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Lettre à Hicham

Mon cher Hicham,

« Voici venu le temps que je t’explique », pourrais-je te dire pour paraphraser Louis Aragon. Tu viens d’avoir dix ans et tu en parais huit. Avec ton petit cousin de six ans, tu as été interpelé pour un vol de vélo que tu n’avais pas commis. Arrêté par une demi-douzaine de fonctionnaires de police que l’on aurait peut-être aimé voir se livrer à des tâches plus utiles, ou plus urgentes. Tu as fait connaissance avec le racisme ordinaire d’une vieille nation exténuée. Je voudrais te dire que ce n’était pas dans ses habitudes, à ce pays, jusqu’à une date somme toute très récente. Je voudrais te dire que j’ai longtemps été professeur, que j’aime la France et que j’en ai parfois été très fier et pas seulement quand des joueurs avec des noms qui ont les mêmes consonances que le tien gagnent une finale de coupe du monde de football. Laisse-moi te dire, par exemple, comme je me suis senti étrangement heureux le jour où, préparant un voyage scolaire à Londres, je ramassai les autorisations de sortie du territoire et vérifiai que tout ce petit monde avait bien des pièces d’identité. Une élève cambodgienne me tendit ce qui ressemblait à un passeport sur lequel était inscrit « Titre de réfugié politique » et où l’on pouvait lire, sur la page de garde cet extrait de la constitution de 1793 : « Le peuple français donne l’asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté et il le refuse aux tyrans ».

Vois-tu, Hicham, pour reprendre les mots de Bernard Stiegler, qui estime que c’est là le plus important dans une société, nous étions en plein dans ce qu’il appelle le « prendre soin ». Et il me semble, à toi qui es aussi français que moi, que ce matin là devant ton école, en ce qui te concerne, on a oublié de « prendre soin » de toi.

La police n’est pas très bien tombée, en même temps. Il semblerait que ta mère soit une femme plutôt décidée, il semblerait que ce vélo, c’est ton oncle, un adjudant-chef, qui te l’a offert. Il n’aurait plus manqué qu’il soit un héros de la guerre en Afghanistan, qu’il se soit fait tirer dessus par des talibans, on aurait eu l’air ridicule, vraiment ridicule et en face, dans l’infime partie de nos concitoyens à front de taureau qui sont incapables de faire la différence entre un arabe et un islamiste, une appartenance ethnique et une appartenance religieuse, l’incompréhension aurait été complète.

Je ne sais pas d’ailleurs si tu es pratiquant ou non, et pour te dire la vérité, je m’en moque. Je sais que ta mère n’est pas apparue voilée à la télévision et cela est suffisant pour prouver que malgré cette relégation économique et culturelle que l’on fait subir aux tiens, vous ne soyez pas encore tombés dans la vilaine névrose religieuse et intégriste, celle que nos actuels gouvernants adorent voir se substituer à la lutte des classes, car il est toujours plus facile de gouverner une société communautarisée avec de bonnes mosquées à la place de vilains syndicats.

Hicham, n’en veux pas trop aux policiers. Ils sont fatigués, mal aimés, mal payés et très peu d’entre eux correspondent à la caricature gauchiste. Ils ont même, lors du légitime soulèvement des banlieues en 2005, fait preuve d’un remarquable professionnalisme, d’un étonnant sang froid alors qu’ils étaient poussés aux fesses par un ministre de l’intérieur hystérique et matamore, devenu Président depuis, et qui n’aurait pas détesté se la jouer Thiers pendant la Semaine sanglante, histoire d’assurer définitivement sa stature de chef suprême face à ces couilles molles humanistes de Chirac et Villepin.

Tu sais, tu n’as pas eu de chance. Tu t’es trouvé à la jointure symbolique de deux enjeux majeurs ces temps-ci : l’éducation et la sécurité, mises toutes les deux à mal par une morale capitaliste, une morale du chiffre et de la rentabilité. La même semaine, la police essuyait des tirs de kalachnikov et beaucoup ont fait semblant de confondre une action liée au grand banditisme de narcotrafiquants avec la délinquance ordinaire de la déréliction suburbaine. La même semaine, également, une enseignante se faisait poignarder par un de tes camarades de douze ans. Lui, vois-tu, pourtant il ne vivait pas dans une cité, il n’était pas d’origine étrangère mais il y a plusieurs façons de ne pas aimer, de ne pas « prendre soin » : on peut vous laisser traîner dans les cages d’escaliers des journées entières mais on peut aussi vous faire rentrer sagement dans le pavillon d’une zone rurbanisée et vous laisser des heures dans le cyberautisme le plus total des jeux vidéos et des chats sur MSN.

N’en veux donc pas, non plus, aux professeurs. Tu sais, depuis trente ans, depuis la réforme Haby ils subissent les délires pédagogistes d’une poignée de soixante-huitards qui après un putsch idéologique rue de Grenelle ont accompagné en idiots utiles la dissolution libérale-libertaire de l’école. Et puis Darcos, est arrivé, Hicham. Un agrégé de Lettres classiques qui a préféré par ambition la fréquentation de la droite Fouquet’s aux vers coquins de Catulle ou doucement lyriques d’Horace. On lui a dit « supprime dix mille postes par an » et il a supprimé dix mille poste par an depuis son arrivée. L’équivalent des suppressions d’emploi dans la sidérurgie à Denain, en 78, quand la mondialisation faisait ses premiers pas en se livrant à la destruction massives de régions entières en temps de paix.

Logique comptable, logique désastreuse, notamment dans les zones sensibles. Et tu sais quoi, Hicham ? Après l’agression de cette enseignante, après que deux jours plus tard une CPE a été rouée de coup, il n’a pas proposé de recruter des surveillants, ceux qu’on appelait les pions et qui ont disparu, remplacés par des assistants d’éducation mal formés astreints à trente-cinq heures et ne pouvant donc pas continuer leurs études. Non, il a eu l’indécence de proposer des portiques de sécurité et une « police des écoles ». Tu comprends ce que ça veut dire ? Dans les collèges et les lycées en quelques années, on a fait disparaître le latin, le grec, un nombre incalculable de langues étrangères, on a réduit les horaires en français, en histoire, en maths, on cherche à faire la peau à la philo et à l’économie (il ne manquerait plus que le lycéen de 2009 ait du sens critique, surtout s’il est issu d’un quartier) et quand tout craque, la réponse, ce sont les flics.

Les flics et les profs ont ceci en commun qu’ils sont des « dysfonctionnaires », selon le joli mot de Vincent Cespédes, un autre philosophe qui dans La cerise sur le béton montre comment ces deux catégories les plus exposées à la violence sociale sont en même temps soumises à des logiques contradictoires, schizophrènes entre les exigences de leur hiérarchie et la réalité du terrain.

Alors, Hicham, ce qui me ferait plaisir, ce n’est pas, comme le suggère mon estimée rédactrice en chef, que tu passes cet épisode par profits et pertes. Je voudrais qu’il te serve de carburant pour ne pas te conformer aux modes de réussites prévus pour toi (foot, rap, comique télévisuel), qu’il te donne envie de faire de la politique et que dans une petite trentaine d’années, j’apprenne que tu viens d’accéder aux deuxième tour de l’élection présidentielle. Si tu n’es pas dans les paillettes de Rachida ou la démagogie langagière de Fadela, j’irais voter pour toi, le cœur léger.

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Obama : l’effet Rachida ?

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L’hiver dernier, on s’était beaucoup moqué, et moi le premier, de Christian Estrosi quand il nous avait explicité le rôle décisif de la Sarkozy’s touch dans la victoire de Barack Obama. L’Histoire va-t-elle donner tort aux persifleurs ? C’est ce que semble suggérer le choix fait par le président américain pour la nomination d’un nouveau juge à la Cour Suprême, qui a comme des airs de déjà vu. Sonia Sotomayor est une femme, d’origine portoricaine et issue d’un milieu défavorisé. Qui plus est, elle est divorcée… ça ne vous rappelle rien ? Mais la comparaison avec Rachida a ses limites. D’un côté, chez nous, on a été nettement plus audacieux, on aurait apprécié que Barack, lui aussi, y aille carrément et nomme une pluri-minoritaire big boss de la justice. Mais d’un autre côté, juge à la Cour Suprême, c’est un poste inamovible. Une fois en place, c’est pour la vie. Tandis que Garde des Sceaux…

Tarnac paranoïaque


Comme dirait Jackie Berroyer : « Parlons peu, parlons de moi. » La notice qui suit mon nom sur causeur et me qualifie d’anarcho-réactionnaire en dit plus sur mon parcours que sur l’état de ma pensée. En fait, j’étais proche des milieux anarchistes jusqu’à une date trop récente pour que je puisse la révéler sans honte. Et un jour, à l’inverse de Lazare quand il retrouva la vie, j’ai cessé de marcher en traînant mes savates de République à Bastille et je me suis assis. J’ai ouvert les yeux sur le réel et en devenant clairvoyant, je suis devenu réactionnaire. En un mot je suis devenu adulte.

Il est vrai que dans ma jeunesse militante, aucun abus de pouvoir ne m’a envoyé en prison. Qui sait si je n’en serais pas sorti persuadé que ma pensée était dérangeante ? Maintenu dans l’illusion par effet de répression, soutenu par les écrits talentueux mais irresponsables de mes amis, au fond de quelle impasse idéologique cracherais-je aujourd’hui un anti-sarkozysme de rigueur ? Sur quel site d’info non-aligné et payant ou dans quel hebdo devenu bête et méchant pour de bon aurais-je fait acte de résistance contre la tyrannie libéral-sarkozyste qui enferme les dissidents et diffame les vrais libérateurs ? L’idée que j’aurais pu devenir une espèce de Frédéric Bonnaud me fait frémir.

À la lecture de l’entretien donné au Monde par Julien Coupat, incarcéré depuis plus de six mois, un constat s’impose : la prison ne remplit pas toutes ses missions. Si elle protège les honnêtes gens des criminels jugés, si elle dissuade une large majorité de personnes de violer la loi, la solution pénitentiaire semble peu efficace pour la réinsertion des prisonniers. Je ne parle pas de réinsertion professionnelle, je doute que ces contingences préoccupent beaucoup le penseur de Tarnac, mais disons d’un retour à des pratiques politiques respectueuses des exigences démocratiques, c’est-à-dire des autres gens.

Comme Jean-Marc Rouillan hier, Julien Coupat nous démontre que si on se berce de l’illusion qu’on est un prisonnier politique en France de nos jours, si on croit vraiment que « le pouvoir prend peur à cause d’un livre », ou que « ce qui fonde l’accusation de terrorisme, c’est la coïncidence d’une pensée et d’une vie », on a peu de chances de retrouver en sortant le chemin du bon sens. En effet, la compréhension du monde par Julien Coupat semble en être totalement dénuée. Si vous prenez la peine de lire l’entretien, vous mesurerez l’ampleur du fantasme.

Je vais tenter d’en extraire la substantifique moelle par quelques morceaux choisis.

– La répression : la France, « régime (…) de rafles de sans-papiers ou d’opposants politiques, de gamins bousillés par la police dans les banlieues (comme à La Courneuve ?) ou de ministres menaçant de priver de diplôme ceux qui osent encore occuper leur fac ». Rappelons à titre d’exemple que la fac de Saint Etienne, c’est 6000 étudiants et 200 bloqueurs.

– Le sarkozysme : « un tel régime, même installé par un plébiscite aux apparences démocratiques, n’a aucun titre à exister et mérite seulement d’être mis à bas ».

– L’opposition : la gauche « est trop lâche, trop compromise, et pour tout dire, trop discréditée pour opposer la moindre résistance à un pouvoir qu’elle n’ose pas, elle, traiter en ennemi ».

– Le peuple : le seul ennemi réel du « gang sarkozyste », « c’est la rue, la rue et ses vieux penchants révolutionnaires » : « Les ouvriers de Clairoix, les gamins de cités, les étudiants bloqueurs et les manifestants des contre-sommets. » On peut s’interroger sur ce qu’il adviendrait de cette étonnante coalition si la police, mandatée par la justice dans le cadre de lois votées par les représentants du peuple ne protégeait les droits des uns contre les abus des autres.

