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Surtout, n’approchez pas !

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Avant-hier innocente, hier démoniaque, je retombe aujourd’hui parmi la plèbe des gens en bonne santé.
Avant-hier innocente, hier démoniaque, je retombe aujourd’hui parmi la plèbe des gens en bonne santé.

Amateurs de sensations fortes, de films d’horreurs ou de scènes de réalité trash et sanglantes filmées au téléphone portable et diffusées sur la Toile, cet article est pour vous.

J’ose espérer qu’à partir de là plus personne ne lit.

Pour les deux pervers qui restent encore en ligne, je retranscris ici, sans commentaire ni jugement de valeurs petits bourgeois mon entretien avec une sériale killeuse (non pédophile cependant, on a sa fierté), ou plutôt son interminable introspection :

« Je sème sur mes pas la mort et la désolation, mon pouvoir est immense, mon souffle est dévastateur. Je connais la jouissance du partouzeur séropositif ou du kamikaze Al Qaïdesque au moment d’appuyer sur la détente. Ma métamorphose est récente, il y a quelques jours encore, j’étais une citoyenne lambda, puis tout a basculé. J’ai ressenti un léger mal de tête, suivi d’une poussée de température fulgurante (un incroyable 37°6), et d’un impitoyable éternuement suivi d’un deuxième… Mon destin était scellé ! J’étais l’une des actrices de la pandémie ! Et là, ma conscience m’a totalement fait défaut. Ai-je précipitamment interrompu mon face-à-face avec un client innocent pour lui sauver la vie ? Non. Ai-je fui dans un couvent ou le sanatorium le plus proche ? Non. Ai-je annulé mes rendez-vous ? Pas plus. Ai-je acheté les masques ? Vous connaissez la réponse. Ai-je contacté les autorités pour me dénoncer ? Je ne vous fais pas un dessin. Ai-je passé à l’alcool mes stylos et le bouton grande tasse de la machine à café (je ne fais pas de café petite tasse) ? Pas davantage. Ai-je arrêté de serrer la main de mes collaborateurs ? Oui évidemment ! Je poursuis avec passion ma nouvelle vocation de meurtrière, mais je ne vais quand même pas risquer de diminuer mes revenus en causant une série d’arrêts-maladie au sein de mon personnel !
Rien. Je n’ai rien fait pour épargner mon prochain. Et pourtant ! J’ai vécu cet enfer. Je sais ce qu’il risque ! Il lui faudra au moins un paquet de kleenex de poche et deux dolipranes pour venir à bout du fléau.
Mais déjà, à peine arrivée au sommet de ma puissance assassine, mes pouvoirs s’estompent un à un. Avant-hier innocente, hier démoniaque, je retombe aujourd’hui parmi la plèbe des gens en bonne santé. Aurais-je vécu dans l’illusion ? N’ai-je attrapé qu’un vulgaire rhume ? Cette pensée m’afflige en me remplissant d’espoir…. Si c’était le cas, j’aurais encore une chance de l’attraper, et de revivre ces moments d’extase où j’ai semé l’apocalypse ! Vivement la grippe aviaire ! Je suis la bombe humaine ! »

À ce moment-là, vous le comprendrez aisément, j’ai pris mes jambes à mon cou car elle a commencé à me regarder bizarrement, et, tous les chasseurs vous le diront, quand la bête fauve commence à vous regarder intensément, deux options : vous lui tirez une balle dans la tête ou vous courez vous mettre à l’abri. L’option une m’est apparue difficile a réaliser, n’étant armée que de mon bloc-notes et mon stylo, j’ai donc opté pour la fuite.

Partagée entre le besoin d’épargner de futures victimes et le devoir de protéger mes sources, je ne vous révèlerai qu’une partie de son identité, qui vous permettra si vous la croisez de fuir au plus vite. Son prénom est Dominique et elle a un nom de terroriste.

J’en profite pour faire mes adieux, j’ai réussi à obtenir un programme de relocalisation des témoins. Bonne chance à vous. Moi, je file.

Plutôt Stone que Moore

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moore

Prêcher des convaincus est sans doute intellectuellement la chose la plus stérile qui soit. On peut comprendre le besoin, surtout quand on est minoritaire, de se retrouver entre soi mais ne pas sortir du cercle condamne à la ratiocination inefficace.

Ce qu’on a appelé du nom si générique et flou d’altermondialisme et qui a redonné, dès le mitan des années 1990, un regain d’espoir à tous ceux qui ne se satisfaisaient pas du nouvel ordre mondial capitaliste et du présent perpétuel promis par Fukuyama après la chute du Mur, risque néanmoins à tout instant cette impasse théorique. En se limitant à des constats renouvelés de forums sociaux en forums sociaux, de contre-sommets du G8 en contre sommets comme celui, meurtrier, de Gênes en 2001, cette mouvance prend le risque de tourner en rond dans la nuit et de se brûler à son feu, pour paraphraser Debord qui savait que toute critique du Spectacle prend le risque d’être elle-même spectaculaire.

En son temps, déjà, Marcuse dans L’homme unidimensionnel avait lui aussi montré la capacité des sociétés capitalistes ou des démocraties bourgeoises, comme on voudra, à intégrer leur propre contestation en leur sein et à gérer ses marginaux comme fausse preuve de sa tolérance.

Michaël Moore et d’Oliver Stone, deux cinéastes américains, que l’on peut qualifier d’adversaire du système et dont verra prochainement les films, illustrent ce paradoxe. L’un d’entre eux a réussi à le surmonter, et pas celui qu’on croit.

Michaël Moore, anticapitaliste de choc, est de tous les bons combats. Avec sa dégaine de working class hero américain, son surpoids popu, il a successivement dénoncé les ravages de la restructuration du secteur automobile (Roger et moi), une société fondée sur la violence et le culte des armes à feu (Bowling for colombine), la présidence Bush (Farheneit 911), j’en passe et des meilleures et, tout récemment, à la Mostra de Venise, Capitalism : a love story, appelant à la destruction de l’économie de marché. Soyons honnête, le programme ne nous déplait pas.

Seulement voilà, Michael Moore, non seulement semble de plus en plus caricatural de film en film, non seulement il flirte avec un certain cynisme (les interviews du grand homme coûtent 2000 euros en moyenne) mais surtout, il ne convainc personne en dehors d’un public acquis, et encore il semblerait à voir les critiques dans les journaux que même ce public commence à s’apercevoir que les ficelles sont un peu grosses, et certains plans franchement obscènes quand caméra à l’épaule, on filme une expulsée en gros plan en la plaignant en voix off pour en rajouter.

Quitte à surprendre certains Causeurs, j’aime profondément l’Amérique et sa capacité à secréter ses propres anticorps quand elle va trop loin ou est sur le point de se renier et je n’aime pas, ou plus Michael Moore.

D’abord parce qu’il est inefficace : sa palme d’or très politique au festival de Cannes n’a pas empêché une réélection triomphale de Bush en 2004 et si la preuve du pudding, c’est qu’il se mange, comme disait Engels, alors Moore n’a rien cuisiné du tout ou un gâteau qui n’existe pas.

Il est intéressant de le comparer avec Oliver Stone, lui aussi présent à la Mostra de Venise pour un documentaire, South of the border, consacré à Chavez et montrant le décalage entre l’image donnée par les médias « foxisés » et la réalité du terrain. À Venise, il a même eu le droit à la visite du président bolivarien en tournée sur le Vieux continent.

Oliver Stone tourne en général des films commerciaux. On le lui reproche souvent. Et pourtant au bout du compte, il aura beaucoup plus fait, en adaptant les canons hollywoodiens, pour une critique intelligente de l’Amérique comme société capitaliste, parfois belliciste et impérialiste, que Moore avec son humour à deux balles.

Je manque peut-être de conscience politique ou de sérieux mais je me suis rendu compte pour la première fois de la mutation financière du capitalisme avec l’inoubliable Wall Street (1987) où Michael Douglas en trader annonçait ceux de Fanny Mae ou Freddy Mac. Un film comme Tueurs nés, que les fines bouches de la critique du Bloc Central avaient trouvé tellement complaisant, était la plus belle dénonciation de l’ultra-violence et de l’absence de repères d’une certaine jeunesse américaine. Et son biopic sur Nixon reste un monument difficilement dépassable sur les risques de dérive autoritaire à la Maison Blanche mais aussi les moyens de la combattre.

En fait, cette différence entre Moore et Stone, cette efficacité tellement plus durable, moins journalistique de Stone, sont dues au fait qu’il refuse l’idée d’avoir un public ou un auditoire conquis d’avance et qu’il n’a pas ce mépris intellectualiste pour la fiction.

Et finalement, cette honnêteté intellectuelle, cette modestie ouvrent non seulement la possibilité de débats mais aussi, encore plus importante, celle, qui sait, de convaincre.

Je vous remets un petit coup ?

