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Colonna : l’affaire se corse

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colonna

Six mois après la seconde condamnation d’Yvan Colonna à perpète, Gérard Amaté, un libraire « qui n’aime pas l’Etat », publie à son tour un réquisitoire, mais cette fois contre la presse, accusée de n’avoir pas ou mal fait son travail, voire « aidé au crime ». Selon Gérard Amaté, la lourde peine du condamné n’est que l’aboutissement logique d’une enquête bâclée et d’un procès aberrant, où la raison d’Etat a prévalu sur la justice du début à la fin.

De là à comparer le sort de ce dernier à celui du capitaine Dreyfus, il n’y avait qu’un pas, que l’auteur franchit allègrement. Avec toutefois une nuance : c’est la presse de gauche (Le Monde et surtout Libération et L’Humanité), qui tient cette fois le mauvais rôle. Toujours sourcilleuse dès qu’il s’agit de défendre les « libertés fondamentales » et les droits de l’homme, elle a démontré dans ses comptes rendus de procès une partialité qu’elle est souvent prête à railler chez ses confrères conservateurs. Au contraire, c’est dans les colonnes du Figaro, du Parisien et de 20 Minutes que l’on trouve les articles les plus critiques – ou les plus sérieux – sur ce procès d’un homme contre lequel il n’y avait ni preuves ni aveux… Sans oublier le comportement des policiers et des juges, aberrant à bien des égards, qui avaient condamné d’avance le berger de Cargese.

Ses conclusions sont sans doute très exagérées, mais il n’en demeure pas moins que l’ouvrage de Gérard Amaté est un remarquable travail de compilation et d’analyse qui a, de surcroît, le mérite de révéler le travail de désinformation dont sont capables certains journalistes.

On ne peut cependant s’empêcher de penser que c’est faire bien de l’honneur à Yvan Colonna, dont le comportement depuis l’assassinat du préfet Erignac le 6 février 1998 présente lui aussi pas mal d’incohérences, sans parler de celui de ses complices.

Dénoncé dans un premier temps par Didier Maranelli, l’un des membres du commando, Colonna prend le maquis. C’est le rôle de sa vie : il se laisse pousser la barbe comme on le faisait dans les vendette au XIXe siècle, et commence une cavale de quatre ans qui s’achève par son arrestation dans une bergerie de Porto Pollo, chez un garçon tranquille qui a déclaré avoir agi par pitié pour le fugitif. Il n’avait jamais quitté l’île de Beauté, et avait réussi à échapper aux très méthodiques recherches du Raid – qui n’y est pas allé de main morte dans ses perquisitions et arrestations parfois délirantes de violence – parce que, tout simplement, il n’a pas voulu ou pu profiter de ces réseaux. Est-ce seulement dû aux dissensions qui agitent le milieu nationaliste corse ?

Après sa capture, voilà qu’il est ensuite innocenté de façon étrange par ses présumés complices, dont Didier Maranelli et Pierre Alessandri, qui déclare : « J’ai des reproches à faire à Yvan. Quand j’ai décidé de franchir le pas de la violence clandestine, j’ai espéré qu’il ferait partie de notre groupe. Ce que je lui reproche, c’est ça : d’avoir laissé Didier Maranelli et Martin Ottaviani monter au charbon alors que c’est lui qui aurait dû le faire, pour être cohérent avec son discours. » Et si le héros Colonna fuyait la justice non parce qu’il était innocent, mais parce qu’il était coupable de lâcheté aux yeux de ses camarades ? Dans cette hypothèse, on ne peut que déduire que ce dégonflé n’a pas tiré sur le préfet et on comprend mieux dans quelle situation impossible s’est retrouvé le pauvre garçon : innocent du meurtre, mais condamné par ses amis…

Autre fait troublant, on a pu remarquer dans l’île une certaine désaffection pour le héros, où graffitis et T-shirts frappés du slogan « Gloria a te, Yvan ! » (Gloire à toi, Yvan !) ont mystérieusement disparu du paysage alors qu’il commençait précisément à risquer gros au tribunal. Sans parler de la rumeur publique, qui semble l’avoir condamné depuis longtemps, non pour l’assassinat du préfet, mais pour manque de courage. Et là, c’est perpète voire plus. En Corse, la peine de mort n’est toujours pas abolie pour celui qui « manque » à ses amis.

L'affaire Colonna : une bataille de presse

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Retenez-moi !

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Ainsi donc Nicolas Sarkozy laisse planer la menace terrifiante d’un retrait de la France du G20, au cas où le sommet des pays riches et émergents qui doit se tenir la semaine prochaine ne le suivrait pas en matière de bonus des traders. C’est en tout cas le Figaro d’hier qui l’affirme. Renseignement pris – quelques lignes plus bas dans le même article -, il ne s’agit pas, comme je l’avais compris de prime abord, de quitter le groupe des 20 pour faire de la France une sorte de pays néo-non-aligné, mais de claquer la porte lors de la réunion de Pittsburgh et de rentrer à Paris très fâché. Ouf, vous imaginez la France quittant, pour de vrai, le G20, qui du coup deviendrait le G19, avec des millions de cartes de visite et de feuilles de papier à en-tête à réimprimer ? On l’a vraiment échappé belle…

Le pluriel ne vaut rien à l’homme

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Les gens, quand y en a un, ça va. C'est quand ils sont plusieurs que ça commence à poser des problèmes.
Les gens, quand y en a un, ça va. C'est quand ils sont plusieurs que ça commence à poser des problèmes.

D’accord, Brice Hortefeux aurait mieux fait de se taire. D’accord, son commentaire sur ceux qui posent des problèmes lorsqu’ils sont beaucoup pose problème. D’accord, on peut trouver ça pas très classe, et même un peu xénophobe, voire même carrément raciste sur les bords, quelles que soient les circonstances estivales et décontractées dans lesquelles ces propos ont été prononcés.

D’accord, d’accord, d’accord. Trois et mille fois d’accord. Mais quand même.

Quand j’y réfléchis un peu tout seul dans mon coin, je me dis qu’au premier, au deuxième ou au douzième degré, il y a quand même un peu de vrai dans ce qu’a dit le ministre. Un peu, hein, pas tout ! Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit ! D’abord, je n’ai rien dit encore. Ce que j’ai dit, je vais plutôt le dire maintenant, pour que ce soit bien clair : les gens c’est souvent lorsqu’ils sont beaucoup qu’ils posent problème. C’est chez moi un vieux fond misanthrope qui me fait détester a priori les meutes de souchiens forcément très beaufs dans le genre de Brice Hortefeux et ses supporters (détestation qui va de soi pour un bobo dans mon genre), mais aussi certaines bandes à dominante maghrébine qui fréquentent ma riante banlieue.

Car je l’avoue sans fard (je dis sans fard, même si Piffard c’est un pseudonyme, je sais, je sais, courageux mais pas téméraire), les Arabes, perso, dans mon coin de banlieue, je préfère les rencontrer seul à seul plutôt qu’en bande. Seul à seul, je l’ai souvent remarqué, le Français d’origine maghrébine se montre dans l’ensemble beaucoup moins lourd, beaucoup plus poli et plus ouvert à la discussion interculturelle que lorsqu’il se promène en bande dans Rosny 2 par exemple. C’est comme ça, vous pouvez prendre ça pour un affreux cliché raciste (mais quel cliché n’est pas affreux ou raciste de nos jours ?), surtout sous cette forme un brin provocatrice, mais ça me semble assez irréfutable. Que ceux qui en doutent se rendent devant la FNAC au niveau 2 dudit centre commercial samedi prochain sur le coup des 18 h 30 pour comprendre de visu ce que je veux dire par là.