– La solution : « une révolte cruelle mais bouleversante ».

On peut discuter toutes ces affirmations mais la question essentielle n’est pas là. On peut dans notre République penser comme Julien Coupat et diffuser ses idées. On peut fonder un mouvement et, par sa seule force de conviction, entraîner une majorité de Français pour devenir chef de l’Etat, ce qui est beaucoup plus contraignant et donne moins de pouvoirs que faire chef de bande. La tenue d’élections libres le permet. C’est moins romanesque que la prise du Palais d’Hiver mais plus civilisé. On peut choisir un mode de vie autarcique et communautaire, ce qui, je le dis sans ironie, tente ma misanthropie et emporte toute ma sympathie. Notre société abrite en son sein des citoyens qui théorisent sa destruction. La loi protège la liberté de leur expression et autorise leur réunion et c’est très bien comme ça.

Ce qu’on ne peut pas faire en revanche, c’est arrêter les trains même si on trouve qu’ils roulent trop vite. Et encore, même pour ça, la loi a prévu des dispositions, le droit de grève pour les cheminots et le signal d’alarme pour les voyageurs. Dans le cadre de la loi : c’est comme ça que ça marche.

C’est ainsi qu’on peut partager ce pays, sans être d’accord et sans être ennemis.

Depuis que les élections sont libres, que la candidature à la fonction suprême est ouverte à tous, le gouvernement élu, c’est la volonté du peuple. S’attaquer à l’Etat, c’est s’attaquer au peuple. L’Etat de droit a aboli la révolution. En régime despotique, sans la liberté de choisir les dirigeants, prendre les armes c’est résister. En démocratie, c’est du terrorisme.

Ces idées simples, largement partagées, semblent avoir du mal à pénétrer les esprits compliqués des penseurs révolutionnaires.

Julien Coupat n’est pas un démocrate, voilà ce que révèle cet entretien au Monde. D’accord, ça ne mérite peut-être pas la prison.

Quant à l’affaire elle-même, j’aurais apprécié que les journalistes reprennent la seule question qui vaille, déjà posée par les enquêteurs : que faisait Coupat à proximité des rails, dans la nuit du 7 au 8 novembre ?

Réponse du présumé innocent : « Malgré mes talents avérés de voyance, je n’ai pas de solution à cette énigme. »

Julien Coupat se paie la tête des flics, la justice s’offre la tête de Coupat. Quel scandale.

Qui a peur du grand méchant Kim

79

Ce lundi matin au réveil, j’ai failli croire que mes jours étaient comptés. Sur Europe 1, Marc-Olivier Fogiel m’annonçait toutes les cinq minutes de sa voix la plus blanche que la Corée du Nord venait de procéder à un deuxième essai nucléaire. Je vous jure, son ton était encore plus lugubre et son air encore plus pénétré, que lors de sa fameuse interview de Loana après son non-viol dont elle ne se souvenait pas. C’est dire. En vrai, moi-même, j’ai failli marcher. Mais j’avais des circonstances atténuantes, notamment celle du semi-sommeil.

Des circonstances atténuantes, j’en accorde volontiers aussi à Marc-O: un zapping cursif m’a permis de constater que tous ses collègues du matin, entonnaient la même chanson accompagnés par les mêmes violons. Entendons nous bien, je ne dis pas que c’est une non-information. C’est sans doute une information essentielle. Et je serais sud-coréen, mandchou, japonais, bref à portée de missile de ces zozos, je trouverais ça fichtrement inquiétant. Je serais Hillary Clinton, j’aurais même annulé mon rendez-vous chez le coiffeur.

Mais moi, mais nous ? Qu’on nous informe, soit, qu’on nous explique les enjeux de cette affaire, très bien, mais est-il bien nécessaire de nous terrifier ? Parmi les millions de Français que cette info a glacés au réveil, combien sont capables de situer Pyongyang sur une mappemonde, à mille kilomètres près ? Quelqu’un serait-il fichu de me dire quand a eu lieu le premier essai nucléaire nord-coréen ?

J’aurais bien sûr compris qu’on sonne l’alarme et même qu’on supprime la chronique de Nicolas Canteloup si l’Iran, qui est au cœur du maelström proche-oriental, Cuba, qui est à un jet de pierre de Miami ou le Luxembourg qui est à nos frontières, avaient procédé à un tel essai nucléaire. Mais là, franchement…

Alors j’aurais voulu qu’on prenne le temps de me raconter, au moins une seule fois dans la tranche du matin, en quoi cette information était d’une importance vitale. En quoi elle risquait de tournebouler l’équilibre stratégique dans cette région du monde et donc de notre planète déjà bien mal en point. Mais makache. Rien qu’un amoncellement de diptyques qui font peur. « Nouvelle provocation », « crise majeure », « tension extrême », « indignation unanime » ; ne manquaient à l’appel que « monstre sanguinaire » ou « vilain méchant ».

Non en vrai, avant comme après ce bombardement médiatique, on n’avait rien appris, rien compris. Et moi, je suis comme les gosses, j’aime bien comprendre. Je veux bien y croire, mais je veux qu’on me dise pourquoi, sinon, j’ai comme l’impression qu’on se moque de moi. Et à l’heure qu’il est, alors que le soufflé nord-coréen retombe déjà, tout ce que les gens savent de bazar-là, c’est que la Corée du Nord est dirigée par un fou furieux qui a une bombe A, ce qui est n’est pas rassurant et que personne ne saurait nier, même moi. Mais c’est justement cette juxtaposition des éléments du mal absolu qui pose problème. Quand j’entends le présentateur prendre son ton le plus apocalyptique pour nous annoncer la nouvelle quasiment comme si la troisième guerre mondiale avait déjà commencé, je dis stop, on se joue de moi, on cherche à me trifouiller l’inconscient, on me manipule mentalement sans même que je me sois inscrit à un test de dianétique à l’Eglise de schtroumpfologie.

Plus exactement, j’ai la désagréable impression que les gens qui sont supposés m’informer cherchent délibérément à me flanquer les chocottes. Et j’ai une vague idée du pourquoi. L’auditeur terrorisé est par essence un client en or pour l’industrie médiatique, et même le meilleur consommateur qui soit. De bon gars franchouillard et cartésien à qui on ne la fait pas, il est métamorphosé en zombie radiotélédépendant qui tend l’oreille en pensant que tout ce qui sort du poste ou de l’écran plat 82 cm est affaire de vie ou de mort. Alors cette trouille divine, on l’entretient, on la bichonne, on la peaufine et tout est bon dans le cochon : les serial killers pédophiles et les policiers pédophobes, les requins mangeurs d’homme et les saumons cancérigènes. Les drames de l’obésité et les dangers de l’amaigrissement. La violation quotidienne des droits de l’homme, de la femme, de l’animal, sans parler de celui des plantes à disposer d’elles-mêmes.

En regardant ma radio par le petit bout de la lorgnette, je pourrais dire qu’on me gave de Corée au petit déj, pour mieux me vendre de l’ami Ricoré ensuite. Mais en vérité c’est plus grave, ce n’est pas de la pub, qu’on nous vend, c’est une vision du monde. Ce monde est dangereux, à l’autre bout de la planète comme au coin de la rue.

Ces semaines-ci en particulier, il ne s’agirait pas que le bon citoyen oublie que l’Europe, c’est la paix. Que sans les pères fondateurs, le monde aujourd’hui serait un foutoir sans nom, où règne la loi du plus fort, ou du plus tapé. Non. Mais comment ne pas l’oublier ? Comment rappeler à l’ordre le distrait ?

Par exemple, ce lundi-là, en survendant le dernier endroit au monde où les bienfaits de l’Europe civilisatrice, de la mondialisation thaumaturge n’ont pas fait leur ouvrage. Un pays bizarre où l’on mange de la soupe aux racines pour cause de famine démentielle, où paradent à date fixe des petites filles en jupe rouge chantant des louanges à un dictateur mal habillé. Si en plus, on ajoute à ce fantasme exotique la folie nucléaire…bingo !

Voilà qui devrait remettre dans le droit chemin le Français qui a eu le mauvais goût de savourer en paix son long week-end de mai et de penser à la fête des mères qui vient ou à ses propres problèmes de boulot plutôt qu’aux aux européennes ou à l’état du monde

Incapable de nous vendre de la bonne came, nos médias ne savent plus s’adresser qu’à nos émotions. Un jour, c’est l’indignation, le lendemain la culpabilisation et ce lundi, et bien le menu c’était totale panique. Demain, c’est quoi ?

Après la déferlante H1N1, on avait déjà fait des stocks de Tamiflu. Chérie, n’oublie pas d’aller m’acheter du Valium !

Hulot, séquence contradiction

Nicolas Hulot ne voit pas d’un très bon œil l’éventuelle nomination de Claude Allègre à un poste ministériel. Arbitre des élégances environnementales depuis qu’il s’est unanimement autoproclamé à ce poste, Nicolas Hulot appelle, le cas échéant, chacun à « tirer les conséquences » de ce « signal tragique », jugeant même que cette nomination serait un « bras d’honneur aux scientifiques ». Evidemment, un ministre de la Recherche qui serait, en même temps, géochimiste distingué et membre de l’Académie des sciences, ce serait vraiment trop louche. Ce serait un peu comme un animateur télé se piquant d’écologie et finançant en partie ses émissions sur l’avenir de la planète grâce aux royalties reversées à la chaine qui l’emploie pour des produits dérivés on-ne-peut-plus écolos, tels que bagnoles et savons. À Ushuaïa, même la contradiction est un sport extrême.

Sniffer n’est pas jouer

Pendant que ses collègues de travail cavalent sur les courts de Roland Garros, Richard Gasquet, 22 ans, petit prodige du tennis français, est au piquet. Dans la presse on le dit « caché quelque part en France » en attendant son jugement. Il risque deux ans de suspension ferme. Deux ans d’interdiction professionnelle. Rien que ça. Il est même tricard dans l’enceinte du stade. « Sa présence n’est pas souhaitable », a décrété la Fédération internationale de tennis. Mince, à croire que le gamin de Sérignan a choppé la grippe mexicaine, violé des enfants et braqué le sac une petite vieille.

Tout commence pour l’infortuné Gasquet au tournoi de Miami en mars dernier. Souvent blessé, le fragile jeune homme déclare forfait une fois de plus à la veille du début du tournoi. Quand ce n’est pas le coude, c’est l’épaule. Se croyant en vacances forcées, il fait ce que tout jeune de son âge ferait à sa place : direction Miami Beach, ses clubs, ses filles, ses DJ adulés.

Gasquet aurait mieux fait de rester à l’hôtel à jouer au scrabble avec son coach. Le lendemain, il subit un test antidopage. On trouve des « traces » infinitésimales de cocaïne. C’est le début de sa descente aux enfers. L’usage de coke, considérée comme une drogue festive, sans le moindre intérêt dopant pour un joueur de tennis, n’est pas sanctionné en dehors des périodes de compétition. La boulette de Gasquet est d’avoir cru qu’il était « hors compétition » après avoir déclaré forfait. Sa simple présence à Miami suffisait à le rendre éligible à un test antidoping… Bref, Gasquet a été pris par la patrouille après s’être emmêlé les pinceaux dans le règlement. Il s’agit donc d’une bêtise sans grand intérêt, et sans aucune volonté de « tricher » de la part du joueur. Gasquet mérite peut-être une punition (pour infraction à la législation sur les stupéfiants ? ndlr), pas une exécution publique. Pourtant, la sanction risque d’être la même pour ce pauvre môme que pour un sportif qui se chargerait aux hormones de croissance pour chevaux, ou qui prendrait de l’EPO chaque matin au petit-déjeuner.

Si le règlement, totalement absurde, est appliqué strictement, Gasquet pourrait être suspendu deux ans. Une sanction presque sûrement synonyme de fin de carrière car on ne revient pas à son niveau après une si longue absence des courts. Bref, le soldat Gasquet risque le peloton d’exécution pour une malheureuse ligne de coke. (Ses analyses capillaires ont prouvé qu’il n’était pas un utilisateur régulier).

