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Divers gauche, divers droite et divers divers

Le CRAN, Conseil Représentatif des Associations Noires, est formel : quel que soit le résultat du vote de dimanche, il y a fort peu de candidats d’origine allogène sur les listes pour les européennes et il y en aura encore moins parmi les élus. Et comme le CRAN ne parle pas dans le vide, il a compté les Noirs, les Arabes et les Asiatiques ou plus précisément, ceux dont le « ressenti d’appartenance » laisse penser qu’ils sont noirs, arabes ou asiatiques. En effet, le communiqué fait état « d’une étude basée sur le « ressenti d’appartenance », c’est-à-dire sur les Français ressentis comme noirs, arabo-maghrébins ou asiatiques » et qui porte sur 69 candidats. S’agit-il de listes ou de candidats ? Et est-il question « du ressenti » des intéressés ou de celui des autres ? Ce n’est pas très clair. On pourrait chipoter sur le caractère scientifique de l’étude, mais c’est pas notre genre. Intéressons-nous donc aux résultats : 45 candidats divers au total pour les six listes principales, mais seulement 5 ou 6 qui ont des chances de siéger à Strasbourg, sur les 72 Français que compte l’Europarlement. Ce qui nous donnerait, nous aussi on sait compter, 8 % de divers parmi les élus.

Il paraît qu’on peut et qu’on doit mieux faire. Seulement, le CRAN se garde bien de nous dire quel est l’objectif à atteindre. À partir de quel pourcentage de divers pourra-t-on déclarer qu’il a été mis « un terme aux pratiques discriminatoires auxquelles ont recours, consciemment ou inconsciemment, les partis politiques dans le choix de leurs candidats aux élections, et en particulier des candidats en position éligible » ? Dans cet esprit de comptage ethnique, l’extrême droite pourrait s’émouvoir de la sous-représentation des Français de souche dans la liste antisioniste – quoi qu’elle-même y soit fort bien représentée. Peut-être bien qu’un combat impérieux contre un ennemi puissant est de nature à faire taire les divergences entre divers et non divers.

Quoi qu’il en soit, il ne faut donc pas croire ce que l’on voit : Harlem, Rachida et Dieudonné ne sont que les arbrisseaux qui cachent la forêt des préjugés enracinés. C’est mal.

Reste à savoir comment on pourrait pallier cette ignoble béance démocratique. Depuis quelques années, une solution magique existe, qui a l’insigne avantage de plaire d’ordinaire au chef de l’Etat : l’instauration de quotas. Mais là, problème : il y a déjà un quota de femmes aux européennes (comme d’ailleurs aux municipales et aux régionales) depuis l’invention des listes chabada : il faudrait donc démanteler cette mixité forcée pour garantir l’accès des issus de la diversité à l’hémicycle de Strasbourg ou, ce qui deviendrait très compliqué, la doubler par des exigences ethniques. Après une enquête approfondie de vos serviteurs, il s’avère que le CRAF (Conseil Représentatif des Associations Féministes) est plutôt hostile à cette solution, qui, en revanche, est accueillie assez favorablement au CRAI (Conseil Représentatif des Associations Intégristes). En revanche, toujours aucune réaction du côté du CRAA, le très discret mais influent Conseil Représentatif des Associations Abstentionnistes. Il est vrai que cette dernière organisation n’entretient pas de bons rapports avec le CRAN, dans la mesure où elle préconise ouvertement la reconnaissance du vote blanc. Quant au CRIF, il préfèrerait qu’on l’oublie un peu.

Mais Patrick Lozès ne rigole pas. Le patron du CRAN n’est pas du genre à critiquer pour critiquer, il a des vraies solutions et demande au président de la République de « prendre rapidement des mesures fortes » pour les mettre en œuvre. Pour commencer, il propose à tous les partis politiques de signer une Charte de la diversité en politique. Bon, une Charte, on en a vu d’autres, la plupart du temps ça n’engage à rien, c’est plutôt une déclaration de bonnes intentions. Sauf que pour déjouer l’hypocrisie régnante, le CRAN suggère que seuls les partis qui auront accepté de signer et qui satisferont aux « exigences minimales en matière de diversité » puissent bénéficier du remboursement de leurs dépenses électorales. Pour le CRAN, c’est à cette condition qu’on pourra enfin croire que les responsables politiques « militent activement pour la diversité ». On avait déjà vus les partis chasser la femme. Ils vont bientôt pouvoir se disputer la prime au Noir, à l’Arabe et à l’Asiatique – qui lui, n’a rien demandé.

La France ne fera pas la vassale

Le porte-parole adjoint du ministère des Affaires étrangères a fait, vendredi 6 mai la déclaration suivante lors du point de presse quotidien du Quai d’Orsay : « Le gouvernement français salue la haute tenue du discours prononcé à l’Université du Caire par le président des Etats-Unis, M. Barack Obama. Il prend acte, avec satisfaction des très nombreux points de convergences entre les positions de la France et des Etats-Unis sur les problèmes abordés, notamment, au sujet du conflit israélo-arabe. Les autorités françaises s’étonnent néanmoins des propos de M. Obama relatifs à la législation française sur le port du voile islamique dans les établissements scolaires[1. It is important for western countries to avoid impeding Muslim citizens from practicing religion as they see fit- for instance, by dictating what clothes a Muslim woman should wear. We cannot disguise hostility towards any religion behind the pretense of liberalism.]. Ils constituent une ingérence inacceptable dans les affaires intérieures de la République Française. M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères, a convoqué l’ambassadeur des Etats-Unis en France pour lui faire part de la préoccupation du président de la République et du premier ministre de voir les excellentes relations entre nos deux pays troublées par des propos inappropriés. »
Même pas cap’, Bernard ! C’est plus fastoche de se payer Bibi Netanyahou sur Jérusalem avec un vieux papier datant de François 1er comme ordonnance d’expulsion.

American Hidjab

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À trois reprises dans son discours à l’Université du Caire, le Président Barack Obama a donc dénoncé les pays qui, en Occident, jugent indésirable le port du voile islamique dans certaines circonstances de leur vie sociale. Cela m’inspire deux réflexions.

Qu’ils soient dirigés par Obama, Bush, Clinton ou un autre, les Etats-Unis ne changent pas : ils placent le respect des religions – au sens large du terme – au dessus de toute autre considération. Le 11 septembre a été d’autant plus mal ressenti aux Etats-Unis que ce pays est loin d’être le plus mécréant de la Terre. Sur le dollar est inscrit « In God we trust » ; le président prête serment sur la Bible ; chaque campagne présidentielle est un concours de foi chrétienne. Et les Américains de se poser la question : pourquoi nous ? Nous, qui avons armé jusqu’aux dents les islamistes de tout poil, nous qui les avons aidés à bouter les Infidèles russes hors d’Afghanistan, nous qui avions mis la pâtée au mécréant Saddam et qui avions déjà les plans pour une prochaine invasion de l’Irak[1. Qui eut lieu aussi, comme chacun sait.]. Trop injuste ! C’est pourquoi une expédition punitive fut organisée pour pourchasser Oussama Bin Laden avec lequel la CIA entretenait de solides relations depuis la guerre russo-afghane.

En matière de rapports entre religions et politique, la France et sa conception laïque ne sont pas comprises par le monde anglo-saxon. Interdire le voile à l’Ecole, c’est absolument contraire à toute la tradition d’un Américain. Même dans sa lutte contre les sectes, la France s’est souvent vue mise à l’index par les autorités américaines qui n’ont jamais goûté la manière dont l’Eglise de scientologie, organisation on ne peut plus respectable pour Washington, est traitée chez nous.

Mais il n’aura échappé à personne que notre pays est aujourd’hui dirigé par un homme qui ne cache pas son admiration pour le Modèle américain. Tout d’abord, il a souvent expliqué en quoi la laïcité française lui semblait rigoriste et qu’il convenait de la « positiver ». C’est d’ailleurs dans cet esprit qu’il prévoyait un échec cinglant de la loi de 2003 proscrivant les signes religieux à l’école dont il s’est ostensiblement démarqué[2. Aujourd’hui, il ne la remettra pas en cause sans une condamnation de l’opinion en général et de son électorat en particulier. Car cette loi est incontestablement un succès.].