Mais je le constate en regardant la fameuse vidéo, ce qui est vrai pour les Arabes est vrai pour les militants UMP, qui ne sont pas encore tous d’origine maghrébine. Un militant UMP égaré dans ma banlieue-est, rencontré au hasard comme ça, je n’aurais rien contre. Cela exercerait sur moi, je pense, l’attrait de l’exotisme. Mais en joyeuses bandes rigolardes et décomplexées, comme à Seignosse dans les Landes le 5 septembre dernier, je crois que j’aurais un peu de mal. Comme dit le ministre, « quand il y en a un ça va, c’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes ».

Il n’y a pas que les militants UMP ou les jeunes Maghrébins cependant. Que dire des Américains, qui déferlent en bande à Bagdad ? Que des problèmes ! Les hordes de teufeurs d’outre-Rhin qui massacrent à coup de décibels les crapauds lors des love parade berlinoises ? Des problèmes ! Et les groupes de hooligans hollandais ? Encore des problèmes ! Et les Chinois qui pourchassent en meute les Ouighours dans le Guangdong ? Encore et encore des problèmes. Et les Ouighours et les Tibétains qui lynchent des Hans dans les rues d’Urumqi ou de Lhassa ? Toujours des problèmes !

Bref, c’est l’humanité dans son ensemble qui lorsqu’elle se promène en meute devient vite très très problématique, pour elle-même et pour le reste de la création. C’est comme ça depuis la nuit des temps, et il n’y pas de raison pour ça s’arrête. Le collectif pose problème. C’est même pour cela qu’il y a quelques millénaires la politique a été inventée. Pour que les groupes humains se distinguent le plus souvent possible de la meute. Pour que le collectif ne s’abime pas dans la horde primitive.

Et la horde primitive, le ministre Hortefeux la voit aujourd’hui à l’œuvre. Elle lui aboie copieusement sa morale dessus, au ministre. Elle le rappelle à l’ordre. Cela ne paraît frapper personne cette inversion des rôles. N’en déplaise à Foucault, ce n’est plus le pouvoir qui surveille et punit, mais l’opinion et ses représentants, et personne ou presque pour s’en apercevoir. Il faut dire qu’il est dur d’aboyer et de penser en même temps. J’ai essayé hier, en jouant à Tintin et Milou avec mon fils. J’aboyais bien fort, à quatre pattes sur le parquet de mon salon, tout en pensant à cet article. C’était nul. J’ai dû tout reprendre de zéro ce matin. La pratique de la curée médiatique s’accommode mal de la distance. C’est même le contraire de la distance puisque chacun se rue sur la proie qu’il déchiquète. Pas facile dans ces conditions de garder un semblant d’objectivité à l’égard de son sujet. Et aujourd’hui dans les médias c’est la curée permanente, au nom de la morale, ce qui rend cette curée plus haïssable encore. La prétention à la vertu, lorsqu’elle redouble la violence, n’est qu’une violence de plus.

Hortefeux est sommé de toutes parts de s’excuser et de s’amender, de reconnaître son crime. Sans les aveux extirpés au criminel, le rituel purificateur n’est pas achevé. Pour une fois qu’on tient un raciste, on ne va pas le lâcher comme ça ! Il paraît même, les puritains de l’antiracisme s’en pourléchaient ce matin sur France Inter, que le Président, soucieux de tenir la meute à distance, a interdit l’humour à ses ministres ! Fini de faire les malins devant les militants, aurait-il tonné !

Naguère on stigmatisait la langue de bois, aujourd’hui on la réclame. La meute ardente, sûre d’elle-même et d’être du bon côté du manche, rigolarde parfois, gronde encore. On stigmatise à l’envi le « dérapage ». C’est la grosse éclate chez les journalistes. Chacun dans son genre s’en donne à cœur joie. On lit ici et là sous des plumes émoustillées que le ministre de l’Intérieur a été pris en « flagrant délit » de dérapage. Douce vengeance ! Le Monde le rappelle sévèrement et austèrement à son devoir. Le triste pitre Guillon met dans la bouche du ministre les blagues racistes qu’il n’a jamais dites. Une façon commode de nous fait rire d’un double rire, deux fois méchant, puisqu’il est à la fois raciste et antiraciste. Merci à Guillon de nous permettre d’entendre à la radio des blagues racistes qu’heureusement plus personne n’ose raconter en public, sauf toutefois quand on peut lâchement les mettre dans la bouche d’un autre.

Un ministre, ça devrait déraper plus souvent, moi je vous le dis. On se fendrait plus souvent la poire. Rien de plus marrant qu’un type qui se casse la figure. Rien de mieux, pour se tenir chaud tous ensemble qu’un bon petit lynchage médiatique. Surtout quand c’est un ponte qui en est l’objet. On n’a plus si souvent l’occasion de rigoler. Les temps sont durs.

La curée s’achève. On sait maintenant ce que le ministre a dans le ventre, et ça ne sent pas bon, dit-on littéralement chez les Verts. Drôle d’époque vraiment que celle qui voit les charognards reprocher à la charogne de puer.

Comme disait l’autre, les gens, c’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes.

Mineurs et pas vaccinés

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Enfin des conseils antigrippe crédibles et percutants, bref le contraire de la propagande officielle diffusée sur les ondes jusque-là. Grâce à Gérard Depardieu, interviewé en exclu mondiale par Michael Kael pour GrolandSat, on sait tout ce qu’il faut faire : contre la grippe A, les enfants, il faut être fort. Donc, on ne va pas à l’école, on mange du porc, beaucoup. On boit du vin. Et puis on fume. Beaucoup aussi. Comme ça, on est fort comme papa. Pigé ?

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Willy Ronis : le vif dans la peau

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Le photographe Willy Ronis s'est éteint le 12 septembre à l'âge de 99 ans.
Le photographe Willy Ronis s'est éteint le 12 septembre à l'âge de 99 ans.

« L’œil n’est pas la question. L’organe photographe, c’est la jambe : courir, sauter, franchir des obstacles, traverser une rue, grimper à un lampadaire, monter sur une caisse pour fixer une scène sous une lumière particulière. » Quand, dans les années 1990, ses jambes le lâchèrent et que les honneurs rétrospectifs se mirent à pleuvoir sur lui, Willy Ronis raccrocha pour de bon son appareil photo et se mit à classer. La vocation archiviste n’épargne personne.

Dans une armoire métallique de son appartement du XXe arrondissement, il conservait la mémoire de tout un siècle, vous extirpait les négatifs d’une manif de 1934, retrouvait ceux d’un reportage consacré, en 1947, à l’industrie textile mulhousienne : « Une commande de Jacques-Henri Gros, un grand patron de l’époque. Je ne sais pas ce qui lui avait pris de faire appel à un photographe membre du parti communiste[1. En ce temps-là, la gauche n’était pas moderne. Même à Mulhouse.]. »

Willy Ronis n’était pas entré dans le monde de la photographie par la grande porte. Né un violon entre les mains comme tout petit juif immigré ukrainien qui se respecte, il voulait devenir compositeur. La photo, il l’avait découverte dans l’atelier de son père, un photographe de quartier qui vivait essentiellement de mariages et de communions, de portraits de grand-pères ou de petits derniers. Et tout cela – développement, tirage, ça vous fera cinq francs, Madame Leduc – ne lui plaisait pas.

La mort de son père, la fermeture de l’atelier, la nécessité de gagner de l’argent pour subvenir aux besoins de sa famille le conduisirent à devenir reporter. À contrecœur. Pourtant, très vite, ses photos parurent dans Life ou Time, à côté de celles de Capa ou de Seymour. C’est que chacune de ses photos, prises sur le vif, n’était pas l’œuvre d’un poseur : il ne photographiait pas des scènes ou des personnages, mais leur lumière. S’il y a du Rubens et du Bruegel dans chaque photo de Ronis, il y a surtout un art de la composition non-factice, une vérité de l’instant.

