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Ni Friedman, ni Keynes

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La crise que nous vivons n’a pas encore ses chansonnettes mais elle a déjà sa mythologie avec ses bons, ses brutes et ses truands. Selon la légende qui est en train de gagner l’opinion publique, depuis 1945 notre existence s’écoulait doucement sous le giron de l’Etat-providence quand soudain, au bout de la rue principale de notre petite ville pépère, surgirent les trois cavaliers de l’apocalypse : Milton Friedman, Margaret Thatcher et Ronald Reagan. Par obstination et cupidité, ces trois là ont tout détruit sur leur passage. Avec leurs armées de traders, actionnaires, conseillers en stratégie et autres titulaires de MBA, ils se sont emparés de la richesse des peuples et ont piétiné leurs acquis sociaux. Ainsi commença la trentaine désastreuse, l’ère de l’argent-roi et du marché-dieu. Puis notre pouvoir d’achat, à nous les vrais gens, dégringola.

L’heure de la vérité a enfin sonné. Les masques sont tombés, et l’heure est venue de se lever comme un seul homme contre les Dark Vador de la planète noire « CAC 40 » (ou caca-rente comme l’a dit récemment l’auteur d’un Dictionnaire des gros mots cachés dans les mots).

Sauf qu’il suffit de feuilleter quelques journaux de 1977 (année de la sortie de Star Wars), pour se rendre à l’évidence : le modèle économique de l’après-guerre, malgré son « keynésianisme » considéré aujourd’hui comme la panacée universelle et une vérité révélée, a fait naufrage – en grande partie à cause de l’excès de keynésianisme de même que celui qui lui a succédé s’est planté pour excès de libéral-monétarisme. Certes, la crise pétrolière d’octobre 1973 est aussi passée par là : mais elle a révélé les faiblesses su système plus qu’elle ne les a créées.

Le chômage, OVNI méconnu dans les années 1960, est passé en France de 3 % (690.000) en 1974 à 7 % (1.500 000) en 1981, pour devenir un enjeu central du débat politique. Ces années furent si terribles qu’en 1979, Jean Fourastié appela les trois décennies qui les avaient précédées les Trente glorieuses, un peu comme les années 1900 étaient devenues une Belle époque après 14-18. Il est toujours joli, le temps passé, surtout au lendemain d’un désastre. Il suffit de se remémorer le sort des ouvriers de Renault dans les années 1960-1970 pour comprendre qu’il y a une certaine incongruité à faire passer cette époque pour un âge d’or.

Bien avant la mondialisation et la délocalisation, le chômage, les déficits et l’inflation des années 1970 avaient révélé que le modèle économique et social (le capitalisme syndicalo-étatique) était à bout de souffle. Trop lourd financièrement, sclérosé et sclérosant, il a obligé les gouvernements à recourir massivement à l’emprunt pour financer non pas les investissements à long terme mais les dépenses courantes et les transferts sociaux. En clair, le nouveau modèle économique est né non pas de la cupidité de certains acteurs, mais tout simplement de la décrépitude de son prédécesseur (et aussi, comme l’a parfaitement expliqué Gauchet de l’incapacité des élites françaises à s’adapter à la nouvelle configuration planétaire).

Une fois la reconstruction de l’après-guerre achevée et le différentiel des niveaux de vie entre les deux rives de l’Atlantique résorbé, il a bien fallu trouver d’autres gisements de croissance. Deux directions ont été explorées, les gains de productivité dans la production et l’invention de nouveaux modes de financement. Ainsi est né le « capitalisme financier ». En matière de production, le nouveau modèle reposait sur la sous-traitance de certaines activités et la mise en concurrence généralisée. Pour le financement, l’idée était de faciliter la rencontre entre les investisseurs et les projets projet-capital tout en réduisant les risques, à travers de nouveaux produits financiers de plus en plus sophistiqués et de plus en plus abstraits.

Prenons l’exemple simple d’un constructeur automobile dans les années 1970. Tout le monde, du vigile au PDG, est salarié de la même boîte et tous les composants – du rétroviseur au châssis en passant par les sièges – sont fabriqués en interne. Quand cette entreprise tombe gravement malade autour de 1980, on trouve en tâtonnant la solution de la sous-traitance. L’atelier des sièges, devenu une société anonyme indépendante, peut fournir d’autres constructeurs, étendre ses compétences aux sièges pour avions de lignes, il peut même fabriquer des jardinières s’il y trouve son compte. Mais outre les dégâts sociaux qu’elles engendrent (on demande à des régions entières de changer de vie) ces restructurations demandent d’énormes volumes de capitaux. D’où la création de nouveaux produits et de nouveaux marchés qui sont à leur tour emportés par leur propre logique.

Dans cette nouvelle configuration des forces, ce sont les managers qui prennent le pouvoir et qui, instaurent la logique d’entreprise (c’est-à-dire du profit), là où elle est nécessaire, mais aussi, de plus en plus au fur et à mesure de l’usure du modèle, là où elle a des conséquences funestes. L’objectif de l’atelier de sièges de Renault est d’équiper les voitures qui sortent des chaînes. Celui de l’entreprise sous-traitante est de gagner de l’argent. Les légions de jeunes gens sortis des écoles de commerce et pavés de MBA (le diplôme phare des années 1980 et 1990) ont servi à mener à bien cette révolution : ils en ont été l’aile marchante, l’avant-garde éclairée et la classe gagnante.

Dans les années 1970, la perte de pouvoir et de prestige de l’Etat a été accentuée, dix ans plus tard, par la chute de l’Union soviétique. La transformation de la Régie (Renault) en SA cotée en Bourse en a été à la fois la démonstration et le symbole : le « privé », pense-t-on alors, est toujours plus performant (et plus glamour) que le « public ». Autrement dit, les réponses pragmatiques à une crise de l’économie d’après-guerre sont peu à peu devenues un dogme enseigné comme une vérité dans toutes les universités du monde : comme le keynésianisme avant lui, le libéral-monétarisme est devenu une idéologie, c’est-à-dire un voile jeté sur le réel. À bien des égards on a assisté au retour des vieux slogans du « laissez faire ! laissez passer ! » La vérité, bien sûr est que la puissance publique ne peut ni tout interdire, ni tout autoriser.

En même temps, les inconvénients du nouveau modèle sont devenus de plus en plus évidents et surtout la pression à la baisse que le libre échange intégral et la concurrence non régulée exercent sur les salaires et sur la demande globale. Pendant les Trente glorieuses, le rôle de l’Etat répondait à une exigence de protection des salariés-électeurs, en clair à un objectif politique. Dans la phase suivante, le règne d’un consommateur qui n’est que secondairement citoyen, a laissé le champ libre aux techniciens de la finance, du marketing et de la rentabilité. Le salarié-électeur devenu salarié-consommateur s’est trouvé seul a eu tendance à compenser la baisse de ses revenus par un recours à l’endettement. En même temps, la baisse des prix est devenue une revendication politique majeure – le salarié manifeste contre les délocalisations mais le consommateur veut acheter un écran plat à bas prix.

Cette logique montre aujourd’hui ses limites. En clair, les nouvelles règles du jeu, tout en sauvant et créant des emplois, ont structurellement affaibli le travail par rapport au capital, avec, comme conséquence, la réduction de la part de la richesse créée revenant aux salariés. Le pouvoir d’achat des salaires a augmenté de 4 % à 5 % par an pendant les décennies 1950-1960 tandis que depuis le milieu des années 1970 son taux annuel de croissance a stagné autour de 1,3 % – 1,4%.

Nous nous trouvons donc non pas devant un seul cadavre – celui de l’économie financière – mais devant deux cercueils car le modèle « 46-73 » est tout aussi mort. L’ère de la Régie Renault est révolue, tout autant que celle des subprimes. Comme dans les années 1980, le nouveau modèle ne va pas surgir subitement mais plutôt s’imposera petit à petit après des années de tâtonnements. Et puis il périra à son tours par excès d’assurance et de dogmatisme.

Préférence communautaire ?

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Dans un article sur le remaniement à venir, le dernier numéro de Valeurs Actuelles évoque la poursuite de la politique d’ouverture à gauche du président. On y parle, bien sûr du probable Claude Allègre, mais aussi de l’actuel adjoint à la Culture de Bertrand Delanoë, Christophe Girard, approché, sur les conseils de Carla Bruni, pour remplacer Christine Albanel, qui, d’après nos confrères, « n’aurait pas convaincu ». C’est vrai qu’on a beau avoir les idées larges, une mère de famille rue de Valois, c’était un peu n’importe quoi.