C’est aussi dans cet « esprit d’ouverture » qu’il prononça des discours à Latran et à Riyad qui, effectivement, se situent davantage dans la tradition anglo-saxonne de confusion entre vie privée et vie publique que dans celle, française, de séparation stricte entre les deux. Il a également entamé le « retour dans la famille occidentale[3. Ce sont les mots employés par le président lui-même.] » par le geste fort symbolique de retour dans les structures intégrées de l’OTAN. On a souvent eu tort de limiter cette décision aux thèmes de la Défense et de Diplomatie. Elle recouvrait dans son esprit davantage : une adhésion culturelle au concept d’occidentalisme. C’est une manière pour Nicolas Sarkozy d’en finir avec l’originalité de la France, une originalité qu’il a toujours tenue pour vieillotte, ringarde, anachronique, que sais-je encore.

Je n’en veux pas à Barack Obama. Il est le président des Etats-Unis et il continue imperturbablement la politique de son pays, avec des moyens beaucoup moins balourds que son prédécesseur. Il se voit en chef de l’Occident et se conduit comme tel. Je suis davantage en colère après le chef d’Etat de mon pays, qui tourne le dos à son Histoire, à son originalité, à son indépendance.

Epuisants voyageurs

Le festival Etonnants voyageurs vient de se terminer, ouf : j’en ai marre des aventuriers. Je veux dire ceux qui ont ouvert boutique aventuriers, comme Berl disait de certains qu’ils ont ouvert boutique écrivains (vérifiez l’axiome : ça marche toujours). Partant du principe que les gens heureux sont cachés, que les grandes douleurs sont muettes, etc, les véritables aventuriers disent-ils qu’ils sont aventuriers ? N’y a t-il pas là posture, et même imposture ? La recherche de l’authentique, du sauvage et du bel inviolé dans ce monde-terrible-factice-et pollué n’est elle pas au fond éminemment… banale ?

Première hypothèse : l’aventurier qui part en quête du sauvage, des territoires vides et inconfortables – la toundra sur les genoux ou la muraille de Chine à tricycle – ne serait que l’exact symétrique du touriste occidental de base, honni (celui qui voyage en groupe dans les hôtels immenses, qui visite les sites balisés, consomme) et auquel il prétend s’opposer. Club Med, marche solitaire dans la steppe, même combat, et surtout, deux profils du même individu contemporain face au tourisme. Tous deux se déplacent sur le globe, sac à dos (peut-être pas de la même marque) pour connaître leur propre géographie… individuelle. Ils ne partent pas pour s’oublier, mais pour se retrouver. Tous deux sont en cela parfaitement post-modernes… et autocentrés.

D’où la seconde hypothèse : le voyageur aventurier incarnerait le stade ultime, l’aboutissement logique du touriste occidental de base. Ne sommes nous pas déjà tous déjà en quête d’authenticité, ce pléonasme vivant ? Rappelez vous ce merveilleux dessin de Sempé : le bourgeois des années cinquante roule en belle voiture rutilante tandis que son voisin, le modeste employé pédale sur son petit vélo, le regard plein d’envie. Dix ans plus tard, il s’est enfin offert la voiture de ses rêves, mais las !, le voilà coincé dans les embouteillages avec tous ses semblables, tandis que le grand bourgeois se faufile à vélo hollandais… L’aventurier est donc au touriste occidental de base ce que l’homo sapiens est à l’homme de Néandertal : sa version perfectionnée (dont le stade intermédiaire de l’évolution serait le lecteur du Guide du routard : encore un pied dans le circuit, un autre dans la posture).

Allons plus loin – et achevons de nous brouiller définitivement avec les beaux voyageurs ténébreux (ils le sont souvent) : ce besoin d’aller loin pour se retrouver et se distinguer des autres hommes (depuis Rousseau, on connaît la chanson) cache encore autre chose. Si c’était la fuite du vide, la fameuse « agitation » dénoncée par Pascal ? Kant n’a jamais quitté sa maison de Königsberg, Jane Austen n’est guère allée plus loin que la Pump room de Bath, Proust a observé un microcosme dans le périmètre Paris-Cabourg : et par leur lunette apparemment étroite, ils ont accédé à l’universel.

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L’anti-sarkozysme, voilà l’ennemi ?

Dans la description de la situation française contemporaine, la plus grande partie des auteurs de Causeur a régulièrement recours, implicitement ou explicitement, à deux hypothèses fondamentales qu’ils tiennent souvent pour deux évidences. Pourtant, ces deux hypothèses me semblent fausses.

Hypothèse alpha : L’humanité se partage en deux camps politico-existentiels antagonistes : les Binaires et les Non-Binaires.
Hypothèse beta : Les Binaires, ce sont les anti-sarkozystes. Les Binaires, c’est la gauche.

Examinons l’hypothèse alpha : « L’humanité se partage en deux camps politico-existentiels antagonistes : les Binaires et les Non-Binaires. » J’ai en commun avec les autres collaborateurs de Causeur un accord de principe concernant l’amour du Non-Binaire et le désir de combattre la bêtise binaire, la tentation de réduire la complexité du monde à l’affrontement d’un « camp du Bien » et d’un « camp du Mal ». Cependant, l’hypothèse alpha est en contradiction évidente avec l’amour du Non-Binaire proclamé très sincèrement par les collaborateurs de Causeur (et c’est la raison pour laquelle nombre d’entre eux sont mes amis). L’hypothèse alpha reconduit, aussi paradoxalement qu’indubitablement, la division manichéenne du monde entre camp du Bien et camp du Mal. Le camp du Bien, « c’est nous », ce sont les Non-Binaires. Le camp du Mal, « c’est les autres », ce sont ces salopards de Binaires !

Si je ne partage pas l’hypothèse alpha, c’est précisément parce que je suis attaché à la complexité du réel. Parce que je sais que la tentation manichéenne et moralisatrice est présente dans tout être humain (et je suis l’un d’entre eux). Il est également vrai que le vice binaire est devenu chez certains hommes une habitude tenace. Pourtant, son règne dans un cœur humain n’est sans doute jamais absolu – dans les pires des cas, il ne l’est qu’en apparence, pour les yeux et les oreilles des autres. La division manichéenne du monde me semble seulement un signe du manque d’amour vrai et incarné – amour des autres hommes et amour véritable de soi, c’est tout un. Le paradis est bien le lieu désigné par le merveilleux, l’inoubliable starets Zossima des Frères Karamazov, le lieu où je suis libéré de l’obsession stérile et médiocre de mes propres péchés en acceptant de recevoir soudain sur mes épaules ceux de tous les hommes, cessant de haïr les autres pour leurs péchés et reconnaissant au fond de mon cœur que je suis probablement capable, les circonstances aidant, de commettre à peu près n’importe quel péché commis par les autres. Cette reconnaissance du Commun, de l’humain Commun, retire soudain aux péchés leur qualité intrinsèque, qui est de séparer les hommes entre eux et, après un écrasement intérieur infini, ouvre la possibilité d’un pardon lui aussi infini – bien que toujours interminable.

Considérons maintenant l’hypothèse beta : « Les Binaires, ce sont les anti-sarkozystes. Les Binaires, c’est la gauche. » Comme je l’avais signalé dès ma première intervention dans Causeur, dont j’ai regretté qu’elle ait suscité aussi peu de débat, rien ne me paraît plus absurde que de prétendre attribuer à une appartenance politique quelle qu’elle soit des vices qui lui seraient propres, fatals, intrinsèques, des vices mécaniques. Les Causeurs auront beau trompéter sur tous les tons le contraire, je demeurerai formel sur un point : la gauche n’a pas le monopole du binaire. Pas davantage que la droite n’a le monopole du réel, du bon sens et de l’âge adulte. Les rues sont remplies de Binaires de droite et de Binaires de gauche, les métros regorgent de Binaires sarkozystes et de Binaires anti-sarkozystes. Les campagnes débordent d’Anti-Binaires de droite et d’Anti-Binaires de gauche. Et bientôt nos plages seront envahies à proportions rigoureusement égales par des Anti-Binaires sarkozystes et des Anti-Binaires anti-sarkozystes.

Forts de l’hypothèse alpha et de l’hypothèse beta, de nombreux collaborateurs de Causeur se sont lancés dans une prétendue chasse au Binaire qui est en réalité une chasse à l’anti-sarkozyste ou au gauchiste. Dans l’art rhétorique de nombre de Causeurs, la reductio ad binarium finit par jouer exactement le même rôle que la reductio ad Hitlerum chez les crétins anti-fascistes. A la moindre critique contre le toujours-déjà oubliable Sarkozy, l’accusation de « conformisme » et de binarité congénitale tombe comme un couperet sur la discussion, rejetant aux oubliettes la seule question qui vaille, qui n’est pas celle de savoir si cette critique est partagée par peu ou par beaucoup, mais si elle est véridique et légitime ou non. Il arrive aussi souvent que la reductio ad binarium soit remplacée ou complétée par une reductio ad sinistrum tout aussi rhétorique. Dans mon latin d’opérette, cette expression désigne le fait de jeter à la face de l’ennemi, sans la moindre conformité avec la réalité mais simplement parce qu’il n’est pas d’accord avec vous, qu’il n’a pas d’humour. Cette opération équivaut elle aussi à une reductio ad Hitlerum, puisque, par les temps qui courent, « ne pas avoir d’humour » est presque aussi infâmant qu’être nazi sur trois générations.