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Connaissez-vous le Female Sexual Function Index ? Cette échelle très sérieuse, allant de 2 à 36, est utilisée par les médecins pour mesurer l’épanouissement sexuel de la femme, de l’excitation simple à la fréquence et l’intensité des orgasmes. Des chercheurs de l’université de Florence, sans doute lassés de tripoter des virus grippaux et de tester des vaccins, ont décidé de se changer les idées et d’interroger huit cents transalpines entre dix huit et cinquante ans. Les résultats sont sans appel : tout âge confondu, les femmes buvant plus de deux verres de vin par jour atteignent une moyenne de 27,3 sur l’échelle du FSFI. On descend à 25,9 pour les petites joueuses qui refusent de rhabiller les orphelins et se contentent d’un seul gorgeon quotidien. Quant aux abstèmes en jupons, le score devient digne d’une équipe de Ligue 1 reléguable. Montaigne disait que c’était « la boiteuse qui le faisait le mieux ». On peut désormais penser, même si on s’en doutait un peu, que la buveuse n’a rien à lui envier.

Moyen-Orient : la Grande Porte rentre par la petite

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ankara

Ankara revient aujourd’hui en force là où Constantinople avait été pourchassé en 1918. Le ci-devant « homme malade de l’Europe » est un acteur majeur dans ce qui formait jadis les possessions de l’Empire ottoman, devenues depuis « le monde arabe ». Il est vrai que les divisions et tensions dans la région offrent à la Turquie des occasions d’avancer ses potions comme le montre la toute récente crise irako-syrienne.

Tout a commencé avec l’attentat du 19 août qui a tué une centaine de personnes à Bagdad. Les Irakiens soupçonnent deux membres du parti Baas, l’ancien parti de Saddam Hussein, de l’avoir commandité depuis la Syrie où ils se seraient alliés avec des membres d’Al-Qaïda. Or, la veille, le Premier ministre irakien Nouri al-Maliki avait passé la journée à Damas, justement pour évoquer avec les dirigeants syriens le problème des infiltrations de terroristes à travers leur frontière commune. Parfaitement conscient que les bonnes manières de Damas ne sont pas gratuites, al-Maliki avait amené non seulement son ministre de la Sécurité mais aussi celui du Pétrole.
Quand moins de 24 heures plus tard, les Irakiens découvrent que l’attentat qui visait les ministères des Affaires étrangères et des Finances porte une signature syrienne, ils n’apprécient guère. Al-Maliki, furieux, demande au président syrien l’extradition des deux commanditaires présumés.

Assad ne peut guère s’y opposer sur le principe. Mais il exige des preuves. « Lorsque les accusations ne reposent sur aucune preuve, cela veut dire qu’elles sont irrecevables au regard de la loi », déclare-t-il à la presse. C’est bien normal : depuis son intervention dans l’affaire Clotilde Reiss, son combat pour la présomption d’innocence est de notoriété publique. Les Irakiens se trouvent donc dans la même situation que les Libanais depuis l’assassinat de Rafiq Hariri car un Syrien qui vous demande des preuves, c’est comme un Chinois qui dit « oui »: dans les deux cas, il s’agit d’une manière polie de vous envoyer paître.

Mais l’Irak n’est pas le Liban, et le 25 août Bagdad rappelle son ambassadeur à Damas. Les Syriens répliquent dans la journée en faisant de même. Depuis, les autorités irakiennes qui ont présenté une vidéo d’un jeune Saoudien déclarant appartenir à Al-Qaïda et avoir été entraîné par les services de renseignements syriens exigent un tribunal international et entendent trainer Damas dans une affaire Hariri-2. Bref, en quelques jours, les relations entre la Syrie et l’Irak, qui n’ont jamais été cordiales – l’armée syrienne a participé à la guerre contre Saddam Hussein en 1991 – sont devenues exécrables.

Normalement, ce genre de crise est géré en famille. Cette fois-ci, les capitales arabes et la Ligue du même métal se sont contentées de déclarer qu’il s’agissait d’un conflit « interne » entre les deux parties qui ne nécessitait pas d’intervention extérieure. La tension entre Damas et Bagdad aurait, en vérité, exigé une intervention d’urgence, sauf que personne dans le monde arabe n’est capable de la mener. Les relations entre Moubarak et Assad sont tendues à cause de l’alliance de ce dernier avec l’Iran et de son soutien au Hamas et au Hezbollah, trois ennemis stratégiques du Caire. Les Saoudiens n’ont pas non plus digéré le nouvel Irak, où les chiites jouent un rôle prééminent et dont le premier personnage de l’Etat est membre de cette communauté. Pas question pour Ryad de se porter au secours d’une succursale de l’Iran. Les autres candidats ne sont pas de taille.

Ankara s’est engouffré dans cette faille pour s’imposer comme intermédiaire. Pour ce faire, les Turcs disposent d’un levier de taille : ils tiennent les vannes de l’Euphrate, puisque le grand fleuve mésopotamien naît chez eux avant de traverser la Syrie et Irak. Et justement, il était prévu que les ministres compétents des trois pays riverains se réunissent à Ankara le 3 septembre… Voilà pourquoi depuis une grosse semaine, Ahmet Davutoglu, le ministre turc des Affaires étrangères, fait la navette entre Bagdad et Damas avec escale au Caire pour consulter le vieux (81 ans) Moubarak et l’un de ses trois successeurs possibles, le plus jeune ministre des renseignements Omar Suleiman (74 ans). Pour l’instant, il semble que l’objectif principal du Turc est de convaincre les Irakiens de ne pas présenter leurs griefs devant une cour internationale, une démarche qui risquerait d’internationaliser la crise et de la transformer en dynamique incontrôlable.

Après tout, Ankara ne fait qu’appliquer une politique dictée par sa géographie et son histoire. Dans les années 1950, les Turcs avaient amorcé leur retour stratégique en s’alliant avec les pays non-arabes de la région, l’Iran du Shah et Israël. Mais depuis que le pays a retrouvé stabilité politique et envergure économique, sa réintégration au cœur même du Proche-Orient était inévitable. Son passé, son présent et surtout sa synthèse originale de l’islam politique lui promettent un grand destin régional. Et après tout, on pourrait penser à Ankara qu’il vaut mieux être leader dans la région que dernier en Europe.

Vas-y à Vaduz !

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La République Tchèque et la principauté du Liechtenstein viennent d’établir des relations diplomatiques. Voilà, enfin une bonne nouvelle pour notre continent, un rapprochement qui met fin à une trop longue ignorance réciproque entre deux nations situées au cœur de l’Europe. En fait, Prague n’avait jamais remarqué l’existence de cette principauté alpine coincée entre la Suisse et l’Autriche, et pensait qu’il s’agissait du palais Liechtenstein situé dans le quartier de Mala Strana de la capitale tchèque. Un fonctionnaire subalterne en surfant sur le net a découvert que la ministre des étrangères de la Principauté se nommait Aurélie Frick. Il vient de recevoir une prime.

Poussée de fièvre

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Grippe porcine : faut-il faire tomber les masques ?
Grippe porcine : faut-il faire tomber les masques ?

Mesdames, Messieurs,

Nous vous remercions d’avoir choisi notre Agence, d’être tous venus à cette première réunion et nous pensons que nos prestations vous apporteront pleine satisfaction. Votre demande était claire, nos réponses le seront : comment assurer une rentrée relativement apaisée en 2009 sur toute l’Union Européenne ainsi qu’aux Etats-Unis ?

Ce n’est effectivement pas évident. La situation économique objectivement catastrophique, les conflits ultramarins s’enlisent dangereusement (Afghanistan) et les pertes subséquentes augmentent, le chômage de masse et la précarité galopent, l’impossibilité de créer ou maintenir des sécurités sociales (blocage du plan Obama aux Etats-Unis, augmentation de 25 % des soins non remboursés en France) est de plus en plus manifeste, des pans entiers de l’industrie disparaissent (General Motors), vos déficits creusés de manière démentielle lors du sauvetage des banques pendant la première phase de la crise mondiale entraînent une paralysie budgétaire : tout cela devrait logiquement créer d’importants mouvements sociaux, des grèves massives et même, dans certains cas, des situations prérévolutionnaires.

Nous sommes là pour l’empêcher.

Certains d’entre vous ont cru pouvoir se passer de nous pour inventer des leurres en employant les bonnes vieilles méthodes policières. Nous faisons ici allusion ici à nos amis français qui se sont ridiculisés l’année dernière avec l’affaire de Tarnac, en créant de toute pièce un risque terroriste anarcho-autonome qui n’a abusé qu’eux-mêmes et n’a eu au bout d’une compte aucun impact dans l’opinion sinon qu’il a attiré l’attention d’un petit nombre de citoyens sur les dangers de l’antiterrorisme, rendant plus difficiles certaines opérations de ce genre s’il fallait les renouveler.

De même, vous vous rendez bien compte que la pipolisation a trouvé ses limites. L’Italie et la France, elles encore, ont utilisé cette ficelle qui est désormais usée et sur le point de rompre. L’exposition de la vie sexuelle agitée du président du Conseil Berlusconi, conçue au départ comme un scandale contrôlé qui attirerait au bout du compte l’indulgence de tout un peuple pour son chef, un vrai mâle latin au sang chaud a plutôt écœuré l’opinion et renforcé le dégoût pour le régime. En France, la surexposition du corps sportif du président qui semblait être une bonne idée s’est terminée par un malaise durant un jogging. Là aussi, la gravité de ce malaise est de nature secondaire. Constatons simplement qu’il n’a pas attiré spécialement la compassion mais plutôt une certaine inquiétude sur l’état réel de la santé présidentielle, inquiétude renforcée par des porte-parole maladroits qui feraient bien de prendre quelques cours dans notre agence.

