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En pleine face

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Méduse
Méduse, Le Caravage, 1597. Galerie des Offices, Florence.

La philosophie se méfie des apparences et des vêtements trop longs. Regardons Descartes, à sa fenêtre, s’interrogeant sur les manteaux et les chapeaux qu’il voit passer dans la rue : au nom de quoi serait-ce autre chose que des « spectres ou des hommes feints qui ne se remuent que par ressorts ». J’ai croisé l’autre soir une femme portant burqa. Une première. J’ai essayé de chercher son regard, mais le voile qui lui couvrait les yeux était si sombre que j’ai à peine distingué deux petits globes noirs inanimés. De quoi devenir cartésien pour de bon et se demander quel animal étrange peut bien se caparaçonner ainsi.

[access capability= »lire_inedits »]D’abord un être malappris, qui méprise la politesse au point de ne pas conformer ses usages au sens commun : aujourd’hui je me « burqaïse », demain je m’excise, car je fais ce qui me plaît. Singulières figures de la postmodernité : au nom de libertés individuelles érigées en valeur absolue, elles remettent au goût du jour les coutumes les plus arriérées, celles que les femmes de la génération d’Assia Djebar ont passé leur jeunesse à combattre et à éradiquer.

Mais se voiler la face, ce n’est pas simplement se protéger du regard d’autrui, c’est refuser à l’autre l’expérience première à toute humanité : celle du visage. Dans Éthique et infini, Emmanuel Levinas a établi, le premier, une phénoménologie du face-à-face : le visage, dit-il, n’est pas le simple assemblage d’un nez, d’une bouche et de deux yeux ; il est un tout, qui s’offre à moi sans condition et sans concept et qui, dans son dénuement et sa pauvreté même (il n’y a pas plus nu que la peau du visage), fait immédiatement sens : « Toi, c’est toi. »

Le visage est « phénoménal » par excellence. Ce n’est pas un concept ni une idée abstraite : essayez, pour voir, de donner un uppercut à un concept de visage. Il est singulier, toujours. Il est ce qu’il est, irréductible à sa phénoménalité.

La première expérience que l’homme fait, c’est celle du visage qui lui dit – et précisément sans rien lui dire : « Ego sum qui sum. » C’est exactement la réponse du Dieu de l’Exode à Moïse. On peut se ranger à l’avis de saint Bonaventure, qui voit ici une identification entre Dieu et l’être : « Je suis celui qui est. » On peut également adopter une autre lecture : « Je suis qui je suis. » Tout visage nous dit l’altérité radicale. Le visage, nous apprend Lévinas, est une « nudité qui crie son étrangeté au monde, sa solitude, la mort, dissimulée dans son être ».

Ce faisant, si l’autre est irréductible, alors je peux moi-même prendre conscience de ma propre subjectivité et dire « je ». C’est que l’homme n’existe que dans la relation à l’autre. Ce que la burqa nie, ce n’est pas le statut de celle qui la porte, mais la propre subjectivité de celui qui se trouve en face d’elle, désormais sans aucun appui, désarmé et désemparé.

Ce qu’adressent les femmes en burqa à notre civilisation n’est rien d’autre qu’une baffe dans la gueule. Répondons-leur, à celles qui assemblent tissu et libertés individuelles pour se bricoler du fondamentalisme bon marché, par une caresse doucement républicaine et pénale. Et occupons-nous des vrais problèmes, moins marginaux. Les mariages forcés, par exemple, où la mariée vous tire une de ces têtes…[/access]

La première défaite du camp sociétaliste

Burqa
Casquette, hijab ou burqa : les sociétalistes du PS vont-ils choisir ?

Depuis le lancement de l’initiative Gerin, on sent bien que le Camp du Bien tortille un peu du bas des reins. Que le gotha de la gauche officielle cherche comment dire, sans trop le dire, que ce combat est malvenu. Le seul fait que ces gens peinent à trouver leurs mots est déjà, en soi, une victoire. Il y a dans ce pays un je-ne-sais-quoi de frétillant dans l’air qui rend plus difficile, sur ce coup-là, le reniement coutumier des fondamentaux de gauche tels que nous les avaient enseignés nos papas et nos mamans, parfois neuneus, souvent utiles. Entre autres, le refus des fanatismes religieux et d’un de leurs corollaires les plus constants : la volonté d’abaisser publiquement les femmes. De la décroissance à la délinquance, on a connu les starlettes du PS, du PC ou du NPA plus hardies à retourner notre doxa comme une crêpe Suzette.

[access capability= »lire_inedits »]Cette difficulté qu’éprouve la gauche légale à entonner tout de go la même chanson que les barbus – ce qu’elle a su faire sans états d’âme majeurs au moment de Gaza –, doit être tout d’abord portée au crédit politique d’André Gerin. Sa manœuvre est un mélange réjouissant de pragmatisme léniniste et de bons sens français.

De Vladimir Ilitch, il a retenu le dédain pour le maximalisme verbeux et la recherche obstinée, façon Giap, du maillon le plus faible dans le dispositif adverse, d’où le ciblage de la burqa plutôt que du tchador et, a fortiori, du voile ou de l’islamisme en général.

Du bon sens, il en fallait pour faire vivre l’idée qu’une petite avancée vaut mieux qu’une héroïque déculottée. Pas de splendide projet de loi mort-né, pas de pétition grandiloquente en appelant aux mânes de Voltaire et d’Hugo. Rien que des parlementaires – et des deux camps, en plus ! − qui disent qu’ils veulent juste en savoir plus et demandent une banale commission d’enquête.

Rien qu’une petite commission d’enquête. Pas de « On veut dénoncer ! », habituel prélude tartarinesque à un « On va voir ce qu’on ne va pas voir… », mais un minuscule « On veut savoir, s’il vous plaît… » Pas de quoi réveiller les morts, donc. Eh bien si. Et même quelques vivants, parmi lesquels le président de la République, obligé de marquer le coup à Versailles. Il y a critiqué la burqa dans des termes fort peu oulémo-compatibles, tout en préservant l’essentiel en se gardant bien de formuler l’ombre d’une proposition concrète : bref, il a choisi l’option exactement inverse à celle de Gerin. Et c’est normal : sur cette affaire, le président est, autant que tous les autres présidentiables, dans le camp adverse, tous craignant bien trop fort d’être stigmatisés comme islamophobes quand 2012 aura sonné.

Comme nous l’avons déjà écrit, il n’y aura donc pas de sitôt une loi anti-burqa. Ni même peut-être de débat parlementaire ou de véritable commission d’enquête. Mais on s’en fout ! L’essentiel est ailleurs, est énorme, et est déjà acté : il y a eu un débat public et populaire sur la question, que personne ne peut plus endiguer d’autorité en arguant qu’on n’a pas le droit de parler comme ça, ni même de parler de ça. Le Camp du Bien l’a pris là où ça fait mal, et ça nous fait du bien. Un débat sur les questions « sociétales » où la parole se libère, ou le réel s’échappe de nos cénacles de mal-pensants et se promène à poil dans la rue, c’était, depuis des lustres, du jamais vu. Et Le Monde peut bien balancer ses fatwas, il ne fait plus peur qu’à lui-même et nous fait rigoler au passage avec son édito du 27 juin : « Au nom de quel argument ou de quel principe interdire à des femmes majeures une tenue vestimentaire, quelle qu’elle soit, dans l’espace public, sauf à confondre le législateur français avec une assemblée d’oulémas ? (…) Sauf à imaginer une détestable ou ridicule police des mœurs, comment appliquer une telle interdiction, si le choix en était fait ? Beaucoup plaident avec énergie pour un islam moderne et tolérant. Ils ont raison. Il faut convaincre plutôt que légiférer. »

Le vrai cri de détresse du Monde et de quelques autres consiste à nous accuser de vouloir faire la police, parce que, cette fois-là, on ne les a pas laissé faire la police. Comme l’écrivait il y a six mois Elisabeth la prophétesse, ça craque dans le Camp du Bien, champagne ! D’ailleurs, tant qu’à faire, nous préférons la police des mœurs à celle de la pensée. Des mœurs policées, c’est-à-dire civilisées, vous trouvez ça ringard ?