Au nord, c’était le Coran…

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L’histoire que nous raconte Hege Storhaug de la Fondation Human Rights Service est plaisante, et aussi, peut-être légèrement édifiante. Dans une école primaire, une employée d’origine pakistanaise aurait exercé des pressions sur les deux seules petites filles de la classe qui ne portaient pas le hidjab, afin qu’elles le revêtissent comme toutes leurs petites camarades. Banal ? Presque. Car la première chose qu’il faut savoir est que ces deux petites filles ne sont pas musulmanes. La deuxième chose qu’il faut savoir est que cette histoire nous vient tout droit de Norvège.

C’est pas que je m’ennuie, mais…

La campagne aura-t-elle enfin commencé quand vous lirez ces lignes (c’est-à-dire quelques poignées d’heures avant sa clôture) ? A l’heure où je les écris en tout cas (lundi, 20 heures et des brouettes), cette campagne semble s’affirmer comme l’une des plus plates et des plus arides qu’il m’ait été donné de traverser dans toute ma carrière d’électeur (en 1969, je n’avais malheureusement pas l’âge requis pour trancher entre Poher et Pompidou).

La moisson de moments forts, de grands choix programmatiques et de petites phrases historiques fut particulièrement pauvre – que dis-je, en dessous du seuil de pauvreté intellectuelle.

Côté distractions, la campagne télévisée officielle nous a quand même proposé quelques nouveautés pittoresques. L’UMP a importé des Etats-Unis non seulement son nouveau « modèle français », mais jusqu’à la technologie de pointe du « lip-dub ». Grâce à un procédé magique, dans les clips de l’Union pour un Mouvement Populaire, le peuple tout entier a la voix de Xavier Bertrand (ou parfois de Michel Barnier). Epatant, non ? Mais quel est donc le message : « On a tous en nous quelque chose de Xavier » ? Dans les clips du PS, nettement plus traditionnels, on s’y retrouve mieux aussi : Mme Aubry et les masses populaires parlent séparément, comme dans la vraie vie.

Il faut voir aussi le spectacle que nous offre bénévolement le Parti radical de gauche – dont on est déjà content de savoir qu’il existe encore : de Servan-Schreiber en Tapie, on le croyait enterré mille fois ! Eh bien pas du tout, la preuve : tous les jours que Dieu fait, le président du PRG Jean-Michel Baylet (qui, heureusement pour lui, a d’autres occupations) vient nous réexpliquer en long et en large comment et pourquoi il ne participera en aucune façon à ce scrutin… Un grand moment d’absurde monty-pythonien.

Blague à part, et renseignements pris, du fait de sa (sur)représentation parlementaire, la barque fantôme que conduit d’une main ferme J.-M. Baylet bénéficie du même temps d’antenne que les plus grands des partis réellement existants. Eh oui, la démocratie représentative est une chose rude, il faut pour la comprendre avoir fait des études.

Reste – et c’est l’essentiel ! – qu’elle est quand même moins hasardeuse que la prétendue « démocratie directe » ! Qu’on se souvienne seulement, à cet égard, des votes désastreux des Français en 1992 et 2005, lorsqu’ils ont été bêtement consultés sur la délicate question européenne – dont, à l’évidence, seuls des Européens professionnels sont à même de saisir toutes les subtilités.

Bref, mieux vaut donner la parole au sieur Baylet qu’au peuple français : quand on ne dit rien du tout, au moins n’insulte-t-on pas l’avenir comme l’ont fait – sans vergogne et à deux reprises ! – les ennemis de l’Europe, tous populismes confondus (Je suis chaud, là !)

À ne pas manquer enfin, sur vos écrans plasma, l’étonnante prestation du leader charismatique de l’ »Union des Gens » (mais oui !). Il vient, d’assez mauvaise grâce apparemment, nous présenter avec une absence de conviction contagieuse les grandes lignes de son programme, à peu près aussi précis que le nom de son particule (élémentaire). Jacques Cheminade était quand même plus clair !

Pour être tout-à-fait juste, hors les émissions officielles, cette campagne a quand même été marquée par deux événements majeurs.

À droite le récent coup de colère de Nicolas Sarkozy était, il est vrai, sans aucun rapport avec la campagne européenne – dont le Président a d’ailleurs confié la responsabilité à son Premier ministre (François Fillon). Simplement, il a tapé du poing sur la table en découvrant les vrais chiffres de l’insécurité (qui pourtant font assez souvent la une du Point et de L’Express…) Et d’énumérer avec énergie la liste des mesures à prendre d’urgence dès qu’il sera au p… euh, enfin tout de suite. Bref c’était beau comme un discours de candidat au poste de ministre de l’Intérieur, qui malheureusement n’existe pas. Enfin je veux dire pas la fonction, l’élection à ce poste quoi.

À gauche, seuls les cœurs les plus endurcis auront pu retenir une larme en assistant aux chaleureuses retrouvailles de Martine et Ségolène. Un temps éloignées par une divergence de vues sans gravité sur la répartition des postes au sein du parti, les deux grandes dames du PS se sont réconciliées avec d’autant plus de bonheur après dissipation des brumes du congrès de Reims.

Désormais les choses sont claires, et chacune a trouvé sa juste place dans ce jeu de rôles permanent qu’est devenue la vie interne du PS depuis que Mitterrand, ce sadique, avait laissé la maison à Jospin. N’empêche, tout semble être rentré dans l’ordre : Martine croit tenir l’appareil du parti, Ségolène est persuadée d’en incarner l’âme, et tout le monde est content : l’unité du PS est sauvée, au moins jusqu’à lundi.

Je n’ai pas parlé du fond, direz-vous ? Peut être bien, mais c’est pas moi qui ai commencé…

Et puis d’ailleurs si, à la réflexion, je l’ai effleurée, la principale question de fond : d’où pourrait bien venir cette abstention massive au scrutin européen de dimanche, déjà annoncée et commentée par tous les sondologues ?

J’irai même jusqu’à esquisser un début de réponse : et si les électeurs avaient fini par remarquer qu’en volapük européen, leur « non » se traduit systématiquement par « oui » ? Et s’ils s’étaient laissés aller à en inférer que, tant qu’à être pris pour des patates de canapé, autant rester couchés ?

Mais je suis confiant : nos élites seront bien capables de lire, même dans une abstention record, les prémices d’une aube nouvelle de la « construction européenne »… Et aux dernières nouvelles, le pire devrait être évité : malgré la multiplication des listes, les observateurs espèrent que le nombre de votants dépassera celui des candidats.

Hollande et Vargas ont loupé le train

François Hollande, député de Corrèze, futur Premier ministre du président Bayrou en 2012, a héroïquement demandé des explications à Michèle Alliot-Marie sur l’affaire de Tarnac et l’embastillement six mois durant de Julien Coupat, après la libération de ce dernier. Il vaut mieux tard que jamais. Il s’est sans doute souvenu tout à coup que Tarnac se trouvait dans le département dont il est un des élus. Il aurait pu également demander des explications à Fred Vargas et quelques autres qui ont fait, d’ailleurs avec raison, de Cesare Battisti, actuellement réfugié au Brésil, le symbole des persécutions conjointes des polices françaises et italiennes, ainsi que de l’arbitraire de messieurs Sarkozy et Berlusconi. En effet, on ne les a pas du tout entendus sur l’affaire Coupat et sa mise au mitard qui se déroulait tout de même sous leurs yeux, en France, ici et maintenant – à l’exception notable de l’excellent Serge Quadruppani, qui se bat sur tous les fronts.. La Corrèze, que le regretté Raymond Cartier préférait au Zambèze, a dû sembler moins exotique que le Brésil à Fred Vargas, heureuse auteur à succès de polars calmants et intellectuelle du Modem. Ou alors, autre hypothèse, elle aussi est atteinte de cette presbytie idéologique connue des spécialistes sous le nom de béhachèlite et qui consiste à voir très bien les malheurs lointains et plus du tout ceux qu’on a sous le nez.

Le monde en route vers un bordel noir ?

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Ces derniers jours, le clicheton journalistique qui jaillit spontanément de la plume de nombre de mes chers collègues observateurs de la vie internationale nous informe que ce mois de juin sera celui de « tous les dangers ».