Notre diagnostic est simple : pour éviter l’explosion sociale, vous devez fédérer vos peuples contre un danger commun qui les détourne de leurs inquiétudes quotidiennes. Là encore, la mondialisation qui était d’abord une difficulté (ce qui inquiétait les Espagnols n’était pas forcément ce qui inquiétait les Allemands) est devenu une chance. Un seul leurre médiatique suffira pour tout le monde. Nous ne somme plus à l’époque où Mussolini sauvait son régime en attaquant l’Ethiopie et où Margaret Thatcher réussissait l’épreuve d’élections difficiles en reprenant trois îlots glacés au large des côtes argentines.

Nous ne pensons pas opportun, cette année, ou alors sur un mode mineur, d’utiliser la guerre contre le terrorisme islamique comme diversion. L’intervention américaine en Irak a discrédité les opérations de ce genre. Le coût humain élevé pour un résultat nul fait qu’aujourd’hui la guerre en Afghanistan est quasiment menée en catimini, tant on sent des populations sur le point de rompre de ce côté-là et vous ne voudriez pas, en plus, vous retrouver avec des manifestations pacifistes monstres.

L’invention, ou la mise en avant de ce que nous appelons dans notre jargon, un Goldstein, là aussi devient difficile. Attirer l’attention sur Hugo Chavez par exemple risque de se révéler extrêmement contre-performant et au contraire de faire passer cette racaille populiste pour un nouveau Guevara. La Corée du Nord ou l’Iran d’Ahmadinejad peuvent effectivement sembler intéressants de prime abord, mais, là encore, d’usage difficile, surtout quand la tension monte vraiment et que vous reprenez chacun, messieurs-dames, vos habitudes diplomatiques respectives, les uns jouant l’apaisement, les autres la fermeté. On pourra quelques jours attirer l’attention sur un aspect sentimental du conflit, par exemple une jeune étudiante occidentale accusée d’espionnage qui tient tête courageusement à ses juges, mais, assez vite, les citoyens de vos pays respectifs trouveront tout cela bien abstrait, surtout quand ils n’auront plus de quoi se faire soigner les dents.

Renoncez également au fait divers monté en épingle. D’abord parce qu’il renvoie, comme nous le disions plus haut, à une réponse nationale alors qu’il vous faut une réponse globale et, surtout, parce qu’il peut se retourner contre vous. Ce ne sont pas nos amis belges ici présents qui nous démentiront : des tueurs fous du Brabant à l’affaire Dutroux, ce qui devait masquer les divisions communautaires a, en fait, durablement discrédité l’Etat belge qui ne s’en remettra peut-être jamais.

De manière plus générale, ce n’est pas l’horreur ou la terreur que vos populations doivent ressentir ; plutôt un état de panique latente, durable, mais pas incapacitante, car il faut quand même songer à faire tourner vos économies et dégager de la plus-value. Cet état de panique latente, vous avez longtemps cru pouvoir l’entretenir sur le seul front social en détruisant vos codes du travail et en transformant les salariés du privé comme du public en précaires. Vous voyez bien, mesdames, messieurs, que vous avez atteint ici un stade difficilement dépassable : soit on se suicide en masse dans les entreprises, soit il faut faire face à des réactions violentes comme les séquestrations de patrons ou les menaces de destruction de l’outil de travail.

Il vous reste donc la solution que nous vous proposons et que vous trouverez dans les dossiers posés devant vous : la grippe H1N1. Cette fièvre porcine apparue au Mexique et transmissible à l’homme peut se révéler mortelle pour les personnes déjà fragilisées. Rien ne vous empêche de faire croire à vos populations respectives que ce danger est beaucoup plus grand. Faites taire les médecins qui diront que vous en faites trop et faites les taire, surtout, au nom du principe de précaution, ce onzième commandement.

Ensuite, c’est à vous de jouer. Vos démocraties de marché ont la chance de concentrer entre quelques mains la plupart des organes d’information. Ce sera à chacun de vous de moduler cette peur en fonction de vos spécificités culturelles mais n’oubliez pas d’en parler à chaque bulletin d’information, ne serait-ce que pour signaler une fermeture d’école à classe unique dans la Creuse ou le décès d’une nonagénaire qui aimait le saucisson pur porc.
Fédérez également votre population en lui imposant des réflexes conditionnés sur une large échelle : lavage des mains, port de masque et de gants chirurgicaux, interdiction du bisou et évidemment du french kiss.

De plus, vous pourrez ainsi mesurer le degré de soumission de vos peuples aux stimuli médiatiques et récolter des données qui ne manqueront pas de vous être utiles quand l’environnement écologique, économique et social deviendra vraiment invivable. Ce qui ne saurait tarder.

Mesdames et Messieurs, nous vous remercions de votre attention.

Le berger Cohen répond à la bergère Lévy

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Après que j’ai amicalement disputé nos amis de Marianne2 sur leur traitement indigné du vrai-faux scandale des figurants pygmées de Faurécia, Philippe Cohen me répond, tout aussi amicalement sur son site. Enfin, il me répond sans me répondre vraiment, c’est-à-dire sans questionner l’antisarkozysme un rien réducteur par lequel il pèche à mon goût. Cela dit, la thèse qu’il développe dans le même article sur l’orwellisation de la politique française est assez réjouissante, enfin déprimante de vérité, mais réjouissante d’intelligence. Et mon ami Philippe a raison d’évoquer à ce sujet mon autre ami Philippe feu Muray. Continuons le débat ! Et en attendant, allez vous faire une idée par vous-même.

L’élégance du paillasson

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kadhafi

Il est de bon ton, ces derniers jours, de faire des gorges chaudes à propos des mésaventures libyennes de la diplomatie helvétique, dont il fut question récemment sur ce site grâce à notre correspondant au pays de Heidi et des montres bling-bling. Il faut dire que nos amis suisses on fait très fort en se laissant proprement rouler dans la farine par le leader de la Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste. Ils envoient leur président s’excuser platement pour les misères infligées au fils Kadhafi par la police genevoise au motif futile qu’il prenait un couple de domestiques pour son punching-ball. Ils promettent de punir les flics de la cité de Calvin si une cour arbitrale l’ordonne et ils pensaient, les naïfs, que Tripoli allait sur le champ libérer les deux citoyens suisses retenus depuis plus d’un an, en représailles, dans les geôles libyennes (en fait dans des appartements). L’encre de l’accord était à peine sèche que les hommes de Kadhafi signifiaient aux Helvètes ébahis que les choses n’étaient pas si simples, et que seul leur bon plaisir déciderait de la date et de l’heure de la libération des otages. Pour se faire bien comprendre, ils adressaient une requête à l’ONU demandant le partage de la Suisse entre ses voisins, seul moyen, selon eux, de faire cesser les pratiques de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme dont les héritiers de Guillaume Tell se seraient rendus coupables.

À la décharge des Suisses, il faut bien remarquer qu’ils sont loin d’être les seuls à faire bon marché de l’honneur national pour apaiser la colère du plus ancien chef d’Etat africain en fonction. Le ministre britannique de la Justice, Jack Straw, vient d’avouer que la libération pour motifs « humanitaires » de Ali Mohamed Al-Megrahi, seul condamné pour l’attentat meurtrier de Lockerbie, était liée à l’obtention d’un important contrat pétrolier avec la Libye. Son accueil triomphal à Tripoli était un petit plaisir supplémentaire, non prévu dans les arrangements avec Londres et Edimbourg, dont Kadhafi aurait bien eu tort de se priver, tant il était certain qu’il n’aurait aucune conséquence fâcheuse.

Silvio Berlusconi et Nicolas Sarkozy ne sont pas plus farauds dans leur comportement avec le raïs libyen : l’Italien fait un acte solennel de repentance pour la colonisation assorti d’un chèque de réparations conséquent, et le Français déroule le tapis rouge en septembre 2007 pour une visite baroque en France d’un Kadhafi plantant sa tente de bédouin avenue Marigny en échange d’un geste de « clémence » pour des infirmières bulgares et un médecin palestinien faussement accusés d’avoir propagé le SIDA à l’hôpital de Benghazi.

Nos dirigeants démocratiquement élus se seraient-ils convertis au masochisme appliqué à la gestion des relations internationales ?

À première vue, on ne voit pas trop quelle nécessité contraindrait ces éminents chefs d’Etats et de gouvernements de pays riches et puissants de procéder au geste humiliant de baisse publique de culotte devant un potentat oriental régnant sur un pays quasi désertique moins peuplé que la Suisse.

Ne serait-il pas plus honorable de procéder comme le fit, en 1986, Ronald Reagan en bombardant Tripoli en représailles des attentats meurtriers perpétrés par les services secrets libyens contre les soldats américains en Allemagne ?