Cette ridicule et banale histoire n’a pas de morale. Je ressens juste un sentiment de malaise devant l’indifférence de l’opinion à l’égard de cette injustice. Le politiquement correct et les opinions binaires qui ne laissent pas place à la moindre zone de gris gagnent du terrain dans tous les domaines possibles et imaginables. Dans cette affaire, les médias ont lâché Gasquet parce que « la drogue ce n’est pas bien ». Les humoristes qui adorent tirer sur les ambulances se sont déchaînés. Les responsables du tennis l’ont traité comme un criminel pour rassurer les sponsors, et préserver l’image de la poule aux œufs d’or. Ses « camarades » de Coupe Davis ne risquent pas de se mettre en grève pour exiger sa relaxe. On n’est pas chez Molex et ATP n’est pas la CGT. Même Yannick Noah, le king de l’impertinence et du politiquement incorrect, supposé proche de Richard Gasquet, n’a pas levé le petit doigt. Alors, ça m’a fait du bien d’entendre Nelson Montfort remettre à sa place Henri Leconte qui en remettait une couche.

En attendant, le French Open ne sera pas troublé par la moindre évocation du « délinquant ». La « grande famille du tennis » fait singulièrement penser à un congrès du PS.

L’Europe abonnée au gaz russe

Pendant que les têtes de listes aux élections européennes font les guignols devant des travées vides, les affaires, les vraies, continuent dans la coulisse et révèlent une Union européenne où le « jeu perso » ainsi que la maltraitance à Bruxelles des petits à la récré démentent les envolées lyriques des eurobardes[1. J’exige le copyright avec mention d’origine sur ce néologisme qui désigne les Guetta, Duhamels, Delafon, Olivennes, Colombani et consorts qui finiront accrochés à un arbre et bâillonnés lors des prochains banquets républicains !].

À l’occasion d’une petite virée en Europe centrale, je me suis intéressé à une question aussi aride que malodorante, au propre comme au figuré : celle de l’approvisionnement de nos pays en gaz naturel. On a déjà oublié, ou presque, qu’au plus fort de l’hiver le plus rigoureux de la décennie (bonjour le réchauffement climatique !), un conflit entre la Russie et l’Ukraine fit greloter des milliers de foyers en Europe centrale, car l’équipe Poutine-Medvedev avait fermé le robinet du seul gazoduc qui achemine, à travers l’Ukraine, cette source d’énergie vers l’ouest.

La France fut touchée, mais cela ne s’est pas traduit par une hécatombe de vieillards privés de chauffage par -15°. La diversité de nos approvisionnements gaziers (Algérie, mer du Nord) et le poids du nucléaire dans la production d’énergie relativisent chez nous les conséquences des accès de mauvaise humeur moscovite.

Néanmoins, ces dernières années, à la suite notamment de la renationalisation par Vladimir Poutine des grandes entreprises productrices d’hydrocarbures, l’idée a germé dans quelques têtes d’œufs bruxelloises (qui ne sont pas toujours aussi stupides qu’on le croit) qu’il serait prudent de diversifier, dans le futur, les sources d’approvisionnement en gaz naturel, une énergie d’avenir, moins polluante que le pétrole et dont les réserves estimées sont nettement plus importantes que celles de l’or noir.

C’est ainsi que naquit le projet Nabucco, qui, comme son nom l’indique, consiste à aller chercher du gaz dans la région où règnait jadis Nabuchodonosor, dont Giuseppe Verdi, pour des raisons de marketing, simplifia le nom en Nabucco. Il s’agit d’un gazoduc de 3300 kilomètres qui transporterait le gaz d’Iran, du Kurdistan irakien et de la région de la Caspienne, tous lieux où les réserves répertoriées sont prometteuses, vers l’Europe, en évitant soigneusement de traverser la Russie. Le trajet se ferait par la Turquie, la Bulgarie, la Roumanie, la Hongrie et aboutirait en Autriche, d’où il pourrait alimenter les réseaux d’Europe centrale et occidentale.

On voit le but de la manœuvre : pouvoir faire un joyeux bras d’honneur à Poutine ou celui de ses successeurs qui s’aviserait de se comporter comme il est de tradition chez les Russes, même post-soviétiques : comme je suis le plus fort, je cogne avant de causer.

La Commission européenne applaudit à ce projet et promet monts et merveilles pour son financement. Un consortium se met en place, qui rassemble les principales entreprises de distribution d’énergie des pays directement concernés (Turquie, Bulgarie, Roumanie, Hongrie et Autriche, ce dernier pays étant chef de file du projet par l’intermédiaire de l’entreprise OMV, qui est à la fois le Total et le GDF du pays de Mozart). Une entreprise allemande, RWE, s’associe également au projet, car ses concurrentes outre-Rhin, E-On en tête, fricotent avec les Russes, comme on le verra plus loin.

Dans un premier temps, Suez-GDF marque de l’intérêt pour Nabucco et fait acte de candidature pour être le septième partenaire de l’opération. Cette offre est rejetée par la Turquie : le Parlement français venait de voter, à la grande fureur d’Ankara, une loi mémorielle sur le génocide arménien. Mais la raison essentielle de cette fin de non-recevoir est la méfiance généralisée qu’inspirent nos grandes entreprises plus ou moins liées à l’Etat à des partenaires plus petits, qui ont médité l’exemple de la Belgique, dont les entreprises énergétiques ont été avalées en une seule bouchée par Gerard Mestrallet, le Gargantua du secteur. Aujourd’hui, Suez-GDF se fait tout petit et modeste pour obtenir un strapontin dans North Stream.

Les coups les plus rudes au projet Nabucco ont été portés simultanément à Berlin par la chancelière Angela Merkel et à Rome par Silvio Berlusconi. Le gouvernement allemand est engagé depuis maintenant cinq ans dans une entreprise de construction d’un gazoduc sous la Baltique, dénommé North Stream, qui acheminerait directement le gaz russe exploité en Sibérie occidentale vers l’Allemagne, sans passer par la Biélorussie et la Pologne, une perspective qui est considérée avec une hostilité certaine à Varsovie. Ce deal a été conclu du temps du chancelier Schröder, immédiatement nommé à la tête du consortium russo-allemand qui pilote le projet. À côté, les petites magouilles d’un François Pérol pour devenir le patron de la Caisse d’Épargne-Banque Populaire font vraiment provinciales et petit bras…

En Italie, Berlusconi, qui est au mieux avec Vladimir Poutine, a présidé au mariage du trust pétrolier transalpin ENI avec Gazprom pour lancer un projet concurrent à Nabucco, South-Stream, qui amènerait le gaz russe jusqu’en Italie en traversant la Mer Noire, la Grèce et la Serbie (le tracé n’est pas encore définitivement fixé).

La présidence tchèque de l’UE, tirant les leçons de la crise gazière avec l’Ukraine, a fortement plaidé pour que la priorité des aides européennes, qui se montent à 3,5 milliards d’euros, soit dirigée vers Nabucco, au nom de la nécessaire diversification des approvisionnements. Il s’est vertement fait rappeler à l’ordre fin mars par Angela Merkel, qui, tout en soutenant du bout des lèvres le projet Nabucco, exige que l’UE traite à égalité les projets Nord Stream et South Stream, ce qui revient, dans les faits, à torpiller Nabucco. Elle se permet, de plus, de donner des conseils à ses voisins, comme de faire des économies d’énergie et d’importer moins de gaz. Und damit Schluss ! Paris, dans ce dossier où la France est moins impliquée, soutient Berlin et Rome, dans l’espoir de se voir renvoyer l’ascenseur dans d’autres dossiers, le ferroviaire ou le nucléaire par exemple.

Qui a gagné au bout du compte ? Gazprom et Poutine… Vodka pour tout le monde ! J’ai cru percevoir, dans mes discussions avec des dirigeants tchèques et hongrois, ces dernières semaines, comme un brin d’amertume… S’ils la manifestent un peu trop bruyamment, il se trouvera bien quelque part en Europe un ersatz de Chirac pour leur faire remarquer qu’ils ont encore perdu une bonne occasion de se taire. Comme de cela je n’ai strictement rien entendu de quiconque ayant le culot de se présenter aux européennes, je ferai comme j’ai dit : j’irai pas !

L’ordre règne à l’École

Ce gouvernement ne respecte rien. Même pas cet être sacré qu’est l’enfant, innocent y compris quand il est coupable – et qu’on ne m’enquiquine pas avec des saletés de psychanalyste. Non contente de traquer les étrangers au point de s’attaquer à leurs mômes, la République sarkozyste s’en prend maintenant aux nôtres. En quelques jours, les signes d’une volonté de réprimer dès le plus jeune âge se sont multipliés. Il y a quelques semaines, la réaction scandaleuse d’un instituteur avait montré que la tentation répressive gangrène l’institution scolaire elle-même. Menaçant sur le ton de la plaisanterie un élève de 9 ans qui avait l’habitude de « montrer son zizi » à ses camarades de « couper ce qui dépassait », ce tortionnaire a reçu son juste châtiment comme l’a fort bien narré l’ami David Desgouilles : 500 € d’amende et une privation de son droit d’enseigner. On espère que l’enfant traumatisé a pu reprendre son innocente activité, désormais fort de la certitude que, face aux adultes, prof ou gendarme, il est le plus fort. Quant aux gamins qui s’étaient offusqués de ses agissements auprès de l’instituteur, sans doute de la graine de fachos et de délateurs, voilà qui leur apprendra à être plus cool.

On espère bien que les deux policiers qui ont odieusement procédé à une rafle de deux gosses de dix ans pour une sombre histoire de bicyclette seront, eux aussi, durement sanctionnés. En attendant, toute leur classe a été confiée aux bons soins d’une cellule d’aide psychologique qui tentera de leur faire oublier ces heures les plus noires de leur enfance.

Comme d’habitude, pour justifier le tour de vis, on nous joue la vieille antienne de l’insécurité. Certains médias aux ordres en font des caisses. De malheureux tirs de kalachnikovs contre les flics à La Courneuve, et le chœur des vierges sécuritaires nous fait croire que c’est la guerre. Heureusement de grands esprits comme Laurent Mucchielli nous expliquent que cette violence est « un processus circulaire » dont « les jeunes et les policiers sont, tour à tour, les acteurs ». Que le meilleur gagne. Un prof poignardé dans un collège « sans histoires » ? Tout au plus un cas isolé dont il convient de ne pas exagérer la signification mais qui nourrit les fantasmes de quelques vieux apeurés, réacs égarés et sarkozystes en quête de voix lepénistes. Le sentiment d’insécurité continue à faire des ravages.

Peu importe donc que la violence soit devenue le quotidien de pas mal d’établissements, que les cas de profs agressés se multiplient, que la délinquance, la vraie, touche des mineurs de plus en plus jeunes et que des enfants parfois âgés de dix ans narguent en toute impunité – et souvent avec le soutien de leurs parents – les profs, les flics et les juges. Le scandale n’est pas que des parents soutiennent leurs rejetons contre les profs ensuite accusés de démission ni que des enseignants qui tentent (parfois maladroitement) d’exercer une autorité soient lâchés en rase campagne par leur hiérarchie. Il n’est pas non plus dans le fait que des armes puissent entrer à l’école, mais dans la méthode proposée par Xavier Darcos pour tenter de l’empêcher.

Bien au-delà des habituelles pleureuses des Inrocks et de Télérama, un tollé polyphonique a accueilli la proposition du ministre de l’Éducation de fouiller les cartables des élèves. « Remède pire que le mal », selon un responsable de la FCPE, « fausses réponses » à en croire le patron de la FSU, Gérard Aschieri, qui voit dans cette « cette gesticulation sécuritaire » le résultat « d’une atmosphère malsaine qui est en train de décrire l’école comme le lieu de tous les dangers, et les enfants comme des dangers potentiels ». Son de cloche identique chez les politiques jusque dans les rangs de la majorité. Jean-Christophe Cambadélis dénonce un « GIGN scolaire ». Même MAM fait la fine bouche, reconnaissant que tout ça va être un peu plus compliqué. La bonne blague. Alors que la réalité est si simple.