Pour une polygamie à la française

Qui l’eût cru ? La Suisse aussi est touchée par la délinquance. Ce pays, que l’on croyait plutôt spécialisé dans l’exil fiscal des mythes nationaux comme Johnny ou le palace-maison de repos pour écrivains chics comme Nabokov et Chardonne, est victime de ce fléau que l’on croyait réservé à des sociétés moins policées. Ainsi, Genève, Lausanne, Zurich ne sont plus seulement un rendez-vous pour anciens espions qui prennent le thé dans les bars des grands hôtels en dégustant des petits sandwichs au concombre et en racontant leurs souvenirs de la guerre froide : elles sont devenues de banales métropoles mondialisées avec des camés, des ouliganes, des putes, voire des artistes de rue.

Plus terrifiant encore au pays des merveilleux Fendants du canton de Vaud et des comptes anonymes des succursales de banquiers protestants, cette délinquance est d’abord celle des mineurs, ces petits cons qui depuis Graine de violence et Orange mécanique terrorisent, blessent, violent, brûlent, insultent, oublient leur carnet de correspondance, tirent à la kalachnikov sur les forces de l’ordre, font de la mobylette sans casque et se font renverser exprès par les voitures de la BAC qui voulaient juste leur signifier poliment l’infraction. C’est vrai, quoi, ces sales mômes rendent la vie insupportable aux honnêtes gens alors qu’ils vivent dans nos merveilleuses sociétés d’abondance où la concurrence est libre et non faussée. La Suisse, pays pragmatique s’il en est a donc mené une étude pour tracer le profil type de ces nouveaux monstres à peine pubères et déjà si méchants.

Un certain Marcelo Aebi, vice-directeur de l’Ecole des sciences criminelles de l’université de Lausanne, a été chargé de ce rapport sur le péril jeune. « As-tu déjà endommagé quelque chose pour t’amuser, comme un abribus, une fenêtre ou un siège dans un train ? As-tu déjà volé quelque chose dans un centre commercial ? As-tu déjà fumé de l’herbe[1. Plusieurs contributeurs et non des moindres de Causeur ont répondu oui à une ou plusieurs questions.] ? » Voici quelques exemples des 79 questions auxquelles 3648 adolescents de Suisse âgés de 13 à 16 ans ont eu à répondre, sous le sceau de l’anonymat.

Marcelo Aebi vient d’en dévoiler les premiers résultats : 39,7 % des jeunes issus de familles traditionnelles – dites aussi « intactes » – avouent avoir commis un acte hors la loi. Les adolescents issus de familles monoparentales sont, eux, 48,4 %.

C’est sans appel.

Après le constat, il faut trouver des solutions. On voit que la priorité des priorités est d’en finir avec la mère célibataire, cette pourvoyeuse de petits démons. D’ailleurs, toujours d’après M. Marcelo Aebi, ce n’est même pas quand elle trouve ou retrouve un mari que les choses s’améliorent : les adolescents issus de familles recomposées sont 58,4 % à reconnaître des actes délictueux.

Nous n’avons pas, à Causeur, l’habitude de nous défiler, de nous complaire dans une culture de l’excuse ou de nous replier sur des solutions toutes faites qui coûtent cher au contribuable et ne servent à rien : pourquoi en effet payer pour des éducateurs islamo-gauchistes, des profs feignasses et démagogues ou des policiers de proximité qui passent leur temps à jouer au foutebaulle avec ces petits voyous qui sont capables de braquer une vieille pendant le quart d’heure de la mi-temps, quand le score AS délinquants / RC ilotiers est déjà de 5-0, ce qui est quand même assez humiliant pour les forces de l’ordre.

Oui, pourquoi, alors que ce qui manque à la maison, c’est un homme, un vrai qui sait donner la punition quand c’est nécessaire.

Il n’y en a pas trente-six, étant donné que le nombre de mères célibataires est inversement proportionnel à celui d’hommes qui en ont vraiment. Il faut autoriser la polygamie, que dis-je, il faut l’encourager. Je préconise donc la création d’une commission interministérielle sur la question réunissant, avant même un éventuel remaniement, Nadine Morano pour la Famille, Besson pour l’Identité nationale, Mam pour l’Intérieur, Dati pour la Justice, Amara pour la Ville et Darcos pour l’Education nationale. On écartera dans un premier temps Christine Boutin qui risque d’apprécier moyennement, mais on sait qu’il n’y a pas plus conservateurs dans ce pays que les catholiques si ce n’est les syndicalistes de SUD rail.

Quelques mesures fiscales simples, des initiatives concernant le logement et une redéfinition du code de la famille devraient pouvoir assez rapidement tracer les contours d’une polygamie à la française que le monde nous envierait, une polygamie facteur de paix civile et d’intégration.

Je me déclare ainsi prêt, à titre personnel, à soutenir cet effort national. Je suis prêt, sous réserve d’un doublement de ma surface habitable, à épouser, mettons une Ukrainienne aux yeux bleus, une Peulh aux jambes interminables, une Kabyle aux yeux de biche comme dans une chanson de Frank Alamo, voire une Rom de nationalité indéterminée mais à la poitrine généreuse et consolante.

Et les mômes qui vont avec, me direz vous ?

Eh bien, je les mettrai à l’école l’hiver et au centre aéré l’été. Manquerait plus que je me laisse envahir par ces morveux.

Vous ne croyez pas que j’aurai autre chose à faire, non ?

Le pèlerin libéré

A l’orée du week-end de Pentecôte, Le Parisien annonçait hier dans une brève de son édition de Paris intra-muros que « les randonneurs de Saint-Jacques ont rendez-vous à Châtelet ». La rando en question regroupe effectivement un nombre impressionnant de sac à dos et de chaussures de marche, mais aussi quelques croix par-ci par-là : c’est le pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle, qui rassemble tous les ans plus de 100 000 marcheurs, plus ou moins fervents certes, mais de là à rebaptiser les pèlerins du nom de « randonneurs », c’est ce qu’on peut appeler une grosse coquille.

Où est passé le Non ?

Le 29 mai 2005, le peuple français, dans un réflexe salutaire, votait Non au traité constitutionnel européen, à plus de 55 %. Il sauvait l’indépendance nationale et, par la même occasion, car cela chez nous va de pair, assurait quelques chances de survie à notre modèle républicain et social. On aurait aimé, dans la joie souverainiste et la bonne humeur gaulliste, fêter ce joyeux anniversaire avec un gâteau au lait cru, du cidre non pasteurisé et des bougies aux normes de sécurité non agréées par le Parlement de Strasbourg. Hélas, il semblerait que l’on soit sans nouvelles du petit garçon qui aurait eu quatre ans pile hier soir à 20 heures, et ce depuis l’élection de Nicolas Sarkozy. Comme aucune alerte enlèvement n’a été lancée, nous sommes obligés de nous contenter de rumeurs contradictoires. Certains affirment qu’il serait séquestré à Lisbonne par un certain Traité Simplifié. D’autres prétendent qu’ils ont vu le Non mendier près des immeubles de la Commission, à Bruxelles, où un chef de gang nommé Barroso, assez défavorablement connu des services de police, le martyriserait quotidiennement.

Les bronzés à la morgue !

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Les bronzés ne sont pas assez entrés dans l’histoire. C’est un fait. Est-ce une raison pour s’en débarrasser, en les accusant, comme des chiens qu’on veut noyer, d’avoir la rage ? C’est pourtant ce que vient de faire l’Académie française de Médecine en le proclamant haut et fort : les bronzés foutent le cancer !

Certes, je ne suis pas sûre à 100 % (selon le dernier sondage Ipsos réalisé par téléphone auprès d’un panel assez représentatif de moi-même) que l’Académie de Médecine ait bien déclaré que les bronzés causent la leucémie. Elle a juste dit que l’usage effréné des cabines UV représentait un risque sanitaire grave et qu’au lieu d’enquiquiner le Bidochon moyen avec la nocivité des téléphones portables (dont on ne rappellera jamais assez l’innocuité sauf à le coller en position vibreur à un endroit qu’Elisabeth Lévy refuse obstinément que je nomme, mais dont les trois lettres dans le désordre forment un assez beau prénom à mon collègue Rosenzweig – excusez-moi de cette digression assez longue, mais j’étais allée me chercher une bière dans le frigo et Willy n’avait toujours pas mis la table, d’où mon absence prolongée), les pouvoirs publics feraient mieux de s’inquiéter des mélanomes de gens si malins qu’une fois par semaine ils se prennent pour des poulets grillés en se faisant cramer la peau sous des lampions violacés.