Ce débat − certains diront ce déballage − en appelle d’autres. Vous en voulez, des sujets qui fâchent ? Y’a qu’à se baisser. Par exemple, si au lieu de se planquer derrière de louables questions de bioéthique, on causait vraiment de la question de l’homoparentalité et de l’adoption par des couples de même sexe ? Pareil, allez hop, la drogue, le shit, l’herbe quoi ! Et puis aussi les embryons congelés contre leur gré, les petits vieux qu’on veut forcer à mourir dans la dignité. Sans oublier la régularisation des sans-papiers. Depuis toujours, on se planque derrière le droit, supposé irréfragable, des migrants à s’installer où ils veulent et où ils peuvent. Si on commençait simplement à parler du vrai sujet, c’est-à-dire du regroupement familial, si on demandait simplement des chiffres fiables, si l’on s’interrogeait, sereinement, quant aux conséquences sur l’école, les quartiers et tutti quanti ?

On n’est pas méchants, on veut juste savoir…. Faut pas nous lancer, parce que des idées façon Gerin, on va en trouver. À nous d’être non seulement obstinés, mais aussi modestes et malins.[/access]

Cours du soir à l’Élysée

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Littérature

Vous n’êtes pas au courant de la dernière nouvelle du mois ? Bien sûr que si. Tout le monde en parle et il faut avoir un pied-à-terre aux Kerguelen pour ignorer l’affaire : Carla fait l’éducation de Chouchou. Entendez par là que la première dame de France s’est mis martel en tête d’ouvrir l’esprit de son président de mari à ces futilités que l’on appelle beaux-arts, musique ou littérature.

Et ça marche ! Nicolas Sarkozy est sortable dans les dîners en ville. L’autre jour, à l’Elysée, il avait réuni ses conseillers les plus proches pour bosser sur le speech qu’il devait prononcer à Versailles. À peine Henri Guaino était-il sorti du bureau pour gratter de la copie que le président s’enthousiasmait en live pour Certains l’aiment chaud.

[access capability= »lire_inedits »]Méfions-nous des femmes ! Deux millénaires ou presque d’histoire politique française nous enseignent que leur influence surpasse toujours celle d’un Parlement. Qu’on songe à sainte Clotilde qui manœuvra si adroitement que Clovis inclina son chef devant l’évêque Remi pour se faire chrétien. Et je ne parle même pas de Marie ni de Catherine de Médicis, ni de Berthe aux grands pieds qui gouverna Pépin le Bref sans que ce dernier fût fétichiste.

Donc, Carla Bruni fait aujourd’hui œuvre de salubrité publique en hissant son mari à un niveau culturel décent et en lui faisant rattraper le retard que la conquête obstinée du pouvoir lui aura fait prendre. En 2007, Nicolas Sarkozy était un excellent candidat ; en 2012, il fera un excellent président.

Certes, il y a du boulot. Le soir, Carla lui lit de la littérature. Et rien que de la bonne. Nicolas s’extasie. Il prend des notes et ce sont elles que nous nous sommes procurés en exclusivité :

« Ils ont des Rolex, mais ils n’ont pas de poignet. » (Charles Péguy)

« Casse-toi toi-même. » (Socrate)

« Dessine moi un Fillon. » (Antoine de Saint-Exupéry)

« La propriété, c’est du bol. » (Joseph Proudhon)

« Qu’est-ce que l’homme dans la nature? Un néant à l’égard de Johnny, un tout à l’égard de Guéant…. » (Blaise Pascal)

« Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, et Guaino arrive pour l’écrire aisément. » (Nicolas Boileau)

« Le socialisme, c’est les défaites plus les RTT. » (Lénine)

« L’œil était dans la tombe et regardait Villepin. » (Victor Hugo)

« La première fois qu’Aurélien vit Bérénice, il la trouva facilement. » (Louis Aragon)

« Le loup est un loup pour l’homme. » (Plaute)

« Chassez Sabine Paturel, et faites revenir Max Gallo. » (Virgile)

« Soyez réalistes, demandez le programme. » (Ernesto Che Guevara)

 » Wo Es war, soll Ich werden. Si Angela Merkel est là, je dois venir lui faire la bise. » (Sigmund Freud)

« Littérature : occupation des oisifs. » (Gustave Flaubert)
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Very Cluses Friends

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Défilé du 14 juillet
Le 14 juillet, Luc Rosenzweig ne se défilera pas. Direction Cluses !

Il est grand temps de choisir le spot le plus tendance pour fêter le 14-Juillet. Bien sûr, le nec plus ultra est une place dans la tribune présidentielle de la place de la Concorde, au plus près de Nico et de Carla pour voir et complimenter l’armée française. À moins d’être le sosie de l’un des chefs d’État invités cette année, et de l’avoir fait boire plus que de raison, la veille, au bar du Crillon pour qu’il ne se réveille pas à temps, c’est mission impossible.

[access capability= »lire_inedits »]La garden-party de l’Elysée ? Quelle horreur ! Même le petit personnel à moins de 1 500 euros par mois est convié à se goinfrer autour d’un buffet plus que moyen.

On peut, à la rigueur, se faire voir dans la cour de l’archevêché, à Aix-en-Provence, où sera donnée, ce soir-là, une représentation de l’immense Orphée aux enfers de Jacques Offenbach, avec la Camerata de Salzbourg : le prix des places, entre 150 et 200 euros, est de nature à effectuer une sélection relativement satisfaisante de vos voisins de fauteuil.

Mais pour écarter définitivement le danger de passer pour le dernier des ploucs et se retrouver entre exclusive people, c’est vers ma Haute-Savoie qu’il faut se diriger. Plus précisément vers la petite ville de Cluses, que l’on trouvera facilement à l’aide de Google Earth (attention, ne pas confondre avec La Cluse, ou La Clusaz, sinon retour à la case plouc !). Le comité des fêtes de cette sympathique cité a organisé un concert appelé à devenir culte : le 14 juillet 2009, à 20 h 30, au Parvis des Esserts, se produiront Frank Alamo (waouh !), Pascal Danel (je meurs !) et Patrick Topaloff (‘tain !). Biche, ô ma biche…, Kilimandjaro…, J’ai bien mangé, j’ai bien bu….

Capito ? Alors motus, on ne le dit qu’aux amis, et encore ![/access]

Desperates pédégères

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Nous avons un problème, annonce Brigitte Grésy, inspectrice générale des affaires sociales : les femmes sont largement sous-représentées dans les instances dirigeantes des grandes entreprises. Ainsi en 2009, les conseils d’administration du CAC 40 comptaient seulement 10,5 % de femmes. Si on élargit l’échantillon pour inclure non pas seulement les 40, mais les 500 premières sociétés françaises, la part des femmes tombe à 8 %. Pire encore, 60 % de ces entreprises sont carrément des usines à testostérone, dirigées par un conseil d’administration exclusivement masculin.

Dans un rapport sur l’égalité professionnelle remis hier au gouvernement, l’inspectrice ne se contente pas de dénoncer, elle propose un remède : appliquer en France le système norvégien. Des femmes nous voulons et des femmes nous aurons, dussions-nous employer la manière forte (je me demande même si la perspective de pouvoir sanctionner, réprimer, dénoncer ne stimule pas autant les ardeurs paritaristes que le légitime souci d’égalité).