En Iran, on saura le 12 juin si le diable mal fagoté[1. Une rumeur insistante, jamais confirmée mais jamais démentie, veut que le tailleur personnel de Mahmoud Ahamadinejad soit un juif de Téhéran parfaitement capable de confectionner des vêtements convenables, mais que son illustre client oblige à lui tailler des costumes sur le modèle des fripes vendues aux puces de Montreuil, qui arrivent de Paris par la valise diplomatique.] Mahmoud Ahmadinejad réussit à s’imposer face au présumé modéré Hossein Moussavi. Au Liban, les élections législatives du 7 juin sont considérées comme à « haut risque » car elles pourraient établir l’hégémonie du Hezbollah et de ses alliés sur le pays du Cèdre. La situation politique en Géorgie risque de tourner au vinaigre, l’opposition au président Mikhail Saakashvili menant grand tapage. L’armée pakistanaise ne parvient pas à venir à bout des talibans qui se sont emparés de quelques « zones tribales » au nord-ouest du pays. Pendant ce temps là, Hugo Chavez, les frères Castro, Mouammar Kadhafi et quelques autres grands démocrates testent leur capacité à défier l’hyperpuissance américaine. Les Russes avancent leurs pions, dans le Caucase et en Asie centrale, régions qu’ils reprennent fermement en main. La paix des cimetières règne désormais au Sri Lanka, où l’armée est parvenue, dans le courant du mois de mai, à appliquer aux Tamouls la méthode de Simon de Montfort pour éliminer les hérétiques cathares mêlés aux civils albigeois : « Tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens ! »

La seule échéance attendue sans anxiété par les commentateurs patentés est celle des élections européennes. Le désintérêt général pour ce scrutin manifesté dans la quasi-totalité des pays concernés n’est pas de nature à réveiller les passions de cette « Europe frigide » qui désole l’ami Barnavi. Toutefois, on pourrait avoir des surprises, car nos voisins et amis belges ont eu l’idée saugrenue de faire coïncider leurs élections régionales avec les européennes, ce qui promet de la chicore au pays du waterzoï, déchiré par le conflit qui oppose les flamands aux francophones.

À en croire les grands journaux de chez nous, le monde attendrait donc le discours que doit prononcer Barack Obama au Caire le 4 juin comme la parole messianique susceptible de nous délivrer de l’angoisse provoquée par ce mois de juin promis comme horribilis. Jean Daniel ne rate pas cette occasion de prodiguer ses conseils de vieux sage au jeune président des Etats-Unis, qui ne va pas manquer de les suivre, car sans Jean Daniel la terre ne tournerait pas rond. La pom-pom girl du Obama fan club qui fait office de correspondante du Monde à Washington peaufine ses figures jubilatoires sur son blog, avant de les présenter en majesté aux lecteurs du journal de référence.

Le moment est donc venu, après le concert de louanges interprété à l’occasion des cent jours de fonction du nouveau président par la presse obamanolâtre de nos contrées (à savoir presque tous les journaux, radios, télés de France, Navarre et pays circonvoisins), d’évaluer sereinement les premiers effets de cette parole réputée thaumaturge sur la marche du monde.

Le 5 avril dernier, Obama tenait devant le château de Prague un discours qualifié d’historique dans lequel il évoquait la perspective d’un monde sans armes nucléaires. Un long et rude chemin, certes, mais qu’il allait commencer à gravir sans tarder, en compagnie de tous ceux qui voudraient bien l’accompagner, quel que fût leur casier judiciaire.

Ce discours a été reçu cinq sur cinq à Pyongyang et à Téhéran : pour pouvoir suivre le président américain dans son ascension vertueuse vers les sommets de la paix perpétuelle, il convenait, selon eux, de se doter préalablement des armements en question. En effet, quelle gloire tirer de la renonciation solennelle à un arsenal dont on n’est pas encore pourvu ?

En quelques semaines, le complexe militaro-industriel à la botte du grand leader Kim Jong Il parvient à faire péter une bombinette en sous-sol et à tirer quelques missiles susceptibles de dissuader des voisins malveillants, comme le Japon ou la Corée du Sud, de venir mettre leur nez dans les affaires de la plus kitsch des dictatures communistes survivantes.

De son côté, Téhéran a fait savoir au « Groupe des Six » (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité plus l’Allemagne) qui conduit la négociation sur le nucléaire iranien qu’il n’y avait plus rien à discuter. Pour se faire bien comprendre, les Persans ont procédé au tir, réussi cette fois-ci, d’un missile d’une portée de 2000 km, donc capable de porter une charge nucléaire vers un pays de la région que nous ne nommerons pas, pour ne pas lui faire de publicité. Tout le monde, bien sûr, a condamné ces agissements dans les termes les plus vifs, dans des communiqués sans équivoques et des résolutions de l’ONU dont les termes sont pesés au trébuchet, mais de sanctions, des vraies, de celles qui font mal, il n’est pas question, du moins pour l’instant. Obama persiste à vouloir « dialoguer » avec les mollahs, et les Chinois s’opposent à ce que l’on punisse leur voisin coréen. Pékin préfère tenir lui-même la laisse de ce pays pitbull, plus ou moins serrée en fonction de ses intérêts du moment.

Alors, Obama serait-il un peu mou du genou ? Du genre à prendre des baffes et à dire merci ? Ce serait faire bon marché de la fermeté et de l’intransigeance dont il vient de faire preuve vis-à-vis de Bibi Netanyahou: plus un seul cabanon, même pas un chiotte au fond du jardin, ne doit être construit dans les implantations juives de Cisjordanie, y compris dans celles que son prédécesseur Georges W. Bush avait implicitement désignées comme devant être rattachées à Israël lors d’un éventuel règlement final. Cela n’a pas échappé à Ahmed Qoreï, qui dirige pour l’Autorité palestinienne les négociations avec Israël. Alors que, jusque-là, les Palestiniens n’évoquaient jamais les noms des villes pouvant être incluses dans un échange de territoires, ils demandent maintenant que les localités de Maale Adoumim et Givat Zeev, proches de Jérusalem reviennent au futur Etat palestinien, en proposant généreusement que leurs habitants puissent jouir de la double nationalité, israélienne et palestinienne. Une hypothèse qu’aucun gouvernement israélien, même composé de la gauche et de l’extrême gauche sioniste, ne pourrait accepter.

Il semble que Barack Obama se soit laissé persuader que le conflit israélo-palestinien était « la mère de tous les conflits » de la région et que sa solution rapide conditionnait l’acceptation, par monde arabo-musulman d’une cohabitation harmonieuse avec l’Occident, Israël compris. Cette illusion, qui fait l’impasse sur l’instrumentalisation de ce conflit par des régimes dictatoriaux ou autoritaires pour détourner leurs peuples de la révolte contre ses dirigeants, est tout aussi, sinon plus, porteuse de dangers, que l’approche musclée de son prédécesseur. L’acceptation du fait israélien par les Etats arabes n’implique nullement la reconnaissance de sa légitimité, voilà ce que répètent en boucle les responsables arabes, même réputés modérés, un discours que les partisans occidentaux de l’alliance des civilisations font mine de ne pas entendre.

N’appartenant pas au premier cercle des conseillers qui entrent sans frapper dans le Bureau ovale de la Maison Blanche, je ne peux vous révéler ici en primeur le texte du déjà fameux discours du Caire. Mais j’ai comme l’impression qu’il va contribuer, comme celui de Prague, à l’accroissement du bordel ambiant.

Ça balance au Quai

Le ministère des Affaires étrangères vient de porter plainte contre X à propos de fuites régulières qui font atterrir des documents classifiés sur le bureau de Claude Angeli, rédacteur en chef du Canard Enchaîné. Comme nous vous l’avions déjà fait remarquer ces fuites ont une source aussi claire qu’évidente : elles proviennent de diplomates de haut rang appartenant à la « rue arabe » du Quai d’Orsay, ces excellences islamophiles qui ne digèrent pas le tournant un peu plus atlantiste et un peu moins défavorable à Israël pris par la diplomatie française depuis l’élection de Nicolas Sarkozy. Les flics sont donc sommés de fouiller à corps les distributeurs de Ferrero-Rocher soupçonnés de se servir du fax de leur ambassade en dehors des heures de services, et de leur balancer quelques baffes pour leur délier la langue s’ils se murent dans un diplomatique silence. Quant au bénéficiaire de ces fuites, il est quelque peu gonflé de se présenter en paladin du journalisme d’investigation victime de l’énervement kouchnérien : depuis quand un facteur possède-t-il une carte de presse ?

