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La copine de Cassidy est revenue


La copine de Cassidy est revenue

Dans le monde plutôt encombré du polar en librairie, il nous faut signaler les éditions Moisson Rouge. Dès le choix du nom, on sent le goût des amateurs éclairés et, en l’occurrence de l’amatrice éclairée, Judith Vernant, qui assure depuis dix huit mois bientôt une direction littéraire audacieuse, de cette audace joyeuse des chevau-légers qui savent se faufiler avec grâce et virtuosité entre les régiments de cavalerie lourde des maisons historiques, Rivages, la Série Noire ou Le Masque. Moisson Rouge, donc, a été baptisée ainsi en hommage à celui qui est reconnu, avec ce titre, comme le fondateur du roman noir moderne, autour de 1929, l’année terrible, à savoir le grand Dashiell Hammett[1. Moisson Rouge de Hammett vient de ressortir dans une nouvelle traduction à la Série Noire. Les lecteurs du mensuel Causeur de juin en auront entendu parler par votre serviteur.].

Cette maison, qui nous à fait découvrir Nathan Singer et Carlos Salem, nous propose pour l’été une réédition, Cassidy’s Girl de David Goodis, préfacé par James Sallis[2. C’est une préface inédite. Et James Sallis est non indispensable de la littérature noire et de la littérature tout court aujourd’hui. Il est publié chez Gallimard. On vous conseillera de commencer par La mort aura tes yeux (Gallimard/La Noire).]

David Goodis fait partie de la génération des Jim Thompson, des Charles Williams, des Willima Irish ou encore du trop oublié Mickey Spillane dont l’anticommunisme délirant de son héros, le célèbre privé Mike Hammer, ne l’a pas empêché de donner à la narration noire une manière de violence crue et décomplexée qui n’a pas trompé Budd Boetticher quand celui-ci adapta Kiss me Deadly en 1955, un des chefs-d’œuvre du film noirs, de ceux qui nous faisaient rester à des heures impossibles, (c’était avant le câble), à regarder le Ciné-club de la 3 alors qu’une version latine nous attendait, et dieu sait que nous aimions Salluste dont la Conjuration de Catilina est déjà un vrai roman noir à la Ellroy.

Mais revenons à Goodis.

Goodis, dans l’étrange taxinomie de l’histoire littéraire nationale, appartient à ces écrivains américains qui furent connus et appréciés, en France, et parfois même traduits, avant même que leur pays d’origine s’avise de leur existence. Goodis, mais aussi Chester Himes qui vivait grâce aux subsides de Marcel Duhamel, premier et mythique directeur de la « Série Noire », ou plus tard, Bukowski, et dans le domaine de la littérature d’anticipation, des écrivains comme K.Dick et Spinrad. Comme quoi, nul n’est prophète en son pays, surtout aux Etats-Unis d’Amérique où celui qui ne respecte pas le conseil donné par le père d’Edgar Poe à son fils : « Make money. Make money, my son, honestly if you can, but make money », se retrouve dans la peau d’un dissident infréquentable.

Goodis est un écrivain maudit et pousse cette définition jusqu’à l’archétype. Né en 1917 à Philadelphie, devenu journaliste, il écrit dès 1938 son premier roman Retreat from oblivion, récit d’apprentissages où tous les thèmes de la génération perdue des Fizgerald et des Hemingway se déploient sur fond d’événements internationaux et notamment celui qui fut l’exercice du grand partage dans les années trente du siècle précédent : la Guerre d’Espagne.

Comme la plupart des écrivains d’après-guerre, Goodis bosse comme scénariste et comme la plupart il se met à boire jusqu’à plus soif. Et puis on perd plus ou moins sa trace, à ce romantique du roman noir, et lui-même se perd de vue, finissant dans les cellules de dégrisement de Philly, mettant plusieurs jours à retrouver la mémoire. C’est le Nerval du roman noir, Goodis, obsédé par un monde onirique, celui d’une ville vue avec les yeux d’un enfant. Son Valois peuplé de filles de feu, c’est la Grande Ville et les femmes fatales. Il ne sait plus trop, Goodis, entre Cauchemars, La Nuit Tombe ou Les pieds dans les nuages, si la femme fatale est la brune ou si c’est la blonde au coin de la rue qui sauve, ou le contraire. Et on ne vous parle pas des rousses.

Cassidy’s Girl, que l’on pourra retrouver ici avec une belle couverture due au grand Romain Slocombe (photographe habituel de la maison de Judith Vernant) est l’un des romans les plus emblématiques de Goodis, et l’un des rares, d’ailleurs qui valut, pour une fois, quelque succès à ce seigneur de la scoumoune, en 1951

Le romantisme désespéré d’un homme, Cassidy, en est le principal moteur narratif. Il fut un pilote de guerre héroïque (vieux rêve goodisien, ses premiers récits pour des pulps sont des histoires d’aviateur), un grand joueur de foutebaule américain et, pour finir chauffeur de car mal marié à une vilaine fille.

Chez Goodis, c’est souvent votre propre femme, la femme fatale. Et la jolie ivrognesse rencontrée au bar Chez Lundy qui pourrait vous rédimer.

Comme quoi, Goodis était un romancier lucide malgré le réalisme fantastique urbain des quartiers excentrés où se déroulent les fatalités inévitables de ce Sophocle du bitume, quand on ne sait plus si le halo du réverbère est dû à une ingestion exagérée de gin ou à la brume qui monte du fleuve.

Et l’espoir, dans tout ça, et la vie ?
– Allez, vas-y, dit Cassidy, chante-moi ta petite sérénade.

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