz… Comment ces deux modèles de promotion républicaine, jeunes, beaux et intelligents ont-ils pu se comporter de la sorte ? S’agit-il d’un phénomène endogène d’un couple trop mignon pour être honnête ? Ou bien le résultat de l’ambiance délétère que fait régner Ségolène dans sa maisonnée ? La brigade de répression de la délinquance contre les personnes, chargée d’instruire la plainte d’Aurélie contre Thomas n’est pas sortie de l’auberge rose !
Antoine, l’Auguste des Césars
Il est fringant. C’est le Fregoli de Banal+. L’âge n’a pas de prise sur son aspect physique. Toujours ce charmant visage de rongeur gourmand, la silhouette souple, l’insolence confortable, émoussée d’un clin d’œil. Le petit garçon bien tourné, que maman regarde avec fierté. La télévision le consacra. Producteur puis animateur de « Chorus », il gagna ensuite la plaisante image d’un « enfant du rock », à laquelle l’émission « Rapido » devait ajouter un débit vocal ultra-rapide, comparable au passage d’une formule 1 dans la ligne droite des Hunaudières. Bref, jeune homme bien né, il se fit une réputation légitime d’animateur doué, original. À Canal+, la chaîne des beaufs postmodernes, servie avez zèle par des petits marquis au museau poudré, il forma un duo, que la seule présence vraiment ébouriffante de José Garcia, rendait irrésistible. Mais il s’en lassa. Il chercha la reconnaissance, la consécration du cinéma. Fellini, Godard, Murnau, Bergman, c’était sa vraie famille.
Il commença par « faire l’acteur ». On lui offrit des rôles de comique léger. Il y était parfaitement anodin. Il s’essaya au registre dramatique. Il eut un certain succès dans L’homme est une femme comme les autres. Mais on voyait toujours en lui l’amuseur. Bah ! Tragediente, comediente, basta cosi ! Il serait réalisateur, comme Federico, comme Robert (Aldrich), comme Jean-Luc, mais surtout pas à la manière de Marius Leseur, ni de Jean Girault ! En 2001, il signe Les morsures de l’aube, adapté d’un roman de Tonino Benacquista. Nous vous recommandons vivement la lecture de cet excellent livre. Son dernier opus, consacré à la période « électorale » de Coluche, malgré le beau travail du comédien François-Xavier Demaison, n’attira même pas la clientèle des Restos du cœur. Ingratitude ? Coût de la place trop élevé ? Sens critique ? Enfin, ils ne vinrent pas… Antoine dissimula la déconvenue qu’aurait pu lui apporter l’insuccès de cette œuvre, au final nettement moins attendue qu’une lancinante et longue campagne de presse ne nous l’annonçait. Déjà, une nouvelle mission l’appelait ailleurs : préparer la fameuse soirée des Césars, diffusée par La chaîne du cinéma.
On sait que cette dernière gouverne les destinées du cinéma français et du festival de Cannes. Et sur quel mode ! Celui de la fête à neu-neu version chic, un grand bazar, une ambiance que les journaux féminins se plaisent à qualifier de « foutraque » et « décalée ». Sur une estrade où la Méditerranée joue les utilités à l’arrière-plan, tourne en permanence un manège aux vanités. Acclamés par les spectateurs, qu’une illusion fait paraître proches, mais qui demeurent, au vrai, encadrés par le service d’ordre et tenus éloignés par de solides barrières, les bateleurs habituels consument dans un brasier de dérision foraine les oripeaux d’Hollywood et des studios français. Canal+ «parraine» le festival, y impose ses manières, ses goûts, son organisation. À Cannes et à Paris, les salariés du dérisoire, lancés dans les rues tels des chiens de sang, en ramènent souvent de simples exemplaires d’humanité, dont ils se gaussent, avec, à la commissure des lèvres, un éternel sourire de satisfaction faussement contrite. Il semble de règle sur cet écran, à la suite des Deschiens de Jérôme Deschamps et Macha Makeïef, de montrer les « autres », les simples gens, comme des erreurs naturelles, des êtres moralement contournés, un cheptel toujours recommencé où l’on puise l’aliment d’une méchanceté facile.
Mais revenons à la soirée des Césars. Antoine de Caunes, silhouette fluide, impeccable dans son «black tie», y était maître de cérémonie. La France aurait-elle trouvé un remplaçant au regretté Jean-Claude Brialy ? Celui-ci, homme d’esprit, charmant compagnon mondain, mémorialiste brillant des acteurs disparus et des comédiennes défuntes, sans doute, parfois, affabulateur par admiration, incarnait cinquante ans d’élégance parisienne et de réussite cinématographique. Le jeune comédien sautillant servit avec un égal talent « la caméra de papa » et la Nouvelle vague. Mais Antoine de Caunes ? Brialy eut moins de succès lorsqu’il passa derrière la caméra. Comme Antoine de Caunes !
Cette année encore, la soirée fut interminable. Les heureux élus de la promotion 2009, qui, par ailleurs, manifestent volontiers le plus profond mépris pour tout ce qui est institutionnel et cérémonieux, et montrent une « rebellitude » de bon aloi, se comportèrent comme d’aimables et reconnaissants salariés d’une grande entreprise, auxquels on remet la médaille du travail. Deux films raflèrent les récompenses : un blockbuster français, Mesrine, et un film d’auteur, Séraphine. Entre les remerciements émus des unes et des autres, des comédiens interprétaient des saynètes indignes d’un patronage. Ce fut navrant de bout en bout. Emma Thompson y joua encore plus mal qu’à l’écran. De son côté, M. Auguste de Caunes soulevait à chacune de ses saillies, longuement répétées, préalablement écrites par une armée de scénaristes qu’on eut dit entraînée par Guy Carlier, les rires de la salle, conquise. Très critiquée l’année dernière, sa prestation fut unanimement saluée par la presse. Il reviendra donc.
Pour ce qui est de la mise en scène, Antoine de Caunes a confié un jour qu’il aimerait beaucoup porter à l’écran Le maître de Ballantrae, de RL Stevenson. De l’audace, toujours de l’audace !
Parlez-vous sabir ?
Je dois vous faire une confidence impudique, relevant presque de l’anecdote « de caniveau » (comme dirait le moraliste Thomas Piketty) : chaque après-midi je lis Le Monde. Chacun a son petit défaut inavouable. Et dans Le Monde daté du 5 mars, j’ai été frappé par un tout petit mot, utilisé par Sophie Landrin pour rendre compte du langage de l’individu qui a adressé des menaces de mort assorties de munitions d’armes à feu, à quelques cadors de la République : un sabir. « Un sabir confus et mal orthographié… » Lexique indigent, niveau ortho-syntaxique « collège unique », agressivité tendance « nouveaux publics » en ZEP, pardon en collèges « ambition-réussite ». Bref, voilà un sabir qui en dit déjà long sur l’ignominie du personnage. Jugez un peu ; l’individu menace crânement : « Vous voulez nous mettre au pas, en coupe réglée par vos amis et au bon vouloir du Roy », mais s’englue littéralement dans ses mots : « Nouveau centre FN et autres collabos centristes et socialos collabos ! » Voilà un vrai style de cochon anti-social ! Et ceci, ce n’est pas gouleyant comme une dissertation de normalien : « Le mépris total de vous envers le peuple nous impose d’agir dès maintenant. (…) Le dispositif de surveillance nous a permis de vous cibler, vous et les vôtres dans vos déplacements. Donc vous êtes ciblés et verrouillés. Vous êtes dans les starting blocs de la mort. » Typiquement le sabir d’un ennemi de la République qui veut supprimer Alain Juppé de la surface de la planète (quelle blague !). Mais le poète-lauréat sait atteindre des sommets quand il évoque l’homme dont il est certainement secrètement amoureux, Nicolas Sarkozy : « Sale hongrois digne de la pire figure du fascisme hitlérien qui aura le temps de méditer à l’état létal. » Du n’importe quoi. Même Julien Coupat se débrouille mieux. Un homme qui écrit aussi mal le français vient sans aucun doute de l’anti-France, des sous-couches obscures de la subversion la plus occulte, et peut-être même de l’inhumanité. Ces cris rejoignent les aboiements du chien ou les rires de la hyène.
Quelques pages plus loin je prends en pleine poire une assommante tribune de Bertrand Delanoë défendant sa vision du « Grand Paris ». Et là, le mot qui me vient immédiatement à l’esprit est « sabir ». Oui, mais un sabir de « pro », soupesé jusqu’à la moelle, politique. Couchés les clébards et les hyènes ! Langue de bois. Ecoutez-moi ces mots alignés pour ne rien dire, pour ne strictement rien signifier… Commencer une phrase comme ceci ne présage d’ailleurs rien de bon pour la suite du discours : « Conscients de l’ampleur de ces défis… » Ponctuer son texte de tics rhétoriques aussi énormes que celui-ci en dit aussi fort long : « Faut-il aujourd’hui aller plus loin ? Clairement, je réponds oui. » Et moi je réponds « Peut-être pas… » Et finalement une phrase de cet acabit montre bien que la langue confuse de Delanoë tend volontairement à être aussi insignifiante que celle du sinistre corbeau de la République : « Il faut imaginer collectivement les conditions d’une étape nouvelle, à partir de notre vision commune du XXIe siècle francilien. Et en déduire un instrument fédérateur qui coordonne, impulse et renforce ainsi les dynamiques nécessaires autour des vrais enjeux stratégiques. » Ne riez pas. C’est imprimé dans Le Monde du jour. À croire que le maire de Paris s’est offert un générateur électronique de langue de bois. De sabir.