Ce serait faire bon marché des considérables atouts dont dispose Kadhafi dans une situation géopolitique totalement modifiée par la chute du mur de Berlin et le 11 septembre 2001. Ayant solennellement renoncé au terrorisme international et à l’acquisition de l’arme nucléaire, le chef d’Etat libyen a été réintégré avec les honneurs dans la communauté internationale. Il a même été ostensiblement choyé par les Etats-Unis de George W. Bush, pour qui Kadhafi est une sorte de reborn good guy, ayant abjuré ses pratiques diaboliques de chef d’Etat voyou. À Paris, Rome, Londres et Berlin, on se frotte les mains. L’agréable, avec ces dictatures orientales bien verrouillées, c’est de pouvoir signer de juteux contrats, bien plus rémunérateurs que ceux conclus dans des pays pourvus d’une administration intègre et d’une cour des comptes sourcilleuses. On peut se goinfrer de pétrole et de gaz à prix cassé, construire des autoroutes à un prix du kilomètre donnant à penser que la chaussée est en marbre de Carrare, fourguer des avions de chasse sans se voir exiger des transferts de technologie. Il suffit pour cela que les dirigeants politiques se prosternent devant le chef bédouin, et de quelques valises de billets judicieusement réparties parmi des décideurs administratifs corrompus jusqu’à la moelle.

Il se trouve, de surcroît, que la Libye se situe géographiquement dans une zone sensible : la région du Sahel, qui borde sa frontière sud est hautement instable : les guerres civiles sont endémiques, au Tchad, au Soudan et dans la corne de l’Afrique, Al Qaïda s’est signalé dans le secteur, en Algérie et dans l’espace saharien. L’instabilité de pays pauvres, comme le Niger ou le Mali, affectés par des révoltes de Touaregs est un souci pour les pays qui exploitent des matières premières stratégiques dans ces pays, l’uranium par exemple. Kadhafi, qui ambitionne de jouer le rôle du parrain de tous les potentats africains exerçant au sud du Sahara, apparaît alors comme un pôle de stabilité régionale, capable de s’opposer à la montée en puissance de l’islamisme radical dans la région où s’exerce son influence.

Enfin, il peut ouvrir ou fermer à son gré le robinet de l’immigration clandestine de milliers de miséreux de toutes origines qui attendent sur le rivage des Syrtes l’embarcation qui les conduira vers Malte ou Lampedusa. L’Italie et l’Union européenne sont, pour l’instant, très contentes d’avoir trouvé une oreille compréhensive à Tripoli sur ce problème, et financent largement sur le sol libyen des camps de rétentions où sont renvoyés les clandestins interceptés en mer ou sur leur lieu d’accostage.

Que pèsent alors quelques blessures d’amour-propre lorsque de tels enjeux sont sur la table ? Nous ne sommes plus au temps où un soufflet administré par le dey d’Alger à un diplomate français avait pour conséquence l’entrée dans l’Histoire du général Bugeaud et de l’émir Abdelkader…

Il faut nous faire une raison : les catégories de l’honneur, de la fierté nationale doivent être remisées au rayon des vieilleries inutiles dès le moment où l’émotion populaire pousse les dirigeants à payer des rançons matérielles et morales à toutes sortes de kidnappeurs. Faut-il s’en désoler ? On gagne, certes, en tranquillité et en prospérité ce que l’on perd en estime de soi. Mais il faut bien avouer qu’on se sentirait mieux dans sa peau de Français, ou d’Européen, si de temps en temps on remplaçait la courbette par le poing dans la gueule.

09/09/09, rien de neuf

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C’est avec émerveillement que j’ai vu et entendu hier maints reportages sur la date magique que constituerait le neuf septembre deux mille neuf, surtout, une fois ramené à sa transcription chiffrée. L’idée générale est que cette date pleine de neuf est forcément porteuse de nouveauté (mais, je l’imagine, seulement dans les pays francophones, vu que nine par exemple n’est pas vraiment synonyme de new). Mais la chose la plus drôle que j’ai lue, c’était dans le gratuit Métro, qui nous explique doctement qu’une telle date n’advient qu’une seule fois par siècle. Contrairement donc au 08/09/09 ou au 10/09/09 qui, eux tombent beaucoup plus souvent…

Comment j’ai pris l’humanité en grippe

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H1N1

Alors ça y est. Vous toussez, votre nez coule. Vous n’éternuez plus que dans votre coude ou au fond de votre sac à main, pendant ce temps-là, dans la poche droite de mon costume, une fiole de solution hydromachin tueuse de virus coule doucement sur mon portable. La grippe A, la voilà. Et cette traîtresse frappe d’abord les petits enfants. Enfin, plus exactement quelques lycéens boutonneux des banlieues upper middle class des Boucles de la Marne, renvoyés chez eux même pas une semaine après la rentrée.

Que croyez-vous qu’il se passa ? Les ados crièrent-ils hourra en l’honneur de feue la grippe porcine qui leur permet de profiter des terrasses en cet incroyable été indien pour fumer des clopes sans risquer un mot dans le carnet de correspondance ? Glandèrent-ils au cinéma ? Non, nous disent radios et télés. Ils flippèrent. Pas d’être malades, mais de « louper des cours, car il y a le bac à la fin de l’année.»

Zut, j’ai dû rater un truc. Sans doute que le monde avait changé.

J’ai été déjà moins étonné par la réaction des parents qui eux aussi, paniquent à donf, en adultes responsables qu’ils sont. Vaccin ou pas ? Antibios stockés pour l’hiver ou homéopathie ? Fromage ou dessert ? Heureusement, ils voient les maires fermer les classes ou interdire le french kiss au nom du principe de précaution et madame Bachelot se muer en infirmière chef de la nation menacée par les virus. Tout est sous contrôle. On respire mieux.

Enfin, la France entière respire mieux, sauf moi: à chaque fois que je rallume la télé, je rechute; ma température monte en flèche quand je vois le gouvernement reconverti en commando de choc de SOS-Médecins. C’est plus le JT, c’est une rediff en boucle d’Urgences, chaque ministre veut prouver qu’il est plus antiviral que son rival. Certes, Roselyne a pris de l’avance, mais c’est de la triche, elle est ministre de la Santé. Alors Brice Hortefeux signe une convention avec Patrick de Carolis, pour la diffusion de messages d’alerte sur France 2 et France 3 en cas de crise majeure. Pour n’être pas en reste, Eric Woerth, ministre du Budget et de la Fonction publique, expose à tout va son plan de guerre pour mettre postiers et autres guichetiers publics à l’abri des postillons mortifères. Luc Chatel, lui aussi, est dans les starting-blocks : il a donné des instructions très fermes à tous les enseignants, désormais rhabillés en hussard noirs de la prophylaxie. Ringardisée, la lettre de Guy Môquet, cette année le discours héroïque de rentrée, c’est « Lavez-vous les mains après le pipi !». Virus, assassins ! No pasaran !

J’éteins donc la télé avant de la casser, et direction le bistrot pour lire mon journal. Comme je me contrefous des avanies de l’équipe de France, j’ai boycotté Le Parisien ce matin-là pour m’en tenir à Libé. J’ai eu tort. L’épidémie ne s’est pas encore déclenchée qu’il y a déjà des grands malades, rue Béranger. L’idée, étalée en une sous le titre tout en nuances : «Grippe A, menaces sur les libertés », c’est que le gouvernement veut profiter de la pandémie putative pour instaurer en France un état de siège larvé. Si, si, on a les preuves, c’est le Syndicat de la Magistrature qui les donne, de l’imparable donc. Il paraît qu’en cas d’épidémie gravissime le gouvernement – qui depuis a démenti l’info –, envisage que les procès se tiennent à huis clos. Or chacun le sait, le huis-clos est un déni absolu de démocratie ; sauf dans l’affaire Fofana, où il préserve l’opinion d’une épidémie d’intolérance contre les minorités visibles.

Pour étoffer le dossier, on a décrété à Libé que les pauvres et les exclus allaient forcément être les premières victimes par chez nous, sans parler des populations du Tiers-Monde, par là-bas. Joffrin a donc concocté une pétition, qu’il a fait contresigner par tout le gotha de la gauche officielle, où l’on nous explique sans rire : «Les pandémies ont toujours agi comme un reflet des trous noirs d’une société. Des enjeux éthiques importants peuvent se poser brutalement, mettant en danger les libertés de chacun.»

Pour ceux qui n’auraient pas bien compris, dans son édito, Joffrin redit la même chose, mais en plus clair : « Pour contenir cette grippe inédite, faudra-t-il restreindre les libertés publiques, contourner ou annuler le droit social, réduire l’autonomie des individus dans une société ouverte ? (…) Les menaces sur la santé pourraient dégénérer en menaces sur les libertés. » C’est bien, mon Lolo, mais ça aurait pu être mieux, si seulement tu nous avais dévoilé le fond de ta pensée : on sent bien que tu meurs d’envie de nous dire que le vrai responsable de la grippe A, c’est Sarkozy. Patience, les amis, ça viendra. On n’en a pas fini avec l’épidémie de connerie.

Et dire que je croyais être vacciné.

Surtout, n’approchez pas !