Bref, nous voilà menacés non pas par l’irruption de la délinquance et parfois du banditisme dans l’enceinte de l’institution scolaire, mais par la création d’une police des écoles. On verra sans doute sous peu la gauche réconciliée scander, la mine grave, dans les rues de Paris : « L’ordre règne à l’École ! » Et puis quoi encore ? À ce train-là, on nous expliquera sous peu que la loi doit s’appliquer aussi dans les salles de classes et les cours de récré. L’autorité, voilà l’ennemi !

D’accord, l’interpellation de deux minots pour un vol qu’ils n’avaient pas commis ressemble à un excès de zèle. Mais enfin, à qui va-t-on faire croire que des mômes abreuvés de télé plusieurs heures par jour, souvent confrontés, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’école, aux rackets, tournantes et autres joyeusetés, vont rester terrorisés à vie pour avoir passé deux heures dans un commissariat (au cours desquelles on espère qu’on leur a offert des carambars) ? Si les professionnels de l’indignation et de la compassion se souciaient réellement des séquelles, ils auraient minimisé l’incident sur le mode : « Ça vous fera un souvenir marrant et une histoire pour les copains. » Après tout, ils auront eu le quart d’heure de célébrité dont on rêve désormais dès le berceau et leur innocence a été rapidement reconnue, voilà qui devrait leur donner confiance dans la police de leur pays. Et puis merde, j’ose, en imaginant à l’avance le torrent qui va s’abattre sur moi : peut-être que cette mini-bavure aura dissuadé quelques futurs candidats au vol de vélo et autres biens matériels. Je suggère donc au jeune Hicham, à son cousin et à leurs familles de considérer cet épisode comme l’une des petites aventures qui font une existence, plutôt que comme la plus grande bavure policière depuis la mort de Malik Oussekine. Cette micro-affaire est peut-être regrettable, il n’y a pas de quoi en faire ces épais fromage.

De même, je ne sais pas si la méthode proposée par Xavier Darcos est techniquement la bonne. Mais quand j’ai entendu, vendredi matin sur France Inter, le sociologue de service affirmer très sérieusement que fouiller les cartables serait porter atteinte à l’intégrité des enfants (tandis que laisser certains agresser leurs profs ou leurs élèves ne porte atteinte qu’à l’intégrité des victimes, sans doute), je me suis demandé lequel des deux, lui ou moi, était complètement barré. Je le dis sans hésitation : c’est ce dealer de bonnes nouvelles qu’il faudrait enfermer, lui et toutes les belles âmes qui nous expliquent que, si on n’avait pas réduit le nombre de surveillants, on n’en serait pas là. Des pions contre des armes blanches. « Il faut rétablir l’autorité », a affirmé Marielle de Sarnez, la garde rapprochée de François Bayrou à elle toute seule[1. Il est vrai que Bayrou préfère, lui, l’éducation par la torgnole, surtout quand il y a des caméras, comme il en avait fait la démonstration au cours d’une visite dans le quartier de la Meinau à Strasbourg, pendant la campagne présidentielle de 2002, en administrant une baffe à un gamin qui tentait de lui faire les poches.]. Quelle heureuse découverte. Et comment donc ma bonne dame ? À force de compréhension, de bienveillance et de respect de l’intégrité ? En laissant seuls en première ligne des profs qu’on a consciencieusement dépouillés de tous les attributs symboliques de leur autorité ?

Réveillez-vous, les gars. Il est trop tard pour proclamer la sanctuarisation de l’École. Il fallait y penser avant, avant de laisser la doxa, la télé et toutes les doléances et dérèglements de la société l’envahir. On pouvait s’attendre à ce que la violence, la délinquance, l’incivilité s’engouffrent dans la brèche. Et il faudrait maintenant qu’on la sanctuarise pour la protéger de la Loi ? Oui, il faut protéger l’École, mais du crime, pas de la Loi.

Pendant que les marchands de rêve continuent à jurer que « le réel ne passera pas », une majorité silencieuse fait entendre une autre musique. Pendant que leurs « représentants » syndicaux font assaut de bons sentiments, des profs en ont marre d’aller faire cours la peur au ventre. L’une d’elle a publié un livre intitulé Ces profs qu’on assassine. Les gens qui sont allés voir La Journée de la jupe veulent d’abord qu’on arrête de leur raconter qu’ils ne vivent pas ce qu’ils vivent… Parce que ça, ça rend fou. C’est pour faire cesser ce déni de réel que beaucoup ont voté pour Nicolas Sarkozy. Qu’ils aient eu ou non raison de le faire est une autre histoire. Comme l’a justement relevé Frédéric Ploquin, ce qu’ils reprochent à Sarkozy, ce n’est pas d’avoir promis de nettoyer « les 4000 » au karcher, c’est d’avoir échoué à le faire.

La loi qui protège et la liberté qui opprime, vous en avez entendu causer, vous dont la bonne conscience n’a d’égale que l’aveuglement ? Oui, la plupart des braves gens veulent que force reste à la loi. Ils veulent que l’État se défende et que ceux qui lui font la guerre sachent qu’à la guerre on peut mourir. Oui, il faut que l’ordre règne à l’École. À toujours préférer le désordre à l’injustice, on finit toujours par avoir et le désordre et l’injustice.

Ces profs qu'on assassine

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La vista, tu l’as ou tu l’as pas

Georgios Anastassopoulos aurait pu faire une carrière assez honorable dans Les aventures de Tintin, s’il n’avait déjà trouvé un boulot en politique. Député de Nea Dimokratia (conservateurs grecs) au Parlement européen, il rédigea en 1998 un rapport préconisant de créer des circonscriptions électorales dans les pays de plus de vingt millions d’habitants. Résultat : en 2003, le Premier ministre de l’époque, Jean-Pierre Raffarin, créa huit circonscriptions pour élire les députés européens. À dire vrai, il ne s’agissait pas en France de suivre à la lettre les recommandations du Parlement de Strasbourg, mais bien de lutter contre la dispersion des voix générée par la multiplication des « petites listes ». Rendez-vous compte : en 1999, vingt listes, dont certaines assez bizarroïdes, se présentaient aux européennes ! Grâce à l’initiative de Jean-Pierre Raffarin – la vista, tu l’as ou tu l’as pas –, ce ne sont pas moins de 161 listes qui sont en lice en 2009. Si l’on s’avisait de rapporter ce chiffre à la situation de 1999, quand existait la circonscription unique, on s’apercevrait que Jean-Pierre Raffarin a réussi son coup : en moyenne, un Français aura en 2009 le choix entre vingt listes différentes, alors que vingt se présentaient à son suffrage dix ans auparavant. Si Jean-Pierre Raffarin n’existait pas, eh bien on se demande parfois si. Enfin, non, on ne se demande rien.

Cohn-Bendit : ne le recyclez pas !

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Ne comptez pas sur moi pour lancer la pierre à Daniel Cohn-Bendit. J’ai deux ans de moins que lui et encore assez de force dans les bras pour pouvoir le faire, mais j’avoue tout de suite mon crime : je l’aime bien. À dire vrai, je l’adore. Sa dégaine, ses yeux frondeurs, son air de ne pas y toucher m’émoustillent. Si un jour il devait coucher dans ma baignoire – il est préférable de faire dormir les roux dans sa salle de bains, plutôt que de vitupérer contre votre pressing qui n’a pas réussi à en ôter l’odeur de vos draps[1. La solution pourtant existe. Si, par mégarde, un roux couche dans vos draps, il vous suffit de les tremper 45 minutes dans de l’essence, puis d’y mettre le feu. Aux draps, pas au roux.] –, je ne suis pas certaine de rester dans mon lit. Mon admiration n’est pas que physique. Elle est intellectuelle, morale, politique. Ce qui me plaît le plus, chez lui, c’est sa constance en toutes choses.

Déjà en 1968, il appelait à en finir avec les anciennes générations et à envoyer à la retraite ces hommes politiques qui étaient aux manettes depuis plus de vingt ans. Daniel Cohn-Bendit n’a pas changé et, contrairement à beaucoup de politiciens qui bercent le bon peuple de vaines paroles, il met en accord ses pensées et ses actes : chez les Verts français, il a fait le ménage et a viré, manu militari, tous les vieux croulants des listes aux élections européennes. Roulez jeunesse !

Il a commencé avec Marie-Anne Isler-Béguin : figurez-vous que cette vieillarde de 53 ans siège au Parlement européen depuis 1994 ! Oui, vous ne rêvez pas : elle est députée depuis le siècle dernier ! Daniel est humain, il ne l’a pas virée sans ménagement. Un âge aussi vénérable mérite quelques égards. Il lui a donc promis une place dans une maison de retraite, entièrement chauffée au solaire, avec bac à compost, nourriture bio et wc secs au fond du jardin. Il n’eut plus qu’à la faire asseoir, à lui poser un plaid sur les genoux et à faire rouler son fauteuil vers la sortie.

Gérard Onesta fut, lui, un cas plus dur à traiter. Ce Mathusalem de 49 ans, député écologiste depuis 1999, voulait jouer les récalcitrants. C’est compréhensible : ce centenaire, né sous le général de Gaulle (c’est dire si ça remonte), est dénué de tout sens politique. Où l’aurait-il acquis d’ailleurs, lui qui n’avait que huit ans en 1968 et n’a même pas conscience que les vieux doivent se résoudre à laisser leur place aux jeunes ? Daniel Cohn-Bendit envoya donc José Bové persuader Onesta de se retirer sans rien dire. Âgé de seulement 53 ans – et encore, l’air de la campagne vous en donne toujours trente de moins –, le leader paysan n’est pas du genre à se laisser démonter. Il s’est planté en face du sinistre barbon :

– Tu les as vues, mes moustaches ? Dis, tu les as vues ?

Un bourre-pif plus tard, Onesta était allongé de tout son long et le jeune Bové pouvait se présenter à sa place.

C’est une question de principe. En France, les Verts sont le mouvement politique le plus démocratique qui soit. Et, en 2004, ils ont adopté l’un de leurs plus grands textes, un plaidoyer pour une VIe République. Ils y écrivent notamment : « La limitation du nombre de mandats successifs exercés par le même titulaire est une condition d’un fonctionnement sain de la démocratie, à tous les niveaux de représentation. L’absence de règles dans ce domaine constitue sans doute l’une des raisons du vieillissement inquiétant de la représentation nationale constaté depuis le début des années quatre-vingt. En 1982, l’âge moyen du représentant syndical ou politique était de 45 ans, il est de 59 ans aujourd’hui. C’est pourquoi nous proposons de limiter à deux renouvellements, soit trois mandats, l’ensemble des mandats électifs. Limiter à cinq ans la durée de tous les mandats électifs. Cette proposition couplée avec l’interdiction de dépasser trois mandats successifs empêcherait ainsi d’exercer plus de quinze années consécutives le même mandat. » C’est beau comme du Montesquieu[2. Comparé à Eva Joly, jeune candidate d’Europe Ecologie d’à-peine 66 ans, Montesquieu n’a jamais rien fait contre Elf : qui ne dit mot consent.].

Pourquoi n’en parle-t-on pas ? Pourquoi les commentateurs politiques restent-ils muets là-dessus ? C’est pourtant rarissime qu’un parti tienne ses engagements et place la morale publique à un tel niveau que chacune de ses propositions l’oblige lui-même. Combien faudra-t-il encore de mandats à Daniel Cohn-Bendit pour qu’il parvienne à changer les mœurs politiques en France et en Europe et persuade les autres parlementaires européens que trois mandats ça suffit ?

Dany, qui s’apprête à entamer son quatrième mandat dans quelques semaines, le sait bien : les quinze années qu’il vient de passer au Parlement européen lui ont permis de constater les dégâts du grand âge sur ces élus installés depuis cinq ou dix ans dans les mêmes fonctions. Le vieillissement n’est pas sain pour la démocratie. Les vieux ne sont pas sains. Et plus ça va, plus ils deviennent inquiétants. Le péril vieux, voilà l’ennemi ! Chassons de nos Parlements les vieillards et leur trou de…, enfin leur perte de… Comment dit-on ? Vous savez bien quand on ne se souvient plus d’une chose qu’on a dite la veille. Ça me reviendra. Peut-être pas.

Photo de une : cc Parlement européen, flickr.

