Accueil Site Page 3048

En mars, un abonnement et ça repart

5

abonnement

Le numéro du mois de mars 2009 du mensuel Causeur vient de paraître. Les heureux abonnés l’ont déjà reçu. Quant aux malheureux dont le facteur a dû laisser la boîte aux lettres vide et bête, qu’ils se rassurent : il est encore possible de s’abonner à Causeur ou d’y abonner ses proches et ses amis !
Au sommaire : un dossier spécial Antilles (« Rolex pour tout le monde »), avec des textes d’Elisabeth Lévy, Guy Sitbon, Gil Mihaely, Raul Cazals, Cyril Bennasar, Jérôme Leroy, Luc Rosenzweig, Marc Cohen, Trudi Kohl et Basile de Koch.

Un dimanche hyperfestif

Le Printemps des poètes est l’une de ces manifestations innombrables en faveur de cette chose mourante, le livre, dont on veut faire croire au spectateur moderne qu’il existe toujours. Parce que même les agents de la société spectaculaire-marchande, depuis qu’ils ne croient plus ni en Dieu ni en Marx, ont besoin de ce supplément d’âme qui, avec les antidépresseurs et les anxiolytiques, permettent de supporter la vacuité totale d’existences vouées à de pauvres pulsions consuméristes.

Donc, fêtons les poètes. La fête, ou plutôt le festivisme, dont Philippe Muray nous expliqua si bien comment il permettait dans la posthistoire « à la mort de vivre d’une vie humaine », c’est rassurant, déculpabilisant. Les poètes, on n’en parle jamais, ou alors une dizaine de jours par an, ça ne peut pas faire de mal. C’est caritatif, finalement. Comme donner pour les enfants myopathes ou la lutte contre le cancer. Et puis tout le monde a plus ou moins écrit des poèmes et tenu un journal intime. Des vers griffonnés sur un cahier de textes en 3e, des « amours » qui riment avec « toujours »… La moiteur chlorotique et les hormones qui subliment… On a beau avoir vieilli et s’inquiéter pour les taux d’intérêt et de cholestérol, on se souvient de cette époque ou Rimbaud était un copain que l’on retrouvait chaque soir.

D’ailleurs, depuis Alphonse Daudet et son sous-préfet aux champs, on sait que même les Premiers ministres archéo-gaullistes aiment la poésie même s’ils sont moins convaincants sur le sujet que lorsqu’ils défendent, pour le coup poétiquement car sans autre force que celle du verbe, une position héroïque à l’ONU face à la folie messianique des néo-conservateurs.

Alors, un Printemps des poètes, pourquoi pas ? Quand bien même on rencontrera surtout des sous-René Char subventionnés, des oulipiens formalistes et des oracles d’arrondissement qui se prennent pour Héraclite parce qu’ils écrivent des poèmes avec trois mots par vers et trois vers par page. C’est l’élite, l’air de rien, la poésie contemporaine, et elle est tellement élitiste qu’elle n’est plus lue par personne… Nous n’aurons pas la cruauté de rappeler que Les contemplations de Victor Hugo, en 1856, virent leur premier tirage épuisé en quelques jours et qu’on connaissait les vers de ce vieux mage dans tous les foyers ouvriers de France.

Mais bon, le poète, surtout contemporain, c’est sacré. Inattaquable. Pourtant, la poésie n’est pas chez ces tristes sires abreuvés des subventions du CNL mais comme le disait Ponge, chez ces maniaques de la dernière étreinte, ceux qui dans des communautés de Corrèze, des émeutes grecques ou des geôles de la Cinquième république vivent vraiment. Elle est chez ceux qui changent la vie et l’écriront, plus tard, ou ne l’écriront pas, ce n’est pas très grave : une vie peut être le plus beau des poèmes si on songe à Arthur Cravan, Jacques Rigaut ou François Augiéras.

Ce dimanche, il se trouve que le Printemps des Poètes va coïncider avec la Journée de la Femme. Funeste conjonction. La femme est le sujet préféré des mauvais poètes et l’occupation préférée des bons amants. La Journée de la Femme, on connaît ses ambiguïtés : soit il s’agit de défendre les discriminées, les voilées, les excisées et je ne comprends pas pourquoi il y a besoin d’une journée particulière dans la mesure où ces revendications, si elles sont vraiment prises au sérieux, ne sont pas celle des femmes en particulier mais de tous ceux qui se trouvent dominés dans les rapports de production. Je ne vois pas en quoi le fait d’être femme et chômeuse, femme et sans-papier, femme et sous-payée ajoute un coefficient supplémentaire à la souffrance. C’est souvent l’erreur de mes amis « de gauche » d’ailleurs que d’oublier ces quelques fondamentaux universalistes du marxisme au profit d’un communautarisme compassionnel et sociétal qui fragmente, divise, éparpille façon puzzle le refus de ce monde-là.

Alors, voir la Journée de la Femme et le Printemps des poètes coïncider, ça m’angoisse. Je n’ai pas envie de passer mon dimanche avec madame Bovary ou monsieur Prudhomme et échanger des serments, les yeux dans les yeux, façon David Hamilton avec vaseline sur l’objectif.

Je préfère Toulet, les filles faciles et rieuses, le Jurançon 93. À lundi.

Les Contrerimes

Price: 11,30 €

21 used & new available from 1,13 €

Mgr Vingt-Trois, macho man

Le clergé a sur le commun des mortels un avantage certain, qui devrait appeler tout un chacun à mûrement réfléchir avant de s’engager dans le mariage plutôt que dans l’état ecclésiastique : un curé peut rentrer à n’importe quelle heure du soir et de la nuit, jamais bobonne ne l’attendra sur le perron, prête à mugir et à vociférer, à le sermonner et à lui faire la morale[1. A titre personnel, je suis favorable au mariage des prêtres. S’ils s’aiment.]. Tout juste a-t-il la Vierge Marie qui en a tant vu depuis qu’elle fait Mère de Dieu à temps plein qu’elle ferme les yeux et pardonne. Une soupe, un chaste baiser sur le front, et au lit !

Seulement, c’était sans compter les Chiennes de Garde, une association dont le seul nom évoque, mieux que le poète, les charmes discrets de la féminité et invite chacun de nos congénères du sexe fort à prendre un aller-simple pour Sodome plutôt que la barque pour Cythère. Elles ont décidé d’enquiquiner le calotin, en la lui faisant bouffer, sa calotte.

Voilà-t-il pas que Mgr Vingt-Trois, interrogé sur la place des femmes dans l’Eglise, déclare en novembre 2008 sur les ondes de la bien nommée radio Notre-Dame : « Le plus difficile, c’est d’avoir des femmes qui soient formées. Le tout n’est pas d’avoir une jupe, c’est d’avoir quelque chose dans la tête. »

Que n’avait-il dit là ! Quoi ? La jupe n’est pas tout ? Salaud de machiste, l’archevêque de Paris, même pas respectueux du petit plissé qui a fait la réputation de la maison Saint-Laurent et devrait définir à lui seul le plan de la Providence pour les cent mille prochaines années.