Mélanome malin et cancer basocellulaire : voilà donc ce que l’Académie de Médecine nous dit que l’on attrape dans les cabines de bronzage. Ce n’est pas pour médire, mais je n’y crois pas une seule seconde. Je doute d’ailleurs que les honorables membres de cette compagnie aient suffisamment fréquenté les solariums pour savoir ce que l’on y chope. De quoi parlent-ils alors ? Gale, poux, mycoses, verrues, morpions : évidemment l’on voit parfois plus d’animaux en une heure au bronzarium qu’en une journée au zoo, mais je n’y ai jamais croisé un seul crabe. Des cancéreux, non plus.

Je parle en connaissance de cause. Il m’est arrivé – pour ne pas mourir idiote – d’être atteinte par cette maladie assez démocratique. Eh bien, le jour où mon cancérologue, qui avait toujours rêvé de faire coiffeur – je soupçonne ce type d’être un brin porté sur les hommes – s’est enfin décidé à me réaliser une magnifique coupe chimio, la première chose que je fis, après avoir enfilé une perruque du plus bel effet pour draguer le juif orthodoxe, c’est de me payer une séance d’UV. Mourir oui, peut-être, mais avec le teint resplendissant.

En attendant, que vont devenir ceux qui avaient placé leurs économies dans l’ouverture d’un solarium plutôt que de les bernardmadoffiser ? Vu la fréquentation de ce genre d’établissements, il sera sage, pour eux, de changer les ampoules de leurs appareils pour diffuser sur le grand corps malade de leurs clients des rayons X en lieu et place des UV. Un peintre en bâtiment adroit pourra, à moindre frais, transformer leur enseigne : de solarium à sanatorium, ça ne coûte pas beaucoup de lettres. Et Jacques Séguéla ne se rendra compte de rien. Pour la première fois de sa vie, il fera même ce que tout le monde attend depuis si longtemps : se faire soigner.

Mais arrêtons un instant, je vous prie, de parler de choses morbides, pour redevenir sérieux. Tous les magazines féminins vous le diront : c’est impossible de plaire à un homme sans avoir un minimum le teint hâlé. Il est 5 h 30 du matin, dans une demi-heure la boîte ferme, et vous écumez le lieu à la recherche d’un mâle en état d’ébriété suffisamment notoire pour qu’il ne vous crache pas à la figure un élégant : « Eh, casse-toi, morue ! », quand les néons se rallument. Vous n’avez, Madame, aucune chance de jouer à la bête à deux dos dans l’heure qui suit, à moins de tomber sur un type suffisamment déjanté pour vouloir participer à un remake de Nosferatu le livide, si vous n’avez pas passé l’après-midi dans un solarium. Les fâcheux m’objecteront que c’est une question de mode et qu’au XIXe siècle les hommes préféraient les blanches. Et les grosses aussi. Je veux bien. Mais il faut avoir l’esprit sacrément tordu pour s’intéresser aux mecs du XIXe. Siècle et arrondissement.

Je vous le dis comme je le pense : à cinquante ans, si t’as pas un mélanome malin, c’est que t’as raté ta vie.

Jugement de Choc

Certaines choses ne se disent pas, d’autres ne se montrent pas. Encore faut-il déterminer lesquelles. Chacun a ses limites, la Justice a les siennes (normalement, il y a un rapport entre les deux). Cette équation qui est, en gros, celle de la liberté d’expression, était au cœur du procès intenté par la famille d’Ilan Halimi au magazine Choc. La semaine dernière, le tribunal avait ordonné en référé le retrait du magazine des kiosques – autrement dit son interdiction. Jeudi, la Cour d’Appel a levé en théorie et confirmé en pratique cette interdiction : en effet, elle demande « seulement » au mensuel d’occulter en « une » et en pages intérieures la photo incriminée, ce qui est à peu près impossible à réaliser autrement que par le retrait pur et simple du journal. Elle a donc fait prévaloir la souffrance de la famille sur toute autre considération. On peut le comprendre. Pour être juge, on n’en est pas moins homme – en l’occurrence, il s’agissait de trois femmes. Reste à savoir si l’émotion fait une bonne justice.

Ce procès de presse intervient alors que Youssouf Fofana et ses complices sont jugés à huis-clos pour la séquestration, la torture et le meurtre du jeune Ilan Halimi. Le 15 mai, Choc met en vente son numéro de juin. Sur la « une », une photo à peine soutenable, envoyée par les ravisseurs d’Ilan à la famille comme preuve de vie (ce qui signifie qu’elle sort du dossier des flics ou du juge) : le jeune homme a un pistolet braqué sur la tempe, son visage est recouvert d’une sorte d’adhésif à travers lequel on imagine qu’il peut à peine respirer, ses mains sont ligotées. Cette image qui évoque les vidéos diffusées sur internet par les égorgeurs islamistes dit l’atrocité de ce qui a été infligé au jeune homme. « Ilan Halimi réclame justice », proclame le titre. Le mardi 19 mai, la mère et les sœurs d’Ilan Halimi assignent le magazine en référé pour « violation de la vie privée » et « atteinte à la dignité ». Le lendemain, le Tribunal, en l’occurrence un magistrat unique, ordonne le retrait du magazine des kiosques à partir du vendredi 14 heures et le condamne à verser 40.000 € aux plaignantes. L’appel n’aura lieu que le lundi, autrement dit une fois que la mesure est pratiquement irréversible. Pour le journal qui enregistre un taux de retour de 80 %, la perte sèche se monte à près de 200.000 €.

Mon premier mouvement, justement, a été dicté par l’émotion. Peut-on, face à la douleur de la mère d’Ilan Halimi, faire autre chose que s’incliner ? Peut-on discuter la demande d’une famille qui a subi ce qu’elle a subi ? Je me suis donc rendue à l’audience d’appel avec la conviction que Choc avait bien mérité une baffe judiciaire (et financière).

Le problème, avec le débat contradictoire, c’est qu’il ouvre la voie au doute. C’est aussi sa principale vertu. Qu’on soit juge, journaliste ou toute autre chose, on n’a pas trouvé mieux que la confrontation des opinions pour s’en forger une à soi. Je suis sortie du Palais de Justice, sinon complètement retournée, du moins fortement ébranlée[1. Les esprits soupçonneux me feront remarquer que Richard Malka, l’avocat de Choc, est un ami. Certes. Mais il l’était avant l’audience et je lui avais annoncé que je ne le suivrais pas sur cette cause-là.]. Je ne sais pas s’il fallait publier la photo incriminée mais j’ai tendance à penser qu’il ne fallait pas interdire le magazine, quoi qu’on pense d’icelui.

Fallait-il publier la photo d’un prisonnier à la merci de ses geôliers ? L’argumentation de Choc et de ses avocats repose sur une idée : il faut montrer le mal pour le combattre. Aussi choquant que cela puisse être. D’ailleurs, disent-ils, certains journaux comme Tribune juive ont publié des descriptions écrites mais tout aussi insupportables des tortures infligées au jeune homme et de l’autopsie de son corps. En outre, font-ils valoir, alors que la Cour d’Assises débat à huis-clos, il est encore plus nécessaire d’informer le public, en particulier les jeunes qui lisent Choc. « Me Szpiner dit que c’est la loi du silence qui a tué Ilan, il serait incroyable qu’elle continue à prévaloir », lance Richard Malka. À d’autres, répond en substance Francis Szpiner, avocat de la famille Halimi, la seule ambition de Choc, c’est de faire de l’argent avec du sensationnel. « Nous ne parlons pas d’un crime impuni dont les images circulent sous le manteau mais d’un crime dont les auteurs sont jugés et seront condamnés par la cour d’Assises, plaide-t-il. On n’a pas le droit de tout faire parce qu’on a une carte de presse ».

Si vous autorisez cette image, tout est permis, assurent les uns. Si vous l’interdisez, on ne pourra plus rien montrer répondent les autres. Difficile, dans ces conditions, d’avoir des certitudes. À l’évidence, ces photos disent quelque chose de la vérité de notre monde. Oui mais madame Halimi. « Il faudrait la placarder dans tout Paris », me dit une amie à qui je montre la couverture litigieuse. « Je suis certain que des gamins l’afficheront en poster dans leur chambre, non par horreur mais par fascination », remarque un autre. Devons-nous adapter notre langage et notre information au niveau des plus crétins ou des moins civilisés ? Oui mais, tout de même, madame Halimi.