Pour briser le « plafond de verre » qui empêche les femmes d’accéder aux responsabilités dites entrepreneuriales, le gouvernement norvégien a imposé en 2004 des quotas de 40 % de femmes dans les conseils d’administration des entreprises publiques, puis deux ans plus tard, a étendu aux sociétés cotées cette discrimination positive en faveur des issues du chromosome XX.

Le problème est que si le système norvégien semble parfaitement moral, il est redoutablement mal adapté à la France. Certes, il est plus facile de compter les femmes que les « divers ». Reste qu’ici le seul critère légitime est la situation sociale et non pas la couleur de la peau, le pays d’origine, la religion ou le sexe. Le seul remède possible est donc celui qui a été testé avec tant de succès par l’éducation nationale, la justice et la santé : pour féminiser une profession, il suffit de proposer des emplois du temps compatibles avec une vie de famille et surtout d’en détourner ces messieurs grâce à des salaires nettement moins élevés que les autres emplois « bac + 6 » du marché.

Il faut dire que cette solution présente un autre avantage. Puisque tout le monde est d’accord sur la nécessité de limiter les rémunérations des patrons, divisons-les par 10, ou même par 100 pour les plus élevées. Un petit effort dans ce sens et je parie ma paye contre celle de Laurence Parisot que, dans moins d’une décennie, les conseils d’administration du CAC 40 ressembleront à s’y méprendre aux salles de profs.

Grippe porcine, attrapez-la avant tout le monde !

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C’est la dernière livraison du très sérieux The Independendant on Sunday qui nous l’apprend : on voit se multiplier partout sur le territoire britannique des Swine Flu Parties, en VF des surboums à grippe porcine, où un invité qui l’a déjà attrapé contamine tous les autres. Même si nos confrères ne le précisent pas, on n’imagine bien que ce partage viral doit ce faire avec force french kiss, mais ce n’est pas le seul but de la manœuvre. Et contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce n’est pas non plus par pulsion morbide que les ados se ruent à ces surpats, bien au contraire : il s’agit d’après eux d’attraper le H1N1 en plein été, et d’être soignés puis immunisés sans attendre le pic épidémique de l’automne ou de l’hiver prochain quand les hôpitaux refuseront du monde et que les stocks de Tamiflu seront épuisés. Qui a dit que les jeunes étaient idiots ?

L’armée avec nous !

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Pour les Causeurs qui désirent une saine rasade de littérature subversive pour l’été, sachez que vous ne trouverez pas la critique la plus virulente de notre société néolibérale mise à mal par les coups de boutoirs d’une crise qu’on espère terminale dans Le Monde Diplomatique ou Politis.

Prévenons tout de suite que le choc risque d’être rude pour ceux qui plaçaient dans l’armée leur dernier espoir pour réduire la chienlit des banlieues et des ouvriers séquestreurs. Il semblerait que celle-ci, si elle devait bouger, s’oriente davantage vers une solution à la portugaise, genre 25 avril 1974, quand une poignée de capitaines cultivés ont renversé en quelques jours et sans violence un régime à peine plus exténué que le nôtre.

En effet, ainsi que nous le signale le blogueur le mieux renseigné de France sur les affaires militaires, Jean-Dominique Merchet, c’est dans la très jugulaire-jugulaire Revue de la défense nationale que l’on peut lire cette critique d’un des best-sellers de la saison : « La solution décrite est tout aussi critiquable que la société actuelle (…) Ne pas partager les solutions esquissées dans le livre est une chose. Mais on ne peut constater combien celui-ci met en évidence le profond malaise qui règne en France. Les Français traversent indubitablement une crise qui n’est pas seulement économique et sociale mais qui est avant tout une crise de la morale. On a oublié l’homme et privilégié le profit. C’est aussi une crise du sens. (…) Refonder le contrat social et moral paraît d’autant plus nécessaire que passé un point de non-retour, le sentiment d’injustice se fait trop criant et plus aucun type de légitimité ne peut être trouvé.»

Nous pourrions, dans l’un de ces jeux d’été qui ne vont pas tarder à fleurir dans les magazines de plages en même temps que les jolies filles en bikinis sortant du bain, inviter nos amis Causeurs à trouver de quel livre il s’agit. Mais il faut que certains, ici, sachent l’effroyable vérité et, comme il était écrit au fronton de l’Enfer de Dante, abandonnent tout espérance.

Il s’agit de L’Insurrection qui vient.

Vous savez, ce texte insignifiant, mal écrit, qui raconte n’importe quoi tout en servant, dans une contradiction assez croquignolette de preuve à charge pour maintenir son présumé auteur six mois en prison.

Et l’article est signé d’une commissaire à l’Armée de Terre.

Tout fout le camp, moi je vous le dis, tout fout le camp.

Les grands chantiers du Président

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A quoi pense le président Sarkozy quand il se rase chaque matin ? Au second tour de 2012, bien sûr. La question du premier tour, elle, est pliée d’avance depuis déjà deux ans, faute de concurrent crédible à droite (je ne dis pas ça pour me moquer de DDV ou de Copé, mais un peu quand même). Le deuxième tour, comme je l’ai écrit ici avec Aimée Joubert, semble déjà largement gagné d’avance. Mais le président est d’un naturel anxieux et méticuleux. Quand on fait ce métier, c’est un vrai plus.

D’où sa volonté de blinder sa réélection, en ne comptant pas uniquement sur le trop-plein de candidats à gauche ni sur son trop-vide d’idées.

Et le président à raison de ne pas faire comme si la gauche était définitivement hors-course: certes, nombre de quadras du PS jouent, et on peut les comprendre, la défaite en rase campagne en 2012 pour mieux se placer pour 2017. Ce faisant, ils choisissent de faire exploser le PS dans sa forme actuelle, et renvoient pour de bon à l’hospice Titine et les icônes résiduelles du mitterrando-jospinisme (Ségolène, Delanoé, Fabius, Buffet etc). Mais ils prennent aussi le risque d’ouvrir un boulevard à d’autres concurrents non démonétisés et aptes à occuper le terrain dès la prochaine présidentielle (par exemple, et dans trois registres différents, Valls, Hamon ou Mélenchon). La gauche n’est non pas tout à fait sortie de la photo, elle le sera encore moins avec un candidat populaire et populiste, décidé à jouer la gauche réelle contre la gauche légale, bref à contourner les appareils par le bas, comme l’ont si bien fait en leur temps Mitterrand… et Sarkozy.

Le premier chantier du président consiste donc à détacher de la gauche une partie de son électorat. L’ouverture ne sera bien sûr pas la solution. Hier Kouchner et Bockel, demain Lang et Allègre, so what ? On est dans les opérations de prestige et de démoralisation de l’adversaire, mais tous ça ne chiffre pas beaucoup de divisions. L’ouverture politique ne fera pas bouger les lignes dans l’électorat, en revanche, l’ouverture sociologique peut le fire, et d’ailleurs, elle l’a déjà fait il y a deux ans, quand l’actuel président a marqué des points dans l’électorat ouvrier en se présentant comme le candidat de la feuille de paye.

Le problème, c’est qu’on aura du mal à rejouer sans rire le même film au prochain rendez-vous (d’autant plus que Chirac avait déjà fait le même bon gag en 95 avec la fracture sociale). Exit donc, les prolos et les fonctionnaires, qui revoteront à gauche ou resteront chez eux. Restent donc, parmi les populations traditionnellement liées à la gauche, les artistes, qu’on a su choyer avec Hadopi mais qui ne pèsent pas lourd dans l’isoloir. Restent aussi les gays, La droite ne ménage pas sa peine, mais la réconciliation prendra probablement du temps, pour cause de hiatus culturel profond.