Et les Chiennes de garde de mordre au mollet Mgr Vingt-Trois en lui décernant le titre de « macho de l’année », cinq mois après son horrible forfait (soit elles ont la vengeance tenace, soit elles sont lentes à la détente, les Vigilantes canines). Le brave Mgr Vingt-Trois – si brave que ça en devient inhumain, autant de bravitude – ne se fait pas prier : il présente illico ses plus plates excuses. Le comble est qu’il s’était déjà excusé en novembre dernier auprès des quelques femmes catholiques heurtées par ses propos – mais ça ne devait compter que pour du beurre, puisque ça n’avait pas fait la une des journaux.

Seulement, faudrait savoir : voilà cinquante ans que les féministes de tous poils (pas question de les raser !) prêchent que le tout n’est pas d’avoir une jupe mais quelque chose dans la tête… Fils de son temps, Mgr Vingt-Trois répète la leçon apprise chez Antoinette Fouque et consœurs : la jupe n’est rien. Et il parle en connaisseur, lui qui portait encore la robe quand le féminisme rive-gauche ne jurait que par le blue jean même pas moulant, mais symbole d’émancipation vestimentaire.

Que s’est-il donc passé pour que l’archevêque de Paris soit voué aux gémonies ? Pourquoi de soi-disantes féministes défendent la jupe autrefois honnie ? La phrase épiscopale n’avait, en soi, rien de choquant : l’un des grands problèmes de l’Eglise catholique aujourd’hui est la formation pastorale des laïcs, dommage collatéral de la crise des vocations. Le hic, c’est que les questions de la vie, et de la vie telle qu’elle va, ça n’intéresse pas les Chiennes de garde.

Qu’est-ce qui, au fond, d’ailleurs, intéresse les Chiennes de garde ? Rien. Les violences conjugales ? La parité salariale ? Les mariages forcés ? Ça va pas la tête ! Elles n’ont qu’une seule chose dans la caboche : l’espace médiatique que pourra occuper leur prochaine ineptie.

Mgr Vingt-Trois, lui, n’est pas chienne. Il est si absorbé par son job qu’il n’a même pas le temps de tenir des propos antisémites comme n’importe quel oisif monsignore qui vous vient sous la main. Un tout petit rien l’occupe, qui porte le nom de réalité : celle de paroisses où le manque de prêtres réclame, par exemple, que les obsèques soient présidées par des laïcs, qu’il faut évidemment former, hommes ou femmes. Dans ces affaires-là, la jupe ne change, en effet, rien à l’affaire, quand c’est le ciboulot qui doit fonctionner au clair pour accompagner, aider et apaiser.

À la campagne, d’où je viens, quand un chien a tant mordu qu’il a le goût du sang dans la gueule, on l’abat. Et on fait pareil avec les chiennes. Et aussi avec les chiens qui portent des jupes. Et Dieu sait qu’on n’est pas sexiste. Hein, maman ?

Je dédie ces lignes à mon ami Daniel Riot, dont le machisme consistait à tomber amoureux chaque fois qu’il croisait une représentante de cette variété pas nécessairement désagréable de l’espèce humaine.

Joséphine Lagnol

6

Roselyne Bachelot

Née dans le Calvados en 1664, Joséphine Lagnol découvrit très jeune sa vocation : aider ses semblables. C’est ainsi qu’à seize ans elle devient sœur hospitalière, prenant le nom de Sœur Gwendoline des Vignes du Seigneur et inaugurant un sacerdoce qui la fait servir à Beaune, à Cognac, à Riquewihr, à Epernay, à Reims, à Bordeaux et à Châteauneuf-du-Pape. En 1745, elle se retire dans une chartreuse verte. Toute sa vie durant, elle aura plaidé pour les vertus antiseptiques de l’alcool dont elle recommandait l’usage interne. Sa lettre de 1738 à la Supérieure de sa congrégation en témoigne : « Plus l’ivresse gagne, plus la souffrance s’efface. » Fidèle au principe biblique du Bonum vinum laetificat cor hominis, c’est grâce à elle que les hospices de Beaune fermèrent leurs portes aux malades pour les ouvrir aux barriques.

Paul Suze, Portrait de Sœur Gwendoline des Vignes du Seigneur, huile sur toile, 1743. Conservée dans le hall d’accueil du centre Pernod-Ricard de recherches cliniques sur la cirrhose.

Femmes, femmes, femmes

7

femmes

Afin de célébrer comme il se doit la Journée internationale de la Femme[1. La Sainte Femme chez les catholiques tombe le 8 mars.], la rédaction en chef de causeur.fr sera exceptionnellement confiée aujourd’hui à Elisabeth Lévy. Conformément aux recommandations de la Halde, elle assurera cette haute responsabilité à stricte parité avec elle-même. Que nos lecteurs habituels ne s’étonnent donc pas que les articles de la journée traitent exclusivement de sujets qui intéressent les femmes (cuisine, mode, maquillage, tricot). Les choses reprendront, bien entendu, leur cours normal dès demain quand Elisabeth Lévy reprendra sa place à la tête de la rédaction.

Dirty Harry à Golgotha

24

Gran Torino est un évangile américain. Sauf qu’au commencement était le grognement. Dans le plus religieux des films de Clint Eastwood, le fils de l’Homme est devenu un loup, dépourvu de l’attribut principal qui est la parole. La Chute, le péché originel – la guerre, la violence et l’effusion de sang – pèsent sur Walt Kowalski, retraité septuagénaire grognon et avare de paroles, qui vit dans les ruines de ce qui fut le rêve américain des années 1950-1960. Son quartier de Highland Park, planté dans une petite localité de la banlieue de Detroit, doit son développement à Henri Ford qui y a ouvert la première et si célèbre chaîne de montage. Bien payés et bien traités, les ouvriers de l’industrie automobile pouvaient acheter une petite maison à proximité de l’usine, avec garage et local bricolage à l’arrière et, devant, un petit coin de pelouse et une petite véranda où on s’assoit, avec la satisfaction du propriétaire, pour siroter quelques bières, lire le journal, caresser son chien et surtout « s’occuper de ses oignons » (mind his own busines selon la formule consacrée).

Highland Park, l’industrie automobile, la classe moyenne ouvrière – grande invention de l’après-guerre –, en somme les Etats-Unis eux-mêmes : le monde qui existait au moment où ce vétéran de la guerre de Corée s’installe dans cette banlieue du rêve américain disparaît. Il a travaillé chez Ford, fondé une famille, accompagné sa femme à l’Eglise le dimanche. La messe des morts, première scène du film, célèbre la disparition de l’épouse et celle de l’Amérique rêvée sur le mode de l’Âge d’or. De ce monde perdu, Walt garde une relique à laquelle il voue un véritable culte – sa Ford Gran Torino, modèle de sport 1972 qu’il a fabriqué lui-même sur les chaînes d’assemblage des usines Ford. Tout le reste s’est écroulé, à l’image des maisons lézardées et mal entretenues, jadis occupées par des Américains pur jus comme lui (c’est-à-dire fils d’immigrés polonais, irlandais et italiens) et maintenant habitées par des Asiatiques ou, dans le vocabulaire fleuri de Walt, « des putains de bridés ». Walt, le bricoleur amer qui entretient méticuleusement maison et voiture pendant que sa famille, sa vie et son monde éclatent, l’homme qui connaît ses outils, les range soigneusement et se sent chez lui dans le hardware store, est la preuve que du point de vue du marteau, les problèmes ont tendance à ressembler à des clous.