Et encore, je vous épargne l’interview d’Edouard Balladur expliquant sa réforme des collectivités locales, avec autant de morgue langagière qu’un artiste contemporain convaincu qu’il doit vous « expliquer sa peinture ». Et je vous préserve aussi de la langue imaginée de Frédéric Mitterrand s’exprimant, dans le nouveau supplément culturel du Monde « M », sur sa mission à la tête du Palais Médicis… je vous garde de ses fulgurances creuses du genre « Je crois à la vertu de l’effort… » ou encore « La Villa n’a jamais rompu avec son destin ». Des mots, encore et toujours, qui parlent pour ne rien dire : « La France est une sorte de melting-pot culturel », « Je ne suis pas ici pour faire carrière », « Je pense aussi qu’il faut incarner la maison », « Il y a une juxtaposition parfaite entre la Rome antique et la Rome de Fellini… », « (les Romains) ont une vitalité incroyable », etc. Dire ce que l’on attend de vous, dire exactement ce qu’il convient de dire. Dire pour ne rien dire. Quintessence du sabir…
On en viendrait à penser que le quotidien du soir se nourrit de ces « sabirs »… de ceux qui le pratiquent occasionnellement et sans volonté de nuire à la langue de Molière, comme de ceux dont c’est le langage de travail, la langue maternelle, et la structure même de leur pensée. On aimerait rappeler ici une phrase de Nietzsche à ces délinquants de la langue française, qui (volontairement ou non) l’exploitent pour produire des discours vides et confus : « Vous troublez vos eaux, pour les faire paraître plus profondes… »
Schweitzer vs Kouchner
Rhena Schweitzer Miller, fille unique du docteur Albert Schweitzer, Nobel de la paix 1952, vient de s’éteindre à l’âge de 90 ans – exactement comme son père décédé en 1965. Madame Schweitzer Miller, était née en 1917 en France où ses parents, alsaciens et donc citoyens allemands, étaient détenus après avoir été arrêtés en Afrique française en 1917. Elle a consacré l’essentiel de sa vie à l’hôpital crée en 1913 par son père à la mission française de Lambaréné dans ce qui est aujourd’hui le Gabon. En 1968, pendant la guerre civile au Biafra, Rhena Schweitzer (c’était avant son mariage avec David Miller), avait ouvert un hôpital pour accueillir les enfants victimes de la famine qu’elle a logés – une fois l’hôpital plein – dans sa propre maison. La fille de l’alsatian doctor avait-elle entendu parler du french doctor qui, au Biafra, faisait au même moment son entrée sur la scène médiatique ? Nous ne saurions le dire. En revanche, pour son fameux rapport sur la santé publique, Omar Bongo, qui lui connaissait ces deux célébrités, aurait mieux fait de demander au moins un devis à la fondation Schweitzer, avant de se tourner vers Imeda.
La Mort verte
Enfin ! Pour la première fois depuis que, voici tantôt 40 ans l’écologie, de discipline scientifique, s’est transformée en idéologie, cette mutation génétique est dénoncée pour ce qu’elle est : une redoutable imposture.
En 2007 paraissait chez Plon Les Prêcheurs de l’Apocalypse, un livre de Jean de Kervasdouec qui ne reçut pas, comme on dit, l’accueil qu’il méritait. C’est l’honneur de France 2 que d’avoir adapté ce travail salutaire en un documentaire pertinemment sous-titré : « Quand l’écologie perd la raison. »
Les deux auteurs, Jérôme Lambert et Philippe Richard, ne donnent la parole qu’à la communauté scientifique. Disons-le tout net : ce parti pris assumé change agréablement des vaticinations catastrophistes dont nous nous tympanisent ordinairement les « spécialistes » de l’écologie sélectionnés par les médias (José Bové, Nicolas Hulot, Noël Mamère et autres « charbonniers », auxquels la foi verte tient lieu de connaissance des dossiers…)
Ce sont donc ici trente chercheurs du monde entier qui nous parlent, entre autres, de l’évolution de l’agriculture, de la sécurité alimentaire et des besoins de la planète en la matière. Entre leurs analyses et les prophéties des intégristes verts, il y a un monde ; le problème, c’est que c’est le nôtre !
Pour nos savants, l’écologie bien comprise ne saurait être un caprice intellectuel de pays riches et bien nourris ; elle doit prendre en compte aussi toute une partie de l’humanité – l’essentiel – pour qui la « nature », divinisée par nos naturistes professionnels, est aussi synonyme de cataclysmes, d’épidémies et de famines.
D’ores et déjà, un milliard d’êtres humains vivent, ou plutôt survivent, avec la faim au ventre. D’ici cinquante ans, la population mondiale va passer de 6 à 9 milliards d’individus. Dans ces conditions, la principale question écologique qui se pose à nous (à moins que la nature ne soit plus importante que l’homme !), c’est : comment augmenter la production agricole pour nourrir tout ce monde ?
Certainement pas en s’interdisant de bouger au nom du sacro-saint « principe de précaution », qui s’est déjà révélé générateur de catastrophes humaines. Ainsi du virage généralisé vers les biocarburants, qui a mécaniquement aggravé la crise alimentaire chez les plus défavorisés : on prive l’homme pour nourrir la machine ! Ainsi de l’interdiction du DDT, qui a eu pour principal effet, tout « naturellement », de soumettre à nouveau à la malaria de très nombreuses populations qui venaient d’en sortir !
Ainsi encore de la mobilisation fanatique contre les OGM – ces « mauvaises herbes » que fauche avec une si bonne conscience l’omni-inconscient José Bové, qui a toujours une erreur d’avance…
En vérité, comme l’explique le biologiste Pierre Joliot-Curie, ces O.G.M. que José présume coupables, et exécute même sur-le-champ (!), ne sont « ni bons ni mauvais : c’est l’utilisation qu’on en fait qui l’est ! » Traduction : à certaines doses, tout est mortel. Y compris l’écologie …
Il est d’ailleurs, entre autres, une utilisation de ce génie génétique à laquelle les Occidentaux ne sont pas près de renoncer : l’insuline – fabriquée par une bactérie dotée de fragments d’ADN humain. Eh bien, si nos amis les faucheurs de maïs transgénique allaient jusqu’au bout de leur logique, ne formeraient-ils pas aussi leurs bataillons pour aller crever les sachets d’insuline indispensables aux diabétiques ? !
La science progresse par erreurs successives, comme disait l’autre ; c’est à force de tâtonnements et de ténacité que l’humanité a su vaincre nombre de maladies jusqu’alors tueuses. « Au Panthéon, les Pasteurs, Koch et Curie ! », s’exclame Téléobs. Eh bien, je suis entièrement d’accord ! – et avec cet hebdo, Dieu sait que c’est pas tous les jours !
Mais au fait, que se passe-t-il ? Voilà-t-il pas que je me surprends à citer des journaux de gauche ? Par la magie de ce documentaire, et grâce aux témoignages de tous ces savants qui en savent tant, dirait-on pas que je me retrouve enfin – et pour la première fois en un demi-siècle – dans le camp du Bien ? Du côté des humanistes généreux, face à l’égoïsme myope des pays riches ! Avec les hommes de progrès, contre l’obscurantisme des fondamentalistes naturistes ! Bref, « de gauche » ! Mes amis vont pas me croire…
D’autant que je n’ai même pas eu, entretemps, à changer d’idées… C’est qu’il n’est pas ici question d’idées, mais de simple bon sens. Face aux faits, rien ne vaut le pragmatisme, comme dirait M. de La Palice !
D’ailleurs, la meilleure preuve que les clivages traditionnels sont ici inopérants, c’est que Télérama dit exactement le contraire de Téléobs ! (Faut-il que ce soit grave …)
Vert de rage, Télékrishna dénonce dans ce documentaire un tissu de « contre-vérités » qui « se contente de dérouler certains discours simplistes anti-écologistes ». Eh oui, il faut bien le culot monstre des télérameurs pour (dis)qualifier ainsi d’un bloc les témoignages de trente chercheurs du monde entier !
Mais trêve de polémiques ! La communauté scientifique et moi-même estimons, une fois pour toutes, qu’il convient de manier le prétendu « principe de précaution » avec la plus extrême, euh, prudence.
Bien sûr qu’il faut préserver notre environnement – à condition toutefois que nous autres, les humains, soyons encore là pour en profiter ! Et pour cela il y a d’abord, immédiatement, des millions de vies humaines à sauver. Elles le seront par développement maîtrisé des technologies, assurément ; pas par la Grande Faucheuse verte.
Feldmarschall le voilà !