Ronis nous laisse une œuvre incomparable, les images d’une France disparue, des nus aussi bien que des chats. Il nous laisse également une théorie de la photographie, où la reproductibilité du tirage (lui qui avait lu Benjamin détestait les tirages limités) est une réponse à l’ »irreproductibilité » de chaque photo : quand bien même on la tirerait à des millions d’exemplaires, on ne pourrait pas fixer sur la pellicule deux fois la même image. Un clic et s’en va.

Il avait ainsi développé une philosophie modeste de la photographie, un art où l’ordonnateur n’est pas l’artiste ni la technique, mais le temps lui-même. Pas le « temps mort » à la Depardon, mais le temps qui vit et va[2. Lorsqu’on lui demandait ce qu’il pensait du travail photographique de Raymond Depardon, Willy Ronis répondait : « C’est un bon réalisateur à ce qu’il paraît, non ? »].

La technique, Willy Ronis, qui n’était passé ni au moteur ni encore moins au numérique, ne s’en souciait guère. Un jour, un jeune photographe lui demandait quel était son appareil de prédilection. Voyant que son interlocuteur maniait un Leïca, Ronis lui répondit : « Moi aussi, à votre âge, j’avais un Leïca. Mais j’avais aussi une Harley Davidson. Y’a pas mieux pour épater les filles. »

Jeunes photographes qui attendez la gloire, méditez donc la leçon de Willy Ronis : pas de Leïca sans Harley ! Et si c’est après la photographie que vous courez, procurez-vous simplement des jambes. Le reste vous sera donné par surcroît.

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Causons boutique !

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Hortefeux et les boutefeux

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Brice Hortefeux

L’ex-Préfet Girot de Langlade aurait eu tort de s’en priver. Il aurait fallu être un saint pour ne pas se réjouir, dans sa situation, des mésaventures arrivées à son ex-ministre de tutelle, Brice Hortefeux. Lesquelles devraient, entre autres leçons, montrer à tous que l’accusation de racisme doit être brandie avec parcimonie et circonspection car elle a tendance à se retourner promptement contre ceux qui en usent pour faire les avantageux.

J’avais défendu ici même pour le préfet le droit à bénéficier d’un débat contradictoire. On me dira que le ministre y a eu droit et qu’il a fort mal plaidé sa cause. Pour autant, comme l’a souligné Philippe Cohen dans Marianne2, la délectation avec laquelle tout ce qui compte dans la France de gauche s’est jetée dans la « chasse au raciste » a quelque chose de particulièrement déplaisant. Et même d’inquiétant. Vendredi après-midi, une copine m’annonçait fièrement :  « J’ai signé, et toi ? » « T’as signé quoi ? » « La pétition pour la démission d’Hortefeux, pardi ! » « Mais vous êtes tous devenus dingues ou quoi ? » Au silence qui a suivi, j’ai compris qu’il allait être sacrément difficile d’avoir sur la question une discussion raisonnable.

Branle-bas de combat ! À la Bastille ! Sur Médiapart, Edwy Plenel est l’un des premiers à renifler l’odeur du sang et à exiger la démission du raciste[1. Si Plenel me permet un conseil confraternel, il ferait mieux de s’économiser car, dans les semaines à venir, il trouvera certainement l’occasion de réclamer des têtes encore plus prestigieuses pour défendre l’honneur de son ami Villepin.]. De la Licra au MRAP, du PS au Parti de Gauche, de SOS Racisme au PRG, c’est un festival de communiqués rivalisant dans l’indignation. Le Monde en appelle aux « valeurs », l’Humanité relooke Hortefeux en « porte-flingue du pétainisme revisité » – rien que ça. C’est qu’un ministre, c’est encore plus chouette qu’un préfet. Avec un peu de chance, on défilera dimanche prochain. À l’heure où Le Pen passe la main, ça nous rappellera le bon vieux temps.

Il faut être honnête, l’émotion suscitée par les supposés propos du ministre semble aller au-delà des habituelles glousseuses. Les optimistes y verront la preuve que la société française est en vérité immunisée contre le racisme, les pleureuses en déduiront que le peuple qui n’a pas de pain (c’est une image) se console avec les Jeux. Quelques heures après la publication de l’article de Cohen, qui n’était pourtant pas tendre pour le ministre, certains de ses lecteurs, enragés, demandaient sa démission de Marianne2. Et après avoir abordé le sujet sur RTL, j’ai reçu des messages outrés, notamment celui de monsieur Capel (il n’a pas précisé son prénom). « Un ministre d’Etat, qui plus est chargé de la sécurité et des cultes, s’autorise une sortie raciste, la seule issue possible me semble la démission », écrit-il. Mais c’est une autre phrase qui m’a fait sursauter : « En tant que penseuse indépendante et rigoureuse, poursuit mon auditeur, vous auriez dû avoir la même opinion que moi, la situation ne souffrait pas la moindre hésitation. » Ah ? Donc, j’ai le droit de réfléchir à condition d’aboutir à la bonne conclusion. Hortefeux, démission !

Il est vrai que si le sarkozysme est aussi une grande machine de com’, le « meilleur ami » du président vient de lui faire connaître de sérieux ratés.

L’Elysée et le gouvernement sont montés au créneau sur le front le plus facile, celui de la société de surveillance, que l’on appelle dans les bons jours société de communication. En général, certains collègues de Brice Hortefeux ne manquent pas une occasion de s’enthousiasmer sur le monde merveilleux d’internet et de la transparence, au point qu’ils s’estiment obligés de faire part de leurs pensées les plus banales à leurs électeurs-lecteurs-twitteurs. À l’inverse, il est amusant d’entendre tous ceux qui, il y a peu, partaient en guerre contre Edvige, se faire une fois de plus les avocats du droit de tous à surveiller tout le monde tout le temps. Sauf que ce n’est pas, ce n’est plus, une excuse. Si les politiques ne savent pas dans quel monde ils vivent, qu’ils changent de métier. Oui, tout ce que vous pourrez dire pourra être retenu contre vous. Donnez-moi deux mots de la bouche d’un homme et je le fais lyncher, on ne vous a rien appris à l’ENA ?

Il faut bien cependant, s’aventurer sur le terrain glissant des propos prêtés au ministre et de leur éventuelle gravité. Autant vous le dire, j’ai la trouille. Je sais qu’un mot mal compris, volontairement ou pas, peut vous conduire en un tournemain sur la prochaine charrette. D’abord, j’ai, comme tout le monde, réécouté de nombreuses fois la « vidéo censurée ». J’ai choqué beaucoup de gens en affirmant que je ne l’aurais sans doute pas diffusée. Ce n’est pas seulement parce que je suis payée par l’Elysée (si seulement…), c’est que je n’aurais pas vu le scoop. Si Hortefeux a dit quelque chose comme « un Arabe ça va, quand ils sont beaucoup bonjour les dégâts » et qu’il l’a dit devant l’Arabe concerné, j’ai beau faire appel à toutes mes fibres humanistes, je n’arrive pas à entendre autre chose que du second degré. C’est le genre de blagues idiotes qu’on fait à causeur quand on en a assez de se disputer sur la taxe carbone ou la taille du président : pourquoi y a-t-il chez nous tant de juifs, de pédés, ou d’alsaciens ? Et franchement, chers lecteurs outrés, c’est le genre de blague que vous entendez ou que vous racontez dans les dîners avec vos copains arabes, noirs et juifs et ça fait marrer tout le monde. Je vous concède que Brice Hortefeux n’a pas le profil de Ludvik, le héros de La Plaisanterie et qu’il a en plus une tête d’Aryen. Et pourtant, si on y réfléchit, ça y ressemble un peu. On ne déconne pas avec la vraie foi. Cette mobilisation d’une meute surchauffée pour une blague me fait penser que, derrière le triomphe des chauffeurs de salle que sont les humoristes appointés, l’esprit de sérieux a gagné. Si plaisanter sur les arabes, les noirs, les juifs ou les nains, c’est être raciste, antisémite ou petitophobe, il faut cesser de plaisanter. Et aussi de rigoler. À moins, évidemment, que vous vouliez tous finir dans la « cage aux phobes » inventée par Muray[2. J’ai récemment employé son « mutins de Panurge » sans guillemets et sans citation parce qu’il me semblait que c’était désormais aussi estampillé Muray que « Rodrigue as-tu du cœur ? » appartient à Corneille, mais j’ai sans doute été un peu optimiste. Il faudra sans doute une ou deux générations pour que la France et la littérature sachent ce qu’elles doivent à Philippe.].