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Avant-hier innocente, hier démoniaque, je retombe aujourd’hui parmi la plèbe des gens en bonne santé.
Avant-hier innocente, hier démoniaque, je retombe aujourd’hui parmi la plèbe des gens en bonne santé.
Avant-hier innocente, hier démoniaque, je retombe aujourd’hui parmi la plèbe des gens en bonne santé.

Amateurs de sensations fortes, de films d’horreurs ou de scènes de réalité trash et sanglantes filmées au téléphone portable et diffusées sur la Toile, cet article est pour vous.

J’ose espérer qu’à partir de là plus personne ne lit.

Pour les deux pervers qui restent encore en ligne, je retranscris ici, sans commentaire ni jugement de valeurs petits bourgeois mon entretien avec une sériale killeuse (non pédophile cependant, on a sa fierté), ou plutôt son interminable introspection :

« Je sème sur mes pas la mort et la désolation, mon pouvoir est immense, mon souffle est dévastateur. Je connais la jouissance du partouzeur séropositif ou du kamikaze Al Qaïdesque au moment d’appuyer sur la détente. Ma métamorphose est récente, il y a quelques jours encore, j’étais une citoyenne lambda, puis tout a basculé. J’ai ressenti un léger mal de tête, suivi d’une poussée de température fulgurante (un incroyable 37°6), et d’un impitoyable éternuement suivi d’un deuxième… Mon destin était scellé ! J’étais l’une des actrices de la pandémie ! Et là, ma conscience m’a totalement fait défaut. Ai-je précipitamment interrompu mon face-à-face avec un client innocent pour lui sauver la vie ? Non. Ai-je fui dans un couvent ou le sanatorium le plus proche ? Non. Ai-je annulé mes rendez-vous ? Pas plus. Ai-je acheté les masques ? Vous connaissez la réponse. Ai-je contacté les autorités pour me dénoncer ? Je ne vous fais pas un dessin. Ai-je passé à l’alcool mes stylos et le bouton grande tasse de la machine à café (je ne fais pas de café petite tasse) ? Pas davantage. Ai-je arrêté de serrer la main de mes collaborateurs ? Oui évidemment ! Je poursuis avec passion ma nouvelle vocation de meurtrière, mais je ne vais quand même pas risquer de diminuer mes revenus en causant une série d’arrêts-maladie au sein de mon personnel !
Rien. Je n’ai rien fait pour épargner mon prochain. Et pourtant ! J’ai vécu cet enfer. Je sais ce qu’il risque ! Il lui faudra au moins un paquet de kleenex de poche et deux dolipranes pour venir à bout du fléau.
Mais déjà, à peine arrivée au sommet de ma puissance assassine, mes pouvoirs s’estompent un à un. Avant-hier innocente, hier démoniaque, je retombe aujourd’hui parmi la plèbe des gens en bonne santé. Aurais-je vécu dans l’illusion ? N’ai-je attrapé qu’un vulgaire rhume ? Cette pensée m’afflige en me remplissant d’espoir…. Si c’était le cas, j’aurais encore une chance de l’attraper, et de revivre ces moments d’extase où j’ai semé l’apocalypse ! Vivement la grippe aviaire ! Je suis la bombe humaine ! »

À ce moment-là, vous le comprendrez aisément, j’ai pris mes jambes à mon cou car elle a commencé à me regarder bizarrement, et, tous les chasseurs vous le diront, quand la bête fauve commence à vous regarder intensément, deux options : vous lui tirez une balle dans la tête ou vous courez vous mettre à l’abri. L’option une m’est apparue difficile a réaliser, n’étant armée que de mon bloc-notes et mon stylo, j’ai donc opté pour la fuite.

Partagée entre le besoin d’épargner de futures victimes et le devoir de protéger mes sources, je ne vous révèlerai qu’une partie de son identité, qui vous permettra si vous la croisez de fuir au plus vite. Son prénom est Dominique et elle a un nom de terroriste.

J’en profite pour faire mes adieux, j’ai réussi à obtenir un programme de relocalisation des témoins. Bonne chance à vous. Moi, je file.

Plutôt Stone que Moore

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moore

Prêcher des convaincus est sans doute intellectuellement la chose la plus stérile qui soit. On peut comprendre le besoin, surtout quand on est minoritaire, de se retrouver entre soi mais ne pas sortir du cercle condamne à la ratiocination inefficace.

Ce qu’on a appelé du nom si générique et flou d’altermondialisme et qui a redonné, dès le mitan des années 1990, un regain d’espoir à tous ceux qui ne se satisfaisaient pas du nouvel ordre mondial capitaliste et du présent perpétuel promis par Fukuyama après la chute du Mur, risque néanmoins à tout instant cette impasse théorique. En se limitant à des constats renouvelés de forums sociaux en forums sociaux, de contre-sommets du G8 en contre sommets comme celui, meurtrier, de Gênes en 2001, cette mouvance prend le risque de tourner en rond dans la nuit et de se brûler à son feu, pour paraphraser Debord qui savait que toute critique du Spectacle prend le risque d’être elle-même spectaculaire.

En son temps, déjà, Marcuse dans L’homme unidimensionnel avait lui aussi montré la capacité des sociétés capitalistes ou des démocraties bourgeoises, comme on voudra, à intégrer leur propre contestation en leur sein et à gérer ses marginaux comme fausse preuve de sa tolérance.

Michaël Moore et d’Oliver Stone, deux cinéastes américains, que l’on peut qualifier d’adversaire du système et dont verra prochainement les films, illustrent ce paradoxe. L’un d’entre eux a réussi à le surmonter, et pas celui qu’on croit.

Michaël Moore, anticapitaliste de choc, est de tous les bons combats. Avec sa dégaine de working class hero américain, son surpoids popu, il a successivement dénoncé les ravages de la restructuration du secteur automobile (Roger et moi), une société fondée sur la violence et le culte des armes à feu (Bowling for colombine), la présidence Bush (Farheneit 911), j’en passe et des meilleures et, tout récemment, à la Mostra de Venise, Capitalism : a love story, appelant à la destruction de l’économie de marché. Soyons honnête, le programme ne nous déplait pas.

Seulement voilà, Michael Moore, non seulement semble de plus en plus caricatural de film en film, non seulement il flirte avec un certain cynisme (les interviews du grand homme coûtent 2000 euros en moyenne) mais surtout, il ne convainc personne en dehors d’un public acquis, et encore il semblerait à voir les critiques dans les journaux que même ce public commence à s’apercevoir que les ficelles sont un peu grosses, et certains plans franchement obscènes quand caméra à l’épaule, on filme une expulsée en gros plan en la plaignant en voix off pour en rajouter.

Quitte à surprendre certains Causeurs, j’aime profondément l’Amérique et sa capacité à secréter ses propres anticorps quand elle va trop loin ou est sur le point de se renier et je n’aime pas, ou plus Michael Moore.

D’abord parce qu’il est inefficace : sa palme d’or très politique au festival de Cannes n’a pas empêché une réélection triomphale de Bush en 2004 et si la preuve du pudding, c’est qu’il se mange, comme disait Engels, alors Moore n’a rien cuisiné du tout ou un gâteau qui n’existe pas.

Il est intéressant de le comparer avec Oliver Stone, lui aussi présent à la Mostra de Venise pour un documentaire, South of the border, consacré à Chavez et montrant le décalage entre l’image donnée par les médias « foxisés » et la réalité du terrain. À Venise, il a même eu le droit à la visite du président bolivarien en tournée sur le Vieux continent.

Oliver Stone tourne en général des films commerciaux. On le lui reproche souvent. Et pourtant au bout du compte, il aura beaucoup plus fait, en adaptant les canons hollywoodiens, pour une critique intelligente de l’Amérique comme société capitaliste, parfois belliciste et impérialiste, que Moore avec son humour à deux balles.

Je manque peut-être de conscience politique ou de sérieux mais je me suis rendu compte pour la première fois de la mutation financière du capitalisme avec l’inoubliable Wall Street (1987) où Michael Douglas en trader annonçait ceux de Fanny Mae ou Freddy Mac. Un film comme Tueurs nés, que les fines bouches de la critique du Bloc Central avaient trouvé tellement complaisant, était la plus belle dénonciation de l’ultra-violence et de l’absence de repères d’une certaine jeunesse américaine. Et son biopic sur Nixon reste un monument difficilement dépassable sur les risques de dérive autoritaire à la Maison Blanche mais aussi les moyens de la combattre.

En fait, cette différence entre Moore et Stone, cette efficacité tellement plus durable, moins journalistique de Stone, sont dues au fait qu’il refuse l’idée d’avoir un public ou un auditoire conquis d’avance et qu’il n’a pas ce mépris intellectualiste pour la fiction.

Et finalement, cette honnêteté intellectuelle, cette modestie ouvrent non seulement la possibilité de débats mais aussi, encore plus importante, celle, qui sait, de convaincre.

Je vous remets un petit coup ?