Parmi les brèves de comptoir de Gourio et Ribes, il en est une, délicieuse, qui dit que « l’avantage d’aller en vacances dans le désert, c’est qu’on n’a pas besoin de connaître la langue ! »
Pour la guerre, c’est à peu près pareil: la castagne dans les sables libyens entre des armées modernes n’est pas polluée par la présence inopportune de civils. Dans ces somptueux décors, la guerre peut retrouver sa forme chevaleresque d’affrontement symétrique où les protagonistes possèdent un niveau d’armement et d’organisation équivalents. Les officiers de blindés avancent en tête de leurs troupes, et l’on compte proportionnellement autant de morts chez les généraux que chez les troufions. Comme la présence des juifs dans le désert est quasiment nulle, la Wehrmacht n’a pas à se salir les mains par des exécutions massives tout au long de sa progression.
C’est ainsi qu’est née et que perdure la légende du feldmarschall Erwin Rommel, une figure à part parmi les maréchaux de Hitler, dont l’épopée à la tête de l’Afrikakorps entre 1941 et 1943 est considérée comme un exploit militaire exceptionnel. De plus, sa fin tragique – il fut acculé au suicide par le Führer en octobre 1944 – lui confère un brevet d’antinazisme autorisant la perpétuation de son culte chez les anciens combattants de la Wehrmacht comme dans la nouvelle génération de la Bundeswehr.
La biographie que vient de publier le jeune historien québécois Benoît Lemay vient à point pour remettre quelques pendules à l’heure, et nuancer quelque peu la légende dorée construite autour du personnage. Le « Renard du désert » doit en effet autant son image de héros militaire aux services du Dr Goebbels qu’à ses incontestables capacités tactiques sur le terrain. Aux yeux du chef de la propagande du Reich, en plein accord sur ce point avec Adolf Hitler, cet officier qui s’était distingué dès la première guerre mondiale par son héroïsme dans les troupes de montagne représentait le nouveau modèle de soldat que le régime voulait substituer à la vieille caste militaire aristocratique qui dominait encore l’état-major. D’origine souabe, fils d’un professeur de théologie protestante, ne devant son ascension au sein de l’armée qu’a son zèle patriotique et ses qualités physiques et intellectuelles, il était la parfaite incarnation de ce « militaire nouveau » indéfectiblement fidèle au Führer. Pour faire bonne mesure, d’ailleurs, la biographie de Rommel élaborée par les services de Goebbels à l’intention du public allemand lui attribue des origines beaucoup plus modestes que dans la réalité: son père se transforme de professeur en artisan pour exalter encore plus cette ascension d’un homme du peuple.
Ses exploits dans la campagne de France à la tête d’une division de blindés si mobile qu’elle sera surnommée la division fantôme lui ouvrent la porte du Führer en personne, au grand mécontentement de l’état-major. Les gens de Berlin le considèrent en effet comme un ambitieux qui n’hésite pas à se parer des succès de ses subordonnés sans le moindre souci de partager la gloire.
Au départ, la campagne d’Afrique ne devait être qu’un coup de main temporaire donné à Mussolini pour repousser hors de Libye les troupes anglaises qui s’étaient emparées de la Cyrénaïque à partir de l’Egypte. Rommel allait transformer ce théâtre d’action secondaire en épopée personnelle, prenant les choses en mains sans tenir compte de l’obéissance qu’il devait, en principe, au Commando grosso de l’armée mussolinienne…
Cette légende, qui culmina avec la prise de Tobrouk par l’Afrikakorps en juin 1942, et sa percée jusqu’à 150 km du Caire, fut confortée par Winston Churchill. L’homme au cigare était en effet en mauvaise posture devant les Communes en raison des revers répétés subis par les troupes britanniques devant les hommes de Rommel : « Nous avons contre nous un adversaire très audacieux et très habile, et, puis-je ajouter en dépit des horreurs de la guerre, un très grand général », avait-il déclaré pour essayer de calmer la mauvaise humeur des députés qui voyaient déjà Rommel sur le canal de Suez.
Autant le génie tactique du « Renard du désert » est incontestable, autant sa vision stratégique est dépourvue de tout réalisme. Grisé par ses succès et sa notoriété mondiale, il tente, quelques semaines avant le déclenchement de l’opération Barbarossa contre l’URSS, de vendre à Hitler un plan de contrôle total du bassin méditerranéen par les forces de l’Axe, et même une récupération des anciennes colonies allemandes d’Afrique de l’est perdues en 1918…
La suite est connue: le sursaut anglais et l’arrivée de Montgomery à la tête des troupes britanniques arrêtent Rommel à El Alamein et le contraignent à une retraite jusqu’en Tunisie, d’où il fut exfiltré en mars 1943 pour que son image de général invincible ne soit pas ternie par une défaite devant les troupes alliées.
Hitler aurait souhaité que l’Afrikakorps résiste jusqu’à la mort en Lybie puis en Tunisie pour fixer les troupes alliées le plus longtemps possible. La retraite en bon ordre de Rommel constituait à ses yeux une impardonnable tentation défaitiste indigne d’un feldmarschall du Reich de mille ans. Il n’était pas question, pourtant, d’une disgrâce publique, pour pouvoir encore utiliser la crainte que le seul nom de Rommel inspirait à ses ennemis. Mais on se garde bien de lui confier un commandement opérationnel, en Italie ou en France après les débarquements des alliés. Il est simplement le « conseiller » de Kesselring ou de von Rundstedt.
C’est alors qu’intervient l’épisode de sa prétendue participation au complot des officiers contre Hitler du 20 juillet 1944. Rommel a bien été approché à plusieurs reprises par des émissaires des conjurés pour le rallier à leur cause, mais, fidèle au Führer en dépit de sa disgrâce, il n’a jamais donné suite. C’est la mythomanie de l’un des conjurés, von Hofacker, qui était persuadé d’avoir rallié Rommel à leur complot, et la dénonciation du général Hans Speidel qui accréditeront cette légende. Ce dernier, qui devait par la suite faire une carrière brillante dans la Bundeswehr et à l’OTAN était, lui, membre de la conjuration, et réussit à sauver sa peau en déclarant qu’il avait transmis à son supérieur hiérarchique Rommel les informations détenues par lui sur le projet d’attentat, qui n’auraient pas été communiquées à Berlin. Hitler donna alors le choix à Rommel entre être traduit devant le tribunal du peuple, voir sa mémoire et sa famille dévastées, ou se suicider, avoir des obsèques nationales, et assurer une vie décente à sa femme et son fils Manfred, futur maire de Stuttgart. Une capsule de cyanure plus tard commençait la légende posthume d’un nazi sans états d’âmes métamorphosé en victime du moloch hitlérien…
Une histoire à deux balles
Pauvre Xavier Bertrand. Un homme à qui tout le monde – à commencer par lui-même – prédisait le plus brillant avenir. En quelques années, il avait gravi tous les échelons en jeune homme pressé : député-godillot de base en 2002, ce fidèle de Chirac est nommé secrétaire d’Etat à l’assurance-maladie dès 2004 et à peine une année plus tard il remplace son ministre de tutelle et se voit confier le portefeuille de la Santé. En 2007, son soutien sans faille à Nicolas Sarkozy lui vaut le ministère du Travail avant son accession, en décembre dernier, au secrétariat général de l’UMP, un défi qu’il relève avec brio, se donnant comme mission la transformation du parti en mouvement uni et même populaire.
Caressant les plus hautes ambitions, Xavier est à son tour câliné par le président qui, se retrouvant désormais dans la position de Chirac hier, ne voit pas d’un si mauvais œil une saine concurrence entre les jeunes ambitieux qui rêvent de devenir calife à la place de Nicolas.
C’est donc avec émotion et étonnement qu’on apprend que l’incontournable Xavier Bertrand n’a pas reçu la moindre lettre de menace ni la balle de 9 mm qui allait avec… Frédéric Lefebvre, Christian Vanneste et même Jean-Paul Alduy y ont eu droit. Pourquoi eux et pas lui ? Comment expliquer que Rachida Dati, Michèle Alliot-Marie et Christine Albanel soient, elles, en mesure de publier des communiqués annonçant qu’elles ne plieront pas, quel qu’en soit le prix. Elles continueront à vivre, travailler et pouponner. Pourquoi lui qui se voit comme « le meilleur d’entre nous » est-il privé du bonheur de dire, la voix légèrement tremblante, que rien ne l’empêchera de faire son devoir, alors que l’ancien tenant du titre, ce has-been de Juppé qui n’a pas été foutu de retrouver son siège de député peut se la jouer s’en-fout-la-mort ? Même les représentants au Sénat du plateau de Millevaches ou pire, Jacques Blanc et Raymond Couderc, ont le droit de se déclarer « tout à fait sereins » et pas lui ?
Dans cette tentative d’humiliation avec préméditation, il reste à Xavier B. une seule – et, admettons le, assez maigre – consolation : Copé n’en a pas reçu non plus ! Dans ces temps de lutte contre toutes les discriminations, j’appelle donc tous nos lecteurs membres de Terre-Solidarité, à lui envoyer cette fichue lettre. Par pitié, rien qu’un petit mot avec une petite balle, pour le geste : même un calibre 22 ou un plomb de chevrotine feront l’affaire.
Parole de Jack !