D’accord, me direz-vous, chers lecteurs outrés, et si c’était du premier degré ? Ou, plus exactement, si le second degré ne faisait que révéler les arrière-pensées de Brice Hortefeux ? Si je traduis les propos présumés, cela donne quelque chose comme « des Arabes en France, aucun problème, ce qui peut poser problème, c’est la concentration ». D’accord, ce n’est pas très divers-friendly de penser cela mais que nous disent à longueur de temps les habitants des cités ? Qu’ils ne veulent pas vivre dans des ghettos, c’est-à-dire dans des quartiers où plus de la moitié de la population vient de la même culture qu’eux. Pas parce qu’ils sont racistes, parce qu’ils veulent participer à la promesse française, parce qu’ils veulent voir leurs femmes et leurs filles en robes légères, parce qu’ils veulent que leurs enfants apprennent « nos ancêtres les Gaulois », parce qu’ils veulent parfois manger pendant le ramadan et boire un coup à l’occasion. Au risque de me faire, une fois de plus, traiter de juive honteuse, je trouverais ça un peu étrange qu’un gamin se retrouve, à l’école publique, avec 25 condisciples juifs. Je vous vois venir. Suis-je choquée par les classes de 30 têtes blondes aux noms bien de chez nous ? Suis-je gênée que certains de nos centres-villes soient un peu trop blancs ? Pas vraiment. J’aimerais que l’intégration et même l’assimilation d’autrefois fonctionne, que nos classes et nos rues soient ethniquement mélangées sans même qu’on y prenne garde. J’aimerais qu’Harry Roselmack présente le JT sans qu’on me précise qu’il est noir. J’aimerais que Fadela Amara et Rama Yade soient des ministres, pas des symboles.

Je crois que le racisme, le vrai, le racial, n’a plus cours en France. Qui oserait encore penser que les Arabes ou les Noirs sont « inférieurs » ? En adoptant la religion de l’Humanité, nous avons heureusement banni ces idées (pour le coup) moisies ; ceux qui continuent à croire en elles doivent le faire honteusement et encourent les foudres de la Loi. Tant mieux Seulement, il me semble qu’on qualifie aujourd’hui de raciste toute prétention à considérer qu’il existe une culture française (laquelle se nourrit évidemment depuis toujours d’apports extérieurs) et que ceux qui arrivent doivent s’adapter à elle et à son biorythme au lieu de réclamer qu’elle s’adapte à eux. In Rome, do as the romans do. Non, je n’arrive pas à trouver cette maxime scandaleuse. Je sais qu’elle est difficile à mettre en œuvre, j’admets volontiers qu’elle est discutable. Seulement, il semblerait qu’on n’ait plus vraiment le droit de discuter.

Pour qui sont ces sifflets ?

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Frédéric Mitterrand

Autant vous le dire de suite, les sifflets dont a été l’objet Frédéric Mitterrand ce samedi à la Fête de l’Huma m’ont profondément attristé.

Vous me connaissez, loin de moi l’idée qu’une personnalité officielle soit, es qualités, intouchable. Le lazzi est une forme de communication politique ancestrale, il appartient à notre patrimoine politique, il nous renvoie, bienheureusement, au temps d’avant les dircom. J’aime qu’on dise leur fait à tous, y compris aux plus puissants, et en retour, je ne suis pas de ceux qui s’étouffent quand le président de la République, offensé, réplique sur le même ton, même si en vrai, j’aurai attendu, dans un monde idéal, une riposte plus empreinte de second degré que de langage de cour de récré.

Pour aller au bout, je ne suis pas forcément bégueule quand l’encolère joint le geste à la parole, saccage une préfecture, séquestre un médiateur, ou envoie un œuf pourri sur le minois d’un ministre de l’Agriculture. On est dans le champ naturel de la démocratie. On y est borderline, mais on y est. On rappellera au plus distraits que nos institutions républicaines en marbre froid sont filles de l’Emeute. Des émeutes où ils n’y avaient pas que des horions ou des boulons qui volaient, mais aussi des balles, voire des têtes.

Mais ce qui s’est passé à la Courneuve, n’était pas borderline mais hors limites, quoiqu’il n’y ait pas eu d’agression autre que verbale : « Social-traître ! », « Vendu ! » et autres indigences chansonnières du style « Casse-toi pauvre con ! ». Ces injures étaient intolérables pour une raison simple, mais nodale : Frédéric Mitterrand était invité par le PCF à la Fête de l’Huma.

Que des militants jugent qu’il est inopportun d’accueillir dans le Saint des Saints un ministre sarkozyste en exercice, fût-il bonasse et cultivé, c’est leur droit le plus absolu – après tout leur direction ne leur répète-t-elle pas tous les jours que l’Autre est le mal incarné – mais le cas échéant, c’est leurs propres chefaillons qu’ils eussent dû engueuler pour l’avoir convié. Ils s’en sont bien gardés, et c’est leur problème à eux s’ils respectent maladivement des dirigeants qui les ont menés avec tant de constance à la cata. M’est avis qu’un de ces jours, le PC risque de crever de n’avoir pas su tuer le père, mais c’est une autre histoire…

En attendant, manquer de respect à un invité est impardonnable, c’est une violation des codes humains. Attention, je ne parle pas là de loi républicaine ou de morale prolétarienne, mais de quelque chose qui est bien au-dessus de tout cela et que nous sommes donc supposés tous partager, du guerrier papou au syndicaliste breton et qui, normalement, devrait fédérer, c’est le cas de le dire, l’Humanité.

Sévèrement urné !

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Après le remous provoqué par la publication de Hold-uPS, arnaques et trahisons, le livre, qui affirme que les cent et quelques voix d’avance qui ont hissé Martine Aubry à la tête du PS étaient le résultat d’un bourrage d’urnes massifs, une autre affaire, similaire, pourrait bientôt éclabousser les collègues d’en face. Selon nos informations, les élections internes du 28 novembre 2004 qui avaient porté Nicolas Sarkozy à la tête de l’UMP (par 85,09 % des voix contre 9,10 % à Nicolas Dupont-Aignan et 5,82 % à Christine Boutin) ont elles aussi été honteusement magouillées. En vrai, il avait obtenu plus de 100% des suffrages exprimés!

Non aux licenciements secs !

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Les salariés de « Culture bière », un resto-musée-concept store consacré à la mousse et sis au 65 Champs-Elysées, sont en grève illimitée avec occupation du lieu de travail. Et pour cause : la direction de l’établissement – propriété du groupe Heineken – a, en effet, décidé de fermer la boutique et de licencier tout le personnel. Si vous passez dans le quartier, n’hésitez pas à aller les soutenir. Ils ont d’autant plus besoin de votre solidarité active qu’ils ne peuvent pas avoir recours aux méthodes traditionnelles : ça ne fera pas peur à grand monde s’ils menacent de faire péter leurs bonbonnes…

Colonna : l’affaire se corse

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Six mois après la seconde condamnation d’Yvan Colonna à perpète, Gérard Amaté, un libraire « qui n’aime pas l’Etat », publie à son tour un réquisitoire, mais cette fois contre la presse, accusée de n’avoir pas ou mal fait son travail, voire « aidé au crime ». Selon Gérard Amaté, la lourde peine du condamné n’est que l’aboutissement logique d’une enquête bâclée et d’un procès aberrant, où la raison d’Etat a prévalu sur la justice du début à la fin.