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Connaissez-vous le Female Sexual Function Index ? Cette échelle très sérieuse, allant de 2 à 36, est utilisée par les médecins pour mesurer l’épanouissement sexuel de la femme, de l’excitation simple à la fréquence et l’intensité des orgasmes. Des chercheurs de l’université de Florence, sans doute lassés de tripoter des virus grippaux et de tester des vaccins, ont décidé de se changer les idées et d’interroger huit cents transalpines entre dix huit et cinquante ans. Les résultats sont sans appel : tout âge confondu, les femmes buvant plus de deux verres de vin par jour atteignent une moyenne de 27,3 sur l’échelle du FSFI. On descend à 25,9 pour les petites joueuses qui refusent de rhabiller les orphelins et se contentent d’un seul gorgeon quotidien. Quant aux abstèmes en jupons, le score devient digne d’une équipe de Ligue 1 reléguable. Montaigne disait que c’était « la boiteuse qui le faisait le mieux ». On peut désormais penser, même si on s’en doutait un peu, que la buveuse n’a rien à lui envier.

Moyen-Orient : la Grande Porte rentre par la petite

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ankara

Ankara revient aujourd’hui en force là où Constantinople avait été pourchassé en 1918. Le ci-devant « homme malade de l’Europe » est un acteur majeur dans ce qui formait jadis les possessions de l’Empire ottoman, devenues depuis « le monde arabe ». Il est vrai que les divisions et tensions dans la région offrent à la Turquie des occasions d’avancer ses potions comme le montre la toute récente crise irako-syrienne.

Tout a commencé avec l’attentat du 19 août qui a tué une centaine de personnes à Bagdad. Les Irakiens soupçonnent deux membres du parti Baas, l’ancien parti de Saddam Hussein, de l’avoir commandité depuis la Syrie où ils se seraient alliés avec des membres d’Al-Qaïda. Or, la veille, le Premier ministre irakien Nouri al-Maliki avait passé la journée à Damas, justement pour évoquer avec les dirigeants syriens le problème des infiltrations de terroristes à travers leur frontière commune. Parfaitement conscient que les bonnes manières de Damas ne sont pas gratuites, al-Maliki avait amené non seulement son ministre de la Sécurité mais aussi celui du Pétrole.
Quand moins de 24 heures plus tard, les Irakiens découvrent que l’attentat qui visait les ministères des Affaires étrangères et des Finances porte une signature syrienne, ils n’apprécient guère. Al-Maliki, furieux, demande au président syrien l’extradition des deux commanditaires présumés.

Assad ne peut guère s’y opposer sur le principe. Mais il exige des preuves. « Lorsque les accusations ne reposent sur aucune preuve, cela veut dire qu’elles sont irrecevables au regard de la loi », déclare-t-il à la presse. C’est bien normal : depuis son intervention dans l’affaire Clotilde Reiss, son combat pour la présomption d’innocence est de notoriété publique. Les Irakiens se trouvent donc dans la même situation que les Libanais depuis l’assassinat de Rafiq Hariri car un Syrien qui vous demande des preuves, c’est comme un Chinois qui dit « oui »: dans les deux cas, il s’agit d’une manière polie de vous envoyer paître.

Mais l’Irak n’est pas le Liban, et le 25 août Bagdad rappelle son ambassadeur à Damas. Les Syriens répliquent dans la journée en faisant de même. Depuis, les autorités irakiennes qui ont présenté une vidéo d’un jeune Saoudien déclarant appartenir à Al-Qaïda et avoir été entraîné par les services de renseignements syriens exigent un tribunal international et entendent trainer Damas dans une affaire Hariri-2. Bref, en quelques jours, les relations entre la Syrie et l’Irak, qui n’ont jamais été cordiales – l’armée syrienne a participé à la guerre contre Saddam Hussein en 1991 – sont devenues exécrables.

Normalement, ce genre de crise est géré en famille. Cette fois-ci, les capitales arabes et la Ligue du même métal se sont contentées de déclarer qu’il s’agissait d’un conflit « interne » entre les deux parties qui ne nécessitait pas d’intervention extérieure. La tension entre Damas et Bagdad aurait, en vérité, exigé une intervention d’urgence, sauf que personne dans le monde arabe n’est capable de la mener. Les relations entre Moubarak et Assad sont tendues à cause de l’alliance de ce dernier avec l’Iran et de son soutien au Hamas et au Hezbollah, trois ennemis stratégiques du Caire. Les Saoudiens n’ont pas non plus digéré le nouvel Irak, où les chiites jouent un rôle prééminent et dont le premier personnage de l’Etat est membre de cette communauté. Pas question pour Ryad de se porter au secours d’une succursale de l’Iran. Les autres candidats ne sont pas de taille.

Ankara s’est engouffré dans cette faille pour s’imposer comme intermédiaire. Pour ce faire, les Turcs disposent d’un levier de taille : ils tiennent les vannes de l’Euphrate, puisque le grand fleuve mésopotamien naît chez eux avant de traverser la Syrie et Irak. Et justement, il était prévu que les ministres compétents des trois pays riverains se réunissent à Ankara le 3 septembre… Voilà pourquoi depuis une grosse semaine, Ahmet Davutoglu, le ministre turc des Affaires étrangères, fait la navette entre Bagdad et Damas avec escale au Caire pour consulter le vieux (81 ans) Moubarak et l’un de ses trois successeurs possibles, le plus jeune ministre des renseignements Omar Suleiman (74 ans). Pour l’instant, il semble que l’objectif principal du Turc est de convaincre les Irakiens de ne pas présenter leurs griefs devant une cour internationale, une démarche qui risquerait d’internationaliser la crise et de la transformer en dynamique incontrôlable.

Après tout, Ankara ne fait qu’appliquer une politique dictée par sa géographie et son histoire. Dans les années 1950, les Turcs avaient amorcé leur retour stratégique en s’alliant avec les pays non-arabes de la région, l’Iran du Shah et Israël. Mais depuis que le pays a retrouvé stabilité politique et envergure économique, sa réintégration au cœur même du Proche-Orient était inévitable. Son passé, son présent et surtout sa synthèse originale de l’islam politique lui promettent un grand destin régional. Et après tout, on pourrait penser à Ankara qu’il vaut mieux être leader dans la région que dernier en Europe.

Vas-y à Vaduz !

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La République Tchèque et la principauté du Liechtenstein viennent d’établir des relations diplomatiques. Voilà, enfin une bonne nouvelle pour notre continent, un rapprochement qui met fin à une trop longue ignorance réciproque entre deux nations situées au cœur de l’Europe. En fait, Prague n’avait jamais remarqué l’existence de cette principauté alpine coincée entre la Suisse et l’Autriche, et pensait qu’il s’agissait du palais Liechtenstein situé dans le quartier de Mala Strana de la capitale tchèque. Un fonctionnaire subalterne en surfant sur le net a découvert que la ministre des étrangères de la Principauté se nommait Aurélie Frick. Il vient de recevoir une prime.

Poussée de fièvre

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Grippe porcine : faut-il faire tomber les masques ?
Grippe porcine : faut-il faire tomber les masques ?
Grippe porcine : faut-il faire tomber les masques ?

Mesdames, Messieurs,

Nous vous remercions d’avoir choisi notre Agence, d’être tous venus à cette première réunion et nous pensons que nos prestations vous apporteront pleine satisfaction. Votre demande était claire, nos réponses le seront : comment assurer une rentrée relativement apaisée en 2009 sur toute l’Union Européenne ainsi qu’aux Etats-Unis ?

Ce n’est effectivement pas évident. La situation économique objectivement catastrophique, les conflits ultramarins s’enlisent dangereusement (Afghanistan) et les pertes subséquentes augmentent, le chômage de masse et la précarité galopent, l’impossibilité de créer ou maintenir des sécurités sociales (blocage du plan Obama aux Etats-Unis, augmentation de 25 % des soins non remboursés en France) est de plus en plus manifeste, des pans entiers de l’industrie disparaissent (General Motors), vos déficits creusés de manière démentielle lors du sauvetage des banques pendant la première phase de la crise mondiale entraînent une paralysie budgétaire : tout cela devrait logiquement créer d’importants mouvements sociaux, des grèves massives et même, dans certains cas, des situations prérévolutionnaires.

Nous sommes là pour l’empêcher.

Certains d’entre vous ont cru pouvoir se passer de nous pour inventer des leurres en employant les bonnes vieilles méthodes policières. Nous faisons ici allusion ici à nos amis français qui se sont ridiculisés l’année dernière avec l’affaire de Tarnac, en créant de toute pièce un risque terroriste anarcho-autonome qui n’a abusé qu’eux-mêmes et n’a eu au bout d’une compte aucun impact dans l’opinion sinon qu’il a attiré l’attention d’un petit nombre de citoyens sur les dangers de l’antiterrorisme, rendant plus difficiles certaines opérations de ce genre s’il fallait les renouveler.

De même, vous vous rendez bien compte que la pipolisation a trouvé ses limites. L’Italie et la France, elles encore, ont utilisé cette ficelle qui est désormais usée et sur le point de rompre. L’exposition de la vie sexuelle agitée du président du Conseil Berlusconi, conçue au départ comme un scandale contrôlé qui attirerait au bout du compte l’indulgence de tout un peuple pour son chef, un vrai mâle latin au sang chaud a plutôt écœuré l’opinion et renforcé le dégoût pour le régime. En France, la surexposition du corps sportif du président qui semblait être une bonne idée s’est terminée par un malaise durant un jogging. Là aussi, la gravité de ce malaise est de nature secondaire. Constatons simplement qu’il n’a pas attiré spécialement la compassion mais plutôt une certaine inquiétude sur l’état réel de la santé présidentielle, inquiétude renforcée par des porte-parole maladroits qui feraient bien de prendre quelques cours dans notre agence.