Lettre à Hicham

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Mon cher Hicham,

« Voici venu le temps que je t’explique », pourrais-je te dire pour paraphraser Louis Aragon. Tu viens d’avoir dix ans et tu en parais huit. Avec ton petit cousin de six ans, tu as été interpelé pour un vol de vélo que tu n’avais pas commis. Arrêté par une demi-douzaine de fonctionnaires de police que l’on aurait peut-être aimé voir se livrer à des tâches plus utiles, ou plus urgentes. Tu as fait connaissance avec le racisme ordinaire d’une vieille nation exténuée. Je voudrais te dire que ce n’était pas dans ses habitudes, à ce pays, jusqu’à une date somme toute très récente. Je voudrais te dire que j’ai longtemps été professeur, que j’aime la France et que j’en ai parfois été très fier et pas seulement quand des joueurs avec des noms qui ont les mêmes consonances que le tien gagnent une finale de coupe du monde de football. Laisse-moi te dire, par exemple, comme je me suis senti étrangement heureux le jour où, préparant un voyage scolaire à Londres, je ramassai les autorisations de sortie du territoire et vérifiai que tout ce petit monde avait bien des pièces d’identité. Une élève cambodgienne me tendit ce qui ressemblait à un passeport sur lequel était inscrit « Titre de réfugié politique » et où l’on pouvait lire, sur la page de garde cet extrait de la constitution de 1793 : « Le peuple français donne l’asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté et il le refuse aux tyrans ».

Vois-tu, Hicham, pour reprendre les mots de Bernard Stiegler, qui estime que c’est là le plus important dans une société, nous étions en plein dans ce qu’il appelle le « prendre soin ». Et il me semble, à toi qui es aussi français que moi, que ce matin là devant ton école, en ce qui te concerne, on a oublié de « prendre soin » de toi.

La police n’est pas très bien tombée, en même temps. Il semblerait que ta mère soit une femme plutôt décidée, il semblerait que ce vélo, c’est ton oncle, un adjudant-chef, qui te l’a offert. Il n’aurait plus manqué qu’il soit un héros de la guerre en Afghanistan, qu’il se soit fait tirer dessus par des talibans, on aurait eu l’air ridicule, vraiment ridicule et en face, dans l’infime partie de nos concitoyens à front de taureau qui sont incapables de faire la différence entre un arabe et un islamiste, une appartenance ethnique et une appartenance religieuse, l’incompréhension aurait été complète.

Je ne sais pas d’ailleurs si tu es pratiquant ou non, et pour te dire la vérité, je m’en moque. Je sais que ta mère n’est pas apparue voilée à la télévision et cela est suffisant pour prouver que malgré cette relégation économique et culturelle que l’on fait subir aux tiens, vous ne soyez pas encore tombés dans la vilaine névrose religieuse et intégriste, celle que nos actuels gouvernants adorent voir se substituer à la lutte des classes, car il est toujours plus facile de gouverner une société communautarisée avec de bonnes mosquées à la place de vilains syndicats.

Hicham, n’en veux pas trop aux policiers. Ils sont fatigués, mal aimés, mal payés et très peu d’entre eux correspondent à la caricature gauchiste. Ils ont même, lors du légitime soulèvement des banlieues en 2005, fait preuve d’un remarquable professionnalisme, d’un étonnant sang froid alors qu’ils étaient poussés aux fesses par un ministre de l’intérieur hystérique et matamore, devenu Président depuis, et qui n’aurait pas détesté se la jouer Thiers pendant la Semaine sanglante, histoire d’assurer définitivement sa stature de chef suprême face à ces couilles molles humanistes de Chirac et Villepin.

Tu sais, tu n’as pas eu de chance. Tu t’es trouvé à la jointure symbolique de deux enjeux majeurs ces temps-ci : l’éducation et la sécurité, mises toutes les deux à mal par une morale capitaliste, une morale du chiffre et de la rentabilité. La même semaine, la police essuyait des tirs de kalachnikov et beaucoup ont fait semblant de confondre une action liée au grand banditisme de narcotrafiquants avec la délinquance ordinaire de la déréliction suburbaine. La même semaine, également, une enseignante se faisait poignarder par un de tes camarades de douze ans. Lui, vois-tu, pourtant il ne vivait pas dans une cité, il n’était pas d’origine étrangère mais il y a plusieurs façons de ne pas aimer, de ne pas « prendre soin » : on peut vous laisser traîner dans les cages d’escaliers des journées entières mais on peut aussi vous faire rentrer sagement dans le pavillon d’une zone rurbanisée et vous laisser des heures dans le cyberautisme le plus total des jeux vidéos et des chats sur MSN.

N’en veux donc pas, non plus, aux professeurs. Tu sais, depuis trente ans, depuis la réforme Haby ils subissent les délires pédagogistes d’une poignée de soixante-huitards qui après un putsch idéologique rue de Grenelle ont accompagné en idiots utiles la dissolution libérale-libertaire de l’école. Et puis Darcos, est arrivé, Hicham. Un agrégé de Lettres classiques qui a préféré par ambition la fréquentation de la droite Fouquet’s aux vers coquins de Catulle ou doucement lyriques d’Horace. On lui a dit « supprime dix mille postes par an » et il a supprimé dix mille poste par an depuis son arrivée. L’équivalent des suppressions d’emploi dans la sidérurgie à Denain, en 78, quand la mondialisation faisait ses premiers pas en se livrant à la destruction massives de régions entières en temps de paix.

Logique comptable, logique désastreuse, notamment dans les zones sensibles. Et tu sais quoi, Hicham ? Après l’agression de cette enseignante, après que deux jours plus tard une CPE a été rouée de coup, il n’a pas proposé de recruter des surveillants, ceux qu’on appelait les pions et qui ont disparu, remplacés par des assistants d’éducation mal formés astreints à trente-cinq heures et ne pouvant donc pas continuer leurs études. Non, il a eu l’indécence de proposer des portiques de sécurité et une « police des écoles ». Tu comprends ce que ça veut dire ? Dans les collèges et les lycées en quelques années, on a fait disparaître le latin, le grec, un nombre incalculable de langues étrangères, on a réduit les horaires en français, en histoire, en maths, on cherche à faire la peau à la philo et à l’économie (il ne manquerait plus que le lycéen de 2009 ait du sens critique, surtout s’il est issu d’un quartier) et quand tout craque, la réponse, ce sont les flics.

Les flics et les profs ont ceci en commun qu’ils sont des « dysfonctionnaires », selon le joli mot de Vincent Cespédes, un autre philosophe qui dans La cerise sur le béton montre comment ces deux catégories les plus exposées à la violence sociale sont en même temps soumises à des logiques contradictoires, schizophrènes entre les exigences de leur hiérarchie et la réalité du terrain.

Alors, Hicham, ce qui me ferait plaisir, ce n’est pas, comme le suggère mon estimée rédactrice en chef, que tu passes cet épisode par profits et pertes. Je voudrais qu’il te serve de carburant pour ne pas te conformer aux modes de réussites prévus pour toi (foot, rap, comique télévisuel), qu’il te donne envie de faire de la politique et que dans une petite trentaine d’années, j’apprenne que tu viens d’accéder aux deuxième tour de l’élection présidentielle. Si tu n’es pas dans les paillettes de Rachida ou la démagogie langagière de Fadela, j’irais voter pour toi, le cœur léger.

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Obama : l’effet Rachida ?

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L’hiver dernier, on s’était beaucoup moqué, et moi le premier, de Christian Estrosi quand il nous avait explicité le rôle décisif de la Sarkozy’s touch dans la victoire de Barack Obama. L’Histoire va-t-elle donner tort aux persifleurs ? C’est ce que semble suggérer le choix fait par le président américain pour la nomination d’un nouveau juge à la Cour Suprême, qui a comme des airs de déjà vu. Sonia Sotomayor est une femme, d’origine portoricaine et issue d’un milieu défavorisé. Qui plus est, elle est divorcée… ça ne vous rappelle rien ? Mais la comparaison avec Rachida a ses limites. D’un côté, chez nous, on a été nettement plus audacieux, on aurait apprécié que Barack, lui aussi, y aille carrément et nomme une pluri-minoritaire big boss de la justice. Mais d’un autre côté, juge à la Cour Suprême, c’est un poste inamovible. Une fois en place, c’est pour la vie. Tandis que Garde des Sceaux…

Tarnac paranoïaque

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Comme dirait Jackie Berroyer : « Parlons peu, parlons de moi. » La notice qui suit mon nom sur causeur et me qualifie d’anarcho-réactionnaire en dit plus sur mon parcours que sur l’état de ma pensée. En fait, j’étais proche des milieux anarchistes jusqu’à une date trop récente pour que je puisse la révéler sans honte. Et un jour, à l’inverse de Lazare quand il retrouva la vie, j’ai cessé de marcher en traînant mes savates de République à Bastille et je me suis assis. J’ai ouvert les yeux sur le réel et en devenant clairvoyant, je suis devenu réactionnaire. En un mot je suis devenu adulte.

Il est vrai que dans ma jeunesse militante, aucun abus de pouvoir ne m’a envoyé en prison. Qui sait si je n’en serais pas sorti persuadé que ma pensée était dérangeante ? Maintenu dans l’illusion par effet de répression, soutenu par les écrits talentueux mais irresponsables de mes amis, au fond de quelle impasse idéologique cracherais-je aujourd’hui un anti-sarkozysme de rigueur ? Sur quel site d’info non-aligné et payant ou dans quel hebdo devenu bête et méchant pour de bon aurais-je fait acte de résistance contre la tyrannie libéral-sarkozyste qui enferme les dissidents et diffame les vrais libérateurs ? L’idée que j’aurais pu devenir une espèce de Frédéric Bonnaud me fait frémir.

À la lecture de l’entretien donné au Monde par Julien Coupat, incarcéré depuis plus de six mois, un constat s’impose : la prison ne remplit pas toutes ses missions. Si elle protège les honnêtes gens des criminels jugés, si elle dissuade une large majorité de personnes de violer la loi, la solution pénitentiaire semble peu efficace pour la réinsertion des prisonniers. Je ne parle pas de réinsertion professionnelle, je doute que ces contingences préoccupent beaucoup le penseur de Tarnac, mais disons d’un retour à des pratiques politiques respectueuses des exigences démocratiques, c’est-à-dire des autres gens.

Comme Jean-Marc Rouillan hier, Julien Coupat nous démontre que si on se berce de l’illusion qu’on est un prisonnier politique en France de nos jours, si on croit vraiment que « le pouvoir prend peur à cause d’un livre », ou que « ce qui fonde l’accusation de terrorisme, c’est la coïncidence d’une pensée et d’une vie », on a peu de chances de retrouver en sortant le chemin du bon sens. En effet, la compréhension du monde par Julien Coupat semble en être totalement dénuée. Si vous prenez la peine de lire l’entretien, vous mesurerez l’ampleur du fantasme.

Je vais tenter d’en extraire la substantifique moelle par quelques morceaux choisis.

– La répression : la France, « régime (…) de rafles de sans-papiers ou d’opposants politiques, de gamins bousillés par la police dans les banlieues (comme à La Courneuve ?) ou de ministres menaçant de priver de diplôme ceux qui osent encore occuper leur fac ». Rappelons à titre d’exemple que la fac de Saint Etienne, c’est 6000 étudiants et 200 bloqueurs.

– Le sarkozysme : « un tel régime, même installé par un plébiscite aux apparences démocratiques, n’a aucun titre à exister et mérite seulement d’être mis à bas ».

– L’opposition : la gauche « est trop lâche, trop compromise, et pour tout dire, trop discréditée pour opposer la moindre résistance à un pouvoir qu’elle n’ose pas, elle, traiter en ennemi ».

– Le peuple : le seul ennemi réel du « gang sarkozyste », « c’est la rue, la rue et ses vieux penchants révolutionnaires » : « Les ouvriers de Clairoix, les gamins de cités, les étudiants bloqueurs et les manifestants des contre-sommets. » On peut s’interroger sur ce qu’il adviendrait de cette étonnante coalition si la police, mandatée par la justice dans le cadre de lois votées par les représentants du peuple ne protégeait les droits des uns contre les abus des autres.

