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Moyen-Orient : la Grande Porte rentre par la petite


Moyen-Orient : la Grande Porte rentre par la petite

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Ankara revient aujourd’hui en force là où Constantinople avait été pourchassé en 1918. Le ci-devant « homme malade de l’Europe » est un acteur majeur dans ce qui formait jadis les possessions de l’Empire ottoman, devenues depuis « le monde arabe ». Il est vrai que les divisions et tensions dans la région offrent à la Turquie des occasions d’avancer ses potions comme le montre la toute récente crise irako-syrienne.

Tout a commencé avec l’attentat du 19 août qui a tué une centaine de personnes à Bagdad. Les Irakiens soupçonnent deux membres du parti Baas, l’ancien parti de Saddam Hussein, de l’avoir commandité depuis la Syrie où ils se seraient alliés avec des membres d’Al-Qaïda. Or, la veille, le Premier ministre irakien Nouri al-Maliki avait passé la journée à Damas, justement pour évoquer avec les dirigeants syriens le problème des infiltrations de terroristes à travers leur frontière commune. Parfaitement conscient que les bonnes manières de Damas ne sont pas gratuites, al-Maliki avait amené non seulement son ministre de la Sécurité mais aussi celui du Pétrole.
Quand moins de 24 heures plus tard, les Irakiens découvrent que l’attentat qui visait les ministères des Affaires étrangères et des Finances porte une signature syrienne, ils n’apprécient guère. Al-Maliki, furieux, demande au président syrien l’extradition des deux commanditaires présumés.

Assad ne peut guère s’y opposer sur le principe. Mais il exige des preuves. « Lorsque les accusations ne reposent sur aucune preuve, cela veut dire qu’elles sont irrecevables au regard de la loi », déclare-t-il à la presse. C’est bien normal : depuis son intervention dans l’affaire Clotilde Reiss, son combat pour la présomption d’innocence est de notoriété publique. Les Irakiens se trouvent donc dans la même situation que les Libanais depuis l’assassinat de Rafiq Hariri car un Syrien qui vous demande des preuves, c’est comme un Chinois qui dit « oui »: dans les deux cas, il s’agit d’une manière polie de vous envoyer paître.

Mais l’Irak n’est pas le Liban, et le 25 août Bagdad rappelle son ambassadeur à Damas. Les Syriens répliquent dans la journée en faisant de même. Depuis, les autorités irakiennes qui ont présenté une vidéo d’un jeune Saoudien déclarant appartenir à Al-Qaïda et avoir été entraîné par les services de renseignements syriens exigent un tribunal international et entendent trainer Damas dans une affaire Hariri-2. Bref, en quelques jours, les relations entre la Syrie et l’Irak, qui n’ont jamais été cordiales – l’armée syrienne a participé à la guerre contre Saddam Hussein en 1991 – sont devenues exécrables.

Normalement, ce genre de crise est géré en famille. Cette fois-ci, les capitales arabes et la Ligue du même métal se sont contentées de déclarer qu’il s’agissait d’un conflit « interne » entre les deux parties qui ne nécessitait pas d’intervention extérieure. La tension entre Damas et Bagdad aurait, en vérité, exigé une intervention d’urgence, sauf que personne dans le monde arabe n’est capable de la mener. Les relations entre Moubarak et Assad sont tendues à cause de l’alliance de ce dernier avec l’Iran et de son soutien au Hamas et au Hezbollah, trois ennemis stratégiques du Caire. Les Saoudiens n’ont pas non plus digéré le nouvel Irak, où les chiites jouent un rôle prééminent et dont le premier personnage de l’Etat est membre de cette communauté. Pas question pour Ryad de se porter au secours d’une succursale de l’Iran. Les autres candidats ne sont pas de taille.

Ankara s’est engouffré dans cette faille pour s’imposer comme intermédiaire. Pour ce faire, les Turcs disposent d’un levier de taille : ils tiennent les vannes de l’Euphrate, puisque le grand fleuve mésopotamien naît chez eux avant de traverser la Syrie et Irak. Et justement, il était prévu que les ministres compétents des trois pays riverains se réunissent à Ankara le 3 septembre… Voilà pourquoi depuis une grosse semaine, Ahmet Davutoglu, le ministre turc des Affaires étrangères, fait la navette entre Bagdad et Damas avec escale au Caire pour consulter le vieux (81 ans) Moubarak et l’un de ses trois successeurs possibles, le plus jeune ministre des renseignements Omar Suleiman (74 ans). Pour l’instant, il semble que l’objectif principal du Turc est de convaincre les Irakiens de ne pas présenter leurs griefs devant une cour internationale, une démarche qui risquerait d’internationaliser la crise et de la transformer en dynamique incontrôlable.

Après tout, Ankara ne fait qu’appliquer une politique dictée par sa géographie et son histoire. Dans les années 1950, les Turcs avaient amorcé leur retour stratégique en s’alliant avec les pays non-arabes de la région, l’Iran du Shah et Israël. Mais depuis que le pays a retrouvé stabilité politique et envergure économique, sa réintégration au cœur même du Proche-Orient était inévitable. Son passé, son présent et surtout sa synthèse originale de l’islam politique lui promettent un grand destin régional. Et après tout, on pourrait penser à Ankara qu’il vaut mieux être leader dans la région que dernier en Europe.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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