Ses nouveaux voisins, dont l’étrangeté est vécue par Walt comme une agression, sont le châtiment du péché. Ces « Citrons » sont en fait des Hmong, ethnie de l’Asie de l’Est et notamment du Laos, pays où ils furent les alliés de l’Amérique dans la guerre civile, « guerre secrète » menée parallèlement à celle de Viêt-Nam. Après la défaite américaine, ces « harkis » ont payé un lourd tribut et plusieurs dizaines de milliers d’entre eux ont dû quitter le pays. Quelques-uns ont abouti à Highland Park. Le vétéran de Corée est hanté par les fantômes de ceux qu’il a tués plus d’un demi-siècle auparavant et surtout par celui d’un jeune homme qui essayait de se rendre – et que lui rappelle son voisin, le timide Thao. Walt affiche un mépris souverain pour le jeune curé. Mais pour ce chrétien qui s’ignore, la rencontre est l’occasion unique de se racheter et de se sauver. « Aimer son prochain » représente pourtant un effort considérable pour un homme plein de colère et de haine, qui n’a que mépris pour sa propre famille et déteste plus encore les « niaquoués » d’à côté.

Sur la voie de la rédemption il surmonte son racisme, sa méfiance instinctive et même sa violence et retrouve la parole et avec elle la compagnie des hommes. Grâce à son « rital » de coiffeur on sait d’ailleurs que sa dureté n’est qu’un mécanisme de défense, un rôle qu’il joue pour se protéger. Ainsi quand il confesse ses crimes dans un langage à faire rougir un charretier, la liste est bien maigre. Hors le péché originel, le crime de guerre qui n’est autre que la guerre elle-même, Walt Kowalski est innocent. Pourtant, il a porté ce péché toute sa vie tout comme son fusil M1 dont il ne s’est pas séparé. Mais c’est sans lui qu’il ira à l’ultime sacrifice et permettra aux autres de vivre dans l’espoir.

Qui tollis peccata novi mundi, miserere nobis.

Une Internationale anarcho-terroriste menace l’Europe

8

Dans la nuit du mardi 3 mars, à Athènes, sur la ligne Pirée-Kifissia, une bande de jeunes anarchistes a attaqué et incendié une rame de métro, à l’aide de coquetèles Molotov et de bidons d’essence, provoquant la destruction de plusieurs voitures. Cette attaque a été revendiquée par un groupe du nom de « Bandes de Conscience/Extrémistes de Pérama ». Plus inquiétant et inédit, cette action a été dédiée à une syndicaliste bulgare vitriolée et toujours dans un état grave à l’hôpital d’Athènes mais aussi et surtout au dangereux terroriste français aux pouvoirs parapsychologiques Julien C, actuellement emprisonné à la Santé pour avoir saboter début novembre des TGV par la seule force de l’esprit et des idées. L’ensemble des polices européennes est sur les dents face à cette internationale d’un genre nouveau et l’on craint des actions similaires dans le métro parisien, réclamant par exemple la libération d’Aristote et de sa Logique incarcérés eux aussi, et ce depuis au moins depuis 2000 ans.

Le gaugaullisme comme mode de survie politique

On trouve beaucoup d’hypocrisie et d’ignorance, et parfois le mélange dévastateur de la bêtise et de l’arrogance, dans la posture de ceux qui montent au créneau pour critiquer la décision de Sarkozy de réintégrer les structures militaires de l’OTAN.

Que l’extrême gauche soit contre, c’est normal : le PCF, les trotskistes, parents et alliés ont dans leur gènes le réflexe anti-otanien depuis que leurs parents et leur grand-parents se sont fait matraquer dans les rues de Paris en criant « Ridgway la peste ! ».

On sera moins indulgent pour le PS, que l’exigence de pratiquer une opposition résolue et sans concession au pouvoir sarkozyste n’exonère pas de réfléchir à l’avenir militaire et stratégique du pays dont ils souhaitent reprendre la direction au plus vite.

De Bayrou on ne dira rien, sinon que sa haine de Sarkozy lui fait, de temps en temps, retrouver un bégaiement de parole et de pensée, qu’il s’était efforcé, dans ses meilleurs moments, de combattre avec succès.

Mais qu’un quarteron de gaullistes prétendument historiques, emmenés sabre au clair par Dominique de Villepin et cautionnés par le demi-solde Juppé, viennent sonner le tocsin et battre le tambour sur la place publique au nom de l’indépendance nationale relève de la gesticulation politique indécente.

Proposons donc de désigner comme « gaugaullistes » ceux qui invoquent les mânes du général pour stigmatiser le retour de la France dans les structures militaires intégrées de l’OTAN.

M. de Villepin, par exemple, qui confond un discours à l’ONU avec une charge au pont d’Arcole, a-t-il un instant songé que, s’il est facile de se distinguer en choisissant de ne pas faire la guerre, il est moins simple d’aller seul au baroud si on l’estime nécessaire ?

Tout le monde s’accorde aujourd’hui sur un constat : l’idée d’une défense européenne n’est pas plus crédible aujourd’hui qu’elle ne l’était en 1954 au moment du rejet de la CED. L’immense majorité des Etats européens, à l’exception des « neutres » (Suède, Irlande, Suisse) ne voit pas pourquoi on découplerait la défense du continent de celle des Etats-Unis, alors que le modèle otanien s’est révélé parfaitement efficace pour vaincre la plus grave menace pesant sur l’Europe libre dans la deuxième moitié du siècle dernier.

Ni l’Allemagne, ni la Grande-Bretagne, ni, à plus forte raison, les pays de la « nouvelle Europe » ne souhaitent voir les Etats-Unis se désengager de la défense d’un continent dont les capacités militaires totales ne représentent que le quart de celles de Washington. Les dépenses de défense des pays de l’UE ont atteint un niveau historiquement bas et seuls Paris et Londres peuvent mettre sur le tapis quelques éléments militaires à peu près performants en cas de crise, alors que les autres pays sont tout juste capables de faire de la figuration intelligente ou d’assurer un minimum de logistique.

Si l’on veut construire une défense européenne, il faut bien aller là où se trouve l’Europe militaire : à Evere, près de Bruxelles où siège le conseil politique de l’Alliance, et à Mons, siège de l’état-major centre-européen.

Galouzeau, jamais en retard d’un cliché cuistre, appelle cela « passer sous les fourches caudines des Etats-Unis ». D’abord, cher Dominique, nos amis les Romains faisaient passer sous les fourches caudines les ennemis vaincus sur le champ de bataille. Les GI nous auraient-ils mis la pâtée ? Pas que je sache, et j’estime même que sans eux, les choses auraient pu mal tourner dans quelques périodes délicates.