– La solution : « une révolte cruelle mais bouleversante ».

On peut discuter toutes ces affirmations mais la question essentielle n’est pas là. On peut dans notre République penser comme Julien Coupat et diffuser ses idées. On peut fonder un mouvement et, par sa seule force de conviction, entraîner une majorité de Français pour devenir chef de l’Etat, ce qui est beaucoup plus contraignant et donne moins de pouvoirs que faire chef de bande. La tenue d’élections libres le permet. C’est moins romanesque que la prise du Palais d’Hiver mais plus civilisé. On peut choisir un mode de vie autarcique et communautaire, ce qui, je le dis sans ironie, tente ma misanthropie et emporte toute ma sympathie. Notre société abrite en son sein des citoyens qui théorisent sa destruction. La loi protège la liberté de leur expression et autorise leur réunion et c’est très bien comme ça.

Ce qu’on ne peut pas faire en revanche, c’est arrêter les trains même si on trouve qu’ils roulent trop vite. Et encore, même pour ça, la loi a prévu des dispositions, le droit de grève pour les cheminots et le signal d’alarme pour les voyageurs. Dans le cadre de la loi : c’est comme ça que ça marche.

C’est ainsi qu’on peut partager ce pays, sans être d’accord et sans être ennemis.

Depuis que les élections sont libres, que la candidature à la fonction suprême est ouverte à tous, le gouvernement élu, c’est la volonté du peuple. S’attaquer à l’Etat, c’est s’attaquer au peuple. L’Etat de droit a aboli la révolution. En régime despotique, sans la liberté de choisir les dirigeants, prendre les armes c’est résister. En démocratie, c’est du terrorisme.

Ces idées simples, largement partagées, semblent avoir du mal à pénétrer les esprits compliqués des penseurs révolutionnaires.

Julien Coupat n’est pas un démocrate, voilà ce que révèle cet entretien au Monde. D’accord, ça ne mérite peut-être pas la prison.

Quant à l’affaire elle-même, j’aurais apprécié que les journalistes reprennent la seule question qui vaille, déjà posée par les enquêteurs : que faisait Coupat à proximité des rails, dans la nuit du 7 au 8 novembre ?

Réponse du présumé innocent : « Malgré mes talents avérés de voyance, je n’ai pas de solution à cette énigme. »

Julien Coupat se paie la tête des flics, la justice s’offre la tête de Coupat. Quel scandale.

Qui a peur du grand méchant Kim

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Ce lundi matin au réveil, j’ai failli croire que mes jours étaient comptés. Sur Europe 1, Marc-Olivier Fogiel m’annonçait toutes les cinq minutes de sa voix la plus blanche que la Corée du Nord venait de procéder à un deuxième essai nucléaire. Je vous jure, son ton était encore plus lugubre et son air encore plus pénétré, que lors de sa fameuse interview de Loana après son non-viol dont elle ne se souvenait pas. C’est dire. En vrai, moi-même, j’ai failli marcher. Mais j’avais des circonstances atténuantes, notamment celle du semi-sommeil.

Des circonstances atténuantes, j’en accorde volontiers aussi à Marc-O: un zapping cursif m’a permis de constater que tous ses collègues du matin, entonnaient la même chanson accompagnés par les mêmes violons. Entendons nous bien, je ne dis pas que c’est une non-information. C’est sans doute une information essentielle. Et je serais sud-coréen, mandchou, japonais, bref à portée de missile de ces zozos, je trouverais ça fichtrement inquiétant. Je serais Hillary Clinton, j’aurais même annulé mon rendez-vous chez le coiffeur.

Mais moi, mais nous ? Qu’on nous informe, soit, qu’on nous explique les enjeux de cette affaire, très bien, mais est-il bien nécessaire de nous terrifier ? Parmi les millions de Français que cette info a glacés au réveil, combien sont capables de situer Pyongyang sur une mappemonde, à mille kilomètres près ? Quelqu’un serait-il fichu de me dire quand a eu lieu le premier essai nucléaire nord-coréen ?

J’aurais bien sûr compris qu’on sonne l’alarme et même qu’on supprime la chronique de Nicolas Canteloup si l’Iran, qui est au cœur du maelström proche-oriental, Cuba, qui est à un jet de pierre de Miami ou le Luxembourg qui est à nos frontières, avaient procédé à un tel essai nucléaire. Mais là, franchement…

Alors j’aurais voulu qu’on prenne le temps de me raconter, au moins une seule fois dans la tranche du matin, en quoi cette information était d’une importance vitale. En quoi elle risquait de tournebouler l’équilibre stratégique dans cette région du monde et donc de notre planète déjà bien mal en point. Mais makache. Rien qu’un amoncellement de diptyques qui font peur. « Nouvelle provocation », « crise majeure », « tension extrême », « indignation unanime » ; ne manquaient à l’appel que « monstre sanguinaire » ou « vilain méchant ».

Non en vrai, avant comme après ce bombardement médiatique, on n’avait rien appris, rien compris. Et moi, je suis comme les gosses, j’aime bien comprendre. Je veux bien y croire, mais je veux qu’on me dise pourquoi, sinon, j’ai comme l’impression qu’on se moque de moi. Et à l’heure qu’il est, alors que le soufflé nord-coréen retombe déjà, tout ce que les gens savent de bazar-là, c’est que la Corée du Nord est dirigée par un fou furieux qui a une bombe A, ce qui est n’est pas rassurant et que personne ne saurait nier, même moi. Mais c’est justement cette juxtaposition des éléments du mal absolu qui pose problème. Quand j’entends le présentateur prendre son ton le plus apocalyptique pour nous annoncer la nouvelle quasiment comme si la troisième guerre mondiale avait déjà commencé, je dis stop, on se joue de moi, on cherche à me trifouiller l’inconscient, on me manipule mentalement sans même que je me sois inscrit à un test de dianétique à l’Eglise de schtroumpfologie.

Plus exactement, j’ai la désagréable impression que les gens qui sont supposés m’informer cherchent délibérément à me flanquer les chocottes. Et j’ai une vague idée du pourquoi. L’auditeur terrorisé est par essence un client en or pour l’industrie médiatique, et même le meilleur consommateur qui soit. De bon gars franchouillard et cartésien à qui on ne la fait pas, il est métamorphosé en zombie radiotélédépendant qui tend l’oreille en pensant que tout ce qui sort du poste ou de l’écran plat 82 cm est affaire de vie ou de mort. Alors cette trouille divine, on l’entretient, on la bichonne, on la peaufine et tout est bon dans le cochon : les serial killers pédophiles et les policiers pédophobes, les requins mangeurs d’homme et les saumons cancérigènes. Les drames de l’obésité et les dangers de l’amaigrissement. La violation quotidienne des droits de l’homme, de la femme, de l’animal, sans parler de celui des plantes à disposer d’elles-mêmes.

En regardant ma radio par le petit bout de la lorgnette, je pourrais dire qu’on me gave de Corée au petit déj, pour mieux me vendre de l’ami Ricoré ensuite. Mais en vérité c’est plus grave, ce n’est pas de la pub, qu’on nous vend, c’est une vision du monde. Ce monde est dangereux, à l’autre bout de la planète comme au coin de la rue.

Ces semaines-ci en particulier, il ne s’agirait pas que le bon citoyen oublie que l’Europe, c’est la paix. Que sans les pères fondateurs, le monde aujourd’hui serait un foutoir sans nom, où règne la loi du plus fort, ou du plus tapé. Non. Mais comment ne pas l’oublier ? Comment rappeler à l’ordre le distrait ?

Par exemple, ce lundi-là, en survendant le dernier endroit au monde où les bienfaits de l’Europe civilisatrice, de la mondialisation thaumaturge n’ont pas fait leur ouvrage. Un pays bizarre où l’on mange de la soupe aux racines pour cause de famine démentielle, où paradent à date fixe des petites filles en jupe rouge chantant des louanges à un dictateur mal habillé. Si en plus, on ajoute à ce fantasme exotique la folie nucléaire…bingo !

Voilà qui devrait remettre dans le droit chemin le Français qui a eu le mauvais goût de savourer en paix son long week-end de mai et de penser à la fête des mères qui vient ou à ses propres problèmes de boulot plutôt qu’aux aux européennes ou à l’état du monde

Incapable de nous vendre de la bonne came, nos médias ne savent plus s’adresser qu’à nos émotions. Un jour, c’est l’indignation, le lendemain la culpabilisation et ce lundi, et bien le menu c’était totale panique. Demain, c’est quoi ?

Après la déferlante H1N1, on avait déjà fait des stocks de Tamiflu. Chérie, n’oublie pas d’aller m’acheter du Valium !

Hulot, séquence contradiction

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Nicolas Hulot ne voit pas d’un très bon œil l’éventuelle nomination de Claude Allègre à un poste ministériel. Arbitre des élégances environnementales depuis qu’il s’est unanimement autoproclamé à ce poste, Nicolas Hulot appelle, le cas échéant, chacun à « tirer les conséquences » de ce « signal tragique », jugeant même que cette nomination serait un « bras d’honneur aux scientifiques ». Evidemment, un ministre de la Recherche qui serait, en même temps, géochimiste distingué et membre de l’Académie des sciences, ce serait vraiment trop louche. Ce serait un peu comme un animateur télé se piquant d’écologie et finançant en partie ses émissions sur l’avenir de la planète grâce aux royalties reversées à la chaine qui l’emploie pour des produits dérivés on-ne-peut-plus écolos, tels que bagnoles et savons. À Ushuaïa, même la contradiction est un sport extrême.

Sniffer n’est pas jouer

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Pendant que ses collègues de travail cavalent sur les courts de Roland Garros, Richard Gasquet, 22 ans, petit prodige du tennis français, est au piquet. Dans la presse on le dit « caché quelque part en France » en attendant son jugement. Il risque deux ans de suspension ferme. Deux ans d’interdiction professionnelle. Rien que ça. Il est même tricard dans l’enceinte du stade. « Sa présence n’est pas souhaitable », a décrété la Fédération internationale de tennis. Mince, à croire que le gamin de Sérignan a choppé la grippe mexicaine, violé des enfants et braqué le sac une petite vieille.

Tout commence pour l’infortuné Gasquet au tournoi de Miami en mars dernier. Souvent blessé, le fragile jeune homme déclare forfait une fois de plus à la veille du début du tournoi. Quand ce n’est pas le coude, c’est l’épaule. Se croyant en vacances forcées, il fait ce que tout jeune de son âge ferait à sa place : direction Miami Beach, ses clubs, ses filles, ses DJ adulés.

Gasquet aurait mieux fait de rester à l’hôtel à jouer au scrabble avec son coach. Le lendemain, il subit un test antidopage. On trouve des « traces » infinitésimales de cocaïne. C’est le début de sa descente aux enfers. L’usage de coke, considérée comme une drogue festive, sans le moindre intérêt dopant pour un joueur de tennis, n’est pas sanctionné en dehors des périodes de compétition. La boulette de Gasquet est d’avoir cru qu’il était « hors compétition » après avoir déclaré forfait. Sa simple présence à Miami suffisait à le rendre éligible à un test antidoping… Bref, Gasquet a été pris par la patrouille après s’être emmêlé les pinceaux dans le règlement. Il s’agit donc d’une bêtise sans grand intérêt, et sans aucune volonté de « tricher » de la part du joueur. Gasquet mérite peut-être une punition (pour infraction à la législation sur les stupéfiants ? ndlr), pas une exécution publique. Pourtant, la sanction risque d’être la même pour ce pauvre môme que pour un sportif qui se chargerait aux hormones de croissance pour chevaux, ou qui prendrait de l’EPO chaque matin au petit-déjeuner.

Si le règlement, totalement absurde, est appliqué strictement, Gasquet pourrait être suspendu deux ans. Une sanction presque sûrement synonyme de fin de carrière car on ne revient pas à son niveau après une si longue absence des courts. Bref, le soldat Gasquet risque le peloton d’exécution pour une malheureuse ligne de coke. (Ses analyses capillaires ont prouvé qu’il n’était pas un utilisateur régulier).