En revanche, il existe, à gauche un vivier de voix que le président est bien décidé à plumer : les Français, et notamment les jeunes, issus de l’immigration, et pour parler plus clair, ceux qui se définissent comme noirs ou comme arabes , ou encore comme musulmans ( religion dont sont issus l’immense majorité des franco-africains). Les sondeurs ayant des pudeurs que les policiers n’ont pas, on sait peu de choses sur le vote des musulmans en France. Sauf une: il votent très majoritairement socialiste, la gauche de la gauche étant perçue comme impie, et la droite comme structurellement hostile aux immigrés.

C’est cette perception que le président est décidé à faire bouger, et il a commencé à le faire : il n’y aura plus jamais de gouvernement Sarkozy sans noir ou arabe, et ceux-ci seront toujours ostensiblement, comme Rama ou Fadala, issus des banlieues ou semblant l’être. Le président fait le pari que la jeunesse diverse se contrefiche des idéologies et se sent plus proche, du style sarkozyste (Rolex, baskets , gros mots, Rayban, jogging, soirées DVD et jolies femmes) que de la vulgate socialiste, parti des profs et fonctionnaires honnis.

Le malentendu, bien réel, entre la droite et la diversité est essentiellement mythologique ou archéologique (guerres coloniales, parti des riches, imputations d’islamophobie ou de judéophilie etc), le président pense qu’a force de travail et d’effets d’annonces aussi visibles que les minorités éponymes, il peut remettre les cadrans à zéro. C’est bien pourquoi il n’y aura jamais de loi sur la burqa, et que les juifs de France, qui ont voté en masse pour Sarkozy en pensant qu’il était structurellement ami d’Israël risquent de déchanter, tant pis pour eux, ils n’avaient qu’à être cinq millions.

C’est bien pourquoi, on continuera d’aller vers la discrimination positive, en prenant bien soin, cette fois, de dire qu’il s’agit d’une politique sociale et pas raciale, et en prenant bien soin aussi que ses bénéficiaires comprennent que c’est exactement la même chose, mais en plus présentable -de la même façon que le ministère de la Ville ne s’est jamais appelé ministère des banlieues pourries.

En 2007, 80 % des Français se définissant comme musulmans ont voté PS dès le premier tour. Ramener ce chiffre à 50 % est un objectif réaliste, il sera d’autant plus facilement à portée de main si on met en orbite un candidat ethnique apte à bâcher la gauche au premier tour et sarkocompatible au second tour.

Fadela, tu fais quoi en 2012 ?

Daltonisme aggravé aux USA

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Depuis l’annonce du décès du « roi de la pop », nous avons eu droit à tout. L’enfance de la star, ses talents, sa carrière et ses nombreuses interventions de chirurgie esthétique. Sans parler de l’annulation de tous les JT hier soir pour cause d’hommage mondial. On aura parlé de tout dans le détail, sauf de l’elephant in the room, ses rapports avec son identité, sa « négritude ». On peut, certes, dire que celui qui a été appelé par son père « gros nez » cherchait d’abord à régler des comptes avec son géniteur. Mais Michael Jackson est allé beaucoup plus loin avec son défrisage, sa dépigmentation et sa célèbre veste de groom. Le Benjamin des Jackson Five a rejeté non seulement sa filiation directe mais carrément sa « race ». Dans toute cette affaire le phénomène le plus intrigant restera donc la réaction de la communauté noire américaine, Jesse Jackson en tête, vis-à-vis de celui qui a tout fait pour se détacher physiquement d’elle. Ironie du sort, celui qui ne voulait pas être ni Jackson ni black a été rattrapé par ces deux appartenances. Identité, quand tu nous tiens…

Et si Ahmadinejad avait gagné pour de bon ?

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Et si Ahmadinejad avait bel et bien gagné l’élection présidentielle en Iran ? Et si Mir Hossein Moussavi était en fait un mauvais perdant qui a calomnié le gagnant en l’accusant de fraude ? La réponse est simple : peu importe aujourd’hui le vrai résultat, ces élections et leurs suites dans la rue ne s’inscrivent plus dans le registre de la légalité. Le pays réel s’est affranchi du pays légal. C’est bien là le cœur de l’affaire : même si le régime arrivait à prouver qu’aucune fraude massive n’a eu lieu, aux yeux de beaucoup d’Iraniens, il a perdu le plus précieux : sa légitimité à gouverner.

Du point de vue du régime, le scénario d’une victoire honnête dans les urnes refusée par le peuple est encore pire que celui de la fraude. Dans le cas d’une tricherie, les dégâts sont certes considérables mais l’essentiel peut être sauvé. Il suffirait de sacrifier Ahmadinejad et quelques hauts fonctionnaires, d’afficher une consternation de bon ton et de faire toutes les déclarations et promesses d’usage, moyennant quoi on pourrait dire – et peut être même faire croire – que le roi est bon mais mal conseillé. En revanche, s’il s’avère que le peuple iranien – ou ceux qui se font passer pour ses authentiques représentants – s’obstine à rejeter les résultats des élections légales, c’est la rupture et l’instauration d’une situation révolutionnaire, car c’est le roi lui-même qui est en cause et, avec lui, la monarchie.

Les manifestations en Iran témoignent d’abord d’un gigantesque ras-le-bol. Pour de nombreux Iraniens, le régime a choisi d’ignorer la réalité en rompant le contrat qui leur permettait de trouver de petits arrangements conciliant les grands principes de la révolution islamique avec l’évolution des mœurs de la société. Pour la génération qui n’a connu ni le Chah ni la guerre, la révolution n’est pas une expérience personnelle, un souvenir de jeunesse héroïque mais un ensemble de slogans et d’institutions vieillissantes. L’élan et l’enthousiasme de ces moments où tout semblait possible ont été remplacés – rien de plus normal – par des structures bureaucratiques.

Face à cette situation, le régime a choisi de réagir par une sorte de révolution culturelle, une fuite en avant déguisée en retour aux sources. Pendant la quinzaine d’années qui ont passé depuis la fin de la guerre avec l’Irak et la mort de Khomeiny, le régime a su faire la part des choses entre les slogans et la réalité, entre ce qui est imprimé sur les calicots et le comportement des gens. Pour prendre un exemple estival, il a toléré que les gens fassent ce que tout le monde fait discrètement dans la piscine, à condition de ne pas le faire du haut du plongeoir. Avec l’élection d’Ahmadinejad, c’est machine arrière, retour à l’an II : la population doit être rééduquée pour retrouver la pureté de la jeunesse de la révolution islamique, afin que celle-ci trouve un deuxième souffle.

Le principal rival d’Ahmadinejad et ses partisans voulaient remettre en cause 2004 et non pas 1979. En choisissant le vert comme couleur et « Allah o Akhbar ! » comme cri de guerre, ils ont exprimé une volonté de revenir à un statu quo ante Ahmadinejad plus souple. Bref, au lieu d’accompagner le changement, le régime a choisi de s’y opposer. La meilleure mise en garde contre une telle politique nous a été donnée par Thucydide dans les chapitres de La Guerre du Péloponnèse consacrées à la crise à Kerkyra (aujourd’hui Corfou). Le régime de cette île, qui refusait tout changement ou compromis avec la population, avait provoqué ainsi un phénomène que l’historien athénien appelle « stasis », terme dérivé d’une racine signifiant « rester en place, ne pas bouger », désignait à l’époque la crise engendrée par une telle politique. À nos lecteurs, Khamenei et Ahmadinejad, je signale que ce terme est traduit en français par « révolution ».

En pleine face

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Méduse
Méduse, Le Caravage, 1597. Galerie des Offices, Florence.
Méduse
Méduse, Le Caravage, 1597. Galerie des Offices, Florence.