Les plus subtils des argumenteurs anti-OTAN font valoir que notre influence non-militaire (ce que les jargonneurs des milieux diplomatiques appellent le soft power) se trouvera réduite par notre alignement sur le hard power US. Eh bien parlons-en de ce soft power français à la lumière des résultats obtenus du temps des Védrine et Villepin. Le nucléaire iranien ? Les mollahs n’ont cessé de nous balader. Le conflit israélo-arabe ? La « politique arabe de la France » consistant à cajoler Arafat, puis Assad, puis plus Assad, puis de nouveau Assad et de snober les Israéliens nous a tenu hors du coup jusqu’à ce que Sarkozy rééquilibre nos relations dans la région.

L’Afrique ? Hors les petits profits personnels de certains de nos plus éminents hommes politiques dans le cadre de la bonne vieille Françafrique, c’est le hard power français qui obtient les meilleurs résultats pour nos intérêts, en Côte d’Ivoire ou au Tchad, par exemple.

Notre spécificité, la « demande de France » dans le monde dont se gargarisent nos ambassadeurs sont aujourd’hui des pur produits de com’ qui ne résistent pas à la moindre expertise géopolitique sérieuse.

La fin du prétexte Bush à l’expression sans frein d’un anti-américanisme viscéral remet donc nos gaugaullistes à leur vraie place: au cabinet des curiosités de la vie politique française.

Auschwitz en faillite

17

auschwitz

Inscrit par l’Unesco au patrimoine mondial de l’humanité, le camp d’Auschwitz tombe en ruines. La Pologne ne parvient plus à entretenir les deux cents hectares de ce lieu de la mémoire. L’Allemagne promet de l’y aider. Retrouvez les impubliables de Babouse sur son Carnet.

Zombie, es-tu là ?

Le zombie est l’avenir de l’homme. Pas besoin d’être un amateur de films B ou Z pour s’en rendre compte : une simple promenade dans les grandes villes, spectaculaires-marchandes suffira, pour tout observateur un tant soit peu attentif. On voit ainsi des gens manger debout des sandwichs dans la rue, d’autres parler tout seul dans des oreillettes, d’autres encore recevoir directement du mp3 dans le cortex ou se regrouper en hordes imposantes dès qu’on les soumet à quelques stimuli simples : un nouveau modèle de console vient de sortir chez Virgin, un slamer dit que la haine et l’exclusion c’est mal sur une scène branchée, un génie du monde d’avant est muséifié dans une méga exposition, calibrée pour la petite bourgeoisie post-moderne qui ne supporte la beauté foudroyante de Monet qu’en troupeau morbide et qui va aux Nymphéas comme d’autres vont à l’abattoir. Oui, il faut s’y faire, le zombie est déjà parmi nous[1. Un film de Romero, le maître du genre, avait montré le lien zombie-consommation de masse dans Zombies crépuscules (1973) où un groupe de survivants se réfugiaient dans un supermarché assiégé.].

Autant le loup-garou, le fantôme, le vampire (surtout depuis la quasi-éradication du sida en Occident) ne sont plus des figures de la peur aussi efficaces, autant le zombie a gardé, si je puis dire, toute sa fraîcheur tant il préfigure le devenir-consommation de notre temps pour qui même l’amour, le bonheur, le sexe, l’idéal politique sont désormais des produits dont on évalue le rapport qualité-prix avec un homme dont le libre-arbitre se joue dans les allées des supermachés et les zones commerciales de la grégarité marchande imposée par les rythmes biopolitiques de la Production.

Déjà morts, on vous dit.

C’est pour cela que nous recommandons vivement la lecture de World War Z, même à ceux qui ne sont pas des habitués de la littérature de genre tant ce roman de Max Brooks (le fils de Mel et de l’actrice Anne Bancroft) est d’abord un chef-d’œuvre littéraire, profondément visionnaire, ironique et désespéré. L’argument est simple : la prochaine guerre mondiale, désolé Dantec, n’aura pas lieu contre les musulmans mais contre les zombies. Le premier cas, le patient zéro, va apparaître en Chine et l’épidémie, évidemment sous-estimée par les responsables politiques, va se muer en Grande Panique dans laquelle l’ensemble de la civilisation s’effondre à une vitesse effroyable.

Quelques pays, qu’une vieille paranoïa historique avait entraîné à penser l’apocalypse, tirent plutôt bien leur épingle du jeu en prenant très vite les mesures qui s’imposent, des mesures bien sûr profondément révoltantes au regard des droits de l’homme. En même temps quand votre grand-mère à peine décédée sur son lit d’hôpital se réveille et commence à vous boulotter le visage, on s’autorise à prendre quelques libertés avec l’habeas corpus. Pour la petite histoire, qui amusera sans doute les lecteurs de Causeur, les trois pays qui résistent le mieux sont Israël qui verrouille ses frontières une fois reçu le renfort des réfugiés Palestiniens (comme quoi, quand ça va vraiment mal on oublie tout et on recommence), Cuba dont l’insularité marxiste permet une résistance magnifiquement organisée et l’Afrique du Sud dont le gouvernement réactive un vieux plan datant de l’Apartheid et qui prévoyait comment sauver la communauté blanche dans un scénario catastrophe d’attaque généralisées des Noirs. C’est ce plan, le plan Redecker, qui sera d’ailleurs appliqué par les autres nations essayant tant bien que mal de se ressaisir. Il consiste à sécuriser une zone du pays protégée par des frontières naturelles (l’ouest des Rocheuses pour les Etats-Unis, l’Himalaya pour l’Inde) et à abandonner le reste de la population dans des communautés isolées plus ou moins sacrifiées pour « fixer » les zombies comme on dit en termes militaires. La realpolitik, il n’y a que ça de vrai.

Brooks se livre évidemment ici à une critique presque swiftienne de notre monde ivre de sa puissance technologique dont l’orgueil prométhéen va subir une féroce blessure narcissique. Quelques scènes d’anthologie montrent d’ailleurs comment des armées modernes se font totalement déborder par les morts-vivants et comment, finalement, la victoire sera obtenue grâce à une manière de De Gaulle américain qui réorganise les troupes avec un équipement low-tech pour en finir avec la question zombie.

Toute la force narrative, toute la redoutable crédibilité de World War Z vient de ce que le livre commence après cette guerre gagnée de justesse et prend la forme d’entretiens réalisés par un universitaire auprès des différents protagonistes de tous les continents et de toutes les conditions sociales, avec des héros et des lâches, des enfants cannibales et des collabos, les quislings[2. Du nom du Pétain norvégien.] qui adoptent le mode de vie zombie en espérant leur échapper.

Brooks est finalement un érudit et un moraliste : le zombie est sa métaphore élue pour réinterpréter l’ensemble de notre histoire contemporaine. Il serait de mauvais goût de dire que ce livre se dévore mais je vous souhaite néanmoins bon appétit.

World war Z: Une histoire orale de la guerre des Zombies

Price: 24,40 €

16 used & new available from 7,88 €

Photo : Scott Beale / Laughing Squid.

