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Poussée de fièvre


Poussée de fièvre
Grippe porcine : faut-il faire tomber les masques ?
Grippe porcine : faut-il faire tomber les masques ?
Grippe porcine : faut-il faire tomber les masques ?

Mesdames, Messieurs,

Nous vous remercions d’avoir choisi notre Agence, d’être tous venus à cette première réunion et nous pensons que nos prestations vous apporteront pleine satisfaction. Votre demande était claire, nos réponses le seront : comment assurer une rentrée relativement apaisée en 2009 sur toute l’Union Européenne ainsi qu’aux Etats-Unis ?

Ce n’est effectivement pas évident. La situation économique objectivement catastrophique, les conflits ultramarins s’enlisent dangereusement (Afghanistan) et les pertes subséquentes augmentent, le chômage de masse et la précarité galopent, l’impossibilité de créer ou maintenir des sécurités sociales (blocage du plan Obama aux Etats-Unis, augmentation de 25 % des soins non remboursés en France) est de plus en plus manifeste, des pans entiers de l’industrie disparaissent (General Motors), vos déficits creusés de manière démentielle lors du sauvetage des banques pendant la première phase de la crise mondiale entraînent une paralysie budgétaire : tout cela devrait logiquement créer d’importants mouvements sociaux, des grèves massives et même, dans certains cas, des situations prérévolutionnaires.

Nous sommes là pour l’empêcher.

Certains d’entre vous ont cru pouvoir se passer de nous pour inventer des leurres en employant les bonnes vieilles méthodes policières. Nous faisons ici allusion ici à nos amis français qui se sont ridiculisés l’année dernière avec l’affaire de Tarnac, en créant de toute pièce un risque terroriste anarcho-autonome qui n’a abusé qu’eux-mêmes et n’a eu au bout d’une compte aucun impact dans l’opinion sinon qu’il a attiré l’attention d’un petit nombre de citoyens sur les dangers de l’antiterrorisme, rendant plus difficiles certaines opérations de ce genre s’il fallait les renouveler.

De même, vous vous rendez bien compte que la pipolisation a trouvé ses limites. L’Italie et la France, elles encore, ont utilisé cette ficelle qui est désormais usée et sur le point de rompre. L’exposition de la vie sexuelle agitée du président du Conseil Berlusconi, conçue au départ comme un scandale contrôlé qui attirerait au bout du compte l’indulgence de tout un peuple pour son chef, un vrai mâle latin au sang chaud a plutôt écœuré l’opinion et renforcé le dégoût pour le régime. En France, la surexposition du corps sportif du président qui semblait être une bonne idée s’est terminée par un malaise durant un jogging. Là aussi, la gravité de ce malaise est de nature secondaire. Constatons simplement qu’il n’a pas attiré spécialement la compassion mais plutôt une certaine inquiétude sur l’état réel de la santé présidentielle, inquiétude renforcée par des porte-parole maladroits qui feraient bien de prendre quelques cours dans notre agence.

Notre diagnostic est simple : pour éviter l’explosion sociale, vous devez fédérer vos peuples contre un danger commun qui les détourne de leurs inquiétudes quotidiennes. Là encore, la mondialisation qui était d’abord une difficulté (ce qui inquiétait les Espagnols n’était pas forcément ce qui inquiétait les Allemands) est devenu une chance. Un seul leurre médiatique suffira pour tout le monde. Nous ne somme plus à l’époque où Mussolini sauvait son régime en attaquant l’Ethiopie et où Margaret Thatcher réussissait l’épreuve d’élections difficiles en reprenant trois îlots glacés au large des côtes argentines.

Nous ne pensons pas opportun, cette année, ou alors sur un mode mineur, d’utiliser la guerre contre le terrorisme islamique comme diversion. L’intervention américaine en Irak a discrédité les opérations de ce genre. Le coût humain élevé pour un résultat nul fait qu’aujourd’hui la guerre en Afghanistan est quasiment menée en catimini, tant on sent des populations sur le point de rompre de ce côté-là et vous ne voudriez pas, en plus, vous retrouver avec des manifestations pacifistes monstres.