La philosophie se méfie des apparences et des vêtements trop longs. Regardons Descartes, à sa fenêtre, s’interrogeant sur les manteaux et les chapeaux qu’il voit passer dans la rue : au nom de quoi serait-ce autre chose que des « spectres ou des hommes feints qui ne se remuent que par ressorts ». J’ai croisé l’autre soir une femme portant burqa. Une première. J’ai essayé de chercher son regard, mais le voile qui lui couvrait les yeux était si sombre que j’ai à peine distingué deux petits globes noirs inanimés. De quoi devenir cartésien pour de bon et se demander quel animal étrange peut bien se caparaçonner ainsi.

[access capability= »lire_inedits »]D’abord un être malappris, qui méprise la politesse au point de ne pas conformer ses usages au sens commun : aujourd’hui je me « burqaïse », demain je m’excise, car je fais ce qui me plaît. Singulières figures de la postmodernité : au nom de libertés individuelles érigées en valeur absolue, elles remettent au goût du jour les coutumes les plus arriérées, celles que les femmes de la génération d’Assia Djebar ont passé leur jeunesse à combattre et à éradiquer.

Mais se voiler la face, ce n’est pas simplement se protéger du regard d’autrui, c’est refuser à l’autre l’expérience première à toute humanité : celle du visage. Dans Éthique et infini, Emmanuel Levinas a établi, le premier, une phénoménologie du face-à-face : le visage, dit-il, n’est pas le simple assemblage d’un nez, d’une bouche et de deux yeux ; il est un tout, qui s’offre à moi sans condition et sans concept et qui, dans son dénuement et sa pauvreté même (il n’y a pas plus nu que la peau du visage), fait immédiatement sens : « Toi, c’est toi. »

Le visage est « phénoménal » par excellence. Ce n’est pas un concept ni une idée abstraite : essayez, pour voir, de donner un uppercut à un concept de visage. Il est singulier, toujours. Il est ce qu’il est, irréductible à sa phénoménalité.

La première expérience que l’homme fait, c’est celle du visage qui lui dit – et précisément sans rien lui dire : « Ego sum qui sum. » C’est exactement la réponse du Dieu de l’Exode à Moïse. On peut se ranger à l’avis de saint Bonaventure, qui voit ici une identification entre Dieu et l’être : « Je suis celui qui est. » On peut également adopter une autre lecture : « Je suis qui je suis. » Tout visage nous dit l’altérité radicale. Le visage, nous apprend Lévinas, est une « nudité qui crie son étrangeté au monde, sa solitude, la mort, dissimulée dans son être ».

Ce faisant, si l’autre est irréductible, alors je peux moi-même prendre conscience de ma propre subjectivité et dire « je ». C’est que l’homme n’existe que dans la relation à l’autre. Ce que la burqa nie, ce n’est pas le statut de celle qui la porte, mais la propre subjectivité de celui qui se trouve en face d’elle, désormais sans aucun appui, désarmé et désemparé.

Ce qu’adressent les femmes en burqa à notre civilisation n’est rien d’autre qu’une baffe dans la gueule. Répondons-leur, à celles qui assemblent tissu et libertés individuelles pour se bricoler du fondamentalisme bon marché, par une caresse doucement républicaine et pénale. Et occupons-nous des vrais problèmes, moins marginaux. Les mariages forcés, par exemple, où la mariée vous tire une de ces têtes…[/access]

La première défaite du camp sociétaliste

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Burqa
Casquette, hijab ou burqa : les sociétalistes du PS vont-ils choisir ?
Burqa
Casquette, hijab ou burqa : les sociétalistes du PS vont-ils choisir ?

Depuis le lancement de l’initiative Gerin, on sent bien que le Camp du Bien tortille un peu du bas des reins. Que le gotha de la gauche officielle cherche comment dire, sans trop le dire, que ce combat est malvenu. Le seul fait que ces gens peinent à trouver leurs mots est déjà, en soi, une victoire. Il y a dans ce pays un je-ne-sais-quoi de frétillant dans l’air qui rend plus difficile, sur ce coup-là, le reniement coutumier des fondamentaux de gauche tels que nous les avaient enseignés nos papas et nos mamans, parfois neuneus, souvent utiles. Entre autres, le refus des fanatismes religieux et d’un de leurs corollaires les plus constants : la volonté d’abaisser publiquement les femmes. De la décroissance à la délinquance, on a connu les starlettes du PS, du PC ou du NPA plus hardies à retourner notre doxa comme une crêpe Suzette.

[access capability= »lire_inedits »]Cette difficulté qu’éprouve la gauche légale à entonner tout de go la même chanson que les barbus – ce qu’elle a su faire sans états d’âme majeurs au moment de Gaza –, doit être tout d’abord portée au crédit politique d’André Gerin. Sa manœuvre est un mélange réjouissant de pragmatisme léniniste et de bons sens français.

De Vladimir Ilitch, il a retenu le dédain pour le maximalisme verbeux et la recherche obstinée, façon Giap, du maillon le plus faible dans le dispositif adverse, d’où le ciblage de la burqa plutôt que du tchador et, a fortiori, du voile ou de l’islamisme en général.

Du bon sens, il en fallait pour faire vivre l’idée qu’une petite avancée vaut mieux qu’une héroïque déculottée. Pas de splendide projet de loi mort-né, pas de pétition grandiloquente en appelant aux mânes de Voltaire et d’Hugo. Rien que des parlementaires – et des deux camps, en plus ! − qui disent qu’ils veulent juste en savoir plus et demandent une banale commission d’enquête.

Rien qu’une petite commission d’enquête. Pas de « On veut dénoncer ! », habituel prélude tartarinesque à un « On va voir ce qu’on ne va pas voir… », mais un minuscule « On veut savoir, s’il vous plaît… » Pas de quoi réveiller les morts, donc. Eh bien si. Et même quelques vivants, parmi lesquels le président de la République, obligé de marquer le coup à Versailles. Il y a critiqué la burqa dans des termes fort peu oulémo-compatibles, tout en préservant l’essentiel en se gardant bien de formuler l’ombre d’une proposition concrète : bref, il a choisi l’option exactement inverse à celle de Gerin. Et c’est normal : sur cette affaire, le président est, autant que tous les autres présidentiables, dans le camp adverse, tous craignant bien trop fort d’être stigmatisés comme islamophobes quand 2012 aura sonné.

Comme nous l’avons déjà écrit, il n’y aura donc pas de sitôt une loi anti-burqa. Ni même peut-être de débat parlementaire ou de véritable commission d’enquête. Mais on s’en fout ! L’essentiel est ailleurs, est énorme, et est déjà acté : il y a eu un débat public et populaire sur la question, que personne ne peut plus endiguer d’autorité en arguant qu’on n’a pas le droit de parler comme ça, ni même de parler de ça. Le Camp du Bien l’a pris là où ça fait mal, et ça nous fait du bien. Un débat sur les questions « sociétales » où la parole se libère, ou le réel s’échappe de nos cénacles de mal-pensants et se promène à poil dans la rue, c’était, depuis des lustres, du jamais vu. Et Le Monde peut bien balancer ses fatwas, il ne fait plus peur qu’à lui-même et nous fait rigoler au passage avec son édito du 27 juin : « Au nom de quel argument ou de quel principe interdire à des femmes majeures une tenue vestimentaire, quelle qu’elle soit, dans l’espace public, sauf à confondre le législateur français avec une assemblée d’oulémas ? (…) Sauf à imaginer une détestable ou ridicule police des mœurs, comment appliquer une telle interdiction, si le choix en était fait ? Beaucoup plaident avec énergie pour un islam moderne et tolérant. Ils ont raison. Il faut convaincre plutôt que légiférer. »

Le vrai cri de détresse du Monde et de quelques autres consiste à nous accuser de vouloir faire la police, parce que, cette fois-là, on ne les a pas laissé faire la police. Comme l’écrivait il y a six mois Elisabeth la prophétesse, ça craque dans le Camp du Bien, champagne ! D’ailleurs, tant qu’à faire, nous préférons la police des mœurs à celle de la pensée. Des mœurs policées, c’est-à-dire civilisées, vous trouvez ça ringard ?