En mars, un abonnement et ça repart

5

abonnement

Le numéro du mois de mars 2009 du mensuel Causeur vient de paraître. Les heureux abonnés l’ont déjà reçu. Quant aux malheureux dont le facteur a dû laisser la boîte aux lettres vide et bête, qu’ils se rassurent : il est encore possible de s’abonner à Causeur ou d’y abonner ses proches et ses amis !
Au sommaire : un dossier spécial Antilles (« Rolex pour tout le monde »), avec des textes d’Elisabeth Lévy, Guy Sitbon, Gil Mihaely, Raul Cazals, Cyril Bennasar, Jérôme Leroy, Luc Rosenzweig, Marc Cohen, Trudi Kohl et Basile de Koch.

Un dimanche hyperfestif

14

Le Printemps des poètes est l’une de ces manifestations innombrables en faveur de cette chose mourante, le livre, dont on veut faire croire au spectateur moderne qu’il existe toujours. Parce que même les agents de la société spectaculaire-marchande, depuis qu’ils ne croient plus ni en Dieu ni en Marx, ont besoin de ce supplément d’âme qui, avec les antidépresseurs et les anxiolytiques, permettent de supporter la vacuité totale d’existences vouées à de pauvres pulsions consuméristes.

Donc, fêtons les poètes. La fête, ou plutôt le festivisme, dont Philippe Muray nous expliqua si bien comment il permettait dans la posthistoire « à la mort de vivre d’une vie humaine », c’est rassurant, déculpabilisant. Les poètes, on n’en parle jamais, ou alors une dizaine de jours par an, ça ne peut pas faire de mal. C’est caritatif, finalement. Comme donner pour les enfants myopathes ou la lutte contre le cancer. Et puis tout le monde a plus ou moins écrit des poèmes et tenu un journal intime. Des vers griffonnés sur un cahier de textes en 3e, des « amours » qui riment avec « toujours »… La moiteur chlorotique et les hormones qui subliment… On a beau avoir vieilli et s’inquiéter pour les taux d’intérêt et de cholestérol, on se souvient de cette époque ou Rimbaud était un copain que l’on retrouvait chaque soir.

D’ailleurs, depuis Alphonse Daudet et son sous-préfet aux champs, on sait que même les Premiers ministres archéo-gaullistes aiment la poésie même s’ils sont moins convaincants sur le sujet que lorsqu’ils défendent, pour le coup poétiquement car sans autre force que celle du verbe, une position héroïque à l’ONU face à la folie messianique des néo-conservateurs.

Alors, un Printemps des poètes, pourquoi pas ? Quand bien même on rencontrera surtout des sous-René Char subventionnés, des oulipiens formalistes et des oracles d’arrondissement qui se prennent pour Héraclite parce qu’ils écrivent des poèmes avec trois mots par vers et trois vers par page. C’est l’élite, l’air de rien, la poésie contemporaine, et elle est tellement élitiste qu’elle n’est plus lue par personne… Nous n’aurons pas la cruauté de rappeler que Les contemplations de Victor Hugo, en 1856, virent leur premier tirage épuisé en quelques jours et qu’on connaissait les vers de ce vieux mage dans tous les foyers ouvriers de France.

Mais bon, le poète, surtout contemporain, c’est sacré. Inattaquable. Pourtant, la poésie n’est pas chez ces tristes sires abreuvés des subventions du CNL mais comme le disait Ponge, chez ces maniaques de la dernière étreinte, ceux qui dans des communautés de Corrèze, des émeutes grecques ou des geôles de la Cinquième république vivent vraiment. Elle est chez ceux qui changent la vie et l’écriront, plus tard, ou ne l’écriront pas, ce n’est pas très grave : une vie peut être le plus beau des poèmes si on songe à Arthur Cravan, Jacques Rigaut ou François Augiéras.

Ce dimanche, il se trouve que le Printemps des Poètes va coïncider avec la Journée de la Femme. Funeste conjonction. La femme est le sujet préféré des mauvais poètes et l’occupation préférée des bons amants. La Journée de la Femme, on connaît ses ambiguïtés : soit il s’agit de défendre les discriminées, les voilées, les excisées et je ne comprends pas pourquoi il y a besoin d’une journée particulière dans la mesure où ces revendications, si elles sont vraiment prises au sérieux, ne sont pas celle des femmes en particulier mais de tous ceux qui se trouvent dominés dans les rapports de production. Je ne vois pas en quoi le fait d’être femme et chômeuse, femme et sans-papier, femme et sous-payée ajoute un coefficient supplémentaire à la souffrance. C’est souvent l’erreur de mes amis « de gauche » d’ailleurs que d’oublier ces quelques fondamentaux universalistes du marxisme au profit d’un communautarisme compassionnel et sociétal qui fragmente, divise, éparpille façon puzzle le refus de ce monde-là.

Alors, voir la Journée de la Femme et le Printemps des poètes coïncider, ça m’angoisse. Je n’ai pas envie de passer mon dimanche avec madame Bovary ou monsieur Prudhomme et échanger des serments, les yeux dans les yeux, façon David Hamilton avec vaseline sur l’objectif.

Je préfère Toulet, les filles faciles et rieuses, le Jurançon 93. À lundi.

Les Contrerimes

Price: 11,30 €

21 used & new available from 1,13 €

Mgr Vingt-Trois, macho man

64

Le clergé a sur le commun des mortels un avantage certain, qui devrait appeler tout un chacun à mûrement réfléchir avant de s’engager dans le mariage plutôt que dans l’état ecclésiastique : un curé peut rentrer à n’importe quelle heure du soir et de la nuit, jamais bobonne ne l’attendra sur le perron, prête à mugir et à vociférer, à le sermonner et à lui faire la morale[1. A titre personnel, je suis favorable au mariage des prêtres. S’ils s’aiment.]. Tout juste a-t-il la Vierge Marie qui en a tant vu depuis qu’elle fait Mère de Dieu à temps plein qu’elle ferme les yeux et pardonne. Une soupe, un chaste baiser sur le front, et au lit !

Seulement, c’était sans compter les Chiennes de Garde, une association dont le seul nom évoque, mieux que le poète, les charmes discrets de la féminité et invite chacun de nos congénères du sexe fort à prendre un aller-simple pour Sodome plutôt que la barque pour Cythère. Elles ont décidé d’enquiquiner le calotin, en la lui faisant bouffer, sa calotte.

Voilà-t-il pas que Mgr Vingt-Trois, interrogé sur la place des femmes dans l’Eglise, déclare en novembre 2008 sur les ondes de la bien nommée radio Notre-Dame : « Le plus difficile, c’est d’avoir des femmes qui soient formées. Le tout n’est pas d’avoir une jupe, c’est d’avoir quelque chose dans la tête. »

Que n’avait-il dit là ! Quoi ? La jupe n’est pas tout ? Salaud de machiste, l’archevêque de Paris, même pas respectueux du petit plissé qui a fait la réputation de la maison Saint-Laurent et devrait définir à lui seul le plan de la Providence pour les cent mille prochaines années.