Jack Lang est actuellement à Cuba, porteur d’une lettre de Sarkozy à Raul Castro pour renouer des liens plus amicaux avec La Havane. En même temps, il publie un bouquin justifiant son vote favorable à la réforme de la constitution proposée par le même Nicolas Sarkozy. La Voix du Nord lui a demandé s’il accepterait d’entrer au gouvernement si le même Sarkozy le lui proposait. « Pas question ! », a répondu Jack de Boulogne-sur-Mer. Jack de la place des Vosges, semble, lui, beaucoup moins péremptoire sur le sujet. Le suspense reste entier.
Le Monde enterre le secret de l’instruction
Cela vous avait sans doute échappé mais il arrive au Monde d’être désopilant. Je ne sais pas où la médiatrice de notre quotidien de référence (l’homologue de notre Justine, que celle-ci me pardonne) a suivi l’école du rire, mais sa dernière chronique était un petit bijou d’humour, involontaire peut-être mais de très haute volée. Comme chaque semaine, Véronique Maurus revenait sur un article qui avait fait tempêter et buzzer les lecteurs : une double page signée Gérard Davet et consacrée à Jérôme Kerviel. Le titre, « Mauvais joueur » annonçait la couleur sans façons : article à charge. « Un tas de boue », « nauséabond », « honteux », « insupportable », « indigne » – le florilège reproduit avec un zeste d’effarement par l’excellente consœur montre que pas mal de gens se sont étranglés à la lecture de l’article. Quelques internautes perfides se sont demandé si Gérard Davet était en découvert à la Société générale. De son article, très people dans sa facture, il ressort que Kerviel n’est pas très sympathique, qu’il a rendu chèvre sa petite copine quand le pot-aux-roses a été découvert et qu’il aimait prendre des risques avec les milliards des autres. Un peu léger pour les plus indulgents, carrément dégueulasse pour les autres (l’article, pas Kerviel).
Eh bien, moi, je n’hésite pas à leur dire leur fait à ces lecteurs mal embouchés : les gars, vous n’avez rien compris. Je ne sais pas qui a mis dans la tête de tous ces gens qu’ils avaient entre les mains une « enquête », mais il y a eu maldonne. Voire malveillance et procès d’intention : car enfin, il est étrange, quand on lit un article de ce genre écrit par un journaliste de ce genre dans un journal de ce genre, de penser qu’il s’agit d’une « enquête journalistique », genre mineur que l’on appellera ici enquête tout court. Or, tout le problème vient de là. Dans le cas d’une « enquête » portant en l’occurrence sur une affaire non jugée, il aurait été souhaitable que le journaliste fît entendre les points de vue divers, voire divergents, de plusieurs sources « proches du dossier ». Le lecteur aurait pu s’attendre à ce qu’il s’intéressât, au-delà des errements d’un homme, aux mécanismes et procédures (ou peut-être à l’absence de ceux-ci) qui avaient rendu ces errements possibles. Il aurait sans doute interrogé, outre l’amoureuse désemparée et les vagues copains, les avocats de l’ex-trader et ceux de son ex-employeur. Oui, si Gérard Davet avait voulu livrer à ses lecteurs une simple « enquête », je suis convaincue qu’il aurait fait tout cela.
Seulement, il s’agissait, avec l’article injustement critiqué, de tout autre chose. Car le malentendu, écrit notre intrépide médiatrice, « porte sur la nature même de l’article ». Elle poursuit : « Il ne s’agissait pas, contrairement à ce que beaucoup ont cru, d’une enquête de terrain – dans laquelle le reporter, après avoir rencontré des témoins, aurait réécrit l’histoire à sa manière –, mais d’une enquête d’investigation judiciaire, fondée sur le dossier constitué depuis un an par les juges. » Tout s’explique. Tout est tellement plus simple quand on parle le même langage.
Gérard Davet inaugure donc un genre journalistique, l’enquête d’investigation judiciaire. La formule, plaisante et totalement dépourvue de sens, accomplit donc merveilleusement son office qui est de voiler la réalité, autrement dit de faire oublier que l’enquête d’investigation n’est pas celle du journaliste mais celle du juge que Le Monde porte aimablement à la connaissance de ses lecteurs. En vérité, Davet s’inscrit dans la grande tradition française de ce qu’on appelait « investigation » il y a quelques années, quand le genre justicier était la noblesse de la profession et Edwy Plenel son prophète. Grâce à ses fameux investigateurs héritiers de Robert Redford et de Dustin Hoffman, la France vécut quelques années au rythme du pilori médiatique puis se lassa. L’ami Philippe Cohen avait alors donné une excellente définition du métier : « Un journaliste d’investigation, disait-il, c’est un journaliste qui va déjeuner avec un juge ou un flic en prenant des mines de conspirateur, puis revient à la rédaction attendre le fax qu’il recopie pour faire son article. » Philippe était un peu injuste. Car Davet nous livre, avec des mots simples, les grandeurs et les servitudes du métier d’enquêteur d’investigation judiciaire. « Gérard Davet, écrit l’estimable Véronique Maurus, a eu accès à l’ensemble des pièces de procédure, qu’il a lues très soigneusement, « pendant deux semaines », dit-il. Ce sont ces pièces qu’il livre au lecteur. « C’est une enquête sérieuse, de bonne foi. Il ne s’agit pas de prendre à partie l’un ou l’autre, ajoute-t-il. L’article est certes brutal. C’est le genre qui veut cela, c’est du journalisme judiciaire. ». »
Tant d’abnégation ne peut laisser indifférent. Deux semaines. Deux semaines à recopier un dossier d’instruction, et cela dans le seul but d’informer ! Et si ça se trouve, sans même un scanner. Et peut-être avec un seul repas gratuit à la clé – enfin gratuit pour le journaliste car la magistrature étant pauvre c’est quand même lui, espère-t-on, c’est-à-dire son journal qui paye l’addition. Deux semaines ! Oui, il y a dans cet artisanat patient, dans cet humble travail de messager comme l’écho du labeur des anciens scribes, de l’acharnement des moines-copistes.
On comprend à quel point les méchanteries des lecteurs sont, en plus de méchantes, à côté de la plaque. Au contraire, ils auraient dû louer Davet pour son endurance (quinze jours, tout de même…). Car enfin, où irait-on si un enquêteur d’investigation s’écartait du PV qu’il doit recopier ? À partir du moment où les juges d’instruction instruisent à charge, le bon « journaliste judiciaire » écrit à charge, point barre.
Le problème, c’est qu’on n’est jamais totalement à l’abri d’un mauvais coucheur. De plus, le temps où Colombani pouvait se réjouir parce, disait-il, « Le Monde fait peur », semble préhistorique. Ni Le Monde, ni d’ailleurs ses concurrents ne font plus peur à personne. Dans ce climat délétère où l’ordre médiatique ne règne plus, des personnalités qui devraient pourtant s’estimer heureuses d’être malmenées par un grand journal fassent des chicanes pourraient aller jusqu’à attaquer en justice au nom d’une prétendue présomption d’innocence. Sauf que ceux qui complotent ce genre de mauvais coup feraient mieux de se renseigner avant. La plupart des gens ne le savent pas mais la présomption d’innocence, c’est terminé. C’est un scoop du Monde.
Je m’explique. Pour enrubanner son paquet-cadeau et prévenir toute contestation d’ordre juridique, l’aimable Maurus n’y va pas par quatre chemins. « Notons enfin que le secret de l’instruction ne concerne pas les journalistes« , écrit-elle (c’est moi qui souligne). Fermez le ban. Je ne blague pas, cette phrase est publiée noir sur blanc. Elle a été pensée, écrite, relue, validée – par des journalistes. Secret de l’instruction, moi, connais pas.
Pardonnez-moi d’être un peu cuistre. Le secret de l’instruction n’est pas une fanfreluche pour talk-show mais l’indispensable garant de la présomption d’innocence, autrement dit le cœur nucléaire de notre Justice. Les journalistes sont bien entendus tenus de le respecter (seuls les avocats n’y sont pas soumis, ce qui pose déjà pas mal de problèmes). Du reste, sans journalistes et sans journaux, le problème ne se poserait pas : il faut bien que la divulgation de pièces d’instruction ait lieu quelque part. Bref, si le secret de l’instruction ne concerne pas les journalistes, on se demande qui il concerne.
De quoi s’agit-il en vrai ? De juges et de flics qui rencardent des journalistes. Mais comme il est presque impossible de le prouver, il est très difficile de sanctionner la violation elle-même. En revanche, il serait assez facile, me semble-t-il, de poursuivre les coupables de « recel de violation du secret de l’instruction », ceux à qui profite le crime, en l’occurrence les médias qui rendent effectif le délit initial (la violation elle-même) en le rendant visible. La plupart du temps, personne ne se fatigue à lancer de telles poursuites, l’affaire paraissant pliée d’avance : on imagine mal un juge condamner Le Monde pour avoir, grâce aux bienfaits d’un autre juge, publié en feuilleton le dossier d’instruction de l’affaire Elf-Berlutti. Imposer aux journalistes le respect de la loi, ce serait un attentat contre la liberté de la presse. Véronique Maurus a raison. La loi ne nous plaît pas ? Changeons la loi.