Ce débat − certains diront ce déballage − en appelle d’autres. Vous en voulez, des sujets qui fâchent ? Y’a qu’à se baisser. Par exemple, si au lieu de se planquer derrière de louables questions de bioéthique, on causait vraiment de la question de l’homoparentalité et de l’adoption par des couples de même sexe ? Pareil, allez hop, la drogue, le shit, l’herbe quoi ! Et puis aussi les embryons congelés contre leur gré, les petits vieux qu’on veut forcer à mourir dans la dignité. Sans oublier la régularisation des sans-papiers. Depuis toujours, on se planque derrière le droit, supposé irréfragable, des migrants à s’installer où ils veulent et où ils peuvent. Si on commençait simplement à parler du vrai sujet, c’est-à-dire du regroupement familial, si on demandait simplement des chiffres fiables, si l’on s’interrogeait, sereinement, quant aux conséquences sur l’école, les quartiers et tutti quanti ?

On n’est pas méchants, on veut juste savoir…. Faut pas nous lancer, parce que des idées façon Gerin, on va en trouver. À nous d’être non seulement obstinés, mais aussi modestes et malins.[/access]

Cours du soir à l’Élysée

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Littérature

Littérature

Vous n’êtes pas au courant de la dernière nouvelle du mois ? Bien sûr que si. Tout le monde en parle et il faut avoir un pied-à-terre aux Kerguelen pour ignorer l’affaire : Carla fait l’éducation de Chouchou. Entendez par là que la première dame de France s’est mis martel en tête d’ouvrir l’esprit de son président de mari à ces futilités que l’on appelle beaux-arts, musique ou littérature.

Et ça marche ! Nicolas Sarkozy est sortable dans les dîners en ville. L’autre jour, à l’Elysée, il avait réuni ses conseillers les plus proches pour bosser sur le speech qu’il devait prononcer à Versailles. À peine Henri Guaino était-il sorti du bureau pour gratter de la copie que le président s’enthousiasmait en live pour Certains l’aiment chaud.

[access capability= »lire_inedits »]Méfions-nous des femmes ! Deux millénaires ou presque d’histoire politique française nous enseignent que leur influence surpasse toujours celle d’un Parlement. Qu’on songe à sainte Clotilde qui manœuvra si adroitement que Clovis inclina son chef devant l’évêque Remi pour se faire chrétien. Et je ne parle même pas de Marie ni de Catherine de Médicis, ni de Berthe aux grands pieds qui gouverna Pépin le Bref sans que ce dernier fût fétichiste.

Donc, Carla Bruni fait aujourd’hui œuvre de salubrité publique en hissant son mari à un niveau culturel décent et en lui faisant rattraper le retard que la conquête obstinée du pouvoir lui aura fait prendre. En 2007, Nicolas Sarkozy était un excellent candidat ; en 2012, il fera un excellent président.

Certes, il y a du boulot. Le soir, Carla lui lit de la littérature. Et rien que de la bonne. Nicolas s’extasie. Il prend des notes et ce sont elles que nous nous sommes procurés en exclusivité :

« Ils ont des Rolex, mais ils n’ont pas de poignet. » (Charles Péguy)

« Casse-toi toi-même. » (Socrate)

« Dessine moi un Fillon. » (Antoine de Saint-Exupéry)

« La propriété, c’est du bol. » (Joseph Proudhon)

« Qu’est-ce que l’homme dans la nature? Un néant à l’égard de Johnny, un tout à l’égard de Guéant…. » (Blaise Pascal)

« Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, et Guaino arrive pour l’écrire aisément. » (Nicolas Boileau)

« Le socialisme, c’est les défaites plus les RTT. » (Lénine)

« L’œil était dans la tombe et regardait Villepin. » (Victor Hugo)

« La première fois qu’Aurélien vit Bérénice, il la trouva facilement. » (Louis Aragon)

« Le loup est un loup pour l’homme. » (Plaute)

« Chassez Sabine Paturel, et faites revenir Max Gallo. » (Virgile)

« Soyez réalistes, demandez le programme. » (Ernesto Che Guevara)

 » Wo Es war, soll Ich werden. Si Angela Merkel est là, je dois venir lui faire la bise. » (Sigmund Freud)

« Littérature : occupation des oisifs. » (Gustave Flaubert)
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Very Cluses Friends

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Défilé du 14 juillet
Le 14 juillet, Luc Rosenzweig ne se défilera pas. Direction Cluses !
Défilé du 14 juillet
Le 14 juillet, Luc Rosenzweig ne se défilera pas. Direction Cluses !

Il est grand temps de choisir le spot le plus tendance pour fêter le 14-Juillet. Bien sûr, le nec plus ultra est une place dans la tribune présidentielle de la place de la Concorde, au plus près de Nico et de Carla pour voir et complimenter l’armée française. À moins d’être le sosie de l’un des chefs d’État invités cette année, et de l’avoir fait boire plus que de raison, la veille, au bar du Crillon pour qu’il ne se réveille pas à temps, c’est mission impossible.

[access capability= »lire_inedits »]La garden-party de l’Elysée ? Quelle horreur ! Même le petit personnel à moins de 1 500 euros par mois est convié à se goinfrer autour d’un buffet plus que moyen.

On peut, à la rigueur, se faire voir dans la cour de l’archevêché, à Aix-en-Provence, où sera donnée, ce soir-là, une représentation de l’immense Orphée aux enfers de Jacques Offenbach, avec la Camerata de Salzbourg : le prix des places, entre 150 et 200 euros, est de nature à effectuer une sélection relativement satisfaisante de vos voisins de fauteuil.

Mais pour écarter définitivement le danger de passer pour le dernier des ploucs et se retrouver entre exclusive people, c’est vers ma Haute-Savoie qu’il faut se diriger. Plus précisément vers la petite ville de Cluses, que l’on trouvera facilement à l’aide de Google Earth (attention, ne pas confondre avec La Cluse, ou La Clusaz, sinon retour à la case plouc !). Le comité des fêtes de cette sympathique cité a organisé un concert appelé à devenir culte : le 14 juillet 2009, à 20 h 30, au Parvis des Esserts, se produiront Frank Alamo (waouh !), Pascal Danel (je meurs !) et Patrick Topaloff (‘tain !). Biche, ô ma biche…, Kilimandjaro…, J’ai bien mangé, j’ai bien bu….

Capito ? Alors motus, on ne le dit qu’aux amis, et encore ![/access]

Desperates pédégères

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Nous avons un problème, annonce Brigitte Grésy, inspectrice générale des affaires sociales : les femmes sont largement sous-représentées dans les instances dirigeantes des grandes entreprises. Ainsi en 2009, les conseils d’administration du CAC 40 comptaient seulement 10,5 % de femmes. Si on élargit l’échantillon pour inclure non pas seulement les 40, mais les 500 premières sociétés françaises, la part des femmes tombe à 8 %. Pire encore, 60 % de ces entreprises sont carrément des usines à testostérone, dirigées par un conseil d’administration exclusivement masculin.

Dans un rapport sur l’égalité professionnelle remis hier au gouvernement, l’inspectrice ne se contente pas de dénoncer, elle propose un remède : appliquer en France le système norvégien. Des femmes nous voulons et des femmes nous aurons, dussions-nous employer la manière forte (je me demande même si la perspective de pouvoir sanctionner, réprimer, dénoncer ne stimule pas autant les ardeurs paritaristes que le légitime souci d’égalité).