Et les Chiennes de garde de mordre au mollet Mgr Vingt-Trois en lui décernant le titre de « macho de l’année », cinq mois après son horrible forfait (soit elles ont la vengeance tenace, soit elles sont lentes à la détente, les Vigilantes canines). Le brave Mgr Vingt-Trois – si brave que ça en devient inhumain, autant de bravitude – ne se fait pas prier : il présente illico ses plus plates excuses. Le comble est qu’il s’était déjà excusé en novembre dernier auprès des quelques femmes catholiques heurtées par ses propos – mais ça ne devait compter que pour du beurre, puisque ça n’avait pas fait la une des journaux.

Seulement, faudrait savoir : voilà cinquante ans que les féministes de tous poils (pas question de les raser !) prêchent que le tout n’est pas d’avoir une jupe mais quelque chose dans la tête… Fils de son temps, Mgr Vingt-Trois répète la leçon apprise chez Antoinette Fouque et consœurs : la jupe n’est rien. Et il parle en connaisseur, lui qui portait encore la robe quand le féminisme rive-gauche ne jurait que par le blue jean même pas moulant, mais symbole d’émancipation vestimentaire.

Que s’est-il donc passé pour que l’archevêque de Paris soit voué aux gémonies ? Pourquoi de soi-disantes féministes défendent la jupe autrefois honnie ? La phrase épiscopale n’avait, en soi, rien de choquant : l’un des grands problèmes de l’Eglise catholique aujourd’hui est la formation pastorale des laïcs, dommage collatéral de la crise des vocations. Le hic, c’est que les questions de la vie, et de la vie telle qu’elle va, ça n’intéresse pas les Chiennes de garde.

Qu’est-ce qui, au fond, d’ailleurs, intéresse les Chiennes de garde ? Rien. Les violences conjugales ? La parité salariale ? Les mariages forcés ? Ça va pas la tête ! Elles n’ont qu’une seule chose dans la caboche : l’espace médiatique que pourra occuper leur prochaine ineptie.

Mgr Vingt-Trois, lui, n’est pas chienne. Il est si absorbé par son job qu’il n’a même pas le temps de tenir des propos antisémites comme n’importe quel oisif monsignore qui vous vient sous la main. Un tout petit rien l’occupe, qui porte le nom de réalité : celle de paroisses où le manque de prêtres réclame, par exemple, que les obsèques soient présidées par des laïcs, qu’il faut évidemment former, hommes ou femmes. Dans ces affaires-là, la jupe ne change, en effet, rien à l’affaire, quand c’est le ciboulot qui doit fonctionner au clair pour accompagner, aider et apaiser.

À la campagne, d’où je viens, quand un chien a tant mordu qu’il a le goût du sang dans la gueule, on l’abat. Et on fait pareil avec les chiennes. Et aussi avec les chiens qui portent des jupes. Et Dieu sait qu’on n’est pas sexiste. Hein, maman ?

Je dédie ces lignes à mon ami Daniel Riot, dont le machisme consistait à tomber amoureux chaque fois qu’il croisait une représentante de cette variété pas nécessairement désagréable de l’espèce humaine.

Joséphine Lagnol

6

Roselyne Bachelot

Née dans le Calvados en 1664, Joséphine Lagnol découvrit très jeune sa vocation : aider ses semblables. C’est ainsi qu’à seize ans elle devient sœur hospitalière, prenant le nom de Sœur Gwendoline des Vignes du Seigneur et inaugurant un sacerdoce qui la fait servir à Beaune, à Cognac, à Riquewihr, à Epernay, à Reims, à Bordeaux et à Châteauneuf-du-Pape. En 1745, elle se retire dans une chartreuse verte. Toute sa vie durant, elle aura plaidé pour les vertus antiseptiques de l’alcool dont elle recommandait l’usage interne. Sa lettre de 1738 à la Supérieure de sa congrégation en témoigne : « Plus l’ivresse gagne, plus la souffrance s’efface. » Fidèle au principe biblique du Bonum vinum laetificat cor hominis, c’est grâce à elle que les hospices de Beaune fermèrent leurs portes aux malades pour les ouvrir aux barriques.

Paul Suze, Portrait de Sœur Gwendoline des Vignes du Seigneur, huile sur toile, 1743. Conservée dans le hall d’accueil du centre Pernod-Ricard de recherches cliniques sur la cirrhose.

Femmes, femmes, femmes

7

femmes

Afin de célébrer comme il se doit la Journée internationale de la Femme[1. La Sainte Femme chez les catholiques tombe le 8 mars.], la rédaction en chef de causeur.fr sera exceptionnellement confiée aujourd’hui à Elisabeth Lévy. Conformément aux recommandations de la Halde, elle assurera cette haute responsabilité à stricte parité avec elle-même. Que nos lecteurs habituels ne s’étonnent donc pas que les articles de la journée traitent exclusivement de sujets qui intéressent les femmes (cuisine, mode, maquillage, tricot). Les choses reprendront, bien entendu, leur cours normal dès demain quand Elisabeth Lévy reprendra sa place à la tête de la rédaction.

Dirty Harry à Golgotha

24

Gran Torino est un évangile américain. Sauf qu’au commencement était le grognement. Dans le plus religieux des films de Clint Eastwood, le fils de l’Homme est devenu un loup, dépourvu de l’attribut principal qui est la parole. La Chute, le péché originel – la guerre, la violence et l’effusion de sang – pèsent sur Walt Kowalski, retraité septuagénaire grognon et avare de paroles, qui vit dans les ruines de ce qui fut le rêve américain des années 1950-1960. Son quartier de Highland Park, planté dans une petite localité de la banlieue de Detroit, doit son développement à Henri Ford qui y a ouvert la première et si célèbre chaîne de montage. Bien payés et bien traités, les ouvriers de l’industrie automobile pouvaient acheter une petite maison à proximité de l’usine, avec garage et local bricolage à l’arrière et, devant, un petit coin de pelouse et une petite véranda où on s’assoit, avec la satisfaction du propriétaire, pour siroter quelques bières, lire le journal, caresser son chien et surtout « s’occuper de ses oignons » (mind his own busines selon la formule consacrée).

Highland Park, l’industrie automobile, la classe moyenne ouvrière – grande invention de l’après-guerre –, en somme les Etats-Unis eux-mêmes : le monde qui existait au moment où ce vétéran de la guerre de Corée s’installe dans cette banlieue du rêve américain disparaît. Il a travaillé chez Ford, fondé une famille, accompagné sa femme à l’Eglise le dimanche. La messe des morts, première scène du film, célèbre la disparition de l’épouse et celle de l’Amérique rêvée sur le mode de l’Âge d’or. De ce monde perdu, Walt garde une relique à laquelle il voue un véritable culte – sa Ford Gran Torino, modèle de sport 1972 qu’il a fabriqué lui-même sur les chaînes d’assemblage des usines Ford. Tout le reste s’est écroulé, à l’image des maisons lézardées et mal entretenues, jadis occupées par des Américains pur jus comme lui (c’est-à-dire fils d’immigrés polonais, irlandais et italiens) et maintenant habitées par des Asiatiques ou, dans le vocabulaire fleuri de Walt, « des putains de bridés ». Walt, le bricoleur amer qui entretient méticuleusement maison et voiture pendant que sa famille, sa vie et son monde éclatent, l’homme qui connaît ses outils, les range soigneusement et se sent chez lui dans le hardware store, est la preuve que du point de vue du marteau, les problèmes ont tendance à ressembler à des clous.