Fra-ter-ni-té
Rien ne va plus dans le camp Royal. Les preux chevaliers paladins de Ségolène, Vincent Peillon et Manuel Valls, reviennent dare-dare à Solférino. Les barons lyonnais, marseillais et bordelais se barricadent, boudeurs, dans leur fief. Et comble de malheur, on vient d’apprendre que le couple de rêve formé par la députée de Moselle et romancière Aurélie Filipetti et l’économiste vedette Thomas Piketty pratique la castagne conjugale comme de vulgaires quart-mondistes, et autres saltimbanques du show bizz… Comment ces deux modèles de promotion républicaine, jeunes, beaux et intelligents ont-ils pu se comporter de la sorte ? S’agit-il d’un phénomène endogène d’un couple trop mignon pour être honnête ? Ou bien le résultat de l’ambiance délétère que fait régner Ségolène dans sa maisonnée ? La brigade de répression de la délinquance contre les personnes, chargée d’instruire la plainte d’Aurélie contre Thomas n’est pas sortie de l’auberge rose !
Antoine, l’Auguste des Césars
Il est fringant. C’est le Fregoli de Banal+. L’âge n’a pas de prise sur son aspect physique. Toujours ce charmant visage de rongeur gourmand, la silhouette souple, l’insolence confortable, émoussée d’un clin d’œil. Le petit garçon bien tourné, que maman regarde avec fierté. La télévision le consacra. Producteur puis animateur de « Chorus », il gagna ensuite la plaisante image d’un « enfant du rock », à laquelle l’émission « Rapido » devait ajouter un débit vocal ultra-rapide, comparable au passage d’une formule 1 dans la ligne droite des Hunaudières. Bref, jeune homme bien né, il se fit une réputation légitime d’animateur doué, original. À Canal+, la chaîne des beaufs postmodernes, servie avez zèle par des petits marquis au museau poudré, il forma un duo, que la seule présence vraiment ébouriffante de José Garcia, rendait irrésistible. Mais il s’en lassa. Il chercha la reconnaissance, la consécration du cinéma. Fellini, Godard, Murnau, Bergman, c’était sa vraie famille.
Il commença par « faire l’acteur ». On lui offrit des rôles de comique léger. Il y était parfaitement anodin. Il s’essaya au registre dramatique. Il eut un certain succès dans L’homme est une femme comme les autres. Mais on voyait toujours en lui l’amuseur. Bah ! Tragediente, comediente, basta cosi ! Il serait réalisateur, comme Federico, comme Robert (Aldrich), comme Jean-Luc, mais surtout pas à la manière de Marius Leseur, ni de Jean Girault ! En 2001, il signe Les morsures de l’aube, adapté d’un roman de Tonino Benacquista. Nous vous recommandons vivement la lecture de cet excellent livre. Son dernier opus, consacré à la période « électorale » de Coluche, malgré le beau travail du comédien François-Xavier Demaison, n’attira même pas la clientèle des Restos du cœur. Ingratitude ? Coût de la place trop élevé ? Sens critique ? Enfin, ils ne vinrent pas… Antoine dissimula la déconvenue qu’aurait pu lui apporter l’insuccès de cette œuvre, au final nettement moins attendue qu’une lancinante et longue campagne de presse ne nous l’annonçait. Déjà, une nouvelle mission l’appelait ailleurs : préparer la fameuse soirée des Césars, diffusée par La chaîne du cinéma.
On sait que cette dernière gouverne les destinées du cinéma français et du festival de Cannes. Et sur quel mode ! Celui de la fête à neu-neu version chic, un grand bazar, une ambiance que les journaux féminins se plaisent à qualifier de « foutraque » et « décalée ». Sur une estrade où la Méditerranée joue les utilités à l’arrière-plan, tourne en permanence un manège aux vanités. Acclamés par les spectateurs, qu’une illusion fait paraître proches, mais qui demeurent, au vrai, encadrés par le service d’ordre et tenus éloignés par de solides barrières, les bateleurs habituels consument dans un brasier de dérision foraine les oripeaux d’Hollywood et des studios français. Canal+ «parraine» le festival, y impose ses manières, ses goûts, son organisation. À Cannes et à Paris, les salariés du dérisoire, lancés dans les rues tels des chiens de sang, en ramènent souvent de simples exemplaires d’humanité, dont ils se gaussent, avec, à la commissure des lèvres, un éternel sourire de satisfaction faussement contrite. Il semble de règle sur cet écran, à la suite des Deschiens de Jérôme Deschamps et Macha Makeïef, de montrer les « autres », les simples gens, comme des erreurs naturelles, des êtres moralement contournés, un cheptel toujours recommencé où l’on puise l’aliment d’une méchanceté facile.
Mais revenons à la soirée des Césars. Antoine de Caunes, silhouette fluide, impeccable dans son «black tie», y était maître de cérémonie. La France aurait-elle trouvé un remplaçant au regretté Jean-Claude Brialy ? Celui-ci, homme d’esprit, charmant compagnon mondain, mémorialiste brillant des acteurs disparus et des comédiennes défuntes, sans doute, parfois, affabulateur par admiration, incarnait cinquante ans d’élégance parisienne et de réussite cinématographique. Le jeune comédien sautillant servit avec un égal talent « la caméra de papa » et la Nouvelle vague. Mais Antoine de Caunes ? Brialy eut moins de succès lorsqu’il passa derrière la caméra. Comme Antoine de Caunes !
Cette année encore, la soirée fut interminable. Les heureux élus de la promotion 2009, qui, par ailleurs, manifestent volontiers le plus profond mépris pour tout ce qui est institutionnel et cérémonieux, et montrent une « rebellitude » de bon aloi, se comportèrent comme d’aimables et reconnaissants salariés d’une grande entreprise, auxquels on remet la médaille du travail. Deux films raflèrent les récompenses : un blockbuster français, Mesrine, et un film d’auteur, Séraphine. Entre les remerciements émus des unes et des autres, des comédiens interprétaient des saynètes indignes d’un patronage. Ce fut navrant de bout en bout. Emma Thompson y joua encore plus mal qu’à l’écran. De son côté, M. Auguste de Caunes soulevait à chacune de ses saillies, longuement répétées, préalablement écrites par une armée de scénaristes qu’on eut dit entraînée par Guy Carlier, les rires de la salle, conquise. Très critiquée l’année dernière, sa prestation fut unanimement saluée par la presse. Il reviendra donc.
Pour ce qui est de la mise en scène, Antoine de Caunes a confié un jour qu’il aimerait beaucoup porter à l’écran Le maître de Ballantrae, de RL Stevenson. De l’audace, toujours de l’audace !
Parlez-vous sabir ?
Je dois vous faire une confidence impudique, relevant presque de l’anecdote « de caniveau » (comme dirait le moraliste Thomas Piketty) : chaque après-midi je lis Le Monde. Chacun a son petit défaut inavouable. Et dans Le Monde daté du 5 mars, j’ai été frappé par un tout petit mot, utilisé par Sophie Landrin pour rendre compte du langage de l’individu qui a adressé des menaces de mort assorties de munitions d’armes à feu, à quelques cadors de la République : un sabir. « Un sabir confus et mal orthographié… » Lexique indigent, niveau ortho-syntaxique « collège unique », agressivité tendance « nouveaux publics » en ZEP, pardon en collèges « ambition-réussite ». Bref, voilà un sabir qui en dit déjà long sur l’ignominie du personnage. Jugez un peu ; l’individu menace crânement : « Vous voulez nous mettre au pas, en coupe réglée par vos amis et au bon vouloir du Roy », mais s’englue littéralement dans ses mots : « Nouveau centre FN et autres collabos centristes et socialos collabos ! » Voilà un vrai style de cochon anti-social ! Et ceci, ce n’est pas gouleyant comme une dissertation de normalien : « Le mépris total de vous envers le peuple nous impose d’agir dès maintenant. (…) Le dispositif de surveillance nous a permis de vous cibler, vous et les vôtres dans vos déplacements. Donc vous êtes ciblés et verrouillés. Vous êtes dans les starting blocs de la mort. » Typiquement le sabir d’un ennemi de la République qui veut supprimer Alain Juppé de la surface de la planète (quelle blague !). Mais le poète-lauréat sait atteindre des sommets quand il évoque l’homme dont il est certainement secrètement amoureux, Nicolas Sarkozy : « Sale hongrois digne de la pire figure du fascisme hitlérien qui aura le temps de méditer à l’état létal. » Du n’importe quoi. Même Julien Coupat se débrouille mieux. Un homme qui écrit aussi mal le français vient sans aucun doute de l’anti-France, des sous-couches obscures de la subversion la plus occulte, et peut-être même de l’inhumanité. Ces cris rejoignent les aboiements du chien ou les rires de la hyène.
Quelques pages plus loin je prends en pleine poire une assommante tribune de Bertrand Delanoë défendant sa vision du « Grand Paris ». Et là, le mot qui me vient immédiatement à l’esprit est « sabir ». Oui, mais un sabir de « pro », soupesé jusqu’à la moelle, politique. Couchés les clébards et les hyènes ! Langue de bois. Ecoutez-moi ces mots alignés pour ne rien dire, pour ne strictement rien signifier… Commencer une phrase comme ceci ne présage d’ailleurs rien de bon pour la suite du discours : « Conscients de l’ampleur de ces défis… » Ponctuer son texte de tics rhétoriques aussi énormes que celui-ci en dit aussi fort long : « Faut-il aujourd’hui aller plus loin ? Clairement, je réponds oui. » Et moi je réponds « Peut-être pas… » Et finalement une phrase de cet acabit montre bien que la langue confuse de Delanoë tend volontairement à être aussi insignifiante que celle du sinistre corbeau de la République : « Il faut imaginer collectivement les conditions d’une étape nouvelle, à partir de notre vision commune du XXIe siècle francilien. Et en déduire un instrument fédérateur qui coordonne, impulse et renforce ainsi les dynamiques nécessaires autour des vrais enjeux stratégiques. » Ne riez pas. C’est imprimé dans Le Monde du jour. À croire que le maire de Paris s’est offert un générateur électronique de langue de bois. De sabir.