De là à comparer le sort de ce dernier à celui du capitaine Dreyfus, il n’y avait qu’un pas, que l’auteur franchit allègrement. Avec toutefois une nuance : c’est la presse de gauche (Le Monde et surtout Libération et L’Humanité), qui tient cette fois le mauvais rôle. Toujours sourcilleuse dès qu’il s’agit de défendre les « libertés fondamentales » et les droits de l’homme, elle a démontré dans ses comptes rendus de procès une partialité qu’elle est souvent prête à railler chez ses confrères conservateurs. Au contraire, c’est dans les colonnes du Figaro, du Parisien et de 20 Minutes que l’on trouve les articles les plus critiques – ou les plus sérieux – sur ce procès d’un homme contre lequel il n’y avait ni preuves ni aveux… Sans oublier le comportement des policiers et des juges, aberrant à bien des égards, qui avaient condamné d’avance le berger de Cargese.

Ses conclusions sont sans doute très exagérées, mais il n’en demeure pas moins que l’ouvrage de Gérard Amaté est un remarquable travail de compilation et d’analyse qui a, de surcroît, le mérite de révéler le travail de désinformation dont sont capables certains journalistes.

On ne peut cependant s’empêcher de penser que c’est faire bien de l’honneur à Yvan Colonna, dont le comportement depuis l’assassinat du préfet Erignac le 6 février 1998 présente lui aussi pas mal d’incohérences, sans parler de celui de ses complices.

Dénoncé dans un premier temps par Didier Maranelli, l’un des membres du commando, Colonna prend le maquis. C’est le rôle de sa vie : il se laisse pousser la barbe comme on le faisait dans les vendette au XIXe siècle, et commence une cavale de quatre ans qui s’achève par son arrestation dans une bergerie de Porto Pollo, chez un garçon tranquille qui a déclaré avoir agi par pitié pour le fugitif. Il n’avait jamais quitté l’île de Beauté, et avait réussi à échapper aux très méthodiques recherches du Raid – qui n’y est pas allé de main morte dans ses perquisitions et arrestations parfois délirantes de violence – parce que, tout simplement, il n’a pas voulu ou pu profiter de ces réseaux. Est-ce seulement dû aux dissensions qui agitent le milieu nationaliste corse ?

Après sa capture, voilà qu’il est ensuite innocenté de façon étrange par ses présumés complices, dont Didier Maranelli et Pierre Alessandri, qui déclare : « J’ai des reproches à faire à Yvan. Quand j’ai décidé de franchir le pas de la violence clandestine, j’ai espéré qu’il ferait partie de notre groupe. Ce que je lui reproche, c’est ça : d’avoir laissé Didier Maranelli et Martin Ottaviani monter au charbon alors que c’est lui qui aurait dû le faire, pour être cohérent avec son discours. » Et si le héros Colonna fuyait la justice non parce qu’il était innocent, mais parce qu’il était coupable de lâcheté aux yeux de ses camarades ? Dans cette hypothèse, on ne peut que déduire que ce dégonflé n’a pas tiré sur le préfet et on comprend mieux dans quelle situation impossible s’est retrouvé le pauvre garçon : innocent du meurtre, mais condamné par ses amis…

Autre fait troublant, on a pu remarquer dans l’île une certaine désaffection pour le héros, où graffitis et T-shirts frappés du slogan « Gloria a te, Yvan ! » (Gloire à toi, Yvan !) ont mystérieusement disparu du paysage alors qu’il commençait précisément à risquer gros au tribunal. Sans parler de la rumeur publique, qui semble l’avoir condamné depuis longtemps, non pour l’assassinat du préfet, mais pour manque de courage. Et là, c’est perpète voire plus. En Corse, la peine de mort n’est toujours pas abolie pour celui qui « manque » à ses amis.

L'affaire Colonna : une bataille de presse

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Retenez-moi !

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Ainsi donc Nicolas Sarkozy laisse planer la menace terrifiante d’un retrait de la France du G20, au cas où le sommet des pays riches et émergents qui doit se tenir la semaine prochaine ne le suivrait pas en matière de bonus des traders. C’est en tout cas le Figaro d’hier qui l’affirme. Renseignement pris – quelques lignes plus bas dans le même article -, il ne s’agit pas, comme je l’avais compris de prime abord, de quitter le groupe des 20 pour faire de la France une sorte de pays néo-non-aligné, mais de claquer la porte lors de la réunion de Pittsburgh et de rentrer à Paris très fâché. Ouf, vous imaginez la France quittant, pour de vrai, le G20, qui du coup deviendrait le G19, avec des millions de cartes de visite et de feuilles de papier à en-tête à réimprimer ? On l’a vraiment échappé belle…

Le pluriel ne vaut rien à l’homme

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Les gens, quand y en a un, ça va. C'est quand ils sont plusieurs que ça commence à poser des problèmes.
Les gens, quand y en a un, ça va. C'est quand ils sont plusieurs que ça commence à poser des problèmes.
Les gens, quand y en a un, ça va. C'est quand ils sont plusieurs que ça commence à poser des problèmes.

D’accord, Brice Hortefeux aurait mieux fait de se taire. D’accord, son commentaire sur ceux qui posent des problèmes lorsqu’ils sont beaucoup pose problème. D’accord, on peut trouver ça pas très classe, et même un peu xénophobe, voire même carrément raciste sur les bords, quelles que soient les circonstances estivales et décontractées dans lesquelles ces propos ont été prononcés.

D’accord, d’accord, d’accord. Trois et mille fois d’accord. Mais quand même.

Quand j’y réfléchis un peu tout seul dans mon coin, je me dis qu’au premier, au deuxième ou au douzième degré, il y a quand même un peu de vrai dans ce qu’a dit le ministre. Un peu, hein, pas tout ! Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit ! D’abord, je n’ai rien dit encore. Ce que j’ai dit, je vais plutôt le dire maintenant, pour que ce soit bien clair : les gens c’est souvent lorsqu’ils sont beaucoup qu’ils posent problème. C’est chez moi un vieux fond misanthrope qui me fait détester a priori les meutes de souchiens forcément très beaufs dans le genre de Brice Hortefeux et ses supporters (détestation qui va de soi pour un bobo dans mon genre), mais aussi certaines bandes à dominante maghrébine qui fréquentent ma riante banlieue.

Car je l’avoue sans fard (je dis sans fard, même si Piffard c’est un pseudonyme, je sais, je sais, courageux mais pas téméraire), les Arabes, perso, dans mon coin de banlieue, je préfère les rencontrer seul à seul plutôt qu’en bande. Seul à seul, je l’ai souvent remarqué, le Français d’origine maghrébine se montre dans l’ensemble beaucoup moins lourd, beaucoup plus poli et plus ouvert à la discussion interculturelle que lorsqu’il se promène en bande dans Rosny 2 par exemple. C’est comme ça, vous pouvez prendre ça pour un affreux cliché raciste (mais quel cliché n’est pas affreux ou raciste de nos jours ?), surtout sous cette forme un brin provocatrice, mais ça me semble assez irréfutable. Que ceux qui en doutent se rendent devant la FNAC au niveau 2 dudit centre commercial samedi prochain sur le coup des 18 h 30 pour comprendre de visu ce que je veux dire par là.