Ses nouveaux voisins, dont l’étrangeté est vécue par Walt comme une agression, sont le châtiment du péché. Ces « Citrons » sont en fait des Hmong, ethnie de l’Asie de l’Est et notamment du Laos, pays où ils furent les alliés de l’Amérique dans la guerre civile, « guerre secrète » menée parallèlement à celle de Viêt-Nam. Après la défaite américaine, ces « harkis » ont payé un lourd tribut et plusieurs dizaines de milliers d’entre eux ont dû quitter le pays. Quelques-uns ont abouti à Highland Park. Le vétéran de Corée est hanté par les fantômes de ceux qu’il a tués plus d’un demi-siècle auparavant et surtout par celui d’un jeune homme qui essayait de se rendre – et que lui rappelle son voisin, le timide Thao. Walt affiche un mépris souverain pour le jeune curé. Mais pour ce chrétien qui s’ignore, la rencontre est l’occasion unique de se racheter et de se sauver. « Aimer son prochain » représente pourtant un effort considérable pour un homme plein de colère et de haine, qui n’a que mépris pour sa propre famille et déteste plus encore les « niaquoués » d’à côté.

Sur la voie de la rédemption il surmonte son racisme, sa méfiance instinctive et même sa violence et retrouve la parole et avec elle la compagnie des hommes. Grâce à son « rital » de coiffeur on sait d’ailleurs que sa dureté n’est qu’un mécanisme de défense, un rôle qu’il joue pour se protéger. Ainsi quand il confesse ses crimes dans un langage à faire rougir un charretier, la liste est bien maigre. Hors le péché originel, le crime de guerre qui n’est autre que la guerre elle-même, Walt Kowalski est innocent. Pourtant, il a porté ce péché toute sa vie tout comme son fusil M1 dont il ne s’est pas séparé. Mais c’est sans lui qu’il ira à l’ultime sacrifice et permettra aux autres de vivre dans l’espoir.

Qui tollis peccata novi mundi, miserere nobis.

Une Internationale anarcho-terroriste menace l’Europe

8

Dans la nuit du mardi 3 mars, à Athènes, sur la ligne Pirée-Kifissia, une bande de jeunes anarchistes a attaqué et incendié une rame de métro, à l’aide de coquetèles Molotov et de bidons d’essence, provoquant la destruction de plusieurs voitures. Cette attaque a été revendiquée par un groupe du nom de « Bandes de Conscience/Extrémistes de Pérama ». Plus inquiétant et inédit, cette action a été dédiée à une syndicaliste bulgare vitriolée et toujours dans un état grave à l’hôpital d’Athènes mais aussi et surtout au dangereux terroriste français aux pouvoirs parapsychologiques Julien C, actuellement emprisonné à la Santé pour avoir saboter début novembre des TGV par la seule force de l’esprit et des idées. L’ensemble des polices européennes est sur les dents face à cette internationale d’un genre nouveau et l’on craint des actions similaires dans le métro parisien, réclamant par exemple la libération d’Aristote et de sa Logique incarcérés eux aussi, et ce depuis au moins depuis 2000 ans.

Le gaugaullisme comme mode de survie politique

134

On trouve beaucoup d’hypocrisie et d’ignorance, et parfois le mélange dévastateur de la bêtise et de l’arrogance, dans la posture de ceux qui montent au créneau pour critiquer la décision de Sarkozy de réintégrer les structures militaires de l’OTAN.

Que l’extrême gauche soit contre, c’est normal : le PCF, les trotskistes, parents et alliés ont dans leur gènes le réflexe anti-otanien depuis que leurs parents et leur grand-parents se sont fait matraquer dans les rues de Paris en criant « Ridgway la peste ! ».

On sera moins indulgent pour le PS, que l’exigence de pratiquer une opposition résolue et sans concession au pouvoir sarkozyste n’exonère pas de réfléchir à l’avenir militaire et stratégique du pays dont ils souhaitent reprendre la direction au plus vite.

De Bayrou on ne dira rien, sinon que sa haine de Sarkozy lui fait, de temps en temps, retrouver un bégaiement de parole et de pensée, qu’il s’était efforcé, dans ses meilleurs moments, de combattre avec succès.

Mais qu’un quarteron de gaullistes prétendument historiques, emmenés sabre au clair par Dominique de Villepin et cautionnés par le demi-solde Juppé, viennent sonner le tocsin et battre le tambour sur la place publique au nom de l’indépendance nationale relève de la gesticulation politique indécente.

Proposons donc de désigner comme « gaugaullistes » ceux qui invoquent les mânes du général pour stigmatiser le retour de la France dans les structures militaires intégrées de l’OTAN.

M. de Villepin, par exemple, qui confond un discours à l’ONU avec une charge au pont d’Arcole, a-t-il un instant songé que, s’il est facile de se distinguer en choisissant de ne pas faire la guerre, il est moins simple d’aller seul au baroud si on l’estime nécessaire ?

Tout le monde s’accorde aujourd’hui sur un constat : l’idée d’une défense européenne n’est pas plus crédible aujourd’hui qu’elle ne l’était en 1954 au moment du rejet de la CED. L’immense majorité des Etats européens, à l’exception des « neutres » (Suède, Irlande, Suisse) ne voit pas pourquoi on découplerait la défense du continent de celle des Etats-Unis, alors que le modèle otanien s’est révélé parfaitement efficace pour vaincre la plus grave menace pesant sur l’Europe libre dans la deuxième moitié du siècle dernier.

Ni l’Allemagne, ni la Grande-Bretagne, ni, à plus forte raison, les pays de la « nouvelle Europe » ne souhaitent voir les Etats-Unis se désengager de la défense d’un continent dont les capacités militaires totales ne représentent que le quart de celles de Washington. Les dépenses de défense des pays de l’UE ont atteint un niveau historiquement bas et seuls Paris et Londres peuvent mettre sur le tapis quelques éléments militaires à peu près performants en cas de crise, alors que les autres pays sont tout juste capables de faire de la figuration intelligente ou d’assurer un minimum de logistique.

Si l’on veut construire une défense européenne, il faut bien aller là où se trouve l’Europe militaire : à Evere, près de Bruxelles où siège le conseil politique de l’Alliance, et à Mons, siège de l’état-major centre-européen.

Galouzeau, jamais en retard d’un cliché cuistre, appelle cela « passer sous les fourches caudines des Etats-Unis ». D’abord, cher Dominique, nos amis les Romains faisaient passer sous les fourches caudines les ennemis vaincus sur le champ de bataille. Les GI nous auraient-ils mis la pâtée ? Pas que je sache, et j’estime même que sans eux, les choses auraient pu mal tourner dans quelques périodes délicates.