Divers gauche, divers droite et divers divers

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Le CRAN, Conseil Représentatif des Associations Noires, est formel : quel que soit le résultat du vote de dimanche, il y a fort peu de candidats d’origine allogène sur les listes pour les européennes et il y en aura encore moins parmi les élus. Et comme le CRAN ne parle pas dans le vide, il a compté les Noirs, les Arabes et les Asiatiques ou plus précisément, ceux dont le « ressenti d’appartenance » laisse penser qu’ils sont noirs, arabes ou asiatiques. En effet, le communiqué fait état « d’une étude basée sur le « ressenti d’appartenance », c’est-à-dire sur les Français ressentis comme noirs, arabo-maghrébins ou asiatiques » et qui porte sur 69 candidats. S’agit-il de listes ou de candidats ? Et est-il question « du ressenti » des intéressés ou de celui des autres ? Ce n’est pas très clair. On pourrait chipoter sur le caractère scientifique de l’étude, mais c’est pas notre genre. Intéressons-nous donc aux résultats : 45 candidats divers au total pour les six listes principales, mais seulement 5 ou 6 qui ont des chances de siéger à Strasbourg, sur les 72 Français que compte l’Europarlement. Ce qui nous donnerait, nous aussi on sait compter, 8 % de divers parmi les élus.

Il paraît qu’on peut et qu’on doit mieux faire. Seulement, le CRAN se garde bien de nous dire quel est l’objectif à atteindre. À partir de quel pourcentage de divers pourra-t-on déclarer qu’il a été mis « un terme aux pratiques discriminatoires auxquelles ont recours, consciemment ou inconsciemment, les partis politiques dans le choix de leurs candidats aux élections, et en particulier des candidats en position éligible » ? Dans cet esprit de comptage ethnique, l’extrême droite pourrait s’émouvoir de la sous-représentation des Français de souche dans la liste antisioniste – quoi qu’elle-même y soit fort bien représentée. Peut-être bien qu’un combat impérieux contre un ennemi puissant est de nature à faire taire les divergences entre divers et non divers.

Quoi qu’il en soit, il ne faut donc pas croire ce que l’on voit : Harlem, Rachida et Dieudonné ne sont que les arbrisseaux qui cachent la forêt des préjugés enracinés. C’est mal.

Reste à savoir comment on pourrait pallier cette ignoble béance démocratique. Depuis quelques années, une solution magique existe, qui a l’insigne avantage de plaire d’ordinaire au chef de l’Etat : l’instauration de quotas. Mais là, problème : il y a déjà un quota de femmes aux européennes (comme d’ailleurs aux municipales et aux régionales) depuis l’invention des listes chabada : il faudrait donc démanteler cette mixité forcée pour garantir l’accès des issus de la diversité à l’hémicycle de Strasbourg ou, ce qui deviendrait très compliqué, la doubler par des exigences ethniques. Après une enquête approfondie de vos serviteurs, il s’avère que le CRAF (Conseil Représentatif des Associations Féministes) est plutôt hostile à cette solution, qui, en revanche, est accueillie assez favorablement au CRAI (Conseil Représentatif des Associations Intégristes). En revanche, toujours aucune réaction du côté du CRAA, le très discret mais influent Conseil Représentatif des Associations Abstentionnistes. Il est vrai que cette dernière organisation n’entretient pas de bons rapports avec le CRAN, dans la mesure où elle préconise ouvertement la reconnaissance du vote blanc. Quant au CRIF, il préfèrerait qu’on l’oublie un peu.

Mais Patrick Lozès ne rigole pas. Le patron du CRAN n’est pas du genre à critiquer pour critiquer, il a des vraies solutions et demande au président de la République de « prendre rapidement des mesures fortes » pour les mettre en œuvre. Pour commencer, il propose à tous les partis politiques de signer une Charte de la diversité en politique. Bon, une Charte, on en a vu d’autres, la plupart du temps ça n’engage à rien, c’est plutôt une déclaration de bonnes intentions. Sauf que pour déjouer l’hypocrisie régnante, le CRAN suggère que seuls les partis qui auront accepté de signer et qui satisferont aux « exigences minimales en matière de diversité » puissent bénéficier du remboursement de leurs dépenses électorales. Pour le CRAN, c’est à cette condition qu’on pourra enfin croire que les responsables politiques « militent activement pour la diversité ». On avait déjà vus les partis chasser la femme. Ils vont bientôt pouvoir se disputer la prime au Noir, à l’Arabe et à l’Asiatique – qui lui, n’a rien demandé.

La France ne fera pas la vassale

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Le porte-parole adjoint du ministère des Affaires étrangères a fait, vendredi 6 mai la déclaration suivante lors du point de presse quotidien du Quai d’Orsay : « Le gouvernement français salue la haute tenue du discours prononcé à l’Université du Caire par le président des Etats-Unis, M. Barack Obama. Il prend acte, avec satisfaction des très nombreux points de convergences entre les positions de la France et des Etats-Unis sur les problèmes abordés, notamment, au sujet du conflit israélo-arabe. Les autorités françaises s’étonnent néanmoins des propos de M. Obama relatifs à la législation française sur le port du voile islamique dans les établissements scolaires[1. It is important for western countries to avoid impeding Muslim citizens from practicing religion as they see fit- for instance, by dictating what clothes a Muslim woman should wear. We cannot disguise hostility towards any religion behind the pretense of liberalism.]. Ils constituent une ingérence inacceptable dans les affaires intérieures de la République Française. M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères, a convoqué l’ambassadeur des Etats-Unis en France pour lui faire part de la préoccupation du président de la République et du premier ministre de voir les excellentes relations entre nos deux pays troublées par des propos inappropriés. »
Même pas cap’, Bernard ! C’est plus fastoche de se payer Bibi Netanyahou sur Jérusalem avec un vieux papier datant de François 1er comme ordonnance d’expulsion.

American Hidjab

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À trois reprises dans son discours à l’Université du Caire, le Président Barack Obama a donc dénoncé les pays qui, en Occident, jugent indésirable le port du voile islamique dans certaines circonstances de leur vie sociale. Cela m’inspire deux réflexions.

Qu’ils soient dirigés par Obama, Bush, Clinton ou un autre, les Etats-Unis ne changent pas : ils placent le respect des religions – au sens large du terme – au dessus de toute autre considération. Le 11 septembre a été d’autant plus mal ressenti aux Etats-Unis que ce pays est loin d’être le plus mécréant de la Terre. Sur le dollar est inscrit « In God we trust » ; le président prête serment sur la Bible ; chaque campagne présidentielle est un concours de foi chrétienne. Et les Américains de se poser la question : pourquoi nous ? Nous, qui avons armé jusqu’aux dents les islamistes de tout poil, nous qui les avons aidés à bouter les Infidèles russes hors d’Afghanistan, nous qui avions mis la pâtée au mécréant Saddam et qui avions déjà les plans pour une prochaine invasion de l’Irak[1. Qui eut lieu aussi, comme chacun sait.]. Trop injuste ! C’est pourquoi une expédition punitive fut organisée pour pourchasser Oussama Bin Laden avec lequel la CIA entretenait de solides relations depuis la guerre russo-afghane.

En matière de rapports entre religions et politique, la France et sa conception laïque ne sont pas comprises par le monde anglo-saxon. Interdire le voile à l’Ecole, c’est absolument contraire à toute la tradition d’un Américain. Même dans sa lutte contre les sectes, la France s’est souvent vue mise à l’index par les autorités américaines qui n’ont jamais goûté la manière dont l’Eglise de scientologie, organisation on ne peut plus respectable pour Washington, est traitée chez nous.

Mais il n’aura échappé à personne que notre pays est aujourd’hui dirigé par un homme qui ne cache pas son admiration pour le Modèle américain. Tout d’abord, il a souvent expliqué en quoi la laïcité française lui semblait rigoriste et qu’il convenait de la « positiver ». C’est d’ailleurs dans cet esprit qu’il prévoyait un échec cinglant de la loi de 2003 proscrivant les signes religieux à l’école dont il s’est ostensiblement démarqué[2. Aujourd’hui, il ne la remettra pas en cause sans une condamnation de l’opinion en général et de son électorat en particulier. Car cette loi est incontestablement un succès.].

