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Et si Ahmadinejad avait gagné pour de bon ?


Et si Ahmadinejad avait gagné pour de bon ?

Et si Ahmadinejad avait bel et bien gagné l’élection présidentielle en Iran ? Et si Mir Hossein Moussavi était en fait un mauvais perdant qui a calomnié le gagnant en l’accusant de fraude ? La réponse est simple : peu importe aujourd’hui le vrai résultat, ces élections et leurs suites dans la rue ne s’inscrivent plus dans le registre de la légalité. Le pays réel s’est affranchi du pays légal. C’est bien là le cœur de l’affaire : même si le régime arrivait à prouver qu’aucune fraude massive n’a eu lieu, aux yeux de beaucoup d’Iraniens, il a perdu le plus précieux : sa légitimité à gouverner.

Du point de vue du régime, le scénario d’une victoire honnête dans les urnes refusée par le peuple est encore pire que celui de la fraude. Dans le cas d’une tricherie, les dégâts sont certes considérables mais l’essentiel peut être sauvé. Il suffirait de sacrifier Ahmadinejad et quelques hauts fonctionnaires, d’afficher une consternation de bon ton et de faire toutes les déclarations et promesses d’usage, moyennant quoi on pourrait dire – et peut être même faire croire – que le roi est bon mais mal conseillé. En revanche, s’il s’avère que le peuple iranien – ou ceux qui se font passer pour ses authentiques représentants – s’obstine à rejeter les résultats des élections légales, c’est la rupture et l’instauration d’une situation révolutionnaire, car c’est le roi lui-même qui est en cause et, avec lui, la monarchie.

Les manifestations en Iran témoignent d’abord d’un gigantesque ras-le-bol. Pour de nombreux Iraniens, le régime a choisi d’ignorer la réalité en rompant le contrat qui leur permettait de trouver de petits arrangements conciliant les grands principes de la révolution islamique avec l’évolution des mœurs de la société. Pour la génération qui n’a connu ni le Chah ni la guerre, la révolution n’est pas une expérience personnelle, un souvenir de jeunesse héroïque mais un ensemble de slogans et d’institutions vieillissantes. L’élan et l’enthousiasme de ces moments où tout semblait possible ont été remplacés – rien de plus normal – par des structures bureaucratiques.

Face à cette situation, le régime a choisi de réagir par une sorte de révolution culturelle, une fuite en avant déguisée en retour aux sources. Pendant la quinzaine d’années qui ont passé depuis la fin de la guerre avec l’Irak et la mort de Khomeiny, le régime a su faire la part des choses entre les slogans et la réalité, entre ce qui est imprimé sur les calicots et le comportement des gens. Pour prendre un exemple estival, il a toléré que les gens fassent ce que tout le monde fait discrètement dans la piscine, à condition de ne pas le faire du haut du plongeoir. Avec l’élection d’Ahmadinejad, c’est machine arrière, retour à l’an II : la population doit être rééduquée pour retrouver la pureté de la jeunesse de la révolution islamique, afin que celle-ci trouve un deuxième souffle.

Le principal rival d’Ahmadinejad et ses partisans voulaient remettre en cause 2004 et non pas 1979. En choisissant le vert comme couleur et « Allah o Akhbar ! » comme cri de guerre, ils ont exprimé une volonté de revenir à un statu quo ante Ahmadinejad plus souple. Bref, au lieu d’accompagner le changement, le régime a choisi de s’y opposer. La meilleure mise en garde contre une telle politique nous a été donnée par Thucydide dans les chapitres de La Guerre du Péloponnèse consacrées à la crise à Kerkyra (aujourd’hui Corfou). Le régime de cette île, qui refusait tout changement ou compromis avec la population, avait provoqué ainsi un phénomène que l’historien athénien appelle « stasis », terme dérivé d’une racine signifiant « rester en place, ne pas bouger », désignait à l’époque la crise engendrée par une telle politique. À nos lecteurs, Khamenei et Ahmadinejad, je signale que ce terme est traduit en français par « révolution ».



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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