Au risque de vous décevoir, chers lecteurs, je n’arrive pas à me faire une religion. Je n’aurais pas publié cette photo, sans doute parce que je m’entête à croire aux vertus de l’écrit. Mais je ne jurerais pas qu’il était infâme de le faire.

En revanche, à la question « fallait-il interdire le journal ?», je répondrai par la négative. Tout d’abord, Malka m’a convaincue sur un point : qu’une décision aussi lourde et pratiquement irréversible soit prise en moins de 20 heures par un homme seul parait pour le moins léger. Mais c’est l’avocate générale (représentante du Parquet) qui m’a fait basculer, en se livrant à un cassage de gueule en règle de Choc. Quand elle a parlé en pinçant du nez, de ce « journal un peu spécial », j’ai pensé que je ne voulais pas que les juges me disent quel journal est casher et quel journal ne l’est pas.

Nous voilà bien avancés, pensez-vous. Et pourtant si. Les termes du débat étant posés, quoi qu’en pensent les juges, vous êtes assez grands pour vous faire une opinion.

Ceux qui l’aiment prendront le train

Julien Coupat, célèbre terroriste parapsychologue formé par Houdini, Mandrake, Heidegger et Guy Debord, incarcéré depuis novembre 2008 pour avoir stoppé des TGV par la seule force de la pensée et le recours à la Kabbale (Tiqqun désigne le train dans l’alphabet hébraïque, d’après un pigiste de la DCRI), a été libéré après avoir réussi sa cinquième tentative d’hypnotisation du juge instruisant son affaire. Sa libération, survenue ce jeudi 28 mai, est néanmoins assortie d’un contrôle judiciaire très strict. Il ne doit pas quitter l’Ile de France et pointer une fois par semaine au commissariat de Montreuil. Il aurait également signé une déclaration sur l’honneur stipulant qu’il ne se mettrait pas à hurler de rire quand on prononcerait devant lui des noms comme Alain Bauer, Bernard Squarcini ou Michèle Alliot-Marie.

Dispersion, piège à cons !

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Plus la campagne avance, et plus le PS concentre son argumentaire sur deux idées-forces. Rassurez-vous, il ne s’agit pas de politique, mais seulement de propagande, et passablement mensongère en l’espèce. Celle qu’on retrouvait déjà en filigrane sur les premières affiches du PS « 7 juin : un seul jour, un seul tour, un seul vote ! » Et pour les malcomprenants, celle qu’annone désormais en boucle Harlem Désir dès qu’on lui tend un micro: « Pas d’abstention, pas de dispersion ! »

Que signifie exactement cette double antienne ? Allons-y voir de plus près ; après tout, on a le droit, Harlem ne nous a pas explicitement ordonné : « Le 7 juin, pas de réflexion ! »

Primo, surtout pas d’abstention. Oh oui, bien sûr chef, pas d’abstention ! Qui pourrait dire le contraire ? Eh bien moi, par exemple. Parce qu’aux européennes, comme dans n’importe quel autre scrutin, l’abstention a un sens. Quand vous êtes invité à un mariage, et que vous décidez de ne pas y aller, ça veut dire quelque chose, même si ça peut pouvoir dire plusieurs choses différentes. Que vous avez plutôt envie d’y aller, mais que vous êtes déjà pris ailleurs ce jour-là. Ou bien que vous n’avez pas la moindre intention de vous taper trois cents kilomètres en voiture pour un cousin que vous connaissez à peine, et qu’en plus vous ne pouvez pas blairer. En tout cas, ne pas déférer à une invitation n’est jamais neutre. Convenons que c’est encore un peu plus vrai pour une élection.

Il n’y a aucun problème structurel d’abstentionnisme en France, quiconque prétend le contraire est un charlot. En 2007, pour le duel Sarkozy-Royal, 84 % des électeurs se sont déplacés, à peu près le même chiffre qu’à chaque présidentielle, hormis le second tour baroque de 2002. Et je suis prêt à parier ma paye contre celle d’Harlem qu’il n’y aura guère plus de 16 % d’abstentionnistes au second tour de 2012, à moins d’un choc au sommet entre Francis Lalanne et Nicolas Hulot.

Donc, si ce 7 juin 2009, il se trouve une majorité de Français, et accessoirement une majorité d’électeurs socialistes, pour choisir de rester chez eux alors que le bureau de vote est à trois pas, ça voudra forcément dire quelque chose. Peut-être, allez savoir, que la mariée n’était pas assez belle…

Secundo, Harlem nous dit, et il nous le dit plus spécialement à nous les degauches : « Pas de dispersion ! » Le mot est plaisant. C’est celui qu’employaient certains curés d’autrefois pour sermonner gentiment les maris volages. Dispersion, ça fait aussi penser au reproche adressé par le Créateur à Onan, si vous voyez ce que je ne veux pas dire. On songe aussi à l’épouse dépensière, qui gaspille l’argent du ménage en fanfreluches chez H&M. Bref, on l’aura compris, pas de badineries le 7 juin, sinon, c’est le PS qui sera dispersé. Façon puzzle, cela va de soi.

Le mot est plaisant, donc, mais l’intention est profondément déplaisante: la criminalisation, ou plutôt, comme ils disent, la stigmatisation du vote de gauche non-socialiste. Dis-moi, Harlem, c’est quoi le danger mortel qui nous guette cette fois ? Que Lionel Jospin ne soit pas présent au second tour ? Dis-moi, Harlem, si des gens de gauche veulent exprimer une opinion dissidente – genre, au hasard, « TCE, j’en mange toujours pas ! », il faut qu’ils renoncent à le faire parce que c’est ontologiquement dégoûtant de ne pas voter socialiste ? N’y aurait-il plus dans l’esprit de mes amis solfériniens qu’un rapport si ténu, quasi résiduel, entre le suffrage universel et le droit de dire ce qu’on pense? Ben oui, c’est comme ça, discipline d’abord, politique plus tard : dimanche, Harlem ne veut voir qu’une seule tête. De liste, cela va de soi.

Je ne suis peut-être pas assez démocrate, j’accepte volontiers la critique, mais je le serai toujours plus que les tenants du vote utile, fut-il remixé en vote non-dispersé. Instiller l’idée qu’on doit voter pour autre chose que ses idées, c’est niquer l’idée même de démocratie. Et là, on n’instille pas : on rabâche, on martèle, on monothématise, c’est carrément la tournante!

En plus, en l’état actuel des intentions de vote, cette injonction disciplinaire se double d’une assez grossière escroquerie arithmétique. En l’occurrence, dans beaucoup de régions, le parti socialiste est crédité d’environ 20 %, ce qui donne deux sièges. Son principal concurrent dans sa zone de chalandise, le Front de Gauche mélenchono-communiste tournicote autour de 6 %, ce qui donne zéro siège. Imaginons un déplacement de 2 % Ça donne dans ce cas de figure 18 % pour le PS, donc vraisemblablement toujours deux sièges et 8 % pour le FG, soit un siège. Zut alors, la gauche vient de gagner un siège! Vous avez dit dispersion ?

Pour cause de capacité à nous faire rêver encore plus étique que celle de Michel Barnier – ce qui est tout de même assez grave – j’avais depuis longtemps émis des doutes sur la légitimité d’Harlem Désir à conduire la liste socialiste aux européennes dans la région capitale. J’avais tort… Si c’est pour multiplier les contre-vérités flagrantes avec la candeur d’un mec qui y croit vraiment, à ses propres sottises, Harlem est sans aucun doute l’homme de la situation…

Ne tirez pas sur le portique !

La levée de boucliers contre la fouille des écoliers est incompréhensible. Faire passer les nains sous les détecteurs de métaux pour les délester des marteaux, couteaux de cuisine et autres kalachnikovs devrait contribuer à alléger le poids du cartable qui déclenche non seulement des scolioses, mais oblige les journalistes à écrire le même article sur les kilos en trop des sacs à dos de nos chers petits à chaque rentrée scolaire. Hélas, le soulagement devrait être de courte durée : lesté de cinq fruits et légumes par jour, le chargement scolaire devrait retrouver son poids scandaleux avant la floraison estivale des marronniers.