Cette ridicule et banale histoire n’a pas de morale. Je ressens juste un sentiment de malaise devant l’indifférence de l’opinion à l’égard de cette injustice. Le politiquement correct et les opinions binaires qui ne laissent pas place à la moindre zone de gris gagnent du terrain dans tous les domaines possibles et imaginables. Dans cette affaire, les médias ont lâché Gasquet parce que « la drogue ce n’est pas bien ». Les humoristes qui adorent tirer sur les ambulances se sont déchaînés. Les responsables du tennis l’ont traité comme un criminel pour rassurer les sponsors, et préserver l’image de la poule aux œufs d’or. Ses « camarades » de Coupe Davis ne risquent pas de se mettre en grève pour exiger sa relaxe. On n’est pas chez Molex et ATP n’est pas la CGT. Même Yannick Noah, le king de l’impertinence et du politiquement incorrect, supposé proche de Richard Gasquet, n’a pas levé le petit doigt. Alors, ça m’a fait du bien d’entendre Nelson Montfort remettre à sa place Henri Leconte qui en remettait une couche.

En attendant, le French Open ne sera pas troublé par la moindre évocation du « délinquant ». La « grande famille du tennis » fait singulièrement penser à un congrès du PS.

L’Europe abonnée au gaz russe

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Pendant que les têtes de listes aux élections européennes font les guignols devant des travées vides, les affaires, les vraies, continuent dans la coulisse et révèlent une Union européenne où le « jeu perso » ainsi que la maltraitance à Bruxelles des petits à la récré démentent les envolées lyriques des eurobardes[1. J’exige le copyright avec mention d’origine sur ce néologisme qui désigne les Guetta, Duhamels, Delafon, Olivennes, Colombani et consorts qui finiront accrochés à un arbre et bâillonnés lors des prochains banquets républicains !].

À l’occasion d’une petite virée en Europe centrale, je me suis intéressé à une question aussi aride que malodorante, au propre comme au figuré : celle de l’approvisionnement de nos pays en gaz naturel. On a déjà oublié, ou presque, qu’au plus fort de l’hiver le plus rigoureux de la décennie (bonjour le réchauffement climatique !), un conflit entre la Russie et l’Ukraine fit greloter des milliers de foyers en Europe centrale, car l’équipe Poutine-Medvedev avait fermé le robinet du seul gazoduc qui achemine, à travers l’Ukraine, cette source d’énergie vers l’ouest.

La France fut touchée, mais cela ne s’est pas traduit par une hécatombe de vieillards privés de chauffage par -15°. La diversité de nos approvisionnements gaziers (Algérie, mer du Nord) et le poids du nucléaire dans la production d’énergie relativisent chez nous les conséquences des accès de mauvaise humeur moscovite.

Néanmoins, ces dernières années, à la suite notamment de la renationalisation par Vladimir Poutine des grandes entreprises productrices d’hydrocarbures, l’idée a germé dans quelques têtes d’œufs bruxelloises (qui ne sont pas toujours aussi stupides qu’on le croit) qu’il serait prudent de diversifier, dans le futur, les sources d’approvisionnement en gaz naturel, une énergie d’avenir, moins polluante que le pétrole et dont les réserves estimées sont nettement plus importantes que celles de l’or noir.

C’est ainsi que naquit le projet Nabucco, qui, comme son nom l’indique, consiste à aller chercher du gaz dans la région où règnait jadis Nabuchodonosor, dont Giuseppe Verdi, pour des raisons de marketing, simplifia le nom en Nabucco. Il s’agit d’un gazoduc de 3300 kilomètres qui transporterait le gaz d’Iran, du Kurdistan irakien et de la région de la Caspienne, tous lieux où les réserves répertoriées sont prometteuses, vers l’Europe, en évitant soigneusement de traverser la Russie. Le trajet se ferait par la Turquie, la Bulgarie, la Roumanie, la Hongrie et aboutirait en Autriche, d’où il pourrait alimenter les réseaux d’Europe centrale et occidentale.

On voit le but de la manœuvre : pouvoir faire un joyeux bras d’honneur à Poutine ou celui de ses successeurs qui s’aviserait de se comporter comme il est de tradition chez les Russes, même post-soviétiques : comme je suis le plus fort, je cogne avant de causer.

La Commission européenne applaudit à ce projet et promet monts et merveilles pour son financement. Un consortium se met en place, qui rassemble les principales entreprises de distribution d’énergie des pays directement concernés (Turquie, Bulgarie, Roumanie, Hongrie et Autriche, ce dernier pays étant chef de file du projet par l’intermédiaire de l’entreprise OMV, qui est à la fois le Total et le GDF du pays de Mozart). Une entreprise allemande, RWE, s’associe également au projet, car ses concurrentes outre-Rhin, E-On en tête, fricotent avec les Russes, comme on le verra plus loin.

Dans un premier temps, Suez-GDF marque de l’intérêt pour Nabucco et fait acte de candidature pour être le septième partenaire de l’opération. Cette offre est rejetée par la Turquie : le Parlement français venait de voter, à la grande fureur d’Ankara, une loi mémorielle sur le génocide arménien. Mais la raison essentielle de cette fin de non-recevoir est la méfiance généralisée qu’inspirent nos grandes entreprises plus ou moins liées à l’Etat à des partenaires plus petits, qui ont médité l’exemple de la Belgique, dont les entreprises énergétiques ont été avalées en une seule bouchée par Gerard Mestrallet, le Gargantua du secteur. Aujourd’hui, Suez-GDF se fait tout petit et modeste pour obtenir un strapontin dans North Stream.

Les coups les plus rudes au projet Nabucco ont été portés simultanément à Berlin par la chancelière Angela Merkel et à Rome par Silvio Berlusconi. Le gouvernement allemand est engagé depuis maintenant cinq ans dans une entreprise de construction d’un gazoduc sous la Baltique, dénommé North Stream, qui acheminerait directement le gaz russe exploité en Sibérie occidentale vers l’Allemagne, sans passer par la Biélorussie et la Pologne, une perspective qui est considérée avec une hostilité certaine à Varsovie. Ce deal a été conclu du temps du chancelier Schröder, immédiatement nommé à la tête du consortium russo-allemand qui pilote le projet. À côté, les petites magouilles d’un François Pérol pour devenir le patron de la Caisse d’Épargne-Banque Populaire font vraiment provinciales et petit bras…

En Italie, Berlusconi, qui est au mieux avec Vladimir Poutine, a présidé au mariage du trust pétrolier transalpin ENI avec Gazprom pour lancer un projet concurrent à Nabucco, South-Stream, qui amènerait le gaz russe jusqu’en Italie en traversant la Mer Noire, la Grèce et la Serbie (le tracé n’est pas encore définitivement fixé).

La présidence tchèque de l’UE, tirant les leçons de la crise gazière avec l’Ukraine, a fortement plaidé pour que la priorité des aides européennes, qui se montent à 3,5 milliards d’euros, soit dirigée vers Nabucco, au nom de la nécessaire diversification des approvisionnements. Il s’est vertement fait rappeler à l’ordre fin mars par Angela Merkel, qui, tout en soutenant du bout des lèvres le projet Nabucco, exige que l’UE traite à égalité les projets Nord Stream et South Stream, ce qui revient, dans les faits, à torpiller Nabucco. Elle se permet, de plus, de donner des conseils à ses voisins, comme de faire des économies d’énergie et d’importer moins de gaz. Und damit Schluss ! Paris, dans ce dossier où la France est moins impliquée, soutient Berlin et Rome, dans l’espoir de se voir renvoyer l’ascenseur dans d’autres dossiers, le ferroviaire ou le nucléaire par exemple.

Qui a gagné au bout du compte ? Gazprom et Poutine… Vodka pour tout le monde ! J’ai cru percevoir, dans mes discussions avec des dirigeants tchèques et hongrois, ces dernières semaines, comme un brin d’amertume… S’ils la manifestent un peu trop bruyamment, il se trouvera bien quelque part en Europe un ersatz de Chirac pour leur faire remarquer qu’ils ont encore perdu une bonne occasion de se taire. Comme de cela je n’ai strictement rien entendu de quiconque ayant le culot de se présenter aux européennes, je ferai comme j’ai dit : j’irai pas !

L’ordre règne à l’École

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Ce gouvernement ne respecte rien. Même pas cet être sacré qu’est l’enfant, innocent y compris quand il est coupable – et qu’on ne m’enquiquine pas avec des saletés de psychanalyste. Non contente de traquer les étrangers au point de s’attaquer à leurs mômes, la République sarkozyste s’en prend maintenant aux nôtres. En quelques jours, les signes d’une volonté de réprimer dès le plus jeune âge se sont multipliés. Il y a quelques semaines, la réaction scandaleuse d’un instituteur avait montré que la tentation répressive gangrène l’institution scolaire elle-même. Menaçant sur le ton de la plaisanterie un élève de 9 ans qui avait l’habitude de « montrer son zizi » à ses camarades de « couper ce qui dépassait », ce tortionnaire a reçu son juste châtiment comme l’a fort bien narré l’ami David Desgouilles : 500 € d’amende et une privation de son droit d’enseigner. On espère que l’enfant traumatisé a pu reprendre son innocente activité, désormais fort de la certitude que, face aux adultes, prof ou gendarme, il est le plus fort. Quant aux gamins qui s’étaient offusqués de ses agissements auprès de l’instituteur, sans doute de la graine de fachos et de délateurs, voilà qui leur apprendra à être plus cool.

On espère bien que les deux policiers qui ont odieusement procédé à une rafle de deux gosses de dix ans pour une sombre histoire de bicyclette seront, eux aussi, durement sanctionnés. En attendant, toute leur classe a été confiée aux bons soins d’une cellule d’aide psychologique qui tentera de leur faire oublier ces heures les plus noires de leur enfance.

Comme d’habitude, pour justifier le tour de vis, on nous joue la vieille antienne de l’insécurité. Certains médias aux ordres en font des caisses. De malheureux tirs de kalachnikovs contre les flics à La Courneuve, et le chœur des vierges sécuritaires nous fait croire que c’est la guerre. Heureusement de grands esprits comme Laurent Mucchielli nous expliquent que cette violence est « un processus circulaire » dont « les jeunes et les policiers sont, tour à tour, les acteurs ». Que le meilleur gagne. Un prof poignardé dans un collège « sans histoires » ? Tout au plus un cas isolé dont il convient de ne pas exagérer la signification mais qui nourrit les fantasmes de quelques vieux apeurés, réacs égarés et sarkozystes en quête de voix lepénistes. Le sentiment d’insécurité continue à faire des ravages.

Peu importe donc que la violence soit devenue le quotidien de pas mal d’établissements, que les cas de profs agressés se multiplient, que la délinquance, la vraie, touche des mineurs de plus en plus jeunes et que des enfants parfois âgés de dix ans narguent en toute impunité – et souvent avec le soutien de leurs parents – les profs, les flics et les juges. Le scandale n’est pas que des parents soutiennent leurs rejetons contre les profs ensuite accusés de démission ni que des enseignants qui tentent (parfois maladroitement) d’exercer une autorité soient lâchés en rase campagne par leur hiérarchie. Il n’est pas non plus dans le fait que des armes puissent entrer à l’école, mais dans la méthode proposée par Xavier Darcos pour tenter de l’empêcher.

Bien au-delà des habituelles pleureuses des Inrocks et de Télérama, un tollé polyphonique a accueilli la proposition du ministre de l’Éducation de fouiller les cartables des élèves. « Remède pire que le mal », selon un responsable de la FCPE, « fausses réponses » à en croire le patron de la FSU, Gérard Aschieri, qui voit dans cette « cette gesticulation sécuritaire » le résultat « d’une atmosphère malsaine qui est en train de décrire l’école comme le lieu de tous les dangers, et les enfants comme des dangers potentiels ». Son de cloche identique chez les politiques jusque dans les rangs de la majorité. Jean-Christophe Cambadélis dénonce un « GIGN scolaire ». Même MAM fait la fine bouche, reconnaissant que tout ça va être un peu plus compliqué. La bonne blague. Alors que la réalité est si simple.