C’est aussi dans cet « esprit d’ouverture » qu’il prononça des discours à Latran et à Riyad qui, effectivement, se situent davantage dans la tradition anglo-saxonne de confusion entre vie privée et vie publique que dans celle, française, de séparation stricte entre les deux. Il a également entamé le « retour dans la famille occidentale[3. Ce sont les mots employés par le président lui-même.] » par le geste fort symbolique de retour dans les structures intégrées de l’OTAN. On a souvent eu tort de limiter cette décision aux thèmes de la Défense et de Diplomatie. Elle recouvrait dans son esprit davantage : une adhésion culturelle au concept d’occidentalisme. C’est une manière pour Nicolas Sarkozy d’en finir avec l’originalité de la France, une originalité qu’il a toujours tenue pour vieillotte, ringarde, anachronique, que sais-je encore.

Je n’en veux pas à Barack Obama. Il est le président des Etats-Unis et il continue imperturbablement la politique de son pays, avec des moyens beaucoup moins balourds que son prédécesseur. Il se voit en chef de l’Occident et se conduit comme tel. Je suis davantage en colère après le chef d’Etat de mon pays, qui tourne le dos à son Histoire, à son originalité, à son indépendance.

Epuisants voyageurs

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Le festival Etonnants voyageurs vient de se terminer, ouf : j’en ai marre des aventuriers. Je veux dire ceux qui ont ouvert boutique aventuriers, comme Berl disait de certains qu’ils ont ouvert boutique écrivains (vérifiez l’axiome : ça marche toujours). Partant du principe que les gens heureux sont cachés, que les grandes douleurs sont muettes, etc, les véritables aventuriers disent-ils qu’ils sont aventuriers ? N’y a t-il pas là posture, et même imposture ? La recherche de l’authentique, du sauvage et du bel inviolé dans ce monde-terrible-factice-et pollué n’est elle pas au fond éminemment… banale ?

Première hypothèse : l’aventurier qui part en quête du sauvage, des territoires vides et inconfortables – la toundra sur les genoux ou la muraille de Chine à tricycle – ne serait que l’exact symétrique du touriste occidental de base, honni (celui qui voyage en groupe dans les hôtels immenses, qui visite les sites balisés, consomme) et auquel il prétend s’opposer. Club Med, marche solitaire dans la steppe, même combat, et surtout, deux profils du même individu contemporain face au tourisme. Tous deux se déplacent sur le globe, sac à dos (peut-être pas de la même marque) pour connaître leur propre géographie… individuelle. Ils ne partent pas pour s’oublier, mais pour se retrouver. Tous deux sont en cela parfaitement post-modernes… et autocentrés.

D’où la seconde hypothèse : le voyageur aventurier incarnerait le stade ultime, l’aboutissement logique du touriste occidental de base. Ne sommes nous pas déjà tous déjà en quête d’authenticité, ce pléonasme vivant ? Rappelez vous ce merveilleux dessin de Sempé : le bourgeois des années cinquante roule en belle voiture rutilante tandis que son voisin, le modeste employé pédale sur son petit vélo, le regard plein d’envie. Dix ans plus tard, il s’est enfin offert la voiture de ses rêves, mais las !, le voilà coincé dans les embouteillages avec tous ses semblables, tandis que le grand bourgeois se faufile à vélo hollandais… L’aventurier est donc au touriste occidental de base ce que l’homo sapiens est à l’homme de Néandertal : sa version perfectionnée (dont le stade intermédiaire de l’évolution serait le lecteur du Guide du routard : encore un pied dans le circuit, un autre dans la posture).

Allons plus loin – et achevons de nous brouiller définitivement avec les beaux voyageurs ténébreux (ils le sont souvent) : ce besoin d’aller loin pour se retrouver et se distinguer des autres hommes (depuis Rousseau, on connaît la chanson) cache encore autre chose. Si c’était la fuite du vide, la fameuse « agitation » dénoncée par Pascal ? Kant n’a jamais quitté sa maison de Königsberg, Jane Austen n’est guère allée plus loin que la Pump room de Bath, Proust a observé un microcosme dans le périmètre Paris-Cabourg : et par leur lunette apparemment étroite, ils ont accédé à l’universel.

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L’anti-sarkozysme, voilà l’ennemi ?

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Dans la description de la situation française contemporaine, la plus grande partie des auteurs de Causeur a régulièrement recours, implicitement ou explicitement, à deux hypothèses fondamentales qu’ils tiennent souvent pour deux évidences. Pourtant, ces deux hypothèses me semblent fausses.

Hypothèse alpha : L’humanité se partage en deux camps politico-existentiels antagonistes : les Binaires et les Non-Binaires.
Hypothèse beta : Les Binaires, ce sont les anti-sarkozystes. Les Binaires, c’est la gauche.

Examinons l’hypothèse alpha : « L’humanité se partage en deux camps politico-existentiels antagonistes : les Binaires et les Non-Binaires. » J’ai en commun avec les autres collaborateurs de Causeur un accord de principe concernant l’amour du Non-Binaire et le désir de combattre la bêtise binaire, la tentation de réduire la complexité du monde à l’affrontement d’un « camp du Bien » et d’un « camp du Mal ». Cependant, l’hypothèse alpha est en contradiction évidente avec l’amour du Non-Binaire proclamé très sincèrement par les collaborateurs de Causeur (et c’est la raison pour laquelle nombre d’entre eux sont mes amis). L’hypothèse alpha reconduit, aussi paradoxalement qu’indubitablement, la division manichéenne du monde entre camp du Bien et camp du Mal. Le camp du Bien, « c’est nous », ce sont les Non-Binaires. Le camp du Mal, « c’est les autres », ce sont ces salopards de Binaires !

Si je ne partage pas l’hypothèse alpha, c’est précisément parce que je suis attaché à la complexité du réel. Parce que je sais que la tentation manichéenne et moralisatrice est présente dans tout être humain (et je suis l’un d’entre eux). Il est également vrai que le vice binaire est devenu chez certains hommes une habitude tenace. Pourtant, son règne dans un cœur humain n’est sans doute jamais absolu – dans les pires des cas, il ne l’est qu’en apparence, pour les yeux et les oreilles des autres. La division manichéenne du monde me semble seulement un signe du manque d’amour vrai et incarné – amour des autres hommes et amour véritable de soi, c’est tout un. Le paradis est bien le lieu désigné par le merveilleux, l’inoubliable starets Zossima des Frères Karamazov, le lieu où je suis libéré de l’obsession stérile et médiocre de mes propres péchés en acceptant de recevoir soudain sur mes épaules ceux de tous les hommes, cessant de haïr les autres pour leurs péchés et reconnaissant au fond de mon cœur que je suis probablement capable, les circonstances aidant, de commettre à peu près n’importe quel péché commis par les autres. Cette reconnaissance du Commun, de l’humain Commun, retire soudain aux péchés leur qualité intrinsèque, qui est de séparer les hommes entre eux et, après un écrasement intérieur infini, ouvre la possibilité d’un pardon lui aussi infini – bien que toujours interminable.

Considérons maintenant l’hypothèse beta : « Les Binaires, ce sont les anti-sarkozystes. Les Binaires, c’est la gauche. » Comme je l’avais signalé dès ma première intervention dans Causeur, dont j’ai regretté qu’elle ait suscité aussi peu de débat, rien ne me paraît plus absurde que de prétendre attribuer à une appartenance politique quelle qu’elle soit des vices qui lui seraient propres, fatals, intrinsèques, des vices mécaniques. Les Causeurs auront beau trompéter sur tous les tons le contraire, je demeurerai formel sur un point : la gauche n’a pas le monopole du binaire. Pas davantage que la droite n’a le monopole du réel, du bon sens et de l’âge adulte. Les rues sont remplies de Binaires de droite et de Binaires de gauche, les métros regorgent de Binaires sarkozystes et de Binaires anti-sarkozystes. Les campagnes débordent d’Anti-Binaires de droite et d’Anti-Binaires de gauche. Et bientôt nos plages seront envahies à proportions rigoureusement égales par des Anti-Binaires sarkozystes et des Anti-Binaires anti-sarkozystes.

Forts de l’hypothèse alpha et de l’hypothèse beta, de nombreux collaborateurs de Causeur se sont lancés dans une prétendue chasse au Binaire qui est en réalité une chasse à l’anti-sarkozyste ou au gauchiste. Dans l’art rhétorique de nombre de Causeurs, la reductio ad binarium finit par jouer exactement le même rôle que la reductio ad Hitlerum chez les crétins anti-fascistes. A la moindre critique contre le toujours-déjà oubliable Sarkozy, l’accusation de « conformisme » et de binarité congénitale tombe comme un couperet sur la discussion, rejetant aux oubliettes la seule question qui vaille, qui n’est pas celle de savoir si cette critique est partagée par peu ou par beaucoup, mais si elle est véridique et légitime ou non. Il arrive aussi souvent que la reductio ad binarium soit remplacée ou complétée par une reductio ad sinistrum tout aussi rhétorique. Dans mon latin d’opérette, cette expression désigne le fait de jeter à la face de l’ennemi, sans la moindre conformité avec la réalité mais simplement parce qu’il n’est pas d’accord avec vous, qu’il n’a pas d’humour. Cette opération équivaut elle aussi à une reductio ad Hitlerum, puisque, par les temps qui courent, « ne pas avoir d’humour » est presque aussi infâmant qu’être nazi sur trois générations.