Ni Friedman, ni Keynes

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La crise que nous vivons n’a pas encore ses chansonnettes mais elle a déjà sa mythologie avec ses bons, ses brutes et ses truands. Selon la légende qui est en train de gagner l’opinion publique, depuis 1945 notre existence s’écoulait doucement sous le giron de l’Etat-providence quand soudain, au bout de la rue principale de notre petite ville pépère, surgirent les trois cavaliers de l’apocalypse : Milton Friedman, Margaret Thatcher et Ronald Reagan. Par obstination et cupidité, ces trois là ont tout détruit sur leur passage. Avec leurs armées de traders, actionnaires, conseillers en stratégie et autres titulaires de MBA, ils se sont emparés de la richesse des peuples et ont piétiné leurs acquis sociaux. Ainsi commença la trentaine désastreuse, l’ère de l’argent-roi et du marché-dieu. Puis notre pouvoir d’achat, à nous les vrais gens, dégringola.

L’heure de la vérité a enfin sonné. Les masques sont tombés, et l’heure est venue de se lever comme un seul homme contre les Dark Vador de la planète noire « CAC 40 » (ou caca-rente comme l’a dit récemment l’auteur d’un Dictionnaire des gros mots cachés dans les mots).

Sauf qu’il suffit de feuilleter quelques journaux de 1977 (année de la sortie de Star Wars), pour se rendre à l’évidence : le modèle économique de l’après-guerre, malgré son « keynésianisme » considéré aujourd’hui comme la panacée universelle et une vérité révélée, a fait naufrage – en grande partie à cause de l’excès de keynésianisme de même que celui qui lui a succédé s’est planté pour excès de libéral-monétarisme. Certes, la crise pétrolière d’octobre 1973 est aussi passée par là : mais elle a révélé les faiblesses su système plus qu’elle ne les a créées.

Le chômage, OVNI méconnu dans les années 1960, est passé en France de 3 % (690.000) en 1974 à 7 % (1.500 000) en 1981, pour devenir un enjeu central du débat politique. Ces années furent si terribles qu’en 1979, Jean Fourastié appela les trois décennies qui les avaient précédées les Trente glorieuses, un peu comme les années 1900 étaient devenues une Belle époque après 14-18. Il est toujours joli, le temps passé, surtout au lendemain d’un désastre. Il suffit de se remémorer le sort des ouvriers de Renault dans les années 1960-1970 pour comprendre qu’il y a une certaine incongruité à faire passer cette époque pour un âge d’or.

Bien avant la mondialisation et la délocalisation, le chômage, les déficits et l’inflation des années 1970 avaient révélé que le modèle économique et social (le capitalisme syndicalo-étatique) était à bout de souffle. Trop lourd financièrement, sclérosé et sclérosant, il a obligé les gouvernements à recourir massivement à l’emprunt pour financer non pas les investissements à long terme mais les dépenses courantes et les transferts sociaux. En clair, le nouveau modèle économique est né non pas de la cupidité de certains acteurs, mais tout simplement de la décrépitude de son prédécesseur (et aussi, comme l’a parfaitement expliqué Gauchet de l’incapacité des élites françaises à s’adapter à la nouvelle configuration planétaire).

Une fois la reconstruction de l’après-guerre achevée et le différentiel des niveaux de vie entre les deux rives de l’Atlantique résorbé, il a bien fallu trouver d’autres gisements de croissance. Deux directions ont été explorées, les gains de productivité dans la production et l’invention de nouveaux modes de financement. Ainsi est né le « capitalisme financier ». En matière de production, le nouveau modèle reposait sur la sous-traitance de certaines activités et la mise en concurrence généralisée. Pour le financement, l’idée était de faciliter la rencontre entre les investisseurs et les projets projet-capital tout en réduisant les risques, à travers de nouveaux produits financiers de plus en plus sophistiqués et de plus en plus abstraits.

Prenons l’exemple simple d’un constructeur automobile dans les années 1970. Tout le monde, du vigile au PDG, est salarié de la même boîte et tous les composants – du rétroviseur au châssis en passant par les sièges – sont fabriqués en interne. Quand cette entreprise tombe gravement malade autour de 1980, on trouve en tâtonnant la solution de la sous-traitance. L’atelier des sièges, devenu une société anonyme indépendante, peut fournir d’autres constructeurs, étendre ses compétences aux sièges pour avions de lignes, il peut même fabriquer des jardinières s’il y trouve son compte. Mais outre les dégâts sociaux qu’elles engendrent (on demande à des régions entières de changer de vie) ces restructurations demandent d’énormes volumes de capitaux. D’où la création de nouveaux produits et de nouveaux marchés qui sont à leur tour emportés par leur propre logique.

Dans cette nouvelle configuration des forces, ce sont les managers qui prennent le pouvoir et qui, instaurent la logique d’entreprise (c’est-à-dire du profit), là où elle est nécessaire, mais aussi, de plus en plus au fur et à mesure de l’usure du modèle, là où elle a des conséquences funestes. L’objectif de l’atelier de sièges de Renault est d’équiper les voitures qui sortent des chaînes. Celui de l’entreprise sous-traitante est de gagner de l’argent. Les légions de jeunes gens sortis des écoles de commerce et pavés de MBA (le diplôme phare des années 1980 et 1990) ont servi à mener à bien cette révolution : ils en ont été l’aile marchante, l’avant-garde éclairée et la classe gagnante.

Dans les années 1970, la perte de pouvoir et de prestige de l’Etat a été accentuée, dix ans plus tard, par la chute de l’Union soviétique. La transformation de la Régie (Renault) en SA cotée en Bourse en a été à la fois la démonstration et le symbole : le « privé », pense-t-on alors, est toujours plus performant (et plus glamour) que le « public ». Autrement dit, les réponses pragmatiques à une crise de l’économie d’après-guerre sont peu à peu devenues un dogme enseigné comme une vérité dans toutes les universités du monde : comme le keynésianisme avant lui, le libéral-monétarisme est devenu une idéologie, c’est-à-dire un voile jeté sur le réel. À bien des égards on a assisté au retour des vieux slogans du « laissez faire ! laissez passer ! » La vérité, bien sûr est que la puissance publique ne peut ni tout interdire, ni tout autoriser.

En même temps, les inconvénients du nouveau modèle sont devenus de plus en plus évidents et surtout la pression à la baisse que le libre échange intégral et la concurrence non régulée exercent sur les salaires et sur la demande globale. Pendant les Trente glorieuses, le rôle de l’Etat répondait à une exigence de protection des salariés-électeurs, en clair à un objectif politique. Dans la phase suivante, le règne d’un consommateur qui n’est que secondairement citoyen, a laissé le champ libre aux techniciens de la finance, du marketing et de la rentabilité. Le salarié-électeur devenu salarié-consommateur s’est trouvé seul a eu tendance à compenser la baisse de ses revenus par un recours à l’endettement. En même temps, la baisse des prix est devenue une revendication politique majeure – le salarié manifeste contre les délocalisations mais le consommateur veut acheter un écran plat à bas prix.

Cette logique montre aujourd’hui ses limites. En clair, les nouvelles règles du jeu, tout en sauvant et créant des emplois, ont structurellement affaibli le travail par rapport au capital, avec, comme conséquence, la réduction de la part de la richesse créée revenant aux salariés. Le pouvoir d’achat des salaires a augmenté de 4 % à 5 % par an pendant les décennies 1950-1960 tandis que depuis le milieu des années 1970 son taux annuel de croissance a stagné autour de 1,3 % – 1,4%.

Nous nous trouvons donc non pas devant un seul cadavre – celui de l’économie financière – mais devant deux cercueils car le modèle « 46-73 » est tout aussi mort. L’ère de la Régie Renault est révolue, tout autant que celle des subprimes. Comme dans les années 1980, le nouveau modèle ne va pas surgir subitement mais plutôt s’imposera petit à petit après des années de tâtonnements. Et puis il périra à son tours par excès d’assurance et de dogmatisme.

Préférence communautaire ?

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Dans un article sur le remaniement à venir, le dernier numéro de Valeurs Actuelles évoque la poursuite de la politique d’ouverture à gauche du président. On y parle, bien sûr du probable Claude Allègre, mais aussi de l’actuel adjoint à la Culture de Bertrand Delanoë, Christophe Girard, approché, sur les conseils de Carla Bruni, pour remplacer Christine Albanel, qui, d’après nos confrères, « n’aurait pas convaincu ». C’est vrai qu’on a beau avoir les idées larges, une mère de famille rue de Valois, c’était un peu n’importe quoi.