Et encore, je vous épargne l’interview d’Edouard Balladur expliquant sa réforme des collectivités locales, avec autant de morgue langagière qu’un artiste contemporain convaincu qu’il doit vous « expliquer sa peinture ». Et je vous préserve aussi de la langue imaginée de Frédéric Mitterrand s’exprimant, dans le nouveau supplément culturel du Monde « M », sur sa mission à la tête du Palais Médicis… je vous garde de ses fulgurances creuses du genre « Je crois à la vertu de l’effort… » ou encore « La Villa n’a jamais rompu avec son destin ». Des mots, encore et toujours, qui parlent pour ne rien dire : « La France est une sorte de melting-pot culturel », « Je ne suis pas ici pour faire carrière », « Je pense aussi qu’il faut incarner la maison », « Il y a une juxtaposition parfaite entre la Rome antique et la Rome de Fellini… », « (les Romains) ont une vitalité incroyable », etc. Dire ce que l’on attend de vous, dire exactement ce qu’il convient de dire. Dire pour ne rien dire. Quintessence du sabir…
On en viendrait à penser que le quotidien du soir se nourrit de ces « sabirs »… de ceux qui le pratiquent occasionnellement et sans volonté de nuire à la langue de Molière, comme de ceux dont c’est le langage de travail, la langue maternelle, et la structure même de leur pensée. On aimerait rappeler ici une phrase de Nietzsche à ces délinquants de la langue française, qui (volontairement ou non) l’exploitent pour produire des discours vides et confus : « Vous troublez vos eaux, pour les faire paraître plus profondes… »
Schweitzer vs Kouchner
Rhena Schweitzer Miller, fille unique du docteur Albert Schweitzer, Nobel de la paix 1952, vient de s’éteindre à l’âge de 90 ans – exactement comme son père décédé en 1965. Madame Schweitzer Miller, était née en 1917 en France où ses parents, alsaciens et donc citoyens allemands, étaient détenus après avoir été arrêtés en Afrique française en 1917. Elle a consacré l’essentiel de sa vie à l’hôpital crée en 1913 par son père à la mission française de Lambaréné dans ce qui est aujourd’hui le Gabon. En 1968, pendant la guerre civile au Biafra, Rhena Schweitzer (c’était avant son mariage avec David Miller), avait ouvert un hôpital pour accueillir les enfants victimes de la famine qu’elle a logés – une fois l’hôpital plein – dans sa propre maison. La fille de l’alsatian doctor avait-elle entendu parler du french doctor qui, au Biafra, faisait au même moment son entrée sur la scène médiatique ? Nous ne saurions le dire. En revanche, pour son fameux rapport sur la santé publique, Omar Bongo, qui lui connaissait ces deux célébrités, aurait mieux fait de demander au moins un devis à la fondation Schweitzer, avant de se tourner vers Imeda.
La Mort verte
Enfin ! Pour la première fois depuis que, voici tantôt 40 ans l’écologie, de discipline scientifique, s’est transformée en idéologie, cette mutation génétique est dénoncée pour ce qu’elle est : une redoutable imposture.
En 2007 paraissait chez Plon Les Prêcheurs de l’Apocalypse, un livre de Jean de Kervasdouec qui ne reçut pas, comme on dit, l’accueil qu’il méritait. C’est l’honneur de France 2 que d’avoir adapté ce travail salutaire en un documentaire pertinemment sous-titré : « Quand l’écologie perd la raison. »
Les deux auteurs, Jérôme Lambert et Philippe Richard, ne donnent la parole qu’à la communauté scientifique. Disons-le tout net : ce parti pris assumé change agréablement des vaticinations catastrophistes dont nous nous tympanisent ordinairement les « spécialistes » de l’écologie sélectionnés par les médias (José Bové, Nicolas Hulot, Noël Mamère et autres « charbonniers », auxquels la foi verte tient lieu de connaissance des dossiers…)
Ce sont donc ici trente chercheurs du monde entier qui nous parlent, entre autres, de l’évolution de l’agriculture, de la sécurité alimentaire et des besoins de la planète en la matière. Entre leurs analyses et les prophéties des intégristes verts, il y a un monde ; le problème, c’est que c’est le nôtre !
Pour nos savants, l’écologie bien comprise ne saurait être un caprice intellectuel de pays riches et bien nourris ; elle doit prendre en compte aussi toute une partie de l’humanité – l’essentiel – pour qui la « nature », divinisée par nos naturistes professionnels, est aussi synonyme de cataclysmes, d’épidémies et de famines.
D’ores et déjà, un milliard d’êtres humains vivent, ou plutôt survivent, avec la faim au ventre. D’ici cinquante ans, la population mondiale va passer de 6 à 9 milliards d’individus. Dans ces conditions, la principale question écologique qui se pose à nous (à moins que la nature ne soit plus importante que l’homme !), c’est : comment augmenter la production agricole pour nourrir tout ce monde ?
Certainement pas en s’interdisant de bouger au nom du sacro-saint « principe de précaution », qui s’est déjà révélé générateur de catastrophes humaines. Ainsi du virage généralisé vers les biocarburants, qui a mécaniquement aggravé la crise alimentaire chez les plus défavorisés : on prive l’homme pour nourrir la machine ! Ainsi de l’interdiction du DDT, qui a eu pour principal effet, tout « naturellement », de soumettre à nouveau à la malaria de très nombreuses populations qui venaient d’en sortir !
Ainsi encore de la mobilisation fanatique contre les OGM – ces « mauvaises herbes » que fauche avec une si bonne conscience l’omni-inconscient José Bové, qui a toujours une erreur d’avance…
En vérité, comme l’explique le biologiste Pierre Joliot-Curie, ces O.G.M. que José présume coupables, et exécute même sur-le-champ (!), ne sont « ni bons ni mauvais : c’est l’utilisation qu’on en fait qui l’est ! » Traduction : à certaines doses, tout est mortel. Y compris l’écologie …
Il est d’ailleurs, entre autres, une utilisation de ce génie génétique à laquelle les Occidentaux ne sont pas près de renoncer : l’insuline – fabriquée par une bactérie dotée de fragments d’ADN humain. Eh bien, si nos amis les faucheurs de maïs transgénique allaient jusqu’au bout de leur logique, ne formeraient-ils pas aussi leurs bataillons pour aller crever les sachets d’insuline indispensables aux diabétiques ? !
La science progresse par erreurs successives, comme disait l’autre ; c’est à force de tâtonnements et de ténacité que l’humanité a su vaincre nombre de maladies jusqu’alors tueuses. « Au Panthéon, les Pasteurs, Koch et Curie ! », s’exclame Téléobs. Eh bien, je suis entièrement d’accord ! – et avec cet hebdo, Dieu sait que c’est pas tous les jours !
Mais au fait, que se passe-t-il ? Voilà-t-il pas que je me surprends à citer des journaux de gauche ? Par la magie de ce documentaire, et grâce aux témoignages de tous ces savants qui en savent tant, dirait-on pas que je me retrouve enfin – et pour la première fois en un demi-siècle – dans le camp du Bien ? Du côté des humanistes généreux, face à l’égoïsme myope des pays riches ! Avec les hommes de progrès, contre l’obscurantisme des fondamentalistes naturistes ! Bref, « de gauche » ! Mes amis vont pas me croire…
D’autant que je n’ai même pas eu, entretemps, à changer d’idées… C’est qu’il n’est pas ici question d’idées, mais de simple bon sens. Face aux faits, rien ne vaut le pragmatisme, comme dirait M. de La Palice !
D’ailleurs, la meilleure preuve que les clivages traditionnels sont ici inopérants, c’est que Télérama dit exactement le contraire de Téléobs ! (Faut-il que ce soit grave …)
Vert de rage, Télékrishna dénonce dans ce documentaire un tissu de « contre-vérités » qui « se contente de dérouler certains discours simplistes anti-écologistes ». Eh oui, il faut bien le culot monstre des télérameurs pour (dis)qualifier ainsi d’un bloc les témoignages de trente chercheurs du monde entier !
Mais trêve de polémiques ! La communauté scientifique et moi-même estimons, une fois pour toutes, qu’il convient de manier le prétendu « principe de précaution » avec la plus extrême, euh, prudence.
Bien sûr qu’il faut préserver notre environnement – à condition toutefois que nous autres, les humains, soyons encore là pour en profiter ! Et pour cela il y a d’abord, immédiatement, des millions de vies humaines à sauver. Elles le seront par développement maîtrisé des technologies, assurément ; pas par la Grande Faucheuse verte.
Feldmarschall le voilà !