Notre diagnostic est simple : pour éviter l’explosion sociale, vous devez fédérer vos peuples contre un danger commun qui les détourne de leurs inquiétudes quotidiennes. Là encore, la mondialisation qui était d’abord une difficulté (ce qui inquiétait les Espagnols n’était pas forcément ce qui inquiétait les Allemands) est devenu une chance. Un seul leurre médiatique suffira pour tout le monde. Nous ne somme plus à l’époque où Mussolini sauvait son régime en attaquant l’Ethiopie et où Margaret Thatcher réussissait l’épreuve d’élections difficiles en reprenant trois îlots glacés au large des côtes argentines.

Nous ne pensons pas opportun, cette année, ou alors sur un mode mineur, d’utiliser la guerre contre le terrorisme islamique comme diversion. L’intervention américaine en Irak a discrédité les opérations de ce genre. Le coût humain élevé pour un résultat nul fait qu’aujourd’hui la guerre en Afghanistan est quasiment menée en catimini, tant on sent des populations sur le point de rompre de ce côté-là et vous ne voudriez pas, en plus, vous retrouver avec des manifestations pacifistes monstres.

L’invention, ou la mise en avant de ce que nous appelons dans notre jargon, un Goldstein, là aussi devient difficile. Attirer l’attention sur Hugo Chavez par exemple risque de se révéler extrêmement contre-performant et au contraire de faire passer cette racaille populiste pour un nouveau Guevara. La Corée du Nord ou l’Iran d’Ahmadinejad peuvent effectivement sembler intéressants de prime abord, mais, là encore, d’usage difficile, surtout quand la tension monte vraiment et que vous reprenez chacun, messieurs-dames, vos habitudes diplomatiques respectives, les uns jouant l’apaisement, les autres la fermeté. On pourra quelques jours attirer l’attention sur un aspect sentimental du conflit, par exemple une jeune étudiante occidentale accusée d’espionnage qui tient tête courageusement à ses juges, mais, assez vite, les citoyens de vos pays respectifs trouveront tout cela bien abstrait, surtout quand ils n’auront plus de quoi se faire soigner les dents.

Renoncez également au fait divers monté en épingle. D’abord parce qu’il renvoie, comme nous le disions plus haut, à une réponse nationale alors qu’il vous faut une réponse globale et, surtout, parce qu’il peut se retourner contre vous. Ce ne sont pas nos amis belges ici présents qui nous démentiront : des tueurs fous du Brabant à l’affaire Dutroux, ce qui devait masquer les divisions communautaires a, en fait, durablement discrédité l’Etat belge qui ne s’en remettra peut-être jamais.

De manière plus générale, ce n’est pas l’horreur ou la terreur que vos populations doivent ressentir ; plutôt un état de panique latente, durable, mais pas incapacitante, car il faut quand même songer à faire tourner vos économies et dégager de la plus-value. Cet état de panique latente, vous avez longtemps cru pouvoir l’entretenir sur le seul front social en détruisant vos codes du travail et en transformant les salariés du privé comme du public en précaires. Vous voyez bien, mesdames, messieurs, que vous avez atteint ici un stade difficilement dépassable : soit on se suicide en masse dans les entreprises, soit il faut faire face à des réactions violentes comme les séquestrations de patrons ou les menaces de destruction de l’outil de travail.

Il vous reste donc la solution que nous vous proposons et que vous trouverez dans les dossiers posés devant vous : la grippe H1N1. Cette fièvre porcine apparue au Mexique et transmissible à l’homme peut se révéler mortelle pour les personnes déjà fragilisées. Rien ne vous empêche de faire croire à vos populations respectives que ce danger est beaucoup plus grand. Faites taire les médecins qui diront que vous en faites trop et faites les taire, surtout, au nom du principe de précaution, ce onzième commandement.

Ensuite, c’est à vous de jouer. Vos démocraties de marché ont la chance de concentrer entre quelques mains la plupart des organes d’information. Ce sera à chacun de vous de moduler cette peur en fonction de vos spécificités culturelles mais n’oubliez pas d’en parler à chaque bulletin d’information, ne serait-ce que pour signaler une fermeture d’école à classe unique dans la Creuse ou le décès d’une nonagénaire qui aimait le saucisson pur porc.
Fédérez également votre population en lui imposant des réflexes conditionnés sur une large échelle : lavage des mains, port de masque et de gants chirurgicaux, interdiction du bisou et évidemment du french kiss.

De plus, vous pourrez ainsi mesurer le degré de soumission de vos peuples aux stimuli médiatiques et récolter des données qui ne manqueront pas de vous être utiles quand l’environnement écologique, économique et social deviendra vraiment invivable. Ce qui ne saurait tarder.

Mesdames et Messieurs, nous vous remercions de votre attention.

Le berger Cohen répond à la bergère Lévy

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Après que j’ai amicalement disputé nos amis de Marianne2 sur leur traitement indigné du vrai-faux scandale des figurants pygmées de Faurécia, Philippe Cohen me répond, tout aussi amicalement sur son site. Enfin, il me répond sans me répondre vraiment, c’est-à-dire sans questionner l’antisarkozysme un rien réducteur par lequel il pèche à mon goût. Cela dit, la thèse qu’il développe dans le même article sur l’orwellisation de la politique française est assez réjouissante, enfin déprimante de vérité, mais réjouissante d’intelligence. Et mon ami Philippe a raison d’évoquer à ce sujet mon autre ami Philippe feu Muray. Continuons le débat ! Et en attendant, allez vous faire une idée par vous-même.

L’élégance du paillasson

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kadhafi

Il est de bon ton, ces derniers jours, de faire des gorges chaudes à propos des mésaventures libyennes de la diplomatie helvétique, dont il fut question récemment sur ce site grâce à notre correspondant au pays de Heidi et des montres bling-bling. Il faut dire que nos amis suisses on fait très fort en se laissant proprement rouler dans la farine par le leader de la Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste. Ils envoient leur président s’excuser platement pour les misères infligées au fils Kadhafi par la police genevoise au motif futile qu’il prenait un couple de domestiques pour son punching-ball. Ils promettent de punir les flics de la cité de Calvin si une cour arbitrale l’ordonne et ils pensaient, les naïfs, que Tripoli allait sur le champ libérer les deux citoyens suisses retenus depuis plus d’un an, en représailles, dans les geôles libyennes (en fait dans des appartements). L’encre de l’accord était à peine sèche que les hommes de Kadhafi signifiaient aux Helvètes ébahis que les choses n’étaient pas si simples, et que seul leur bon plaisir déciderait de la date et de l’heure de la libération des otages. Pour se faire bien comprendre, ils adressaient une requête à l’ONU demandant le partage de la Suisse entre ses voisins, seul moyen, selon eux, de faire cesser les pratiques de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme dont les héritiers de Guillaume Tell se seraient rendus coupables.

À la décharge des Suisses, il faut bien remarquer qu’ils sont loin d’être les seuls à faire bon marché de l’honneur national pour apaiser la colère du plus ancien chef d’Etat africain en fonction. Le ministre britannique de la Justice, Jack Straw, vient d’avouer que la libération pour motifs « humanitaires » de Ali Mohamed Al-Megrahi, seul condamné pour l’attentat meurtrier de Lockerbie, était liée à l’obtention d’un important contrat pétrolier avec la Libye. Son accueil triomphal à Tripoli était un petit plaisir supplémentaire, non prévu dans les arrangements avec Londres et Edimbourg, dont Kadhafi aurait bien eu tort de se priver, tant il était certain qu’il n’aurait aucune conséquence fâcheuse.

Silvio Berlusconi et Nicolas Sarkozy ne sont pas plus farauds dans leur comportement avec le raïs libyen : l’Italien fait un acte solennel de repentance pour la colonisation assorti d’un chèque de réparations conséquent, et le Français déroule le tapis rouge en septembre 2007 pour une visite baroque en France d’un Kadhafi plantant sa tente de bédouin avenue Marigny en échange d’un geste de « clémence » pour des infirmières bulgares et un médecin palestinien faussement accusés d’avoir propagé le SIDA à l’hôpital de Benghazi.

Nos dirigeants démocratiquement élus se seraient-ils convertis au masochisme appliqué à la gestion des relations internationales ?

À première vue, on ne voit pas trop quelle nécessité contraindrait ces éminents chefs d’Etats et de gouvernements de pays riches et puissants de procéder au geste humiliant de baisse publique de culotte devant un potentat oriental régnant sur un pays quasi désertique moins peuplé que la Suisse.

Ne serait-il pas plus honorable de procéder comme le fit, en 1986, Ronald Reagan en bombardant Tripoli en représailles des attentats meurtriers perpétrés par les services secrets libyens contre les soldats américains en Allemagne ?