Pour une polygamie à la française

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Qui l’eût cru ? La Suisse aussi est touchée par la délinquance. Ce pays, que l’on croyait plutôt spécialisé dans l’exil fiscal des mythes nationaux comme Johnny ou le palace-maison de repos pour écrivains chics comme Nabokov et Chardonne, est victime de ce fléau que l’on croyait réservé à des sociétés moins policées. Ainsi, Genève, Lausanne, Zurich ne sont plus seulement un rendez-vous pour anciens espions qui prennent le thé dans les bars des grands hôtels en dégustant des petits sandwichs au concombre et en racontant leurs souvenirs de la guerre froide : elles sont devenues de banales métropoles mondialisées avec des camés, des ouliganes, des putes, voire des artistes de rue.

Plus terrifiant encore au pays des merveilleux Fendants du canton de Vaud et des comptes anonymes des succursales de banquiers protestants, cette délinquance est d’abord celle des mineurs, ces petits cons qui depuis Graine de violence et Orange mécanique terrorisent, blessent, violent, brûlent, insultent, oublient leur carnet de correspondance, tirent à la kalachnikov sur les forces de l’ordre, font de la mobylette sans casque et se font renverser exprès par les voitures de la BAC qui voulaient juste leur signifier poliment l’infraction. C’est vrai, quoi, ces sales mômes rendent la vie insupportable aux honnêtes gens alors qu’ils vivent dans nos merveilleuses sociétés d’abondance où la concurrence est libre et non faussée. La Suisse, pays pragmatique s’il en est a donc mené une étude pour tracer le profil type de ces nouveaux monstres à peine pubères et déjà si méchants.

Un certain Marcelo Aebi, vice-directeur de l’Ecole des sciences criminelles de l’université de Lausanne, a été chargé de ce rapport sur le péril jeune. « As-tu déjà endommagé quelque chose pour t’amuser, comme un abribus, une fenêtre ou un siège dans un train ? As-tu déjà volé quelque chose dans un centre commercial ? As-tu déjà fumé de l’herbe[1. Plusieurs contributeurs et non des moindres de Causeur ont répondu oui à une ou plusieurs questions.] ? » Voici quelques exemples des 79 questions auxquelles 3648 adolescents de Suisse âgés de 13 à 16 ans ont eu à répondre, sous le sceau de l’anonymat.

Marcelo Aebi vient d’en dévoiler les premiers résultats : 39,7 % des jeunes issus de familles traditionnelles – dites aussi « intactes » – avouent avoir commis un acte hors la loi. Les adolescents issus de familles monoparentales sont, eux, 48,4 %.

C’est sans appel.

Après le constat, il faut trouver des solutions. On voit que la priorité des priorités est d’en finir avec la mère célibataire, cette pourvoyeuse de petits démons. D’ailleurs, toujours d’après M. Marcelo Aebi, ce n’est même pas quand elle trouve ou retrouve un mari que les choses s’améliorent : les adolescents issus de familles recomposées sont 58,4 % à reconnaître des actes délictueux.

Nous n’avons pas, à Causeur, l’habitude de nous défiler, de nous complaire dans une culture de l’excuse ou de nous replier sur des solutions toutes faites qui coûtent cher au contribuable et ne servent à rien : pourquoi en effet payer pour des éducateurs islamo-gauchistes, des profs feignasses et démagogues ou des policiers de proximité qui passent leur temps à jouer au foutebaulle avec ces petits voyous qui sont capables de braquer une vieille pendant le quart d’heure de la mi-temps, quand le score AS délinquants / RC ilotiers est déjà de 5-0, ce qui est quand même assez humiliant pour les forces de l’ordre.

Oui, pourquoi, alors que ce qui manque à la maison, c’est un homme, un vrai qui sait donner la punition quand c’est nécessaire.

Il n’y en a pas trente-six, étant donné que le nombre de mères célibataires est inversement proportionnel à celui d’hommes qui en ont vraiment. Il faut autoriser la polygamie, que dis-je, il faut l’encourager. Je préconise donc la création d’une commission interministérielle sur la question réunissant, avant même un éventuel remaniement, Nadine Morano pour la Famille, Besson pour l’Identité nationale, Mam pour l’Intérieur, Dati pour la Justice, Amara pour la Ville et Darcos pour l’Education nationale. On écartera dans un premier temps Christine Boutin qui risque d’apprécier moyennement, mais on sait qu’il n’y a pas plus conservateurs dans ce pays que les catholiques si ce n’est les syndicalistes de SUD rail.

Quelques mesures fiscales simples, des initiatives concernant le logement et une redéfinition du code de la famille devraient pouvoir assez rapidement tracer les contours d’une polygamie à la française que le monde nous envierait, une polygamie facteur de paix civile et d’intégration.

Je me déclare ainsi prêt, à titre personnel, à soutenir cet effort national. Je suis prêt, sous réserve d’un doublement de ma surface habitable, à épouser, mettons une Ukrainienne aux yeux bleus, une Peulh aux jambes interminables, une Kabyle aux yeux de biche comme dans une chanson de Frank Alamo, voire une Rom de nationalité indéterminée mais à la poitrine généreuse et consolante.

Et les mômes qui vont avec, me direz vous ?

Eh bien, je les mettrai à l’école l’hiver et au centre aéré l’été. Manquerait plus que je me laisse envahir par ces morveux.

Vous ne croyez pas que j’aurai autre chose à faire, non ?

Le pèlerin libéré

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A l’orée du week-end de Pentecôte, Le Parisien annonçait hier dans une brève de son édition de Paris intra-muros que « les randonneurs de Saint-Jacques ont rendez-vous à Châtelet ». La rando en question regroupe effectivement un nombre impressionnant de sac à dos et de chaussures de marche, mais aussi quelques croix par-ci par-là : c’est le pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle, qui rassemble tous les ans plus de 100 000 marcheurs, plus ou moins fervents certes, mais de là à rebaptiser les pèlerins du nom de « randonneurs », c’est ce qu’on peut appeler une grosse coquille.

Où est passé le Non ?

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Le 29 mai 2005, le peuple français, dans un réflexe salutaire, votait Non au traité constitutionnel européen, à plus de 55 %. Il sauvait l’indépendance nationale et, par la même occasion, car cela chez nous va de pair, assurait quelques chances de survie à notre modèle républicain et social. On aurait aimé, dans la joie souverainiste et la bonne humeur gaulliste, fêter ce joyeux anniversaire avec un gâteau au lait cru, du cidre non pasteurisé et des bougies aux normes de sécurité non agréées par le Parlement de Strasbourg. Hélas, il semblerait que l’on soit sans nouvelles du petit garçon qui aurait eu quatre ans pile hier soir à 20 heures, et ce depuis l’élection de Nicolas Sarkozy. Comme aucune alerte enlèvement n’a été lancée, nous sommes obligés de nous contenter de rumeurs contradictoires. Certains affirment qu’il serait séquestré à Lisbonne par un certain Traité Simplifié. D’autres prétendent qu’ils ont vu le Non mendier près des immeubles de la Commission, à Bruxelles, où un chef de gang nommé Barroso, assez défavorablement connu des services de police, le martyriserait quotidiennement.

Les bronzés à la morgue !

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Les bronzés ne sont pas assez entrés dans l’histoire. C’est un fait. Est-ce une raison pour s’en débarrasser, en les accusant, comme des chiens qu’on veut noyer, d’avoir la rage ? C’est pourtant ce que vient de faire l’Académie française de Médecine en le proclamant haut et fort : les bronzés foutent le cancer !

Certes, je ne suis pas sûre à 100 % (selon le dernier sondage Ipsos réalisé par téléphone auprès d’un panel assez représentatif de moi-même) que l’Académie de Médecine ait bien déclaré que les bronzés causent la leucémie. Elle a juste dit que l’usage effréné des cabines UV représentait un risque sanitaire grave et qu’au lieu d’enquiquiner le Bidochon moyen avec la nocivité des téléphones portables (dont on ne rappellera jamais assez l’innocuité sauf à le coller en position vibreur à un endroit qu’Elisabeth Lévy refuse obstinément que je nomme, mais dont les trois lettres dans le désordre forment un assez beau prénom à mon collègue Rosenzweig – excusez-moi de cette digression assez longue, mais j’étais allée me chercher une bière dans le frigo et Willy n’avait toujours pas mis la table, d’où mon absence prolongée), les pouvoirs publics feraient mieux de s’inquiéter des mélanomes de gens si malins qu’une fois par semaine ils se prennent pour des poulets grillés en se faisant cramer la peau sous des lampions violacés.