Parmi les brèves de comptoir de Gourio et Ribes, il en est une, délicieuse, qui dit que « l’avantage d’aller en vacances dans le désert, c’est qu’on n’a pas besoin de connaître la langue ! »
Pour la guerre, c’est à peu près pareil: la castagne dans les sables libyens entre des armées modernes n’est pas polluée par la présence inopportune de civils. Dans ces somptueux décors, la guerre peut retrouver sa forme chevaleresque d’affrontement symétrique où les protagonistes possèdent un niveau d’armement et d’organisation équivalents. Les officiers de blindés avancent en tête de leurs troupes, et l’on compte proportionnellement autant de morts chez les généraux que chez les troufions. Comme la présence des juifs dans le désert est quasiment nulle, la Wehrmacht n’a pas à se salir les mains par des exécutions massives tout au long de sa progression.
C’est ainsi qu’est née et que perdure la légende du feldmarschall Erwin Rommel, une figure à part parmi les maréchaux de Hitler, dont l’épopée à la tête de l’Afrikakorps entre 1941 et 1943 est considérée comme un exploit militaire exceptionnel. De plus, sa fin tragique – il fut acculé au suicide par le Führer en octobre 1944 – lui confère un brevet d’antinazisme autorisant la perpétuation de son culte chez les anciens combattants de la Wehrmacht comme dans la nouvelle génération de la Bundeswehr.
La biographie que vient de publier le jeune historien québécois Benoît Lemay vient à point pour remettre quelques pendules à l’heure, et nuancer quelque peu la légende dorée construite autour du personnage. Le « Renard du désert » doit en effet autant son image de héros militaire aux services du Dr Goebbels qu’à ses incontestables capacités tactiques sur le terrain. Aux yeux du chef de la propagande du Reich, en plein accord sur ce point avec Adolf Hitler, cet officier qui s’était distingué dès la première guerre mondiale par son héroïsme dans les troupes de montagne représentait le nouveau modèle de soldat que le régime voulait substituer à la vieille caste militaire aristocratique qui dominait encore l’état-major. D’origine souabe, fils d’un professeur de théologie protestante, ne devant son ascension au sein de l’armée qu’a son zèle patriotique et ses qualités physiques et intellectuelles, il était la parfaite incarnation de ce « militaire nouveau » indéfectiblement fidèle au Führer. Pour faire bonne mesure, d’ailleurs, la biographie de Rommel élaborée par les services de Goebbels à l’intention du public allemand lui attribue des origines beaucoup plus modestes que dans la réalité: son père se transforme de professeur en artisan pour exalter encore plus cette ascension d’un homme du peuple.
Ses exploits dans la campagne de France à la tête d’une division de blindés si mobile qu’elle sera surnommée la division fantôme lui ouvrent la porte du Führer en personne, au grand mécontentement de l’état-major. Les gens de Berlin le considèrent en effet comme un ambitieux qui n’hésite pas à se parer des succès de ses subordonnés sans le moindre souci de partager la gloire.
Au départ, la campagne d’Afrique ne devait être qu’un coup de main temporaire donné à Mussolini pour repousser hors de Libye les troupes anglaises qui s’étaient emparées de la Cyrénaïque à partir de l’Egypte. Rommel allait transformer ce théâtre d’action secondaire en épopée personnelle, prenant les choses en mains sans tenir compte de l’obéissance qu’il devait, en principe, au Commando grosso de l’armée mussolinienne…
Cette légende, qui culmina avec la prise de Tobrouk par l’Afrikakorps en juin 1942, et sa percée jusqu’à 150 km du Caire, fut confortée par Winston Churchill. L’homme au cigare était en effet en mauvaise posture devant les Communes en raison des revers répétés subis par les troupes britanniques devant les hommes de Rommel : « Nous avons contre nous un adversaire très audacieux et très habile, et, puis-je ajouter en dépit des horreurs de la guerre, un très grand général », avait-il déclaré pour essayer de calmer la mauvaise humeur des députés qui voyaient déjà Rommel sur le canal de Suez.
Autant le génie tactique du « Renard du désert » est incontestable, autant sa vision stratégique est dépourvue de tout réalisme. Grisé par ses succès et sa notoriété mondiale, il tente, quelques semaines avant le déclenchement de l’opération Barbarossa contre l’URSS, de vendre à Hitler un plan de contrôle total du bassin méditerranéen par les forces de l’Axe, et même une récupération des anciennes colonies allemandes d’Afrique de l’est perdues en 1918…
La suite est connue: le sursaut anglais et l’arrivée de Montgomery à la tête des troupes britanniques arrêtent Rommel à El Alamein et le contraignent à une retraite jusqu’en Tunisie, d’où il fut exfiltré en mars 1943 pour que son image de général invincible ne soit pas ternie par une défaite devant les troupes alliées.
Hitler aurait souhaité que l’Afrikakorps résiste jusqu’à la mort en Lybie puis en Tunisie pour fixer les troupes alliées le plus longtemps possible. La retraite en bon ordre de Rommel constituait à ses yeux une impardonnable tentation défaitiste indigne d’un feldmarschall du Reich de mille ans. Il n’était pas question, pourtant, d’une disgrâce publique, pour pouvoir encore utiliser la crainte que le seul nom de Rommel inspirait à ses ennemis. Mais on se garde bien de lui confier un commandement opérationnel, en Italie ou en France après les débarquements des alliés. Il est simplement le « conseiller » de Kesselring ou de von Rundstedt.
C’est alors qu’intervient l’épisode de sa prétendue participation au complot des officiers contre Hitler du 20 juillet 1944. Rommel a bien été approché à plusieurs reprises par des émissaires des conjurés pour le rallier à leur cause, mais, fidèle au Führer en dépit de sa disgrâce, il n’a jamais donné suite. C’est la mythomanie de l’un des conjurés, von Hofacker, qui était persuadé d’avoir rallié Rommel à leur complot, et la dénonciation du général Hans Speidel qui accréditeront cette légende. Ce dernier, qui devait par la suite faire une carrière brillante dans la Bundeswehr et à l’OTAN était, lui, membre de la conjuration, et réussit à sauver sa peau en déclarant qu’il avait transmis à son supérieur hiérarchique Rommel les informations détenues par lui sur le projet d’attentat, qui n’auraient pas été communiquées à Berlin. Hitler donna alors le choix à Rommel entre être traduit devant le tribunal du peuple, voir sa mémoire et sa famille dévastées, ou se suicider, avoir des obsèques nationales, et assurer une vie décente à sa femme et son fils Manfred, futur maire de Stuttgart. Une capsule de cyanure plus tard commençait la légende posthume d’un nazi sans états d’âmes métamorphosé en victime du moloch hitlérien…
Une histoire à deux balles
Pauvre Xavier Bertrand. Un homme à qui tout le monde – à commencer par lui-même – prédisait le plus brillant avenir. En quelques années, il avait gravi tous les échelons en jeune homme pressé : député-godillot de base en 2002, ce fidèle de Chirac est nommé secrétaire d’Etat à l’assurance-maladie dès 2004 et à peine une année plus tard il remplace son ministre de tutelle et se voit confier le portefeuille de la Santé. En 2007, son soutien sans faille à Nicolas Sarkozy lui vaut le ministère du Travail avant son accession, en décembre dernier, au secrétariat général de l’UMP, un défi qu’il relève avec brio, se donnant comme mission la transformation du parti en mouvement uni et même populaire.
Caressant les plus hautes ambitions, Xavier est à son tour câliné par le président qui, se retrouvant désormais dans la position de Chirac hier, ne voit pas d’un si mauvais œil une saine concurrence entre les jeunes ambitieux qui rêvent de devenir calife à la place de Nicolas.
C’est donc avec émotion et étonnement qu’on apprend que l’incontournable Xavier Bertrand n’a pas reçu la moindre lettre de menace ni la balle de 9 mm qui allait avec… Frédéric Lefebvre, Christian Vanneste et même Jean-Paul Alduy y ont eu droit. Pourquoi eux et pas lui ? Comment expliquer que Rachida Dati, Michèle Alliot-Marie et Christine Albanel soient, elles, en mesure de publier des communiqués annonçant qu’elles ne plieront pas, quel qu’en soit le prix. Elles continueront à vivre, travailler et pouponner. Pourquoi lui qui se voit comme « le meilleur d’entre nous » est-il privé du bonheur de dire, la voix légèrement tremblante, que rien ne l’empêchera de faire son devoir, alors que l’ancien tenant du titre, ce has-been de Juppé qui n’a pas été foutu de retrouver son siège de député peut se la jouer s’en-fout-la-mort ? Même les représentants au Sénat du plateau de Millevaches ou pire, Jacques Blanc et Raymond Couderc, ont le droit de se déclarer « tout à fait sereins » et pas lui ?
Dans cette tentative d’humiliation avec préméditation, il reste à Xavier B. une seule – et, admettons le, assez maigre – consolation : Copé n’en a pas reçu non plus ! Dans ces temps de lutte contre toutes les discriminations, j’appelle donc tous nos lecteurs membres de Terre-Solidarité, à lui envoyer cette fichue lettre. Par pitié, rien qu’un petit mot avec une petite balle, pour le geste : même un calibre 22 ou un plomb de chevrotine feront l’affaire.