Bref, nous voilà menacés non pas par l’irruption de la délinquance et parfois du banditisme dans l’enceinte de l’institution scolaire, mais par la création d’une police des écoles. On verra sans doute sous peu la gauche réconciliée scander, la mine grave, dans les rues de Paris : « L’ordre règne à l’École ! » Et puis quoi encore ? À ce train-là, on nous expliquera sous peu que la loi doit s’appliquer aussi dans les salles de classes et les cours de récré. L’autorité, voilà l’ennemi !

D’accord, l’interpellation de deux minots pour un vol qu’ils n’avaient pas commis ressemble à un excès de zèle. Mais enfin, à qui va-t-on faire croire que des mômes abreuvés de télé plusieurs heures par jour, souvent confrontés, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’école, aux rackets, tournantes et autres joyeusetés, vont rester terrorisés à vie pour avoir passé deux heures dans un commissariat (au cours desquelles on espère qu’on leur a offert des carambars) ? Si les professionnels de l’indignation et de la compassion se souciaient réellement des séquelles, ils auraient minimisé l’incident sur le mode : « Ça vous fera un souvenir marrant et une histoire pour les copains. » Après tout, ils auront eu le quart d’heure de célébrité dont on rêve désormais dès le berceau et leur innocence a été rapidement reconnue, voilà qui devrait leur donner confiance dans la police de leur pays. Et puis merde, j’ose, en imaginant à l’avance le torrent qui va s’abattre sur moi : peut-être que cette mini-bavure aura dissuadé quelques futurs candidats au vol de vélo et autres biens matériels. Je suggère donc au jeune Hicham, à son cousin et à leurs familles de considérer cet épisode comme l’une des petites aventures qui font une existence, plutôt que comme la plus grande bavure policière depuis la mort de Malik Oussekine. Cette micro-affaire est peut-être regrettable, il n’y a pas de quoi en faire ces épais fromage.

De même, je ne sais pas si la méthode proposée par Xavier Darcos est techniquement la bonne. Mais quand j’ai entendu, vendredi matin sur France Inter, le sociologue de service affirmer très sérieusement que fouiller les cartables serait porter atteinte à l’intégrité des enfants (tandis que laisser certains agresser leurs profs ou leurs élèves ne porte atteinte qu’à l’intégrité des victimes, sans doute), je me suis demandé lequel des deux, lui ou moi, était complètement barré. Je le dis sans hésitation : c’est ce dealer de bonnes nouvelles qu’il faudrait enfermer, lui et toutes les belles âmes qui nous expliquent que, si on n’avait pas réduit le nombre de surveillants, on n’en serait pas là. Des pions contre des armes blanches. « Il faut rétablir l’autorité », a affirmé Marielle de Sarnez, la garde rapprochée de François Bayrou à elle toute seule[1. Il est vrai que Bayrou préfère, lui, l’éducation par la torgnole, surtout quand il y a des caméras, comme il en avait fait la démonstration au cours d’une visite dans le quartier de la Meinau à Strasbourg, pendant la campagne présidentielle de 2002, en administrant une baffe à un gamin qui tentait de lui faire les poches.]. Quelle heureuse découverte. Et comment donc ma bonne dame ? À force de compréhension, de bienveillance et de respect de l’intégrité ? En laissant seuls en première ligne des profs qu’on a consciencieusement dépouillés de tous les attributs symboliques de leur autorité ?

Réveillez-vous, les gars. Il est trop tard pour proclamer la sanctuarisation de l’École. Il fallait y penser avant, avant de laisser la doxa, la télé et toutes les doléances et dérèglements de la société l’envahir. On pouvait s’attendre à ce que la violence, la délinquance, l’incivilité s’engouffrent dans la brèche. Et il faudrait maintenant qu’on la sanctuarise pour la protéger de la Loi ? Oui, il faut protéger l’École, mais du crime, pas de la Loi.

Pendant que les marchands de rêve continuent à jurer que « le réel ne passera pas », une majorité silencieuse fait entendre une autre musique. Pendant que leurs « représentants » syndicaux font assaut de bons sentiments, des profs en ont marre d’aller faire cours la peur au ventre. L’une d’elle a publié un livre intitulé Ces profs qu’on assassine. Les gens qui sont allés voir La Journée de la jupe veulent d’abord qu’on arrête de leur raconter qu’ils ne vivent pas ce qu’ils vivent… Parce que ça, ça rend fou. C’est pour faire cesser ce déni de réel que beaucoup ont voté pour Nicolas Sarkozy. Qu’ils aient eu ou non raison de le faire est une autre histoire. Comme l’a justement relevé Frédéric Ploquin, ce qu’ils reprochent à Sarkozy, ce n’est pas d’avoir promis de nettoyer « les 4000 » au karcher, c’est d’avoir échoué à le faire.

La loi qui protège et la liberté qui opprime, vous en avez entendu causer, vous dont la bonne conscience n’a d’égale que l’aveuglement ? Oui, la plupart des braves gens veulent que force reste à la loi. Ils veulent que l’État se défende et que ceux qui lui font la guerre sachent qu’à la guerre on peut mourir. Oui, il faut que l’ordre règne à l’École. À toujours préférer le désordre à l’injustice, on finit toujours par avoir et le désordre et l’injustice.

Ces profs qu'on assassine

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La vista, tu l’as ou tu l’as pas

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Georgios Anastassopoulos aurait pu faire une carrière assez honorable dans Les aventures de Tintin, s’il n’avait déjà trouvé un boulot en politique. Député de Nea Dimokratia (conservateurs grecs) au Parlement européen, il rédigea en 1998 un rapport préconisant de créer des circonscriptions électorales dans les pays de plus de vingt millions d’habitants. Résultat : en 2003, le Premier ministre de l’époque, Jean-Pierre Raffarin, créa huit circonscriptions pour élire les députés européens. À dire vrai, il ne s’agissait pas en France de suivre à la lettre les recommandations du Parlement de Strasbourg, mais bien de lutter contre la dispersion des voix générée par la multiplication des « petites listes ». Rendez-vous compte : en 1999, vingt listes, dont certaines assez bizarroïdes, se présentaient aux européennes ! Grâce à l’initiative de Jean-Pierre Raffarin – la vista, tu l’as ou tu l’as pas –, ce ne sont pas moins de 161 listes qui sont en lice en 2009. Si l’on s’avisait de rapporter ce chiffre à la situation de 1999, quand existait la circonscription unique, on s’apercevrait que Jean-Pierre Raffarin a réussi son coup : en moyenne, un Français aura en 2009 le choix entre vingt listes différentes, alors que vingt se présentaient à son suffrage dix ans auparavant. Si Jean-Pierre Raffarin n’existait pas, eh bien on se demande parfois si. Enfin, non, on ne se demande rien.

Cohn-Bendit : ne le recyclez pas !

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Ne comptez pas sur moi pour lancer la pierre à Daniel Cohn-Bendit. J’ai deux ans de moins que lui et encore assez de force dans les bras pour pouvoir le faire, mais j’avoue tout de suite mon crime : je l’aime bien. À dire vrai, je l’adore. Sa dégaine, ses yeux frondeurs, son air de ne pas y toucher m’émoustillent. Si un jour il devait coucher dans ma baignoire – il est préférable de faire dormir les roux dans sa salle de bains, plutôt que de vitupérer contre votre pressing qui n’a pas réussi à en ôter l’odeur de vos draps[1. La solution pourtant existe. Si, par mégarde, un roux couche dans vos draps, il vous suffit de les tremper 45 minutes dans de l’essence, puis d’y mettre le feu. Aux draps, pas au roux.] –, je ne suis pas certaine de rester dans mon lit. Mon admiration n’est pas que physique. Elle est intellectuelle, morale, politique. Ce qui me plaît le plus, chez lui, c’est sa constance en toutes choses.

Déjà en 1968, il appelait à en finir avec les anciennes générations et à envoyer à la retraite ces hommes politiques qui étaient aux manettes depuis plus de vingt ans. Daniel Cohn-Bendit n’a pas changé et, contrairement à beaucoup de politiciens qui bercent le bon peuple de vaines paroles, il met en accord ses pensées et ses actes : chez les Verts français, il a fait le ménage et a viré, manu militari, tous les vieux croulants des listes aux élections européennes. Roulez jeunesse !

Il a commencé avec Marie-Anne Isler-Béguin : figurez-vous que cette vieillarde de 53 ans siège au Parlement européen depuis 1994 ! Oui, vous ne rêvez pas : elle est députée depuis le siècle dernier ! Daniel est humain, il ne l’a pas virée sans ménagement. Un âge aussi vénérable mérite quelques égards. Il lui a donc promis une place dans une maison de retraite, entièrement chauffée au solaire, avec bac à compost, nourriture bio et wc secs au fond du jardin. Il n’eut plus qu’à la faire asseoir, à lui poser un plaid sur les genoux et à faire rouler son fauteuil vers la sortie.

Gérard Onesta fut, lui, un cas plus dur à traiter. Ce Mathusalem de 49 ans, député écologiste depuis 1999, voulait jouer les récalcitrants. C’est compréhensible : ce centenaire, né sous le général de Gaulle (c’est dire si ça remonte), est dénué de tout sens politique. Où l’aurait-il acquis d’ailleurs, lui qui n’avait que huit ans en 1968 et n’a même pas conscience que les vieux doivent se résoudre à laisser leur place aux jeunes ? Daniel Cohn-Bendit envoya donc José Bové persuader Onesta de se retirer sans rien dire. Âgé de seulement 53 ans – et encore, l’air de la campagne vous en donne toujours trente de moins –, le leader paysan n’est pas du genre à se laisser démonter. Il s’est planté en face du sinistre barbon :

– Tu les as vues, mes moustaches ? Dis, tu les as vues ?

Un bourre-pif plus tard, Onesta était allongé de tout son long et le jeune Bové pouvait se présenter à sa place.

C’est une question de principe. En France, les Verts sont le mouvement politique le plus démocratique qui soit. Et, en 2004, ils ont adopté l’un de leurs plus grands textes, un plaidoyer pour une VIe République. Ils y écrivent notamment : « La limitation du nombre de mandats successifs exercés par le même titulaire est une condition d’un fonctionnement sain de la démocratie, à tous les niveaux de représentation. L’absence de règles dans ce domaine constitue sans doute l’une des raisons du vieillissement inquiétant de la représentation nationale constaté depuis le début des années quatre-vingt. En 1982, l’âge moyen du représentant syndical ou politique était de 45 ans, il est de 59 ans aujourd’hui. C’est pourquoi nous proposons de limiter à deux renouvellements, soit trois mandats, l’ensemble des mandats électifs. Limiter à cinq ans la durée de tous les mandats électifs. Cette proposition couplée avec l’interdiction de dépasser trois mandats successifs empêcherait ainsi d’exercer plus de quinze années consécutives le même mandat. » C’est beau comme du Montesquieu[2. Comparé à Eva Joly, jeune candidate d’Europe Ecologie d’à-peine 66 ans, Montesquieu n’a jamais rien fait contre Elf : qui ne dit mot consent.].

Pourquoi n’en parle-t-on pas ? Pourquoi les commentateurs politiques restent-ils muets là-dessus ? C’est pourtant rarissime qu’un parti tienne ses engagements et place la morale publique à un tel niveau que chacune de ses propositions l’oblige lui-même. Combien faudra-t-il encore de mandats à Daniel Cohn-Bendit pour qu’il parvienne à changer les mœurs politiques en France et en Europe et persuade les autres parlementaires européens que trois mandats ça suffit ?

Dany, qui s’apprête à entamer son quatrième mandat dans quelques semaines, le sait bien : les quinze années qu’il vient de passer au Parlement européen lui ont permis de constater les dégâts du grand âge sur ces élus installés depuis cinq ou dix ans dans les mêmes fonctions. Le vieillissement n’est pas sain pour la démocratie. Les vieux ne sont pas sains. Et plus ça va, plus ils deviennent inquiétants. Le péril vieux, voilà l’ennemi ! Chassons de nos Parlements les vieillards et leur trou de…, enfin leur perte de… Comment dit-on ? Vous savez bien quand on ne se souvient plus d’une chose qu’on a dite la veille. Ça me reviendra. Peut-être pas.

Photo de une : cc Parlement européen, flickr.