Mélanome malin et cancer basocellulaire : voilà donc ce que l’Académie de Médecine nous dit que l’on attrape dans les cabines de bronzage. Ce n’est pas pour médire, mais je n’y crois pas une seule seconde. Je doute d’ailleurs que les honorables membres de cette compagnie aient suffisamment fréquenté les solariums pour savoir ce que l’on y chope. De quoi parlent-ils alors ? Gale, poux, mycoses, verrues, morpions : évidemment l’on voit parfois plus d’animaux en une heure au bronzarium qu’en une journée au zoo, mais je n’y ai jamais croisé un seul crabe. Des cancéreux, non plus.

Je parle en connaissance de cause. Il m’est arrivé – pour ne pas mourir idiote – d’être atteinte par cette maladie assez démocratique. Eh bien, le jour où mon cancérologue, qui avait toujours rêvé de faire coiffeur – je soupçonne ce type d’être un brin porté sur les hommes – s’est enfin décidé à me réaliser une magnifique coupe chimio, la première chose que je fis, après avoir enfilé une perruque du plus bel effet pour draguer le juif orthodoxe, c’est de me payer une séance d’UV. Mourir oui, peut-être, mais avec le teint resplendissant.

En attendant, que vont devenir ceux qui avaient placé leurs économies dans l’ouverture d’un solarium plutôt que de les bernardmadoffiser ? Vu la fréquentation de ce genre d’établissements, il sera sage, pour eux, de changer les ampoules de leurs appareils pour diffuser sur le grand corps malade de leurs clients des rayons X en lieu et place des UV. Un peintre en bâtiment adroit pourra, à moindre frais, transformer leur enseigne : de solarium à sanatorium, ça ne coûte pas beaucoup de lettres. Et Jacques Séguéla ne se rendra compte de rien. Pour la première fois de sa vie, il fera même ce que tout le monde attend depuis si longtemps : se faire soigner.

Mais arrêtons un instant, je vous prie, de parler de choses morbides, pour redevenir sérieux. Tous les magazines féminins vous le diront : c’est impossible de plaire à un homme sans avoir un minimum le teint hâlé. Il est 5 h 30 du matin, dans une demi-heure la boîte ferme, et vous écumez le lieu à la recherche d’un mâle en état d’ébriété suffisamment notoire pour qu’il ne vous crache pas à la figure un élégant : « Eh, casse-toi, morue ! », quand les néons se rallument. Vous n’avez, Madame, aucune chance de jouer à la bête à deux dos dans l’heure qui suit, à moins de tomber sur un type suffisamment déjanté pour vouloir participer à un remake de Nosferatu le livide, si vous n’avez pas passé l’après-midi dans un solarium. Les fâcheux m’objecteront que c’est une question de mode et qu’au XIXe siècle les hommes préféraient les blanches. Et les grosses aussi. Je veux bien. Mais il faut avoir l’esprit sacrément tordu pour s’intéresser aux mecs du XIXe. Siècle et arrondissement.

Je vous le dis comme je le pense : à cinquante ans, si t’as pas un mélanome malin, c’est que t’as raté ta vie.

Jugement de Choc

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Certaines choses ne se disent pas, d’autres ne se montrent pas. Encore faut-il déterminer lesquelles. Chacun a ses limites, la Justice a les siennes (normalement, il y a un rapport entre les deux). Cette équation qui est, en gros, celle de la liberté d’expression, était au cœur du procès intenté par la famille d’Ilan Halimi au magazine Choc. La semaine dernière, le tribunal avait ordonné en référé le retrait du magazine des kiosques – autrement dit son interdiction. Jeudi, la Cour d’Appel a levé en théorie et confirmé en pratique cette interdiction : en effet, elle demande « seulement » au mensuel d’occulter en « une » et en pages intérieures la photo incriminée, ce qui est à peu près impossible à réaliser autrement que par le retrait pur et simple du journal. Elle a donc fait prévaloir la souffrance de la famille sur toute autre considération. On peut le comprendre. Pour être juge, on n’en est pas moins homme – en l’occurrence, il s’agissait de trois femmes. Reste à savoir si l’émotion fait une bonne justice.

Ce procès de presse intervient alors que Youssouf Fofana et ses complices sont jugés à huis-clos pour la séquestration, la torture et le meurtre du jeune Ilan Halimi. Le 15 mai, Choc met en vente son numéro de juin. Sur la « une », une photo à peine soutenable, envoyée par les ravisseurs d’Ilan à la famille comme preuve de vie (ce qui signifie qu’elle sort du dossier des flics ou du juge) : le jeune homme a un pistolet braqué sur la tempe, son visage est recouvert d’une sorte d’adhésif à travers lequel on imagine qu’il peut à peine respirer, ses mains sont ligotées. Cette image qui évoque les vidéos diffusées sur internet par les égorgeurs islamistes dit l’atrocité de ce qui a été infligé au jeune homme. « Ilan Halimi réclame justice », proclame le titre. Le mardi 19 mai, la mère et les sœurs d’Ilan Halimi assignent le magazine en référé pour « violation de la vie privée » et « atteinte à la dignité ». Le lendemain, le Tribunal, en l’occurrence un magistrat unique, ordonne le retrait du magazine des kiosques à partir du vendredi 14 heures et le condamne à verser 40.000 € aux plaignantes. L’appel n’aura lieu que le lundi, autrement dit une fois que la mesure est pratiquement irréversible. Pour le journal qui enregistre un taux de retour de 80 %, la perte sèche se monte à près de 200.000 €.

Mon premier mouvement, justement, a été dicté par l’émotion. Peut-on, face à la douleur de la mère d’Ilan Halimi, faire autre chose que s’incliner ? Peut-on discuter la demande d’une famille qui a subi ce qu’elle a subi ? Je me suis donc rendue à l’audience d’appel avec la conviction que Choc avait bien mérité une baffe judiciaire (et financière).

Le problème, avec le débat contradictoire, c’est qu’il ouvre la voie au doute. C’est aussi sa principale vertu. Qu’on soit juge, journaliste ou toute autre chose, on n’a pas trouvé mieux que la confrontation des opinions pour s’en forger une à soi. Je suis sortie du Palais de Justice, sinon complètement retournée, du moins fortement ébranlée[1. Les esprits soupçonneux me feront remarquer que Richard Malka, l’avocat de Choc, est un ami. Certes. Mais il l’était avant l’audience et je lui avais annoncé que je ne le suivrais pas sur cette cause-là.]. Je ne sais pas s’il fallait publier la photo incriminée mais j’ai tendance à penser qu’il ne fallait pas interdire le magazine, quoi qu’on pense d’icelui.

Fallait-il publier la photo d’un prisonnier à la merci de ses geôliers ? L’argumentation de Choc et de ses avocats repose sur une idée : il faut montrer le mal pour le combattre. Aussi choquant que cela puisse être. D’ailleurs, disent-ils, certains journaux comme Tribune juive ont publié des descriptions écrites mais tout aussi insupportables des tortures infligées au jeune homme et de l’autopsie de son corps. En outre, font-ils valoir, alors que la Cour d’Assises débat à huis-clos, il est encore plus nécessaire d’informer le public, en particulier les jeunes qui lisent Choc. « Me Szpiner dit que c’est la loi du silence qui a tué Ilan, il serait incroyable qu’elle continue à prévaloir », lance Richard Malka. À d’autres, répond en substance Francis Szpiner, avocat de la famille Halimi, la seule ambition de Choc, c’est de faire de l’argent avec du sensationnel. « Nous ne parlons pas d’un crime impuni dont les images circulent sous le manteau mais d’un crime dont les auteurs sont jugés et seront condamnés par la cour d’Assises, plaide-t-il. On n’a pas le droit de tout faire parce qu’on a une carte de presse ».

Si vous autorisez cette image, tout est permis, assurent les uns. Si vous l’interdisez, on ne pourra plus rien montrer répondent les autres. Difficile, dans ces conditions, d’avoir des certitudes. À l’évidence, ces photos disent quelque chose de la vérité de notre monde. Oui mais madame Halimi. « Il faudrait la placarder dans tout Paris », me dit une amie à qui je montre la couverture litigieuse. « Je suis certain que des gamins l’afficheront en poster dans leur chambre, non par horreur mais par fascination », remarque un autre. Devons-nous adapter notre langage et notre information au niveau des plus crétins ou des moins civilisés ? Oui mais, tout de même, madame Halimi.