Pour briser le « plafond de verre » qui empêche les femmes d’accéder aux responsabilités dites entrepreneuriales, le gouvernement norvégien a imposé en 2004 des quotas de 40 % de femmes dans les conseils d’administration des entreprises publiques, puis deux ans plus tard, a étendu aux sociétés cotées cette discrimination positive en faveur des issues du chromosome XX.

Le problème est que si le système norvégien semble parfaitement moral, il est redoutablement mal adapté à la France. Certes, il est plus facile de compter les femmes que les « divers ». Reste qu’ici le seul critère légitime est la situation sociale et non pas la couleur de la peau, le pays d’origine, la religion ou le sexe. Le seul remède possible est donc celui qui a été testé avec tant de succès par l’éducation nationale, la justice et la santé : pour féminiser une profession, il suffit de proposer des emplois du temps compatibles avec une vie de famille et surtout d’en détourner ces messieurs grâce à des salaires nettement moins élevés que les autres emplois « bac + 6 » du marché.

Il faut dire que cette solution présente un autre avantage. Puisque tout le monde est d’accord sur la nécessité de limiter les rémunérations des patrons, divisons-les par 10, ou même par 100 pour les plus élevées. Un petit effort dans ce sens et je parie ma paye contre celle de Laurence Parisot que, dans moins d’une décennie, les conseils d’administration du CAC 40 ressembleront à s’y méprendre aux salles de profs.

Grippe porcine, attrapez-la avant tout le monde !

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C’est la dernière livraison du très sérieux The Independendant on Sunday qui nous l’apprend : on voit se multiplier partout sur le territoire britannique des Swine Flu Parties, en VF des surboums à grippe porcine, où un invité qui l’a déjà attrapé contamine tous les autres. Même si nos confrères ne le précisent pas, on n’imagine bien que ce partage viral doit ce faire avec force french kiss, mais ce n’est pas le seul but de la manœuvre. Et contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce n’est pas non plus par pulsion morbide que les ados se ruent à ces surpats, bien au contraire : il s’agit d’après eux d’attraper le H1N1 en plein été, et d’être soignés puis immunisés sans attendre le pic épidémique de l’automne ou de l’hiver prochain quand les hôpitaux refuseront du monde et que les stocks de Tamiflu seront épuisés. Qui a dit que les jeunes étaient idiots ?

L’armée avec nous !

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Pour les Causeurs qui désirent une saine rasade de littérature subversive pour l’été, sachez que vous ne trouverez pas la critique la plus virulente de notre société néolibérale mise à mal par les coups de boutoirs d’une crise qu’on espère terminale dans Le Monde Diplomatique ou Politis.

Prévenons tout de suite que le choc risque d’être rude pour ceux qui plaçaient dans l’armée leur dernier espoir pour réduire la chienlit des banlieues et des ouvriers séquestreurs. Il semblerait que celle-ci, si elle devait bouger, s’oriente davantage vers une solution à la portugaise, genre 25 avril 1974, quand une poignée de capitaines cultivés ont renversé en quelques jours et sans violence un régime à peine plus exténué que le nôtre.

En effet, ainsi que nous le signale le blogueur le mieux renseigné de France sur les affaires militaires, Jean-Dominique Merchet, c’est dans la très jugulaire-jugulaire Revue de la défense nationale que l’on peut lire cette critique d’un des best-sellers de la saison : « La solution décrite est tout aussi critiquable que la société actuelle (…) Ne pas partager les solutions esquissées dans le livre est une chose. Mais on ne peut constater combien celui-ci met en évidence le profond malaise qui règne en France. Les Français traversent indubitablement une crise qui n’est pas seulement économique et sociale mais qui est avant tout une crise de la morale. On a oublié l’homme et privilégié le profit. C’est aussi une crise du sens. (…) Refonder le contrat social et moral paraît d’autant plus nécessaire que passé un point de non-retour, le sentiment d’injustice se fait trop criant et plus aucun type de légitimité ne peut être trouvé.»

Nous pourrions, dans l’un de ces jeux d’été qui ne vont pas tarder à fleurir dans les magazines de plages en même temps que les jolies filles en bikinis sortant du bain, inviter nos amis Causeurs à trouver de quel livre il s’agit. Mais il faut que certains, ici, sachent l’effroyable vérité et, comme il était écrit au fronton de l’Enfer de Dante, abandonnent tout espérance.

Il s’agit de L’Insurrection qui vient.

Vous savez, ce texte insignifiant, mal écrit, qui raconte n’importe quoi tout en servant, dans une contradiction assez croquignolette de preuve à charge pour maintenir son présumé auteur six mois en prison.

Et l’article est signé d’une commissaire à l’Armée de Terre.

Tout fout le camp, moi je vous le dis, tout fout le camp.

Les grands chantiers du Président

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A quoi pense le président Sarkozy quand il se rase chaque matin ? Au second tour de 2012, bien sûr. La question du premier tour, elle, est pliée d’avance depuis déjà deux ans, faute de concurrent crédible à droite (je ne dis pas ça pour me moquer de DDV ou de Copé, mais un peu quand même). Le deuxième tour, comme je l’ai écrit ici avec Aimée Joubert, semble déjà largement gagné d’avance. Mais le président est d’un naturel anxieux et méticuleux. Quand on fait ce métier, c’est un vrai plus.

D’où sa volonté de blinder sa réélection, en ne comptant pas uniquement sur le trop-plein de candidats à gauche ni sur son trop-vide d’idées.

Et le président à raison de ne pas faire comme si la gauche était définitivement hors-course: certes, nombre de quadras du PS jouent, et on peut les comprendre, la défaite en rase campagne en 2012 pour mieux se placer pour 2017. Ce faisant, ils choisissent de faire exploser le PS dans sa forme actuelle, et renvoient pour de bon à l’hospice Titine et les icônes résiduelles du mitterrando-jospinisme (Ségolène, Delanoé, Fabius, Buffet etc). Mais ils prennent aussi le risque d’ouvrir un boulevard à d’autres concurrents non démonétisés et aptes à occuper le terrain dès la prochaine présidentielle (par exemple, et dans trois registres différents, Valls, Hamon ou Mélenchon). La gauche n’est non pas tout à fait sortie de la photo, elle le sera encore moins avec un candidat populaire et populiste, décidé à jouer la gauche réelle contre la gauche légale, bref à contourner les appareils par le bas, comme l’ont si bien fait en leur temps Mitterrand… et Sarkozy.

Le premier chantier du président consiste donc à détacher de la gauche une partie de son électorat. L’ouverture ne sera bien sûr pas la solution. Hier Kouchner et Bockel, demain Lang et Allègre, so what ? On est dans les opérations de prestige et de démoralisation de l’adversaire, mais tous ça ne chiffre pas beaucoup de divisions. L’ouverture politique ne fera pas bouger les lignes dans l’électorat, en revanche, l’ouverture sociologique peut le fire, et d’ailleurs, elle l’a déjà fait il y a deux ans, quand l’actuel président a marqué des points dans l’électorat ouvrier en se présentant comme le candidat de la feuille de paye.

Le problème, c’est qu’on aura du mal à rejouer sans rire le même film au prochain rendez-vous (d’autant plus que Chirac avait déjà fait le même bon gag en 95 avec la fracture sociale). Exit donc, les prolos et les fonctionnaires, qui revoteront à gauche ou resteront chez eux. Restent donc, parmi les populations traditionnellement liées à la gauche, les artistes, qu’on a su choyer avec Hadopi mais qui ne pèsent pas lourd dans l’isoloir. Restent aussi les gays, La droite ne ménage pas sa peine, mais la réconciliation prendra probablement du temps, pour cause de hiatus culturel profond.