Parole de Jack !
Jack Lang est actuellement à Cuba, porteur d’une lettre de Sarkozy à Raul Castro pour renouer des liens plus amicaux avec La Havane. En même temps, il publie un bouquin justifiant son vote favorable à la réforme de la constitution proposée par le même Nicolas Sarkozy. La Voix du Nord lui a demandé s’il accepterait d’entrer au gouvernement si le même Sarkozy le lui proposait. « Pas question ! », a répondu Jack de Boulogne-sur-Mer. Jack de la place des Vosges, semble, lui, beaucoup moins péremptoire sur le sujet. Le suspense reste entier.
Le Monde enterre le secret de l’instruction
Cela vous avait sans doute échappé mais il arrive au Monde d’être désopilant. Je ne sais pas où la médiatrice de notre quotidien de référence (l’homologue de notre Justine, que celle-ci me pardonne) a suivi l’école du rire, mais sa dernière chronique était un petit bijou d’humour, involontaire peut-être mais de très haute volée. Comme chaque semaine, Véronique Maurus revenait sur un article qui avait fait tempêter et buzzer les lecteurs : une double page signée Gérard Davet et consacrée à Jérôme Kerviel. Le titre, « Mauvais joueur » annonçait la couleur sans façons : article à charge. « Un tas de boue », « nauséabond », « honteux », « insupportable », « indigne » – le florilège reproduit avec un zeste d’effarement par l’excellente consœur montre que pas mal de gens se sont étranglés à la lecture de l’article. Quelques internautes perfides se sont demandé si Gérard Davet était en découvert à la Société générale. De son article, très people dans sa facture, il ressort que Kerviel n’est pas très sympathique, qu’il a rendu chèvre sa petite copine quand le pot-aux-roses a été découvert et qu’il aimait prendre des risques avec les milliards des autres. Un peu léger pour les plus indulgents, carrément dégueulasse pour les autres (l’article, pas Kerviel).
Eh bien, moi, je n’hésite pas à leur dire leur fait à ces lecteurs mal embouchés : les gars, vous n’avez rien compris. Je ne sais pas qui a mis dans la tête de tous ces gens qu’ils avaient entre les mains une « enquête », mais il y a eu maldonne. Voire malveillance et procès d’intention : car enfin, il est étrange, quand on lit un article de ce genre écrit par un journaliste de ce genre dans un journal de ce genre, de penser qu’il s’agit d’une « enquête journalistique », genre mineur que l’on appellera ici enquête tout court. Or, tout le problème vient de là. Dans le cas d’une « enquête » portant en l’occurrence sur une affaire non jugée, il aurait été souhaitable que le journaliste fît entendre les points de vue divers, voire divergents, de plusieurs sources « proches du dossier ». Le lecteur aurait pu s’attendre à ce qu’il s’intéressât, au-delà des errements d’un homme, aux mécanismes et procédures (ou peut-être à l’absence de ceux-ci) qui avaient rendu ces errements possibles. Il aurait sans doute interrogé, outre l’amoureuse désemparée et les vagues copains, les avocats de l’ex-trader et ceux de son ex-employeur. Oui, si Gérard Davet avait voulu livrer à ses lecteurs une simple « enquête », je suis convaincue qu’il aurait fait tout cela.
Seulement, il s’agissait, avec l’article injustement critiqué, de tout autre chose. Car le malentendu, écrit notre intrépide médiatrice, « porte sur la nature même de l’article ». Elle poursuit : « Il ne s’agissait pas, contrairement à ce que beaucoup ont cru, d’une enquête de terrain – dans laquelle le reporter, après avoir rencontré des témoins, aurait réécrit l’histoire à sa manière –, mais d’une enquête d’investigation judiciaire, fondée sur le dossier constitué depuis un an par les juges. » Tout s’explique. Tout est tellement plus simple quand on parle le même langage.
Gérard Davet inaugure donc un genre journalistique, l’enquête d’investigation judiciaire. La formule, plaisante et totalement dépourvue de sens, accomplit donc merveilleusement son office qui est de voiler la réalité, autrement dit de faire oublier que l’enquête d’investigation n’est pas celle du journaliste mais celle du juge que Le Monde porte aimablement à la connaissance de ses lecteurs. En vérité, Davet s’inscrit dans la grande tradition française de ce qu’on appelait « investigation » il y a quelques années, quand le genre justicier était la noblesse de la profession et Edwy Plenel son prophète. Grâce à ses fameux investigateurs héritiers de Robert Redford et de Dustin Hoffman, la France vécut quelques années au rythme du pilori médiatique puis se lassa. L’ami Philippe Cohen avait alors donné une excellente définition du métier : « Un journaliste d’investigation, disait-il, c’est un journaliste qui va déjeuner avec un juge ou un flic en prenant des mines de conspirateur, puis revient à la rédaction attendre le fax qu’il recopie pour faire son article. » Philippe était un peu injuste. Car Davet nous livre, avec des mots simples, les grandeurs et les servitudes du métier d’enquêteur d’investigation judiciaire. « Gérard Davet, écrit l’estimable Véronique Maurus, a eu accès à l’ensemble des pièces de procédure, qu’il a lues très soigneusement, « pendant deux semaines », dit-il. Ce sont ces pièces qu’il livre au lecteur. « C’est une enquête sérieuse, de bonne foi. Il ne s’agit pas de prendre à partie l’un ou l’autre, ajoute-t-il. L’article est certes brutal. C’est le genre qui veut cela, c’est du journalisme judiciaire. ». »
Tant d’abnégation ne peut laisser indifférent. Deux semaines. Deux semaines à recopier un dossier d’instruction, et cela dans le seul but d’informer ! Et si ça se trouve, sans même un scanner. Et peut-être avec un seul repas gratuit à la clé – enfin gratuit pour le journaliste car la magistrature étant pauvre c’est quand même lui, espère-t-on, c’est-à-dire son journal qui paye l’addition. Deux semaines ! Oui, il y a dans cet artisanat patient, dans cet humble travail de messager comme l’écho du labeur des anciens scribes, de l’acharnement des moines-copistes.
On comprend à quel point les méchanteries des lecteurs sont, en plus de méchantes, à côté de la plaque. Au contraire, ils auraient dû louer Davet pour son endurance (quinze jours, tout de même…). Car enfin, où irait-on si un enquêteur d’investigation s’écartait du PV qu’il doit recopier ? À partir du moment où les juges d’instruction instruisent à charge, le bon « journaliste judiciaire » écrit à charge, point barre.
Le problème, c’est qu’on n’est jamais totalement à l’abri d’un mauvais coucheur. De plus, le temps où Colombani pouvait se réjouir parce, disait-il, « Le Monde fait peur », semble préhistorique. Ni Le Monde, ni d’ailleurs ses concurrents ne font plus peur à personne. Dans ce climat délétère où l’ordre médiatique ne règne plus, des personnalités qui devraient pourtant s’estimer heureuses d’être malmenées par un grand journal fassent des chicanes pourraient aller jusqu’à attaquer en justice au nom d’une prétendue présomption d’innocence. Sauf que ceux qui complotent ce genre de mauvais coup feraient mieux de se renseigner avant. La plupart des gens ne le savent pas mais la présomption d’innocence, c’est terminé. C’est un scoop du Monde.
Je m’explique. Pour enrubanner son paquet-cadeau et prévenir toute contestation d’ordre juridique, l’aimable Maurus n’y va pas par quatre chemins. « Notons enfin que le secret de l’instruction ne concerne pas les journalistes« , écrit-elle (c’est moi qui souligne). Fermez le ban. Je ne blague pas, cette phrase est publiée noir sur blanc. Elle a été pensée, écrite, relue, validée – par des journalistes. Secret de l’instruction, moi, connais pas.
Pardonnez-moi d’être un peu cuistre. Le secret de l’instruction n’est pas une fanfreluche pour talk-show mais l’indispensable garant de la présomption d’innocence, autrement dit le cœur nucléaire de notre Justice. Les journalistes sont bien entendus tenus de le respecter (seuls les avocats n’y sont pas soumis, ce qui pose déjà pas mal de problèmes). Du reste, sans journalistes et sans journaux, le problème ne se poserait pas : il faut bien que la divulgation de pièces d’instruction ait lieu quelque part. Bref, si le secret de l’instruction ne concerne pas les journalistes, on se demande qui il concerne.
De quoi s’agit-il en vrai ? De juges et de flics qui rencardent des journalistes. Mais comme il est presque impossible de le prouver, il est très difficile de sanctionner la violation elle-même. En revanche, il serait assez facile, me semble-t-il, de poursuivre les coupables de « recel de violation du secret de l’instruction », ceux à qui profite le crime, en l’occurrence les médias qui rendent effectif le délit initial (la violation elle-même) en le rendant visible. La plupart du temps, personne ne se fatigue à lancer de telles poursuites, l’affaire paraissant pliée d’avance : on imagine mal un juge condamner Le Monde pour avoir, grâce aux bienfaits d’un autre juge, publié en feuilleton le dossier d’instruction de l’affaire Elf-Berlutti. Imposer aux journalistes le respect de la loi, ce serait un attentat contre la liberté de la presse. Véronique Maurus a raison. La loi ne nous plaît pas ? Changeons la loi.

