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Dispersion, piège à cons !


Dispersion, piège à cons !

Plus la campagne avance, et plus le PS concentre son argumentaire sur deux idées-forces. Rassurez-vous, il ne s’agit pas de politique, mais seulement de propagande, et passablement mensongère en l’espèce. Celle qu’on retrouvait déjà en filigrane sur les premières affiches du PS « 7 juin : un seul jour, un seul tour, un seul vote ! » Et pour les malcomprenants, celle qu’annone désormais en boucle Harlem Désir dès qu’on lui tend un micro: « Pas d’abstention, pas de dispersion ! »

Que signifie exactement cette double antienne ? Allons-y voir de plus près ; après tout, on a le droit, Harlem ne nous a pas explicitement ordonné : « Le 7 juin, pas de réflexion ! »

Primo, surtout pas d’abstention. Oh oui, bien sûr chef, pas d’abstention ! Qui pourrait dire le contraire ? Eh bien moi, par exemple. Parce qu’aux européennes, comme dans n’importe quel autre scrutin, l’abstention a un sens. Quand vous êtes invité à un mariage, et que vous décidez de ne pas y aller, ça veut dire quelque chose, même si ça peut pouvoir dire plusieurs choses différentes. Que vous avez plutôt envie d’y aller, mais que vous êtes déjà pris ailleurs ce jour-là. Ou bien que vous n’avez pas la moindre intention de vous taper trois cents kilomètres en voiture pour un cousin que vous connaissez à peine, et qu’en plus vous ne pouvez pas blairer. En tout cas, ne pas déférer à une invitation n’est jamais neutre. Convenons que c’est encore un peu plus vrai pour une élection.

Il n’y a aucun problème structurel d’abstentionnisme en France, quiconque prétend le contraire est un charlot. En 2007, pour le duel Sarkozy-Royal, 84 % des électeurs se sont déplacés, à peu près le même chiffre qu’à chaque présidentielle, hormis le second tour baroque de 2002. Et je suis prêt à parier ma paye contre celle d’Harlem qu’il n’y aura guère plus de 16 % d’abstentionnistes au second tour de 2012, à moins d’un choc au sommet entre Francis Lalanne et Nicolas Hulot.

Donc, si ce 7 juin 2009, il se trouve une majorité de Français, et accessoirement une majorité d’électeurs socialistes, pour choisir de rester chez eux alors que le bureau de vote est à trois pas, ça voudra forcément dire quelque chose. Peut-être, allez savoir, que la mariée n’était pas assez belle…

Secundo, Harlem nous dit, et il nous le dit plus spécialement à nous les degauches : « Pas de dispersion ! » Le mot est plaisant. C’est celui qu’employaient certains curés d’autrefois pour sermonner gentiment les maris volages. Dispersion, ça fait aussi penser au reproche adressé par le Créateur à Onan, si vous voyez ce que je ne veux pas dire. On songe aussi à l’épouse dépensière, qui gaspille l’argent du ménage en fanfreluches chez H&M. Bref, on l’aura compris, pas de badineries le 7 juin, sinon, c’est le PS qui sera dispersé. Façon puzzle, cela va de soi.

Le mot est plaisant, donc, mais l’intention est profondément déplaisante: la criminalisation, ou plutôt, comme ils disent, la stigmatisation du vote de gauche non-socialiste. Dis-moi, Harlem, c’est quoi le danger mortel qui nous guette cette fois ? Que Lionel Jospin ne soit pas présent au second tour ? Dis-moi, Harlem, si des gens de gauche veulent exprimer une opinion dissidente – genre, au hasard, « TCE, j’en mange toujours pas ! », il faut qu’ils renoncent à le faire parce que c’est ontologiquement dégoûtant de ne pas voter socialiste ? N’y aurait-il plus dans l’esprit de mes amis solfériniens qu’un rapport si ténu, quasi résiduel, entre le suffrage universel et le droit de dire ce qu’on pense? Ben oui, c’est comme ça, discipline d’abord, politique plus tard : dimanche, Harlem ne veut voir qu’une seule tête. De liste, cela va de soi.

Je ne suis peut-être pas assez démocrate, j’accepte volontiers la critique, mais je le serai toujours plus que les tenants du vote utile, fut-il remixé en vote non-dispersé. Instiller l’idée qu’on doit voter pour autre chose que ses idées, c’est niquer l’idée même de démocratie. Et là, on n’instille pas : on rabâche, on martèle, on monothématise, c’est carrément la tournante!

En plus, en l’état actuel des intentions de vote, cette injonction disciplinaire se double d’une assez grossière escroquerie arithmétique. En l’occurrence, dans beaucoup de régions, le parti socialiste est crédité d’environ 20 %, ce qui donne deux sièges. Son principal concurrent dans sa zone de chalandise, le Front de Gauche mélenchono-communiste tournicote autour de 6 %, ce qui donne zéro siège. Imaginons un déplacement de 2 % Ça donne dans ce cas de figure 18 % pour le PS, donc vraisemblablement toujours deux sièges et 8 % pour le FG, soit un siège. Zut alors, la gauche vient de gagner un siège! Vous avez dit dispersion ?

Pour cause de capacité à nous faire rêver encore plus étique que celle de Michel Barnier – ce qui est tout de même assez grave – j’avais depuis longtemps émis des doutes sur la légitimité d’Harlem Désir à conduire la liste socialiste aux européennes dans la région capitale. J’avais tort… Si c’est pour multiplier les contre-vérités flagrantes avec la candeur d’un mec qui y croit vraiment, à ses propres sottises, Harlem est sans aucun doute l’homme de la situation…



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De l’Autonomie ouvrière à Jalons, en passant par l’Idiot International, la Lettre Ecarlate et la Fondation du 2-Mars, Marc Cohen a traîné dans quelques-unes des conjurations les plus aimables de ces dernières années. On le voit souvent au Flore.

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