Mais je le constate en regardant la fameuse vidéo, ce qui est vrai pour les Arabes est vrai pour les militants UMP, qui ne sont pas encore tous d’origine maghrébine. Un militant UMP égaré dans ma banlieue-est, rencontré au hasard comme ça, je n’aurais rien contre. Cela exercerait sur moi, je pense, l’attrait de l’exotisme. Mais en joyeuses bandes rigolardes et décomplexées, comme à Seignosse dans les Landes le 5 septembre dernier, je crois que j’aurais un peu de mal. Comme dit le ministre, « quand il y en a un ça va, c’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes ».

Il n’y a pas que les militants UMP ou les jeunes Maghrébins cependant. Que dire des Américains, qui déferlent en bande à Bagdad ? Que des problèmes ! Les hordes de teufeurs d’outre-Rhin qui massacrent à coup de décibels les crapauds lors des love parade berlinoises ? Des problèmes ! Et les groupes de hooligans hollandais ? Encore des problèmes ! Et les Chinois qui pourchassent en meute les Ouighours dans le Guangdong ? Encore et encore des problèmes. Et les Ouighours et les Tibétains qui lynchent des Hans dans les rues d’Urumqi ou de Lhassa ? Toujours des problèmes !

Bref, c’est l’humanité dans son ensemble qui lorsqu’elle se promène en meute devient vite très très problématique, pour elle-même et pour le reste de la création. C’est comme ça depuis la nuit des temps, et il n’y pas de raison pour ça s’arrête. Le collectif pose problème. C’est même pour cela qu’il y a quelques millénaires la politique a été inventée. Pour que les groupes humains se distinguent le plus souvent possible de la meute. Pour que le collectif ne s’abime pas dans la horde primitive.

Et la horde primitive, le ministre Hortefeux la voit aujourd’hui à l’œuvre. Elle lui aboie copieusement sa morale dessus, au ministre. Elle le rappelle à l’ordre. Cela ne paraît frapper personne cette inversion des rôles. N’en déplaise à Foucault, ce n’est plus le pouvoir qui surveille et punit, mais l’opinion et ses représentants, et personne ou presque pour s’en apercevoir. Il faut dire qu’il est dur d’aboyer et de penser en même temps. J’ai essayé hier, en jouant à Tintin et Milou avec mon fils. J’aboyais bien fort, à quatre pattes sur le parquet de mon salon, tout en pensant à cet article. C’était nul. J’ai dû tout reprendre de zéro ce matin. La pratique de la curée médiatique s’accommode mal de la distance. C’est même le contraire de la distance puisque chacun se rue sur la proie qu’il déchiquète. Pas facile dans ces conditions de garder un semblant d’objectivité à l’égard de son sujet. Et aujourd’hui dans les médias c’est la curée permanente, au nom de la morale, ce qui rend cette curée plus haïssable encore. La prétention à la vertu, lorsqu’elle redouble la violence, n’est qu’une violence de plus.

Hortefeux est sommé de toutes parts de s’excuser et de s’amender, de reconnaître son crime. Sans les aveux extirpés au criminel, le rituel purificateur n’est pas achevé. Pour une fois qu’on tient un raciste, on ne va pas le lâcher comme ça ! Il paraît même, les puritains de l’antiracisme s’en pourléchaient ce matin sur France Inter, que le Président, soucieux de tenir la meute à distance, a interdit l’humour à ses ministres ! Fini de faire les malins devant les militants, aurait-il tonné !

Naguère on stigmatisait la langue de bois, aujourd’hui on la réclame. La meute ardente, sûre d’elle-même et d’être du bon côté du manche, rigolarde parfois, gronde encore. On stigmatise à l’envi le « dérapage ». C’est la grosse éclate chez les journalistes. Chacun dans son genre s’en donne à cœur joie. On lit ici et là sous des plumes émoustillées que le ministre de l’Intérieur a été pris en « flagrant délit » de dérapage. Douce vengeance ! Le Monde le rappelle sévèrement et austèrement à son devoir. Le triste pitre Guillon met dans la bouche du ministre les blagues racistes qu’il n’a jamais dites. Une façon commode de nous fait rire d’un double rire, deux fois méchant, puisqu’il est à la fois raciste et antiraciste. Merci à Guillon de nous permettre d’entendre à la radio des blagues racistes qu’heureusement plus personne n’ose raconter en public, sauf toutefois quand on peut lâchement les mettre dans la bouche d’un autre.

Un ministre, ça devrait déraper plus souvent, moi je vous le dis. On se fendrait plus souvent la poire. Rien de plus marrant qu’un type qui se casse la figure. Rien de mieux, pour se tenir chaud tous ensemble qu’un bon petit lynchage médiatique. Surtout quand c’est un ponte qui en est l’objet. On n’a plus si souvent l’occasion de rigoler. Les temps sont durs.

La curée s’achève. On sait maintenant ce que le ministre a dans le ventre, et ça ne sent pas bon, dit-on littéralement chez les Verts. Drôle d’époque vraiment que celle qui voit les charognards reprocher à la charogne de puer.

Comme disait l’autre, les gens, c’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes.

Mineurs et pas vaccinés

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Enfin des conseils antigrippe crédibles et percutants, bref le contraire de la propagande officielle diffusée sur les ondes jusque-là. Grâce à Gérard Depardieu, interviewé en exclu mondiale par Michael Kael pour GrolandSat, on sait tout ce qu’il faut faire : contre la grippe A, les enfants, il faut être fort. Donc, on ne va pas à l’école, on mange du porc, beaucoup. On boit du vin. Et puis on fume. Beaucoup aussi. Comme ça, on est fort comme papa. Pigé ?

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Willy Ronis : le vif dans la peau

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Le photographe Willy Ronis s'est éteint le 12 septembre à l'âge de 99 ans.
Le photographe Willy Ronis s'est éteint le 12 septembre à l'âge de 99 ans.
Le photographe Willy Ronis s'est éteint le 12 septembre à l'âge de 99 ans.

« L’œil n’est pas la question. L’organe photographe, c’est la jambe : courir, sauter, franchir des obstacles, traverser une rue, grimper à un lampadaire, monter sur une caisse pour fixer une scène sous une lumière particulière. » Quand, dans les années 1990, ses jambes le lâchèrent et que les honneurs rétrospectifs se mirent à pleuvoir sur lui, Willy Ronis raccrocha pour de bon son appareil photo et se mit à classer. La vocation archiviste n’épargne personne.

Dans une armoire métallique de son appartement du XXe arrondissement, il conservait la mémoire de tout un siècle, vous extirpait les négatifs d’une manif de 1934, retrouvait ceux d’un reportage consacré, en 1947, à l’industrie textile mulhousienne : « Une commande de Jacques-Henri Gros, un grand patron de l’époque. Je ne sais pas ce qui lui avait pris de faire appel à un photographe membre du parti communiste[1. En ce temps-là, la gauche n’était pas moderne. Même à Mulhouse.]. »

Willy Ronis n’était pas entré dans le monde de la photographie par la grande porte. Né un violon entre les mains comme tout petit juif immigré ukrainien qui se respecte, il voulait devenir compositeur. La photo, il l’avait découverte dans l’atelier de son père, un photographe de quartier qui vivait essentiellement de mariages et de communions, de portraits de grand-pères ou de petits derniers. Et tout cela – développement, tirage, ça vous fera cinq francs, Madame Leduc – ne lui plaisait pas.

La mort de son père, la fermeture de l’atelier, la nécessité de gagner de l’argent pour subvenir aux besoins de sa famille le conduisirent à devenir reporter. À contrecœur. Pourtant, très vite, ses photos parurent dans Life ou Time, à côté de celles de Capa ou de Seymour. C’est que chacune de ses photos, prises sur le vif, n’était pas l’œuvre d’un poseur : il ne photographiait pas des scènes ou des personnages, mais leur lumière. S’il y a du Rubens et du Bruegel dans chaque photo de Ronis, il y a surtout un art de la composition non-factice, une vérité de l’instant.