Ce serait faire bon marché des considérables atouts dont dispose Kadhafi dans une situation géopolitique totalement modifiée par la chute du mur de Berlin et le 11 septembre 2001. Ayant solennellement renoncé au terrorisme international et à l’acquisition de l’arme nucléaire, le chef d’Etat libyen a été réintégré avec les honneurs dans la communauté internationale. Il a même été ostensiblement choyé par les Etats-Unis de George W. Bush, pour qui Kadhafi est une sorte de reborn good guy, ayant abjuré ses pratiques diaboliques de chef d’Etat voyou. À Paris, Rome, Londres et Berlin, on se frotte les mains. L’agréable, avec ces dictatures orientales bien verrouillées, c’est de pouvoir signer de juteux contrats, bien plus rémunérateurs que ceux conclus dans des pays pourvus d’une administration intègre et d’une cour des comptes sourcilleuses. On peut se goinfrer de pétrole et de gaz à prix cassé, construire des autoroutes à un prix du kilomètre donnant à penser que la chaussée est en marbre de Carrare, fourguer des avions de chasse sans se voir exiger des transferts de technologie. Il suffit pour cela que les dirigeants politiques se prosternent devant le chef bédouin, et de quelques valises de billets judicieusement réparties parmi des décideurs administratifs corrompus jusqu’à la moelle.

Il se trouve, de surcroît, que la Libye se situe géographiquement dans une zone sensible : la région du Sahel, qui borde sa frontière sud est hautement instable : les guerres civiles sont endémiques, au Tchad, au Soudan et dans la corne de l’Afrique, Al Qaïda s’est signalé dans le secteur, en Algérie et dans l’espace saharien. L’instabilité de pays pauvres, comme le Niger ou le Mali, affectés par des révoltes de Touaregs est un souci pour les pays qui exploitent des matières premières stratégiques dans ces pays, l’uranium par exemple. Kadhafi, qui ambitionne de jouer le rôle du parrain de tous les potentats africains exerçant au sud du Sahara, apparaît alors comme un pôle de stabilité régionale, capable de s’opposer à la montée en puissance de l’islamisme radical dans la région où s’exerce son influence.

Enfin, il peut ouvrir ou fermer à son gré le robinet de l’immigration clandestine de milliers de miséreux de toutes origines qui attendent sur le rivage des Syrtes l’embarcation qui les conduira vers Malte ou Lampedusa. L’Italie et l’Union européenne sont, pour l’instant, très contentes d’avoir trouvé une oreille compréhensive à Tripoli sur ce problème, et financent largement sur le sol libyen des camps de rétentions où sont renvoyés les clandestins interceptés en mer ou sur leur lieu d’accostage.

Que pèsent alors quelques blessures d’amour-propre lorsque de tels enjeux sont sur la table ? Nous ne sommes plus au temps où un soufflet administré par le dey d’Alger à un diplomate français avait pour conséquence l’entrée dans l’Histoire du général Bugeaud et de l’émir Abdelkader…

Il faut nous faire une raison : les catégories de l’honneur, de la fierté nationale doivent être remisées au rayon des vieilleries inutiles dès le moment où l’émotion populaire pousse les dirigeants à payer des rançons matérielles et morales à toutes sortes de kidnappeurs. Faut-il s’en désoler ? On gagne, certes, en tranquillité et en prospérité ce que l’on perd en estime de soi. Mais il faut bien avouer qu’on se sentirait mieux dans sa peau de Français, ou d’Européen, si de temps en temps on remplaçait la courbette par le poing dans la gueule.

09/09/09, rien de neuf

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C’est avec émerveillement que j’ai vu et entendu hier maints reportages sur la date magique que constituerait le neuf septembre deux mille neuf, surtout, une fois ramené à sa transcription chiffrée. L’idée générale est que cette date pleine de neuf est forcément porteuse de nouveauté (mais, je l’imagine, seulement dans les pays francophones, vu que nine par exemple n’est pas vraiment synonyme de new). Mais la chose la plus drôle que j’ai lue, c’était dans le gratuit Métro, qui nous explique doctement qu’une telle date n’advient qu’une seule fois par siècle. Contrairement donc au 08/09/09 ou au 10/09/09 qui, eux tombent beaucoup plus souvent…

Comment j’ai pris l’humanité en grippe

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H1N1

Alors ça y est. Vous toussez, votre nez coule. Vous n’éternuez plus que dans votre coude ou au fond de votre sac à main, pendant ce temps-là, dans la poche droite de mon costume, une fiole de solution hydromachin tueuse de virus coule doucement sur mon portable. La grippe A, la voilà. Et cette traîtresse frappe d’abord les petits enfants. Enfin, plus exactement quelques lycéens boutonneux des banlieues upper middle class des Boucles de la Marne, renvoyés chez eux même pas une semaine après la rentrée.

Que croyez-vous qu’il se passa ? Les ados crièrent-ils hourra en l’honneur de feue la grippe porcine qui leur permet de profiter des terrasses en cet incroyable été indien pour fumer des clopes sans risquer un mot dans le carnet de correspondance ? Glandèrent-ils au cinéma ? Non, nous disent radios et télés. Ils flippèrent. Pas d’être malades, mais de « louper des cours, car il y a le bac à la fin de l’année.»

Zut, j’ai dû rater un truc. Sans doute que le monde avait changé.

J’ai été déjà moins étonné par la réaction des parents qui eux aussi, paniquent à donf, en adultes responsables qu’ils sont. Vaccin ou pas ? Antibios stockés pour l’hiver ou homéopathie ? Fromage ou dessert ? Heureusement, ils voient les maires fermer les classes ou interdire le french kiss au nom du principe de précaution et madame Bachelot se muer en infirmière chef de la nation menacée par les virus. Tout est sous contrôle. On respire mieux.

Enfin, la France entière respire mieux, sauf moi: à chaque fois que je rallume la télé, je rechute; ma température monte en flèche quand je vois le gouvernement reconverti en commando de choc de SOS-Médecins. C’est plus le JT, c’est une rediff en boucle d’Urgences, chaque ministre veut prouver qu’il est plus antiviral que son rival. Certes, Roselyne a pris de l’avance, mais c’est de la triche, elle est ministre de la Santé. Alors Brice Hortefeux signe une convention avec Patrick de Carolis, pour la diffusion de messages d’alerte sur France 2 et France 3 en cas de crise majeure. Pour n’être pas en reste, Eric Woerth, ministre du Budget et de la Fonction publique, expose à tout va son plan de guerre pour mettre postiers et autres guichetiers publics à l’abri des postillons mortifères. Luc Chatel, lui aussi, est dans les starting-blocks : il a donné des instructions très fermes à tous les enseignants, désormais rhabillés en hussard noirs de la prophylaxie. Ringardisée, la lettre de Guy Môquet, cette année le discours héroïque de rentrée, c’est « Lavez-vous les mains après le pipi !». Virus, assassins ! No pasaran !

J’éteins donc la télé avant de la casser, et direction le bistrot pour lire mon journal. Comme je me contrefous des avanies de l’équipe de France, j’ai boycotté Le Parisien ce matin-là pour m’en tenir à Libé. J’ai eu tort. L’épidémie ne s’est pas encore déclenchée qu’il y a déjà des grands malades, rue Béranger. L’idée, étalée en une sous le titre tout en nuances : «Grippe A, menaces sur les libertés », c’est que le gouvernement veut profiter de la pandémie putative pour instaurer en France un état de siège larvé. Si, si, on a les preuves, c’est le Syndicat de la Magistrature qui les donne, de l’imparable donc. Il paraît qu’en cas d’épidémie gravissime le gouvernement – qui depuis a démenti l’info –, envisage que les procès se tiennent à huis clos. Or chacun le sait, le huis-clos est un déni absolu de démocratie ; sauf dans l’affaire Fofana, où il préserve l’opinion d’une épidémie d’intolérance contre les minorités visibles.

Pour étoffer le dossier, on a décrété à Libé que les pauvres et les exclus allaient forcément être les premières victimes par chez nous, sans parler des populations du Tiers-Monde, par là-bas. Joffrin a donc concocté une pétition, qu’il a fait contresigner par tout le gotha de la gauche officielle, où l’on nous explique sans rire : «Les pandémies ont toujours agi comme un reflet des trous noirs d’une société. Des enjeux éthiques importants peuvent se poser brutalement, mettant en danger les libertés de chacun.»

Pour ceux qui n’auraient pas bien compris, dans son édito, Joffrin redit la même chose, mais en plus clair : « Pour contenir cette grippe inédite, faudra-t-il restreindre les libertés publiques, contourner ou annuler le droit social, réduire l’autonomie des individus dans une société ouverte ? (…) Les menaces sur la santé pourraient dégénérer en menaces sur les libertés. » C’est bien, mon Lolo, mais ça aurait pu être mieux, si seulement tu nous avais dévoilé le fond de ta pensée : on sent bien que tu meurs d’envie de nous dire que le vrai responsable de la grippe A, c’est Sarkozy. Patience, les amis, ça viendra. On n’en a pas fini avec l’épidémie de connerie.

Et dire que je croyais être vacciné.