Au nord, c’était le Coran…

146

L’histoire que nous raconte Hege Storhaug de la Fondation Human Rights Service est plaisante, et aussi, peut-être légèrement édifiante. Dans une école primaire, une employée d’origine pakistanaise aurait exercé des pressions sur les deux seules petites filles de la classe qui ne portaient pas le hidjab, afin qu’elles le revêtissent comme toutes leurs petites camarades. Banal ? Presque. Car la première chose qu’il faut savoir est que ces deux petites filles ne sont pas musulmanes. La deuxième chose qu’il faut savoir est que cette histoire nous vient tout droit de Norvège.

C’est pas que je m’ennuie, mais…

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La campagne aura-t-elle enfin commencé quand vous lirez ces lignes (c’est-à-dire quelques poignées d’heures avant sa clôture) ? A l’heure où je les écris en tout cas (lundi, 20 heures et des brouettes), cette campagne semble s’affirmer comme l’une des plus plates et des plus arides qu’il m’ait été donné de traverser dans toute ma carrière d’électeur (en 1969, je n’avais malheureusement pas l’âge requis pour trancher entre Poher et Pompidou).

La moisson de moments forts, de grands choix programmatiques et de petites phrases historiques fut particulièrement pauvre – que dis-je, en dessous du seuil de pauvreté intellectuelle.

Côté distractions, la campagne télévisée officielle nous a quand même proposé quelques nouveautés pittoresques. L’UMP a importé des Etats-Unis non seulement son nouveau « modèle français », mais jusqu’à la technologie de pointe du « lip-dub ». Grâce à un procédé magique, dans les clips de l’Union pour un Mouvement Populaire, le peuple tout entier a la voix de Xavier Bertrand (ou parfois de Michel Barnier). Epatant, non ? Mais quel est donc le message : « On a tous en nous quelque chose de Xavier » ? Dans les clips du PS, nettement plus traditionnels, on s’y retrouve mieux aussi : Mme Aubry et les masses populaires parlent séparément, comme dans la vraie vie.

Il faut voir aussi le spectacle que nous offre bénévolement le Parti radical de gauche – dont on est déjà content de savoir qu’il existe encore : de Servan-Schreiber en Tapie, on le croyait enterré mille fois ! Eh bien pas du tout, la preuve : tous les jours que Dieu fait, le président du PRG Jean-Michel Baylet (qui, heureusement pour lui, a d’autres occupations) vient nous réexpliquer en long et en large comment et pourquoi il ne participera en aucune façon à ce scrutin… Un grand moment d’absurde monty-pythonien.

Blague à part, et renseignements pris, du fait de sa (sur)représentation parlementaire, la barque fantôme que conduit d’une main ferme J.-M. Baylet bénéficie du même temps d’antenne que les plus grands des partis réellement existants. Eh oui, la démocratie représentative est une chose rude, il faut pour la comprendre avoir fait des études.

Reste – et c’est l’essentiel ! – qu’elle est quand même moins hasardeuse que la prétendue « démocratie directe » ! Qu’on se souvienne seulement, à cet égard, des votes désastreux des Français en 1992 et 2005, lorsqu’ils ont été bêtement consultés sur la délicate question européenne – dont, à l’évidence, seuls des Européens professionnels sont à même de saisir toutes les subtilités.

Bref, mieux vaut donner la parole au sieur Baylet qu’au peuple français : quand on ne dit rien du tout, au moins n’insulte-t-on pas l’avenir comme l’ont fait – sans vergogne et à deux reprises ! – les ennemis de l’Europe, tous populismes confondus (Je suis chaud, là !)

À ne pas manquer enfin, sur vos écrans plasma, l’étonnante prestation du leader charismatique de l’ »Union des Gens » (mais oui !). Il vient, d’assez mauvaise grâce apparemment, nous présenter avec une absence de conviction contagieuse les grandes lignes de son programme, à peu près aussi précis que le nom de son particule (élémentaire). Jacques Cheminade était quand même plus clair !

Pour être tout-à-fait juste, hors les émissions officielles, cette campagne a quand même été marquée par deux événements majeurs.

À droite le récent coup de colère de Nicolas Sarkozy était, il est vrai, sans aucun rapport avec la campagne européenne – dont le Président a d’ailleurs confié la responsabilité à son Premier ministre (François Fillon). Simplement, il a tapé du poing sur la table en découvrant les vrais chiffres de l’insécurité (qui pourtant font assez souvent la une du Point et de L’Express…) Et d’énumérer avec énergie la liste des mesures à prendre d’urgence dès qu’il sera au p… euh, enfin tout de suite. Bref c’était beau comme un discours de candidat au poste de ministre de l’Intérieur, qui malheureusement n’existe pas. Enfin je veux dire pas la fonction, l’élection à ce poste quoi.

À gauche, seuls les cœurs les plus endurcis auront pu retenir une larme en assistant aux chaleureuses retrouvailles de Martine et Ségolène. Un temps éloignées par une divergence de vues sans gravité sur la répartition des postes au sein du parti, les deux grandes dames du PS se sont réconciliées avec d’autant plus de bonheur après dissipation des brumes du congrès de Reims.

Désormais les choses sont claires, et chacune a trouvé sa juste place dans ce jeu de rôles permanent qu’est devenue la vie interne du PS depuis que Mitterrand, ce sadique, avait laissé la maison à Jospin. N’empêche, tout semble être rentré dans l’ordre : Martine croit tenir l’appareil du parti, Ségolène est persuadée d’en incarner l’âme, et tout le monde est content : l’unité du PS est sauvée, au moins jusqu’à lundi.

Je n’ai pas parlé du fond, direz-vous ? Peut être bien, mais c’est pas moi qui ai commencé…

Et puis d’ailleurs si, à la réflexion, je l’ai effleurée, la principale question de fond : d’où pourrait bien venir cette abstention massive au scrutin européen de dimanche, déjà annoncée et commentée par tous les sondologues ?

J’irai même jusqu’à esquisser un début de réponse : et si les électeurs avaient fini par remarquer qu’en volapük européen, leur « non » se traduit systématiquement par « oui » ? Et s’ils s’étaient laissés aller à en inférer que, tant qu’à être pris pour des patates de canapé, autant rester couchés ?

Mais je suis confiant : nos élites seront bien capables de lire, même dans une abstention record, les prémices d’une aube nouvelle de la « construction européenne »… Et aux dernières nouvelles, le pire devrait être évité : malgré la multiplication des listes, les observateurs espèrent que le nombre de votants dépassera celui des candidats.

Hollande et Vargas ont loupé le train

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François Hollande, député de Corrèze, futur Premier ministre du président Bayrou en 2012, a héroïquement demandé des explications à Michèle Alliot-Marie sur l’affaire de Tarnac et l’embastillement six mois durant de Julien Coupat, après la libération de ce dernier. Il vaut mieux tard que jamais. Il s’est sans doute souvenu tout à coup que Tarnac se trouvait dans le département dont il est un des élus. Il aurait pu également demander des explications à Fred Vargas et quelques autres qui ont fait, d’ailleurs avec raison, de Cesare Battisti, actuellement réfugié au Brésil, le symbole des persécutions conjointes des polices françaises et italiennes, ainsi que de l’arbitraire de messieurs Sarkozy et Berlusconi. En effet, on ne les a pas du tout entendus sur l’affaire Coupat et sa mise au mitard qui se déroulait tout de même sous leurs yeux, en France, ici et maintenant – à l’exception notable de l’excellent Serge Quadruppani, qui se bat sur tous les fronts.. La Corrèze, que le regretté Raymond Cartier préférait au Zambèze, a dû sembler moins exotique que le Brésil à Fred Vargas, heureuse auteur à succès de polars calmants et intellectuelle du Modem. Ou alors, autre hypothèse, elle aussi est atteinte de cette presbytie idéologique connue des spécialistes sous le nom de béhachèlite et qui consiste à voir très bien les malheurs lointains et plus du tout ceux qu’on a sous le nez.

Le monde en route vers un bordel noir ?

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Ces derniers jours, le clicheton journalistique qui jaillit spontanément de la plume de nombre de mes chers collègues observateurs de la vie internationale nous informe que ce mois de juin sera celui de « tous les dangers ».