Ronis nous laisse une œuvre incomparable, les images d’une France disparue, des nus aussi bien que des chats. Il nous laisse également une théorie de la photographie, où la reproductibilité du tirage (lui qui avait lu Benjamin détestait les tirages limités) est une réponse à l’ »irreproductibilité » de chaque photo : quand bien même on la tirerait à des millions d’exemplaires, on ne pourrait pas fixer sur la pellicule deux fois la même image. Un clic et s’en va.

Il avait ainsi développé une philosophie modeste de la photographie, un art où l’ordonnateur n’est pas l’artiste ni la technique, mais le temps lui-même. Pas le « temps mort » à la Depardon, mais le temps qui vit et va[2. Lorsqu’on lui demandait ce qu’il pensait du travail photographique de Raymond Depardon, Willy Ronis répondait : « C’est un bon réalisateur à ce qu’il paraît, non ? »].

La technique, Willy Ronis, qui n’était passé ni au moteur ni encore moins au numérique, ne s’en souciait guère. Un jour, un jeune photographe lui demandait quel était son appareil de prédilection. Voyant que son interlocuteur maniait un Leïca, Ronis lui répondit : « Moi aussi, à votre âge, j’avais un Leïca. Mais j’avais aussi une Harley Davidson. Y’a pas mieux pour épater les filles. »

Jeunes photographes qui attendez la gloire, méditez donc la leçon de Willy Ronis : pas de Leïca sans Harley ! Et si c’est après la photographie que vous courez, procurez-vous simplement des jambes. Le reste vous sera donné par surcroît.

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Hortefeux et les boutefeux

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Brice Hortefeux

L’ex-Préfet Girot de Langlade aurait eu tort de s’en priver. Il aurait fallu être un saint pour ne pas se réjouir, dans sa situation, des mésaventures arrivées à son ex-ministre de tutelle, Brice Hortefeux. Lesquelles devraient, entre autres leçons, montrer à tous que l’accusation de racisme doit être brandie avec parcimonie et circonspection car elle a tendance à se retourner promptement contre ceux qui en usent pour faire les avantageux.

J’avais défendu ici même pour le préfet le droit à bénéficier d’un débat contradictoire. On me dira que le ministre y a eu droit et qu’il a fort mal plaidé sa cause. Pour autant, comme l’a souligné Philippe Cohen dans Marianne2, la délectation avec laquelle tout ce qui compte dans la France de gauche s’est jetée dans la « chasse au raciste » a quelque chose de particulièrement déplaisant. Et même d’inquiétant. Vendredi après-midi, une copine m’annonçait fièrement :  « J’ai signé, et toi ? » « T’as signé quoi ? » « La pétition pour la démission d’Hortefeux, pardi ! » « Mais vous êtes tous devenus dingues ou quoi ? » Au silence qui a suivi, j’ai compris qu’il allait être sacrément difficile d’avoir sur la question une discussion raisonnable.

Branle-bas de combat ! À la Bastille ! Sur Médiapart, Edwy Plenel est l’un des premiers à renifler l’odeur du sang et à exiger la démission du raciste[1. Si Plenel me permet un conseil confraternel, il ferait mieux de s’économiser car, dans les semaines à venir, il trouvera certainement l’occasion de réclamer des têtes encore plus prestigieuses pour défendre l’honneur de son ami Villepin.]. De la Licra au MRAP, du PS au Parti de Gauche, de SOS Racisme au PRG, c’est un festival de communiqués rivalisant dans l’indignation. Le Monde en appelle aux « valeurs », l’Humanité relooke Hortefeux en « porte-flingue du pétainisme revisité » – rien que ça. C’est qu’un ministre, c’est encore plus chouette qu’un préfet. Avec un peu de chance, on défilera dimanche prochain. À l’heure où Le Pen passe la main, ça nous rappellera le bon vieux temps.

Il faut être honnête, l’émotion suscitée par les supposés propos du ministre semble aller au-delà des habituelles glousseuses. Les optimistes y verront la preuve que la société française est en vérité immunisée contre le racisme, les pleureuses en déduiront que le peuple qui n’a pas de pain (c’est une image) se console avec les Jeux. Quelques heures après la publication de l’article de Cohen, qui n’était pourtant pas tendre pour le ministre, certains de ses lecteurs, enragés, demandaient sa démission de Marianne2. Et après avoir abordé le sujet sur RTL, j’ai reçu des messages outrés, notamment celui de monsieur Capel (il n’a pas précisé son prénom). « Un ministre d’Etat, qui plus est chargé de la sécurité et des cultes, s’autorise une sortie raciste, la seule issue possible me semble la démission », écrit-il. Mais c’est une autre phrase qui m’a fait sursauter : « En tant que penseuse indépendante et rigoureuse, poursuit mon auditeur, vous auriez dû avoir la même opinion que moi, la situation ne souffrait pas la moindre hésitation. » Ah ? Donc, j’ai le droit de réfléchir à condition d’aboutir à la bonne conclusion. Hortefeux, démission !

Il est vrai que si le sarkozysme est aussi une grande machine de com’, le « meilleur ami » du président vient de lui faire connaître de sérieux ratés.

L’Elysée et le gouvernement sont montés au créneau sur le front le plus facile, celui de la société de surveillance, que l’on appelle dans les bons jours société de communication. En général, certains collègues de Brice Hortefeux ne manquent pas une occasion de s’enthousiasmer sur le monde merveilleux d’internet et de la transparence, au point qu’ils s’estiment obligés de faire part de leurs pensées les plus banales à leurs électeurs-lecteurs-twitteurs. À l’inverse, il est amusant d’entendre tous ceux qui, il y a peu, partaient en guerre contre Edvige, se faire une fois de plus les avocats du droit de tous à surveiller tout le monde tout le temps. Sauf que ce n’est pas, ce n’est plus, une excuse. Si les politiques ne savent pas dans quel monde ils vivent, qu’ils changent de métier. Oui, tout ce que vous pourrez dire pourra être retenu contre vous. Donnez-moi deux mots de la bouche d’un homme et je le fais lyncher, on ne vous a rien appris à l’ENA ?

Il faut bien cependant, s’aventurer sur le terrain glissant des propos prêtés au ministre et de leur éventuelle gravité. Autant vous le dire, j’ai la trouille. Je sais qu’un mot mal compris, volontairement ou pas, peut vous conduire en un tournemain sur la prochaine charrette. D’abord, j’ai, comme tout le monde, réécouté de nombreuses fois la « vidéo censurée ». J’ai choqué beaucoup de gens en affirmant que je ne l’aurais sans doute pas diffusée. Ce n’est pas seulement parce que je suis payée par l’Elysée (si seulement…), c’est que je n’aurais pas vu le scoop. Si Hortefeux a dit quelque chose comme « un Arabe ça va, quand ils sont beaucoup bonjour les dégâts » et qu’il l’a dit devant l’Arabe concerné, j’ai beau faire appel à toutes mes fibres humanistes, je n’arrive pas à entendre autre chose que du second degré. C’est le genre de blagues idiotes qu’on fait à causeur quand on en a assez de se disputer sur la taxe carbone ou la taille du président : pourquoi y a-t-il chez nous tant de juifs, de pédés, ou d’alsaciens ? Et franchement, chers lecteurs outrés, c’est le genre de blague que vous entendez ou que vous racontez dans les dîners avec vos copains arabes, noirs et juifs et ça fait marrer tout le monde. Je vous concède que Brice Hortefeux n’a pas le profil de Ludvik, le héros de La Plaisanterie et qu’il a en plus une tête d’Aryen. Et pourtant, si on y réfléchit, ça y ressemble un peu. On ne déconne pas avec la vraie foi. Cette mobilisation d’une meute surchauffée pour une blague me fait penser que, derrière le triomphe des chauffeurs de salle que sont les humoristes appointés, l’esprit de sérieux a gagné. Si plaisanter sur les arabes, les noirs, les juifs ou les nains, c’est être raciste, antisémite ou petitophobe, il faut cesser de plaisanter. Et aussi de rigoler. À moins, évidemment, que vous vouliez tous finir dans la « cage aux phobes » inventée par Muray[2. J’ai récemment employé son « mutins de Panurge » sans guillemets et sans citation parce qu’il me semblait que c’était désormais aussi estampillé Muray que « Rodrigue as-tu du cœur ? » appartient à Corneille, mais j’ai sans doute été un peu optimiste. Il faudra sans doute une ou deux générations pour que la France et la littérature sachent ce qu’elles doivent à Philippe.].