L’invention, ou la mise en avant de ce que nous appelons dans notre jargon, un Goldstein, là aussi devient difficile. Attirer l’attention sur Hugo Chavez par exemple risque de se révéler extrêmement contre-performant et au contraire de faire passer cette racaille populiste pour un nouveau Guevara. La Corée du Nord ou l’Iran d’Ahmadinejad peuvent effectivement sembler intéressants de prime abord, mais, là encore, d’usage difficile, surtout quand la tension monte vraiment et que vous reprenez chacun, messieurs-dames, vos habitudes diplomatiques respectives, les uns jouant l’apaisement, les autres la fermeté. On pourra quelques jours attirer l’attention sur un aspect sentimental du conflit, par exemple une jeune étudiante occidentale accusée d’espionnage qui tient tête courageusement à ses juges, mais, assez vite, les citoyens de vos pays respectifs trouveront tout cela bien abstrait, surtout quand ils n’auront plus de quoi se faire soigner les dents.

Renoncez également au fait divers monté en épingle. D’abord parce qu’il renvoie, comme nous le disions plus haut, à une réponse nationale alors qu’il vous faut une réponse globale et, surtout, parce qu’il peut se retourner contre vous. Ce ne sont pas nos amis belges ici présents qui nous démentiront : des tueurs fous du Brabant à l’affaire Dutroux, ce qui devait masquer les divisions communautaires a, en fait, durablement discrédité l’Etat belge qui ne s’en remettra peut-être jamais.

De manière plus générale, ce n’est pas l’horreur ou la terreur que vos populations doivent ressentir ; plutôt un état de panique latente, durable, mais pas incapacitante, car il faut quand même songer à faire tourner vos économies et dégager de la plus-value. Cet état de panique latente, vous avez longtemps cru pouvoir l’entretenir sur le seul front social en détruisant vos codes du travail et en transformant les salariés du privé comme du public en précaires. Vous voyez bien, mesdames, messieurs, que vous avez atteint ici un stade difficilement dépassable : soit on se suicide en masse dans les entreprises, soit il faut faire face à des réactions violentes comme les séquestrations de patrons ou les menaces de destruction de l’outil de travail.

Il vous reste donc la solution que nous vous proposons et que vous trouverez dans les dossiers posés devant vous : la grippe H1N1. Cette fièvre porcine apparue au Mexique et transmissible à l’homme peut se révéler mortelle pour les personnes déjà fragilisées. Rien ne vous empêche de faire croire à vos populations respectives que ce danger est beaucoup plus grand. Faites taire les médecins qui diront que vous en faites trop et faites les taire, surtout, au nom du principe de précaution, ce onzième commandement.

Ensuite, c’est à vous de jouer. Vos démocraties de marché ont la chance de concentrer entre quelques mains la plupart des organes d’information. Ce sera à chacun de vous de moduler cette peur en fonction de vos spécificités culturelles mais n’oubliez pas d’en parler à chaque bulletin d’information, ne serait-ce que pour signaler une fermeture d’école à classe unique dans la Creuse ou le décès d’une nonagénaire qui aimait le saucisson pur porc.
Fédérez également votre population en lui imposant des réflexes conditionnés sur une large échelle : lavage des mains, port de masque et de gants chirurgicaux, interdiction du bisou et évidemment du french kiss.

De plus, vous pourrez ainsi mesurer le degré de soumission de vos peuples aux stimuli médiatiques et récolter des données qui ne manqueront pas de vous être utiles quand l’environnement écologique, économique et social deviendra vraiment invivable. Ce qui ne saurait tarder.

Mesdames et Messieurs, nous vous remercions de votre attention.



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