Les plus subtils des argumenteurs anti-OTAN font valoir que notre influence non-militaire (ce que les jargonneurs des milieux diplomatiques appellent le soft power) se trouvera réduite par notre alignement sur le hard power US. Eh bien parlons-en de ce soft power français à la lumière des résultats obtenus du temps des Védrine et Villepin. Le nucléaire iranien ? Les mollahs n’ont cessé de nous balader. Le conflit israélo-arabe ? La « politique arabe de la France » consistant à cajoler Arafat, puis Assad, puis plus Assad, puis de nouveau Assad et de snober les Israéliens nous a tenu hors du coup jusqu’à ce que Sarkozy rééquilibre nos relations dans la région.

L’Afrique ? Hors les petits profits personnels de certains de nos plus éminents hommes politiques dans le cadre de la bonne vieille Françafrique, c’est le hard power français qui obtient les meilleurs résultats pour nos intérêts, en Côte d’Ivoire ou au Tchad, par exemple.

Notre spécificité, la « demande de France » dans le monde dont se gargarisent nos ambassadeurs sont aujourd’hui des pur produits de com’ qui ne résistent pas à la moindre expertise géopolitique sérieuse.

La fin du prétexte Bush à l’expression sans frein d’un anti-américanisme viscéral remet donc nos gaugaullistes à leur vraie place: au cabinet des curiosités de la vie politique française.

Auschwitz en faillite

17

auschwitz

Inscrit par l’Unesco au patrimoine mondial de l’humanité, le camp d’Auschwitz tombe en ruines. La Pologne ne parvient plus à entretenir les deux cents hectares de ce lieu de la mémoire. L’Allemagne promet de l’y aider. Retrouvez les impubliables de Babouse sur son Carnet.

Zombie, es-tu là ?

23

Le zombie est l’avenir de l’homme. Pas besoin d’être un amateur de films B ou Z pour s’en rendre compte : une simple promenade dans les grandes villes, spectaculaires-marchandes suffira, pour tout observateur un tant soit peu attentif. On voit ainsi des gens manger debout des sandwichs dans la rue, d’autres parler tout seul dans des oreillettes, d’autres encore recevoir directement du mp3 dans le cortex ou se regrouper en hordes imposantes dès qu’on les soumet à quelques stimuli simples : un nouveau modèle de console vient de sortir chez Virgin, un slamer dit que la haine et l’exclusion c’est mal sur une scène branchée, un génie du monde d’avant est muséifié dans une méga exposition, calibrée pour la petite bourgeoisie post-moderne qui ne supporte la beauté foudroyante de Monet qu’en troupeau morbide et qui va aux Nymphéas comme d’autres vont à l’abattoir. Oui, il faut s’y faire, le zombie est déjà parmi nous[1. Un film de Romero, le maître du genre, avait montré le lien zombie-consommation de masse dans Zombies crépuscules (1973) où un groupe de survivants se réfugiaient dans un supermarché assiégé.].

Autant le loup-garou, le fantôme, le vampire (surtout depuis la quasi-éradication du sida en Occident) ne sont plus des figures de la peur aussi efficaces, autant le zombie a gardé, si je puis dire, toute sa fraîcheur tant il préfigure le devenir-consommation de notre temps pour qui même l’amour, le bonheur, le sexe, l’idéal politique sont désormais des produits dont on évalue le rapport qualité-prix avec un homme dont le libre-arbitre se joue dans les allées des supermachés et les zones commerciales de la grégarité marchande imposée par les rythmes biopolitiques de la Production.

Déjà morts, on vous dit.

C’est pour cela que nous recommandons vivement la lecture de World War Z, même à ceux qui ne sont pas des habitués de la littérature de genre tant ce roman de Max Brooks (le fils de Mel et de l’actrice Anne Bancroft) est d’abord un chef-d’œuvre littéraire, profondément visionnaire, ironique et désespéré. L’argument est simple : la prochaine guerre mondiale, désolé Dantec, n’aura pas lieu contre les musulmans mais contre les zombies. Le premier cas, le patient zéro, va apparaître en Chine et l’épidémie, évidemment sous-estimée par les responsables politiques, va se muer en Grande Panique dans laquelle l’ensemble de la civilisation s’effondre à une vitesse effroyable.

Quelques pays, qu’une vieille paranoïa historique avait entraîné à penser l’apocalypse, tirent plutôt bien leur épingle du jeu en prenant très vite les mesures qui s’imposent, des mesures bien sûr profondément révoltantes au regard des droits de l’homme. En même temps quand votre grand-mère à peine décédée sur son lit d’hôpital se réveille et commence à vous boulotter le visage, on s’autorise à prendre quelques libertés avec l’habeas corpus. Pour la petite histoire, qui amusera sans doute les lecteurs de Causeur, les trois pays qui résistent le mieux sont Israël qui verrouille ses frontières une fois reçu le renfort des réfugiés Palestiniens (comme quoi, quand ça va vraiment mal on oublie tout et on recommence), Cuba dont l’insularité marxiste permet une résistance magnifiquement organisée et l’Afrique du Sud dont le gouvernement réactive un vieux plan datant de l’Apartheid et qui prévoyait comment sauver la communauté blanche dans un scénario catastrophe d’attaque généralisées des Noirs. C’est ce plan, le plan Redecker, qui sera d’ailleurs appliqué par les autres nations essayant tant bien que mal de se ressaisir. Il consiste à sécuriser une zone du pays protégée par des frontières naturelles (l’ouest des Rocheuses pour les Etats-Unis, l’Himalaya pour l’Inde) et à abandonner le reste de la population dans des communautés isolées plus ou moins sacrifiées pour « fixer » les zombies comme on dit en termes militaires. La realpolitik, il n’y a que ça de vrai.

Brooks se livre évidemment ici à une critique presque swiftienne de notre monde ivre de sa puissance technologique dont l’orgueil prométhéen va subir une féroce blessure narcissique. Quelques scènes d’anthologie montrent d’ailleurs comment des armées modernes se font totalement déborder par les morts-vivants et comment, finalement, la victoire sera obtenue grâce à une manière de De Gaulle américain qui réorganise les troupes avec un équipement low-tech pour en finir avec la question zombie.

Toute la force narrative, toute la redoutable crédibilité de World War Z vient de ce que le livre commence après cette guerre gagnée de justesse et prend la forme d’entretiens réalisés par un universitaire auprès des différents protagonistes de tous les continents et de toutes les conditions sociales, avec des héros et des lâches, des enfants cannibales et des collabos, les quislings[2. Du nom du Pétain norvégien.] qui adoptent le mode de vie zombie en espérant leur échapper.

Brooks est finalement un érudit et un moraliste : le zombie est sa métaphore élue pour réinterpréter l’ensemble de notre histoire contemporaine. Il serait de mauvais goût de dire que ce livre se dévore mais je vous souhaite néanmoins bon appétit.

World war Z: Une histoire orale de la guerre des Zombies

Price: 24,40 €

16 used & new available from 7,88 €

Photo : Scott Beale / Laughing Squid.