Au risque de vous décevoir, chers lecteurs, je n’arrive pas à me faire une religion. Je n’aurais pas publié cette photo, sans doute parce que je m’entête à croire aux vertus de l’écrit. Mais je ne jurerais pas qu’il était infâme de le faire.

En revanche, à la question « fallait-il interdire le journal ?», je répondrai par la négative. Tout d’abord, Malka m’a convaincue sur un point : qu’une décision aussi lourde et pratiquement irréversible soit prise en moins de 20 heures par un homme seul parait pour le moins léger. Mais c’est l’avocate générale (représentante du Parquet) qui m’a fait basculer, en se livrant à un cassage de gueule en règle de Choc. Quand elle a parlé en pinçant du nez, de ce « journal un peu spécial », j’ai pensé que je ne voulais pas que les juges me disent quel journal est casher et quel journal ne l’est pas.

Nous voilà bien avancés, pensez-vous. Et pourtant si. Les termes du débat étant posés, quoi qu’en pensent les juges, vous êtes assez grands pour vous faire une opinion.

Ceux qui l’aiment prendront le train

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Julien Coupat, célèbre terroriste parapsychologue formé par Houdini, Mandrake, Heidegger et Guy Debord, incarcéré depuis novembre 2008 pour avoir stoppé des TGV par la seule force de la pensée et le recours à la Kabbale (Tiqqun désigne le train dans l’alphabet hébraïque, d’après un pigiste de la DCRI), a été libéré après avoir réussi sa cinquième tentative d’hypnotisation du juge instruisant son affaire. Sa libération, survenue ce jeudi 28 mai, est néanmoins assortie d’un contrôle judiciaire très strict. Il ne doit pas quitter l’Ile de France et pointer une fois par semaine au commissariat de Montreuil. Il aurait également signé une déclaration sur l’honneur stipulant qu’il ne se mettrait pas à hurler de rire quand on prononcerait devant lui des noms comme Alain Bauer, Bernard Squarcini ou Michèle Alliot-Marie.

Dispersion, piège à cons !

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Plus la campagne avance, et plus le PS concentre son argumentaire sur deux idées-forces. Rassurez-vous, il ne s’agit pas de politique, mais seulement de propagande, et passablement mensongère en l’espèce. Celle qu’on retrouvait déjà en filigrane sur les premières affiches du PS « 7 juin : un seul jour, un seul tour, un seul vote ! » Et pour les malcomprenants, celle qu’annone désormais en boucle Harlem Désir dès qu’on lui tend un micro: « Pas d’abstention, pas de dispersion ! »

Que signifie exactement cette double antienne ? Allons-y voir de plus près ; après tout, on a le droit, Harlem ne nous a pas explicitement ordonné : « Le 7 juin, pas de réflexion ! »

Primo, surtout pas d’abstention. Oh oui, bien sûr chef, pas d’abstention ! Qui pourrait dire le contraire ? Eh bien moi, par exemple. Parce qu’aux européennes, comme dans n’importe quel autre scrutin, l’abstention a un sens. Quand vous êtes invité à un mariage, et que vous décidez de ne pas y aller, ça veut dire quelque chose, même si ça peut pouvoir dire plusieurs choses différentes. Que vous avez plutôt envie d’y aller, mais que vous êtes déjà pris ailleurs ce jour-là. Ou bien que vous n’avez pas la moindre intention de vous taper trois cents kilomètres en voiture pour un cousin que vous connaissez à peine, et qu’en plus vous ne pouvez pas blairer. En tout cas, ne pas déférer à une invitation n’est jamais neutre. Convenons que c’est encore un peu plus vrai pour une élection.

Il n’y a aucun problème structurel d’abstentionnisme en France, quiconque prétend le contraire est un charlot. En 2007, pour le duel Sarkozy-Royal, 84 % des électeurs se sont déplacés, à peu près le même chiffre qu’à chaque présidentielle, hormis le second tour baroque de 2002. Et je suis prêt à parier ma paye contre celle d’Harlem qu’il n’y aura guère plus de 16 % d’abstentionnistes au second tour de 2012, à moins d’un choc au sommet entre Francis Lalanne et Nicolas Hulot.

Donc, si ce 7 juin 2009, il se trouve une majorité de Français, et accessoirement une majorité d’électeurs socialistes, pour choisir de rester chez eux alors que le bureau de vote est à trois pas, ça voudra forcément dire quelque chose. Peut-être, allez savoir, que la mariée n’était pas assez belle…

Secundo, Harlem nous dit, et il nous le dit plus spécialement à nous les degauches : « Pas de dispersion ! » Le mot est plaisant. C’est celui qu’employaient certains curés d’autrefois pour sermonner gentiment les maris volages. Dispersion, ça fait aussi penser au reproche adressé par le Créateur à Onan, si vous voyez ce que je ne veux pas dire. On songe aussi à l’épouse dépensière, qui gaspille l’argent du ménage en fanfreluches chez H&M. Bref, on l’aura compris, pas de badineries le 7 juin, sinon, c’est le PS qui sera dispersé. Façon puzzle, cela va de soi.

Le mot est plaisant, donc, mais l’intention est profondément déplaisante: la criminalisation, ou plutôt, comme ils disent, la stigmatisation du vote de gauche non-socialiste. Dis-moi, Harlem, c’est quoi le danger mortel qui nous guette cette fois ? Que Lionel Jospin ne soit pas présent au second tour ? Dis-moi, Harlem, si des gens de gauche veulent exprimer une opinion dissidente – genre, au hasard, « TCE, j’en mange toujours pas ! », il faut qu’ils renoncent à le faire parce que c’est ontologiquement dégoûtant de ne pas voter socialiste ? N’y aurait-il plus dans l’esprit de mes amis solfériniens qu’un rapport si ténu, quasi résiduel, entre le suffrage universel et le droit de dire ce qu’on pense? Ben oui, c’est comme ça, discipline d’abord, politique plus tard : dimanche, Harlem ne veut voir qu’une seule tête. De liste, cela va de soi.

Je ne suis peut-être pas assez démocrate, j’accepte volontiers la critique, mais je le serai toujours plus que les tenants du vote utile, fut-il remixé en vote non-dispersé. Instiller l’idée qu’on doit voter pour autre chose que ses idées, c’est niquer l’idée même de démocratie. Et là, on n’instille pas : on rabâche, on martèle, on monothématise, c’est carrément la tournante!

En plus, en l’état actuel des intentions de vote, cette injonction disciplinaire se double d’une assez grossière escroquerie arithmétique. En l’occurrence, dans beaucoup de régions, le parti socialiste est crédité d’environ 20 %, ce qui donne deux sièges. Son principal concurrent dans sa zone de chalandise, le Front de Gauche mélenchono-communiste tournicote autour de 6 %, ce qui donne zéro siège. Imaginons un déplacement de 2 % Ça donne dans ce cas de figure 18 % pour le PS, donc vraisemblablement toujours deux sièges et 8 % pour le FG, soit un siège. Zut alors, la gauche vient de gagner un siège! Vous avez dit dispersion ?

Pour cause de capacité à nous faire rêver encore plus étique que celle de Michel Barnier – ce qui est tout de même assez grave – j’avais depuis longtemps émis des doutes sur la légitimité d’Harlem Désir à conduire la liste socialiste aux européennes dans la région capitale. J’avais tort… Si c’est pour multiplier les contre-vérités flagrantes avec la candeur d’un mec qui y croit vraiment, à ses propres sottises, Harlem est sans aucun doute l’homme de la situation…

Ne tirez pas sur le portique !

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La levée de boucliers contre la fouille des écoliers est incompréhensible. Faire passer les nains sous les détecteurs de métaux pour les délester des marteaux, couteaux de cuisine et autres kalachnikovs devrait contribuer à alléger le poids du cartable qui déclenche non seulement des scolioses, mais oblige les journalistes à écrire le même article sur les kilos en trop des sacs à dos de nos chers petits à chaque rentrée scolaire. Hélas, le soulagement devrait être de courte durée : lesté de cinq fruits et légumes par jour, le chargement scolaire devrait retrouver son poids scandaleux avant la floraison estivale des marronniers.