D’accord, me direz-vous, chers lecteurs outrés, et si c’était du premier degré ? Ou, plus exactement, si le second degré ne faisait que révéler les arrière-pensées de Brice Hortefeux ? Si je traduis les propos présumés, cela donne quelque chose comme « des Arabes en France, aucun problème, ce qui peut poser problème, c’est la concentration ». D’accord, ce n’est pas très divers-friendly de penser cela mais que nous disent à longueur de temps les habitants des cités ? Qu’ils ne veulent pas vivre dans des ghettos, c’est-à-dire dans des quartiers où plus de la moitié de la population vient de la même culture qu’eux. Pas parce qu’ils sont racistes, parce qu’ils veulent participer à la promesse française, parce qu’ils veulent voir leurs femmes et leurs filles en robes légères, parce qu’ils veulent que leurs enfants apprennent « nos ancêtres les Gaulois », parce qu’ils veulent parfois manger pendant le ramadan et boire un coup à l’occasion. Au risque de me faire, une fois de plus, traiter de juive honteuse, je trouverais ça un peu étrange qu’un gamin se retrouve, à l’école publique, avec 25 condisciples juifs. Je vous vois venir. Suis-je choquée par les classes de 30 têtes blondes aux noms bien de chez nous ? Suis-je gênée que certains de nos centres-villes soient un peu trop blancs ? Pas vraiment. J’aimerais que l’intégration et même l’assimilation d’autrefois fonctionne, que nos classes et nos rues soient ethniquement mélangées sans même qu’on y prenne garde. J’aimerais qu’Harry Roselmack présente le JT sans qu’on me précise qu’il est noir. J’aimerais que Fadela Amara et Rama Yade soient des ministres, pas des symboles.

Je crois que le racisme, le vrai, le racial, n’a plus cours en France. Qui oserait encore penser que les Arabes ou les Noirs sont « inférieurs » ? En adoptant la religion de l’Humanité, nous avons heureusement banni ces idées (pour le coup) moisies ; ceux qui continuent à croire en elles doivent le faire honteusement et encourent les foudres de la Loi. Tant mieux Seulement, il me semble qu’on qualifie aujourd’hui de raciste toute prétention à considérer qu’il existe une culture française (laquelle se nourrit évidemment depuis toujours d’apports extérieurs) et que ceux qui arrivent doivent s’adapter à elle et à son biorythme au lieu de réclamer qu’elle s’adapte à eux. In Rome, do as the romans do. Non, je n’arrive pas à trouver cette maxime scandaleuse. Je sais qu’elle est difficile à mettre en œuvre, j’admets volontiers qu’elle est discutable. Seulement, il semblerait qu’on n’ait plus vraiment le droit de discuter.

Pour qui sont ces sifflets ?

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Frédéric Mitterrand

Autant vous le dire de suite, les sifflets dont a été l’objet Frédéric Mitterrand ce samedi à la Fête de l’Huma m’ont profondément attristé.

Vous me connaissez, loin de moi l’idée qu’une personnalité officielle soit, es qualités, intouchable. Le lazzi est une forme de communication politique ancestrale, il appartient à notre patrimoine politique, il nous renvoie, bienheureusement, au temps d’avant les dircom. J’aime qu’on dise leur fait à tous, y compris aux plus puissants, et en retour, je ne suis pas de ceux qui s’étouffent quand le président de la République, offensé, réplique sur le même ton, même si en vrai, j’aurai attendu, dans un monde idéal, une riposte plus empreinte de second degré que de langage de cour de récré.

Pour aller au bout, je ne suis pas forcément bégueule quand l’encolère joint le geste à la parole, saccage une préfecture, séquestre un médiateur, ou envoie un œuf pourri sur le minois d’un ministre de l’Agriculture. On est dans le champ naturel de la démocratie. On y est borderline, mais on y est. On rappellera au plus distraits que nos institutions républicaines en marbre froid sont filles de l’Emeute. Des émeutes où ils n’y avaient pas que des horions ou des boulons qui volaient, mais aussi des balles, voire des têtes.

Mais ce qui s’est passé à la Courneuve, n’était pas borderline mais hors limites, quoiqu’il n’y ait pas eu d’agression autre que verbale : « Social-traître ! », « Vendu ! » et autres indigences chansonnières du style « Casse-toi pauvre con ! ». Ces injures étaient intolérables pour une raison simple, mais nodale : Frédéric Mitterrand était invité par le PCF à la Fête de l’Huma.

Que des militants jugent qu’il est inopportun d’accueillir dans le Saint des Saints un ministre sarkozyste en exercice, fût-il bonasse et cultivé, c’est leur droit le plus absolu – après tout leur direction ne leur répète-t-elle pas tous les jours que l’Autre est le mal incarné – mais le cas échéant, c’est leurs propres chefaillons qu’ils eussent dû engueuler pour l’avoir convié. Ils s’en sont bien gardés, et c’est leur problème à eux s’ils respectent maladivement des dirigeants qui les ont menés avec tant de constance à la cata. M’est avis qu’un de ces jours, le PC risque de crever de n’avoir pas su tuer le père, mais c’est une autre histoire…

En attendant, manquer de respect à un invité est impardonnable, c’est une violation des codes humains. Attention, je ne parle pas là de loi républicaine ou de morale prolétarienne, mais de quelque chose qui est bien au-dessus de tout cela et que nous sommes donc supposés tous partager, du guerrier papou au syndicaliste breton et qui, normalement, devrait fédérer, c’est le cas de le dire, l’Humanité.

Sévèrement urné !

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Après le remous provoqué par la publication de Hold-uPS, arnaques et trahisons, le livre, qui affirme que les cent et quelques voix d’avance qui ont hissé Martine Aubry à la tête du PS étaient le résultat d’un bourrage d’urnes massifs, une autre affaire, similaire, pourrait bientôt éclabousser les collègues d’en face. Selon nos informations, les élections internes du 28 novembre 2004 qui avaient porté Nicolas Sarkozy à la tête de l’UMP (par 85,09 % des voix contre 9,10 % à Nicolas Dupont-Aignan et 5,82 % à Christine Boutin) ont elles aussi été honteusement magouillées. En vrai, il avait obtenu plus de 100% des suffrages exprimés!

Non aux licenciements secs !

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Les salariés de « Culture bière », un resto-musée-concept store consacré à la mousse et sis au 65 Champs-Elysées, sont en grève illimitée avec occupation du lieu de travail. Et pour cause : la direction de l’établissement – propriété du groupe Heineken – a, en effet, décidé de fermer la boutique et de licencier tout le personnel. Si vous passez dans le quartier, n’hésitez pas à aller les soutenir. Ils ont d’autant plus besoin de votre solidarité active qu’ils ne peuvent pas avoir recours aux méthodes traditionnelles : ça ne fera pas peur à grand monde s’ils menacent de faire péter leurs bonbonnes…