En Iran, on saura le 12 juin si le diable mal fagoté[1. Une rumeur insistante, jamais confirmée mais jamais démentie, veut que le tailleur personnel de Mahmoud Ahamadinejad soit un juif de Téhéran parfaitement capable de confectionner des vêtements convenables, mais que son illustre client oblige à lui tailler des costumes sur le modèle des fripes vendues aux puces de Montreuil, qui arrivent de Paris par la valise diplomatique.] Mahmoud Ahmadinejad réussit à s’imposer face au présumé modéré Hossein Moussavi. Au Liban, les élections législatives du 7 juin sont considérées comme à « haut risque » car elles pourraient établir l’hégémonie du Hezbollah et de ses alliés sur le pays du Cèdre. La situation politique en Géorgie risque de tourner au vinaigre, l’opposition au président Mikhail Saakashvili menant grand tapage. L’armée pakistanaise ne parvient pas à venir à bout des talibans qui se sont emparés de quelques « zones tribales » au nord-ouest du pays. Pendant ce temps là, Hugo Chavez, les frères Castro, Mouammar Kadhafi et quelques autres grands démocrates testent leur capacité à défier l’hyperpuissance américaine. Les Russes avancent leurs pions, dans le Caucase et en Asie centrale, régions qu’ils reprennent fermement en main. La paix des cimetières règne désormais au Sri Lanka, où l’armée est parvenue, dans le courant du mois de mai, à appliquer aux Tamouls la méthode de Simon de Montfort pour éliminer les hérétiques cathares mêlés aux civils albigeois : « Tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens ! »

La seule échéance attendue sans anxiété par les commentateurs patentés est celle des élections européennes. Le désintérêt général pour ce scrutin manifesté dans la quasi-totalité des pays concernés n’est pas de nature à réveiller les passions de cette « Europe frigide » qui désole l’ami Barnavi. Toutefois, on pourrait avoir des surprises, car nos voisins et amis belges ont eu l’idée saugrenue de faire coïncider leurs élections régionales avec les européennes, ce qui promet de la chicore au pays du waterzoï, déchiré par le conflit qui oppose les flamands aux francophones.

À en croire les grands journaux de chez nous, le monde attendrait donc le discours que doit prononcer Barack Obama au Caire le 4 juin comme la parole messianique susceptible de nous délivrer de l’angoisse provoquée par ce mois de juin promis comme horribilis. Jean Daniel ne rate pas cette occasion de prodiguer ses conseils de vieux sage au jeune président des Etats-Unis, qui ne va pas manquer de les suivre, car sans Jean Daniel la terre ne tournerait pas rond. La pom-pom girl du Obama fan club qui fait office de correspondante du Monde à Washington peaufine ses figures jubilatoires sur son blog, avant de les présenter en majesté aux lecteurs du journal de référence.

Le moment est donc venu, après le concert de louanges interprété à l’occasion des cent jours de fonction du nouveau président par la presse obamanolâtre de nos contrées (à savoir presque tous les journaux, radios, télés de France, Navarre et pays circonvoisins), d’évaluer sereinement les premiers effets de cette parole réputée thaumaturge sur la marche du monde.

Le 5 avril dernier, Obama tenait devant le château de Prague un discours qualifié d’historique dans lequel il évoquait la perspective d’un monde sans armes nucléaires. Un long et rude chemin, certes, mais qu’il allait commencer à gravir sans tarder, en compagnie de tous ceux qui voudraient bien l’accompagner, quel que fût leur casier judiciaire.

Ce discours a été reçu cinq sur cinq à Pyongyang et à Téhéran : pour pouvoir suivre le président américain dans son ascension vertueuse vers les sommets de la paix perpétuelle, il convenait, selon eux, de se doter préalablement des armements en question. En effet, quelle gloire tirer de la renonciation solennelle à un arsenal dont on n’est pas encore pourvu ?

En quelques semaines, le complexe militaro-industriel à la botte du grand leader Kim Jong Il parvient à faire péter une bombinette en sous-sol et à tirer quelques missiles susceptibles de dissuader des voisins malveillants, comme le Japon ou la Corée du Sud, de venir mettre leur nez dans les affaires de la plus kitsch des dictatures communistes survivantes.

De son côté, Téhéran a fait savoir au « Groupe des Six » (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité plus l’Allemagne) qui conduit la négociation sur le nucléaire iranien qu’il n’y avait plus rien à discuter. Pour se faire bien comprendre, les Persans ont procédé au tir, réussi cette fois-ci, d’un missile d’une portée de 2000 km, donc capable de porter une charge nucléaire vers un pays de la région que nous ne nommerons pas, pour ne pas lui faire de publicité. Tout le monde, bien sûr, a condamné ces agissements dans les termes les plus vifs, dans des communiqués sans équivoques et des résolutions de l’ONU dont les termes sont pesés au trébuchet, mais de sanctions, des vraies, de celles qui font mal, il n’est pas question, du moins pour l’instant. Obama persiste à vouloir « dialoguer » avec les mollahs, et les Chinois s’opposent à ce que l’on punisse leur voisin coréen. Pékin préfère tenir lui-même la laisse de ce pays pitbull, plus ou moins serrée en fonction de ses intérêts du moment.

Alors, Obama serait-il un peu mou du genou ? Du genre à prendre des baffes et à dire merci ? Ce serait faire bon marché de la fermeté et de l’intransigeance dont il vient de faire preuve vis-à-vis de Bibi Netanyahou: plus un seul cabanon, même pas un chiotte au fond du jardin, ne doit être construit dans les implantations juives de Cisjordanie, y compris dans celles que son prédécesseur Georges W. Bush avait implicitement désignées comme devant être rattachées à Israël lors d’un éventuel règlement final. Cela n’a pas échappé à Ahmed Qoreï, qui dirige pour l’Autorité palestinienne les négociations avec Israël. Alors que, jusque-là, les Palestiniens n’évoquaient jamais les noms des villes pouvant être incluses dans un échange de territoires, ils demandent maintenant que les localités de Maale Adoumim et Givat Zeev, proches de Jérusalem reviennent au futur Etat palestinien, en proposant généreusement que leurs habitants puissent jouir de la double nationalité, israélienne et palestinienne. Une hypothèse qu’aucun gouvernement israélien, même composé de la gauche et de l’extrême gauche sioniste, ne pourrait accepter.

Il semble que Barack Obama se soit laissé persuader que le conflit israélo-palestinien était « la mère de tous les conflits » de la région et que sa solution rapide conditionnait l’acceptation, par monde arabo-musulman d’une cohabitation harmonieuse avec l’Occident, Israël compris. Cette illusion, qui fait l’impasse sur l’instrumentalisation de ce conflit par des régimes dictatoriaux ou autoritaires pour détourner leurs peuples de la révolte contre ses dirigeants, est tout aussi, sinon plus, porteuse de dangers, que l’approche musclée de son prédécesseur. L’acceptation du fait israélien par les Etats arabes n’implique nullement la reconnaissance de sa légitimité, voilà ce que répètent en boucle les responsables arabes, même réputés modérés, un discours que les partisans occidentaux de l’alliance des civilisations font mine de ne pas entendre.

N’appartenant pas au premier cercle des conseillers qui entrent sans frapper dans le Bureau ovale de la Maison Blanche, je ne peux vous révéler ici en primeur le texte du déjà fameux discours du Caire. Mais j’ai comme l’impression qu’il va contribuer, comme celui de Prague, à l’accroissement du bordel ambiant.

Ça balance au Quai

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Le ministère des Affaires étrangères vient de porter plainte contre X à propos de fuites régulières qui font atterrir des documents classifiés sur le bureau de Claude Angeli, rédacteur en chef du Canard Enchaîné. Comme nous vous l’avions déjà fait remarquer ces fuites ont une source aussi claire qu’évidente : elles proviennent de diplomates de haut rang appartenant à la « rue arabe » du Quai d’Orsay, ces excellences islamophiles qui ne digèrent pas le tournant un peu plus atlantiste et un peu moins défavorable à Israël pris par la diplomatie française depuis l’élection de Nicolas Sarkozy. Les flics sont donc sommés de fouiller à corps les distributeurs de Ferrero-Rocher soupçonnés de se servir du fax de leur ambassade en dehors des heures de services, et de leur balancer quelques baffes pour leur délier la langue s’ils se murent dans un diplomatique silence. Quant au bénéficiaire de ces fuites, il est quelque peu gonflé de se présenter en paladin du journalisme d’investigation victime de l’énervement kouchnérien : depuis quand un facteur possède-t-il une carte de presse ?