En revanche, il existe, à gauche un vivier de voix que le président est bien décidé à plumer : les Français, et notamment les jeunes, issus de l’immigration, et pour parler plus clair, ceux qui se définissent comme noirs ou comme arabes , ou encore comme musulmans ( religion dont sont issus l’immense majorité des franco-africains). Les sondeurs ayant des pudeurs que les policiers n’ont pas, on sait peu de choses sur le vote des musulmans en France. Sauf une: il votent très majoritairement socialiste, la gauche de la gauche étant perçue comme impie, et la droite comme structurellement hostile aux immigrés.

C’est cette perception que le président est décidé à faire bouger, et il a commencé à le faire : il n’y aura plus jamais de gouvernement Sarkozy sans noir ou arabe, et ceux-ci seront toujours ostensiblement, comme Rama ou Fadala, issus des banlieues ou semblant l’être. Le président fait le pari que la jeunesse diverse se contrefiche des idéologies et se sent plus proche, du style sarkozyste (Rolex, baskets , gros mots, Rayban, jogging, soirées DVD et jolies femmes) que de la vulgate socialiste, parti des profs et fonctionnaires honnis.

Le malentendu, bien réel, entre la droite et la diversité est essentiellement mythologique ou archéologique (guerres coloniales, parti des riches, imputations d’islamophobie ou de judéophilie etc), le président pense qu’a force de travail et d’effets d’annonces aussi visibles que les minorités éponymes, il peut remettre les cadrans à zéro. C’est bien pourquoi il n’y aura jamais de loi sur la burqa, et que les juifs de France, qui ont voté en masse pour Sarkozy en pensant qu’il était structurellement ami d’Israël risquent de déchanter, tant pis pour eux, ils n’avaient qu’à être cinq millions.

C’est bien pourquoi, on continuera d’aller vers la discrimination positive, en prenant bien soin, cette fois, de dire qu’il s’agit d’une politique sociale et pas raciale, et en prenant bien soin aussi que ses bénéficiaires comprennent que c’est exactement la même chose, mais en plus présentable -de la même façon que le ministère de la Ville ne s’est jamais appelé ministère des banlieues pourries.

En 2007, 80 % des Français se définissant comme musulmans ont voté PS dès le premier tour. Ramener ce chiffre à 50 % est un objectif réaliste, il sera d’autant plus facilement à portée de main si on met en orbite un candidat ethnique apte à bâcher la gauche au premier tour et sarkocompatible au second tour.

Fadela, tu fais quoi en 2012 ?

Daltonisme aggravé aux USA

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Depuis l’annonce du décès du « roi de la pop », nous avons eu droit à tout. L’enfance de la star, ses talents, sa carrière et ses nombreuses interventions de chirurgie esthétique. Sans parler de l’annulation de tous les JT hier soir pour cause d’hommage mondial. On aura parlé de tout dans le détail, sauf de l’elephant in the room, ses rapports avec son identité, sa « négritude ». On peut, certes, dire que celui qui a été appelé par son père « gros nez » cherchait d’abord à régler des comptes avec son géniteur. Mais Michael Jackson est allé beaucoup plus loin avec son défrisage, sa dépigmentation et sa célèbre veste de groom. Le Benjamin des Jackson Five a rejeté non seulement sa filiation directe mais carrément sa « race ». Dans toute cette affaire le phénomène le plus intrigant restera donc la réaction de la communauté noire américaine, Jesse Jackson en tête, vis-à-vis de celui qui a tout fait pour se détacher physiquement d’elle. Ironie du sort, celui qui ne voulait pas être ni Jackson ni black a été rattrapé par ces deux appartenances. Identité, quand tu nous tiens…

Et si Ahmadinejad avait gagné pour de bon ?

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Et si Ahmadinejad avait bel et bien gagné l’élection présidentielle en Iran ? Et si Mir Hossein Moussavi était en fait un mauvais perdant qui a calomnié le gagnant en l’accusant de fraude ? La réponse est simple : peu importe aujourd’hui le vrai résultat, ces élections et leurs suites dans la rue ne s’inscrivent plus dans le registre de la légalité. Le pays réel s’est affranchi du pays légal. C’est bien là le cœur de l’affaire : même si le régime arrivait à prouver qu’aucune fraude massive n’a eu lieu, aux yeux de beaucoup d’Iraniens, il a perdu le plus précieux : sa légitimité à gouverner.

Du point de vue du régime, le scénario d’une victoire honnête dans les urnes refusée par le peuple est encore pire que celui de la fraude. Dans le cas d’une tricherie, les dégâts sont certes considérables mais l’essentiel peut être sauvé. Il suffirait de sacrifier Ahmadinejad et quelques hauts fonctionnaires, d’afficher une consternation de bon ton et de faire toutes les déclarations et promesses d’usage, moyennant quoi on pourrait dire – et peut être même faire croire – que le roi est bon mais mal conseillé. En revanche, s’il s’avère que le peuple iranien – ou ceux qui se font passer pour ses authentiques représentants – s’obstine à rejeter les résultats des élections légales, c’est la rupture et l’instauration d’une situation révolutionnaire, car c’est le roi lui-même qui est en cause et, avec lui, la monarchie.

Les manifestations en Iran témoignent d’abord d’un gigantesque ras-le-bol. Pour de nombreux Iraniens, le régime a choisi d’ignorer la réalité en rompant le contrat qui leur permettait de trouver de petits arrangements conciliant les grands principes de la révolution islamique avec l’évolution des mœurs de la société. Pour la génération qui n’a connu ni le Chah ni la guerre, la révolution n’est pas une expérience personnelle, un souvenir de jeunesse héroïque mais un ensemble de slogans et d’institutions vieillissantes. L’élan et l’enthousiasme de ces moments où tout semblait possible ont été remplacés – rien de plus normal – par des structures bureaucratiques.

Face à cette situation, le régime a choisi de réagir par une sorte de révolution culturelle, une fuite en avant déguisée en retour aux sources. Pendant la quinzaine d’années qui ont passé depuis la fin de la guerre avec l’Irak et la mort de Khomeiny, le régime a su faire la part des choses entre les slogans et la réalité, entre ce qui est imprimé sur les calicots et le comportement des gens. Pour prendre un exemple estival, il a toléré que les gens fassent ce que tout le monde fait discrètement dans la piscine, à condition de ne pas le faire du haut du plongeoir. Avec l’élection d’Ahmadinejad, c’est machine arrière, retour à l’an II : la population doit être rééduquée pour retrouver la pureté de la jeunesse de la révolution islamique, afin que celle-ci trouve un deuxième souffle.

Le principal rival d’Ahmadinejad et ses partisans voulaient remettre en cause 2004 et non pas 1979. En choisissant le vert comme couleur et « Allah o Akhbar ! » comme cri de guerre, ils ont exprimé une volonté de revenir à un statu quo ante Ahmadinejad plus souple. Bref, au lieu d’accompagner le changement, le régime a choisi de s’y opposer. La meilleure mise en garde contre une telle politique nous a été donnée par Thucydide dans les chapitres de La Guerre du Péloponnèse consacrées à la crise à Kerkyra (aujourd’hui Corfou). Le régime de cette île, qui refusait tout changement ou compromis avec la population, avait provoqué ainsi un phénomène que l’historien athénien appelle « stasis », terme dérivé d’une racine signifiant « rester en place, ne pas bouger », désignait à l’époque la crise engendrée par une telle politique. À nos lecteurs, Khamenei et Ahmadinejad, je signale que ce terme est traduit en français par « révolution ».